son dernier opéra, s’est cru obligé de se jeter au travers des périls d’une action dramatique. Dans tout ceci, il n’a fait que donner la mesure précise de ses formes. Il est aujourd’hui bien reconnu que l’auteur du Caïd ne pourra jamais écrire une grande partition ; mais cela ôte-t-il une note à sa mélodie, et l’en croira-t-on moins savant pour cela ? N’est-on donc un musicien, un artiste avec lequel on compte, qu’à la condition de composer une épopée en cinq actes et en sept heures d’audition ? Pour tous ceux qui font cas du savoir et de la distinction, M. Ambroise Thomas reste ce qu’il était, un agréable musicien ; son talent, dans sa plénitude, avait donné tout ce qu’il promettait, sa ligne était tracée ; la velléité qui l’en a fait sortir ne lui a rien ôté, mais a marqué pour long-temps, sinon pour toujours, la route qu’il devait suivre. Ce chemin, du reste, fut de tout temps assez bien parcouru pour qu’un homme comme M. Ambroise Thomas le trouve encore digne de lui. La perfection se rencontre aussi bien dans un air de Cimarosa que dans un finale de Meyerbeer. Il s’agit seulement de mettre le doigt dessus ; heureux donc ceux qui se trouvent sur la voie et qui pourront l’atteindre !

Le Secret de la Reine est emprunté à la très mystérieuse histoire du masque le fer. Les auteurs n’ont pas cherché à donner à ce sujet de nouveaux éclaircissemens historiques : ils se sont contentés de la tradition qui fait du prisonnier des îles Saint-Marguerite le frère aîné de Louis XIV. Ceci une fois accepté et les anachronismes passés sous silence, le poème ne manque pas d’intérêt : il est long, diffus, écrit avec une afféterie parfois ridicule ; mais il y a des situations musicales, quelques scènes bien posées. Pour un livret d’opéra d’ailleurs, il ne faut pas se montrer trop difficile, du moment que ces conditions principales sont remplies. M. Ambroise Thomas a profité de toutes les occasions où le genre qui lui est propre pouvait se développer à l’aise. Le premier acte, joyeuse fête de village, où le carillon des cloches se mêle aux chants des buveurs, est traité jusqu’au finale avec beaucoup d’art, le chœur des ivrognes est surtout un morceau d’un rhythme excellent ; le finale, où certes M. Thomas a mis toutes les recherches de l’orchestre, ne satisfait pas autant à beaucoup près : il est confus, les masses ne sont pas distribuées avec le goût désirable, et la cabalette en est assez vulgaire. Il manque là le souffle inspirateur, la puissance, ce qui respire et qui entraîne ; on sent que ces paysans sont arrivés pour chanter et qu’ils attendent que le rideau se baisse pour fermer la bouche. S’il fallait ici un point de comparaison, nous le prendrions dans le chœur des paysans du Prophète, pour marquer la différence qu’il y a entre le génie dramatique dans sa plus haute expression et l’impuissance d’un talent agréable et gracieux dans une situation à peu près analogue. Le second acte est coupé par un intermède dans le goût de Lulli ; mais le pastiche est fait avec grace : l’air du berger et de la bergère sont excellens et chantés à merveille par Bussine et Mlle Lefèvre ; à part quelques points d’orgue d’un goût assez équivoque, et qu’il est facile de faire disparaître, cette petite scène est parfaite. La partition du Secret de la Reine fourmille de romances ; chacun a la sienne. Il est juste de dire que personne mieux que M. Thomas ne s’entend à composer ces petits poèmes tels que Schubert les comprenait ; il les coupe, les module d’une façon tout inattendue. Au premier acte, la romance de Raymond ; au troisième acte, celle de Stella, réalisent la perfection dans ce genre. Pour terminer sur des éloges, il ne faudrait parler ni du chœur qui ouvre le troisième acte ni du duo final : ce sont des morceaux, à notre sens, complètement manqués.

Les chanteurs rivalisent de zèle pour donner à la partition de M. Ambroise Thomas cette unité d’interprétation qui distingue l’Opéra-Comique. Mlle Lefèvre surtout mérite une mention particulière : sa voix est peut-être un peu chevrottante, mais son exécution est presque irréprochable, et comme comédienne elle en remontrerait à beaucoup que nous ne nommerons pas. MM. Boulo, Mocker et Bussine font de leur mieux et font très bien ; ce sont des acteurs et des chanteurs consciencieux qui aiment leur art, et dont on doit tenir compte. Au demeurant, le Secret de la Reine a été fort applaudi ; mais aujourd’hui que M. Thomas n’a plus de fauteuil académique à poursuivre pour excuser ses sorties un peu excentriques sur le terrain de l’opéra sérieux, il doit songer à nous revenir avec un bon opéra-comique : c’est encore là que l’attendent de nouveaux et de plus durables succès.

F. DE LAGENEVAIS.


REVUE LITTÉRAIRE.

LES AMES EN PEINE, CONTES D’UN VOYAGEUR, par X. Marmier[1]. — Jusqu’à ce jour, M. Marmier ne s’était fait connaître que comme un voyageur cosmopolite ; de tous nos écrivains, c’était celui qui avait franchi le plus de montagnes, traversé le plus de mers, exploité le plus de continens, et Dieu sait s’il s’était fait faute de nous raconter longuement ses impressions sous les différens ciels qu’il avait visités. Aujourd’hui qu’il n’y a guère de terres dont M. Marmier ne nous ait rapporté d’échantillons, ce n’est plus au pays des réalités qu’il voyage ; voici venir un petit volume, les Ames en peine, qui nous arrive tout droit du pays des fictions. Les Ames en peine ! c’est-à-dire quelque chose de vague et d’indécis, quelque chose qui n’est pas de ce monde et qui voudrait en être, qui n’a ni forme, ni couleur. Ce titre est modeste : il résume le livre. M. Marmier manque absolument d’observation et de finesse en matière de roman ; sa vie de voyageur a gâté son avenir de romancier. Quand depuis vingt ans on compare les horizons, des glaces du pôle aux sables de la Palestine, il est difficile de se mettre à discuter les petits sentimens, les petites passions des hommes ; on ne peut pas tout connaître et tout enserrer. La synthèse chez M. Marmier a dévoré l’analyse. Ce nouveau volume est donc un recueil de contes plus ou moins originaux. C’est le sommaire des longues pérégrinations de l’auteur ; l’un nous vient de Suède, l’autre de Hollande ; celui-là, le meilleur, de Franche-Comté, le dernier enfin d’Amérique. Dans ce conte, nouvelle ou roman, comme on voudra bien l’appeler, M. Marmier donne carrière à son humeur contre la gent yankee. À l’entendre, tout célibataire étranger doué de quelques avantages physiques et d’une montre à breloques devient aux États-Unis le point de mire d’une nuée de frelons sous la forme de jeunes et très candides filles qui, entre le lunchon et le souper, s’abattent sur leur proie et ne l’abandonnent qu’après en avoir tiré pied

  1. 1 vol. in-18, chez Arthus Bertrand.