Revue des périodiques (Revue philosophique I, 1876)



REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS




La Revue se propose, avant tout, d’être une source d’informations et de tenir ses lecteurs au courant du mouvement philosophique à l’étranger aussi bien qu’en France. Chacun de ses numéros consacrera, en conséquence, quelques pages au résumé des Revues philosophiques de l’Angleterre, de l’Allemagne, des États-Unis, de l’Italie, etc. Les périodiques de cette nature, dont nous rendrons compte, sont :

Pour l’Angleterre : Mind, a quaterly Review of scientific Psychology and Philosophy.

Pour les États-Unis : The Journal of speculative Philosophy.

Pour l’Allemagne : Philosophische Monatshefte, Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik.

Pour l’Italie : La filosofia delle Scuole italiane.

La Revue philosophique signalera en outre, dans les journaux consacrés aux maladies mentales, les articles ou les faits qui lui paraîtront propres à intéresser la psychologie. Ces emprunts seront faits :

Pour la France : aux Annales médico-psychologiques.

Pour l’Angleterre : au Journal of Mental Science.

Pour l’Allemagne : aux Archiv fur Psychiatrie und Nervenkrankheiten.

Le contenu de chaque journal philosophique sera indiqué d’une manière complète, soit par une simple note, soit par une analyse détaillée, suivant l’importance des articles.

Avant d’aborder cette revue des Revues, il nous a paru utile pour les lecteurs de caractériser rapidement les tendances de chacune d’elles ; et comme les faits valent mieux que les appréciations personnelles, nous jetterons un coup d’œil rétrospectif sur les principaux articles publiés par elles, durant l’année 1875. Le lecteur sera mieux en état de juger par lui-même. Nous commencerons cette revue rétrospective par l’Allemagne.




PHILOSOPHISCHE MONATSHEFTE

Les Philosophische Monatshefte (Cahiers mensuels de philosophie), dirigés par MM. Bratuscheck, prof. à l’Univ. de Giessen, Ascherson, bibliothécaire à Berlin, Bergmann, prof. à l’Univ. de Marbourg, paraissent à Leipzig et forment 10 livraisons par an. Le but que se propose cette Revue est analogue à celui que nous poursuivons. Elle fait profession « de ne servir aucune école ni aucun système, mais d’être un organe central pour faire connaître toutes les directions du mouvement philosophique. »

Les articles de fond sont beaucoup moins nombreux que les analyses et les comptes-rendus. Mais ceux-ci par leur étendue et leur variété sont très-propres à faire connaître au lecteur la situation actuelle de la philosophie en Allemagne.

Chaque numéro contient en outre une Bibliographie qui, sous les titres suivants : Histoire de la philosophie, philosophie, métaphysique, logique, théorie de la connaissance, psychologie, anthropologie, philosophie de la nature, morale, esthétique, questions religieuses, éducation, — contient l’énumération complète des publications allemandes et des principaux ouvrages étrangers sur ces divers sujets.

Parmi les divers articles publiés pendant l’année 1875, nous signalerons :

ARTICLES ORIGINAUX

Bratuscheck. Le positivisme dans la science. D’après l’auteur, le positivisme se trouve dans l’antiquité, et caractérise la science apparente des sophistes. Il adresse au positivisme deux reproches principaux : manquer de critique, méconnaître l’histoire.

Vaihinger. De la position actuelle du problème cosmologique. La philosophie de la nature se renferme nécessairement dans les limites des sciences de la nature : elle est « une fonction variable de la recherche naturelle. » Il y a trois conceptions générales qui dominent actuellement toutes les spéculations sur ce sujet : 1o la théorie de Kant et Laplace ; 2o la conception nouvelle de l’organisme et l’effort pour éliminer la force vitale et la finalité ; 3o la loi de persistance de la force et d’équivalence mécanique. — La théorie mécanique assimile l’univers à une machine : elle a de nos jours pour principaux représentants Thompson, Tait, Helmholtz, Clausius. L’exposition la plus complète qui en ait été donnée, est due à Thompson. Cette théorie a été critiquée à divers points de vue par L. Meyer, Fick, Lange, Herbert Spencer. L’auteur de l’article y ajoute ses propres critiques et passe à la deuxième théorie. — Celle-ci consiste à considérer l’univers comme un organisme. Elle a été surtout exposée par Caspari. L’opposition de ces deux théories rappelle celle des Cartésiens et des Leibniziens. Caspari veut fondre ensemble une cosmologie mécanique et une cosmologie éthico-téléologique. Il admet des « atomes biologiques, » il considère l’univers comme « une circulation de forces. » Il attribue à l’atome des « états internes. » L’auteur fait une critique détaillée et pressante de ces hypothèses. — D’autres ont essayé de trouver un moyen terme entre ces deux thèses contraires, le mécanisme et l’organisme. Ils se sont surtout placés au point de vue du Darwinisme et veulent expliquer par lui d’une manière générale la finalité. L’auteur expose les opinions de Czolbe, Jager, Wiegand, du Prel, et montre comment ils appliquent la loi de sélection à l’univers tout entier. Pour du Prel, la formule de Darwin exprime une loi générale de la nature. « La finalité est une balance de forces contraires, produite par des lois naturelles. » L’auteur s’attache surtout aux théories cosmologiques de Zœllner dont le livre Sur la nature des comètes est une des pièces importantes de ce procès. Entre autres questions, Zœllner a discuté celle de l’infinité de l’espace, qui joue nécessairement un grand rôle en cosmologie et a introduit un élément nouveau : les considérations de la géométrie imaginaire sur l’espace à n dimensions. — L’auteur regrette en terminant de ne pouvoir étudier la cosmologie d’Herbert Spencer et de Dühring. Mais son article offre un grand intérêt comme résumé actuel de la question, notamment en ce qui concerne la finalité.

Notice nécrologique sur H. de Leonhardi, prof. à l’Univ. de Prague, disciple de Krause. Ce dernier philosophe qui est bien peu connu chez nous, a eu la singulière fortune de régner en maître sur l’Espagne contemporaine, où toute éducation philosophique s’achève par l’étude approfondie de ses œuvre.

Arthur Schopenhauer : essai par D. José del Perojo (Madrid, 1875). L’auteur insiste sur le caractère pessimiste de la métaphysique actuelle en Allemagne et en recherche les causes.

Wiegand. Résumé des travaux critiques et philologiques sur Les lettres attribuées à Platon.

La Philosophie dans l’Amérique du Nord, d’après Noah Porter. Elle s’est appliquée surtout à la morale, à la politique et à la théologie. Le premier et peut-être le plus grand des philosophes américains est Jonathan Edwards, 1703-1758. Il s’est efforcé d’accorder la religion calviniste avec la raison. Son principal ouvrage est un Traité de la volonté. En morale, il se rattachait à Hutcheson.

ANALYSES ET COMPTES-RENDUS

Zimmermann. Kant und die positive Philosophie. Vienne, 1874. — La racine commune du positivisme et du criticisme, c’est la philosophie empirique d’Angleterre, Comte se rattachant surtout à Bacon et Hobbes, Kant à Locke, Berkeley et Hume. — Voici les différences : 1o le positivisme est « un réalisme naïf » qui admet comme extérieures les données de l’expérience sensible, sans les soumettre à une critique préalable ; 2o tandis que Comte étudie la métamorphose logique des sciences, suivant la loi des trois états, Kant recherche l’élément à priori de chaque science. — L’auteur compare les deux systèmes de classification, les doctrines de Kant et de Comte sur la sociologie. Il reproche au positivisme de n’avoir pas compris la portée du criticisme et d’être « un dogmatisme sans critique. »

Dühring. Histoire critique de la philosophie depuis son origine jusqu’à nos jours. (Kritische Geschichte der Phil. von ihren Anfangen bis zur Gegenwart), 1873, 2e édit. — Pour l’auteur, la philosophie doit être étudiée non isolément, mais avec tous les autres facteurs qui constituent la civilisation. La philosophie n’est pas une science simple : elle repose sur la coopération de deux forces : le savoir, le vouloir. Le sentiment (Gesinnung) est l’un des éléments les plus importants. La philosophie de Dühring repose sur deux principes : Positivité et sentiment. Son principe théorique est : Unité du réel. Son but pratique : vivifier et ennoblir le sentiment. — Pour lui, l’histoire de la philosophie se divise en trois périodes : 1o Époque grecque qui en marque le commencement. 2o L’esprit scientifique la renouvelle vers la Renaissance. 3o Période allemande.

Ochorowicz. Conditions de la conscience. (Bedingungen des Bewusstwerdens : eine physiologische Studie), Leipzig, 1874. — L’auteur montre que les récents travaux de psychologie et de physiologie ont donné un intérêt tout nouveau aux études sur la conscience. Il se propose de donner une explication purement empirique du fait de conscience et de son rapport avec les autres phénomènes. Il examine les conditions de la conscience sous quatre titres : 1o Physiques. Nécessité d’impressions, extérieures ou intérieures. Pour qu’une impression extérieure parvienne à la conscience, il faut qu’il y en ait au moins une seconde avec un intervalle entre les deux : il faut qu’elle ait une certaine intensité. L’auteur s’est assimilé les travaux de Weber, Fechner, Bain, Horwicz, etc. — 2o Anatomiques. Il rejette l’opinion de Pflüger et de ceux qui inclinent à attribuer une certaine conscience à la moëlle. Il fait ressortir l’importance des commissures du cerveau pour établir l’unité de cet organe. — 3o Physiologiques. Importance de la circulation du sang et sa constitution chimique pour la conscience. Essais de localisations physiologiques, opposés aux localisations anatomiques de la phrénologie. — 4o Psychologiques. Rôle considérable de l’attention. Formes et degrés de la conscience. « La clarté de la conscience est, dans certaines limites, inversement proportionnelle au nombre des représentations actuelles. »

Asmus. Die indogermanische Religion in den Hauptpunkten ihre Entwicklung. Halle, 1875, tome 1er. — Le but de l’auteur est de montrer que le grand progrès de la religion a consisté à s’élever du naturalisme à la spiritualité. La chute de la religion de la nature (Védisme, etc.) a eu lieu, quand l’homme a compris clairement qu’entre l’absolu divin et les phénomènes naturels, le rapport est incommensurable.




ZEITSCHRIFT FÜR PHILOSOPHIE UND PHILOSOPHISCHE KRITIK


Cette Revue, dirigée par MM. Fichte, Ulrici et Wirth, paraît tous les trois mois à Halle. Quiconque est un peu familier avec le mouvement philosophique de l’Allemagne contemporaine, devinera sans peine les tendances de cette Revue d’après les noms de ses principaux rédacteurs : Fichte et Ulrici ont publié sur la psychologie, l’anthropologie, la morale, la théologie naturelle, un assez grand nombre d’ouvrages qui les rapprochent beaucoup de l’école appelée, en France, spiritualiste. En 1876, cette Revue entre dans sa 40e année.

Le Zeitschrift für Philosophie fait aux articles de fond une part plus large que les Monatshefte : les analyses et les comptes-rendus se trouvent réduits par là même. Parmi les travaux publiés ou continués dans le courant de 1875 et qui par leur étendue constituent de véritables ouvrages, nous signalerons :

J. Wolff. La dialectique platonicienne, sa nature et sa valeur pour la connaissance de l’homme.

Dorner. Sur les principes de la morale de Kant.

En outre :

articles originaux

Grapengieszer. La déduction transcendentale de Kant et de Fries, d’après les travaux de Bona Meyer, Liebmann, Kuno Fischer, E. Zeller, H. Cohen, E. Montgomery. — Varnhagen d’Ense raconte que Kant, en l’année 1797, lui dit : « Je suis venu un siècle trop tôt ; mais, dans cent ans, on commencera à me bien comprendre, on étudiera de nouveau mes écrits et on les tiendra pour vrais. » L’auteur de l’article fait remarquer que ce moment est arrivé et il conclut « que la méthode et la doctrine générale de Kant et de Fries doivent rester pour tous les temps le fondement inébranlable de la philosophie allemande. »

Lœve. De la genèse simultanée du langage et de la pensée. — Critique des théories du xviiie siècle qui considéraient le langage comme une invention. Influence des travaux de la linguistique sur cette question. Nécessité de bien distinguer la représentation (Vorstellung) de la pensée (Denken). La représentation se rencontre chez les animaux, elle peut être inconsciente, elle est régie par les lois de l’association, elle donne l’objet isolé, l’image. La pensée, au contraire, est une détermination libre et consciente du rapport des représentations entre elles ; elle consiste en jugements, en concepts généraux, abstraits. — La première peut exister sans le mot ; la seconde étant essentiellement un jugement, a besoin du mot. — Conclusion : « Le premier acte de pensée produit le premier concept, par le premier jugement, au moyen du premier mot. » On peut dire avec Rousseau que le langage est le cri de la nature ; mais pour l’homme à l’état de nature, ce cri est double : inarticulé pour la sensation, articulé pour la pensée ; l’un et l’autre étant immédiats et irréfléchis. — Importance psychologique du fait établi par Max Müller, etc., que les racines expriment quelque chose de général, non d’individuel, de concret.

Teichmuller. Lettres inédites de Kant et de Fichte. Une lettre de Kant à son éditeur, à Riga, 1797. Une lettre de Fichte à Sonntag (de Riga), un de ses amis, trois jours après sa première visite à Kant. 7 juillet 1791.


analyses et comptes-rendus

Secrétan. La philosophie de la liberté : l’histoire.

Seydel. Éthique ou science de ce qui doit être. Leipzig, 1874.

Kuno Fischer. François Bacon et ses successeurs, 2e édition, remaniée. Leipzig, 1875. Dans cette nouvelle édition l’auteur parle des attaques de J. de Maistre et de Liebig, de l’influence de Bacon sur les déistes anglais (Bolingkbroke, etc.), sur les moralistes, Mandeville, Helvétius et sur J.-J. Rousseau, « l’idéaliste du sensualisme. »

Prof. Werner. La psychologie de Guillaume d’Auvergne. Rapports de G. d’Auvergne avec les platoniciens du xiie siècle. Cosmologie et théorie de la nature des scolastiques. — (L’auteur est déjà connu par des travaux sur saint Thomas d’Aquin et Suarez).

Teichmuller. Histoire de l’idée de παρουσία, depuis Platon et Aristote jusqu’au Nouveau Testament, 1873.

Pffeiderer. L’empirisme et le scepticisme dans la philosophie de Hume, 1874 ; étude générale sur la philosophie anglaise, sa théorie de la connaissance, sa morale, sa doctrine religieuse.

V. Lilla. La mente dell’ Aquinate e la filosofia moderna. Torino ; 1873.

Siebeck. Recherches sur la philosophie des Grecs, 1873. (Socrate et les Sophistes. Théorie de la matière dans Platon. L’éternité du monde dans Aristote. Le rapport de la cosmologie aristotélienne avec celle des Stoïciens).

Siegwart. Logique. Tome I. 1874. (Jugement, conception, raisonnement).

Bowne. La philosophie d’Herbert Spencer : examen de ses Premiers principes (en anglais), New-York, 1874. Sa philosophie, suivant l’auteur, est « un matérialisme à priori. »

Flint. Philosophie de l’histoire en France et en Allemagne (anglais), 1874.

Baumann. La philosophie comme moyen de s’orienter dans l’univers (c’est-à-dire comme connaissance des principes) : recherches sur l’idéalisme, le réalisme, la théorie de la connaissance.

F. Hoffmann. Écrits philosophiques. (Recueil d’essais et de monographies). 1868-1872.

Krause. Système de la philosophie du droit, 1874.

Perty. Anthropologie, tome II.

Ce volume est consacré à l’espèce humaine. Examen de la théorie de Darwin : l’homme vient d’une forme inférieure à sa propre espèce, non d’une espèce éteinte de singes de l’ancien monde. Formation des races humaines : unité de l’espèce. Migration et mélange des races. Marche vers la civilisation ; trois étapes : peuples sauvages, barbares, cultivés. Les différences de nationalité et de races ; sont-elles primitives ou viennent-elles des circonstances extérieures (Buckle, Stuart Mill) ? Développement de la civilisation : âge de pierre, de bronze, de fer. L’État, les lois, les religions, la science.


Outre ces deux périodiques, il en a existé un troisième dont la publication vient de cesser : c’est le Zeitschrift für exacte Philosophie, fondé en 1860. Il représentait l’école de Herbart, c’est-à-dire en particulier l’application des mathématiques à la philosophie.

Nous signalerons encore deux Revues qui, sans être d’ordre strictement philosophique, peuvent cependant intéresser nos lecteurs :

1o L’Athenæum : Monatschrift für Anthropologie, dirigé par le docteur E. Reich, et fondé à Iéna, au mois d’avril dernier.

2o Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft, fondé à Berlin en 1859 par Lazarus et Steinthal. Une bonne partie de ce recueil est consacré à la linguistique. Quant aux études philosophiques qu’il contient, nous aurons l’occasion d’en parler, en étudiant la psychologie de Lazarus.


Nous recevons à l’instant le premier fascicule de Mind, la nouvelle Revue philosophique d’Angleterre. Nous en parlerons avec détail dans le prochain numéro. Elle contient des articles dus aux philosophes anglais les plus connus : Herbert Spencer, Bain, Lewes, Sidgwick, Hodgson, Flint, etc.


Le professeur Lange, de Marbourg, auteur d’une célèbre Histoire du matérialisme qui doit bientôt nous occuper, est mort le 21 novembre dernier.


REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS




MIND (Année 1876 : no 1).


Au moment même où paraissait le premier numéro de notre Revue, une publication de nature analogue se fondait de l’autre côté du détroit sous ce titre : Mind, a quarterly review of psychology and philosophy : L’Esprit, revue trimestrielle de psychologie et de philosophie. Williams and Norgate. London. Cette Revue est la première d’ordre strictement philosophique qui ait paru en Angleterre. Dirigée par M. Croom Robertson, professeur au collége de l’Université à Londres, elle nous présente groupés, dès son premier numéro, les noms les plus considérables de la philosophie anglaise : Herbert Spencer, Bain, Lewes, Flint, James Sully, Sidgwick, Shadworth, Hodgson, etc., etc., et tout présage qu’elle rendra de grands services aux études philosophiques. Quoique conçue dans un esprit très-large, elle marque cependant, comme on pouvait s’y attendre, une préférence pour la psychologie, et ses tendances sont toutes modernes, c’est-à-dire scientifiques. Elle est riche en informations de toute sorte, auxquelles nous nous permettrons de puiser à l’occasion.

Nos lecteurs pourront en juger par l’exposé qui va suivre. Une coïncidence facilement explicable nous a amenés, sans concert préalable, à traiter en commun avec Mind divers sujets, ou à rendre compte des mêmes ouvrages : nous n’en parlerons donc pas dans cette analyse.

Dans la Préface, M. Robertson indique le caractère de la nouvelle Revue et le but qu’elle se propose. Sans exclure aucune partie de la philosophie, Mind sera surtout psychologique : il suivra en cela les traditions du génie anglais. Mais il y a encore une meilleure raison pour cette préférence : la psychologie a donné lieu, dans ces dernières années, à un grand nombre de travaux importants. Doit-elle, par suite de ces longs efforts, prendre place à juste titre dans l’ensemble des sciences, ou bien ses prétentions à cet égard sont-elles vaines ? Mind se propose de fournir tous les éléments propres à amener une décision de la part du public compétent. En fait, ses collaborateurs pensent que l’issue n’est pas douteuse, et que la question ne reste pendante que parce qu’on ignore généralement l’état actuel de la psychologie et ses tendances.

L’article de M. James Sully (la Psychologie physiologique en Allemagne) est un travail excellent sur l’ouvrage de Wundt récemment publié. Il est probable que nul en Angleterre n’était plus apte à traiter cette question. Déjà, dans son livre, Sensation and Intuition, il avait consacré à ces questions une étude très-substantielle et qui révélait en lui un homme complètement maître de son sujet. Nous ne le suivrons pas dans son analyse du livre de Wundt, tâche difficile que nous avons nous-même essayée. Mais il fait précéder cette analyse d’une vue d’ensemble sur la marche de la psychologie allemande. « Ce n’est pas trop dire qu’avant les travaux des physiologistes, il n’existait rien en Allemagne qui ressemblât à une conception scientifique de la psychologie. Elle était cultivée par des philosophes de profession qui ne s’occupaient que de déterminer la substance de l’âme. Nous trouvons chez eux peu de patience à observer et classer les phénomènes mentaux, peu de pénétration à établir entre eux des rapports de cause à effet ; mais en revanche, une grande habileté métaphysique à bâtir de nouvelles hypothèses sur un groupe de faits arbitrairement choisis. » Telle est, en résumé, son histoire depuis Leibniz. À la vérité, Herbart attaque violemment « l’hypothèse vénérable des facultés mentales » et Beneke continue cette tâche ; mais, en réalité, la science expérimentale de l’esprit a été fondée en Allemagne par les physiologistes, et non par les métaphysiciens. Le premier qui ait marché dans cette voie est le célèbre J. Müller. Pénétré des idées de Kant, il chercha à les appliquer au sens de la vue et attribua à la rétine un sentiment inné de sa propre étendue. Cette hypothèse, appelée en Allemagne « nativistique », adoptée par les uns, corrigée et combattue par les autres, a donné naissance aux travaux les plus importants. Hering, Volkmann, Fechner, Helmholtz, Wundt, pour ne citer que les plus importants, ont été ainsi amenés à fonder une psychologie en croyant faire de la physiologie. — Le nouveau livre de Wundt, dit Sully en résumant un grand nombre de travaux épars, donne les limites d’un nouvel ordre de recherches justement appelées par lui « psychologie physiologique » qui, en partant du simple fait de la sensation, s’élève jusqu’aux opérations les plus subtiles et les plus complexes de la pensée.

J. Venn. Consistency and real Inference, titre qui peut être traduit par « l’accord logique et le raisonnement fondé sur la réalité ». L’auteur examine les deux thèses opposées sur la nature de la logique : la conception matérielle et la conception formelle (qu’il appelle la thèse conceptualiste). Il ne se propose pas de résoudre le débat, mais de montrer les difficultés inhérentes à chaque thèse.

M. H. Sidgwick. Théorie de l’évolution appliquée à la pratique. — Discussion serrée et sérieuse qui, sans être hostile à la doctrine de l’évolution en morale, en montre les difficultés et soutient que la théorie évolutionniste est impropre à réconcilier la morale utilitaire avec la morale intuitive[1].

Shadworth Hodgson. Philosophie et Science. — Quel rapport existe-t-il entre ces deux ordres de connaissances ? L’auteur trouve sur ce point quatre solutions : 1o la philosophie consiste en un travail préliminaire de conjecture qui doit être remplacé définitivement par le travail scientifique. 2o La philosophie a pour objet la systématisation et la coordination des sciences ; C’est la thèse d’A. Comte. 3o Elle a pour objet la découverte de l’existence absolue, d’où les sciences doivent être déduites à leur tour (Hegel). 4o La philosophie a une tâche négative à remplir : écarter de la science toutes les entités ontologiques (Lewes). L’auteur soutient une cinquième opinion, différente de celles qui précèdent : la philosophie est la réponse à cette question : Qu’est-ce que l’existence ?

Cet article doit être continué.

La Philosophie à Oxford, par Mark Pattison, recteur de Lincoln-College, est un exposé intéressant de l’état actuel de la philosophie universitaire. L’auteur n’en fait pas un portrait bien encourageant. Après avoir montré que tout le mouvement philosophique anglais a lieu en dehors des universités, il attribue la stérilité de celles-ci : 1o à l’influence prépondérante et intolérante de l’Église ; 2o à une organisation vicieuse qui fait des études philosophiques un simple appendice des humanités. Aussi, toute la philosophie universitaire — c’est de l’Angleterre qu’il s’agit — s’est réfugiée dans la littérature. Oxford, dans ces derniers temps, n’a contribué que par des éditions et des traductions. La traduction de Platon par Jowett ; l’édition de Hume par Green et Grose ; la traduction de la Logique de Hegel par Wallace, et la Théologie naturelle (Réfutation du scepticisme actuel) par le Rév. Jackson.

M. Bain publie un premier article Sur la Vie de James Mill, plein de faits et de détails qui ne peuvent être analysés ici.

Ce numéro est complété par des analyses critiques, des notes, des renseignements bibliographiques et par une revue très-bien faite des périodiques allemands.




Les lecteurs qui s’intéressent aux discussions récentes sur la morale, pourront consulter non sans profiter l’article suivant dans la Contemporary Review, septembre 1875 : On the scientific basis of Morals : a discussion (Discussion sur la base scientifique de la Morale) entre W. K. Clifford, un anonyme et F. Harrison. (Traducteur anglais de la Politique positive d’A. Comte).

D’après M. Clifford, quelques remarques de Darwin (Descendance de l’homme, part. I, ch. 3) donnent une méthode pour traiter les problèmes moraux. Il ne peut y avoir une « science » de la morale qu’en prenant le mot science dans un sens très-vague. Cette science repose sur ces trois propositions : 1o les maximes de la morale sont hypothétiques ; 2o dérivés de l’expérience ; 3o elles supposent l’uniformité de la nature. La doctrine de l’auteur est celle des « conditions d’existence. » « Parmi les tribus humaines, celles-là seulement ont survécu qui approuvaient toutes les actions propres à améliorer le caractère social des individus. » Le but final de la morale « n’est pas le plus grand bonheur possible du plus grand nombre ; » mais une tendance de chaque individu vers le mieux. « Chacun doit s’efforcer d’être meilleur citoyen, meilleur ouvrier, meilleur fils, etc. »




THE JOURNAL OF SPECULATIVE PHILOSOPHY (Année 1875).


Cette revue, dirigée par M. W. Harris, paraît à St-Louis (Missouri), par livraisons trimestrielles. En 1876, elle est entrée dans sa dixième année.

Le mouvement philosophique ne paraît pas très-vif, aux États-Unis. Il faut reconnaître du moins que les Américains, dont la renommée est venue jusqu’en Europe, ne se rattachent qu’indirectement aux spéculations philosophiques : ainsi l’idéaliste Emerson qui doit être compté surtout parmi les poètes ; Draper qui appartient à l’histoire scientifique et religieuse, etc. La Revue philosophique se propose cependant de revenir un jour sur cette question et de mettre ses lecteurs au courant de ce qui se passe en Amérique. Nous leur signalerons, en attendant, l’appendice ajouté par Noah Porter, principal de Yale College, à la traduction anglaise de l’Histoire de la Philosophie moderne, d’Ueberweg (faite par G. Morris, professeur à l’Université de Michigan). On y trouvera un exposé étendu du rôle de la philosophie en Amérique.

La revue américaine qui va seule nous occuper, pour le moment, paraît un peu trop justifier son titre (speculative philosophy). Avec elle, il serait difficile de se faire une idée du mouvement philosophique, quel qu’il soit. Les différents travaux qu’elle publie peuvent se classer en trois groupes :

1o Les traductions d’ouvrages anciens, presque classiques. C’est ainsi qu’elle a traduit en totalité ou en partie : les fragments de Parménide, les Sentences de Porphyre ; les Méditations de Descartes, plusieurs traités de Leibniz et de Kant, de Fichte, de Schelling, de Hegel, de Schopenhauer, de Herder, de Lotze, de Herbart.

2o La critique d’art : la revue déclare constamment « qu’elle est décidée à faire une large place à la critique et à l’interprétation des œuvres d’art. » De là de très-nombreux articles sur l’esthétique, mais qui paraissent surtout écrits par des poètes et des dilettanti. Parmi ces essais, citons : une série d’études sur les drames de Skakespeare, sur le Faust de Gœthe, sur les Symphonies de Beethoven, sur les travaux de Winckelmann, sur les tableaux de Raphaël ; sur la musique, la peinture et la sculpture en général. L’esthétique qui leur sert principalement de guide est celle de Hegel. Le Journal lui a consacré un grand nombre d’articles, ainsi qu’à l’analyse qui en a été donnée par notre collaborateur, M. Bénard.

3o Déduction faite des traductions et des publications sur l’art, restent les articles originaux consacrés à des questions purement philosophiques. Il y en a six pour l’année 1875 qui ont pour titre : Trendelenburg et Hegel. — L’immortalité de l’âme. — L’idée en elle-même et hors d’elle-même. — Qu’est-ce que la logique ? (court essai de 4 pages) -— Spinoza. — Buckle.

Ces dernières études sont les plus considérables. Mais l’article sur Spinoza, par A. Krœger, n’est qu’une longue critique de ce philosophe faite au point de vue chrétien. — L’article sur Buckle, par Hutchison Stirling, porte ce titre demi-anglais demi-allemand. « M. Buckle and the Aufklærung ; » les 64 pages qu’il contient ne sont qu’une longue critique de Buckle considéré comme l’un des principaux représentants de la doctrine de la « libre pensée » et des « lumières » (Aufklærung.) M. Stirling en veut beaucoup à Buckle de l’emploi qu’il a fait de la statistique, de ses données et de ses méthodes.

Le Journal of spéculative philosophy est, aux yeux de beaucoup de gens, un recueil hégélien. Ce qui est certain, du moins, c’est qu’il a une couleur idéaliste très-prononcée et que, fidèle à son titre, il paraît beaucoup plus soucieux de la spéculation que de l’expérience. Cependant cette revue consacre, sous le nom de Notes et discussions, quelques-unes de ses dernières pages aux questions pendantes de métaphysique et de physiologie. Cette dernière est en général traitée d’une façon peu favorable. Nous signalerons à titre d’exception un extrait des discussions psychologiques du Dr Brinton, publié sous le titre de : La substance corticale du cerveau. L’auteur, après avoir fait remarqué « que le problème le plus élevé et le plus obscur de la physiologie est le rapport du mouvement moléculaire à l’action psychique, » insiste sur deux points principaux : les récents travaux du Dr Luys, la découverte des cellules géantes.

1° « S’appuyant sur ce fait fondamental d’anatomie comparée, que le crâne est un développement des vertèbres et que le cerveau est gouverné par les mêmes lois que les divers segments de l’axe spinal, le Dr Luys a montré que le processus cérébral réflexe est comme le processus spinal composé de trois périodes : périodes d’incidence (sensation), de métamorphose (action psychique), de réflexion (mouvement) et qu’il y a dans le cerveau, comme dans la moëlle, une zone de cellules pour la réception des sensations et une autre pour l’excitation du mouvement[2]. »

2° Les cellules des couches profondes de la substance corticale étant le siège de l’action psychique, sont les plus importantes à étudier. C’est cette étude qui a amené récemment le professeur Betz à découvrir dans le lobule paracentral les « cellules géantes » qui méritent leur nom par leurs dimensions énormes. En effet, tandis que les plus grandes cellules cérébrales ont environ 40 millièmes de millimètre, les cellules géantes atteignent jusqu’à GO millièmes. Betz leur attribue des fonctions motrices.


REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS




LA FILOSOFIA DELLE SCUOLE ITALIANE.
rivista bimestrale : roma.




La Philosophie des écoles Italiennes paraît à Rome tous les deux mois. Le titre est significatif. La Revue a la prétention d’être l’interprète de la pensée nationale touchant les problèmes philosophiques, et cette prétention est justifiée. L’immense majorité des hommes qui pensent au delà des Alpes se rattachent à ses principes et se rangent à la suite du maître qui la dirige, M. Terenzio Mamiani. Il y a bien quelques dissidences : ainsi M. Vera à Naples, M. Angiulli à Bologne, M. Poletti à Udine professent le premier l’hégélianisme pur, les autres un positivisme plus rapproché de Spencer et de Bain que de Comte. M. Angiulli a même fondé, il y a quelques années, une revue positive qui n’a pas vécu[3]. Mais le caractère isolé de ces dissidences ne fait que mieux ressortir à quel point l’école spiritualiste est en possession de l’esprit public. Nous pensions donner des principes de cette école un exposé détaillé ; mais plus nous lisons les articles publiés par son chef dans la revue sous le titre suivant : « Sul Metodo professato dal giornale : La filosofia, etc., » plus nous sommes embarrassés de dire en quoi ils diffèrent de ceux de l’école spiritualiste française. Une analyse de doctrines à ce point connues serait fastidieuse pour nos lecteurs.

La ressemblance porte même sur des nuances assez délicates. Ainsi V. Cousin, dans sa lutte contre les sensualistes, au lieu de recourir simplement aux principes à priori de la raison, a souvent fait appel de l’expérience à l’expérience elle-même, mais à une expérience plus pénétrante et plus compréhensive dans ses vues ; bref, c’est comme des faits qu’il a présenté les réalités spirituelles, en sorte que la connaissance de ces faits bénéficiait ainsi et du caractère absolu des idées inaccessibles aux sens, et du caractère de certitude universellement accordé au témoignage de l’expérience. Eh bien ! c’est précisément cette position qu’adoptent les Mamianistes. Ils se réclament, eux aussi, de l’expérience, soutenant seulement que si on ne mutile pas arbitrairement la réalité qu’elle nous dévoile on trouvera celle-ci composée de deux ordres : les phénomènes et les noumènes. Or comme c’est la conscience qui saisit directement les noumènes en tant que faits intimes, on voit l’importance que cette philosophie est amenée à accorder à la psychologie : n’est-ce pas encore ce qui est arrivé aux spiritualistes français ? Est-ce un philosophe étranger ou V. Cousin qui a écrit cette phrase : « En nous recueillant dans l’expérience véridique et consommée que nous avons de notre faculté et de notre esprit, nous nous plaisons à répéter que par elle nous découvrons dans une intuition immédiate la substance et l’activité intimes, les substances et les activités extérieures, et la vision éternelle de l’être réel infini avec ses formes intellectives ; lesquelles correspondent aux contingences concrètes qui se manifestent successivement ? » (Juin 1875, page 364). C’est bien là cette métaphysique psychologique, avec la conscience pour organe, ce platonisme expérimental que V. Cousin a institué chez nous.

Le principe étant le même, les applications ne peuvent différer beaucoup. La place de la philosophie parmi les sciences semble être la même pour M. Mamiani que pour V. Cousin. Elle est une science par la certitude qu’elle offre, et même la première de toutes ; mais en même temps elle diffère de toutes les autres en ce qu’elle se passe de la rigueur mathématique. Il est vrai que cette différence ne compromet en rien ses résultats ; puisque les mathématiques elles-mêmes reposent sur des axiomes qualitatifs empruntés à la raison. Mais enfin cette différence est patente, et elle se révèle surtout par ce fait que les mathématiques se servent de concepts simples, exactement définis, les mêmes pour tous et dans toutes les langues, tandis que la métaphysique se sert d’idées complexes sous leur apparente simplicité, sur la définition desquelles on n’est pas d’accord, et que chaque nation, chaque groupe de penseurs traduit en termes différents. Cette différence classe la science ontologique tout à fait à part des autres sciences et la rapproche des lettres. « Les écrivains de cette revue sont persuadés que si pour les sciences mathématiques et expérimentales il n’y a pas de patrie particulière ; et si les vérités qu’elles découvrent deviennent, à peine produites au jour, le patrimoine indivis et éternel de toutes les nations civilisées, il n’en peut être de même des lettres et de la philosophie, deux disciplines qui, là où elles ne germent et ne fructifient point comme plantes indigènes et productions tout à fait spontanées, dans tel terrain particulier ou dans tel autre, sont destinées à végéter péniblement, débiles, maladives et infécondes. » (Octobre 1875, page 190).

Cette conception conduit M. Mamiani comme V. Cousin à celle d’une philosophie nationale. Le patriotisme des Italiens est en effet tellement jeune et vigoureux qu’il regarderait avec ombrage toute philosophie qui ne porterait pas ses couleurs. Le platonisme de l’école italienne ne permet pas à nos voisins de nier un seul instant l’universalité des principes ; mais ils se rejettent sur la particularité des points de vue et l’angle différent des perspectives. La vérité, dira-t-on, est la même pour toutes les intelligences. « C’est parler d’or ; mais bien que la pensée spéculative en général et ses plus importantes solutions soient effectivement communes à tous les hommes, il n’en est pas moins certain que le point perspectif sous lequel les problèmes sont considérés est divers et spécial. Ce point perspectif résulte en fait de la forme totale du génie, du tempérament intellectuel et du caractère, toutes choses qui sont si différemment conditionnées chez les diverses nations. » Il est vrai que M. Mamiani écrit ensuite : « Ajoutez que la philosophie flotte à l’heure qu’il est entre des systèmes divergents et même opposés, et qu’elle doit encore, sur un grand nombre de points, se contenter de conjectures et de probabilités. » Ce dernier mot ne sent-il pas la nouvelle Académie, et ne rappelle-t-il point Cicéron ? Comme lui le directeur de la revue est un homme d’État qui a servi son pays d’une manière distinguée et qui se repose dans l’étude de la philosophie sans y apporter trop de passion.

Nous sommes loin de prétendre du reste que M. Mamiani a emprunté à la philosophie française les doctrines qu’il défend. Nous sommes prêt à souscrire à ses paroles quand il assure que depuis Galuppi jusqu’à nos jours une pensée philosophique indépendante et digne d’attention s’est développée en Italie dans les quarante dernières années. M. Ferri, dans son consciencieux ouvrage sur l’histoire de la philosophie italienne, dit de son maître : « Il a d’abord été uniquement dévoué à l’expérience comme Galuppi, puis il s’est aperçu de l’importance universelle des idées avec Rosmini ; et enfin d’accord avec Gioberti, il a placé la vérité absolue dans l’Idéal. Et cependant il ne faudrait pas voir dans ces changements successifs le simple reflet des opinions d’autrui. Car s’ils suivent avec un certain progrès la pensée de Rosmini et de Gioberti, ils la dominent cependant par la critique, en signalent les écueils et les lacunes, et sur certains points la rectifient ; de sorte que Mamiani, s’il n’est pas de ceux qui ont imaginé un système complet et invariable dès leur jeunesse, ainsi qu’il l’avoue lui-même, est tour à tour un témoin, un juge et un continuateur de notre mouvement philosophique » (III, p. 25). C’est donc bien une tradition nationale que M. Mamiani a reçue et poursuivie en la développant ; mais il n’est pas impossible que deux fois en un siècle, dans des pays aussi proches de toute façon que l’Italie et la France, les mêmes antécédents intellectuels provoquent à peu d’intervalle la naissance des mêmes doctrines. Si l’auteur que nous étudions était moins préoccupé d’édifier une philosophie nationale, la coïncidence ne pourrait que lui agréer. Il la repousse cependant, et il se flatte de différer du maître français en ce que son Platonisme à lui n’est pas fondé comme celui de Cousin « sur deux ou trois formes innées et fort abstraites de la raison. » La question de savoir si Cousin a été ou n’a pas été fidèle à la méthode psychologique est matière à controverses ; aussi ne voudrions-nous pas trop insister ; mais il n’est pas douteux qu’à un moment de sa vie tout au moins, il a soutenu à la fois et que la raison était supérieure à l’expérience et qu’en un sens les idées de la raison étaient objets d’expérience. Schelling écrivait en 1834, analysant la pensée de Cousin : « Le principe de causalité et l’idée de substance à l’aide desquels nous nous élevons… au-dessus de l’expérience immédiate, nous sont fournis par la raison, qui n’est encore pour notre auteur, conformément à sa manière de philosophes, qu’un fait, le seul fait de la nécessité où nous sommes d’admettre avec confiance l’idée de substance et le principe de causalité. » N’est-ce pas là cette métaphysique « concrète », ce rationalisme psychologique que professe aussi, d’une manière tout à fait indépendante, nous le reconnaissons, la Filosofia delle scuole Italiane ?

Ce n’est donc pas en elle-même que la doctrine de cette revue nous offre de l’intérêt. Ce n’est que dans son opposition avec les doctrines adverses. Voici, entre autres controverses, les objections qu’elle adresse au positivisme par la bouche de son chef même (octobre 1875) : 1o Le positivisme de Strauss repose, dit M. Mamiani, sur trois hypothèses, celle de Laplace, celle de Kant et celle de Darwin. Le positivisme de Spencer a le même défaut ; il ne contient que des hypothèses : les phénomènes physiologiques sont la cause des phénomènes spirituels ; hypothèse : les concepts catégoriques énoncés par Kant sont le produit d’expériences accumulées de génération en génération ; hypothèse : les idées sont des répétitions affaiblies des états de l’esprit causés en lui par les impressions et les mouvements ; autre hypothèse. 2o Le luxe de connaissances physiologiques dont les philosophes anglais, Spencer plus que tout autre, ont accompagné l’exposé de leurs théories sur l’âme n’a point rendu à la psychologie de services appréciables, car « les secousses électriques, les tensions musculaires et les filets nerveux, n’ont pas plus affaire avec les idées et le raisonnement que les lettres dont l’imprimerie compose les mots Dieu et monde n’ont affaire avec le monde et Dieu mêmes » (p. 193). Les lois de l’esprit ne sont pas les mêmes en effet que celles du monde ; c’est un point que les écrivains de la revue ont établi victorieusement : leurs études ont montré que les lois du monde mécanique sont immuables, tandis que l’humanité, incessamment attirée par l’idéal absolu, change incessamment et se fraie des voies imprévues. Spencer a le tort de nier le progrès ; pour lui le monde, même le monde moral, livré éternellement aux alternatives d’évolution et de dissolution qui sont la loi de toute existence, est, comme l’infatigable Chronos, sans cesse occupé à engendrer et à détruire. 3o Une des lacunes du système de Spencer est la négation des causes finales ; pour les remplacer il est forcé d’entasser hypothèses sur hypothèses. 4o Tous les positivistes, entraînés par une sorte d’engouement, travaillent à détruire sans se préoccuper d’édifier. L’école italienne préfère la seconde tâche à la première. En présence de ces tentatives aventureuses, téméraires, les écrivains de la revue « se présentent, bien résolus à prendre foi en eux-mêmes et à recueillir la vérité parmi les doctrines les plus éminentes des nations étrangères avec la sagacité et la modération du génie italien. » (p. 196). Leur premier soin est, suivant le conseil de Kant, que n’ont point suivi les positivistes, de refaire la critique de la connaissance. 5o Ce n’est pas que la méthode des positivistes soit absolument mauvaise ; la philosophie italienne se sert, elle aussi, de l’observation. Mais là où les positivistes ont erré, c’est en croyant que tous les phénomènes intérieurs doivent être ramenés aux dimensions de l’étendue. Ainsi ils font rétrograder la psychologie et méconnaissent tous les progrès réalisés depuis Locke. 6o Une telle méthode, ou plutôt un tel défaut de méthode les conduit à cette théorie singulière d’une conscience composée, et composée de quoi ? de changements ! C’est méconnaître l’unité et la permanence qui sont les caractères propres de la réalité spirituelle. Et cependant l’école italienne tomberait volontiers d’accord avec les positivistes et leur tendrait la main, s’il ne s’agissait que de réfréner avec eux les témérités de l’esprit philosophique. Rien de plus ridicule que ses prétentions à la connaissance absolue, universelle. L’idéalisme des écrivains de la revue est modeste et tempéré.

La filosofia delle scuole Italiane a contenu encore dans ces derniers mois un exposé de la philosophie de l’Inconscient de Hartmann. L’analyse qu’en donne M. Bonatelli est des plus consciencieuses. Çà et là celui-ci glisse une observation. Elles sont pour la plupart hostiles : ou les théories de Hartmann sont fausses, ou ce qu’elles ont de profond peut se concilier avec toute autre philosophie que la philosophie de l’Inconscient. Voici un échantillon de ces remarques. « Nous ne parlerons pas des volontés et des consciences multiples que l’auteur suppose exister dans un seul et même homme ; parce qu’une telle hypothèse est vraiment matérialiste et à ce titre n’est point digne d’être réfutée ; parce qu’elle est dénuée de tout fondement, et par-dessus tout répugne profondément à l’intime persuasion que nous avons de notre indivisible unité. » (Août 1875, p. 61.)

Il nous coûte de dire, après avoir signalé les origines semi-françaises de la pensée de M. Ferri, que son travail sur la conscience publié dans le no de juin 1875, nous paraît (les articles de Mamiani mis à part), de beaucoup plus solide, plus serré, plus philosophique que les autres productions de la revue. L’auteur y insiste sur le caractère inséparable de l’objet et du sujet, du moi et du non moi dans l’activité consciente.

La Revue donne à la fin de chaque numéro des analyses d’ouvrages italiens et étrangers qui paraissent être d’ordinaire assez sommaires. Les analyses étendues sont réservées au corps de la revue. Voici du reste le contenu de quelques numéros.

Juin 1875. — La conscience, étude psychologique et historique. L. Ferri. — Éclaircissements sur la question des idées traitée par A. Mangoni dans son dialogue sur l’invention. Bertini. — La philosophie de l’inconscient d’ Ed. v. Hartmann. F. Bonatelli. — Des principales formes sous lesquelles le problème de la liberté humaine se présente dans le développement historique de la philosophie. G. Barzelotti.

Août. — Critique des révélations. T. Mamiani. — Théorie de la perception. Collyns Simon. — La philosophie de l’inconscient d’ Ed. v. Hartmann. F. Bonatelli. — La doctrine des idées innées selon Descartes, Locke et Leibniz. L. Celli.

Octobre. — Critique des révélations. Doctrine mystique du docteur Herveley de Charleston. Mamiani. — Philosophie de la religion. Le livre de Hartmann sur la religion de l’avenir. L Ferri. — Lettre à un Français. Sur la méthode professée par le journal « La filosofia, etc. » T. Mamiani. — La philosophie de l’inconscient, etc. Bonatelli. — Des principales formes sous lesquelles, etc. Barzelotti. — Bibliographie. I. Écrits apologétiques de Vincenzo di Giovanni. II. La critique de la raison pure de Kant, études par le prof. Pietro Ragnisco. III. La connexité économique ou l’unité progressive (en français), par Alexandre Piola. IV. La conception morale de Socrate par Alexando Paoli. V. Dialogues de Platon, récente publication, par Eugenio Ferrai. VI. Fondements de la philosophie du droit et particulièrement du droit de punir.

Décembre. — Critique des révélations. Doctrine mystique du docteur Heverley de Charleston. T. Maniani. — De la Méthode de la Revue. Réponse d’un Français au comte T. Mamiani. — Une critique de l’Utilitarisme. C. Cantoni. — Sur la question des idées. Bulgarini. — Sur le livre « Écrits apologétiques » de V. di Giovanni. Lettre au comte Mamiani. V. di Giovanni. — La Doctrine des Idées innées d’après Descartes, Locke et Leibniz. L. Celli. — Bibliographie. I. La pensée de saint Thomas d’Aquin et la philosophie moderne. — L’aristotélisme de la scolastique dans l’histoire de la philosophie. — II. Le discours de Mamiani au XIIe congrès scientifique de Palerme. — III. Objet et rôle de la psychologie.




Outre cette revue, nous mentionnerons encore en Italie : le Giornale napoletano di filisofia e lettere, etc., dirigé par M. Fiorentino. Il est, malgré son titre, presque exclusivement littéraire.

Signalons encore au lecteur dans la Rivista Europea (Décembre dernier) un article de Schiff sur « La physique dans la philosophie ». L’éminent physiologiste s’attache à montrer que la plupart des spéculations philosophiques sont actuellement consacrées à la psychologie expérimentale ; « la voie pour arriver à la connaissance de l’esprit, c’est la connaissance des phénomènes naturels : la psychologie est une extension de la physique et de la physiologie. »




LIVRES NOUVEAUX

Dictionnaire des sciences philosophiques publié sous la direction de M. Franck. Hachette, 1876, 2e édition.

Caro. Problèmes de morale sociale. 1876. Hachette.

Ferrier (James), Philosophical Works. 3 vol. London. 1875.

D. José del Perojo. Ensayos sobre et Movimiento intelectual en Alemania. (1a Serie) Madrid. 1875. Medina y Navarro. Ce volume contient des études sur Kant et le mouvement philosophique issu de lui,


REVUE DES PÉRIODIQUES




JOURNAL OF MENTAL SCIENCE.
Année 1875-1876 (janvier, mars).


Le Journal de science mentale, dirigé par H. Maudsley et Th. S. Clouston, va entrer dans sa 22e année. Il paraît par livraisons trimestrielles et est consacré surtout aux maladies mentales, mais il publie aussi un assez grand nombre d’articles de psychologie, qui peuvent nous intéresser. Outre les articles originaux, ce Journal contient une revue des livres nouveaux, une revue psychologique, des observations, etc. Sans essayer de parcourir la collection entière, nous nous bornerons à signaler divers articles qui ont paru dans ces dernières années, et qui nous ont semblé particulièrement intéressants. Tout d’abord un curieux travail de Maudsley sur Swedenborg. Les antécédents héréditaires de ce célèbre théosophe sont étudiés avec beaucoup de soin. Les maladies de son enfance, ses extases, ses hallucinations, son développement intellectuel précoce et finalement sa « grande révélation » sont interprétés à l’aide de la psychologie morbide. Notons encore une série d’articles du Dr Tuke sur l’Influence de l’esprit sur le corps ; un article du Dr Brown sur la perception du temps dans les maladies mentales ; un article du Dr Laycock sur quelques lois organiques de la mémoire personnelle et ancestrale. Dans ce dernier, M. Laycock se propose de montrer que la mémoire organique consiste en processus cérébraux réglés par les lois de l’évolution et de la régression ; et que certains actes ne se comprennent que si on les rapproche d’habitudes possédées par nos ancêtres ou par nous-mêmes dans notre jeune âge. Ce mémoire contient beaucoup de faits curieux.

Le numéro de janvier 1876 contient les articles suivants : un mémoire de M. Laycock sur la cérébration réflexe, automatique et inconsciente entièrement consacré à fixer une question de priorité entre l’auteur et le Dr Carpenter, sur la théorie des actions réflexes cérébrales, et à discuter les opinions de Carpenter sur le sensorium commune, l’automatisme, la volonté.

Des observations sur le cerveau du cynocephalus porcarius, par le Dr Herbet C. Major. D’après M. H. C. Major, les circonvolutions des petits singes (et à fortiori des grands) seraient conformées d’après le même type que celles de l’homme, si l’on compare les régions correspondantes dans les deux espèces. Dans certaines parties, néanmoins, M. Major a trouvé que les cellules humaines étaient plus volumineuses et présentaient un plus grand nombre de prolongements. D’une façon générale le cerveau de l’homme ne différerait de celui du singe que par un plus grand nombre d’éléments nerveux.

Un article de W. Lauder Lindsay sur l’Esprit dans les plantes. M. Lauder Lindsay essaye de montrer que les plantes possèdent certains attributs de l’esprit tel qu’il se présente chez l’homme. A priori, rien ne s’oppose à ce que cela soit, puisque les plantes possèdent beaucoup d’autres fonctions en commun avec les animaux, telles que la respiration, la circulation, les sécrétions, les mouvements spontanés, la contractilité, l’hérédité, etc. Les animaux et les plantes ne sont-ils pas sensibles aux mêmes poisons ? les anesthésiques ne suspendent-ils pas la sensibilité de la sensitive comme ils suspendent celle des animaux ?

Et en fait, « la présence de l’esprit dans les plantes n’est pas une simple matière de possibilité. Les plantes montrent, entre beaucoup d’autres, les phénomènes suivants, qui, chez l’homme, sont inséparablement unis avec l’esprit, s’ils ne sont pas regardés comme les éléments de l’esprit : » la sensibilité commune, la mémoire, la conscience, l’instinct, la sympathie, le choix, la volonté, le jugement, la spontanéité de l’effort, etc., etc. (v. p. 517). M. L. Lindsay donne divers exemples de ces phénomènes. C’est ainsi qu’il parle, à propos des « sensations de la vie organique » d’une certaine susceptibilité aux changements et aux influences atmosphériques qui permet aux plantes d’ouvrir ou de fermer leurs fleurs avant la nuit ou avant la pluie.

Un examen de la classification des maladies mentales de Skae par Clouston.


PÉRIODIQUES FRANÇAIS.


Les périodiques français qui s’occupent de philosophie, étant connus de la plupart de nos lecteurs et beaucoup plus facilement accessibles que les Revues étrangères, nous ne mentionnerons que les principaux articles.

Académie des Sciences morales et politiques (compte-rendu par M. Vergé), janvier 1876.

Les Évolutionnistes et l’Évolution, par M. Nourrisson.

L’auteur les combat. Nous ferons remarquer que cette doctrine (vraie ou fausse) ne peut être combattue d’une manière utile qu’en s’appuyant sur des études précises d’anatomie, embryologie, physiologie, etc. Or, le style vague et noble de l’auteur exclut toute rigueur scientifique.

Ch. Waddington. Mémoire sur Pyrrhon et le Pyrrhonisme.

La Critique philosophique dirigée par Ch. Renouvier, 5e année.

La méthode scientifique, les miracles et les lois naturelles — Du plaisir et de la douleur, d’après M. Bouillier et M. Léon Dumont. — Étude critique sur l’Introduction à la science sociale d’Herbert Spencer.

La Philosophie positive, dirigée par É. Littré et Wyrouboff (janvier et mars).

Un projet d’École libre, organisée suivant la méthode d’A. Comte par É. Littré. — La Constitution de la science sociale par Guarin de Vitry. — Notes sociologiques par E. de Roberty.

La Revue scientifique, dirigée par É. Alglave (janvier, février et mars).

L’action réflexe cérébrale (Léon Dumont). — La logique des sciences. — La Biologie d’Herbert Spencer (Cazelles). — Physiologie mentale (Jackson). — L’hérédité (Galton). — La science sociale. Spencer et Cairnes.




CORRESPONDANCE

Au sujet d’un fait psychologique relaté dans le no 2 de la Revue philosophique, p. 222, nous avons reçu deux lettres. L’une est due à M. Horwicz qui incline à une explication physiologique :

Je n’ai jamais encore, dit-il, rencontré une monographie précise du fait dont il s’agit (le souvenir du souvenir). Je sais cependant qu’un auteur a rapproché ce phénomène du cas de double conscience, du cas où les malades entendent une voix intérieure qui correspond à toutes leurs pensées, et qu’il explique tous ces phénomènes par un désaccord dans le fonctionnement des deux hémisphères du cerveau. Voir Huppert : De la double perception et de la double pensée, dans les Archiv für Psychiatrie, tome III, p. 66 et suiv., et Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie, tome 26, p. 529. — Cette explication, ajoute M. Horwicz, est ingénieuse ; mais je ne la crois pas suffisante.

L’autre est due à M. Boirac, professeur de philosophie au lycée de Poitiers, qui incline à une explication psychologique. Le manque d’espace nous force à abréger considérablement sa lettre :

1o Avant d’examiner le fait décrit dans la note, je rapporterai une illusion de la mémoire qui me semble à peu près du même genre.

Il m’est arrivé, voyant pour la première fois un monument, un paysage, une personne, de porter tout à coup et malgré moi ce jugement : J’ai déjà vu ce que je vois. Impossible de dire en quel lieu ni en quel temps : la reconnaissance et comme la sensation du déjà vu n’en était pas moins très-vive et très-nette. Elle ne disparaissait pas à la réflexion, mais au contraire semblait s’accroître. Je les ai principalement observées en moi, lorsque j’arrivais, pour y demeurer, dans une ville qui m’était encore inconnue. — Je l’ai encore éprouvée dans mes lectures : subitement, sans raison apparente, je me rappelle avoir lu cette page, ces lignes, ces mots même imprimés avec ces caractères ; et la saveur particulière de l’état mental où je me trouvais alors me revient encore toute fraîche. Il va sans dire que cela est imaginaire et que je n’ai jamais lu ce livre-là. — D’autres fois, assistant à une conversation, à une situation d’ailleurs tout à fait insignifiante, il m’arrive de reconnaître à faux, par une sorte de réflexion soudaine, une combinaison de paroles, de mouvements, de sentiments dont je crois être témoin pour la seconde fois. — J’ai entendu dire à plusieurs personnes qu’elles connaissaient aussi par expérience cette illusion de la mémoire.

Comment expliquer ce phénomène ? — Faut-il supposer que comme l’imagination, la mémoire a ses hallucinations propres ?

En attendant mieux, je me hasarde à proposer une explication psychologique. Je ne la donne que comme une hypothèse à examiner.

La condition subjective de la reconnaissance est peut-être la présence sous


REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS


PHILOSOPHISCHE MONATSHEFTE


Tome XI. 10e livraison. (Dernier numéro de l’année 1875.)

M. Drossbach. Recherches sur la possibilité de percevoir les phénomènes et l’impossibilité de percevoir l’essence. — Selon l’auteur, tant qu’on soutient que les phénomènes peuvent être perças et que les causes ne peuvent pas l’être, on ne peut expliquer leur succession nécessaire. Critique de Hume qui ne peut dériver le concept de cause de l’expérience parce qu’il pose mal la question. Il est inexact de soutenir que le phénomène est ce qu’on perçoit et la cause ce qu’on induit, les deux nous donnés comme se supposant réciproquement. C’est dans la perception des causes que consiste la véritable expérience. — Étant posé que la perception sensible est la base de toute pensée, le but de l’article est de chercher ce que nous percevons. D’après l’auteur, c’est l’essence (Wesen). Nous la connaissons, quant à sa nature, comme force agissante ou sentante, quant à sa forme, comme temps ou espace infini. — Cette thèse, comme le fait remarquer M. Drossbach, est diamétralement opposée à celles soutenues jusqu’à ce jour, car empiriques, réalistes, idéalistes et subjectivistes partent tous de ce principe que nous percevons le phénomène, mais que la réalité ou l’essence ne peut être perçue.

A. Meinong. Caractéristique de la philosophie du sentiment (Gesinnungs philosophie) à l’époque actuelle. Ce travail est consacré à l’Histoire de la philosophie de Dühring, dont nous avons déjà parlé (voir page 108.) Nous avons vu que, d’après Duhring, la philosophie repose sur deux choses : le savoir et le vouloir. Le sentiment précède les recherches philosophiques et est à son tour vivifié par leurs résultats. Socrate et Giordano Bruno sont les deux types les plus accomplis de cette philosophie. — Le critique montre les dilficultés inhérentes à cette façon de comprendre l’hisioire qui se réduit à admirer surtout dans un philosophe « la noblesse du caractère », car s’il s’agissait simplement du zèle scientifique en général, ce serait la caractéristique de tout savant et non plus du philosophe en particulier. De là, chez Dühring, des jugements aigres contre certains hommes, en particulier Leibniz « philosophe d’occasion » dont la vie tout entière montre qu’il manqua de ce sentiment vivifiant.

C. Knauer. Le Mythe de l’atome, L’auteur défend Kant contre les attaques de L. Weis, qui soutient que, d’après la science, le monde ne peut être considéré que comme un composé d’atomes et que les données scientifiques établissent la réalité du temps et de l’espace.

La Philosophie aux États-Unis, d’après Noah Porter (fin) ; voir p. 109. La guerre de l’indépendance amène un arrêt dans le développement philosophique. Franklin, ses œuvres morales et politiques. Influence de la philosophie écossaise, de la philosophie française. Cousin, traduit par Henry. Émerson et Th. Parker. Influence de W. Hamilton. La nouvelle école psychologique d’Angleterre a conquis peu d’adhérents : cependant la théorie de l’évolution a été adoptée par Draper et surtout par Fiske dans son récent ouvrage.

Sujets de prix proposés par les Universités allemandes :

Berlin. Comparer la théorie de la volonté dans Fichte et dans Schopenhauer.

Bonn. Travail critique et philologique sur les œuvres de Théophraste.

Greifswald, Comparer l’idéalisme de Berkeley et l’idéalisme critique de Kant.

Halle. La théorie de la connaissance dans Descartes et Spinoza.


Tome XII. 1876. 1re livraison.

Vaihinger. Les trois phases du naturalisme de Czolbe (Die drei Phasen des Czolbe’schen Naturalismus), lecture faite à l’association philosophique de Leipzig.

Vaihinger distingue trois périodes, de dix années chacune environ, dans le développement philosophique de Czolbe, et chacune de ces évolutions est marquée par l’apparition d’un grand ouvrage. Sans parler de la dissertation inaugurale de 1844, De principiis physiologiæ, Czolbe publie, en 1855, son Exposé nouveau du sensualisme (Neue Darstellung des Sensualismus) ; en 1865, son livre sur Les limites et l’origine de la connaissance humaine en opposition avec Kant et Hegel (Die Grenzen und der Ursprung der menschlichen Erkenntniss im Gegensatze zu Kant und Hegel) ; et enfin en 1875, l’Esquisse d’une théorie de la connaissance fondée sur la notion de l’étendue (Grundzüge einer extensionalen Erkenntnisstheorie).

Le premier de ces trois ouvrages contient l’expression d’un matérialisme décidé, qui nie absolument toute notion suprasensible, Dieu, l’âme, les forces, etc ; qui ramène la conscience à un mouvement circulaire (Kreisbewegung) des processus physiologiques du cerveau, et, remontant jusqu’aux vieilles conceptions de Démocrite, n’hésite pas à placer dans les objets eux-mêmes les qualités sensibles qui dérivent de la constitution physiologique et psychique du sujet ; qui enfin, à la veille du triomphe des théories transformistes, se prononce en faveur de la fixité et de l’éternité des espèces. — On comprend sans peine les objections que Lotze dirigea surtout contre l’explication purement matérialiste des qualités sensibles et de la conscience. Czolbe comprit la nécessité d’apporter une modification à sa doctrine, et dans sa réponse à son adversaire (Origine de la conscience de soi, 1856, Entstehung des Selbstbewusstseins) il fait pressentir la forme nouvelle sous laquelle son naturalisme se présentera dans le second de ses grands ouvrages.

On reconnaît dans ce dernier l’influence de Kant, de Schopenhauer, Hegel et des autres philosophes. Czolbe admet maintenant une âme du monde, partout répandue et associée à la matière. Le mécanisme matériel et le mécanisme spirituel se correspondent. Les sensations ne viennent plus directement de la matière ; mais, sous l’action du mécanisme cérébral, l’âme du monde qui les porte inconsciemment et éternellement dans son sein, les produit à la lumière de la conscience. La conscience n’est que le résultat d’un trouble provoqué dans l’équilibre des sensations ou des idées de cette âme inconsciente par les vibrations de la matière cérébrale.

C’est le panthéisme naturaliste de Spinoza qui semble dominer la pensée de Czolbe dans son dernier livre. L’espace infini est la suprême réalité, le fondement de tout le reste, le réceptacle de tous les attributs et de tous les modes. — Mais l’espace, pour Czolbe, comme pour Fechner et Kirchmann, a quatre dimensions, le temps n’étant qu’une propriété des corps et par suite de l’espace. Chaque partie de l’espace possède le double attribut de l’atomicité et de la sensibilité. Nous retrouvons dans tout cela la substance de Spinoza avec ses deux attributs, la pensée et l’étendue.

Le principe de la morale de Czolbe est conforme à l’esprit de son naturalisme : la sagesse consiste « à être absolument content de la réalité sensible », à croire que le monde est fait pour la félicité des êtres sensibles.

Revue annuelle des productions philosophiques de l’année 1815.
1o histoire de la philosophie.

L’année 1875 n’a pas vu paraître en Allemagne d’histoire générale nouvelle de la philosophie. Mais quelques histoires connues ont été réimprimées. Ainsi la 3e partie de l’Esquisse de l’histoire de la philosophie d’Ueberweg a été améliorée et augmentée dans une 4e édition par Reicke (Berlin, chez Mittler), et l’on annonce l’apparition prochaine du 1er volume d’une Ve édition du même ouvrage, par Heinze, à Leipzig.

La 9e édition de l’histoire résumée de la philosophie, par Schwegler, a paru à Stultgard chez Conradi.

Enfin une 2e édition du Manuel de l’Histoire de la philosophie de Stöckl a été publiée chez Kirchheim, à Mayence.

Si l’histoire générale de la philosophie n’a été l’objet d’aucun travail nouveau, en revanche, de savantes études ont été faites sur les trois grands systèmes entre lesquels se partage l’histoire de la philosophie.

Citons les Sept livres sur l’histoire du Platonicisme de Heinrich von Stein, prof, à Rostock (Göttingue, chez Vandenhœck, 1862 à 1875).

L’Histoire du matérialisme de Lange, 2e édition (Userlohn, 1873-1875).

L’Appréciation du criticisme d’un point de vue idéaliste, par J. Begmann (Berlin, chez Mittler, 1875).

Le présent numéro des Monatshefte ne contient que l’analyse très-développée et très-intéressante d’ailleurs du premier de ces trois ouvrages, ou plutôt de l’introduction et des deux premiers livres. Nous y reviendrons quand l’analyse aura été complétée. Nous nous bornons à dire dès maintenant que le livre de M. de Stein se recommande par la nouveauté, l’étendue, l’exactitude des recherches.


ZEITSCHRIFT FUER PHILOSOPHIE UND PHILOSOPHISCHE KRITIK

Année 1876, n° 1.
articles originaux.

Le Dr Fr. Steffens donne la seconde partie d’une étude sur « le profit que la connaissance de l’histoire de la philosophie grecque depuis Thalès jusqu’à Platon peut tirer des écrits d’Aristote. »

Nous y remarquons un choix et une interprétation habiles des textes d’Aristote : mais aucune nouveauté vraiment intéressante.

Antimaterialismus, par le Dr Franz Hoffmann. C’est une critique étendue des chapitres nouveaux que le docteur Louis Büchner a joints à la troisième édition de son livre « Sur la nature et la science. » (Leipzig. Thomas, 1874). La 1re édition avait été traduite en 1866 par Delondre pour la Bibliothèque de Philosophie contemporaine.

L’article sur « l’Origine et l’unitè de la vie, » à propos du livre de J. Pennetier ( « Origine de la vie. Préface par A. Pouchet. Paris, 1868) » revient sur la question de la génération spontanée et la résout dans le sens de ses partisans ; mais ne tient pas compte suffisamment des objections de Pasteur. L’auteur ne paraît pas songer que tous les matérialistes ne sont pas d’accord sur cette question ; que Huxley, par exemple, déclare que les expériences de Pasteur ont donné le coup de grâce à la théorie de la génération spontanée ; que Bastian enfin ne lui est pas plus favorable. L’article sur « la Physique et les métaphysiciens » est écrit à l’occasion d’une leçon faite à Edimbourg par le professeur anglais Tait « sur le caractère de la vraie science. » — Büchner s’attaque aux métaphysiciens, surtout à Ed. von Hartmann, qu’il considère comme victorieusement réfuté par le médecin de New-York, Stiebeling, dans l’opuscule intitulé : « La science de la nature contre la philosophie, » — Mais Büchner oublie que Stiebeling est un pur empirique, qui proscrit sans pitié non-seulement toute métaphysique, mais encore toute philosophie, toute généralisation dépassant les strictes données de l’expérience, et par conséquent le matérialisme de Büchner lui-même. — Du reste Stiebeling est un médecin instruit, dont les objections contre les doctrines physiologistes de Hartmann sont sérieuses et semblent fondées ; dont la polémique modérée, en tout cas, contraste heureusement avec la violence des attaques parties du camp des matérialistes et dirigées par Fischer, Dühring, Klein, etc., par exemple, contre la philosophie de l’Inconscient. Dans un article final, Büchner revient sur le succès inespéré de son livre « Force et matière, » qui, de 1855 à 1872, a eu 12 éditions et a été traduit en plusieurs langues, pour conclure que le temps est à la philosophie matérialiste. Mais on peut lui objecter que la Philosophie de l’inconscient a obtenu un succès bien plus remarquable encore, puisque en 6 ans, de 1869 à 1875, elle est parvenue à sa 7e édition. Observons, dit en terminant le Dr Hoffmann, que des études variées, qui remplissent le livre de Büchner, aucune n’est consacrée aux réfutations vraiment originales et importantes du matérialisme, qui sont sorties de la plume d’hommes comme Naumann, Weber, Reichenbach, Jacob, etc., etc.

analyses et comptes-rendus.

Sengler : Écrits récents sur la philosophie de Kant. L’année 1874 a vu paraître sur Kant trois monographies importantes qui se complètent mutuellement : l’une, celle d’Alfred Holder, « Exposition de la théorie kantienne de la connaissance, en vue d’étudier spécialement les différentes interprétations qui ont été données à la déduction transcendenlale des catégories, » (Tübingue, 1874) étudie spécialement la critique de la Raison pure ; l’autre, de Witte (Berlin, 1874, « Contributions à l’intelligence de Kant » ) entreprend surtout d’éclairer la critique de la Raison pratique ; la troisième enfin, celle de Stadler sur la Théologie de Kant, soumet à son analyse les principes essentiels de la critique du jugement.

La première nous offre une exposition très-précise et parfaitement exacte de la théorie de Kant sur la connaissance. Le dessein principal de l’auteur est de montrer que Kant a préparé les théories de Schopenhauer et d’Helmholtz sur les jugements inconscients qui concourent à la construction de la réalité sensible. Pour Kant, selon Holder, l’Imagination (Einbildungskraft) est le Moi construisant sans conscience le monde des intuitions sensibles ; et l’Entendement, la conscience que prend le moi des lois suivies par l’imagination dans cette construction inconsciente (p. 50).

2o La deuxième partie du livre traite de la vérité de la connaissance selon Kant. On ne peut méconnaître que le dualisme est au fond des vues de Kant sur la vérité de la connaissance, et que, par conséquent, sa philosophie théorique est sur la voie du scepticisme. Mais il ne faut pas non plus oublier que la vraie conviction de Kant doit être cherchée dans la Critique de la Raison pratique.

Witte combat surtout Cohen, qu’il accuse d’avoir, dans son livre sur « La théorie kantienne de l’expérience », interprété Kant avec les idées d’Herbart. Il se propose de rétablir le vrai sens des doctrines de Kant ; et surtout de montrer le vice de sa morale trop formaliste.

Nous ne parlerons pas de l’étude de Stadler, qui a été ici même l’objet d’un examen étendu ; et que le critique allemand ne juge pas avec moins de faveur que nous-mêmes.

B. Erdmann : « Sur le fondement critique du réalisme transcendental par E. v. Hartmann. » (Berlin, Duncker, 1875).

C’est le titre donné par M. de Hartmann à la 2e édition de ses études kantiennes « Sur la chose en soi et sa nature. » L’auteur de la philosophie de l’Inconscient entreprend de déterminer le rapport de la pensée et de l’être, en vue de prouver la réalité objective de la connaissance. Pour cela, il réfute l’idéalisme transcendental de Kant, et essaie de démontrer la réalité et de définir la nature de la chose en soi, et d’établir ainsi un « Réalisme transcendental. »

Le Dr B. Erdmann rappelle à l’auteur que le dualisme sceptique de Kant a été depuis longtemps signalé et réfuté soit par Schultze dans son Ænésidème, soit par Jacobi. Quant aux considérations historiques, que M. de Hartmann présente sur la part qui revient à Leibniz, à Berkeley et à Hume dans les idées de Kant, le Dr Erdmann les trouve insuffisantes ou inexactes, mais sans le démontrer d’une manière péremptoire. M. de Hartmann a déjà exposé d’ailleurs dans la Philosophie de l’Inconscient les critiques qu’il dirige à nouveau contre la théorie kantienne de la perception sensible.

En résumé, le Dr Erdmann ne considère pas comme concluants les arguments de M. de Hartmann, pour établir l’existence et la nature de la chose en soi.

Recherches métaphysiques, par Kym (Münich, 1875). Kym est un disciple de Trendelenburg, et veiit défendre la conception mécanique de la nature et de la pensée qui domine les écrits de son maître. Le Dr Ulrici combat la première partie, mais approuve les derniers chapitres du livre de Kym.

Histoire de la philosophie de Thalès à Comte, par G. Lewes, 2e vol. de la traduction allemande (Berlin, Oppenheim, 1875).

Ulrici parle avec un dédain excessif, selon nous, de l’œuvre du positiviste anglais.

Sur l’origine du langage, par le Dr A. Marty (Würzburg, 1875).

Stumpf fait un grand éloge de cette étude, où il loue l’union toujours si rare et pourtant si nécessaire des connaissances scientifiques et de l’esprit philosophique, surtout dans un sujet comme celui de l’origine et de la formation du langage.

Sebastiano Turbiglio. Benedetto Spinoza e le transformazioni del suo pensiero (Roma, Paravia, 1875).

L’auteur, connu déjà par ses écrits sur Descartes, Malebranche et Locke, s’attache à nous faire connaître dans Spinoza non le génie systématique, amoureux de la déduction et de la rigueur mathématique qu’on est habitué à voir exclusivement en lui ; mais un génie ouvert aux inspirations les plus variées dont la pensée a successivement été traversée par trois systèmes différents, car « Lo Spinoza aveva un intuito divino e una ragione mediocre. »


ATHENÆUM

(Année 1876, nos 1 et 2.)

L’Athenæum, (Monatsschrift für Anthropologie, Hygieine, Moralstatistik, Bevölkerungs, und Curturwissenchaft, Pædagogik, und die Lehre von den Krankheitursachen) paraît à Iéna (Costenoble) par livraisons mensuelles. Cette revue est de fondation récente : le numéro 1er a paru en avril 1875. Elle est dirigée par le Dr E. Reich, qui a publié un grand nombre d’ouvrages sur des questions médicales et sociales (son nouveau livre, Ueber die Volksseele, sera bientôt étudié par nous). Comme on peut le voir par le titre même, l’Athenæum est consacré à un grand nombre de questions qui ne touchent que très-indirectement à la philosophie puisqu’il s’occupe de l’hygiène, de la statistique, de l’étiologie des maladies, etc. Il se propose surtout un but pratique qui peut se résumer en quelques mots : « Fonder sur la physiologie une explication scientifique de la nature de l’homme et de son développement comme être civilisé, et trouver les moyens propres à augmenter son bien-être. »

Les numéros de l’année dernière contiennent un grand nombre de comptes-rendus d’ouvrages récents, dus au Dr Reich et qui témoignent chez lui d’une rare activité.

Parmi les articles de nature très-variée que contiennent les deux premiers numéros de cette année, nous devons nous borner à signaler ceux qui ont pour nous un intérêt plus direct, en négligeant ceux qui appartiennent à d’autres domaines.

Dr Reich, Sur la maladie morale, dans le numéro I, et « de l’Influence de l’organisme sur le moral, » dans le no II.

Ces deux articles sont riches de faits et de considérations intéressantes, empruntées aux ouvrages des principaux aliénistes.

Dr E. von Hartmann, sur la liberté morale.

L’introduction (numéro I) analyse finement les diverses acceptions du mot liberté. La liberté morale ne doit pas être confondue avec la liberté extérieure (sociale, religieuse ou politique), elle est interne (psychologique). Mais ici encore, il faut la distinguer de la liberté théorique (du jugement et de l’imagination esthétique) et ne voir en elle que la liberté pratique, non pas toutefois le libre arbitre ou la négation de toute influence des motifs rationnels, esthétiques ou autres, ce qui serait une pure chimère.

Dans le 2e numéro, l’auteur traite de la spontanéité individuelle et de la responsabilité qu’il définit « l’affranchissement des troubles pathologiques du processus physiologique et psychologique auquel est due la formation du vouloir. »

Reich, Réformes des écoles supérieures (Zur Reform des hoheren Schulwesens, par Ed. v. Hartmann, Berlin, 1875, chez Duncker).

Reich fait le plus grand éloge de l’originalité, de la sagesse et de l’élévation pratiques des vues de Hartmann sur cette question qui passionne aussi vivement les esprits en Allemagne qu’en France.



LIVRES NOUVEAUX

La Bruyère. Œuvres complètes. Nouvelle édition avec une notice sur la vie et les écrits de l’auteur, une bibliographie, des notes, une table analytique des matières et un lexique par A. Chassang, inspecteur général de l’Instruction publique, 2 beaux vol. in-8. Paris, Garnier. 1876. — Cette édition contient les Dialogues sur le quiétisme et les Lettres.

Dr E. Bouchut. La vie et ses attributs dans leurs rapports avec la philosophie et la médecine. J. B. Baillière. 1876, in-12.

Rigollot (Professeur de philosophie). Frédéric II, philosophe, 1875. Thorin. Ce livre traite de l’éducation de Frédéric, de son scepticisme, de sa métaphysique, de sa morale, de sa politique, etc. ; et étudie le souverain, l’homme privé, son caractère et son influence.

Grote. Fragments on ethical subjects ; being a selection from his posthumous papers. Londres. 1876, in-8, 238 p. 

Darney. The sensualistic Philosophy of the nineteenth Century considered. New-York, 1876.

Lloyd. A Scientific view of Galton’s theories of Heredity. 1876. London. Trübner and Co.

Paoli (Alessandro). Il concetto etico di Socrate ; Firenze. 1875.

La Coscienza secondo l’Antropologia del Rosmini, Padova. 1875.

Cinsberg (Hugo). Lebens-und Characterbild Baruch Spinoza’s. Koschny (Leipzig). — La moitié du produit de la vente sera consacrée au monument de Spinoza.

Berthold. John Toland und der Monismus der Gegenwart. 1876. Winter, Heidelberg.


REVUE DES PÉRIODIQUES ÉTRANGERS




MIND.

A quarterly Review, etc., no 2, (april 1876).

Dans un court article intitulé : Qu’est-ce que la sensation ? M. G. Lewes fait remarquer que ce mot est l’un des plus équivoques de la langue philosophique. Il signifie quelquefois une simple sensation, quelquefois une perception, quelquefois un jugement fondé sur une sensation. Il existe une équivoque et une confusion pareille entre les deux termes Conscience et Sensibilité. L’auteur le montre en faisant une excursion dans le domaine de la physiologie et de la psychologie et il arrive à cette conclusion : nécessité d’une convention entre les savants pour fixer la nomenclature, comme l’ont fait Linné pour la botanique et Lavoisier pour la chimie.

W. Wundt. L’innervation centrale et la conscience. La plus grande partie de ce travail est consacrée à une étude physiologique de l’action réflexe, de ses conditions, de ses lois, de ses variations et de l’influence qu’exercent sur elle la température, les toxiques, les centres nerveux supérieurs. Dans le dernier paragraphe, M. Wundt expose ses conclusions psychologiques. Il fait remarquer que l’opinion ancienne qui considère la conscience comme un domaine en dehors des lois générales de la nature n’est plus acceptable. « Nous ne pouvons en particulier soustraire à la loi universelle de Conservation de l’Énergie ces mouvements qui nous sont donnés par la conscience comme dus à des causes psychologiques. » Mais ces mouvements dus à des causes psychologiques ne sont soumis au principe de la Conservation de l’Énergie qu’en tant qu’ils sont externes. « La causalité interne ou psychologique de nos états mentaux ne peut être directement atteinte par une loi qui ne se rapporte qu’aux masses et à leur action réciproque. D’où ce postulat psychologique important : C’est qu’entre la causalité interne de nos états mentaux et la causalité externe de nos mouvements, il ne peut jamais y avoir conflit. » C’est là ce que Leibniz avait pressenti, mais en s’embarrassant de la vieille hypothèse métaphysique de deux substances différentes : l’une spirituelle, l’autre matérielle. — Le postulat énoncé ci-dessus implique, dit Wundt, que la connexion du mécanisme physiologique et du mécanisme psychologique n’est concevable qu’au point de vue du monisme. — L’auteur examine en particulier les lois de l’Association qu’il réduit à quatre : 1o la ressemblance et la différence qui sont des principes de connexion interne ; 2o la contiguïté dans le temps et l’espace qui sont des principes de connexion externe. Il indique en quelques mots le rapport de ces lois avec le mécanisme physiologique.

L’ouvrage de M. Sidgwick (prof. à l’Univ. de Cambridge), sur Les Méthodes en morale, fait le sujet de deux articles conçus dans un esprit fort différent. Le premier est dû à M. Bain : il consiste principalement dans une analyse de l’ouvrage, dont voici l’esquisse : La méthode en morale varie suivant la fin qu’on se propose ; or il y a deux fins principales : le bonheur et la perfection ou l’excellence. Tel est le sujet du 1er livre. Le 2e livre est consacré à l’égoïsme. Le 3e à la morale intuitive (Intuitionism). — Le second article, dû au professeur Calderwood, est une critique des théories de Sidgwick sur la morale intuitive[4]. M. Calderwood la défend et juge que l’auteur ne l’a pas exposée sous une forme satisfaisante.

Le directeur (M. Croom Robertson) examine la Logique formelle de Stanley Jevons. Il fait remarquer que ce livre publié depuis deux ans n’a pas obtenu en Angleterre l’attention qu’il mérite et il consacre à une partie de cet ouvrage un article étendu, approfondi, qui nous a paru l’un des meilleurs de ce numéro. Mais la Revue philosophique se proposant de traiter prochainement la même question, nous n’en parlerons pas plus longuement.

M. Hodgson continue ses études sur la Philosophie et la Science. Il étudie cette fois les rapports de la psychologie et de la philosophie. Il ne nous a pas paru présenter sur ce sujet des conclusions bien nettes ni bien saisissables : ce qui peut surprendre surtout chez un Anglais. Voici au reste sa conclusion : « La philosophie, par opposition à la science psychologique, peut être définie : l’analyse dernière des états de conscience dans leur connexion avec leurs aspects objectifs ; et par opposition avec la science en général, comme l’analyse subjective des notions dernières de la science. »

La Philosophie à Cambridge par M. Sidgwick, fait suite à l’article publié dans le no 1 et consacré à l’Université d’Oxford. L’auteur fait remarquer que pendant bien longtemps, il n’y a rien eu à Cambridge qui ressemblât à un enseignement philosophique ou à un examen sérieux des candidats sur ces questions. C’est à Whewell, l’auteur bien connu de l’Histoire des sciences inductives (1840), qu’est dû le renouvellement des études philosophiques dans cette Université. L’auteur donne le programme du Moral sciences Tripos, concours qui répond assez bien à notre agrégation. Parmi les sujets indiqués, nous remarquons : Organes des sens et système nerveux ; conditions physiologiques des phénomènes mentaux ; les ouvrages de Mill, Spencer, Bain, Grote, etc.

Notice sur James Hinton, chirurgien connu par divers travaux philosophiques.

Le reste de la Revue est consacré à des analyses critiques, des renseignements, des faits et observations, des comptes-rendus, parmi lesquels nous signalerons une très-substantielle étude sur les Nouvelles lettres de Frauenstaedt, par J. A. Stewart, et un travail sur les Innovations logiques de Brentano, par J. Land.


JOURNAL OF SPECULATIVE PHILOSOPHY.
No I, Janvier 1876. Saint-Louis (Missouri).

L’esprit tout entier de l’article consacré par M. G. Morris à la Philosophie de l’art se résume dans cette phrase de Schelling qui lui sert d’épigraphe : « La Philosophie de l’art est le but nécessaire du philosophe qui voit en elle, comme dans un miroir magique et symbolique, l’essence intime de sa science. » L’auteur développe avec beaucoup d’habileté et d’élégance la thèse de l’art, parfaitement libre, étant sa fin à lui-même et révélant, sous la forme du symbole, la nature intérieure et réelle des choses. Cette théorie idéaliste sert de préambule à un jugement sur la « Philosophie de l’art » de M. Taine. Il est assez curieux de voir cet ouvrage bien connu de nos lecteurs, jugé par un disciple de Schelling. C’est une œuvre plutôt incomplète que fausse, dit l’auteur, et à ce titre, elle ressemble à la philosophie d’Herbert Spencer. « Il y a, en effet, deux manières de voir les choses : du dehors et du dedans. Par l’une de ces méthodes, nous ne faisons que percevoir des impressions et les coordonner suivant leurs rapports de simultanéité ou de succession. Par l’autre, nous cherchons à entrer dans la nature des choses, à comprendre ce qui les cause et constitue leur véritable être. » — « C’est pourquoi je considère l’œuvre de M. Taine, comme d’une valeur légère en tant que philosophie de l’art, comme d’une grande valeur et d’un grand intérêt en tant qu’histoire de l’art. »

Les mêmes tendances idéalistes se retrouvent sous une autre forme dans l’article de M. Watson sur l’Empirisme et la Logique commune. L’auteur reproche à l’empirisme de faire entrer nécessairement dans la connaissance un caractère de relativité qui dérobe la vraie nature des choses. Au syllogisme il reproche d’être, par son origine même, un nominalisme ; c’est-à-dire de s’occuper des mots, non des réalités concrètes. Quant à l’induction, « cette seconde forme de l’empirisme », elle repose sur les « uniformités aux lois de la nature. » Mais, si les uniformités dérivent, comme le veut Mill, d’association entre des états de conscience. Il est Impossible de fonder une induction valable sur un seul exemple.

Bayrhoffer. L’idée de matière comme base de tous les phénomènes de l’univers. C’est un essai de résoudre le problème posé par Tyndall dans ses Fragments scientifiques où il déclare « que dans la matière il trouve la vie et l’esprit en puissance ; mais que, pour cela, il faut prendre la matière dans un sens plus profond et plus compréhensif qu’on ne l’a fait jusqu’ici. » — L’auteur croit trouver sa solution dans une sorte de monadologie. « La matière n’est qu’une combinaison d’êtres simples et pour ainsi dire la chaîne des âmes ou du moi. La divisibilité à l’infini n’est autre chose que l’effort toujours infructueux pour expliquer l’être composé comme dérivé de l’être simple. » Sa conclusion c’est que a la matière est la chaîne et l’action réciproque (interaction) d’unités vivantes. »

Les autres articles de ce numéro sont : Faust et Marguerite, traduit de l’allemand, de Karl Rosenkranz ; l’Idée de Vénus ; une étude sur Antoine et Cléopâtre, de Shakespeare ; des Notes et discussions ; enfin un compte-rendu consacré aux Revues philosophiques d’Italie, d’Angleterre, d’Allemagne et en particulier à la nôtre, — ce dernier en termes très-sympathiques pour lesquels nous envoyons au Journal of speculative philosophy, nos remerciements.


LIVRES NOUVEAUX

Renouvier : Uchronie (L’utopie dans l’histoire). Paris, 1876.

Lotze. Principes de psychologie physiologique, trad. de l’allemand par A. Penjon, in-18. G. Baillière et Cie.

Morin (Frédéric) Politique et philosophie, avec une introduction par Jules Simon, in-18. G. Baillière et Cie.

Paul Janet. Les causes finales, in-8, G. Baillière et Cie.

D’Ercole (Pasquale). La Pena di morte e la sua abolizione secondo la filosofia hegeliana. 1875. Hœpli (Milano. Napoli. Pisa.)

Descours di Tournoy : Del vero, del bello et del bene : saggio di filosofia per tutti. Tome I. Hœpli, in-8, 1876.

Becker (Joseph.) Observations sur les pensées de Pascal, in-4o 1867. St.-Wendel. (Prusse-Rhénane.)

Stadler (A.) Die Grundsatze der reinen Erkenntnisstheorie, in der Kantischen Philosophie : Kritische Darstellung. 1876, in-8, 158 p. Leipzig. Hirzel.

Begker (J. K.) Die Grenze zwischen Philosophie und exacter Wissenschaft, 63 p. in-8o, Berlin.

Witte (J.-H.) Vorstudien zur Erkenntniss des Unerfahrbaren Seins : Bonn. 1876, in-8o, 88 p. Cohen.

Swiento Chowski. Ein Versuch die Entstehung der Moralgesetze zu erklaren : eine ethische Analyse. Krakovie, 1876. 84 p.

Hazard (Rowland. G.) Zwei Briefe über Verursachung und Freiheit im Wollen, gerichtet an J. Stuart Mill (traduction allemande). Leipzig, Hermann ; New-York, Vestermann. 341 pages.

M. Renan vient de faire paraître ses Dialogues et Fragments philosophiques dont nous avions annoncé, il y a quelque temps, la prochaine apparition. Dans ce livre dont la Revue parlera à loisir, il nous a semblé reconnaître l’influence des doctrines de Schopenhauer : — influence que nous n’avions pas encore remarquée jusqu’ici chez M. Renan.

Nous signalerons aussi, en attendant un compte rendu prochain, l’Uchronie de M. Renouvier, esquisse de l’histoire telle qu’elle aurait pu être, où l’auteur « force l’esprit à s’arrêter un moment, à la pensée de possibles qui ne se sont pas réalisés et à s’élever ainsi plus résolument à celle des possibles qui sont encore en suspens dans le monde. »


La Philosophie positive nous a a souhaité la bienvenue », en nous disant que nous « n’avions pas de raison d’être », et en nous faisant le reproche d’éclectisme.

À ce jugement, qui de sa part est tout naturel, nous répondrons :

Que notre raison d’être, c’est de publier tous les travaux philosophiques sérieux, spéciaux, et même techniques, qui n’auraient pu trouver place dans une Revue fermée, par suite des opinions hétérodoxes de leurs auteurs ;

Que nous ne sommes point éclectiques, car éclectisme veut dire choix : or, la Revue propose et ne choisit pas.

Plus tolérants, nous croyons que la Philosophie positive a sa raison d’être, et, en la remerciant de ses sentiments de bonne confraternité, nous lui souhaitons, en France et à l’étranger, le public qu’à tort, elle « n’ose espérer » pour nous.


STATUE DE SPINOZA
3me LISTE DE SOUSCRIPTION.

MM. Report. 100 
E. Levoix 
112 50
L. de Bentzman 
10 
A. Sloman 
112 50
Albert Castelnau 
20 
Prince Alex. Bibesco 
140 
Vaquez 
2 
La Vie littéraire 
110 
E. de la Hautière 
5 
Édouard de Pompery 
105 
Surell 
10 
Georges Poignant 
105   147 00
Bertillon 
105 
J. Piras 
110  Total des deux 1res listes. 1260 29
À reporter. 100   » Total des trois 1res listes. 1407 29

Les souscriptions sont reçues chez M. Léopold J. Kœnigswarter, 60, rue de la Chaussée-d’Antin, et à la librairie Germer Baillière, 17, rue de l’École-de-Médecine.

M. Pierre Laffitte nous transmet un appel fait par lui aux positivistes pour une souscription à la statue de Spinoza, ouverte, 10, Rue Monsieur-le-Prince, à Paris.


  1. Voir ci-après l’article du Contemporary Review.
  2. Pour plus de détails, voir Luys : Des actions réflexes du cerveau, 1874. J.-B. Baillière
  3. Rivista critica e di filosofia positiva.
  4. M. Calderwood a publié entre autres ouvrages, un Handbook of Moral philosophy, 4e édition.