Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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ASHE (Théod.), littérateur anglais.


MÉMOIRES DE LA PRINCESSE CAROLINE (la princesse de Galles), adressés à la princesse Charlotte (sa fille), traduits de l’anglais par Picot de Montpellier, 2 vol. in-8, 1813. — Ce livre est-il un roman, un libelle, ou sont-ce des mémoires véritables ? Tout porte à croire que ce sont des mémoires apocryphes, dans lesquels quelques circonstances vraies, quelques événements connus, mais vraisemblablement fort dénaturés, ont servi de base à un roman où tout est également répréhensible ; le peu de vrai qui s’y trouve est donc un mélange de fictions et d’histoires, contraires aux règles du bon goût. Tout prouve donc que ces lettres sont supposées, tout démontre qu’elles n’ont pu être écrites par la princesse de Galles, qu’elles n’ont pu être adressées à sa fille : on en trouve la preuve dans les faits controuvés et contradictoires, dans la contexture entière et le style de l’ouvrage, dans le récit des événements qu’on pourrait regarder comme vrais. Non, ce n’est point là le langage d’une femme qui fait des aveux, d’une princesse qui écrit ses mémoires, d’une mère surtout qui les adresse à sa fille, à sa fille dans l’âge de l’innocence et de la plus délicate pudeur ! Peut-être une mère, et cela est difficile à croire, pourrait-elle confier à sa fille qu’elle a aimé éperdument un homme, qu’elle l’a même engagé à l’enlever ; mais elle ne lui présenterait pas à chaque instant les tableaux les plus vifs de ses rêveries passionnées et de ses extases amoureuses ; elle ne se peindrait pas, avec une sorte de délire, entre les bras de son amant ; elle ne le représenterait pas séchant de ses baisers enflammés les larmes que l’amour fait couler. Quelle est la mère qui offrirait à sa fille de pareils tableaux, où elle se serait peinte comme le principal personnage, et avec des expressions plus vives encore et plus passionnées que la situation elle-même ? Une courte analyse démontrera que ces mémoires n’ont pas été composés par la princesse à qui on les attribue.

Un jeune Irlandais attaché à la cour du duc de Brunswick est le héros du roman. Cet étranger, que l’on désigne sous le nom supposé d’Algernon, réunit aux qualités physiques les plus prononcées, tous les talents, toutes les qualités du cœur et de l’esprit. Le duc et la duchesse de Brunswick confient à cet homme séduisant l’éducation de leur fille ; celle-ci devient bientôt éprise de son précepteur, qui partage sa passion. Le duc est furieux quand il découvre cette intrigue amoureuse, que favorisait la duchesse ; il chasse l’aventurier irlandais, et signifie à sa fille qu’elle ait à se disposer à épouser le prince de Galles qui la demande en mariage. La princesse reste fidèle à son amant, combine avec lui un plan d’évasion et d’enlèvement qui s’exécute. Le duc poursuit et atteint les fugitifs ; l’amant est relégué dans une prison, et la princesse s’embarque pour l’Angleterre. Pour se distraire de sa douleur, elle écoute avec bienveillance les discours du capitaine du bâtiment, passe plusieurs nuits en tête à tête à converser avec lui sur le tillac, et arrive ensuite à Londres où elle s’unit au prince régent. Mais une des femmes de la princesse, qui l’avait surprise à deux heures du matin, sur le vaisseau, seule avec le capitaine, s’appuyant sur son bras et enveloppée d’une capote de matelot, avait gardé la mémoire de cet événement ; et lorsque quelque temps après la princesse de Galles refuse de prendre le bras de son époux, prend celui du capitaine, prolonge avec lui sa promenade bien avant dans la nuit, et, abandonnée de ses femmes, s’égare et ne revient qu’excessivement tard, cette femme fait des rapprochements qui furent une des principales causes de la rupture de l’union des deux époux. Toutefois une réconciliation n’était pas impossible, mais elle échoua contre une circonstance singulière : la princesse élevait un enfant ; un étranger vivait mystérieusement dans une chaumière non loin de son palais. Le prince de Galles veut savoir ce que c’est que cet enfant, que cet étranger ; on envoie chercher celui-ci : c’était l’ancien amant de la princesse, c’était Algernon. La princesse s’évanouit ; l’enfant s’écrie en voyant Algernon, et l’appelle son papa… Tels sont ces mémoires, tel est le roman.

Nous connaissons encore d’Ashe : L’Homme blanc des Rochers, 4 vol. in-12, 1829.