Revue des Romans/Sophie de Maraise

Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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MARÈSE (Mme  de).


CHARLES DE MONTFORT, 2 vol. in-12, 1811. — Au commencement de la révolution, Charles de Montfort se crut obligé de quitter la France avec les officiers de son régiment. Montfort laissait en France une mère, une épouse, un enfant chéris. Peu de temps après ce fatal départ, sa mère succomba sous le poids de sa douleur, laissant Pauline l’épouse de Montfort, seule avec sa beauté, sa jeunesse et son inexpérience. Le soir même de la mort de sa belle-mère, la comtesse de Montfort est arrachée de sa demeure, séparée de son fils et précipitée dans une prison, où le malheur la rapproche d’un être séduisant, qui, sous les dehors de la franchise et de l’amitié, cachait un cœur faux et perfide. Pauline se livre sans défiance aux prévenances de la plus dangereuse des femmes ; et bientôt, victime de la faiblesse de son propre cœur et de la plus noire intrigue, elle oublie, dans l’enivrement d’un coupable amour, ses devoirs d’épouse et de mère. Cependant un régime plus doux avait succédé aux orages révolutionnaires. Pauline avait recouvré sa liberté par les soins de son amant, lorsque tout à coup Montfort, qui avait obtenu l’autorisation de rentrer dans sa patrie, apparaît à Pauline qui porte dans son sein une preuve terrible de sa faiblesse. Déchirée par ses remords et par son amour pour son amant, qui, malgré les reproches de sa conscience, règne en tyran sur son cœur, la malheureuse comtesse de Montfort tombe mourante aux pieds de son époux. Ici l’auteur a porté à son comble l’admiration et l’attendrissement. Nous n’essayerons pas de donner une idée de cette combinaison si touchante, que nous craindrions d’affaiblir dans une faible esquisse ; nous nous contenterons d’assurer que la vertu de Montfort, soumise à la plus délicate de toutes les épreuves, en sort victorieuse ; la générosité, la noblesse de son âme, paraissent dans tout leur jour ; il pardonne à Pauline ; il pardonne même à son amant ; mais il pardonne sans s’avilir, sans altérer l’admiration qu’on doit à son caractère. Cependant c’est en vain que la malheureuse Pauline vient d’obtenir sa grâce ; son cœur brisé recèle le germe de la mort, et bientôt elle meurt dans les bras de son époux, après avoir été témoin, pour dernière punition, de l’inconstance de son amant. — Il n’y a dans cette agréable production ni événements imprévus, ni combinaisons forcées ; tout y est simple et naturel, tout y attache et intéresse.

MARIE NEVILL, 3 vol. in-12, 1814. — Le plan de ce roman est aussi simple que bien conçu. L’auteur a voulu tracer le tableau de tout ce que le sexe le plus faible peut opposer de constance, de résignation, de dévouement, à tout ce que le nôtre peut présenter de dureté, de perfidie, d’abus de pouvoir et d’atrocités. Dans un antique château, situé sur un point des côtes de l’Angleterre, Marie voit s’écouler ses premières années auprès d’un père bizarre et d’une tendre mère dont les conseils et les exemples gravent dans son cœur en traits ineffaçables le sentiment du devoir. Privée bien jeune encore de cet excellent guide, Marie ne tarde pas à perdre bientôt son père, qui toutefois, avant de mourir, a eu le temps de donner à sa fille un protecteur, un époux. Tout semblait devoir garantir le bonheur de Marie : une excellente éducation, une fortune immense, un mari jeune, pourvu de tous les avantages du corps et de l’esprit ; mais hélas ! ces dons précieux cachaient l’âme la plus atroce, le cœur le plus corrompu. Livré aux plus dangereuses passions, sir Lauderdale dissipe rapidement sa propre fortune et l’immense héritage de son beau-père. Chaque jour une nouvelle folie, une nouvelle bassesse, un nouveau forfait même, achèvent de dévoiler son affreux caractère à la malheureuse Marie ; et celle-ci, épouse soumise, victime dévouée, n’oppose que la patience, la douceur, la générosité aux procédés odieux d’un maître impérieux qui n’entend pas même la voix de la reconnaissance, et qui repousse la tendresse par la dureté. Marie, qui ne peut aimer son époux malgré lui, n’en est pas moins douée d’un cœur profondément sensible ; et l’auteur a eu l’art de la placer dans une situation où l’amour l’attaque encore avec ses plus dangereuses séductions. Une froide analyse ne saurait donner l’idée du charme et de l’intérêt de ces différents tableaux ; c’est dans l’ouvrage même qu’il faut admirer l’inépuisable constance et le dévouement sans bornes d’un être angélique, victime des plus horribles machinations, et d’un respect inviolable pour ses devoirs.