Revue des Romans/Sarah Harriet Burney

Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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BURNEY (Miss Sarah Harriet), romancière du XVIIIe siècle.


GÉRALDINE, traduit de l’anglais par Mme  de St-H., 3 vol. in-12, 1811. Réimprimé sous le titre de Miss Faucomberg, 3 vol. in-12, 1825. — Géraldine venait de s’unir à l’homme de son choix, au brillant lord Marteith, qu’elle avait connu aux courses de Chester, qui avait dansé avec elle pendant deux jours, qui l’avait proclamée la reine du bal, qui en toute occasion laissait paraître les démonstrations d’un amour passionné qu’elle se glorifiait de partager. Géraldine était douée des plus brillantes qualités du cœur et de l’esprit, et joignait aux grâces les plus attrayantes une figure d’une beauté touchante. Géraldine n’avait pas été élevée d’une manière romanesque ; mais le roman le plus dangereux dont puisse s’occuper une jeune personne, est celui qu’elle se bâtit dans sa tête au premier mouvement qu’excite dans son cœur l’hommage capable de flatter sa vanité ; un autre danger pour Géraldine était la supériorité de son esprit et celle même de son âme, qui semblait ne s’élever que pour parvenir à une autre âme digne d’elle ; car, selon ses idées, une femme supérieure n’existe réellement que dans l’estime, l’affection et l’approbation d’une autre. Une femme qui se sent des vertus éprouve sans amour-propre le plus impérieux besoin d’être connue, jugée, distinguée d’un seul ; ses vertus demandent un cœur capable de les apprécier : Géraldine ne le trouvait pas dans lord Marteith, bon, mais borné, égoïste par habitude et par défaut d’intelligence ; il laissait à Géraldine l’exercice de toutes ses vertus, mais elle n’en trouvait point en lui la récompense. Cependant il l’aimait tendrement : l’embarras ou l’impatience que causaient à Géraldine des fantaisies souvent ridicules, était toujours dissipé par quelques traits d’affection ou de bonté qui la ramenaient sur-le-champ au sentiment d’un bonheur dont elle ne se fût jamais permis de regretter l’insuffisance, quoiqu’elle en sentît l’imperfection, si son malheur ne lui eût fait rencontrer lord Fitz Osborn, qui lui apparut comme un prodige dans le monde frivole et insignifiant au milieu duquel elle vivait. Des idées sur une foule de choses, qui n’avaient jamais fait l’objet de ses réflexions, parurent d’abord à Géraldine la transporter dans un monde nouveau. Les opinions de Fitz Osborn étaient sans doute loin de satisfaire sa raison et surtout son cœur, mais souvent elles l’embarrassaient et la laissaient sans réplique. Plus souvent encore elle les regardait comme un travers d’esprit qui n’allait point à l’âme ; il n’y avait donc que son esprit à convertir, et Géraldine ne s’en attachait que plus fortement à celui qu’elle aurait désiré persuader. Enfin, elle n’aimait pas précisément Fitz Osborn, mais c’était à lui qu’elle avait besoin de communiquer ses idées, de faire approuver ses sentiments. Quel était donc ce Fitz Osborn qui exerçait un tel ascendant sur l’esprit de cette femme supérieure ? Fitz Osborn était un odieux scélérat, une sorte de Lovelace, mais aimable ; moins brillant que son modèle, mais spirituel cependant, qui finit comme lui par enlever sa victime et qui lui donne un narcotique ; tout enfin se passe dans le roman à l’égard de la malheureuse Géraldine comme à l’égard de l’infortunée Clarisse. Géraldine succombe sous l’excès de ses maux, et meurt de regret d’une faute involontaire, mais dont elle s’accuse cependant, parce qu’un peu d’imprudence et de vanité de sa part avait merveilleusement secondé les perfides machinations de son séducteur. Fitz Osborn, pour éviter le ressentiment d’un mari outragé, passe en France où il avait des amis parmi les philosophes et les républicains ; mis en état d’arrestation à l’époque de la terreur, il s’empoisonne pour échapper à l’échafaud. — Géraldine est un roman qui eut un grand succès lors de son apparition, et qui mérite sous plusieurs rapports d’être classé parmi les bonnes productions de l’époque où il parut.

LE NAUFRAGE, traduit de l’anglais, 3 vol. in-12, 1811. — Un vaisseau de la compagnie des Indes, faisant route de l’Angleterre au Bengale, se brisa sur une chaîne de rochers au milieu de l’océan Indien. Deux femmes, échappées à cette terrible catastrophe, furent jetées dans une île déserte. Lady Garlingford et sa fille, la jeune et belle Viola, trouvèrent dans l’île de quoi soutenir leur existence, et finirent, après quelques temps, à s’accoutumer à leur position. Un jour Viola lisait à sa mère un ouvrage échappé du naufrage, lorsqu’un oiseau, percé d’une flèche, vint expirer aux pieds de lady Garlingford. Supposant alors que l’île était habitée par des sauvages, sans en rien dire à sa fille, qui n’avait pas aperçu l’oiseau blessé, lady Garlingford prit le parti de parcourir l’île pour s’assurer s’il s’y trouvait d’autres habitants. Ses recherches furent d’abord inutiles ; mais quelques jours après elle découvrit un jeune officier, échappé comme elle au naufrage, qui habitait une autre partie de l’île avec un enfant qu’il était parvenu à sauver. Avant d’en avoir été aperçue, lady Garlingford eut le temps de rentrer dans son habitation et de faire prendre à sa fille des habits d’homme qui se trouvaient parmi les débris du naufrage qu’elle était parvenue à recueillir. Fitz-Aimer, c’est le nom de l’officier, accueillit affectueusement le prétendu jeune homme, qu’il raillait quelquefois sur sa faiblesse. Quelque temps après, lady Garlingford tomba malade et mourut ; avant d’expirer, elle découvrit à Fitz-Aimer le secret du déguisement de sa fille, et la recommanda, dans les termes les plus touchants, à sa sensibilité et à son honneur. La douleur de Viola fut inexprimable ; ses plaintes déchiraient le cœur de son compagnon d’infortune, qui conçut bientôt pour elle la passion la plus vive, à laquelle la jeune fille était loin d’être insensible. Il y avait déjà plusieurs années qu’ils étaient seuls dans l’île, lorsqu’un vaisseau y aborde et les ramène en Angleterre, où Viola y retrouve son père qui consent à l’unir à Fitz-Aimer.

LES VOISINS DE CAMPAGNE, ou le Secret, trad. par Esménard, 4 vol. in-12, 1820. — On trouve dans ce roman des détails toujours vrais de la vie commune, et de l’intérieur domestique de deux maisons unies par les liens de la parenté et de l’amitié ; enfin un amour pur, innocent et vertueux, traversé par quelques obstacles, couronné par l’union des deux amants, dont une parfaite sympathie de sentiments et de caractère garantit le bonheur. Qui pourrait ne pas s’intéresser à la jeune et généreuse Blanche, aimable et noble modèle de pureté, de candeur, de franchise, de loyauté qui ne lui permet jamais de s’écarter de la vérité ni de capituler avec sa conscience ; type de douceur angélique, de gaieté et de bonté, relevées par les charmes d’une beauté parfaitement régulière et d’une physionomie expressive ? Qui n’aimerait Horace Trémagne, noble et généreux jeune homme, qui unit à la piété filiale, la douceur à la fermeté, et un amour éclairé par les rares vertus et les qualités morales qu’il a reconnues dans celle qui doit être sa compagne ? Les personnes qui entourent Horace et Blanche, sans atteindre à la même perfection, offrent un mélange de vertus, de défauts, de faiblesses, qui est le partage ordinaire de la vie humaine ; on aime à vivre quelque temps au milieu de ces bons voisins de campagne, à observer les contrastes de leurs caractères, à lire le journal de la bonne et judicieuse Anna, qui écrit chaque fois sans prétention les événements de la journée.

On a encore de Miss S. H. Burney : Clarentine, trad. par Mme  Elis. de Bon, 4 vol. in-12, 1819. — Le jeune Cheveland, ou Traits de nature, traduit par Defauconpret, 3 vol. in-12, 1819.