né à Sacy (Yonne), le 22 novembre 1734, mort en 1804 ou en 1806, car on n’est pas d’accord sur l’époque précise de son décès.
Environ deux cent cinquante volumes sont sortis de la plume de ce fécond écrivain. Mais ses habitudes, peu en harmonie avec la dignité de l’homme de lettres, le retinrent presque toujours dans une basse et repoussante société. Il ne put jamais acquérir du goût, et manqua de la connaissance du grand monde ; aussi le peignit-il mal lorsqu’il voulut l’essayer ; en revanche, nul mieux que lui n’a fait connaître le langage, la manière de sentir, les mouvements de l’âme, les mœurs, les usages des dernières classes du peuple de Paris. Il y a dans ses tableaux des choses frappantes de vérité, des traits admirables, et qui peignent ce qui passe sous nos yeux. Il a pris la nature sur le fait ; il la montre dans toute sa simplicité, ou dans son horrible turpitude. Il décrit les caprices, les fantaisies du vice en homme qui a puisé aux sources. Il ne faut pas demander à ses personnages la délicatesse idéale des héros, des héroïnes de nos romans de bon ton ; il ne se doute pas qu’elle existe. Il rend les femmes telles qu’il les a vues, les hommes tels qu’ils se sont montrés à son regard ; mais ce sont bien eux véritablement. « Outré dans l’expression des mœurs de l’hôtel, cynique dans celles du carrefour, dit M. Kératry, Restif a été admirable dans la peinture du village. C’est là qu’il excelle ; avec lui vous devenez en toute vérité, l’habitant de la ferme, ou plutôt vous pénétrez sous la tente des anciens patriarches. » — Restif, en général, n’est connu dans la littérature que d’après ses parties les moins recommandables. La platitude ordinaire de son style, l’extravagance de son amour-propre, le peu de distinction des personnages qu’il fait mouvoir, la singulière orthographe qu’il avait adoptée, l’ont rendu ridicule : on s’est moqué de lui, et on a étouffé sa réputation. Cet homme, étranger d’ailleurs aux plus simples convenances, n’ayant nulle retenue, ennemi de toutes les règles, brille néanmoins par une richesse d’imagination surprenante. Il retrace des caractères avec habileté ; la fable qu’il invente attache presque toujours. Il y a dans son dialogue une vérité naïve qui charme ; il écrit des pages délicieuses de naturelle et de douce volupté ; il trouve des tableaux frais et riants ; il appelle tour à tour le rire, la réflexion, la pensée profonde, et, presque toujours, jette dans le cœur une émotion extrême. Ces qualités sont toutefois obscurcies par un dévergondage sans pareil, par des infamies racontées comme avec plaisir, par d’obscènes peintures, qui montrent l’espèce humaine dans un était complet de dégradation. Ses filles publiques sont vraies à faire frémir ; ses escrocs repoussent par la hideuse figure qu’il leur donne. En un mot, Restif, avec ses qualités et ses défauts, n’est pas aussi connu en France qu’il mérite de l’être : tel auteur qui le méprise ne le surpassera jamais ; ses ouvrages sont une mine féconde, dans laquelle il y a de bonnes choses à prendre ; la plupart de nos faiseurs de comédies, de vaudevilles, de drames, si pauvres d’invention, y rencontreraient des sujets de pièces très-attachants, ou propres à provoquer la gaieté.
*LE PIED DE FANCHETTE, ou l’Orpheline française, 3 vol. in-12, 1768. — On trouve dans ce roman de l’originalité et des situations touchantes. Il a obtenu une cinquième édition publiée sous le titre du Pied de Fanchette, ou le Soulier couleur de rose, 3 vol. in-18, 1801.
*LE PORNOGRAPHE, ou Idée d’un honnête homme sur un projet de règlement pour les prostituées, in-8, 1769. — Dans cet ouvrage, qui fit beaucoup de bruit, Restif propose d’ériger en loi la prostitution. Les filles publiques devaient être cloîtrées ; leurs vies, leurs plaisirs, leurs devoirs, tout est tracé dans ce singulier ouvrage rempli de détails obscènes. On a cru, dans le temps, et cela est fort probable, que la police n’était pas étrangère à sa publication : ce n’était pas sans doute dans l’intention de corriger les abus qu’il signalait, car elle trouvait trop son compte à leur existence ; mais enfin elle avait une intention secrète qui n’a pas été connue,
LE PAYSAN PERVERTI, ou les Dangers de la ville, 4 vol. in-12, 1776 ;
LA PAYSANNE PERVERTIE, 4 vol. in-12, 1776.
Dans le principe, le Paysan perverti formait un ouvrage à part. Restif ensuite le fondit avec la Paysanne pervertie, et n’en fit qu’une seule production. Le Paysan perverti est sans contredit le meilleur ouvrage de Restif. Deux hommes, qui n’avaient ni les mêmes opinions ni le même goût, Mercier et la Harpe, ont ainsi jugé cet ouvrage. Mercier, enthousiaste du talent de Restif, trouve le Paysan perverti un ouvrage admirable. « La force du pinceau, dit-il, y fait un portrait animé des désordres du vice et des dangereux effets auxquels l’inexpérience et la vertu sont exposées dans une capitale dissolue… Les touches en sont si vigoureuses, que le tableau est révoltant ; mais il n’est malheureusement que trop vrai… Le silence absolu des littérateurs sur ce roman, plein de vie et d’expression, et dont si peu d’entre eux sont capables d’avoir conçu le plan et formé l’exécution, a bien droit de nous étonner, et nous engage à signaler l’injustice ou l’insensibilité de la plupart des gens de lettres, qui n’admirent que de petites beautés froides et conventionnelles, et qui ne savent plus reconnaître ou avouer les traits les plus frappants et les plus vigoureux d’une imagination forte et pittoresque, etc., etc. » Pendant que Mercier s’extasiait ainsi, la Harpe écrivait au grand-duc de Russie (depuis Paul Ier) : « Le Paysan perverti est en général l’assemblage le plus bizarre et le plus informe d’aventures vulgaires, mal menées et mal tenues, de caractères mal expliqués, de la métaphysique la plus mauvaise et la plus déplacée, du libertinage le plus effréné, du plus mauvais style et du plus mauvais goût. C’est une suite de tableaux sans ordre et sans liaison, où l’on vous présente tour à tour un mauvais lieu, la prison, la Grève, une école de philosophie, une guinguette, un consistoire, une taverne, une église, le salon d’une femme de la cour et le galetas d’une prostituée. Rien n’est digéré, rien n’est motivé, rien n’est bien écrit, et cependant au milieu de ce chaos, on est tout étonné de retrouver des morceaux qui prouvent de la sensibilité et de l’imagination. » — Quoique ces jugements soient bien différents, que l’un soit certainement trop favorable et l’autre peut-être trop sévère, on voit cependant qu’ils s’accordent à reconnaître un genre de mérite au moins dans une partie de l’ouvrage. L’idée du Paysan perverti est heureuse et le fond très-moral ; les situations en sont neuves et frappantes, les réflexions hardies, les tableaux sont effrayants et pathétiques, mais la morale est souvent effacée par le libertinage le plus éhonté. Ce livre a été traduit dans toutes les langues de l’Europe, et a eu en France, en Allemagne et en Angleterre, une multitude d’éditions.
*LE NOUVEL ABAILARD, ou Lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus, 4 vol. in-12, 1778. — C’est une composition bizarre qui renferme une excellente morale. On y trouve de charmants épisodes, et il y aurait peu à faire pour qu’elle devînt un très-bon roman, utile à l’instruction des nouveaux époux.
*LES CONTEMPORAINES, ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent, etc., 42 vol. in-12, 1780 et années suiv. — Cet immense recueil de plus de quatre cents histoires, presque toutes vraies au fond, offre une variété de sujets bien remarquables. De même que dans les Provinciales et dans les Nuits de Paris, Restif a eu l’impudence de joindre, à des noms obscurs et méprisables, ceux de plusieurs femmes que des erreurs de jeunesse n’empêchaient pas d’être estimables, et dont quelques-unes moururent de chagrin d’avoir vu révéler des fautes qu’elles avaient d’ailleurs expiées par un long repentir, et une conduite à l’abri de tout reproche. — La lecture de ce recueil est en général très-amusante ; tous les goûts trouvent à s’y contenter, tous les genres s’y rencontrent : le terrible, le tendre, le galant, le naïf, le bizarre, etc. Un grand nombre de nouvelles sont délicieuses par le charme des détails ; c’est là que les classes inférieures de la nation sont peintes de main de maître ; c’est une partie dans laquelle l’auteur excellait. On pourrait extraire des quarante-deux volumes qui composent ce recueil, une demi-douzaine de volumes fort intéressants ; ce serait un bon moyen de tirer parti de cet immense répertoire, où trop souvent le cynisme semble le disputer au mauvais goût, et attira à l’auteur de vifs reproches. Voici comment il y répondait : « Si la science est respectable, la fausse délicatesse ne l’est pas. Les Contemporaines sont un ouvrage de médecine morale. Si les détails en sont licencieux, les principes en sont honnêtes et le but en est utile. Qu’est-ce qu’un romancier ? Le peintre des mœurs ; les mœurs sont corrompues : devais-je peindre les mœurs de l’Astrée ? Réservez, femmes honnêtes, réservez votre indignation pour cette indécence de société, qui n’est bonne à rien ; pour ces équivoques infâmes, pour ces manières libres, pour ces propos libertins qu’on se permet tous les jours avec vous et devant vos filles. Mais pour la prétendue indécence qui a un but qui est moral, qui sert à instruire et à corriger, n’en faites pas un crime à l’écrivain qui a le courage de vous présenter le miroir du vice pour vous en faire voir la difformité. »
*LA DÉCOUVERTE AUSTRALE, ou les Antipodes, 4 vol. in-12, 1781. — C’est un roman imité des Voyages de Gulliver et de l’Île inconnue, dont l’idée principale est bizarre. L’auteur veut que l’homme ne soit que la perfection de chaque espèce d’animaux, que par suite nos vertus et nos vices proviennent des appétits de nos pères primitifs ; ainsi, la colère était descendue du lion, la férocité du tigre, la bonté du mouton, la faculté de ramper du reptile, etc. Restif pourrait avoir plus raison que nous ne le pensons peut-être ; il est impossible, en effet, que certains hommes de nos jours ne descendent pas en principe de quelques méchantes bêtes.
*LA VIE DE MON PÈRE, 2 vol. in-12, 1778. — Ce roman est sans contredit le chef-d’œuvre de l’auteur ; aucune tache ne le dépare. On y trouve une touchante et délicieuse image des mœurs champêtres, des descriptions riantes et gracieuses, des détails d’une naïveté charmante, des traits pleins de sentiment et d’énergie ; tout l’ouvrage respire la vertu et l’humanité.
*LES NUITS DE PARIS, ou le Spectateur nocturne, 15 vol. in-12, 1788-91. — C’est un recueil d’anecdotes scandaleuses dans le genre des Mille et une Nuits, mais sur un autre plan. Les premiers volumes peuvent être comparés à ce que Restif a fait de mieux.
*MONSIEUR NICOLAS, ou le Cœur humain dévoilé ; renfermant, en outre, la philosophie, la morale et la physique de monsieur Nicolas, 16 vol. in-12, 1796-97. — Ce sont les mémoires de la propre vie de Restif, qui a voulu imprudemment marcher sur les traces de J. J. Rousseau. Tout surprend dans cet ouvrage, dégoûtant de cynisme, d’amour-propre, de haineuses passions. L’auteur s’y avilit sans cesse ; il flétrit sa famille par les accusations les plus infâmes ; il s’y fait jouer le rôle d’un misérable dépouillé de tout noble sentiment, et qui, des qualités qui font l’honnête homme, ne possède presque que la probité. Néanmoins, à travers d’obscènes infamies, on rencontre parfois des pages agréables à lire ; celles qui traitent de l’enfant de M. Nicolas sont ravissantes : les usages de la campagne, ceux d’une ville de province y sont forts bien décrits ; l’histoire des amours de l’auteur avec Colette, avec Zéphire, est digne de l’attention du lecteur, auquel souvent elles arrachent des larmes. Il y a, en outre, dans ce livre, des anecdotes assez curieuses ; enfin, c’est un mélange de bon et de mauvais, dans lequel celui-ci malheureusement domine.
Les autres ouvrages de Restif sont : *La Famille vertueuse (trad. supposée de l’anglais), 4 vol. in-12, 1767. — *Lucile, ou les Progrès de la vertu, in-12, 1768. — *La Confidence nécessaire, 2 vol. in-12, 1769. — *La Fille naturelle, 2 vol. in-12, 1769. — *L’École de la jeunesse, 4 vol. in-12, 1771. — *La Femme dans les trois états de fille, d’épouse et de mère, 3 vol. in-12, 1773. — *Le Ménage parisien, 2 vol. in-12, 1773 (production détestable, dans laquelle l’auteur critique la presque totalité des littérateurs de l’époque). — *La Fille entretenue et vertueuse, in-12, 1774. — *Nouveaux Mémoires d’un homme de qualité, 2 vol in-12, 1774 (avec l’avocat Marchand). — L’École des pères, 3 vol. in-12, 1776. — Lettres d’une fille à son père, 5 parties in-12, 1777 (la 5e partie contient des mélanges de littérature). — Le Quadragénaire, ou l’Âge de renoncer aux passions, 2 vol. in-12, 1777. — *La Malédiction paternelle, 3 vol. in-12, 1779. — *La dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, 2 vol. in-12, 1783. — *Les Dangers de la ville (réimpression d’une partie du Paysan perverti). — *Ingénue Saxancourt, 3 vol. in-8, 1786. — *Les Françaises, ou Trente-quatre exemples choisis dans les mœurs actuelles, 4 vol. in-12, 1787. — *Les Parisiennes, 4 vol. in-12, 1787. — Tableau des mœurs d’un siècle corrompu, 2 vol. in-12, 1787. — La Femme infidèle, 4 vol. in-12, 1788 (c’est un tableau hideux des désordres de la femme de l’auteur). — L’Andrographe, le Gynographe, le Thesmographe, le Pornographe et le Mimographe, ou Idées singulières sur la réforme des hommes, des femmes et des lois, 5 vol. in-8, 1790. (Nous avons parlé plus haut du Pornographe ; l’Andographe et le Gynographe, projets pour l’éducation des femmes et des hommes, sont des productions écrites dans un bon esprit et qui renferment d’excellentes choses ; le Thesmographe est un projet pour la réforme des lois ; le Mimographe est un projet pour la réforme du théâtre). — *L’Année des Dames nationales, 2 vol. in-12, 1794 (c’est une suite décolorée des Contemporaines). — *Les Provinciales, ou Histoire des filles et femmes (sic) des provinces de France, 12 vol. in-12, 1797 (autre pendant des Contemporaines). — Les nouvelles Contemporaines, 2 vol. in-12, 1802. — *Les Posthumes, lettres posthumes reçues, après la mort du mari, par sa femme, qui le croit à Florence, 4 vol. in-12, 1802 (publiées sous le nom de Cazotte). — Histoire des Campagnes de Marie, ou Épisode de la vie d’une jolie femme (ouvrage posthume, publié par Cubières Palmezeaux, grand admirateur de Restif, qui consacre tout un volume de cet ouvrage à la vie de l’auteur), 3 vol. in-12, 1811.
À cette longue liste on doit encore ajouter : *Les Filles du Palais-Royal, 2 vol. in-12 (production infâme). — *La Semaine nocturne (autre production infâme). — Tableaux de la bonne compagnie, 2 vol. in-12. — Tableaux de la vie, 2 vol. in-8. — *Thèse de médecine soutenue en enfer. — Les Veillées du Marais, 4 vol. in-12.