Revue des Romans/Angélique Duclos

Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
◄  Ducray-Duminil Dudrézène  ►


DUCROS (Mme ).


*LETTRES DE LOUISE À VALENTINE, 3 vol. in-12, 1811. — Un héros de roman que les hommes ne trouveront point invraisemblable, mais que les femmes pourront bien trouver impertinent, c’est celui des Lettres de Louise à Valentine. Il ne donne point à l’amour trop de son temps ni de ses pensées, il n’entreprend point de belles actions pour plaire à une maîtresse, il ne compte parmi ses moyens de plaire ni grands coups d’épée, ni actes de bienfaisance, mais une grâce parfaite à danser, un persiflage aimable, piquant et même un peu tourmentant, de la légèreté, de l’étourderie, de la fatuité, juste ce qu’il faut d’insolence, un regard charmant, un son de voix qui va à l’âme et semblerait en partir, si on ne savait depuis longtemps qu’Albert n’a pas d’âme pour l’amour : voilà tout simplement ce qu’il possède pour enchanter et désoler les femmes. Il ne faut pas croire cependant qu’Albert soit un de ces conspirateurs en amour, un de ces séducteurs de profession, dont le plus grand plaisir est de tromper une femme, et le but principal de l’abandonner. Non, Albert cherche seulement à plaire quand on lui plaît, et s’éloigne quand le charme cesse d’agir sur ses sens. Mais tandis qu’un homme cherche à plaire, une femme cherche à aimer : quelque temps timide, craintive, si enfin l’amour rompt les barrières que lui opposait la prudence, c’est tout son cœur, tout son être qu’elle va dévouer au sentiment qui l’entraîne, et il se trouve qu’on n’en veut point, qu’elle a donné beaucoup plus qu’on n’avait jamais songé à en demander ; on n’est plus qu’embarrassé de son présent, et elle n’a pas la force de le reprendre. Telle est Louise auprès d’Albert ; mais, heureusement pour elle, elle ne s’est pas entièrement laissé vaincre ; elle n’a donné que son cœur ; une infidélité prématurée d’Albert l’a garantie du danger. L’amour-propre d’Albert, flatté de l’amour de Louise et piqué de sa résistance, le ramène à ses pieds ; elle le connaît maintenant, et n’en est que plus malheureuse, car elle ne l’en aime pas moins ; ce n’est plus l’espoir d’être aimée qui la séduit, mais le souvenir du bonheur qu’elle éprouva lorsqu’elle crut l’être. Ce sentiment, qui s’empara alors de son cœur, elle l’y retrouve tout entier ; chaque mot, chaque regard d’Albert le lui rappelle ; tous ses rêves, toutes ses illusions, se présentent à elle de nouveau avec la même vivacité ; elle sait que ce sont des rêves, et, sans confiance, elle s’y précipite, entraînée par un mouvement aussi douloureux qu’irrésistible. Mais est-elle bien réellement sans confiance ? Pourquoi Albert n’aimerait-il pas la douce, la tendre Louise, capable de mourir de ses trahisons, mais jamais de se fâcher, et à peine de se plaindre ? C’est que d’autres goûts viennent sans cesse interrompre le goût qu’il a pour elle, et le distraire du sentiment d’affection qu’elle lui inspire ; c’est qu’auprès de Louise, veuve et jeune, est une nièce plus jeune encore et aussi jolie, Valentine, qui a su, comme Louise, apprécier toute la grâce d’Albert au bal, et cette douceur, cette complaisance dans la vie habituelle, qui font pardonner sa fatuité et oublier sa légèreté. Valentine à seize ans n’est pas fort habile à cacher ses sentiments, et Albert n’est pas capable d’y demeurer indifférent ; laquelle aimera-t-il de Louise ou de Valentine ? Lui-même ne le sait pas bien ; il les aimerait toutes deux, si elles le permettaient. Valentine, moins passionnée que Louise, et déterminée d’ailleurs par sa reconnaissance pour sa tante, par les désirs de son père qui la presse de consentir à un autre mariage, sacrifie son goût pour Albert. La douceur, la tendresse de Louise, finissent par faire naître dans le cœur d’Albert un sentiment qui ne fixera peut-être pas entièrement sa légèreté, mais que du moins celle-ci ne lui fera pas entièrement oublier. — Ce roman, où l’on trouve une peinture vraie des mouvements ordinaires du cœur, offre une lecture remplie de charme et d’intérêt.