III. — Des études géographiques en France et à l’étranger
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III. — Des études géographiques en France et à l’étranger

REVUE
DE VOYAGES.

iii.


DES ÉTUDES GÉOGRAPHIQUES

EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER.

La géographie a largement participé au mouvement intellectuel de notre époque : son domaine s’est agrandi, ses procédés ont été perfectionnés, et les matériaux recueillis par des efforts isolés ou collectifs se sont tellement multipliés, que l’on peut aujourd’hui regarder comme un objet important d’études le classement et le triage de cette masse de richesses éparses.

Présenter sous une forme concise un tableau d’ensemble des acquisitions récentes de la géographie, mettre nos lecteurs au courant des travaux de ceux qui la cultivent, tel est le but que nous nous sommes proposé dans cette esquisse.

Les sujets que nous avons à passer en revue étant aussi variés que nombreux, nous avons dû les distribuer par groupes, dans l’ordre qu’indique leur importance relative, afin d’apporter dans cette longue énumération toute la clarté désirable. Ce sont : 1o  les sociétés géographiques nationales et étrangères, foyers où se concentrent et s’élaborent les lumières isolément recueillies, et qui concourent directement à l’avancement de la géographie ; 2o  les institutions spéciales qui, sous les noms de dépôts de la guerre ou de la marine, de bureaux géographiques ou hydrographiques, etc., effectuent les grands relèvemens géodésiques et nautiques ; 3o  les corporations académiques, sociétés des missions, sociétés asiatiques, etc., qui, sans avoir pour but direct les progrès de la science, lui rendent souvent d’éminens services ; 4o  les établissemens industriels qui s’occupent sur une grande échelle de la confection des cartes, atlas, etc. ; 5o  enfin les travaux individuels, qui luttent parfois d’importance avec ceux des corps scientifiques, et ont généralement sur eux l’avantage de cette popularité qui s’attache à des formes plus mondaines et plus attrayantes.

Nous allons examiner ces divers élémens.


Sociétés géographiques de Paris, Londres, Berlin et Bombay.


La Société de géographie de Paris a précédé toutes celles qui se sont établies dans ces dernières années en Angleterre, en Allemagne, et jusque dans l’Inde. C’est elle qui leur a servi de modèle, qui, la première, a donné l’impulsion à ces jeunes rivales destinées peut-être à la surpasser dans la carrière qu’elle a ouverte.

Les corps savans produisent rarement des travaux collectifs ; leur but spécial est d’encourager les efforts individuels, d’amasser des matériaux, de les coordonner, et de les mettre à la portée de tous. La Société de géographie de Paris a consacré à l’accomplissement de cette œuvre tous les moyens dont elle a pu disposer, et l’on pourrait peut-être lui reprocher plutôt un peu de prodigalité dans la distribution de ses prix, que le défaut contraire. Néanmoins, si toutes les lacunes qu’elle provoquait à remplir n’ont point été comblées, quelques-unes des questions de ses programmes annuels ont reçu une solution satisfaisante. Sans rappeler un à un les nombreux et estimables travaux qu’elle a eu occasion de couronner, nous citerons du moins les principaux, auxquels demeurent attachés les noms de Bruguières, de Pacho et de Caillié.

L’Orographie de l’Europe, du premier, est un véritable monument de géographie physique, où la description du septuple système des reliefs européens est basée sur plus de sept mille quotes de hauteurs absolues, scrupuleusement vérifiées avec l’indication des mesures locales, des sources qui les ont fournies, des méthodes employées pour les obtenir, etc., vaste travail où des coupes et des profils nombreux représentent à l’œil, dans un ordre lumineux, chaque système de montagnes, avec ses groupes secondaires, ses rameaux, ses points culminans, etc.

Pacho, dans son exploration du pays de Barqah (en suivant une route qui côtoie la mer depuis Alexandrie jusqu’à El-Agedâbiah, se dirige ensuite sur Aougelah, pousse une reconnaissance à l’ouest jusqu’à Maradeh, et revient vers l’Égypte par Mogabérah et Syouah), a laissé bien loin derrière lui les aperçus superficiels de Della Cella, les notices incomplètes du père Pacifique et de Cervelli, et les fragmens épistolaires de Hornemann.

Il serait superflu d’insister sur l’importance du voyage de Caillié à Ten-Boktoue, de rappeler cette volonté ardente, cette ténacité inébranlable qui a conduit un jeune homme sans fortune, sans protecteurs, au terme d’une expédition dans laquelle tant de martyrs de la science ont succombé. Jetez seulement les yeux sur une carte, et vous verrez qu’entre le point de départ et celui d’arrivée de cet immense itinéraire presque tout était inconnu.

Non contente de distribuer des récompenses aux voyageurs et aux géographes qui accomplissent des découvertes désignées d’avance par elle, la Société de géographie décerne chaque année un prix à la découverte la plus importante exécutée dans cet intervalle, et des prix secondaires aux travaux d’un moindre intérêt, quel que soit le théâtre de l’exploration. C’est ainsi que pour 1828 la veuve de Gordon Laing, mort au désert près de Ten-Boktoue, a été appelée à partager ce prix annuel avec Caillié ; que, pour l’année précédente, le capitaine Franklin l’avait obtenu à raison de son exploration des côtes arctiques américaines entrevues par Hearne et Mackenzie ; qu’à défaut de découvertes effectuées en 1829, le capitaine de frégate Graah, de la marine danoise, reçut une médaille pour son relèvement de la côte orientale du Groënland ; qu’enfin, l’année d’après, ce prix fut accordé à l’auteur d’un voyage au Congo et dans l’Afrique équinoxiale.

Ce voyage a fait trop de bruit, a donné lieu à trop grand scandale pour que nous n’en parlions point ici avec quelque détail. Il nous suffira, pour poser en ses véritables termes la question scientifique à laquelle on a cru intéressée la dignité de la Société de géographie, de rapporter simplement les faits.

Le 17 mars 1826, un voyageur près de partir pour l’Amérique du sud fut inscrit au nombre des membres souscripteurs de la Société. Le 1er  décembre de la même année, il rendait compte de son arrivée à Buenos-Ayres, qu’il croyait alors avoir visité huit ans auparavant ; il annonçait l’hommage prochain d’une carte géographique du pays faite à son premier voyage, et qu’il s’occupait de corriger avec l’aide du docteur don Bartoloméo Muñoz. Depuis, il a complètement oublié ce premier voyage fait en 1818, et il croit aujourd’hui que lorsqu’il s’embarqua pour Buenos-Ayres, en 1826, cette ville était, de toutes les cités importantes de l’Amérique du sud, la seule qu’il ne connût point encore. Le 1er  juin 1830, le même voyageur écrivait de Rio-Janeiro qu’il venait de visiter le royaume d’Angola et les pays inconnus qui sont au-delà, jusque chez les Miluas et chez le souverain Muéné-Haï. Ce voyageur était M. Douville.

Arrivé à Paris, M. Douville adressa à la Société, le 15 juillet 1831, un aperçu de son itinéraire dans le centre de l’Afrique. Le 23 novembre suivant, il lut, en séance solennelle, une esquisse des peuples nègres au sud de l’équateur, et fut alors compris dans l’élection générale des membres de la commission centrale.

À cette époque, il fit un voyage à Londres, présenta à la Société géographique anglaise une notice analogue à celles qui avaient été si bien accueillies à Paris, et, sur la proposition de M. John Barrow, il fut proclamé, séance tenante, membre honoraire de cette société, qui souscrivit en même temps, pour deux cents exemplaires, à la relation qu’il se proposait de publier.

La Société de Paris alla plus loin encore : au mois de mars suivant, elle donna à M. Douville une place dans son bureau, et lui décerna sa médaille annuelle. L’authenticité du voyage au Congo paraissait en effet d’autant moins douteuse, que l’auteur montrait en masse tout ce qu’il rapportait de cartes, de dessins, de journaux, et annonçait l’intention de livrer au consciencieux Brué tous les élémens nécessaires pour la construction de la carte dont il n’avait fait qu’ébaucher de grossiers croquis, et de soumettre également à la révision de M. Eyriès la relation manuscrite de son voyage. Nous-même nous avions fait un inventaire rapide de tous ses papiers, et nous l’avions publié dans le cahier du 15 février 1832 de la Revue des Deux Mondes.

Cependant des doutes percèrent bientôt, non sur la réalité d’un voyage dont tous les matériaux avaient passé sous nos yeux, mais sur la valeur intrinsèque de ceux-ci ; et quand la relation du voyageur eut paru, ces doutes grandirent tout à coup, à l’inspection d’une table de positions géonomiques insérée au troisième volume avec des annotations inapplicables à plusieurs des observations indiquées. De là des questions et des réponses, des objections et des répliques qui aggravèrent singulièrement l’opinion défavorable que s’étaient graduellement formée les géographes positifs, de la capacité du voyageur pour la détermination des positions géographiques. Un fait dominait et domine encore toute la question : des observations astronomiques nombreuses avaient été faites ; elles étaient consignées avec leurs calculs dans le journal manuscrit du voyage ; mais il s’élevait à leur égard ce sévère dilemme : ou elles étaient l’ouvrage de M. Douville, et alors il ne fallait guère compter sur l’exactitude des résultats ; ou elles étaient bonnes et bien calculées, et alors il ne pouvait en être l’auteur[1]. En vain d’officieuses instances pressaient le voyageur de couper court à toutes ces incertitudes, en publiant incontinent ses observations originales. Brué lui-même n’avait pu en obtenir la communication pour des vérifications nécessaires à la construction de la carte, et avait été obligé de déclarer qu’il en était simplement le rédacteur. Sur ces entrefaites, le Foreign Quarterly Review de Londres révéla au public les objections qui s’étaient présentées à l’esprit des hommes spéciaux d’Angleterre, comme elles avaient déjà frappé ceux de France et d’Allemagne. La seule réponse qui eût pu être efficace, quoique dès-lors même elle eût peut-être été tardive, ne fut point faite.

La Société de géographie jugea alors que sa dignité était intéressée à l’éclaircissement de la question d’authenticité du voyage ; et, sur la demande de ceux-là mêmes qui avaient proposé sa première sentence, elle somma le voyageur, présent aux discussions, de produire devant elle ses observations originales. Après quarante jours d’une vaine attente, la commission centrale déclara, d’une voix presque unanime, qu’en l’absence des justifications qu’elle avait provoquées, elle était forcée de rester dans le doute sur la véracité des résultats publiés.

Pour conclusion, une expédition dans l’Afrique équatoriale a été réellement exécutée, et quelques révélations que nous réserve l’avenir sur sa date réelle et sur son véritable auteur, les résultats que nous en connaissons, tout incomplets et tout altérés qu’ils soient, n’en constituent pas moins une acquisition importante pour la science[2].

Faute de découvertes dignes du prix annuel, celui pour l’année 1831 ne fut pas décerné à l’époque habituelle, et la Société a attendu sa séance solennelle du mois de mars dernier pour couronner le capitaine de vaisseau anglais John Ross, à raison de son expédition aux terres arctiques ; elle n’a eu à décerner aucun des autres prix réservés à la solution des questions qu’elle avait proposées[3].

Un puissant moyen de progrès dont il est à regretter que la Société n’ait pas tiré tout le parti que la science a le droit d’en espérer, est la publication de séries de questions propres à guider les voyageurs dans leurs travaux. Un premier fascicule, paru en 1824, n’a pas été réimprimé depuis, malgré les améliorations et les changemens qu’il eût été facile d’y apporter. C’est ici le cas de rappeler, comme un salutaire exemple, que les instructions analogues rédigées par MM. les professeurs du Jardin du Roi pour les voyageurs du Muséum ont été réimprimées plusieurs fois avec des modifications.

Les publications de la Société de géographie forment une autre partie importante de ses travaux ; elles constituent deux séries distinctes : l’une est un Bulletin mensuel, l’autre une suite de volumes in-4o, paraissant à des époques indéterminées, sous le titre général de Recueil de Voyages et de Mémoires. Nous parlerons d’abord de celle-ci, comme étant la plus grave.

Le premier volume, publié en 1824, contient une double édition des voyages du célèbre Marc Polo ; deux manuscrits de la bibliothèque du roi, l’un français, l’autre latin, y sont fidèlement reproduits, avec un relevé très exact des variantes qu’offrent, pour les noms propres, quatre autres manuscrits français, trois latins, un italien, et l’édition donnée par Ramusio en cette dernière langue. Ce volume, déjà digne sous ce rapport de l’attention des bibliophiles, est surtout précieux en ce qu’il offre, selon toute apparence, le texte original de la relation du célèbre Vénitien, telle qu’elle fut rédigée par Rusticien de Pise, pendant la détention du voyageur.

Le second volume, consacré à des miscellanées, et mis sous presse dès la fin de 1824, n’a été terminé qu’à la fin de 1827. Le morceau le plus étendu de tout le volume est un mémoire de M. Warden sur les antiquités des États-Unis, principalement sur ces vestiges de castramétation qui couronnent les hauteurs de la vallée de l’Ohio, et qui accusent, comme les monumens du Mexique, l’existence de peuples anciens civilisés, dont il ne reste plus aujourd’hui que ces traces presque effacées.

Le troisième volume de ce recueil, publié en 1830, ne comprend que l’orographie de l’Europe par M. Bruguières, ouvrage couronné au concours de 1826, ainsi que nous l’avons dit plus haut.

Deux autres volumes sont sous presse depuis long-temps, et doivent contenir : l’un, une traduction complète, par M. Amédée Jaubert, de l’œuvre géographique du célèbre schéryf Mohhammed el Edrysy, dont le monde savant ne possède encore qu’un abrégé, publié en arabe à Rome, et traduit en latin par les deux Syriens Gabriel Sionite et Jean Hesronite sous le titre peu convenable de Geographia nubiensis ; l’autre, des miscellanées, dont la première est un fragment géographique écrit en latin, et intitulé Mirabilia descripta per fratrem Jordanum, ordinis prœdicatorum, oriundum de Severaco, in India majore episcopum Columbensem. Le manuscrit original, en caractères gothiques sur parchemin, appartient à la riche collection de M. Walckenaer, et paraît antérieur au xve siècle. Quant à la date des voyages du frère Jourdain de Severac, on peut conjecturalement la rapporter au xiiie siècle. Son récit contient une description sommaire de la Grèce, l’Arménie, la Perse, l’Arabie, l’Inde et la Tartarie. Ce fragment seul est imprimé en ce moment ; il doit être suivi d’une relation espagnole du voyage à l’île d’Amat (Taïti) et aux îles adjacentes, fait en 1774 par un capitaine de paquebot, de conserve avec la frégate el Aguila, commandée par le capitaine don Domingo de Bonechea, le découvreur de ces îles.

Le Bulletin mensuel de la Société de géographie est une publication moins importante que la précédente ; uniquement destinée, dans le principe, à constater les opérations de la commission centrale, elle fut rendue bientôt plus intéressante par l’insertion des nouvelles et des documens géographiques de toute espèce obtenus par correspondance ou communiqués dans les séances ordinaires, et classés sous différens titres afin de les coordonner ; malheureusement le plan qui avait été adopté pour l’amélioration de ce recueil n’a jamais été qu’imparfaitement rempli, quelques parties ont été négligées, puis oubliées complètement, de sorte que le Bulletin n’est plus qu’une espèce d’album ouvert à des mélanges géographiques, au lieu de constituer, comme il nous semble que cela devrait être, un véritable mémorial où les géographes trouveraient chaque mois un relevé complet de toutes les découvertes et de toutes les publications qui intéressent la science. Vingt volumes de ce recueil ont été déjà publiés, et constituent une première série qui se termine avec l’année 1833. Ils sont trop connus pour que nous ayons à détailler ici les matériaux qu’ils renferment. L’espace d’ailleurs nous est limité, et nous devons le réserver aux travaux des sociétés étrangères, sur lesquelles nous allons maintenant jeter un coup d’œil.

L’Angleterre a surtout le droit de réclamer, sous ce rapport, notre attention et nos éloges. La célèbre Association africaine, formée à la fin du siècle dernier dans le but d’explorer l’Afrique, dont l’intérieur semblait obstinément fermé à nos investigations, a glorieusement ouvert et entrepris de parcourir une carrière périlleuse, où se pressent les noms de Mungo-Park, de Hornemann, de Brown, de Clapperton, de Lander et de tant d’autres, qui, pour la plupart, ont augmenté la liste déjà si nombreuse des martyrs de la science. Cette association est aujourd’hui fondue dans la Société royale géographique de Londres, qui s’est formée à l’instar de celle de Paris dans le courant de l’année 1830.

Pleine de jeunesse et de vigueur, placée au centre d’un mouvement commercial et maritime immense, la Société anglaise est en position d’obtenir des résultats plus étendus et plus faciles que celles du continent. Néanmoins, malgré des circonstances si favorables, elle n’a encore produit, après trois années de travaux, que trois volumes, qui, tout importans qu’ils soient, présentent moins de documens nouveaux que nous n’avions droit de l’attendre. Ils sont intitulés : Journal de la société royale géographique de Londres : peut-être eût-il été plus exact et plus convenable de préférer le titre d’Annuaire ou d’Annales pour un recueil qui ne paraît qu’une fois l’an, et qui est le résultat de séances semi-mensuelles. Les matériaux y sont classés en trois sections ; la première contient les mémoires lus devant la société ; la seconde des analyses d’ouvrages ; et la troisième, sous le titre de Miscellanées, diverses pièces d’une médiocre étendue.

Déjà, dans le temps, la Revue des Deux Mondes[4] a donné un aperçu analytique des principaux travaux consignés dans le premier volume, et qui ont pour objet la colonie de Swan-River, les îles Columbretes, New-Shetland et Keeling, la navigation de la mer Noire, le voyage de Washington à Marok, et celui de Lander aux bouches du Kouara. À ces documens d’un grand intérêt géographique se trouvent réunies quelques observations du capitaine de vaisseau Parker-King sur l’extrémité méridionale de la Terre de Feu et le détroit de Magalhaens ; une notice extraite des papiers de l’intrépide voyageur Moorcroft, assassiné sur la route de Boukhara en mars 1825 ; l’analyse du voyage du capitaine Beechey dans l’Océan pacifique et au détroit de Behring ; celle de la relation d’une visite à la cour de Suède par James Burnes ; quelques remarques sur la côte d’Arracan, et diverses autres pièces d’une moindre importance.

Le second volume, qui a paru à la fin de 1832, étant à peine connu en France, si ce n’est de quelques amateurs, nous croyons devoir nous y arrêter quelques instans, et signaler les pièces principales qu’il contient. Sa partie la plus importante se compose de onze mémoires ou papers lus devant la société ; viennent ensuite quatre analyses d’ouvrages édits ou inédits, et, sous le titre de Miscellanées, dix articles de moindre étendue : en tout vingt-cinq pièces, dont nous allons signaler celles qui nous paraissent les plus dignes d’attention.

Un article préliminaire rappelle les prix mis au concours par la société ; tous accusent une intelligence parfaite des vrais besoins de la géographie pratique, une volonté ingénieuse d’en populariser les procédés ; et nous ne pouvons qu’applaudir au choix des sujets[5].

Le premier mémoire, et l’un des plus remarquables, est celui de M. Martin Leake, sur cette question tant de fois agitée, tant de fois résolue en sens contraires, si le Niger, Nigeir ou Nigris des anciens, est le même fleuve que le Jolibâ de Mungo-Park, le Kouârâ de Clapperton et de Lander. Le travail de M. Leake est certainement plein d’érudition, d’observations judicieuses, et nous sommes disposé à partager son opinion sur plusieurs points ; mais quant à la question principale, nous sommes loin de penser qu’il l’ait éclaircie, et nous aurions à relever plus d’une hérésie dans ses opinions, surtout en ce qui concerne l’examen des résultats donnés par Ptolémée : nous nous bornerons à remarquer qu’il s’appuie principalement sur l’identité du cap Arsinarium des anciens avec le cap Vert des modernes, ce qui est radicalement impossible, puisque le géographe grec indique ce promontoire précisément en face des îles Fortunées, et même à une plus haute latitude que deux de ces îles ; de sorte que loin d’aller jusqu’au cap Vert, il faut s’arrêter au cap Jaby, ou tout au plus atteindre le cap Bojador. Dès-lors c’est dans les ramifications de l’Atlas que se trouvent nécessairement les monts Sagapola et Mandros, ainsi que le mont Ousargala, où le Bagradas (le Megerdah actuel) prend sa source ; et par conséquent le Nigeir de Ptolémée, qui naît au mont Mandros, et qui reçoit des affluens venant des monts Sagapola et Ousargala, ne saurait se trouver par-delà le désert, d’où il suit que le lac de Libye, dans lequel il se jette, ne peut, sans erreur, être rapporté au lac Tchâd. En vain le savant auteur du mémoire essaie d’échapper à l’argument qui ressort de la brièveté du cours du Megerdah, en supposant deux fleuves Bagradas, l’un coulant vers la mer, l’autre vers l’intérieur ; le texte de Ptolémée ne lui laisse pas cette ressource, puisqu’il conduit, sans interruption, l’unique Bagradas qu’il mentionne, depuis le mont Ousargala jusqu’à la mer. M. Leake a reconnu, avec plus de justesse, que l’expédition de Suetonius Paulinus au-delà de l’Atlas n’a pu atteindre d’autre fleuve Ger (Pline dit Niger) que l’un des torrens du versant méridional de ces hautes montagnes, le même sans doute, que le Maure Léon désigne sous le nom de Gir. Nous sommes loin, cependant, de prétendre que les anciens n’aient eu aucune connaissance du Joliba ou Kouâra, car nous croyons volontiers, avec Rennel et M. Leake, que c’est à ce fleuve qu’il faut rapporter les vagues indices procurés par le voyage des cinq jeunes Nasamons d’Aougelah, et recueillis par Hérodote. Nous admettons aussi qu’au même fleuve s’appliquent peut-être aussi les vagues informations de Pline sur ce Nigris, soumis, comme le Nyl d’Égypte, à des crues périodiques ; mais les argumens de M. Leake ne nous ont point convaincu que les détails de Ptolémée fussent pareillement applicables au Kouâra : il a laissé entières les objections que son premier soin eût dû être de combattre.


Les mémoires suivans ont peu d’étendue, et n’offrent pas, en général, des résultats très importans pour la géographie ; il nous suffira de les signaler en peu de mots : telles sont des notes sur le désert oriental de l’Égypte par M. Wilkinson, et une courte analyse de son excursion en 1823 sur le Bahhr-Yousef ; une notice de M. Loudon sur la vallée méphitique ou Guevo-Upas, près de Battar, dans l’île de Java ; une autre de M. Hamilton sur le lac d’Amsancto, dans le royaume de Naples ; le récit de diverses excursions exécutées en 1830 et 1831 dans la Guyane anglaise par MM. Hillhouse, Tichmaker et Alexander, récit qui contient quelques détails curieux sur les Indiens de ces contrées, mais d’un intérêt géographique fort médiocre ; quelques remarques sur la navigation des îles Maldives, qui, malheureusement, ne répondent pas à la célébrité justement acquise de leurs auteurs, M. James Horsburgh, hydrographe de la compagnie des Indes, et M. le capitaine de vaisseau W. Owen : elles prouvent seulement que l’hydrographie de ces îles est encore à faire, et qu’il faut recourir, pour les étudier, à d’anciens journaux de navigation, ou au voyage de Pyrard de Laval (publié à Paris en 1679) ; enfin un article fort bref sur le pays des Cossyah, au nord-est de Calcutta, où les Anglais ont établi, en 1831, un dépôt de convalescens près de Chirrah, à 25° 12′ lat. N. et 91° 35′ long. E., du méridien de Greenwich.

À ces documens succède un mémoire d’un grand intérêt : c’est un aperçu des progrès des découvertes dans l’intérieur de la Nouvelle-Galles du sud, rédigé par M. Allan Cunningham, l’un des voyageurs qui ont le plus contribué à l’exploration de cette partie de l’Australie ; une carte où sont tracées la plupart des lignes de route ajoute un nouveau prix à ce morceau. Tous ces itinéraires offrent dans leur ensemble un développement de plus de deux mille quatre cents lieues, et à peine font-elles connaître la septième partie du territoire compris dans les limites de la Nouvelle-Galles du sud.

Une notice de quatre pages, accompagnée d’une petite carte, est consacrée à la Nouvelle-Zélande ; l’une et l’autre sont insignifiantes, en regard des beaux travaux du capitaine Dumont d’Urville.

Nous sommes ramenés en Afrique par le mémoire suivant, qui contient le récit d’une excursion de MM. Browne, Forbes et Kilpatrick, officiers à bord du Leven, pendant la campagne du capitaine Owen. Leur but était d’explorer le fleuve Zambeze ; ils le remontèrent jusqu’à Senna, dont le lieutenant Browne détermina la position à 17° 30′ sud et 35° 38′ 8″ est de Greenwich. Les renseignemens recueillis par ces voyageurs sur quelques points de l’intérieur sont trop peu nombreux et trop vagues pour être d’une utilité réelle, et n’ajoutent que bien peu de chose à ceux publiés par Bowdich et ses devanciers.

Enfin quelques remarques sur Anegada, l’une des îles Vierges, et témoin de tant de naufrages, terminent la série des lectures faites devant la Société géographique. Leur auteur, M. de Schomburk, membre de la Société d’horticulture de Berlin, a en outre tracé une carte à grand point de ces îles, où le brassiage est soigneusement indiqué, et qui est sans doute destinée à une publicité prochaine.

La section des analyses s’ouvre par un document relatif à la géographie africaine, document communiqué par M. Leake, et que la France a droit de revendiquer, puisque ce n’est que la traduction abrégée d’une relation du voyageur Adolphe Linant, contenant la relation d’une excursion sur le Bahhr-Abyadh ou Nyl-Blanc, avec des observations générales sur cette rivière, et quelques notes sur le district compris entre le Nyl-Bleu et l’Atbarah, district qui, peut-être, fut l’antique île de Méroé. Il est à regretter que la relation de M. Linant, imprimée en entier pour l’usage des membres de l’African Association, n’ait point été reproduite intégralement dans le volume dont nous parlons.

Une analyse faite par le révérend M. Renouard, de l’essai du docteur Martius sur la Constitution sociale (Rechts-Zustande) des aborigènes brésiliens, celle d’une notice sur les Indiens de la Guyane par M. Hillhouse, une troisième, sur deux brochures relatives à la navigation du Rio de la Plata et du Rio Vermejo, complètent la section qui nous occupe en ce moment.

Parmi les Miscellanées nous signalerons les pièces les plus importantes : d’abord le récit d’une tentative d’expédition dans l’intérieur de l’Afrique, entreprise au commencement de 1832 par M. Coulthurst. Ce voyageur se rendit à Fernando-Pô, où le colonel Nicholls, qui avait d’intimes relations avec le chef du Kalbar (connu des Européens sous le nom de duc Ephraïm), lui procura des facilités pour se rendre chez ce prince, d’où il devait s’avancer à travers le pays d’Enyong jusqu’à celui d’Ebo, et gagner ensuite Fondah pour de là se diriger sur le Bahhr-Abyadh. M. Coulthurst ne put parvenir qu’à Ebo, dont le chef ne voulut pas le laisser passer outre ; il revint sur ses pas, et mourut avant d’atteindre Fernando-Pô. Sous le titre d’informations récentes de l’Australie se présentent ensuite plusieurs fragmens de correspondance, dont les uns forment une espèce d’appendice au mémoire de M. Cunningham, et les autres sont relatifs à la colonie de Swan-River. À ces derniers, qui sont dus au lieutenant gouverneur Stirling, est jointe une carte où sont tracées les lignes de route suivies par diverses explorations ; mais il est à regretter qu’on ait omis d’ajouter à ces détails un aperçu historique sur la nouvelle colonie, analogue à celui de M. Cunningham sur l’Australie orientale. Enfin, le dernier article des miscellanées et du volume est une note peu étendue sur l’expédition envoyée à la recherche du capitaine Ross, qui est enfin de retour après quatre années de séquestration dans les mers arctiques.

Le volume publié en 1833, en deux livraisons, ne nous paraît point offrir le même degré d’importance que les précédens. La relation d’un jour dans l’Adherbaydjân et sur les bords de la mer Caspienne, par le colonel Monteith, occupe à elle seule plus de moitié du premier fascicule ; la petite carte qui y est jointe n’est donnée que comme une sorte de prospectus d’une plus ample, en quatre feuilles, que la Société géographique a fait graver à ses frais. Les routes du voyageur sillonnent les possessions turkes, russes et persanes de la région caucasienne, et s’appuient sur des observations astronomiques assez nombreuses ; mais les cartes russes de ces contrées, sans porter préjudice au mérite effectif du travail de M. Monteith, lui ôtent pourtant cette nouveauté qui, à tort ou à raison, fait le principal attrait des publications géographiques.

Quant aux autres pièces renfermées dans le premier demi-volume, elles sont toutes peu étendues, et nous n’avons guère à les signaler que par leurs titres. Ce sont : une description de la rivière Usumasinta, dans le Guatemala, par le colonel don Juan Galindo ; une note, désormais dénuée d’intérêt, sur la route par laquelle le capitaine Back devait marcher à la recherche de Ross ; un mémoire, où se révèle une érudition médiocre, sur les communications des rivières de Cazamanse et de Gambie, en Afrique ; des observations du lieutenant de vaisseau James Wolfe sur le golfe d’Arta en Grèce, en tête desquelles on a eu raison d’avertir que les opinions de l’auteur sur l’application des noms de villes anciennes aux ruines par lui visitées ne sont que des hypothèses contestées, et fort contestables en effet ; puis, une notice sur la plus orientale des îles Falkland, par M. Woodbine Parish ; ensuite un récit, dramatique si l’on veut, mais très médiocrement géographique, de l’ascension accomplie en 1832, par quelques officiers anglais, jusqu’au sommet presque inaccessible du rocher connu sous le nom de la Botte à Pierre, à l’île Maurice ; enfin la relation des récentes découvertes du capitaine baleinier John Biscoe, qui, dans une navigation antarctique moins avancée pourtant que celles de Weddel et de Cook, a reconnu de grandes terres australes auxquelles il a imposé les noms d’Enderby et de Graham, indépendamment de quelques îles dans le prolongement des New-South-Sethland : l’intérêt de ce récit rachète à lui seul le peu d’importance de la plupart des documens qui le précèdent.

La seconde livraison, beaucoup plus considérable que l’autre, complète la série des papers lus devant la Société, par trois pièces, dont la première et la plus étendue est le résumé d’un Mémoire géographique sur l’Indus, par le lieutenant Burnes ; il y faut joindre, comme appendice, une note, rejetée parmi les miscellanées, sur la construction d’une carte de l’Indus, entre Lahor et la mer, par le même officier : le mémoire original de M. Burnes, dont nous avons sous les yeux un exemplaire lithographie, est trop peu répandu pour que le résumé publié par la Société anglaise n’ait pas le mérite d’un document de première main. Viennent ensuite des extraits de rapports officiels sur la petite colonie anglaise de l’île Pitcairn ; la géographie proprement dite n’y est guère intéressée, non plus qu’à la pièce suivante, extraite du journal privé du capitaine Waldegrave, pendant une croisière dans l’Océan pacifique, en 1830 ; mais ce sont des nouvelles que les lecteurs de voyages sont bien aises de recevoir de leurs connaissances de la mer du Sud.

Cinq Analyses d’ouvrages nous rendent compte tour à tour des explorations du capitaine de vaisseau W. Owen aux côtes d’Afrique, et de celles du capitaine d’infanterie Sturt dans l’intérieur de l’Australie (la Revue des deux Mondes a déjà entretenu ses lecteurs de ces deux importans ouvrages[6]) ; d’une notice sur la rivière Maha-Villaganga, la plus considérable de celles de Ceylan ; d’un Mémoire du capitaine Chesney, sur la navigation de l’Euphrate comme moyen de communication avec l’Inde ; enfin, d’un Essai physico-géographique sur les lacs, qui se trouve reproduit dans l’Aide-mémoire du voyageur, par le colonel Jackson : il faut annexer à ce dernier travail une note du même officier, comprise dans les miscellanées, et qui a pour sujet particulier le phénomène des seiches ou marées des lacs, qui n’a encore été remarqué que sur le Léman et quelques autres lacs de la Suisse.

Sans reparler de ce que nous avons déjà indiqué parmi les miscellanées, il nous reste à énumérer encore d’assez nombreuses pièces de cette dernière section ; elles sont en général fort courtes, d’un intérêt peu saillant, et il nous suffira d’en parcourir les titres : — De la position de l’ancienne Suse ; — des avantages de Cochin comme place de commerce ; — d’un projet de communication entre les deux océans par le lac de Nicaragua ; — brève esquisse de Mombase et de la côte voisine ; — note sur les pêcheries de perles dans le golfe Persique ; — notice sur les Caraïbes de l’Amérique centrale ; — extraits de la relation (édite) du missionnaire Gutzlaff, voyageur à Siam et en Chine ; — abrégé d’un mémoire de M. Cooley, sur la civilisation des tribus voisines de la baie Da Lagoa ; — enfin, quelques articles réglementaires sur l’affiliation, à la Société géographique métropolitaine, des diverses sociétés de même nature qui pourraient être formées dans les colonies anglaises.

Ainsi que la France et l’Angleterre, l’Allemagne possède aussi une Société de géographie, fondée en 1828 à Berlin, et composée de trente membres à la tête desquels est le savant Ritter. Quelque désir que nous ayons de faire connaître ses travaux, nous sommes obligés de nous borner à constater son existence, car nous avons cherché en vain, même dans les journaux allemands spécialement géographiques, quelques lumières sur cette association, qui compte cependant parmi ses membres plusieurs noms fort distingués, mais qui paraît malheureusement livrée à une mesquine coterie.

L’Inde anglaise a vu se fonder également une société géographique dont le siége est à Bombay, et qui a tenu sa première réunion au commencement d’août 1832, sous la présidence de sir Charles Malcolm. Trop récente pour avoir pu effectuer de nombreux travaux, du moins n’a-t-elle pas dérobé ses transactions à la publicité de la presse périodique. Le Bombay Gazette a donné une indication succincte de trois morceaux qui y ont été lus, et qui consistent en une dissertation sur la distribution géographique et l’emplacement des dix tribus captives d’Israël ; un mémoire sur le Sinde ; et une notice peu étendue, mais curieuse, dit-on, dans laquelle le lieutenant Wellslead, de la marine de l’Inde, établit, d’après le résultat de fouilles qu’il a fait exécuter en Égypte, le véritable site de l’antique ville de Bérénice. Nous sommes sans nouvelle des travaux ultérieurs.

Dépôts géographiques et hydrographiques nationaux et étrangers.

À côté, peut-être au-dessus des sociétés géographiques, dont la création est due au zèle des particuliers, et qui ne reçoivent des gouvernemens qu’une protection, utile il est vrai, mais limitée, il existe d’autres institutions qui, se liant aux intérêts les plus vitaux des nations civilisées, tels que le commerce, la défense du territoire, etc., sont l’ouvrage des gouvernemens eux-mêmes, et sont entretenues par eux à grands frais, sous les noms de dépôts de la guerre, de la marine, bureaux des longitudes, de l’amirauté, etc. Ces institutions, embrassant la science sous des points de vues plus spéciaux, ont puissamment contribué à ses progrès. Sous ce rapport, la France n’a rien à envier aux autres nations. Il suffit de nommer le Dépôt de la guerre et celui de la marine pour rappeler les plus magnifiques travaux de géographie spéciale dont un peuple puisse s’enorgueillir.

Le Dépôt de la guerre est une école d’application de géographie militaire où les ingénieurs-géographes de l’armée (quelque titre officiel qu’on leur donne) viennent puiser le complément d’instruction nécessaire à leur destination toute spéciale. Naguère ils formaient un corps distinct de toutes les autres armes ; maintenant ils sont réunis à celui d’état-major, qui, parmi ses études, comprenait aussi des notions de géodésie et de topographie militaire. Cette fusion pourra être utile au corps d’état-major, en rendant plus fortes et plus suivies les études de ce genre ; mais il est à craindre qu’elle ne soit funeste à cette supériorité de nos ingénieurs-géographes que nous enviaient les étrangers, et qui menace de s’éteindre avec les hommes spéciaux sur lesquels elle s’appuie encore.

Le Dépôt de la guerre, outre les belles cartes qu’il produit, publie d’année en année, sous le titre de Mémorial du dépôt de la guerre, une série de volumes contenant les préceptes et les méthodes les plus propres à diriger les opérations pratiques des officiers en campagne et le résultat des grandes opérations effectuées. Six volumes de ce Mémorial sont déjà publiés. Les deux premiers, réimprimés en 1829 et 1831, sont les plus riches en matériaux pour la géographie générale, ainsi que le sixième, dû en entier au colonel Puissant, et formant la première partie d’un grand travail qui a pour titre : Nouvelle description géométrique de la France, ou Précis des opérations et des résultats numériques qui servent de fondemens à la nouvelle carte du royaume ; admirable travail qui offre une masse de plus de quarante mille positions déterminées par leurs trois coordonnées de latitude, longitude et altitude.

Alger, la Grèce, l’Asie-Mineure, ont été le théâtre des plus récentes explorations militaires. Le dépôt de la guerre a donné, comme un simple aperçu, une esquisse de l’état d’Alger, dont on doit à M. Rozet, capitaine d’état-major attaché à l’armée d’Afrique en qualité d’ingénieur-géographe, une description plus étendue. M. le chef d’escadron Filhon a dressé une carte détaillée des parties visitées par nos officiers, et M. le colonel Lapie vient de rédiger une carte générale de toute la régence, au moyen des informations recueillies depuis l’occupation française. M. Bory Saint-Vincent dirige la publication d’une exploration scientifique de la Morée, dont la partie géographique est l’œuvre des ingénieurs-géographes Peytier, Puillon-Boblaye et Serviez. Quant à l’Asie-Mineure, M. Callier y poursuit les reconnaissances qu’il avait commencées de concert avec M. Stamaty, si prématurément enlevé aux sciences géographiques.

Le Dépôt de la marine n’a point de mémorial pour recueillir et conserver l’histoire de ses travaux. Trop long-temps il s’est borné à publier exclusivement des cartes et des instructions nautiques ; puis il a admis quelques légendes explicatives sur les premières : et enfin il semble s’être décidé à les accompagner, désormais, de mémoires sur les bases de leur construction. Les Annales maritimes et coloniales, qui paraissent sous le patronage du département de la marine, les Additions à la Connaissance des temps, et quelques publications séparées, offrent une série assez riche de mémoires nautiques propres à faire connaître, bien qu’imparfaitement, les travaux de l’hydrographie française, la plus consciencieuse de toutes. Il suffirait, pour en fournir la preuve, de citer le relèvement des côtes de France entrepris et poursuivi sans relâche par le corps presque tout entier des ingénieurs-hydrographes de la marine, sous la direction de M. Beautemps-Beaupré ; le mémoire spécial qui offre le compte analytique de ses opérations, celui dans lequel M. Daussy a exposé les résultats des triangulations géodésiques qu’il a effectuées, et le tableau général des sondes d’attérages rédigé par M. Le Saulnier de Vauhello, présentent dans leur ensemble l’histoire de cet excellent travail.

Outre ces mémoires spéciaux, on doit à la marine les relations des grands voyages de circumnavigation entrepris dans un but scientifique. En douze années, cinq publications différentes d’une grande importance ont été entreprises et suivies au Dépôt de la marine, et la plupart sont terminées ou fort avancées en ce qui concerne la partie géographique et nautique. La partie historique, confiée aux soins des divers chefs d’expéditions, est beaucoup moins avancée ; et, à cet égard, il faut avouer que les derniers venus se sont montrés les plus diligens, puisque M. d’Urville est sur le point d’achever, et que M. Laplace a déjà fort avancé sa publication.

C’est dans les relations mêmes de ces grandes entreprises qu’il faut chercher les résultats qu’elles ont eus pour la connaissance du globe, et surtout du grand Océan, que toutes avaient pour but principal d’explorer. Qui ne connaît les noms des bâtimens qui les ont exécutées, et des chefs intrépides qui les commandaient : l’Uranie (M. Louis de Freycinet, 1817-1820) ; la Coquille (M. Duperrey, 1822-1825) ; la Thétis (M. de Bougainville, 1824-1826) ; l’Astrolabe (M. Dumont d’Urville, 1826-1829), et la Favorite (M. Laplace, 1830-1831) ? Tous ont noblement accompli leur tâche.

D’autres expéditions moins importantes ont également enrichi notre hydrographie de notions plus ou moins étendues, recueillies dans les Annales maritimes ; telles sont celles de la Cléopâtre (M. de la Ville-Hélio, 1821-1823), de la Bayonnaise (M. Legoarant de Tromelin, 1826-1829), de la Chevrette (M. Fabre, 1827-1828), auxquelles il faut joindre des explorations plus restreintes, telles, entre autres, que les observations topographiques et nautiques faites à bord du Dragon par M. le capitaine de frégate Lachelier, sur la côte de Malaguette en 1824 et 1825, entre l’île Scherbro et le cap des Palmes.

Le Bureau des longitudes est un autre établissement tout géographique aussi dans son but, bien que ses travaux n’en aient pas toujours le caractère immédiat. Son attribution spéciale est la rédaction des éphémérides astronomiques si connues du monde entier sous le nom de Connaissance des temps, à la suite desquelles se trouvent chaque année, sous le titre d’Additions, des mémoires d’un haut intérêt pour les sciences géographiques. La première partie de cet ouvrage reproduit annuellement une table des principales positions géonomiques du globe, où la nécessité de nombreuses corrections se faisait depuis long-temps sentir, et dont la refonte complète était vivement désirée : cette révision tant attendue a été courageusement entreprise par M. Daussy dans le volume nouveau.

Quant aux établissemens étrangers du genre de ceux qui précèdent, nous n’avons pas la prétention d’énumérer tous ceux que possèdent la plupart des états de l’Europe, et qui sont en général dirigés les uns par des officiers d’état-major, les autres par des officiers de marine. Mais il y aurait injustice à ne pas faire une mention toute spéciale des travaux hydrographiques des Anglais. L’amirauté de Londres est habituellement très-soigneuse de tenir ses cartes au courant des découvertes nouvelles, sans parler des reconnaissances nautiques qu’elle a fait effectuer, telles que celle de la Méditerranée par le capitaine Smyth, celle des côtes d’Afrique par le capitaine Owen, celle de l’extrémité méridionale de l’Amérique par le capitaine Parker-King, et celle des côtes d’Irlande qui se poursuit sous les ordres du commandant Mudge ; à quoi il faut ajouter les expéditions qu’elle a envoyées dans les mers polaires, australes et boréales, sous le commandement de Weddell, de Parry, de Franklin, de Beechey et de Ross. Pour les mers de l’Inde, le nom de Horsburgh est classique.

Mais à côté de ce juste tribut d’éloges que nous nous plaisons à payer à l’hydrographie anglaise, nous nous hasarderons à exprimer quelque crainte que le désir de faire mieux que les devanciers n’ait donné quelquefois une propension légère à faire autrement qu’eux, et n’ait ainsi entraîné dans certains cas à adopter des configurations de cotes qui, pour être plus nouvelles, n’en seraient pas meilleures : ce doute nous est venu principalement à l’inspection de certaines parties des travaux d’Owen ou de ses collaborateurs. Enfin, nous exprimerons le vœu que les cartes de l’amirauté anglaise soient à l’avenir accompagnées de notices sur les bases de leur construction.

Le Comité scientifique de l’amirauté russe, qui a dirigé les voyages de Bellingshausen, Kotzebüe, Wrangel, Lütke, et auquel on doit le beau travail de l’amiral Krusenstern sur le grand Océan, mérite aussi une mention particulière.

Le Dépôt hydrographique de Copenhague, qui donne de belles cartes des côtes du Danemarck, et qui a publié les travaux du capitaine Graah sur les côtes du Groënland ; celui de Stokholm, qui a produit d’excellentes cartes de la Baltique ; celui de Madrid, qui a fourni les matériaux du bel ouvrage de M. de Navarrete sur les navigations des Espagnols, doivent pareillement être signalés. Une institution semblable manquait aux États-Unis ; elle vient d’y être créée sous le titre de Lycée naval.

Les Bureaux géographiques de la tour de Londres et de la Compagnie des Indes, le Bureau topographique de Berlin, l’Institut géographique militaire de Vienne et celui de Milan, le Dépôt de l’état-major de Saint-Pétersbourg, le Bureau royal de topographie de Naples, les établissemens analogues enfin de presque toutes les capitales de l’Europe, ont produit de bonnes cartes des états auxquels ils appartiennent ; c’est à ce genre de publications que se bornent, pour ainsi dire, leurs travaux. Au premier rang nous citerons la carte en dix-sept feuilles des possessions britanniques dans le nord de l’Amérique, accompagnée d’une description topographique et statistique en deux volumes in-4o, le tout publié à Londres, en 1832, par le colonel (français) Bouchette, ingénieur général du Canada, et la grande carte de l’Hindoustan qui se publie aussi à Londres, aux frais de la Compagnie des Indes, en cent trente-huit feuilles dont les deux tiers ont déjà paru.

Corporations académiques, Sociétés de missions, Sociétés asiatiques, etc.

L’Institut de France, à qui aucune branche des connaissances humaines n’est étrangère, comprend aussi la géographie dans ses travaux, et deux de ses académies s’en occupent d’une manière plus ou moins directe. La géographie historique et littéraire fait partie du domaine de l’Académie des inscriptions, qui, sous le titre de Notices et Extraits des manuscrits de la bibliothèque du roi, publie, depuis 1787, une collection arrivée en 1831 à son douzième volume in-4o. C’est là que de Guignes, M. de Sacy, Langlès, Abel Rémusat et M. Étienne Quatremère ont déposé le fruit de leurs recherches sur la géographie des Orientaux. À côté de ces recherches, il faut rappeler celles de M. Walckenaer sur l’intérieur de l’Afrique septentrionale, si justement estimées de tout le monde savant.

La géographie mathématique et positive rentre dans les attributions de l’Académie des sciences, soit sous son propre nom, soit en s’unissant à la géométrie et à l’astronomie. Cependant, il faut le dire, la géographie proprement dite n’est pas suffisamment représentée dans le premier de nos corps savans : une demi-section composée de trois membres porte, il est vrai, le titre de Géographie et Navigation ; et si l’on considère que ces trois membres sont : un ingénieur hydrographe, un vice-amiral qui a pour titres scientifiques ses belles reconnaissances des côtes d’Afrique et du Brésil, et un capitaine de vaisseau dont un voyage de circumnavigation a fondé la renommée, on reconnaîtra bien que l’hydrographie est dignement représentée à l’Académie, mais on aura droit d’être étonné de l’oubli total dans lequel est restée la géographie terrestre. Dans l’état actuel des choses, quelques lectures géographiques parviennent bien quelquefois à se faire écouter à l’Institut ; mais là se borne sa coopération à l’avancement de cette science, et nous n’avons ici aucun relevé à faire de ses travaux.

La Faculté des lettres de l’université de Paris possède une chaire de géographie, instituée pour Barbié du Bocage, et aujourd’hui dignement remplie par l’un de ses fils. Dans son cours, M. Guillaume Barbié du Bocage s’est principalement appliqué à tracer l’histoire de la géographie chez les différens peuples depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, en passant en revue les monumens qu’ils en ont laissés. Il a exposé ensuite quelles idées l’illustre Cuvier s’était faites des besoins du haut enseignement géographique, auquel il voulait qu’on pourvût par la création de plusieurs chaires au Muséum, au Collége de France, à la Bibliothèque du roi, indépendamment de celle qui existe à la Sorbonne, de manière que toutes les branches de la géographie eussent un professeur distinct. Peut-être un jour la France sera-t-elle dotée de tous ces cours ; en ce moment, celui de la Sorbonne est le seul qui soit ouvert aux personnes avides d’instruction géographique, et quelque soin que mette le professeur à varier la matière de son enseignement annuel, il est obligé de sacrifier quelques parties de la science étendue qu’il est chargé d’enseigner.

Les sociétés asiatiques de Paris, Londres et Calcutta rendent aussi à la géographie des services éminens, bien que restreints au sol de l’Asie et aux écrits des Orientaux sur les autres parties du monde ; celle de Paris publie ses mémoires sous le titre de Journal Asiatique : une première série de onze volumes a été close à la fin de 1827, et une nouvelle, composée de cahiers mensuels, a commencé avec l’année 1828. Il s’y trouve d’importans documens géographiques dus pour la plupart à M. Klaproth, qui a fait de la Haute-Asie une étude si profonde, et dont les Mémoires relatifs à l’Asie, qu’il publie à part, peuvent être considérés comme le complément des précédens. Tels étaient aussi les Mélanges asiatiques d’Abel Rémusat, si malheureusement interrompus par sa mort prématurée. La société asiatique de Londres, fondée en 1833 sur le modèle de celle de Paris, a aussi ses publications, intitulées Transactions de la société royale asiatique de la Grande-Bretagne et d’Irlande : les deux premiers volumes et une partie du troisième ont seuls paru jusqu’à ce jour. Les documens qu’ils contiennent sur la géographie de l’Asie orientale sont précieux, mais en petit nombre.

Quant à la Société asiatique de Calcutta, instituée dans le but spécial de se livrer à des recherches sur l’antiquité, l’histoire, les arts, les sciences et la littérature de l’Asie, les services qu’elle rend chaque jour l’ont faite un des corps savans les plus célèbres, et les Asiatic Researches sont le recueil le plus précieux que l’on possède sur ces vastes contrées. Dix-sept volumes, dont les deux premiers ont été traduits en français, par les soins de Langlès, ont paru jusqu’à ce jour.

Il s’est formé, depuis 1828, à Londres, comme auxiliaire de la Société royale asiatique, un Comité de traductions orientales (Oriental translations committee), qui a fait aux orientalistes, tant nationaux qu’étrangers, un appel auquel ceux de France, d’Allemagne et même d’Amérique ont répondu. Plusieurs ouvrages géographiques figurent dans cette collection, qui paraît sous les formats in-quarto et in-octavo, tels que les voyages du célèbre Mohhammed-Ebn-Bathouthah, traduits par le docteur Samuel Lee ; ceux de Macaire, par le docteur Belfour ; l’Aperçu général des royaumes (Corée, Lieou-Khieou et Yeso), par M. Klaproth, etc.

Nous arrivons maintenant aux sociétés de Missions, pépinières de voyageurs intrépides que leur zèle apostolique conduit dans toutes les parties du globe, et dont les travaux ont d’autant plus de prix, qu’ils ne sont pas exécutés à la hâte dans des visites passagères, mais sont le fruit de longs séjours et d’études faites à loisir.

Entre toutes les sociétés qui, sous des noms divers, se sont vouées à la prédication lointaine de l’Évangile, celle des Missions-Étrangères, dont le siége est à Paris, tient un rang honorable. Il n’est personne qui n’ait lu le recueil des Lettres édifiantes et curieuses écrites des missions-étrangères. Aux jésuites qui les écrivaient ont succédé, depuis la suppression de cet ordre, les missionnaires de la congrégation des Lazaristes ; et la collection des Lettres édifiantes est continuée par celle des Annales de l’association pour la propagation de la foi, qui paraissent chaque trimestre, à Lyon, par cahiers, formant deux forts volumes en trois années : le sixième a commencé avec l’année 1833. Au milieu des matières religieuses qui forment l’objet spécial de ce recueil, il se trouve souvent des indications que la géographie a intérêt à recueillir, surtout dans les travaux des missions du Sse-Tchouen, du Tong-King, de la Cochinchine et de Siam. C’est à l’un des missionnaires français en Chine, M. Lamiot, que nous devons la traduction, dans notre langue, d’une description du Si-Yu ou des pays à l’ouest de la Chine, insérée dans le Bulletin mensuel de la Société de géographie de Paris, et précédemment citée par extrait dans les Transactions de la Société asiatique de Londres, ainsi qu’un résumé complet de la grande géographie officielle de la Chine, dont la Société de Paris a également publié un fragment. La mission catholique du rit grec que la Russie entretient à Péking a payé aussi son tribut à la science : l’archimandrite Hyacinthe Bitchourinsky, qui en est le chef, a donné, en langue russe, plusieurs traductions du chinois, qui ont ensuite passé dans la plupart des langues de l’Europe : telles sont une description du Tibet, revue par M. Klaproth ; une autre de la Mongolie, et enfin une dernière du Turkestan-Oriental et de la Dzongarie.

Les missions protestantes sont beaucoup plus fécondes en publications ; et, sous ce rapport, l’Angleterre est à la tête du grand mouvement évangélique. L’étendue des pays où les missions protestantes portent leurs prédications est immense, et leurs établissemens sont extrêmement nombreux ; on pourra s’en faire une idée en apprenant qu’il existe vingt-huit associations principales, sans compter un nombre prodigieux de succursales. Les stations qui méritent surtout l’attention des géographes sont celles de l’Afrique méridionale, de l’Inde au-delà du Gange, de la Haute-Asie et de l’Océanie. Sans énumérer ici tous les recueils qui, sous les noms de Proceedings, de Transactions, de Chronicle, de Nachrichten, de Magazine, etc., sont destinés à faire connaître les travaux des missions évangéliques, nous mentionnerons le Missionary Register, consacré à la Société des missions de l’église anglicane, lequel, outre les travaux de cette société, donne habituellement une analyse de ceux des autres institutions de même nature, tant de la Grande-Bretagne que du continent.

Indépendamment de ces écrits périodiques, divers missionnaires protestans ont publié des ouvrages séparés très intéressans pour les sciences géographiques. Les plus importans sont, pour l’Afrique, le Journal d’une visite dans l’Afrique méridionale, publié à Londres en 1819, par M. Latrobe, chargé de l’inspection des établissemens des frères Moraves ; le Voyage dans l’intérieur de l’Afrique méridionale (Londres, 1822), par le révérend John Campbell, envoyé dans un but analogue par la Société des missions de Londres, et surtout les Recherches sur l’Afrique méridionale, qui ont paru en 1828, et qui sont l’ouvrage du révérend John Philip, collègue et compagnon de voyage de Campbell. L’exploration intérieure de cette région a récemment été poussée fort loin par les missionnaires français Rolland, Arbousset et Cazalis.

Pour l’Asie, nous citerons le Journal du voyage à Siam, de Jacob Tomlin et Charles Guztlaff, publié en 1831, par le premier de ces missionnaires, ainsi que le voyage du second dans la Tatarie Mandchoue, imprimé à Canton en 1832 ; les Recherches chrétiennes en Syrie et dans la terre sainte (Londres, 1826), par le révérend William Jowett ; le voyage du docteur Graves à Bagdad, par la Russie, la Géorgie et la Perse, publié en 1831 et 1832 ; enfin, le voyage de Burton et Ward dans l’intérieur de Sumatra, inséré dans les Transactions de la Société asiatique de Londres.

Dans l’Océanie, nous mentionnerons les Recherches polynésiennes de William Ellis, dont une double édition a été donnée à Londres en 1829 et 1831 ; les voyages du chapelain Hervart aux îles Washington et Sandwich, publiés aux États-Unis en 1831 et réimprimés à Londres en 1832, et surtout le journal rédigé par James Montgommery et publié en 1831 du beau voyage exécuté de 1821 à 1829, dans les îles de la mer du Sud, la Chine et l’Inde, par le révérend Daniel Tyermann et Georges Bennet, commissaires de la Société des missions de Londres.

Il ne faut point oublier que ces divers ouvrages ont, avant tout, un but religieux et non scientifique ; il ne faut donc s’attendre à y trouver qu’occasionnellement des notions sur la géographie, et pourtant ces notions sont assez abondantes pour montrer quels résultats intéressans seraient procurés par cette voie, si la science obtenait des associations évangéliques une coopération directe à ses travaux.

Établissemens industriels de géographie.

La France ne possède aucun de ces établissemens organisés sur une grande échelle pour publier des cartes et des documens géographiques. Cette industrie n’est cultivée chez nous que par des hommes isolés, réduits à leurs propres efforts. C’est à l’étranger, et principalement en Allemagne, qu’il faut les chercher.

Au premier rang, nous placerons l’Institut géographique de Weimar, fondé en 1791 par Bertuch, vaste atelier de fabrication de cartes originales, et souvent aussi de contrefaçons dont, au surplus, l’effet principal est de jeter dans la circulation, à des prix modérés, de bonnes copies des meilleures productions graphiques. L’Institut industriel de Weimar s’était adjoint une société de gens de lettres chargée de la rédaction d’un recueil périodique bien connu sous le titre de Allgemeine geographische und statitische Ephemeriden (Éphémérides universelles de géographie et de statistique), paraissant par cahiers hebdomadaires ; mais malheureusement cette utile entreprise est interrompue, sinon complètement éteinte, depuis le commencement de 1831.

Berlin renferme aussi un établissement analogue, celui de Schropp, qui publie un intéressant recueil mensuel, intitulé Kritischer wegweiser, ou guide critique pour la connaissance des cartes et l’avancement de la géographie et de l’hydrographie. Interrompue à diverses reprises, cette publication n’est encore arrivée qu’au 30 juin 1833.

Le grand établissement géographique fondé à Bruxelles en 1829, par M. Van der Maelen, est institué sur des bases plus larges et plus libérales que les deux précédens. Un atlas universel de quatre cents feuilles, un atlas de l’Europe en cent soixante-cinq feuilles, l’un et l’autre gravés sur pierre ; un dictionnaire géographique de la Belgique à raison d’un volume par province, tels sont ses principaux travaux, utiles sans doute pour la propagation des lumières déjà acquises, mais d’une faible influence pour le perfectionnement de la science, qui ne saurait avoir lieu que par les méditations consciencieuses des adeptes.

La formation d’un Institut géographique-artistique a été dernièrement annoncée par M. Gross Hofinger de Leipzig. Son but serait la publication simultanée à Paris, Londres et Leipzig, en français, anglais et allemand, d’ouvrages de toute espèce concernant la géographie. Munich, Nuremberg, Brunswick, Vienne, possèdent aussi de grands établissemens du même genre que ceux qui précèdent ; le premier avait été fondé par Cotta. Il faut ranger dans la même catégorie celui d’Arrowsmith à Londres.

Travaux individuels.

Nous arrivons enfin aux publications particulières, qui sont de deux sortes, les recueils périodiques, et les ouvrages détachés. Pour les premiers, la France est encore à la tête du mouvement géographique, bien qu’elle ait vu s’éteindre quelques-unes de ses publications spéciales, telles que le Journal des voyages qui s’est fondu dans la Revue des Deux Mondes, et le Bulletin des sciences géographiques, fondé par M. de Férussac, et qui a fini avec l’année 1831.

Mais il lui reste les Nouvelles Annales des voyages et des sciences géographiques, continuation des Annales de Malte-Brun, publiées par MM. Eyriès, La Renaudière et Klaproth. Les Nouvelles Annales sont plus spécialement destinées à tenir les gens du monde au niveau des découvertes géographiques, en les dépouillant de l’aridité des détails scientifiques ; elles empruntent beaucoup aux publications étrangères, et peut-être pourrait-on leur adresser le reproche de ne pas indiquer avec assez de précision et d’exactitude les sources où elles puisent leurs matériaux. Cette indication importe fort peu, il est vrai, à une certaine partie des lecteurs, mais les rédacteurs se doivent à eux-mêmes de ne point la négliger.

Les Annales maritimes et coloniales, dont nous avons déjà parlé, ont quelques-unes de leurs sections spécialement destinées à la géographie. Tous nos autres recueils périodiques ne s’occupent de géographie qu’accidentellement, et il serait oiseux de les énumérer.

L’Angleterre, où paraissent des publications sans nombre, et qui peut à juste titre présenter quelques-unes de ses Revues comme des modèles qui n’ont pas encore été surpassés, n’a cependant qu’un seul recueil exclusivement consacré aux voyages et à la géographie, le Nautical Magazine, dont le premier cahier a paru en mars 1832. Quoique l’hydrographie et les voyages sur mer constituent sa spécialité, il accorde parfois quelques articles aux voyages terrestres. Au reste, la géographie et les voyages en général occupent une place distinguée dans les écrits périodiques de toute espèce de nos voisins ; tels sont, à ne citer que les plus importans, le Quarterly Review, où les mémoires géographiques sont fournis par les hommes les plus éminens de l’Angleterre, le Foreign Quarterly Review, l’Asiatic journal, l’Oriental Herald, le Cambrian Quarterly Magazine, l’Edimhurgh Review, le Westminster Review, le Monthly Review, le Monthly magazine, le Metropolitan Magazine, le Dublin university Magazine, le Literary Annalist, l’United service Journal, etc., etc., auxquels il faut ajouter un nombre prodigieux de journaux politiques imprimés sur tous les points des possessions britanniques depuis le Times et le Courier jusqu’au Bengal Hurkaru, au Sydney Gazette, au Hobart-town Courier, etc. En réunissant en un faisceau tous les documens géographiques épars dans cette masse de journaux, on en formerait sans peine une revue très intéressante, en sachant néanmoins distinguer ce qui est réellement neuf de ce qui est ancien, et ne donnant pas pour des nouveautés, comme cela a lieu fréquemment dans quelques journaux que nous pourrions nommer, des fragmens de M. A. de Humboldt ayant dix années de date ou d’autres raretés pareilles.

Outre les recueils que nous avons déjà cités, l’Allemagne possède encore les Annalen des Erd-Woelker- und Statenkunde (Annales de géographie, d’ethnologie et de statistique), que publie mensuellement à Berlin le professeur Berghaus depuis le mois d’octobre 1829, et qui peuvent être considérées comme la suite de la Hertha, qui a cessé de paraître dans la même année. Les Annalen, comme la plupart des autres écrits périodiques allemands, encourent le reproche grave de ne point paraître avec régularité. Cet état de la presse germanique nous tient dans l’incertitude sur une foule d’autres publications que possèdent Vienne, Prague et les principales villes de la confédération, telles que l’Ethnographische archiv de Jéna, le Hesperus encyclopedisches Zeitschrift que Cotta publiait à Stuttgard, etc.

Quant aux journaux des états du nord de l’Europe, nous avouerons ingénuement notre ignorance à leur égard. L’Allemagne et l’Angleterre leur servent ordinairement d’intermédiaire pour faire parvenir jusqu’à nous les documens géographiques qu’ils peuvent renfermer.

Nous ne recevons de la Suisse que la Bibliothèque universelle de Genève, dont deux sections, celle de littérature et celle des sciences, admettent des voyages et des notions sur la géographie. Une Bibliothèque de géographie moderne paraît, dit-on, à Arau par les soins de M. Malten ; mais nous ne la connaissons que de nom.

L’Italie nous offrait jadis dans la Correspondance astronomique, géographique, hydrographique et statistique, du baron de Zach, le meilleur, sans contredit, des recueils périodiques consacrés à la géographie ; aujourd’hui elle ne possède plus que d’assez pâles écrits, tels que les Annali universali di statistica, economia publica, storia e viaggi, etc., la Biblioteca italiana de Milan, et l’Antologia de Florence, où M. Graaberg de Hemsoe insérait parfois d’intéressans articles, mais qui a été supprimée.

Enfin nous mentionnerons, pour les États-Unis, le North American Review de Philadelphie et le Nile’s weekly Register de Boston, comme s’occupant aussi quelquefois de matières géographiques.

Les ouvrages détachés sur lesquels nous allons maintenant jeter un regard sont trop nombreux pour que nous puissions en donner ici une analyse même superficielle. Signaler les plus importans à l’attention du lecteur, afin de lui indiquer les sources où il peut s’adresser pour chacune des parties de la science, est tout ce que nous nous sommes proposé de faire.

La géographie universelle doit d’abord attirer notre attention. Nous avons à citer une nouvelle édition, revue par M. Huot, du Précis de Malte-Brun, le seul encore des ouvrages de cette nature qui ait le privilége d’obtenir une lecture suivie, parce qu’il est le seul où la géographie soit traitée avec une supériorité littéraire réelle. Quelquefois, il est vrai, le fond manque à la forme, car Malte-Brun n’a jamais été un géographe véritablement profond, et bien qu’il échangeât graduellement ce qu’il avait de charlatanisme contre une érudition plus vraie, il se borna toujours à une étude superficielle des sources géographiques, adoptant volontiers les travaux faits, les résultats trouvés, et se contentant de les parer de son style et de les coordonner avec esprit. M. Huot n’a pas dû songer à refaire un livre dont il n’est que l’éditeur, et n’a pu que le mettre au niveau des connaissances actuelles.

Le premier volume de l’Erdkunde du docteur Ritter va, dit-on, être traduit en français. Un second, qui traite de l’Asie, a paru. L’érudition de M. Ritter est profonde et complète, mais non entièrement exempte de ces écarts où sont trop souvent entraînés les esprits aventureux de sa patrie. N’est-ce pas, par exemple, une singulière aberration que de baser une description des peuples et des états de la terre sur une hypothèse d’émersion successive des élévations culminantes, des plateaux et des terrasses, en descendant par étages jusqu’aux plaines inférieures ? Ni les peuples ni les états ne sont certainement ainsi rangés à la surface du globe.

Le système des bassins de Buache était meilleur, et malgré l’extension outrée qu’il lui a donnée, il est resté la base la plus rationnelle de la géographie physique et politique comparée. M. Denaix a entrepris d’en assujétir le développement à une loi de corrélation constante entre l’ensemble du globe et chacune des régions naturelles que circonscrivent les lignes de partage des eaux courantes. Il n’a encore publié du texte de son nouveau cours de géographie générale qu’une introduction, où il se borne à l’exposition de cette loi. Des cartes d’une exécution généralement supérieure à ce qu’offre la géographie marchande, doivent, dans la pensée de M. Denaix, constituer la partie principale de ses publications ; mais un texte est nécessaire à leur intelligence, malgré les annotations nombreuses dont elles sont accompagnées.

L’Allemagne est la patrie des travaux de longue haleine ; nous n’avons parmi nous pour la géographie rien d’analogue aux deux vastes collections suivantes : l’une, publiée à Weimar de 1829 à 1832 sous le titre de Wollstandige handhuch der neuesten erdbeschreibung (manuel de géographie moderne), par Hassel, Cannabich, Ukert, Guths-Muths, Froebel, Gaspari et Kries, qui forme 23 énormes volumes in-8o d’une impression compacte ; l’autre, intitulée Allgemeine erdkunde (géographie universelle), qui paraît à Vienne, et qui aura trente volumes dont douze ont déjà paru. Les rédacteurs sont Cannabich, Niegebaur, Sommer, de Schluben, Wimmer, etc. Toutes deux ne sont autre chose que des magasins de géographie et de statistique.

M. A. Balbi, qui ne prétend point à l’immense érudition de Ritter, ni à la brillante diction de Malte-Brun, a voulu rassembler en un seul volume les notions les plus complètes et les plus récentes sur les diverses parties du globe. C’est surtout dans les communications directes des notabilités de la science que M. A. Balbi a cherché pour chaque contrée les matériaux de son ouvrage, et s’il n’a pas toujours rencontré juste dans le choix de ses autorités, inconvénient inséparable des travaux de compilation, son Abrégé de géographie n’en possède pas moins le très grand mérite d’être au niveau de la science.

À côté des gros volumes il en peut être cité de petits ; ainsi M. Alexandre Barbié du Bocage n’a pas dédaigné de faire pour la Bibliothèque populaire un Traité élémentaire de géographie générale. Malheureusement l’éditeur a voulu avoir deux volumes ; M. Barbié n’en avait fait qu’un, et une main étrangère est venue dilater son ouvrage ; en outre l’éditeur y a ajouté des avertissemens à sa façon, véritables solécismes de science, et voilà comment la géographie est enseignée au peuple. Cependant l’intention était bonne, et elle a produit en même temps un petit atlas en douze planches qui ne coûte que dix sous, et qui vaut beaucoup mieux que les cartes communes du commerce.

À la suite des traités généraux viennent se placer naturellement les dictionnaires géographiques ; ce sont presque toujours de simples entreprises de librairie, où figurent, il est vrai, quelques noms distingués, mais qui sont abandonnées presque en entier à des faiseurs anonymes dont le savoir et le talent sont plus que suspects. Pour que de tels livres pussent inspirer de la confiance, il faudrait que chaque article portât l’indication précise des sources où il a été puisé ; autrement il suffit qu’un seul soit mauvais pour qu’on soit en droit de se méfier de tous.

Ces réflexions nous sont suggérées par le Dictionnaire géographique universel rédigé par une société de géographes, publié chez Kilian et Piquet, en dix volumes doubles ; il contient d’excellens articles et d’autres qui sont mauvais ; à quel signe le lecteur peu instruit distinguera-t-il les uns des autres ? Sans être meilleur peut-être, le Dictionnaire classique et universel de géographie moderne de M. Hyacinthe Langlois, dont une nouvelle édition est annoncée, offre du moins, dans un cadre beaucoup plus restreint (cinq volumes grand in-8o.), une sorte de garantie de ses articles, puisque tous contiennent l’indication des sources où ils ont été puisés. À ces deux dictionnaires nous ajouterons, pour l’étranger, le Nuovo dizionario geografico universale, publié à Venise par une société de gens de lettres, et qui doit avoir dix-neuf volumes, dont onze ont été déjà livrés au public.

Les encyclopédies sont de véritables dictionnaires, soit qu’elles procèdent par traités spéciaux, soit qu’elles adoptent la marche alphabétique en confondant toutes les matières. Parmi les premiers se place la célèbre Encyclopédie méthodique commencée par Panckoucke, il y a quarante ans, et qui a été récemment terminée. Ce grand travail a subi le sort de toutes les entreprises de ce genre ; si l’on en excepte le dernier volume de géographie physique par MM. Desmarest, Bory Saint-Vincent, Huot, etc., tout le reste a vieilli et est aujourd’hui bien arriéré.

Les encyclopédies de la seconde espèce se sont prodigieusement multipliées depuis quelque temps, et nous ne pouvons citer que les plus répandues, telles que, parmi nous, l’Encyclopédie pittoresque à deux sous, à laquelle appartient le premier rang, l’Encyclopédie des gens du monde, le Dictionnaire de la conversation et de la lecture, l’Encyclopédie des connaissances utiles, etc ; en Angleterre, British Cyclopedia, Penny Cyclopedia, Cabinet Cyclopedia du docteur Lardner, l’Edinburgh cabinet library, etc. Tous ces ouvrages, où la géographie occupe une place distinguée, présentent en général le même mélange de bon et de mauvais que nous avons signalé en parlant des dictionnaires.

Les recueils généraux de voyages sont un des moyens les plus efficaces de propager le goût des lectures géographiques, et l’on se rappelle les services qu’ont rendus celui publié par l’abbé Prévost et l’abrégé qu’en donna La Harpe. Parmi ceux de notre époque, il en est un hors de ligne, commencé par M. Walckenaer, sous le titre de Nouvelle histoire des Voyages, et qui contient un grand nombre de relations peu connues, enrichies de notes excellentes. Malheureusement cet ouvrage semble arrêté au vingt-deuxième volume, qui nous laisse sur la côte austro-orientale de l’Afrique.

Dix-neuf volumes d’une Bibliothèque universelle des Voyages, par M. Albert Montémont, ont paru ; et M. d’Urville a entrepris, sous la forme d’un Voyage pittoresque autour du Monde, une publication qui se rapproche beaucoup de cette classe d’ouvrages.

L’Allemagne et l’Italie ont aussi leurs publications de ce genre, et plus volumineuses que les nôtres ; il a déjà été livré au-delà de soixante volumes de la Neue Biblioteck der wichtigsten Reïseheschreibung, etc. (Nouvelle Bibliothèque des principales relations de voyages), qui s’imprime à Weimar, et cent quarante d’un ouvrage analogue qui se publie à Venise sous le titre de Raccolta dei Viaggi piu interesanti eseguiti nelle varie parti del mondo.

Quant aux atlas généraux, celui de Brué est toujours le meilleur de tous et restera long-temps au premier rang, car des hommes consciencieux et infatigables sont de rares phénomènes dans la géographie marchande, d’autant plus rares qu’une mort prématurée est presque toujours le fruit d’un tel dévouement à l’étude et au travail ; c’est là ce qui a tué Brué à l’âge de quarante-six ans !

L’atlas de MM. Lapie père et fils, celui de M. Dufour, ont aussi leur mérite ; mais on y sent davantage la compilation, ainsi que dans l’estimable Hand-Atlas de Stieler (à Gotha), et surtout dans le grand atlas universel lithographie, de Van der Maelen et Ode. Nous ne dirons rien de ceux de Berthe, Vivien, Arrowsmith, etc., etc.

Aux atlas il faut joindre les globes, auxquels nous n’attachons néanmoins qu’une très-médiocre importance. On peut citer comme les mieux construits, ceux de Sotzmann et Wieland, en Allemagne ; d’Adams, Wright et Jump, en Angleterre ; de Coven, en Hollande ; d’Akermann, en Suède. En France, nous avons, outre ceux de Poirson et de Lapie, qui ont vieilli, celui de Dufour, qui est plus récent, et surtout celui de Tardieu, de 18 pouces de diamètre, imprimé sur peau de chevreau, et se gonflant par l’insufflation. M. Benoît, de Troyes, a construit sur un système analogue des globes en papier parchemin, lithographies par Desmadryl, de trois pieds et demi de diamètre, et cependant à portée des moindres fortunes. M. Kummer, de Berlin, pensant que les globes sont faits surtout pour parler aux yeux, a imaginé d’y exprimer les reliefs généraux du terrain et de les peindre en couleurs naturelles, procédé qu’il a étendu à des cartes particulières et à des plans chorographiques, tels que ceux de la Suisse, du Harz, etc. Dans ce dernier développement, M. Kummer n’a fait que renouveler les essais de Lartigue, calqués eux-mêmes sur des ouvrages du même genre, exécutés par les Vénitiens, tels que la carte-relief de l’isthme de Corinthe qui existe à Paris au dépôt géographique du département des Affaires étrangères et qui date de 1697. Un de nos graveurs de cartes, M. Caplin, a tenté à son tour des peintures chorographiques imitatives des reliefs ; mais les pièces de ce genre sont plutôt des objets de curiosité que des élémens réels de progrès pour la science, et nous ne pouvons guère le féliciter de ses essais.

Les travaux d’ensemble sur la géographie des anciens occupent une place trop importante dans la géographie générale, pour que nous les passions sous silence. En Angleterre, une nouvelle édition a paru du Geographical System of Herodotus examined and explained, de l’illustre Rennel, dont sa patrie peut se glorifier comme nous de d’Anville. En Allemagne, terre classique des études historiques, Ukert continue la publication commencée, il y a seize ans, de sa Geographie der Griechen und Roemer, depuis les temps les plus reculés jusqu’à celui de Ptolémée. Parmi nous, M. de La Renaudière a donné un Aperçu de la Géographie ancienne, résumé de travaux consciencieux et étendus, que domine un peu trop, peut-être, une prédilection marquée pour ceux des Allemands, prédilection que justifient, au surplus, les noms d’Ukert, de Woss, de Mannert, de Bretlow, de Reichard. M. de La Renaudière a résumé dans cet ouvrage les débats encore pendans de l’école de Gosselin et de l’école historique sur la géographie mathématique des Grecs, question intéressante et trop négligée dans les études ordinaires, et qu’il a su mettre à la portée de tous les lecteurs.

Bien que nous n’ayons pas l’intention de rappeler ici les ouvrages spécialement destinés à l’éducation, nous ferons une exception, en faveur d’un travail qui mérite d’être placé hors de ligne : l’Atlas de géographie historique, dressé pour servir à l’intelligence de l’histoire ancienne, par M. Poulain de Bossay, professeur d’histoire dans l’un des colléges royaux de Paris. Ce recueil de douze petites cartes d’une exécution plus soignée que ne le sont d’ordinaire les ouvrages de cette nature, est surtout remarquable par les détails neufs qu’il contient. Il constitue la première partie d’un travail qui comprendra successivement l’histoire romaine, celle du moyen âge et l’histoire moderne.

Nous allons maintenant jeter un coup-d’œil rapide sur les diverses parties du monde, et passer en revue les travaux géographiques qui ont été exécutés en dernier lieu sur chacune d’elles.

L’Europe est trop bien connue pour qu’il soit nécessaire de signaler les innombrables ouvrages descriptifs, statistiques, etc., publiés sur chacun des états qu’elle renferme. Les plus saillans des travaux de cette nature doivent seuls nous occuper. À l’Atlas d’Europe, de Van der Maelen, que nous avons déjà cité, nous ajouterons celui de Weiss et Woerl de Fribourg, en 220 feuilles, dont la publication, commencée depuis quinze ans, ne se poursuit qu’avec lenteur.

De beaux travaux ont été exécutés dans ces derniers temps ou se poursuivent en ce moment pour des pays plus ou moins étendus. En France, l’Atlas cantonal du département du Puy-de-Dôme, par M. Busset, n’a point de rivaux pour la magnificence de l’exécution, et l’étendue du plan. En Angleterre, l’Improved map of England, éditée par Bary, en 65 feuilles, est terminée et permet d’attendre avec une impatience moins vive la superbe carte de l’Ordonnance (c’est-à-dire des corps réunis du génie et de l’artillerie), travail officiel exécuté sous les ordres du général-major Mudge et du colonel Colby, dont il n’a encore paru que cinquante-trois feuilles sur environ deux cent cinquante. L’Italie aura prochainement, dit-on, une carte générale en 84 feuilles, dressée par M. Antonio Litta Biumi, qui en a déjà donné une fort belle des États romains. M. Zuccagni-Orlandini vient de terminer son Atlante geographico istorico del gran Ducato di Toscana, qui a vingt cartes. Segato se propose d’en publier de son côté un atlas chorographique, en 165 feuilles, sous la direction du père Inghirami, à qui l’on doit déjà une très bonne carta geometrica della Toscana, au deux cent millième : et M. Benoît Marzolla a donné le royaume des Deux-Siciles en 22 cartes. — En Espagne, le Diccionario geografico y etadistico de Espana y Portugal, de Miñano, si vivement critiqué par Caballero, s’est accru de deux volumes supplémentaires. En Allemagne, la grande carte générale de Reynemann, en 543 feuilles, a dépassé la cent-vingtième. Celle de Stieler, en 25 feuilles, en a déjà livré huit ; la Prusse, d’Engelhartd, en 23 feuilles, est arrivée à son terme ; le Hanovre avec le Brunswick, de Papen, en 67 feuilles, n’en compte encore que six ; l’atlas des cercles de Bohême, de Kreybich, en 16 cartes, a fourni la onzième. La Suède a la carte et la statistique de Forseil ; le Danemarck, l’atlas exécuté par Gliemann, sous la direction d’Abrahamson ; la Pologne, l’atlas statistique, en 6 feuilles, attribué au comte Plater.

L’Amérique, colonie émancipée de l’Europe, que baignent deux océans, et coupée par de grands fleuves, doit, à cette triple circonstance, d’être à peu près connue dans toutes ses parties. L’atlas de Henry Tanner sera long-temps encore, malgré ses imperfections, le travail graphique le plus complet sur les deux parties de ce vaste continent, surtout pour l’Amérique du Nord. L’atlas hydrographique des États-Unis, de Blunt, est aussi fort remarquable. Mme Brué a publié successivement trois belles cartes posthumes de son mari, représentant, l’une les États-Unis, l’autre l’Amérique centrale, et la plus récente, en quatre feuilles grand aigle, toute l’Amérique septentrionale. Quant aux ouvrages descriptifs et aux voyages qui se rattachent à cette partie du monde, après le nom de Humboldt qui domine tous les autres, on peut citer ceux de Thompson, Schiede, Ward, Hardy, Warden, John Tanner et Edwin James, Darby, Luden, Hall, Flinton, Smith et Jackson, Moorson, Garden, Raffinesque, Schoolcraft, etc.

Pour l’Amérique du sud, les travaux de MM. Spix et Martius offrent la meilleure source à consulter ; outre leur carte générale en deux grandes feuilles, publiée à Munich en 1825 et 1828 (reproduite dans celle de Wieland en une feuille, Weimar 1829 ; puis dans celle de Dufour, Paris 1830), et à laquelle il faut joindre un mémoire spécial de M. Desberger (Munich, 1831), ils ont donné successivement plusieurs cartes particulières de l’Amazone et des diverses provinces du Brésil exécutées par M. Schwarzmann d’après les matériaux recueillis tant par eux que par le docteur Eschwege. D’autres cartes spéciales de quelques parties de la République Argentine et de la Colombie ont été publiées à Londres par M. Muñoz et M. Bauza. Brué faisait graver, quand la mort l’a surpris, une carte générale de l’Amérique du Sud dont l’émission sera sans doute prochaine. On attend également avec une vive impatience la publication des travaux de M. Pentland, qui ne sont encore connus que par une notice présentée par lui, depuis long-temps, à l’Académie des sciences. M. Dessalines d’Orbigny vient de rapporter en France de riches collections et de précieuses lumières recueillies chez les Patagons, les Moxos et les Chiquitos. M. Warden a donné, dans la continuation de l’Art de vérifier les dates, une histoire du Brésil, où il a inséré une description de cet empire. Enfin les noms de Miers, Lister-Maw, Auguste de Saint-Hilaire, Parchappe, Bonpland, Roulin, Boussingault et Rivero, rappellent des travaux privés plus ou moins étendus, exécutés dans ces derniers temps sur l’Amérique du Sud.

En ce qui concerne l’Asie, nulle publication n’est plus désirable que celle de la grande carte de l’Asie centrale préparée par M. Klaproth, dont on a pu prendre une faible idée par l’esquisse qu’en a tracée le graveur Berthe sur une carte d’Asie qui a paru en 1820. M. Berghaus a mis en circulation les trois premières feuilles de son atlas d’Asie, qui doit en avoir dix-huit ; ces trois cartes, que l’auteur a eu le bon esprit d’accompagner de mémoires où leurs bases sont exposées et discutées, contiennent : 1o  le golfe Persique d’après les relèvemens des marins de la compagnie des Indes de 1821 à 1825 ; ces opérations ayant été continuées jusqu’en 1831, M. Berghaus n’a produit qu’une œuvre incomplète ; les côtes d’Arabie, surtout, offrent, dans son travail, des lacunes considérables ; 2o  l’Inde ultérieure, d’après sir Francis Hamilton, en profitant des mémoires de M. Klaproth sur l’identité du fleuve du Tubet avec l’Irraouady du Pégou, établie par les auteurs indigènes, indiquée par d’Anville, et méconnue ensuite par Rennel et ses copistes ; 3o  les Philippines et les îles Soulou d’après Malaspina et Espinosa.

M. A. de Humboldt a visité aussi l’Asie, et l’a vue de cet œil supérieur qui saisit à la fois toute une contrée dans tous ses aspects. Les Fragmens de géologie et de climatologie asiatiques sont une œuvre capitale ; à la suite de ce grand nom, nous citerons ceux de Rose et Ehremberg, ses compagnons de voyage ; de Lédebour, Meyer et Bunge, ses devanciers ; de Fédéroff, tout récemment envoyé par l’université de Dorpat ; de Dobell, Hansteen, Ermann, Dowe, Engelhardt et Parrot.

Si des provinces du Caucase qu’ont plus spécialement explorées ces derniers voyageurs, nous passons dans la Turquie asiatique, nous aurons à citer Botta, Prokesch, Guys, Vidal, Robert Mignan ; en Arabie, Burckhardt et Rüppel ; dans les contrées persanes, Frazer, Schulz, Drouville ; dans l’Inde citérieure, Duvaucel, Jacquemont, Burnes et Wolff ; pour l’Inde ultérieure et ses îles, Crawfurd, Richardson, Finlayson, Raffles ; en Chine, Timkowsky, Fuss ; au Japon, Titsing, Golownin, Fischer, Siebold.

L’Afrique, moins accessible, offre de moins nombreux travaux. La belle carte de Berghaus et celle de Brué sont encore ce que nous avons de mieux, bien qu’elles aient besoin d’être revues, car elles sont arriérées et fautives. Celle de l’Afrique septentrionale, publiée à Florence en 1830, par Ségato, et qui ne contient qu’une partie de ce qu’annonce son titre, est l’œuvre d’un homme de talent, qui, dit-on, a été sur les lieux ; mais quoique très remarquable pour la vallée du Nil, elle est erronée pour certaines régions et incomplète pour d’autres. Celle de l’Afrique occidentale, construite par M. Jomard pour le voyage de Caillé, offre, à côté d’améliorations réelles, des erreurs considérables : il faut en dire autant de celle dressée par M. Dufour pour l’histoire générale des voyages de M. Walckenaer ; en un mot, les géographes n’ont pas encore tiré tout le parti possible des notions recueillies sur l’Afrique. Les voyages récens sont peu nombreux dans cette partie du monde, et nous avons déjà eu occasion de citer les plus importans. Nous y ajoutons ceux de Capell Brooke, Boyle, Peter Léonard, Bains, Carmichael, Cowper Rose, Hume, Smith, Nataniel Pearce et Coffin, Gobat, Madox, Falbe, Hodgson, et Graaberg de Hemsoe. En ce moment même, tandis que Richard Lander vient de périr assassiné en remontant le Niger, un de ses compatriotes, M. Henry Wilford, essaie de se rendre, par la voie du Kordoufan, dans l’Afrique centrale, tentative qui se rattache d’une manière intime avec celle de M. Linant. Rüppel explore l’Abyssinie.

L’Océanie n’a donné lieu dans ces derniers temps, en fait de travaux privés, qu’à quelques cartes peu remarquables. Nous ne pouvons guère signaler que celle que Hamberger a fait paraître en 1829 à Nuremberg, sous le titre d’Australie, et celle de Wieland publiée sous le même titre à Weimar en 1830.

Ici se termine notre esquisse ; nous sentons nous-même tout ce qu’elle a d’incomplet et de superficiel. Ayant à donner une idée générale de tant de faits épars, leur multitude même s’opposait à ce que nous nous livrassions à un examen critique de chacun d’eux. Signaler leur existence à ceux qui ne sont pas à portée des sources est tout ce que nous avons prétendu faire. Nous avons souvent entendu des hommes spéciaux regretter l’absence d’un semblable résumé, travail aride auquel bien peu de personnes ont le temps et la volonté de se livrer. En nous résignant, non sans quelque courage, à cette tâche, nous avons compté qu’on nous saurait gré de l’avoir accomplie.

d’Avezac
  1. Un écrit périodique allemand, organe des impressions parisiennes, s’exprimait assez crûment à cet égard dès cette époque ; « Ou bien il s’est peut-être trouvé dans sa suite quelqu’un qui entendait la partie des observations astronomiques (conjecture qui se trouve en quelque sorte justifiée par les paroles de M. Douville lorsqu’il dit que la mort ne tarda pas à le priver du secours des personnes qui étaient en état de l’aider) ; ou bien toute l’histoire des observations astronomiques n’est qu’une fiction, et les positions géonomiques sont déduites de la construction purement graphique des itinéraires. » Annalen der erd-woelker- und staten-kunde. Berlin, 30 juin 1832.
  2. La Revue ne conteste aucun des faits avancés par l’auteur de ce travail ; toutefois, elle ne saurait adopter sans réserve les conclusions justificatives qu’il en déduit tacitement. On ne peut faire un crime à la Société de géographie de Paris d’avoir été dupe du voyageur Douville ; des hommes loyaux, sinon vigilans critiques, sont plus que d’autres exposés à être victimes d’un charlatanisme effronté. Mais la Revue, qui a figuré au premier rang dans ce débat, a le droit de leur poser le dilemme suivant : — Ou ils n’ont pas aperçu dans le voyage au Congo les innombrables erreurs qu’il contenait, et alors que devient leur autorité sur la matière ? ou s’ils les ont soupçonnées, comme on le dit, pourquoi pas un d’eux n’a-t-il élevé la voix pour les signaler et ôter l’initiative à une Revue étrangère ? — C’est là toute la question qui pouvait intéresser la dignité de la Société de géographie. Et pourquoi aussi, une fois l’imposture du voyageur signalée, la Société n’a-t-elle pas eu le courage (surtout après les graves accusations d’un autre genre qui pesaient sur son lauréat) de prendre la seule initiative qui lui restait, celle de déclarer publiquement qu’elle avait été trompée ? (Note du Directeur de la Revue.)
  3. Les prix mis au concours par la Société et qui doivent être distribués à des époques plus ou moins éloignées, sont :

    1o  2,500 fr. au premier voyageur qui aura exploré les régions occupées sur les cartes par le lac Maraoui, et reconnu le cours du fleuve Loffeh ; nul délai n’est fixé pour l’accomplissement de cette entreprise.

    2o  7,000 fr. à décerner en 1835 au voyageur qui aura fait la reconnaissance des régions inconnues de la Guyane française

    3o  2,400 fr. au meilleur ouvrage sur les antiquités mexicaines

    4o  600 fr., à décerner en mars 1836, à la meilleure histoire mathématique et critique des opérations exécutées en Europe depuis la renaissance des lettres pour la mesure des degrés du méridien et des parallèles terrestres.

    La Société a, en outre, accepté le patronage d’une tentative d’exploration aux sources du Bahhr-Abyadh ou Fleuve-Blanc, et sur les rives orientales du grand lac Tchad, tentative pour laquelle s’est offert M. Linant, qui, depuis longues années, parcourt la vallée du Nil et les contrées voisines.

    Enfin, le duc d’Orléans a chargé la Société de géographie d’offrir, en son nom, un prix spécial de 2,000 fr. au voyageur dont les explorations auront eu pour résultat de procurer à la France l’importation agricole ou industrielle la plus utile.

  4. Voyez le Numéro du 15 décembre 1831.
  5. Ces prix sont offerts aux travaux suivans :

    1o  À un Manuel du Voyageur, contenant une énumération claire et précise des objets sur lesquels doit se porter son attention, et des moyens les plus propres à favoriser les observations. — Un ouvrage de ce genre, sous le titre de : Aide-mémoire du Voyageur, vient de paraître chez F. Bellizard, rue de Verneuil, no 1.

    2o  À un essai sur l’état actuel de la géographie,

    3o  À une grande table de synonymie géographique, avec citation des sources et indication des noms divers appliqués à un même lieu, suivant la différence des pays et des époques.

    4o  Aux meilleures inventions mécaniques propres à faciliter l’étude et l’enseignement de la géographie, c’est-à-dire, la simplification des instrumens et des méthodes pour la détermination des positions, le perfectionnement du tracé et de la gravure des cartes, etc.

    Ce programme rappelle, en outre, que le prix annuel de 50 guinées a été décerné, l’année précédente, à Richard Lander, pour son voyage au Kouâra.

  6. Voyez le no du 1er  janvier 1834.