Revue de métaphysique et de morale/1907/Supplément 2

REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE

SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(No DE MARS 1907)

LIVRES NOUVEAUX

Psychologie du Libre Arbitre, suivie de Définitions fondamentales, par Sully Prudhomme, de l’Académie française, 1 vol. in-16 de 175 p., Paris, Alcan, 1907. — Signalons d’abord les définitions qui terminent l’ouvrage (p. 85-172) et qu’une table alphabétique permet de consulter aisément. (Être. Exister. Chose. Condition. Analyse. Différence et ses dérivés : changement, événement, modification, variation, diversité. Sujet. Objet. Unité. Identité. Tout. Univers. Égalité. Équivalence. Essence. Rapport. Quantité. L’intrinsèque et l’extrinsèque. Évolution. Cause. Effet. Force. Processus. Synthèse. Substance. Nécessité. Absolu. Âme. Esprit, etc.). Ces définitions, comme bien on pense, sont de nature à soulever plus d’une discussion : aucun lexicographe ne devra les ignorer.

Aussi bien les lecteurs de la Revue de Métaphysique et de Morale connaissent déjà ces définitions, comme ils connaissent aussi l’essai sur le libre arbitre, qui occupe les quatre-vingt-cinq premières pages de ce petit livre. Cet essai est intéressant comme application de la méthode introspective pure. Non que la dialectique en soit bannie, mais parce que la dialectique est uniquement employée à se ruiner elle-même. La thèse de l’auteur est que nécessairement les jugements qui portent sur l’objet métaphysique sont contradictoires. « L’esprit humain, qui déduit de l’être métaphysique les propriétés de celui-ci… ne saurait former une idée adéquate d’aucune d’elles, car il est dépassé par chacune. Aussi n’essaie-t-il pas de les comprendre ; il se contente de les définir par négation, en supprimant de ce qu’il comprend ce qui le lui rend compréhensible, la mesure qui le met à sa portée. Quand il raisonne… sur l’une quelconque de ces prémisses négatives, il raisonne donc sur ce qu’il ne comprend pas… ; forcément les conclusions lui sont aussi incompréhensibles que les prémisses » (p. 55). L’on voit assez que M. Sully-Prudhomme se montre ici disciple de Kant ; mais ce qu’il y a de pénétration personnelle dans ce travail critique, le lecteur seul peut s’en faire une juste idée ; car c’est dans le détail qu’est l’originalité d’un penseur.

La conclusion de cet essai, c’est que les objections élevées contre le libre arbitre ne sont après tout que des objections, tandis que le libre arbitre est un fait. Et ce travail fait voir, une fois de plus, comment le principal de la méthode introspective pure est une dialectique. Mais qui donc dira pourquoi ?

Études de Morale positive, par Gustave Belot. 1 vol. in-8 de VII-523 p. Paris, Félix Alcan, 1907. — Dans ce volume sont réunies un certain nombre d’études (En quête d’une Morale positive. — L’Utilitarisme et ses nouveaux critiques. — La Véracité. — Le Suicide. — Justice et Socialisme. — Charité et Sélection. — Le Luxe. — Esquisse d’une Morale positive), dont la plupart sont déjà connues des lecteurs de cette Revue. On peut regretter que l’auteur ait conservé à son livre l’aspect d’un recueil d’articles, d’autant que ce livre présente en réalité une rigoureuse unité de doctrine, et un plan très net. Après une importante introduction concernant la méthode, viennent les exemples et après, l’analyse des exemples vient l’esquisse du système, qui termine heureusement l’œuvre. Ainsi sont exposées et expliquées, à différents points de vue, deux idées importantes 1o « Il n’y a de conscience véritable que celle qui requiert une justification de ses décisions et la tire, non de l’opinion d’autrui, mais de la considération directe des choses ». La moralité suppose donc autonomie et rationalité. 2o La moralité est un donné, Nous n’avons ni à l’imaginer ni à l’inventer. La morale suppose donc une induction régulière qui aura pour objet de déterminer la nature du contenu des règles qui constituent, pour chaque société, sa morale.

Ces deux conditions, sous leur forme abstraite, semblent s’exclure l’une l’autre ; et M. Belot s’attache à faire ressortir ce conflit entre la Raison et le Fait. Mais, entre les deux, il refuse de choisir, et montre, par l’exemple, comment il faut les unir dans la recherche.

Ces quelques mots ne peuvent donner une idée de cette important ouvrage, auquel la Revue consacrera une étude critique spéciale. Signalons seulement ce qu’il y a de sincère, de pénétrant, et de direct, dans ces études de Morale positive, qui justifient bien leur titre. Ici vous ne trouverez ni ses argumentations en l’air, ni un programme trop vaste, ni des promesses trop vagues : M. Belot marchait depuis longtemps au combat, pendant que d’autres, comme dit Bacon, sonnaient de la trompette.

Psychologie et Éducation. — I : Leçons de Psychologie ; II : Applications à l’Éducation, par F. Alengry. 2 vol. in-8 de XII-368 et IX-300 p., Paris, librairie d’éducation nationale, 1906. — Dans la pensée de leur auteur, ces deux volumes sont avant tout des « livres d’étude », des manuels, exclusivement destinés aux élèves des Écoles normales, aux futurs instituteurs et institutrices, « spécialement rédigés à leur intention » et comprenant des résumés, des sujets de devoirs, des lectures commentées, un plan de bibliothèque philosophique.

Mais, bien qu’ils ne s’adressent pas directement aux philosophes et aux psychologues, ces livres méritent à beaucoup d’égards de retenir notre attention.

Sans doute il n’y faut pas chercher des remarques bien neuves et bien originales. Sans doute on y retrouve à maintes reprises les défauts qui caractérisent ordinairement les manuels de ce genre. M. Alengry s’est cru obligé de suivre rigoureusement, littéralement, les indications du programme : adoptant toutes ses divisions, il s’est résigné souvent à nous présenter des banalités traditionnelles et sans grand intérêt (V. en particulier toute la théorie de la Sensibilité). Parfois même, pour continuer à serrer de près le programme, M. Alengry a consenti à perdre tout point de contact avec la réalité (insuffisance d’exemples concrets et d’observations expérimentales : tendance à rester dans un formalisme abstrait et idéologique, à simplifier outre mesure l’étude psychologique de la conscience, à la considérer d’un point de vue statique et atomistique, comme un ensemble de parties extérieures les unes aux autres).

De plus, M. Alengry s’est donné surtout pour but de « rechercher les règles propres à développer et à façonner un esprit, un cœur, une volonté » : sa psychologie tend à être essentiellement pédagogique. Cette préoccupation constante des applications pratiques a l’avantage de ne pas séparer l’individu du milieu social où il doit vivre et produire, et il est certain qu’en écartant résolument tous les systèmes et toutes les controverses doctrinales, M. Alengry a allégé beaucoup son exposé. Mais aussi, en s’abstenant volontairement de toute vue systématique sur la conscience ou sur la volonté, il a donné à son livre un aspect un peu fragmentaire et superficiel qui le fait ressembler parfois à une collection de conseils et de recettes pratiques, en général vagues et formelles, auxquelles manque la base solide d’une morale précise et positive.

Ces réserves faites, il faut louer comme il le mérite, le travail de M. Alengry, et lui savoir gré de ses efforts consciencieux pour exposer, sous une forme élémentaire, succincte et pourtant très vivante, les résultats les plus essentiels et les plus suggestifs de la science psychologique. À ce point de vue, on peut laisser de côté le volume de Pédagogie, qui, en dehors de quelques études curieuses de Psychologie infantile (sur les jeux des enfants en particulier), ne renferme rien de bien saillant. Au contraire, le volume de Psychologie contient un certain nombre de chapitres fort intéressants sur l’intelligence. On y trouve des indications très exactes et très profondes sur les principales opérations de l’esprit (association des idées, p. 175 sqq.), et, au lieu de la description classique de l’entendement, un tableau très remarquable de l’activité intellectuelle s’efforçant de dominer, de comprendre et de construire l’univers. De ce tableau se dégage une apologie de l’esprit scientifique, esprit de libre recherche et de critique ; et l’affirmation de la valeur de la Science, de son caractère désintéressé et émancipateur, affirmation qui contraste heureusement avec le Pragmatisme contemporain. Il s’en dégage aussi une conception précise de la Raison, un rationalisme expérimental à la manière kantienne, qui voit dans la Raison la nécessité mentale de « ramener à l’unité de la conscience une multiplicité de phénomènes », « de mettre de l’ordre en toutes choses, pensée, nature, science, conduite » ; rationalisme hardi et vraiment moderne qui s’oppose à la fois à l’empirisme et à l’ancien dogmatisme par une théorie dynamiste et relativiste de la vérité.

Tous ces passages, relatifs à la théorie de la connaissance (auxquels il faut joindre aussi un excellent chapitre sur la liberté de la volonté), méritaient d’être signalés, car ils accroissent singulièrement la valeur et la partie philosophique de ces leçons de Psychologie, et en rendent la lecture très utile et très profitable.

Malgré leurs lacunes nombreuses et leurs imperfections, ces livres simples, sans prétentions, facilement assimilables, forment donc, à côté de tant de manuels aux allures lourdes, pédantesques et dogmatiques, un ensemble clair et satisfaisant, ne visant pas à être complet, mais plutôt à « se faire compléter », nous proposant un idéal très élevé de Raison et de Solidarité, conforme enfin aux aspirations généreuses de l’auteur et susceptible de « servir efficacement la cause de la Vérité, de la Philosophie et de la Démocratie ».

Causeries psychologiques (deuxième série), par van Biervliet. 1 vol in-8 de 165 p., Paris, Alcan, 1906. — « Comme les précédentes, ces causeries ne s’adressent pas aux psychologues expérimentateurs, mais au grand public ; à tous ceux que les questions de psychologie, et celles notamment qui sont connexes à la pédagogie, intéressent de quelque façon ». Elles portent sur l’évolution de la psychologie au XIXe siècle, le sens musculaire, l’éducation de la mémoire à l’école, la mesure de l’intelligence ; et fournissent sur chacun de ces sujets un exposé bref, clair et amplement informé, du point de vue de la psychologie expérimentale.

Mysticisme et Folie, par M. le docteur A. Marie. 1 vol. in-8 de 319 p., Paris, Giard, 1907. — Il y a deux parties dans ce livre. La première (Généralités sur l’origine des conceptions religieuses et mystiques) est confuse ; l’auteur a fait un effort sérieux de documentation, mais on le sent très insuffisamment armé pour la solution d’un problème aussi difficile et aussi complexe. La deuxième (Généralités sur les psychoses mystiques et religieuses) renferme des études et des documents intéressants sur les délires religieux dépressifs ; les psychoses religieuses progressives évoluant vers la théomanie ; les démences à forme mystique. En somme il y a dans ce livre l’étude sérieuse, faite par un aliéniste, des faits positifs, et une étude d’ensemble qui est très loin d’avoir la même valeur.

Religion. Critique et Philosophie positive chez Pierre Bayle, par Jean Delvolvé. 1 vol. in-8 de 445 p., Alcan, 1906. — Le livre de M. Delvolvé est une excellente étude, conçue suivant une méthode critique rigoureuse, où la richesse et la précision du détail ne nuisent pas à l’unité de l’ensemble. M. Delvolvé, en effet, ne se contente pas d’analyser les idées de Bayle en relation avec sa vie, son temps et les philosophies antérieures ; il en montre l’unité, il en fait ressortir la portée philosophique ; il les met en rapport avec le temps présent. Nul doute, par exemple, que Bayle n’ait fourni à M. Delvolvé quelques-unes des inspirations essentielles de son livre sur l’organisation positive de la conscience morale, dont il a été rendu compte ici même.

Deux parties dans cette étude : Bayle avant le Dictionnaire, Bayle dans le Dictionnaire. Chacune de ces deux parties se divise elle-même en plusieurs sections. D’abord la période de formation de la pensée de Bayle (1647-1681) : éducation, études, premiers rapports avec Jurieu à Sedan, correspondance, premiers écrits ; les thèses philosophiques de 1675, les Remarques sur les cogitationes Nationales de Deo, animo et malo de Poiret (1679), la Dissertation sur l’Essence des corps de 1680. Bayle y apparaît comme un disciple de Descartes, mais comme un disciple indépendant. Il soutient le principe de la physique cartésienne, la définition du corps par l’étendue, mais ne croit pas que cette définition nous fasse connaître l’être même, la substance corporelle. En la réduisant à une valeur purement phénoménale, il croit ouvrir les voies à un rapprochement des partis religieux divisés sur la question de la transsubstantiation. Sa philosophie est déjà une philosophie critique, ennemie de tout dogmatisme ; son action s’affirme comme supérieure à tous les partis. « Il n’a rien du rhéteur brillant et superficiel que ses ennemis voulaient voir en lui ; mais tout le long de sa vie, à travers les occasions les plus diverses, son esprit chemine dans le sillon qu’il se trace, qu’il approfondit et prolonge sans perdre jamais la direction qui est la sienne propre » (p. 34).

Forcé de s’exiler, Bayle se retire en Hollande. Il y publie les Pensées diverses sur la Comète (1681), la Critique générale de l’Histoire du Calvinisme de Maimbourg (1682), les Nouvelles lettres critiques (1685), les Nouvelles de la République des lettres (1684-87). Ce que c’est que la France catholique sous le règne de Louis le Grand (1685), le Commentaire philosophique et son supplément (1686-87). M. Delvolvé analyse ces ouvrages : il y montre Bayle s’affirmant de plus en plus comme un penseur affranchi des dogmes étroits du protestantisme, en rapports directs avec des catholiques éminents, comme Malebranche ; ainsi s’annonce le conflit qui éclatera bientôt entre Bayle et les protestants dogmatiques comme Jurieu. « En combattant l’intolérance catholique par des raisons philosophiques, il découvre l’intolérance protestante ; en déniant les droits absolus de la vérité catholique, il ébranle le fondement de toute vérité religieuse. En face de la critique et de la morale rationnelles, les deux religions sont solidaires » (p. 83).

Une troisième section dégage de tous ces écrits leur contenu philosophique à l’époque du Commentaire. M. Delvolvé se refuse à voir en Bayle un sceptique : « En réalité, si l’on veut désigner Bayle par un nom qui caractérise réellement la forme de sa pensée il faut renoncer au terme ambigu et suranné de sceptique. Bayle est un critique au sens moderne du mot » (p. 86). Bayle constate l’incertitude des opinions humaines, que nous n’admettons la plupart du temps que sur la foi de l’autorité ; mais la raison peut se dégager de la coutume, elle peut se poser en tribunal indépendant. Bayle admet le critérium cartésien de l’évidence ; mais l’évidence n’est pas forcément absolue : il y a une évidence absolue et une évidence relative (p. 89). Les vérités absolument évidentes sur les propriétés des nombres, les premiers principes de la métaphysique (axiomes conçus à la façon cartésienne), les démonstrations de géométrie. Les vérités contingentes sont les vérités historiques : l’esprit de parti se mêle inévitablement aux rapports historiques ; l’historien est difficilement impartial ; on n’atteint la vérité en histoire qu’à force de critique (p. 94 sqq). Voilà pour la doctrine théorique de Bayle. Sa doctrine pratique s’inspire de principes analogues. Il se défie des spéculations métaphysiques en morale : il sépare absolument la théorie de la pratique. Les athées sont capables de bonnes mœurs (p. 98). « L’homme ne se détermine pas à une certaine action plutôt qu’à une autre par les connaissances générales de ce qu’il doit faire, mais par le jugement particulier qu’il porte de chaque chose lorsqu’il est sur le point d’agir. (p. 99), On reconnaît là l’idée maîtresse du positivisme moral contemporain tel que M. Rauh le conçoit. Ce jugement particulier est inspiré beaucoup plus par la passion que par la raison. Cette raison même est déjà la raison pratique de Kant, absolument distincte de la raison théorique. « La raison, dans ses axiomes pratiques, est la norme immuable de la vérité morale » (p. 100). Bayle la définit de la même façon que Malebranche, comme une révélation naturelle, comme une raison universelle, une honnêteté commune. Mais ce sont les passions qui forment le fond de la nature humaine. La passion n’est pas, comme le croyaient les cartésiens, une obscure intelligence. La passion est un principe d’action original, qui coexiste avec la raison. La passion sans doute est le mal ; mais le bon ordre moral peut se réaliser par les voies du mal même (providentialisme naturel) (p. 103). C’est la passion qui pousse l’homme à créer l’homme, les filles à se marier, les familles à rester unies, les hommes à rester unis en société. La raison morale se dégage peu à peu de la passion et de l’expérience passionnelle : elle se pose alors comme universelle. La raison morale de Bayle est déjà la raison pratique de Kant (p. 109 sq.).

La quatrième section de la première partie nous fait assister à la lutte de Bayle contre Jurieu, au conflit inévitable du rationalisme baylien avec l’orthodoxie réformée.

La première section de la deuxième partie est une analyse très précise des idées de Bayle dans le Dictionnaire historique et critique (1692-97), dans la continuation des Pensées diverses (1704), dans la Réponse aux questions d’un provincial (1704-1705), dans les Entretiens de Maxime et de Thémiste (1706). Nous ne pouvons suivre M. Delvolvé dans le détail de cette étude : voir surtout la critique du spinozisme (p. 259 sq.), la critique de la théologie chrétienne (p. 266 sq.), la réfutation par Leibnitz de la critique baylienne de la Providence (p. 324 sq.).

Enfin la deuxième section de la seconde partie dégage les idées positives de Bayle. Elles constituent une véritable théorie de la nature humaine. Les idées bayliennes d’avant le Dictionnaire prennent dans le Dictionnaire une forme plus systématique. Bayle recourt à des preuves de faits, arguments des voyageurs, observations faites sur les sauvages, pour démontrer qu’il peut y avoir, hors des principes de l’orthodoxie théologique et religieuse, hors même de toute théologie, de bonnes mœurs et des morales pures. Puis, recherchant les sources positives des mœurs, il nie tout d’abord que la religion soit l’une de ces sources. En effet ni la religion chrétienne, ni les religions païennes ne donnent de bonnes qualités à la divinité (p. 383 sq.) ; elles n’établissent pas la justice distributive des peines et des récompenses (doctrine chrétienne de la grâce) (p. 384) ; elles ne sont pas desservies « par un petit nombre de gens d’élite que leur sagesse rende vénérables » (p. 385) ; elles sont sujettes aux schismes, provocatrices de désordre, causes responsables de l’intolérance (p. 385 sq.) ; Bayle croit que la nature humaine primitive était meilleure que l’humanité civilisée (p. 389) ; mais il ne fait pas de cet état primitif de l’humanité l’abus qu’un Rousseau en fera après lui : il s’en tient aux faits qu’il pense constater. Le passage de la liberté primitive à l’organisation sociale se fait par le simple jeu des passions humaines : l’homme fuit l’anarchie dans l’intérêt de sa conservation. La civilisation, d’ailleurs, si elle engendre les vices, développe aussi les passions qui leur font contrepoids (p. 392 sq.). À ces considérations sur le développement naturel de l’humanité, Bayle superpose une véritable morale indépendante. Le vice et la vertu sont des « espèces différentes » de l’activité naturelle de l’homme ; Bayle trouve les lois de leur production dans la nature même de l’esprit humain. C’est un fait qu’il existe des lois de notre volonté, les règles sont fournies par la raison, et c’est pourquoi la plus générale d’entre elles est que nous devons nous soumettre à notre raison. Mais ces lois ne varient-elles pas avec les sociétés ? Bayle croit que cette variabilité n’est pas absolue, et qu’il y a « des règles générales des mœurs, maintenues dans toutes les sociétés civilisées » (p. 401). C’est en cela que son rationalisme est, dans toute la force du terme, un rationalisme positif.

M. Delvolvé conclut en mettant la morale baylienne en rapport avec la morale cartésienne, dont elle est issue, et la morale kantienne, qu’elle annonce ; il fait ressortir ses affinités avec le criticisme et le positivisme moral contemporains : il faut le louer d’avoir su « rendre à l’œuvre de Bayle, si parente des formes actuelles de la pensée philosophique, la place qui lui appartient dans l’histoire de la philosophie française » (p. 431).

L’Hypnotisme et le Spiritisme, par le Dr  Joseph Lapponi (deuxième édition), 1 vol. in-16 de IV-290 p., Paris, Perrin, 1907. — Le but que se proposait le docteur Lapponi dans cet ouvrage était de mettre à la disposition de tout homme cultivé ce qu’on a besoin de savoir sur les faits aujourd’hui indiscutables de l’hypnotisme et du spiritisme. Quant aux théories auxquelles ces faits ont donné naissance, l’auteur n’y touche que dans la mesure où cela est nécessaire pour la clarté de l’exposé.

Dans le chapitre I nous trouvons rapportés les principaux témoignages relatifs à la réalité des faits hypnotiques ou spirites constatés depuis l’antiquité jusqu’à nos jours ; le démon de Socrate est rangé sans hésitation au nombre de ces derniers. Les chapitres II et III sont consacrés à la description des faits hypnotiques et spirites. La description des faits hypnotiques est très simple et bien présentée. Quant aux faits spirites rapportés sur l’autorité de savants comme Crookes, Wallace, etc., le docteur Lapponi ne les soumet pas un instant à une critique précise ; il les admet sans contrôle personnel, comme il admet, dit-il, l’existence du détroit de Magellan. Tous les phénomènes de médiumnité, lévitation, télépathie doivent être admis au même titre que les autres faits scientifiques. Quant à l’explication qu’on peut en donner, elle diffère selon qu’il s’agit d’hypnotisme ou de spiritisme, car les deux ordres de phénomènes sont radicalement différents. Tout l’effort de l’auteur va à démontrer que les faits hypnotiques ne sont pas surnaturels — ce dont on se doutait un peu depuis Charcot. Et d’autre part une démonstration en sens inverse cherche à établir qu’il est absurde d’expliquer les faits spirites par des lois naturelles. Le spiritisme nous met directement en relation avec le surnaturel. Enfin au point de vue social on peut admettre l’hypnotisme comme un instrument ou un procédé de thérapeutique, jamais pour lui-même. Le spiritisme au contraire présente beaucoup d’inconvénients et pas un seul avantage ; il a été introduit en Italie, pays calme et équilibré, par des importations de pays névropathiques et déséquilibrés comme l’Amérique, l’Angleterre et la France. Le spiritisme doit donc être proscrit. Seuls quelques savants pourront être autorisés à l’étudier à condition qu’ils ne prennent aucune part à la production des phénomènes.

Tel est en résumé le contenu de ce livre clair et simplement exposé. Il n’apporte sur la question aucun fait nouveau, ni aucune analyse nouvelle ; et quant aux conclusions dogmatiques de l’ouvrage on jugera sans doute inutile de s’être appliqué à démontrer que l’hypnotisme est un phénomène naturel ; et l’on ne trouvera sans doute pas d’autre part que l’étonnement en présence des phénomènes spirites soit un motif suffisant pour leur conférer un caractère surnaturel.

Essai sur l’Histoire des Doctrines du Contrat social, par Frédéric Atger, licencié ès lettres, docteur ès sciences politiques et économiques, 1 vol. in-8 de 432 p., Paris, Alcan, 1906. — C’est avec une intention bien marquée que l’auteur a écrit : Histoire des Doctrines et non pas : Histoire de la Théorie du Contrat Social. Très justement M. Atger montre dans son introduction (p. 7-14) qu’il n’y a pas une théorie, mais bien des théories du Contrat social, théories souvent opposées, et aboutissant à la justification logique des régimes politiques les plus différents, depuis le despotisme absolu (Hobbes) jusqu’à la démocratie (J.-J. Rousseau). Aussi, en présence de la diversité des doctrines, il renonce avec beaucoup de raison à suivre l’évolution logique du type idéal du Contrat social : il se place simplement devant les faits, et les interroge, au lieu de chercher à les faire entrer de force dans quelque conception a priori.

L’ouvrage est divisé par grandes périodes historiques : division volontairement arbitraire, ne réclamant, pour justification, que la simplicité et la commodité. Nous ne pouvons naturellement entrer dans le détail de tous les systèmes étudiés. Retenons seulement une loi qui semble se dégager de cet examen historique : c’est que les doctrines du Contrat Social reflètent visiblement l’état politique des divers milieux ou elles apparaissent. Dans l’antiquité, le Contrat social est envisagé d’un point de vue démocratique : c’est un pactum societatis. Au moyen âge, il s’agit d’étudier l’intervention de Dieu dans la Cité : le Contrat devient un pactum subjectionis. La Réforme voit s’élever de nombreuses théories monarchomaques, etc. — M. Atger termine son livre en dégageant la nature et la portée de l’idée de Contrat social. Cette idée est « un postulat de morale sociale qui cherche à se justifier dans les institutions existantes et qui prend ses origines dans les formes contractuelles de la société » (p. 409-410). Très documenté, écrit d’une façon sobre et claire, ce livre constitue, en résumé, un précieux instrument de travail.

Das Erkenntnisproblem in der Philosophie und Wissenschaft der neueren Zeit (Erster Band) ; par Ernst Cassirer, 1 vol. in-8 de XV-608 p., Bruno Cassirer. Berlin, 1906. — M. Cassirer se propose de retracer l’évolution du problème de la connaissance dans les temps modernes, depuis la Renaissance, jusqu’au système de Kant. Cette philosophie marque en effet un terme relatif dans cette évolution : en elle viennent s’unir les deux grands courants représentés et par l’idéalisme de Leibniz et par la science de la nature de Newton. Aussi bien, c’est le meilleur moyen d’étudier le problème de la connaissance : la philosophie, par son progrès même, a dû abandonner la conception naïve, suivant laquelle l’esprit se bornerait à refléter une réalité donnée et ordonnée en elle-même, son activité consistant simplement à en faire revivre l’image ; elle a montré de plus en plus qu’il y a dans le savoir non pas seulement reproduction, mais élaboration et information de la matière de notre savoir. On ne mesure plus la vérité de nos représentations à la chose, mais à l’exigence de cohérence interne et d’absence interne de contradiction. Les éléments de l’être, atomes et mouvements atomiques, que la science accepte sans plus, sont des créations intellectuelles, et la tâche de la philosophie est précisément d’expliquer ces créations intellectuelles. Or, qu’est-ce qu’expliquer ainsi la connaissance, sinon montrer la constitution progressive au cours de l’histoire, des concepts et principes scientifiques, l’information des notions de nature, d’esprit, d’infini, d’absolu, d’harmonie, de force, de loi, etc. ?

Le premier volume ne comprend que les origines de la philosophie moderne et l’expose du cartésianisme. Une introduction rappelle les principales positions de la philosophie grecque dans le problème de la connaissance, et prépare ainsi le premier livre de l’ouvrage : la Renaissance du problème de la connaissance. C’est d’abord l’exposé des conceptions de Nicolas de Cusa, puis l’humanisme et la lutte des doctrines platoniciennes et aristotéliciennes, avec Plethon, Ficin, Pomponace, Zobarella, Valla, Vives, Ramus, de la Mirandole, enfin le courant sceptique, avec Montaigne et Charron. Le second livre, « La découverte du concept de la nature » (p. 189-360) porte sur les philosophies de la nature : conception du monde organisme, avec Paracelse, psychologie de la connaissance, avec Fracastoro, Telesio, Campanella ; — concepts de l’espace et du temps chez Cardan, Scaliger et Telesio ; — la naissance de la science exacte, avec Vinci, Kepler et Galilée, — le système du monde copernicien et la philosophie de Bruno. Le troisième livre (p. 375-517) expose l’établissement de l’idéalisme, avec la philosophie cartésienne : car Descartes, dans sa Logique et dans sa Théorie de la science, exprime cette tendance générale de la connaissance dans les temps modernes : qu’il faut dans la science remplacer le concept de substance par le concept de fonction, et sa physique, si elle est inexacte dans la forme spéciale qu’elle a revêtue, était bien fondée dans son principe. Le livre se termine par l’examen des conceptions de Malebranche, de Pascal, de Bayle.

Le texte de l’ouvrage est suivi de notes nombreuses, renvoyant aux textes des différents auteurs et donnant même un assez grand nombre d’extraits des différents philosophes.

Histoire de la philosophie moderne, par Harald Höffding, traduit de l’allemand par P. Bordier, préface de M. V. Delbos, tome second. 1 vol. in-8 de 620 p., Paris, Alcan, 1906. — Ce deuxième volume comprend : la philosophie des lumières en Allemagne et Lessing. — Emmanuel Kant et la philosophie critique. — La philosophie du romantisme. — Le positivisme. — La philosophie en Allemagne (1850-1880). Aux philosophes contemporains, et en particulier aux philosophes français, M. Höffding a consacré un petit ouvrage, dont une traduction française sera bientôt publiée.

Les parties les plus remarquables de ce second volume, et où l’on retrouve au plus haut degré les qualités de finesse et de pénétration qui sont propres à M. Höffding, sont celles qui ont trait à « la transition de la spéculation romantique au positivisme et à la croyance positive » (livre VIII, partie D), et à la philosophie en Allemagne (1850-1880 — livre X). Mais faut-il répéter, à propos de ce second volume, les éloges que nous avons adressés au premier, alors que le mérite de l’ouvrage est universellement connu ?

Qu’il nous soit permis plutôt d’adresser une critique à M. Höffding et de regretter que l’auteur, en raison même du point de vue auquel il a choisi de se placer, n’ait pas toujours été aussi objectif que nous le souhaiterions dans l’appréciation de certaines doctrines, et principalement des doctrines métaphysiques. L’exposé de la philosophie de Hegel n’est-il pas trop sommaire ? Et, dans le chapitre consacré à Kant, M. Höffding donne-t-il toujours une idée exacte de la philosophie critique ? Bornons-nous à montrer, par deux exemples, en quel sens l’exposition de M. Höffding ne nous satisfait pas absolument. M. Höffding remplace les termes de déduction métaphysique et de déduction transcendantale par ceux de déduction subjective et de déduction objective ; et il voit dans la déduction subjective une méthode psychologique. N’est-ce pas rendre inintelligible le sens et la portée aussi bien des intuitions pures que des catégories ? Et voici notre seconde remarque, en corrélation directe avec la première. Il ne semble pas que M. Höffding ait saisi les rapports profonds qui lient chez Kant la raison théorique et la raison pratique. M. Höffding écrit (p. 83, sub finem) : « Comme d’après Kant les formes s’acquièrent au moyen de l’analyse de l’expérience, elles ne peuvent se séparer des phénomènes et être posées comme leur contraire absolu. Les formes ne sont pas intelligibles, elles sont acquises au moyen de l’abstraction et de l’analyse, et ne peuvent être regardées que comme appartenant au monde où elles ont été trouvées ». Ces formules n’expriment pas à vrai dire la pensée de Kant. Dans le chapitre de la Critique de la Raison Pratique intitulé : « D’une extension possible de la raison pure » en particulier, Kant insiste sur cette idée que, si les catégories ne fondent des connaissances que lorsqu’elles s’appliquent à l’expérience, lorsqu’elles correspondent à une expérience possible, que si, d’autre part, le fait qu’elles peuvent s’appliquer à l’expérience est une garantie de leur valeur, cependant elles ne dérivent pas de l’expérience et ont un sens en dehors de la considération de l’expérience même. En regardant les catégories comme tirées par abstraction de l’expérience, on les dénature, et on rend difficilement intelligibles toutes les thèses de la raison pratique.

Thought and Things, a study of development and meaning of thought, or Genetic Logic by James Mark Baldwin. Vol. I. Functional Logic, or genetic theory of knowledge. 1 vol. de XIV-273 p., Londres, Swan Sonnenschein and Co, 1906. — L’ouvrage entier formera trois volumes de la Bibliothèque de Psychologie expérimentale, publiée sous la direction du Dr  Toulouse. Le premier sera intitulé : Le Jugement et la Connaissance ; Logique fonctionnelle ; le second : Logique expérimentale ; le troisième : Le Jugement et la Réalité ; Logique réelle. Ces trois volumes constituent un essai de logique génétique.

Cette logique génétique se distingue et de la logique formelle et de la logique dialectique des métaphysiciens. La logique, entendue au sens de logique formelle, est une science sans application possible au réel, car le logicien part de certaines suppositions manifestement démenties par la réalité. Il admet par exemple que les termes sur lesquels il raisonne sont fixes, invariables pendant toute la durée du raisonnement, strictement définis : aussi peut-il procéder par substitution de termes identiques. Il admet encore que tout ce qui ne satisfait pas aux prétendues « lois de la pensée », par exemple au principe de raison suffisante, est absurde et inintelligible (p. 4 et 5). Immédiatement on peut conclure que tout ce qui est processus mental, ou expérience au sens le plus général, est exclu du domaine de cette logique. Car point d’expérience où les termes se maintiennent identiques à eux-mêmes et qui soit conforme de tout point aux « lois de la pensée ».

D’autre part, entendue au sens de dialectique par certains métaphysiciens tels que Hegel, la logique devient une tentative pour déduire des facultés mêmes de la connaissance des affirmations relatives soit au sujet, soit à l’objet, un effort pour passer de la pensée à la réalité. Rien de plus opposé aux tendances d’un psychologue biologiste qui voit dans la pensée le produit d’une évolution dirigée partiellement au moins par des facteurs externes, physiques et sociaux (p. 6-9). Le psychologue réclame donc une méthode qui décrive la pensée avant de l’interpréter, détermine son rôle dans la constitution de la connaissance, au lieu de permettre que cette pensée détermine la place de tout le reste. Il réclame une logique qui se constitue en respectant dans l’observation et l’hypothèse les mêmes règles qu’on applique dans les autres sciences empiriques, surtout dans les branches connexes de la psychologie génétique (p. 9). Cette logique génétique sera une théorie de la connaissance étudiée dans son développement continu, en tenant compte : 1o des facteurs actifs de développement (intérêt, dispositions, tendances) ; 2o des facteurs ou coefficients de contrôle qui dirigent ce développement et le maintiennent dans de certaines limites ; 3o de la validité de la connaissance à chaque stade de son développement (présentation pure, mémoire, imagination, simulation dans le jeu, etc.). La notion de contrôle est définie p. 31 et 57 : « Par contrôle on entend les corrections, les limitations, la réglementation imposées aux démarches constructives de l’esprit. »

Trois grandes questions feront l’objet des trois volumes que comprendra l’ouvrage complet :

1o D’abord la fonction de la connaissance doit être étudiée en elle-même, comme une autre fonction ; il faut décrire les diverses démarches qui la constituent. Cette étude purement psychologique répond à la question : De quelle manière pensons-nous, de quelle manière la connaissance est-elle formée ?

2o Ensuite se pose une question plus générale, qui nous oblige à sortir de la psychologie proprement dite pour puiser des renseignements dans la biologie et dans la sociologie ; quels facteurs ont contribué à cette formation ?

3o Enfin quel est le résultat de ce progrès, de cette évolution de la connaissance ? À quels objets divers la pensée s’applique-t-elle, quelle valeur doit être attribuée à ces objets, soit au point de vue de la conduite et de l’action, soit au point de vue spéculatif ? L’effort pour répondre à cette question peut aboutir à nous faire reconnaître que le sens dernier de l’expérience, celui qui inclut tout le reste, se trouve, non pas dans les modes logiques de la pensée, mais dans un mode supra-logique, esthétique ou même mystique. Ce qui justifie l’épigraphe « τὸ καλὸv πᾶv ».

Sans suivre dans le détail les analyses subtiles de notre auteur, essayons de dégager sa méthode. La science génétique postule la continuité, et ce respect de la continuité l’oblige à multiplier les intermédiaires pour suivre pas à pas le développement d’une fonction. De là une apparente contradiction entre l’intention de l’auteur et le résultat : le partisan de la continuité semble se complaire dans les divisions et les subdivisions ; il distingue de très nombreux modes de la pensée et on pourrait croire qu’il morcelle l’esprit humain en facultés si on perdait de vue sa conception du mode. « Le mode n’est pas un concept, ou plutôt c’est une sorte de concept fluide, élastique qui se prête au développement de la réalité et la suit en quelque manière dans son mouvement ; tout mode enveloppe en outre les facteurs actifs de la progression vers le mode qui lui succède » (ch. II).

Le partisan d’une logique génétique ne perd jamais de vue certains postulats, certains axiomes méconnus par la science atomistique, statique, qui décompose l’être vivant et pendant en éléments inertes et stables. Et très suggestive est la liste des sophismes que dresse Baldwin en regard de la liste de ces postulats et de ces axiomes. Ainsi la science génétique proclame que tout phénomène est une synthèse originale dont les phénomènes antérieurs ne peuvent rendre compte pleinement. Donc les formules d’une science ne doivent pas être transportées à une autre, les classifications sont propres à chacune ; seule l’observation directe instruit. La logique du devenir ne s’exprime pas en propositions convertibles. Elle ne dit pas : A est A, mais A devient B, d’où il ne suit pas que B devienne A. En particulier tout processus psychique est continu, ne peut être traité ni comme une pure création, ni comme le simple résultat d’une cause antérieure plus simple. Le principe de causalité engendre des erreurs en psychologie, puisqu’il affirme que l’effet n’est rien de plus que sa cause.

La tâche consiste donc à partir de la pensée la plus vague, la plus inconsistante, la plus indistincte qu’on puisse concevoir, de cette « expérience pure » si finement décrite par W. James (Journal of Philosophy, etc., 1905) : « Expérience pure est le nom que je donne à l’afflux original de la vie consciente avant que la réflexion ait apporté ses cadres. Seuls les enfants nouveau-nés, les personnes dans un demi-coma par l’effet du sommeil, des drogues, de la maladie ou de quelque traumatisme peuvent avoir cette expérience pure où l’on perçoit quelque chose sans pouvoir le définir telle chose et de manière cependant que cela puisse devenir n’importe quoi ; expérience qui enveloppe l’un et le multiple, mais suivant des points de vue non encore précisés, susceptible de changement total et pourtant si confuse que les phases s’interpénètrent sans qu’il soit possible de saisir des points d’arrêt ou de variation… » Le psychologue partira de cette conscience sans dualisme et en suivra le développement à travers les modes de la présentation pure, de la mémoire, de l’imagination, de la simulation (jeu), jusqu’aux formes supérieures de la réflexion, du jugement moral et du jugement esthétique. Ce développement est guidé par deux formes opposées de contrôle qui le maintiennent dans une voie déterminée. Tantôt il apparaît surtout dirigé par le contrôle externe (influence du milieu, données sensibles), tantôt surtout dirigé par le contrôle interne (intérêt, dispositions, tendances), tantôt oscillant pour ainsi dire entre les barrières naturelles que lui opposent ces deux formes de contrôle. Par ce va-et-vient entre ces deux obstacles opposés se prépare la grande distinction du moi et du non-moi nécessaire aux modes supérieurs de la réflexion, de la vie morale et de la vie esthétique.

Il est prématuré de porter un jugement sur ce volume que deux autres doivent suivre. Cette conception d’une psychologie respectueuse de la vie qu’elle étudie, cet effort pour suivre le mouvement de la pensée sans l’arrêter ne sont pas complètement inconnus en France. L’auteur cite dans sa préface le nom de M. Bergson et en effet tous les admirateurs de la philosophie de M. Bergson se sentiront attirés par cette tentative originale pour assouplir les concepts trop rigides de la théorie de la connaissance, pour se débarrasser des idées toutes faites, pour renouveler la logique par un sens psychologique des plus affinés. Attendons la traduction française que prépare un jeune maître très pénétré de la pensée de l’auteur pour mieux apprécier la valeur de l’exposition même, qui nous paraît jusqu’ici abstraite et obscure, dépourvue de ces qualités de souplesse que requiert une pensée subtile et que possèdent à un si haut degré W. James et M. Bergson.

The syllogistic philosophy or Prolegomena to Science by Francis Ellonwood Abbott, ph. d., 2 vol. de XV-317 et 371 p., Boston, 1906. — Ces deux volumes sont la publication posthume d’un système original de métaphysique positive. L’auteur a pris comme point de départ la doctrine d’Aristote, ainsi que le titre l’indique : le syllogisme est la forme rigoureuse de la science, le syllogisme implique la certitude. Mais, à ses yeux, il y a dans l’aristotélisme un paradoxe qui a faussé toute la spéculation rationaliste jusqu’à l’avènement du darwinisme, c’est la subordination de l’individu à la forme spécifique, c’est l’impersonnalisation de l’esprit jusqu’à l’acte du Noûs. Le fondement ultime, c’est donc l’individu, le sujet personnel de la pensée, mais à la condition expresse de s’y tenir, de ne pas considérer ce sujet comme un terme relatif à un objet, de ne pas tomber dans la contradiction des kantiens, qui ont toujours placé, au delà du moi, un non-moi inaccessible. C’est pourquoi l’auteur substitue-t-il au postulat cartésien du Cogito cette formule qui implique l’objectivité de la pensée : La connaissance existe. Or la connaissance implique la nécessité de dépasser l’individu isolé pour le rattacher à l’ensemble des individus, pour fonder l’unité de ces êtres sur le moi absolu. Le je suis est dans le nous sommes ; le nous sommes est dans le je suis ; — le premier terme étant entendu dans le sens humain, le dernier dans le sens de l’absolu moral. Telle est la forme intéressante que M. Abbott donne au syllogisme de la philosophie. Grâce à ce type fondamental se justifient et le syllogisme de l’être, c’est-à-dire l’évolution des conséquences à partir des prémisses, et le syllogisme de la pensée, c’est-à-dire l’involution des antécédents dans la conclusion, et le rapport de ces deux syllogismes, c’est-à-dire l’unité dans la différence, comme dit M. Abbott. Par là se résoudra enfin le conflit entre le rationalisme et l’empirisme, car par là se concilient Aristote et Darwin.

An Introduction to Logic by H. W. B. Joseph, Fellow and Tutor of New-College, in-8 de VIII-564 p., Oxford at the Clarendon Press, 1906. — M. Joseph insiste avec trop de modestie peut-être sur le caractère élémentaire de son ouvrage. S’il est composé pour les étudiants anglais, du moins leur apporte-t-il avec une clarté qui est méritoire en pareille matière, la substance de la logique classique, tout à la fois reprise à sa source authentique (Doctrine des catégories et des Prédicables) et relevée d’applications à la science moderne, quelquefois même de critiques concrètes. (Voir dans le chapitre XX, Rules of Cause and Effect, la discussion du rapport de la Commission appelée en 1834 à rechercher les causes de l’accroissement du paupérisme depuis le commencement du siècle). Mais ce qui fait de ce manuel une « introduction », c’est la délimitation du cadre : quel rapport les différentes parties de l’ancien édifice logique soutiennent-elles entre elles, quel rapport surtout soutiennent-elles avec la logique qui est en train de se constituer en connexion avec le développement de la science moderne ? Ces questions, M. Joseph possède assurément les qualités requises pour les traiter avec succès, sa discussion approfondie du rapport inverse entre la compréhension et l’extension en est une preuve. Nous devons noter qu’il s’en est systématiquement abstenu ; mais nous retiendrons aussi que pour être en état d’aborder avec profit l’étude de la logique nouvelle, il est nécessaire de se donner comme point de départ la discipline traditionnelle dont son livre fournit l’image authentique.

Une autobiographie, par Herbert Spencer, traduction et adaptation par Henry de Varigny, docteur ès sciences naturelles, avec la collaboration de Mlles J. de Metral-Combremont et G. de Varigny, 1 vol. in-8 de III-550 p., Paris, Alcan, 1907. — Traduction, très heureusement abrégée, de l’ouvrage en deux volumes dont nous avons déjà rendu compte (septembre 1904, supplément). « Le traducteur a pensé que ce qui intéresserait le plus les amis et les admirateurs français de Spencer, ce seraient, d’un côté, les pages relatives à la formation, à l’évolution et au développement de la pensée du philosophe ; de l’autre, les pages qui permettent le mieux de faire connaissance avec la nature morale de l’homme, lequel était peu connu. »

Il problema della libertà nel pensiero contemporaneo, par G. Calô 1 vol. in-18 de 228 p., Rome, Sandron, 1907. — Ce volume est consacré presque exclusivement à l’examen des philosophies « contingentistes » françaises, dans lesquelles M. Calô voit avec raison la source et la forme premières, par l’intermédiaire de W. James, du « pragmatisme » à la mode à l’heure qu’il est. L’auteur a lu de fort près Renouvier, Boutroux, Bergson et leurs successeurs : peut-être a-t-on regretté que l’exposé qu’il en donne soit si fragmentaire, et distribué entre les trois chapitres de l’ouvrage : le premier consacré au développement historique du contingentisme ; le deuxième aux rapports de la contingence et de la liberté ; le troisième à la solution pragmatiste. Peut-être aussi la forme de l’œuvre, compacte et lourde, ne sert-elle pas une pensée souvent intéressante et subtile.

Pour l’interprétation même des doctrines, l’on peut trouver que M. Calô confond trop, avec le phénoménisme de Renouvier, les théories de MM. Boutroux et Bergson, qui semblent bien appartenir, au moins en partie, à un autre courant de pensée. Est-il bien exact, par exemple, de prétendre que M. Boutroux fait évanouir le moi dans une série de représentations discontinues et hétérogènes, et qu’il supprime toute substance ? — C’est d’ailleurs à cette critique fondamentale que se rattachent toutes les objections et les discussions de M. Calô : mettre partout la contingence pour rendre possible la liberté, c’est compromettre la science sans sauver la moralité : car celle-ci exige beaucoup plus que la simple contingence ; les idées de choix et de volonté, de devoir et de responsabilité, perdent tout sens parmi la succession de représentations sans lien, sans loi et sans support dont se contente Renouvier lorsqu’il reste conséquent avec le phénoménisme de ses principes ; et elles s’évanouissent de même dans la « vie vécue » des Bergsoniens, tout intuitive et sentimentale, alors qu’il n’y a de devoir et de moralité que par une conscience, réfléchie et qui passe sous les formes intellectuelles. — La solution de M. Calô consiste, d’ailleurs, en un simple retour à la conception classique d’un moi substance, créateur de force lorsqu’il introduit ses actes dans l’univers physique, et capable d’un libre choix entre le bien et le mal, choix qui suppose une vérité absolue, indépendante de la volonté des pragmatistes comme de l’intuition des bergsoniens, et aussi un déterminisme rigoureux dans la nature matérielle : nulle morale n’est intelligible sans cela.

Ces conclusions ne résolvent sans doute aucune difficulté et n’apportent rien de bien nouveau : mais le livre est sérieux, documenté, de discussion serrée et intéressante ; et, dans la partie critique au moins, il y a beaucoup à en retenir : l’examen du dilemme de Lequier par exemple (p. 148) et la distinction de trois formes de pragmatisme (p. 154), correspondant à l’indéterminisme agnostique de W. James, à l’anti-intellectualisme intuitiviste des bergsoniens et enfin au néo-criticisme, où la volonté est conçue comme construisant la connaissance elle-même.

La Vita e il Pensiero di Roberto Ardigô, con un indice dei soggetti delle « Opere Filosofiche » e due ritratti, par Giovanni Marchesini, 1 vol. in-8 de XII-388 p., Milan, Hoepli, 1907. — Ardigô est le Herbert Spencer italien. Un disciple nous trace un tableau de sa vie et de son activité philosophique. Nous ne prétendons ni qu’Ardigô soit un disciple de Herbert Spencer, purement et simplement, ni qu’il n’ait joué en Italie un rôle fort important de libérateur intellectuel et d’initiateur. Nous craignons seulement que le résumé de sa doctrine, tel que M. Marchesini nous le donne, ne suggère pas beaucoup d’idées nouvelles, à qui a lu Herbert Spencer. Sans doute, l’« Indistinct » d’Ardigô n’est pas l’« Homogène » de Spencer ; la loi du passage de l’indistinct au distinct n’est cependant, au mieux, qu’un perfectionnement de la loi spencérienne du passage de l’homogène à l’hétérogène. La doctrine d’Ardigô — est un monisme positiviste qui considère le fait comme étant à la fois et indivisiblement force et matière — la force correspondant à l’aspect, temps ou succession, la matière à l’aspect espace ou coexistence, — âme et matière. M. Marchesini expose avec clarté cette doctrine. Il l’accompagne de « notes illustratives » et de « considérations critiques ». Il lui donne pour préface une courte et intéressante biographie du philosophe, où il nous raconte la conversion du philosophe au positivisme. Né en 1828, ordonné prêtre en 1851, il le reste jusqu’au mois de septembre 1870, c’est-à-dire jusqu’au moment même de la chute du pouvoir temporel de la papauté. Il avait été suspendu a divinis en 1869 pour une conférence où il glorifiait l’humaniste Pomponazzi ; en 1870, il protesta publiquement contre le dogme nouveau de l’infaillibilité papale. Avait-il déjà cessé d’être chrétien ? Non, s’il faut en croire celui qui se faisait alors son protecteur auprès du Saint-Siège, Monsignor Martini. « La suspension a divinis d’Ardigô produisit une impression très déplaisante sur la majeure partie du clergé, du peuple, sans parler des classes supérieures. Car la vie du chanoine était, par sa modestie, sa réserve, sa sévérité, édifiante pour tous les ordres de citoyens. Sa piété et son recueillement dans la célébration des divins mystères, et dans la récitation des Psalmodies est vraiment exemplaire. Les Ursulines elles-mêmes, dans l’oratoire desquelles il célébra la messe pendant quelque temps, en étaient émerveillées, de sorte que lorsqu’elles connurent sa suspension, elle ne pouvaient y croire, et répétaient : suspendu ce prêtre ! suspendu ce prêtre qui célébrait la messe avec tant de révérence, qui nous émouvait si profondément, qui était si bon et si modeste ». C’est la même année cependant que parut sa Psychologie comme science positive, introduction au reste de son œuvre : et M. Marchesini compare sa conversion à la subite illumination de saint Paul. Les documents que nous apporte M. Marchesini sont intéressants ; ils nous inspirent le désir d’en posséder d’autres, et de mieux comprendre le secret de cette conversion individuelle, en quelque sorte représentative, comme elle est contemporaine, de la révolution d’où la nouvelle Italie est sortie.

Giordano Bruno, Opere italiane, I, Dialoghi metafisici, con note di Giovanni Gentile. 1 vol. 420 p. in-8, 1907, Leterza à Bari. Nous signalons avec plaisir à nos lecteurs l’édition à la fois populaire et très soignée que M. Gentile vient de donner dans la Collection (en italien) des classiques de la philosophie moderne, qu’il dirige avec M. B. Croce. Ce premier volume comprend les trois dialogues : Cena de le Ceneri de la Causa Principio e Uno, — de l’Infinito, — Universo e Mondi ; il sera suivi prochainement d’un second volume qui contiendra les Dialogues muraux.

REVUES ET PÉRIODIQUES

Revue des Sciences philosophiques et théologiques. Bureaux de la Revue : le Saulchoir à Kain (Belgique). — Le mouvement intéressant qui se poursuit dans les pays de langue française pour sonder le mouvement apologétique et le mouvement philosophique, du point de vue catholique, et qui se traduit par la rénovation des Annales de philosophie chrétienne, par le développement parallèle des deux organes de l’Institut catholique de Paris : la Revue de Philosophie et la Revue pratique d’Apologétique, a donné naissance à cette Revue. Le premier numéro est de janvier 1907. Elle paraîtra tous les trois mois par fascicules d’environ 200 pages. L’intérêt de cette revue, en dehors des articles dogmatiques, qui se rattachent, semble-t-il, à la tradition de la pensée dominicaine, est dans le développement considérable donné à la bibliographie, tant philosophique que théologique, au soin minutieux avec lequel a été fait, en particulier, la recension des Revues parues dans le dernier trimestre de l’année 1906. L’étendue de l’information et l’objectivité de l’analyse promettent de faire de ce Bulletin un excellent instrument de travail.

Zeitschrift für Aesthetik und allgemeine Kunftwissenchaft, publié par M. Max Dessoir. — Première année (Quatre fascicules). Stuttgart, Verlag von Ferdinand Enke, 1906. — Le fondateur de cette Revue d’esthétique a remarqué que, dans ces dernières années, la curiosité pour les questions d’art s’était beaucoup accrue, ainsi que le nombre des philosophes ou artistes qui apportent à ces questions des préoccupations scientifiques. Il y a là une matière suffisante pour une Revue spéciale et certainement aussi un public. Actuellement, ceux qui veulent suivre la pensée esthétique contemporaine doivent la dégager de travaux divers et ne trouvent nulle part d’exposition théorique d’ensemble. C’est pour répondre à ce besoin que s’est fondée cette revue, qui paraît quatre fois par an. Chaque numéro, outre des articles sur des sujets spéciaux, contient des comptes-rendus critiques d’ouvrages d’esthétique théorique ou se rapportant à des œuvres particulières. Le programme est des plus vastes et rien de ce qui touche aux conditions générales de l’art n’en est écarté. Études sur l’histoire de l’esthétique et recherches expérimentales sur les conditions élémentaires de l’art ; analyses des impressions esthétiques ; études sur l’art des peuples sauvages et des enfants ; sur la création de l’artiste ; sur les questions générales de la poétique, de la musique, des arts plastiques ; enfin dissertations sur la place que prend l’art dans notre existence intellectuelle et sociale. Tels sont les sujets qui seront traités dans cette nouvelle publication.

Les numéros parus répondent parfaitement au programme annoncé par la Revue et, sans sortir des limites assignées, le sujet est assez vaste pour permettre dans la succession des articles une variété qui nous fait passer de la théorie esthétique de Kant à une dissertation sur les laques japonaises, d’Ibsen à la musique primitive de l’Église chrétienne. Beaucoup de ces articles sont du plus vif intérêt ; ainsi M. Theodor Lipps étudie d’une façon fort curieuse la valeur expressive de chaque ligne et quelle raison l’artiste a d’employer une ligne ronde ou serpentine pour suggérer tel ou tel sentiment. M. Konrad Lange, avec beaucoup de pénétration et un peu de subtilité aussi, commente la théorie, courante depuis le XVIIIe siècle, d’après laquelle l’art est un jeu : il montre comment cette assimilation de l’art à un jeu est une conséquence toute naturelle du classicisme qui plaçait l’art non pas dans le sentiment, mais dans la maîtrise intellectuelle sur le sentiment ; rien n’est plus juste et ne montre mieux l’opposition du classicisme et du romantisme qui renversera les termes et voudra que l’art soit d’une sincérité directe et comme une confidence involontaire. M. Georg Simmel se pose la question de la troisième dimension dans les arts plastiques. De très grands artistes s’en sont passé ; est-elle indispensable ? et pour résoudre ce problème esthétique, il cherche par une savante analyse psychologique comment naît, et à laquelle de nos facultés se rattache, la perception de cette troisième dimension. Ailleurs encore, sur le coloris, une dissertation très nourrie de faits, de M. August Kirschmann qui analyse la couleur, montre son caractère relatif et, sur les propriétés générales des teintes dites chaudes ou froides, etc., présente quantité de remarques tout à fait personnelles. D’autres articles seraient à citer sur la poésie et la musique ; mais la Revue de M. Max Dessoir est dès maintenant trop riche pour que je puisse tenter de dire tout ce qu’elle contient.

En général, ces articles sont d’une lecture assez claire et les auteurs semblent avoir voulu éviter le péché favori de l’esthéticien qui est, faute de termes propres, d’employer les mots au rebours de leur sens ordinaire. Beaucoup d’eux prennent la précaution de définir les termes essentiels, mais tous n’ont pas pour le lecteur cette amabilité ; l’article peut-être n’en perd rien de sa valeur, mais le lecteur y perd de ne pas s’en rendre compte. Quoi qu’il en soit, même si dans des spéculations de ce genre, il doit y avoir bien des mots rassemblés sans utilité évidente, — et l’allemand se prête beaucoup à ces assemblages de mots — les préoccupations esthétiques n’en sont pas moins fort légitimes, et les Revues qui présentent des dissertations de cette nature tout à fait louables. Disserter sur le beau, sans doute, n’apprendra pas leur métier aux artistes et aux poètes, mais il n’est pas vrai, comme on le dit trop souvent que cela ne nous aidera pas à comprendre un peu leurs œuvres. La recherche historique à laquelle, chez nous, on tend de plus en plus à limiter l’étude de l’art, par réaction contre le dogmatisme passé, a le tort d’écarter toujours davantage l’historien de l’œuvre d’art qu’il veut comprendre. Les spéculations esthétiques éloignent peut-être moins du but. Leurs prétentions semblent ambitieuses à cause de la modestie et de l’incertitude de leurs résultats. Mais au moins ont-elles cet avantage de mettre un peu de notre sensibilité sous forme d’idée nette et d’enrichir notre intelligence de la beauté. Au contraire l’étude purement historique, absorbée par une recherche exclusive et difficile du fait exact, tend naturellement à oublier ce qui dans une œuvre d’art mérite d’abord d’être connu, à savoir le phénomène d’art. Beaucoup affectent du mépris ou de la terreur pour les idées sur l’esthétique et cependant il est étonnant de voir à quel point l’histoire de l’art est en général indigente de toute idéologie de ce genre.

Hibbert Journal (London : Williams and Norgate). — C’est une revue trimestrielle de fondation récente : son premier numéro date d’octobre 1902. Elle est arrivée très vite à un succès de librairie considérable, et s’est attiré la majeure partie du public, de plus en plus nombreux en Angleterre, qui s’intéresse aux questions religieuses. C’est une revue de philosophie religieuse au premier chef. Selon les termes de son programme initial, le Hibbert Journal note les différences d’opinion existantes, comme on observe tout phénomène naturel : il ne cherche pas à opérer, entre les variétés de la pensée religieuse, une conciliation arbitraire ; il ne fait pas davantage choix, entre elles, d’un type arrêté. Seulement, ajoutent les éditeurs, « nous défendons trois vérités positives : que le Terme de la pensée est Un ; que la pensée, dans son effort pour atteindre le terme, doit se mouvoir sans cesse ; que le conflit d’opinions aide le mouvement par lequel la multitude approche l’Un. Ces trois principes connexes traduisent l’esprit du Hibbert Journal, comme revue de religion, théologie et philosophie ».

Les tendances philosophiques du Hibbert, dans l’ensemble, sont assez voisines des tendances de l’école d’Oxford, et pourraient être caractérisées d’idéalisme expérimental. On part bien de l’inspiration individuelle, mais d’une inspiration qui n’est pas purement subjective, qui n’a rien, en tout cas, d’égoïste ni d’aristocratique, et qui se présente comme la recréation, par la personne, d’une expérience sociale diffuse. Ainsi, nous dit M. Schiller, d’Oxford (Rêves et Idéalisme, oct. 1904), l’idéalisme d’antan paraît définitivement dépassé : cet idéalisme, qu’on peut appeler absolu, « procède de l’assertion fondamentale de tout idéalisme : à savoir que la réalité, c’est l’expérience. Mais il explique cette proposition, en affirmant : 1o que l’expérience qui est coextensive avec la réalité ne doit pas être identifiée avec notre expérience, comme l’idéalisme subjectif le suppose à tort ; 2o que, d’autre part, cette affirmation de l’indépendance de la réalité et de notre expérience n’implique pas un retour au réalisme : la réalité, c’est l’expérience de l’Absolu ». C’est là un compromis intenable. Derrière ces confusions de l’idéalisme pur, par delà un réalisme rigide, entre les anciennes doctrines antagonistes, une nouvelle doctrine se fait jour, plus solide, plus claire, plus abordable et, en même temps, plus conforme au sens commun, et qui « peut même conduire à la réconciliation du réalisme et de l’idéalisme ». Le moi et le monde sont deux termes corrélatifs ; l’un ne peut être connu sans l’autre. L’impossibilité du solipsisme et la conception d’un dehors indépendant, ne sont point des nécessités logiques, ni des inférences inévitables ce sont des jugements pratiques, des notions qui réussissent ; « c’est simplement parce que le monde des rêves est d’une valeur moindre pour nous, que nous le jugeons irréel ». D’ailleurs, l’expérience du rêve implique une immense extension des possibilités d’existence ; elle nous suggère la notion d’ordres différents de la réalité, et d’une réalité plus pleine, qui transcenderait la vie de la veille, comme celle-ci transcende les rêves.

Au point de vue religieux, le Hibbert donne asile à toutes les opinions libérales, qu’elles viennent du protestantisme radical ou, même, du côté romain, — et l’on sait qu’en Angleterre certains catholiques, le P. Tyrrell entre autres, ont pris la tête du mouvement avancé de la pensée religieuse. On y discerne sans peine, cependant, une influence unitarienne marquée : singulière destinée, que celle de cette secte minuscule, les Unitariens, issue au XVIIIe siècle des vieux Presbytériens, fondée sur l’affirmation de l’Unité divine et amenée, par là, à nier la divinité du Christ, vivante surtout par son rayonnement dans les Églises, et actuellement en voie de réintroduire la croyance à la divinité du Christ, grâce à la philosophie de l’immanence et de la « consubstantialité de l’homme avec Dieu ».

Conformément à ces principes et à cet esprit, le Hibbert s’est mis au travail de réinterprétation de la doctrine chrétienne. Convaincu que la pensée contemporaine revient de toutes parts, pour des raisons très diverses et d’autant plus inéluctables, à une conception spirituelle du monde (James Ward, Mécanisme et morale, oct. 1905) ; convaincu, de plus, que cette conception est identique, en son fond, avec le christianisme, bien que le rapport n’en soit pas encore évident aux yeux de tous, un groupe d’écrivains a entrepris de rechercher les raisons profondes de ces tendances, et de manifester le christianisme qu’elles recèlent. On s’efforce donc de dégager, non pas tant l’essence du christianisme, que ce qu’il y a de vivant en lui, par-dessous les interprétations courantes qui le déforment. En ce sens, citons au premier rang les articles du principal de l’Université de Birmingham, sir Olivier Lodge, qui a passé tout récemment de la théorie des ions à la doctrine du péché (oct. 1904) et aux principes de la foi (juillet 1906). Citons aussi les articles de M. Pickard-Cambridge, d’Oxford, sur le Christ du dogme et le Christ de l’expérience (janv. 1905) ; de M. MacTaggard, de Cambridge, sur l’Insuffisante de certaines bases communes de la croyance (oct. 1905) ; et de M. Campbell Fraser, sur Notre risque ultime (janv. 1906), c’est-à-dire la recherche de postulats moraux et spirituels impliqués dans notre croyance initiale en un cosmos physique. Quelques pages d’un ministre congrégationaliste de Londres, le Rév. R. J. Campbell, sur la Doctrine de l’expiation et la pensée sémitique (janv. 1906), méritent une mention spéciale : non pas qu’elles aient, pour l’exégète et pour l’historien, une bien grande valeur ; mais elles résument bien la pensée philosophique latente, de ce néo-christianisme : et, par la polémique qu’elles viennent de soulever en Angleterre, elles ont eu le mérite de poser le problème dans toute son acuité. Pour M. Campbell, la doctrine de l’expiation est d’origine sémitique : l’idée primitive est simplement celle d’une solidarité de vie entre Dieu et ses adorateurs ; le système sacrificiel ne comporte nulle idée de propitiation : il est « l’offrande symbolique de l’individu et de la communauté, comme tout, à la divinité comme à son véritable achèvement ». La notion de péché serait une surcharge d’origine babylonienne : la théologie chrétienne a eu le tort de lui donner le premier rang, et de présenter une doctrine purement matérielle de la rédemption. Il faut revenir à l’idée primitive, sans chercher, dans le sacrifice du Christ autre chose qu’un modèle de dévouement. « L’offrande la plus agréable à la divinité est celle qui réclame le plus de l’individu pour la vie de la race… Qu’une vie ait été vécue une fois en termes de l’ensemble, et ait accepté les conséquences de cette acte, voilà la Rédemption : et elle ne recevra son plein effet que lorsque la race tout entière se sera conformée à son esprit et à sa ressemblance ».

Lorsqu’on se place en présence de la pratique religieuse, lorsque c’est, non plus le problème intellectuel, mais le problème moral, et social, qui prime, le ton change. Aussi ces tendances « spiritualistes » se trouvent-elles curieusement liées à une refonte de l’idée de société dans un sens très opposé à l’ancienne théorie protestante, congrégationaliste, des droits souverains de l’individu ou du groupe d’individus. À l’idéal ancien d’un catholicisme morcelé en petites Églises, toutes complètes et indépendantes, on substitue de plus en plus la conception d’une société organique, vue, douée d’une autorité collective et historique, à laquelle tous les groupes se subordonnent. Un célèbre ministre congrégationaliste de Londres, le Dr Forsyth, principal du collège théologique de Hackney, s’est fait l’interprète de ces idées nouvelles, en deux articles curieux : Autorité et théologie (oct. 1905. C’est une erreur de croire que notre protestantisme ait placé l’autorité dans la conscience individuelle : l’autorité est un donne, quelque chose qui s’impose à la conscience par l’histoire) ; — et Un centre de ralliement pour les Églises libres : la réalité de la grâce (juillet 1906. L’Église romaine se concentre sur la doctrine d’une société divinement instituée, l’Église, mouvement d’une immense portée en un âge social. La Bible a perdu, pour nous, son autorité infaillible ; la simple fédération entre église est insuffisante : il nous faut une autorité, centrale et créatrice ; il nous faut un dogme d’Église).

Il sera intéressant de suivre ce conflit entre le besoin pratique croissant d’une autorité, d’une Église, et l’aspiration de la pensée religieuse à s’émanciper de toute orthodoxie pour devenir elle-même l’orthodoxie de la société moderne.

Rivista di filosofia e scienze affini (9e année, 1906). — Signalons, dans cette revue qui représente le courant positiviste de la pensée philosophique italienne, les articles de MM. R. Ardigô, le chef de l’école, sur « la philosophie telle qu’elle doit être conçue aujourd’hui par rapport à la connaissance scientifique », sur « l’acte volontaire comme acte réflexe », sur « les trois moments critiques de la gnostique de la philosophie moderne » (Hume, Kant, le positivisme), et enfin sur « le rêve et la veille » (M. Ardigò veut démontrer que la pensée de la veille ne diffère pas essentiellement de celle du rêve, et que l’âme, la psyché, n’est rien qu’une formation naturelle biologique, analogue à celle des appareils des divers organes) ; — G. Danesco sur des « études de psychologie gnoséologique » et sur « la métaphysique de la sensation » ; — G. Marchesini sur « l’équivoque de la conscience moderne » (l’auteur défend les droits de la science, qui, sans heurter les droits de la foi, se présentent avec des caractères différents, et, par un côté, supérieur) ; — G. Tarozzi sur « le devoir civique et moral du professeur dans les établissements d’enseignement secondaire », et sur « l’inspiration humanitaire dans l’art » ; — C. Ranzoli sur l’idéalisme moderne, dont il analyse les origines, et qu’il confronte avec le positivisme ; — B. Varisco sur « les droits du sentiment » ; L. Limentani sur « une théorie de la prévision psychologique ». — D’autres articles traitent de questions de philosophie morale et juridique, d’histoire de la philosophie, de science, de pédagogie : M. G. Galdi étudie « la théorie de l’équilibre en pathologie » selon Le Dantec. — Nouvelle rubrique, intitulée « Questions variées ».

Nouvelles revues italiennes. — Pendant que la Rivista filosofica, sous la direction du docteur E. Suvalta, continue la Rivista italiana di filosofica, dirigée, jusqu’à sa mort, par Carlo Cantoni (signalons le numéro de novembre-décembre qui contient plusieurs articles consacrés à l’œuvre du grand philosophe), pendant que, la Rivista di filosofia et scienze affini, patronnée par Ardigô, l’autre patriarche de la philosophie italienne, poursuit, sous la direction du professeur Marchesini, le cours de son existence, trois nouvelles revues viennent de paraître, signe, comme dit la préface de l’une d’entre elles, de « la faveur croissante qu’acquièrent constamment en Italie les études philosophiques ».

La Cultura filosofica est une simple revue critique. Elle est dirigée par M. F, de Sarlo. Chaque numéro, mensuel, contient trois ou quatre études approfondies sur des ouvrages récents, suivies de courtes « recensions » consacrées à d’autres ouvrages jugés moins importants. Le point de vue auquel se placent les critiques semble être celui du rationalisme classique : les analyses sont consciencieuses et les discussions qui suivent les analyses, paraissent méditées et judicieuses.

Les deux autres Revues présentent un caractère différent : c’est une inspiration religieuse et mystique qui y règne. Il Rinnovamento, « revue critique des idées et des faits », est sinon dirigée par M. Fogazzaro, tout au moins publiée sous son patronage moral. Convaincus que « Cristianesimo è Vita », les rédacteurs veulent allier l’absolue liberté de la recherche intellectuelle avec le respect pieux de la tradition et de l’institution catholiques. « Associer l’action à l’idée, dans les limites de nos facultés, nous parait un devoir. Quelques-uns de nous sont des hommes de foi, d’autres sont des hommes de science. Ce qui nous unit, c’est le commun propos de travailler pour la vérité, pour en accroître la lumière, pour en propager le désir et le culte. Nous voulons avant tout concentrer une lumière rationnelle sur le problème religieux dans ses termes plus généraux. » Ainsi s’exprime M. Antonio Fogazzaro, dans un premier article intitulé « Pour la vérité », et il annonce en outre, « des lectures publiques d’un caractère scientifique par la sévérité de sujet traité et de la manière de le traiter, destinées par conséquent à un auditoire spécial et capable d’être ensuite vulgarisées dans la presse avec une utilité durable ». Trois articles suivent d’abord la traduction d’un chapitre du livre déjà vieux, où l’Anglais Edward Caird utilise le hégélianisme pour les besoins de l’apologétique chrétienne ; puis un article où M. Romolo Murri critique le parti socialiste italien, lui reprochant d’avoir abandonné sa mission proprement économique, pour devenir ce qu’avait été le parti républicain, un parti de dogme philosophique et religieux, et, pour mieux parler, antireligieux : enfin un premier essai de M. Antonio Garabasso, qui veut montrer l’intérêt philosophique que présentent les nouvelles recherches des physiciens sur la notion de temps, et étudie, à la lumière de ces recherches, la notion de temps chez Platon, Aristote, saint Augustin. Suit une chronique, fort complète, de la vie et de la pensée religieuse.

Le Coenobium est beaucoup moins orthodoxe encore que le Rinnovamento. C’est une revue bilingue, où les articles français (La Croyance et la Foi, par E. Giran. — Les Morales Récentes, par Paul Buquet. — À propos d’art arabe, par Albert Guénard. La politique moderne et les combats des gladiateurs, par J. Novicow) alternent avec les articles, italiens. C’est une revue d’études morales, et surtout religieuses, et dont la préoccupation semble être de ramener la pensée occidentale à ses origines orientales (v. les articles de K. E. Neumann et de G. de Lorenzo sur le bouddhisme). « Nous pensons, déclare la Rédaction, que les civilisations orientales vont utilement faire pénétrer dans notre conception, en réalité tout économique, de la vie, le parfum d’une pensée plus profondément religieuse ou philosophique. Nous aspirons à une civilisation mondiale… dans laquelle les résultats obtenus au cours des siècles par les diverses races humaines — aussi bien dans le champ de l’organisation matérielle que dans celui de l’attitude morale, dans la manière d’être métaphysique, en quelque sorte, de la conscience, dans la manière de concevoir les rapports entre notre vie et la vie — seront fondus et accordés dans une seule harmonie. »

FONDATION
ARTHUR HANNEQUIN

Les amis et les disciples d’Arthur Hannequin nous prient — et nous nous empressons d’accéder à leur requête — de faire appel à la générosité de nos lecteurs en faveur d’une œuvre collective destinée à prolonger son action. Ils voudraient, d’abord, par souscription, créer, en son honneur, à l’université de Lyon, au profit d’un étudiant philosophe, une bourse de voyage à l’étranger. Une bourse de 300 francs y suffirait, l’expérience l’a montré : et, suivant le revenu du capital recueilli, elle pourrait être attribuée à des intervalles plus ou moins rapprochés. La somme nécessaire sera dépassée sans doute : et l’excèdent permettra de donner satisfaction à un second vœu : un médaillon, fixant pour les jeunes générations d’étudiants les traits d’Arthur Hannequin, pourrait être placé à la Faculté, dans la salle de philosophie déjà enrichie du don de sa bibliothèque.

CORRESPONDANCE

Monsieur le Directeur,

Les sentiments que vous professez pour la mémoire de mon cher mari m’engagent à vous demander de vouloir bien insérer, dans votre Revue, une prière et un appel à tous ceux de vos lecteurs qui furent en rapports avec lui.

Cédant aux conseils pressants de savants illustres de tous les pays, qui pensent que la mémoire de Paul Tannery et aussi l’intérêt de la science m’en font un devoir, je recherche, auprès de tous ses correspondants, les lettres philosophiques et scientifiques échangées avec eux durant de longues années. Je voudrais en former le recueil aussi complet que possible, soit pour le publier un jour, soit du moins pour le déposer dans une Bibliothèque publique où pourrait être facilement consulté. J’ai déjà les lettres adressées à Allman, Teichmüller, Delbœuf, Zeuthen, Heïberg, Eneström, Diels, Schiaparelli, Loria, Korteweg, Bosmans, etc. J’attends celtes de Favaro, de Stein, etc. Ces lettres sont le complément ou le commentaire indispensable de ses travaux que j’espère réunir et publier bientôt. Beaucoup de questions scientifiques y sont touchées et souvent traitées à fond : c’est un peu, si je ne me trompe, l’histoire de la science à notre époque.

Malheureusement jusqu’à ce jour le recueil est encore incomplet, surtout pour notre pays. Les recherches sont parfois difficiles. Le nom et l’adresse de bien des correspondants m’ont échappé. D’autres sont morts et je ne connais pas leurs héritiers. De là, pour moi, des difficultés presque insurmontables, et la crainte douloureuse de ne pouvoir atteindre mon but.

J’ai pensé, monsieur le Directeur, que vous consentiriez à me prêter la publicité de votre Revue, pour y insérer cet appel à tous les amis connus ou inconnus de Paul Tannery.

Je les prie instamment de vouloir bien m’adresser les lettres qu’ils auraient pu recevoir de mon mari, afin que je puisse, au moins, en prendre la copie. Si le sacrifice leur coûte, qu’ils soient assurés que nul plus que moi n’en appréciera la délicatesse et la générosité. Dès maintenant je leur en exprime ici toute ma profonde reconnaissance.

Veuillez, monsieur le Directeur, agréer mes sentiments de gratitude et de respect.

M. Tannery
7 mars 1907.