Collectif
La cloche
Revue de Montréal1 (p. 129-130).

LA CLOCHE


Qui ne se souviendrait du temps de la jeunesse,
De ces jours où l’espoir attisait la gaîté,
Et quel est le passé qui jamais ne renaisse
Pour peu qu’on ait le cœur placé du bon côté ?

Or, dans mes souvenirs, il en est un peut-être
Que mes vieux compagnons ne méconnaîtront pas.
Il vient comme un oiseau vibrer à ma fenêtre,
Ou me joint dans la foule et s’attache à mes pas.

C’est le son de la cloche appelant à l’église
Tout ce peuple affairé que Dieu comble d’amour
Et qui, simple, s’en va dans sa plus belle mise,
Lui payer le tribut de son septième jour.


Ce chant ne frappe plus chaque jour mon oreille.
J’ai quitté les amis de mes jours d’autrefois.
Tout un monde nouveau m’environne et réveille
Tout ce monde lointain que j’ai vu tant de fois.

Mais dans votre village, en ce lieu solitaire,
Où mon pas voyageur semble dépaysé
N’ai-je pas reconnu dans sa note légère
La cloche qui sonna quand je fus baptisé !

Où donc avez-vous pris ce clairon qui m’appelle ?
C’est le timbre, la voix du cuivre de « chez nous. »
Vous ne comprenez pas tout ce qu’il me rappelle
Et combien j’aimerais à l’entendre à genoux !

Est-il vrai que le cœur se montre plus sensible
En raison de l’espace et du temps disparu,
Et que plus on vieillit, plus la pente terrible
Nous rend cher le passé, ce chemin parcouru ?

Pourquoi faut-il vieillir ! S’en trouve-t-on plus sage ?
Les traces de nos pas se comptent par regrets.
Notre gaîté s’envole, et les « glaces de l’âge »
Ne sont pas un vain mot dont on rira jamais.

L’homme existe si peu ! Bienheureux s’il espère.
Heureux s’il se souvient et chérit le passé.
Sa vie est brusquement ramenée en arrière
Par un mot, un objet, un son vite effacé.


Benjamin Sulte.