Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Victor Hugo
VICTOR HUGO.
Un grand nom, un homme de génie ; mais qui a trop vécu. Rien qu’à parler de lui, on se surprend à faire des phrases courtes et hachées, pleines de sous-entendus, sans verbe, sans tête et sans queue. C’est sa dernière manière, pour moi je préfère l’autre.
La bouche d’Ombre s’est encore une fois ouverte et les journaux de Paris annoncent la publication d’un grand ouvrage en quatre parties, ayant pour titre : « Les Quatre Vents de l’Esprit. » Nous n’avons pas encore vu l’ouvrage qu’on nous donne comme égal à ce qu’il a fait de mieux, mais le Courrier des États-Unis en détache la « belle et courte pièce que voici : —
Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends Je ne sais pas un mois d’avance où je serai, |
J’ai relu cette pièce cinq ou six fois. J’ai essayé de me monter l’esprit au diapason voulu pour admirer ; j’ai creusé chacune de ses expressions, je me suis fendu la tête pour découvrir ce que le poète voulait dire. Eh bien, je crois avoir à peu près réussi, mais je ne vous conseille pas le même travail, vrai, c’est fatigant.
D’abord la naïveté.
Je suis haï. Pourquoi ? Parce que je défends
Les faibles, les vaincus, les petits, les enfants.
Ce qu’il défend, ce sont les incendiaires de la commune, les assassins des Otages, Garibaldi, et les Nihilistes.
Je suis calomnié, Pourquoi ? Parce que j’aime
Les bouches sans venin ; les cœurs sans stratagème
Ceux qu’il aime, ce sont les pétroleuses, les forçats, les prostituées. Vraiment, il est naïf, le poète ou bien il a l’ironie bien noire. Mais enfin, cela est écrit en vers ; c’est beau, si vous voulez, comme poésie ; c’est bête, mais c’est beau, Allons plus loin.
Je vois en moi l’erreur tomber et le jour croître,
Rien de fermé. Le ciel ouvert. L’étoile à nu.
L’idole disparaît, Dieu vient. C’est l’inconnu
Mais le certain.
Y êtes vous ? L’erreur tombe et le jour croît.
L’erreur c’est la nuit, sans doute, comprenez-vous ? Bien de fermé. Le ciel ouvert. Naturellement si rien n’est fermé, le ciel est ouvert, et le poète y voit clair comme le jour. Et qu’est-ce qu’il y voit ? L’inconnu, mais le certain. Mais alors, si l’inconnu est le certain, le certain est inconnu ; le certain est incertain, n’est-ce pas ? Comme c’est beau la poésie de Victor Hugo, quand il veut s’en donner la peine !
L’abri pour le sommeil, le pain pour le repas,
Je les trouve.
Le pauvre homme ! Un des plus forts actionnaires de la Banque Nationale de Belgique, un millionnaire, il trouve « un souper, un gîte et le reste » comme le disait le bon Lafontaine, qui lui n’avait jamais su compter.
Le juste — hélas, je saigne, où sont ceux que j’aimais ?
Sent qu’il va droit au but quand au hasard il marche.
Si ce n’était pas un sacrilège, ne dirait-on pas une cheville des mieux conditionnées ? Et l’idée : va droit au but quand au hasard il marche — n’est-ce pas précisément ce que je vous disais : le certain, c’est l’incertain.
Le ciel ouvert, l’étoile à nu, qu’y voit-on ? Ténèbres et mystère ! L’Ombre partout. Il faut, pour y arriver marcher à tâtons. Pour atteindre son but, il faut marcher au hasard. N’est-ce pas sublime ? Ô irrévérencieux mortels ! Prosternez-vous, et adorez. Vous ne voyez rien, vous ne savez pas où vous allez ; marchez toujours ; l’inconnu c’est le certain, le ciel ouvert, c’est l’Ombre, l’étoile à nu c’est… qu’est-ce que ça pourrait bien être ?
Je dis : Espère et crois, qui que tu sois qui souffres.
Quelle harmonie ! Et comme cela fait bien, crié à l’ombre immense !
Je sens trembler sous moi l’arche du pont des gouffres ;
Pourtant je passerai, j’en suis sur. Avançons.
Par moments la forêt penche tous ses frissons
Sur ma tête, et la nuit m’attend dans les bois traîtres ;
Ce sont là quatre beaux vers. Eh ! personne n’a prétendu que Victor Hugo n’en faisait pas. Seulement ces quatre vers sont-ils suffisants pour racheter le baroque, le burlesque, le galimatias du reste ?
Le reste de la pièce est du style dur, prosaïque, obscur, sybillin, de la plus mauvaise manière de Victor Hugo. Et c’est cela qu’on nous donne comme échantillon des « Quatre Vents de l’Esprit ? »
Entendons-nous. Je suis un admirateur ardent de Victor Hugo des Odes et Ballades, des Chants du Crépuscule, des Feuilles d’Automne, des Chansons des Rues et des Bois, des Misérables même, qui ont une étrange grandeur. Il y a des bornes à l’admiration. Je lis les yeux ouverts. Pour moi, le certain c’est le connu, et l’ombre immense m’a toujours semblé obscure. Voulez-vous ma façon de penser ? Victor Hugo a oublié un des vents de l’esprit, celui qui l’a le plus affecté, le vent de Gastibelza, l’homme à la carabine.
Le vent qui souffle à travers la montagne
L’a rendu fou.
Il est certain que si un Fréchette quelconque avait commis une pièce aussi baroque, où il n’y a pas d’harmonie, où le poète se moque à chaque mot des règles de la prosodie, de la grammaire et du bon sens, elle aurait été accueillie par un immense éclat de rire. Mais parce que c’est signé Victor Hugo, on nous la donne comme un chef-d’œuvre. Eh bien, non, je soutiendrai mordicus que c’est tout ce qu’on voudra, excepté de la poésie.