Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Champlain et la Verendrye
CHAMPLAIN ET LA VERENDRYE.[1]
Deux figures se détachent au-dessus de toutes les autres dans la galerie des personnages qui se présentent à nous comme les fondateurs du Canada. Samuel de Champlain et Pierre de La Verendrye.
L’un de ces hommes extraordinaires fut le père des provinces de Québec et d’Ontario ; le second, arrivé sur la scène un siècle plus tard, découvrit et fonda le Nord-Ouest.
L’œuvre de chacun d’eux a été définitive. Une fois leurs travaux accomplis, ils ne se sont pas couchés dans la tombe accablés sous le poids du doute et des chagrins, non ! trente années de lutte avaient produit le triomphe, le succès.
Il ne manque, aujourd’hui, à l’un et à l’autre de ces courageux athlètes qu’une colonne de granit sur la place publique.
Champlain reçut le Canada sauvage, l’explora, y fit venir des colons et en forma une nouvelle France si bien constituée qu’elle vécut et se développa en dépit des obstacles apportés par la mère-patrie elle-même.
La Verendrye ne trouva pas ce cadre assez vaste, il voulut le doubler — il le tripla. Les anciens s’étaient arrêtés au lac Supérieur — il se mit en tête d’aller jusqu’aux bornes du monde et y parvint, laissant sur ses traces une chaîne d’éta-blissements qui ne devaient pas périr.
Deux grandes dates s’imposent donc à notre étude : 1608, fondation de Québec ; 1731, départ de l’expédition du nord-ouest, il y a juste cent cinquante ans dans le présent mois de juin.
Un premier Canada à l’est, était sorti des rêves de Champlain. Le second, à l’ouest, nous fut donné par La Verendrye. Le troisième, au nord, se personnifie dans le sieur des Groseillers, qui le comprit et ne fut pas compris.
De 1608 à 1750, bien des noms brillent dans l’histoire des découvertes. C’est au point que nos ancêtres apparaissent comme autant de Livingstons et de Stanleys sur la carte de l’Amérique du nord. Il faut savoir conserver ces noms et accorder à chacun sa part de mérite, mais que dire des deux grands hommes qui dominent toute cette glorieuse pléïade !
Pour les apprécier à leur valeur et marquer le rang qu’ils doivent occuper dans nos souvenirs, il suffit de les mettre en regard de ceux qui ont des droits à la haute renommée de découvreurs ou de fondateurs. C’est ce que nous allons faire en peu de mots.
Jacques Cartier (1534-1544) reconnaît le Saint-Laurent jusqu’à Montréal et ne laisse après lui ni fondation ni organisation stable.
Jean Nicolet (1634) pénètre jusqu’au Wisconsin et attire la traite de ces régions vers les postes du Saint-Laurent.
Chouart des Groseillers visite la baie d’Hudson, provoque la fondation de la puissante compagnie de ce nom (1670) et meurt sans avoir donné à sa patrie (la France) le monopole de la traite des fourrures qu’il avait ambitionnée pour elle et que celle-ci ne savait pas utiliser.
Jolliet et Marquette descendent une partie du Mississipi (1673) et n’y retournent plus.
La Salle (1682) parcourt ce fleuve nouveau. Il s’épuise en efforts stériles pour fixer des colons sur ses bords.
Du Luth, Hennepin, Perrot s’avancent (1680) dans le pays des Sioux sans créer de ces colonies vivaces qui servent de noyaux à des provinces ou à des États vivant de leur vie propre.
Tous ensemble ils ont semé les germes de ce que nous voyons, mais aucun d’eux n’a pu se dire en mourant qu’il avait rangé à jamais sous l’étendard de la civilisation un nouveau coin de terre que la barbarie ne recouvrerait pas. Ce sont des Jacques Cartier — des découvreurs officiels, rien de plus.
Quelle différence avec Champlain et La Verendrye !
Le Saintongeois trouve une assiette qui convient à un royaume. Ses plans sont dressés. Il est assez fort pour les conduire à bonne fin. Son génie embrasse l’examen de toutes les parties du problème ; le sol, le climat, les Sauvages, la traite, l’administration, rien n’échappe à sa prévoyance — et il calcule si juste, travaille si bien, que tout vient à point réaliser ses espérances. Déçu à plusieurs reprises, il reprend vigueur, et oblige en quelque sorte les évènements à lui obéir. Il rend son âme à Dieu après avoir imposé sa volonté aux hommes.
Le Trifluvien demande que la Nouvelle-France s’étende jusqu’à la mer de l’Ouest. On a vu des miracles de patriotisme et d’activité sous Champlain et ses successeurs, il ne s’agit que de recommencer. Après avoir été les premiers dans l’Est et le Sud, il faut que les Canadiens devancent les autres races dans l’Ouest. Le gouvernement protestera qu’il n’a pas d’argent, pas d’hommes, pas de projets, qu’importe ! Le courage, le dévouement, le génie tiendront lieu de tout cela. Il n’est pas bon que l’Amérique du Nord reste étrangère à l’influence française ! Portons nos avant-postes au pied des Montagnes-Rocheuses, le roi sera forcé de-nous y suivre. Le gouverneur de Québec commandera un empire grand comme la Russie ; nos colons de la rivière Rouge et de la Saskatchewane se croiront toujours domiciliés dans le voisinage des Trois-Rivières.[2] La Verendrye traverse toutes les épreuves de cette situation exceptionnelle et quand il meurt le nord-ouest est à nous.
Un siècle après Champlain, on ouvrit les yeux sur ce qu’il avait fait. Un siècle après La Verendrye, notre Canada élargissait politiquement ses frontières, selon les plans hardis du découvreur et fondateur du Nord-Ouest. Qu’étaient donc les deux hommes, enfants du travail, qui avaient préparé de la sorte les voies de l’avenir ? De simples patriotes aux vues larges, aux idées claires, joignant à ces dons du ciel les ressources d’une énergie surhumaine. Tous deux rendirent compte au Créateur d’une carrière fructueuse dont les étapes avaient été marquées par la résistance de ministres aveugles appuyant de petits intérêts, coalisés sous l’inspiration de l’égoïsme et de l’indifférence.
Oui, tant que le Canada remontera vers ses origines, deux noms, deux grands exemples se réuniront pour lui rappeler que, à un moment suprême, il s’est trouvé des hommes doués de la faculté étrange de prévoir l’avenir et de lui préparer le terrain.
Benjamin Sulte.