Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Causerie Scientifique (novembre)

Compagnie d’imprimerie canadienne (17p. 686-691).

CAUSERIE SCIENTIFIQUE.



L’électricité, dont je ne puis m’empêcher de parler dans chacune de mes causeries, a eu sa fête triomphale au mois d’août dernier, à Paris, au milieu de la grande exposition organisée uniquement par cette partie de la science qui menace d’être toute la science ; l’Exposition de l’Électricité au Palais des Champs Elysées est un événement trop important pour qu’il n’ait pas une petite place ici.

Sur le faîte du Palais on avait installé deux projecteurs-Maxim d’une puissance d’éclairage qui, d’après le constructeur, devait atteindre une distance de dix kilomètres ; la distance comme on le voit était considérable, la marine et l’armée qui devaient en retirer de si grands services, attendaient avec impatience le résultat promis. Malheureusement les arbres des Champs-Elysées arrêtant les rayons au passage ont enlevé une partie de la force à la lumière, ce qui d’ailleurs ne l’a pas empêchée de donner un très bel effet.

La déception de l’entrée fut néanmoins bien vite oubliée dès que l’on pénétra à l’intérieur du Palais.

Au premier étage étaient exposés les mille et un systèmes d’éclairage que depuis des années le monde a vu naître, mais qu’il n’a pu voir réellement vivre qu’au Palais des Champs Elysées.

Le spectacle est grandiose, la variété des systèmes infinie. Il y en a pour tous les goûts : lumières vive, douce, vacillante, immobile, bleu, rouge, etc., sont là rangées en bataille, prêtes à la revue, réclamant chacune des avantages respectifs, celle-ci pour le théâtre, celle-là pour la manufacture, une troisième pour la navigation, une quatrième pour les combats, etc. Magnifique amas de perfectionnements inouïs nombreux exemples de la fertilité du génie de l’homme !

Arrêtons-nous devant deux des plus curieuses inventions : la lampe culbutante et le phare. La lampe culbutante se distingue par la mobilité prodigieuse de ses rayons qui ne se fixent nulle part et pénètrent partout. C’est un phénomène vraiment bizarre que ce rayon qui n’épargne aucun coin de votre appartement, se faufilant sans cesse comme un filou dans une foule.

Ce qu’il y a de particulier dans le phare, c’est la faiblesse apparente de sa lumière quand on l’approche ; destinée à éclairer l’immensité, sa force ne se révèle que dans l’immensité ; au Palais le phare électrique est comme dans une prison ; aussi de près lumière faible, au loin puissance d’éclairage surprenante. Que de choses, que d’hommes sont dans ce cas.

Parmi toutes les sections, celle qui attire le plus les regards est bien la section américaine. Dix lampes Weston de la force de deux mille bougies chaque la remplissent d’une clarté resplendissante. La lampe Weston est celle qui est le plus en renommée à l’heure qu’il est, au moins dans la république voisine : c’est elle qui éclaire une partie de la ville de Londres.

De la lumière électrique, passons au téléphone. Le téléphone de l’Opéra fonctionne admirablement bien ; les chœurs, l’orchestre vous ravissent, et chacun après ses deux minutes d’audition applaudit à Robert le Diable qui se joue à l’Opéra. Cela doit être bien drôle tout de même d’entendre danser un ballet.

Mais pour moi, une des inventions qui mérite le plus l’attention du visiteur est bien le moulin à coudre qui marche au moyen de l’électricité. On ne criera pas ici : à bas l’invention, parce qu’elle ne diminue pas le nombre d’ouvriers, on poussera plutôt un hourra joyeux, puisque la nouvelle machine, conçue dans un but philanthropique a pour but de diminuer la fatigue du travail, de ce travail qui est la tâche ardue et journalière du sexe faible.

Le moulin à coudre électrique, installé au Palais par la Belle Jardinière, l’un des plus grands magasins populaires de Paris, a remplacé dans cet établissement, son prédécesseur, qui est déjà devenu un vieux moulin, qui doit être comme les vieilles choses relégué à l’arrière plan. Il sert à l’heure qu’il est à la confection des habits de chasse, ce qui fait dire à un chroniqueur porteur d’un habit de la Belle Jardinière : Mon costume était si électrique que je n’ai pas même eu besoin de tirer sur mon lièvre. Dès qu’il m’a vu, il est mort foudroyé.

Cette observation du chroniqueur, me met en mémoire l’anecdote suivante du Masque de Fer. Un électricien nous a expliqué hier, dit-il, la raison des relations amicales qui existent assez souvent entre les chiens et les chats.

Quand vous verrez un chien et un chat faire commerce d’amitié, remarquez que le chien est généralement un vieux chien qui a beaucoup vécu et qui est pourvu de plus ou moins de rhumatismes.

Eh bien !

Eh bien ! toutes les fois que le chien lèche le chat, lui passe affectueusement la patte sur le dos, savez-vous ce qu’il fait ? Il se soigne tout simplement par l’électricité dont la peau du chat est chargée ; le chat n’est pas un ami pour lui. C’est un médicament ! Trêve de plaisanteries : revenons à notre extase de tout à l’heure ; elle nous plonge dans une contemplation bien consolante, puisqu’elle est humanitaire.

Homère a donné Virgile à l’antique Italie, et le Tasse à la nouvelle, le Camoëns au Portugal, Ercilla à l’Espagne, Milton à l’Angleterre, Klopstoek et Goethe à l’Allemagne, et à la France ses plus charmants poètes ; qui donc a inspiré tous les savants ? quel est l’Homère de l’électricité ? Quelqu’il soit, c’est un beau nom aujourd’hui.

La vie pratique nous fait répéter tous les jours que la principale question est la question du pain ; on pourrait appeler cette seule question une des maximes principale de la sagesse des nations. J’emprunterai à ce sujet au Moniteur du Commerce une lettre qu’il a publié dans son numéro du 5 août lettre qui lui a été adressée par M. W. Wingfield Bonnyn, ingénieur. Je la transcris telle qu’elle est :

« Il y a une grande agitation dans ce moment des deux côtés de l’Atlantique sur la valeur respective du pain blanc et du pain de toute farine. Je pourrais citer beaucoup d’autorités en faveur des qualités nutritives du pain de toute farine sur le pain blanc.

« En Europe un grand nombre de personnes et plusieurs associations sanitaires combattent énergiquement l’emploi des farines de blé blanc, soutenant chaleureusement et avec raison que le pain fait avec la farine, toute la farine, et rien que la farine, est bien supérieur au pain ordinaire, est le plus sain et le plus nutritif des aliments de la vie ; et il n’existe aucun doute sur l’exactitude de cet avancé. Aucun membre de la faculté médicale ne voudra nier ni disputer cette vérité, mais tout au contraire. Il est vrai que l’habitude, les préjugés, les meuniers, les boulangers, le goût même, sont contre pareille innovation ; néanmoins, après quelques tentations sur le goût du monde, le pain de toute farine sera prononcé le plus agréable, et les meuniers et les boulangers n’en monderont et boulangeront pas d’autres.

« Je pourrais donner bien des renseignements sur la question que nous fournissent des autorités telles que celles du Dr Périère, Dr Cutler, Dr Paris, M. Todd, Professeur Church et tant d’autres qui ont écrit sur l’hygiène et la diète, mais il suffira certainement de citer l’illustre Liehig qui dit : « la fleur de toute farine ou farine entière contient 200 pour cent plus de phosphates (que « la fleur » ou farine blanche,) et ses sels forment les os et la chair, nourrissent le cerveau, tout le système nerveux et ses tissus. »

« Le pain blanc, remarquablement blanc a été premièrement introduit en France. L’industrie meunière est d’une grande importance partout, soit que la mouture se fasse avec les meules françaises, soit qu’elle se fasse avec les rouleaux en fer dits de Hongrie ou avec ceux de porcelaine, tous ces systèmes amortissent la farine ; cependant pourvu que l’on obtienne des farines blanches pour le besoin du commerce, tout défaut n’a ni importance, et est immatériel.

« Je maintiens (et que l’on me prouve le contraire) que ni la meule, ni les rouleaux ne peuvent faire une farine active, froide et uniformément granulée. Par toute farine j’entends moudre également les sons et les grus du blé, la farine blanche n’étant que celle qui a été blutée et qui provient des blés moulus à une température élevée par une chaleur excessive, effet de friction, et à la suite produit l’évaporation. J’ai constaté que la chaleur des meules et des rouleaux donne une perte de 3 pour cent et que 10 pour cent des farines manufacturées aujourd’hui sont endommagées par suite des acides engendrées par la chaleur dans la mouture. La fine fleur blanche est presque toute empois, la chaux et autres matières nécessaires à la croissance des os, ne se trouve que dans le son et les grus du blé qui constituent la fleur de toute farine comme ci-dessus énoncé. Ces mêmes principes ont un effet salutaire sur les intestins si nécessaire à la santé, tandis que les farines blanches ne contiennent rien qui puisse constituer la formation de la chair et des os, le blé étant éteint, le gluten n’existant plus, et les phosphates ayant totalement disparus.

« La farine connue sous le nom de Graham flour est certainement un premier pas et une amélioration, mais elle ne provient pas moins des meules ordinaires ou des rouleaux, et souffre tous les mêmes inconvénients de la farine blanche de friction et de chaleur, aucun de ces systèmes ne peut moudre les sons et les grus également et produire une farine active et granulée.

« Mon but n’est point de combattre les préjugés qui sont toujours plus forts que la raison et le sens commun, c’est évidemment une question de couleur et du temps, mais je suis opposé à l’usage général des meules et des rouleaux et je voudrais faire prévaloir d’autres moyens produisant une fleur de toute farine suffisamment blanche qui contiendrait tous les éléments dont j’ai parlé plus haut pour la production d’un véritable et bon pain. J’ai aussi l’intention de me poser énergiquement pour faire disparaître les préjugés à l’aide de la raison et du bon sens que j’invoquerai à cette fin.

« Messieurs les meuniers et boulangers n’ont rien à perdre, et tôt ou tard les marchands de fleur, les spéculateurs ou exportateurs s’uniront bien assurément à mon idée en poussant le nouvel article et en recommandant son adoption.

« Les gruaux provenant des blés blancs, ou blés granulés ne peuvent manquer de remplacer les Oatmeal ou farine d’avoine dans l’usage culinaire, puisqu’ils contiennent les mêmes propriétés hygiéniques. Aucune meule ni rouleau ne peut produire cet article froid et uniformément moulu à la sortie. De même que la fleur de toute farine, les gruaux, sont le résultat d’un nouveau procédé possédant d’autres avantages qui ne pourront manquer d’être grandement appréciés par le public. »

Nous devons conclure de cette lettre intéressante que nous verrons avant longtemps une révolution importante dans l’industrie meunière, surtout dans le système de mouture. C’est l’annonce d’une patente précieuse qui vient de paraître et qui offre les avantages mentionnés dans la lettre de M. Bonnyn, avantages qui sont tant à désirer. Les observations faites au sujet de la fabrication du pain devraient mériter l’attention des hommes sérieux et des autorités sanitaires.

Il n’est pas douteux en effet que le mode ordinaire de faire le pain avec les parties les plus friables du grain pour être le mode le plus luxueux n’est pas le plus riche ni le plus utile. Car on sait que l’enveloppe du grain contient plus d’éléments azotés ou nutritifs, que la partie blanche où domine le fécule ; à part l’azote, nous trouvons aussi dans l’enveloppe du grain, des substances rapides, odorantes, grasses, riches en sels terreux, les mieux pourvus enfin de ces ferments qui favorisent la digestion et l’assimilation. Aussi voyons-nous l’illustre Magendia nous prouver que le pain blanc de Paris est un aliment très inférieur au pain bis, et M. le docteur T. Guérin regarde le pain blanc comme un aliment insuffisant pour les enfants, chez qui il provoquerait le rachitisme. Il n’en est pas de la mouture comme du raffinage du sucre : le sucre le plus blanc est le plus pur, mais la farine la plus blanche n’est pas la meilleure.

J’étais à me demander tout à l’heure quel était l’Homère de l’électricité, il serait curieux de savoir quelle est l’autorité qui a recommandé à une époque déjà éloignée, la manipulation des farines qu’on nous sert aujourd’hui.

Puisque je suis à parler du pain, qui autant que l’air est le pabulum vital, pourquoi n’attirerais-je pas l’attention de l’autorité sur les falsifications qu’il peut subir. On inspecte les viandes ; le pain on le pèse seulement, comme si ce dernier n’était pas susceptible de falsifications.

Il est pourtant bien établi qu’on introduit dans le pain du sulfate de zinc, du sulfate de cuivre, ou carbonate d’ammoniaque, du carbonate et du bicarbonate de potasse, du carbonate de magnésie, du carbonate de chaux (craie) de la terre de pipe, du borase, du plâtre, de l’albâtre en poudre, des sels de niome, de la fécule de pomme de terre, du salap, de la poudre d’iris de Florence, de la farine d’orge, de maïs, de l’alum, etc. (Tardieu).

Comme on le voit la nomenclature est assez longue. Il y a quelques années, un boulanger à Londres surchargea son pain de tant d’alun qu’il en résulta plusieurs accidents.

Pourquoi, cette substance alimentaire plus indispensable ou au moins plus généralisée que la viande, n’est-elle pas soumise à l’analyse ? est-ce qu’on oublie que l’industrie instinctivement, de nature, est frauduleuse, et que l’œil de l’autorité doit exercer sur elle une incessante surveillance ?


  St-Henri, nov., 1881Sévérin Lachapelle.