Revue Scientifique. — Le tremblement de terre au Japon
LE TREMBLEMENT DE TERRE DU JAPON
De temps en temps la terre nourricière, qui est aussi la terre homicide, agitée par une sorte de frénésie, se met à trembler comme si celle rapide marche à la tombe, qu’est la vie, avait encore besoin d’être accélérée. Alors le sol détruit en quelques instants et engloutit ces chétives créatures humaines qui, un peu plus tard, étaient destinées, quoi qu’il advînt, à se dissoudre dans son humus funèbre.
La catastrophe sismique qui vient de désoler le Japon et qui a ému de pitié toute l’humanité est une des plus graves qu’on ait jamais enregistrées. Si les premières dépêches des journaux avaient exagéré le nombre de vies détruites, des renseignements plus précis n’en révèlent pas moins l’étendue du désastre. Le nombre exact des victimes n’est pas encore connu et sans doute ne le sera jamais. Mais on peut évaluer qu’environ 110 000 personnes ont été tuées à Tokyo, 30 000 à Yokohama, 10 000 à Kamakura, 10 000 dans la péninsule de Miura, près de 1 000 à Odowara et Atami, et 5 000 dans la péninsule de Boso, ce qui fait un total d’environ 166 000, sans doute dépassé en réalité. A Yokohama, environ 70 000 maisons ont été détruites et une centaine seulement sont restées intactes. A Yokosuka, sur 12 000 maisons environ, 150 seulement échappèrent à la destruction. A Tokyo, environ 93 pour 100 des habitations ont été renversées ou partiellement détruites. Chose curieuse, beaucoup des immeubles à étages nombreux de Tokyo montrent des fissures à la hauteur de leur troisième étage et sont beaucoup moins lésés aux étages supérieurs et inférieurs. Il y a évidemment là un phénomène de résonance analogue à ceux que j’ai décrits ici même récemment à propos des marées, et qui lie la période de certaines ondes sismiques à la longueur des balanciers que constituent les murs des maisons, et qui sont mis en mouvement par ces ondes.
Le feu à Tokyo a détruit une grande partie de l’Université impériale et notamment les 700 000 volumes de sa bibliothèque.
Au début du phénomène, le choc fut relativement modéré à Yokohama, et assez semblable à ceux qu’on ressent très couramment au Japon. Puis, soudain, survint une sorte de mouvement tournant, un de ces déplacements tourbillonnaires du sol que les sismologues italiens ont depuis longtemps catalogués, et qui presque instantanément jeta à bas toutes les maisons.
Il est maintenant établi que plusieurs des nouvelles télégraphiées dès les premières heures après le désastre étaient erronées. Il n’y a eu aucune éruption dans les îles Oshima, et ceci prouve une fois de plus l’indépendance absolue des séismes et des phénomènes volcaniques. D’autre part, il est inexact qu’une des îles voisines de la péninsule d’Izv ait été engloutie.
Je passe sur les scènes de désolation, qui ont accompagné ce tremblement de terre, sur les ruines et les larmes qui lui font cortège. Ce sont là des choses qu’il ne m’appartient pas de commenter, rivé que je suis à la galère de la technique, et à cet objectivisme glacé dont l’homme de science doit masquer ses pensées. Et puis je me souviens de cette spirituelle recommandation qu’on me fit naguère à propos de je ne sais plus quel voyage dont je devais entretenir mes lecteurs : « Surtout voyez les choses en scientifique, et ne nous envoyez pas des couchers de soleil… »
Laissant donc de côté tout le côté purement humain et anthropo¬ centrique de cette tragédie géologique, je voudrais maintenant examiner rapidement ce qu’elle nous a appris du point de vue de la mécanique et de la physique.
Depuis le 4 novembre 1854, l’Empire du Japon n’avait subi aucun tremblement de terre, — non pas même celui de 1891, — qui pût être comparé en intensité et puissance destructive à celui qui survint le 1er septembre dernier aux environs de midi. Des secousses semi-destructives ou des secousses capables de jeter bas les cheminées ne sont pas rares dans les régions de Tokyo et de Yokohama. Parmi les plus importantes de ces dernières années on a noté celles du 22 février 1880, du 20 juin 1894, du 8 décembre 1921, du 26 avril 1922. La première de ces secousses offre cet intérêt particulier d’avoir amené la fondation, par le professeur Milne, de la Société sismologique du Japon. Depuis lors, s’adaptant à la science avec la même ardente rapidité qu’il avait mise à assimiler tous les facteurs de notre civilisation occidentale, le Japon s’est mis véritablement à la tête de la science sismologique. Ses stations sont les plus nombreuses et fort bien outillées ; ses savants, en tête desquels il faut citer le professeur Omori, ont fait du Japon le pays dont il est permis, aujourd’hui, d’affirmer qu’il est le plus avancé dans cette branche de la science. Cela est bien naturel, si on songe que de tous les pays, civilisés ou non, le Japon est de beaucoup celui où les tremblements de terre sont les plus fréquents. C’est par centaines qu’on y enregistre chaque année les secousses sismiques moyennes. Quant aux grands séismes destructeurs, ils y sont plus fréquents que partout ailleurs. On en compte plus de cent du XVIIe siècle siècle à nos jours.
Ce triste privilège de l’Empire du soleil levant, lequel a d’ailleurs sa contre-partie dans la fertilité luxuriante d’une terre admirable, provient de ce que, comme je l’ai expliqué naguère, le Japon se trouve placé le long d’une de ces lignes de dislocation de la marqueterie terrestre qu’on appelle les grands géosynclinaux de l’époque secondaire, et qui marquent les zones où les cellules de l’écorce terrestre présentent une forte dénivellation.
Quant à la cause qui fait trembler la terre aux endroits sinistrement privilégiés dont Pline disait déjà : « Là où il a tremblé il tremblera, » quant au mécanisme producteur des séismes, on n’est pas encore très bien fixé sur sa nature.
Il n’est pourtant pas exagéré de dire que nos idées là-dessus semblent un peu plus saines que celles des anciens. Ils attribuèrent longtemps les mouvements du sol aux mânes agités dans le souterrain séjour ou plus simplement aux dieux infernaux. Il eût été tout aussi commode de supposer tout uniment que la terre tremble chaque fois qu’Atlas, fatigué ou un peu courbaturé, change d’épaule la sphère terraquée dont il est le vivant support. La mythologie et la rêverie, — ce qui est parfois tout un, — cèdent la place à un peu de physique avec Thalès de Milet, puis avec Aristote. Pour Thalès, la terre flotte comme un navire sur l’Océan, et par conséquent, les mouvements de celui-ci peuvent faire remuer la terre. Il étayait cette théorie sur le fait que les tremblements de terre font Souvent sourdre des sources nouvelles. Il y avait moins d’absurdité qu’on ne pouvait croire dans cette théorie enfantine. Elle s’apparente en somme assez à la théorie moderne selon laquelle l’écorce terrestre, reposant sur la masse ignée en fusion de l’intérieur du globe, s’affaisse parfois sur celle-ci, en craquant aux jointures, lorsque cette masse ignée cède et fuit sous elle par l’effet du refroidissement.
Avec Pythagore, — s’il est vraiment responsable de la théorie que lui attribue Claude Elien, — nous retombons dans les songes creux, puisqu’il rattache les tremblements de terre aux assemblées souterraines des mânes. Le célèbre géomètre montrait ainsi, — ce qu’on a revu depuis, — qu’on peut être bon mathématicien et médiocre observateur des choses physiques.
La théorie sismique qui a dominé toute l’antiquité et le moyen-âge et même une bonne partie des temps modernes est celle d’Aristote. Elle attribue les tremblements de terre aux vents souterrains que produit l’humidité du sol, sous l’influence de son évaporation par l’action des feux souterrains. Le « vent de la terre » ainsi produit fait trembler le sol, dès qu’un obstacle s’oppose à son mouvement. Cette étrange explication, cette théorie pneumatique, si j’ose dire, des séismes a persisté pendant 2 000 ans, malgré son absurdité et les objections évidentes, faciles, qu’elle soulevait. Telle était l’autorité du Maître.
Enfin, au XIXe siècle siècle, les découvertes géographiques mettaient en évidence le parallélisme, la relation intime existant entre la distribution des volcans et celle des tremblements de terre. Il devint aussitôt naturel d’attribuer ces derniers à l’énergie volcanique. Telle fut la vue qui domina le siècle dernier et prévalut jusqu’à il y a une vingtaine d’années. On en pourra juger par ce qu’écrivait, en 1889, le professeur Milne qui, par l’invention de ses sismographes, a mérité d’être considéré comme le père de la sismologie moderne : « Quoiqu’il soit facile de discuter les rapports existant entre les tremblements de terre et divers autres phénomènes, nous devons conclure que la cause première de ceux-là est endogène à notre terre et que les phénomènes exogènes, tels que les attractions du soleil et de la lune et les fluctuations barométriques, ne peuvent entrer que pour une faible part dans la production de ces phénomènes, leur plus grand effet ne pouvant être que de causer une légère prépondérance dans le nombre des tremblements de terre à certaines saisons. La majorité des tremblements de terre sont dus aux efforts explosifs des foyers volcaniques. La plupart de ces explosions ont lieu au-dessous de la mer et sont probablement dues à la pénétration de l’eau à travers les fissures du fond, et jusqu’aux roches incandescentes situées au-dessous. Un plus petit nombre des tremblements de terre a son origine dans les volcans actuels. Quelques-uns des tremblements de terre sont produits par la fracture soudaine des couches rocheuses ou par la formation de fissures. »
Cette théorie volcanique est maintenant en général abandonnée et on n’admet plus qu’elle donne la cause principale, ni même une cause importante des séismes, bien qu’elle soit valable dans certains cas.
Aujourd’hui, on attribue à peu près généralement les tremblements de terre à une origine tectonique. Ce changement de point de vue a été amené surtout par les travaux de M. Montessus de Ballore, mort il y a quelques semaines, et du célèbre géologue autrichien Suess. Tous deux ont démontré la relation intime qui existe entre les lignes de faible résistance de l’écorce terrestre et la distribution des foyers sismiques. M. Montessus de Ballore a attaqué le problème sur une vaste échelle au moyen de données s’étendant sur tout le globe. Suess a limité et particularisé ses recherches en les bornant à certaines régions de l’Autriche, à la Calabre, etc. La plus frappante des démonstrations de l’exactitude de la théorie tectonique a été apportée par les déplacements du sol le long des lignes de dislocation pendant les tremblements de terre de Mino-Owari, de l’Assam et de Californie. Parmi les savants modernes qui ont approfondi encore et mené jusqu’à ses extrêmes limites cette démonstration, il faut citer en première ligne l’Anglais Davison et le Japonais Omori. L’origine tectonique des tremblements de terre peut être aujourd’hui considérée comme fermement établie… jusqu’à ce que, dans quelques décades, une autre théorie, momentanément encore plus ferme, se substitue à elle.
Que les séismes se produisent le long des lignes de dislocation de l’écorce terrestre, ce n’est guère douteux. Ce qui l’est davantage, c’est l’ensemble des causes premières de ces dislocations locales. Entre les savants qui vont chercher ces causes premières dans les variations barométriques, et plus haut encore, dans l’attraction luni-solaire, et ceux qui, les yeux obstinément baissés, se refusent à les voir ailleurs que sous leurs pieds, dans les vicissitudes physico-chimiques du noyau igné de la Terre, la conciliation n’est pas encore faite.
De tout cela je serais tenté malgré tout de conclure que nous avons quand même fait quelques progrès depuis les explications enfantines dont la mythologie, et les divers folklore nous ont apporté le souvenir. Mais je me demande si, en concluant ainsi, je ne pécherais pas par témérité et immodestie d’homme moderne, contempteur trop audacieux du laudator temporis acti.
Voici en effet ce que je lis dans une revue, s’occupant de sciences psychiques, et qui est datée d’août 1923… je dis bien 1923 : « Pourquoi la terre tremble ? La Terre, être vivant et organisé, travaille sans cesse à son évolution, sans se préoccuper des « parasites » qui l’habitent. L’Homme, orgueilleux et têtu, se croyant toujours le maître du monde, s’immobilise sur cet être puissant, toujours en activité.
« La formidable organisation de la Terre échappe à l’Homme qui ne songe pas un instant à garer sa frêle enveloppe des points où s’exécute le travail prodigieux de cette énorme force, qu’est la Terre toujours en mouvement.
« Et lorsque la Terre, laborieuse, a esquissé une partie de sa lourde tâche, elle se révolte contre l’inertie des hommes et leur crache, en pleine face, son dégoût. »
J’ai reproduit ce texte suggestif sans en rien changer, pas même les majuscules dont il daigne honorer ce minuscule, l’Homme. Si donc la terre tremble, c’est parce qu’elle est dégoûtée de l’homme. Il restera à expliquer pourquoi elle en est plus dégoûtée au Japon qu’ailleurs. Je ne doute point que l’explication ne soit aisée.
Et ceci prouve qu’il ne faut jamais, par des comparaisons fallacieuses et superficielles, traiter avec mépris les idées qu’avaient, sur la nature des choses, nos aïeux d’il y a peu de siècles.
Mais revenons au séisme du 1er septembre dernier. Il s’est produit sur la côte orientale du Japon, là où le littoral est en bordure des grandes profondeurs de l’Océan Pacifique, et correspond précisément à une des lignes de dislocation de l’écorce. Si l’on se reporte à la carte séismique du Japon qu’a publiée Davison, on observe d’ailleurs, et en accord avec ce qui vient d’être dit, que la fréquence des séismes, ou du moins l’abondance des épicentres, est beaucoup plus grande en moyenne dans la partie orientale du Japon (où se trouvent précisément Tokyo et Yokohama) que dans la partie occidentale qui est en bordure de la mer du Japon.
Nous avons dit que le séisme du 1er septembre s’est produit, alors qu’il était environ midi au Japon. Étant donné la différence des longitudes, l’Europe était à ce moment encore plongée dans la nuit.
L’Institut de Physique du globe de l’Université de Paris, que dirige avec autorité le professeur Charles Maurain, possède aux environs de Paris un observatoire sismologique très outillé qui se trouve au Parc Saint-Maur. On y eut aussitôt, avant même que le télégraphe n’en eût apporté la nouvelle, la notion qu’un tremblement de terre très violent s’était produit, grâce aux courbes fournies par les sismographes enregistreurs qui, au Parc Saint-Maur, notent d’une manière automatique et continue les mouvements du sol.
La théorie montre que lorsqu’un ébranlement mécanique violent se produit près de la surface de la terre et dans son écorce, il doit en résulter trois sortes d’ondes qui émanent du centre d’ébranlement : 1° des ondes longitudinales (analogues donc aux ondes sonores) ; 2° des ondes transversales, un peu moins rapides dans leur mouvement de propagation que les précédentes ; 3° enfin, en outre de ces deux sortes d’ondes qui se propagent d’un point à l’autre de la terre, par exemple du Japon à Paris, à travers l’épaisseur du globe, il existe une troisième sorte d’ondes encore plus lentes que les précédentes et qui se propagent en suivant la courbure de la terre, à la surface de celle-ci.
Effectivement, les sismographes enregistrent, dans le cas d’un tremblement de terre lointain, trois sortes de vibrations qui ne leur parviennent pas en même temps, et que l’on est convenu, — l’expérience étant, pour une fois, à peu près d’accord avec la théorie, — de considérer comme les trois sortes d’ondes prévues par celle-ci.
Quelles sont les vitesses de propagation de ces ondes : l’expérience montre que, du moins aux distances faibles, les ondes les plus rapides ont une vitesse d’environ 7 kilomètres par seconde, les ondes deuxièmes une vitesse d’environ 4 kilomètres par seconde et les dernières ondes une vitesse d’environ 3,8 kilomètres par seconde. Mais ces vitesses ne sont pas constantes, du moins pour les deux premières sortes d’ondes, et quand le tremblement de terre est lointain, on trouve des vitesses plus grandes. Cela est compréhensible. A mesure que les ondes qui émanent d’un centre sismique donné vont, à travers l’épaisseur de la terre, jusqu’à des points de plus en plus éloignés de ce centre, elles traversent des couches terrestres de plus en plus profondes. Or, la terre n’est pas homogène. La densité et l’élasticité des couches qui la constituent varient à mesure qu’on s’éloigne de la surface. La vitesse de propagation des ondes qui traversent un milieu, dépend de ces données. Il s’ensuit que la vitesse moyenne des ondes sismiques, ayant traversé l’épaisseur du globe, n’est pas la même, suivant qu’elles viennent de plus ou moins loin. On aurait pu tenter de la calculer théoriquement dans chaque cas. Mais le calcul eût été fort incertain, car nous manquons de données précises sur les propriétés physiques de la matière aux diverses profondeurs au-dessous du sol.
Renonçant délibérément aux superbes conjectures de la théorie, les sismologistes ont préféré s’appuyer sur le socle moins grandiose, mais plus solide des réalités. Ils ont noté dans chaque cas particulier l’intervalle de temps qui sépare sur leurs sismogrammes l’arrivée des ondes préliminaires, de celle des ondes principales, pour un tremblement de terre donné. Et à l’aide des résultats numériques ainsi obtenus dans un grand nombre de cas, ils ont pu construire des tables détaillées, d’où, connaissant le nombre de secondes qui séparent l’enregistrement des deux sortes d’ondes en un observatoire donné, on déduit immédiatement et avec une assez grande précision la distance à laquelle ledit observatoire se trouve du centre sismique en question.
Ainsi, le 1er septembre dernier, les sismographes de l’Observatoire du Parc Saint-Maur ont enregistré l’arrivée des ondes préliminaires à 3 heures il minutes et 23 secondes, l’arrivée des ondes secondes à 3 heures 22 minutes et 1 seconde et l’arrivée des ondes troisièmes, qui sont non seulement les plus lentes, mais les plus longues, à 3 heures 42 minutes.
Ces heures sont exprimées en temps moyen de Greenwich, c’est-à-dire en heure d’hiver et non pas en temps légal du 1er septembre (heure d’été) comme il a été imprimé par erreur dans la presse. Les sismologistes ont en effet conservé l’habitude (bonne ou mauvaise, je ne sais, car pour éviter des ambiguïtés d’un côté, on crée de l’autre des confusions) d’exprimer toute l’année leurs résultats en temps moyen de Greenwich.
Quoi qu’il en soit, il résulte des chiffres précédents qu’il s’est écoulé 10 minutes et 38 secondes entre l’arrivée des ondes préliminaires et celle des ondes secondes à l’observatoire du Parc Saint-Maur. On en conclut immédiatement au moyen des tables utilisées, — et qui sont celle de Zoeppritz, — dans le cas particulier, que le centre sismique se trouvait à environ 9 560 kilomètres du Parc Saint-Maur, ce qui correspond précisément à la région de Tokyo-Yokohama.
Cette méthode ne permet en principe de connaître que la distance du centre cherché. En s’en tenant à ces données, la station sait seulement que ce centre est sur un cercle du rayon calculé, tracé autour de cette station. Mais les données obtenues dans une autre station, et a fortiori dans deux, permettent, par recoupement des cercles correspondants avec le premier, de savoir exactement, non seulement la distance, mais la position exacte sur la carte du centre cherché.
Il existe d’ailleurs un moyen ingénieux, indiqué naguère par l’éminent sismologue russe qu’était le prince Galitzine, de déduire des données d’une seule station, à la fois la distance et la direction (c’est-à-dire la position exacte) du centre sismique.
Galitzine a remarqué et établi, en effet, que le premier déplacement enregistré par les appareils, la première onde, l’onde frontale qui leur arrive, est dirigée exactement suivant le rayon sismique qui réunit la station d’observation au centre sismique. Autrement dit, cette onde initiale se propage dans le plan déterminé par la station, le centre sismique et le centre de la Terre. Or, il y a dans les stations certains sismographes qui donnent la composante Nord-Sud des ébranlements reçus ; il en est d’autres qui donnent leur composante Est-Ouest. Les valeurs de ces composantes pour l’onde initiale, déterminent immédiatement la direction de ce plan, c’est-à-dire la direction du grand cercle terrestre sur lequel, d’un côté ou de l’autre, et à la distance calculée comme nous avons dit, se trouve le centre d’ébranlement cherché. Des deux positions ainsi trouvées, laquelle est la bonne ? Pour le savoir, il suffit de considérer les enregistrements fournis par un troisième sismographe, qui donne la composante verticale de l’ébranlement reçu. Selon que le premier mouvement du sol à la station a été vers le haut ou vers le bas, on en déduit aussitôt, sans ambiguïté, laquelle des deux positions est la bonne.
Le dépouillement des sismogrammes obtenus au Parc Saint-Maur, le 1er septembre dernier, se poursuit actuellement sous la direction de l’éminent sismologue qu’est M. Eblé, et n’est pas encore terminé. Tout ce qu’on en peut dire, d’après les mesures déjà faites, c’est qu’il indique que le sol, au Parc-Saint-Maur, a subi dans le sens Nord-Sud et par rapport à sa position d’équilibre, un déplacement réel d’environ 0,7 millimètre, et dans le sens Est-Ouest, un déplacement d’environ 0,6 millimètre, ce qui correspond à des déplacements totaux d’environ 1 mm 4 et 1 mm 2, dans les deux directions principales. C’est peu, si on compare cela aux ébranlements réels que cause dans les rues où il passe le moindre autobus. C’est beaucoup, si l’on songe que c’est là ce qui restait encore, à près de 10 000 kilomètres de distance, du mouvement subi par le sol du Japon.
Si l’on s’en rapporte aux enregistrements obtenus antérieurement au Parc Saint-Maur, il semble que, pour l’amplitude des mouvements, le tremblement de terre japonais du 1er septembre dernier ait été dépassé au moins une fois : lors du tremblement de terre de Chine qui en 1920 ravagea la province de Kan-Sou, tuant on n’a jamais su exactement combien de dizaines de milliers de personnes et qui se manifesta au Parc Saint-Maur par des mouvements réels du sol dont l’amplitude dépassa probablement 2 millimètres. Je dis probablement, car le choc fut si violent que les plumes de sismographes, lesquelles sont disposées pour amplifier et multiplier fortement les mouvements réels du sol, furent, en cette circonstance, projetées en dehors de leur champ d’inscription.
Il convient de remarquer d’ailleurs que le caractère plus ou moins destructeur des tremblements de terre dépend moins de l’amplitude des mouvements du sol que de l’accélération de ces mouvements, l’accélération étant, comme on sait, et si j’ose risquer cette définition simpliste, la rapidité avec laquelle la vitesse varie.
Supposons une table chargée de vaisselle. Si je soulève son coin progressivement de dix centimètres, mais assez lentement, de telle sorte que la durée de ce mouvement de soulèvement soit de quelques secondes, la vaisselle sera peut-être un-peu déplacée et glissera légèrement sur la table. Mais si je recommence l’expérience, si je soulève de nouveau le coin de cette table de dix centimètres, mais très vile, très brusquement, de telle sorte que la durée de ce mouvement de soulèvement soit d’un dixième de seconde tout au plus, toute la vaisselle sera violemment projetée et sans doute réduite en miettes. Dans ces deux expériences, les amplitudes du mouvement ont été identiques ; ce qui a différé de l’un à l’autre cas, c’est l’accélération de mouvement. Cette accélération (quantité dont la vitesse varie en une seconde) qui était d’un ou deux centimètres dans la première expérience, était dans la seconde expérience égale à un mètre (1 décimètre en 1 dixième de seconde = 1 mètre par seconde).
Cet exemple simple nous aide à concevoir comment et pourquoi ce qui agit dans les séismes, c’est l’accélération des mouvements bien plus que leur amplitude. Malheureusement, les sismographes actuels, ou du moins la plupart d’entre eux, ne donnent pas directement l’accélération des mouvements qu’ils enregistrent. Les meilleures expériences qui aient été réalisées sur ce point délicat et important sont celles qu’a faites, au moyen d’ingénieux dispositifs expérimentaux, le professeur japonais Omori.
Elles l’ont conduit à substituer aux anciennes classifications des tremblements de terre une classification nouvelle où les séismes sont rangés par ordre de violence, et où celle-ci est mesurée très exactement par l’accélération maxima imprimée par le séisme étudié à un point du sol.
Omori a constaté, au moyen de ses appareils, que les tremblements de terre légers si fréquents au Japon correspondent à des accélérations inférieures à 1 centimètre par seconde. Les valeurs de plusieurs centimètres correspondent déjà à des séismes moins fréquents et plus violents. Au delà de 100 centimètres d’accélération, le séisme est violent. Pour une accélération de 120 centimètres, un quart des cheminées d’usine sont endommagées, les maisons de briques mal construites sont détruites, les tuiles des toits sont déplacées. Pour une accélération de 200 centimètres, toutes les cheminées d’usine sont brisées, et presque toutes les maisons en briques. Pour 250 centimètres, environ 3 pour 100 des maisons de bois sont détruites et beaucoup de murs de maçonnerie endommagés. Les voies ferrées sont tordues, etc. L’eau des rivières est projetée sur les bords. Pour une accélération de 400 centimètres, près de 80 pour 100 des maisons de bois sont détruites, les routes sont crevassées et défoncées, les tombes retournées, les champs bouleversés, etc.
Enfin, pour les accélérations supérieures à 4 mètres par seconde, toutes les constructions sont détruites et il se produit d’énormes glissements de terrain. La plus forte accélération observée dans le passé par Omori fut de 4m,30, dans le grand tremblement de terre de Mino-Owari. Mais il y a beaucoup de chance pour que ce chiffre ait été dépassé lors du cataclysme du 1er septembre. Nous manquons encore de données à ce sujet ; mais nous savons déjà que, tandis que dans les 5 jours qui suivirent le séisme de Mino-Owari (1891) on enregistra 808 chocs postérieurs à la secousse principe, 808 après-chocs (si j’ose traduire ainsi l’expression after shocks des Anglais), l’Observatoire central de Tokyo a enregistré 1 039 après-chocs entre le 1er septembre à midi et le 6 septembre dernier. Tout cela tend à prouver que, au moins en ce qui concerne la composante verticale, le séisme du 1er septembre est sans précédent depuis que des sismographes fonctionnent au Japon.
Parmi les questions accessoires que soulèvent les tremblements de terre, il en est une qui a beaucoup passionné le public depuis Quelque temps. Peut-on prédire, peut-on annoncer d’avance les tremblements de terre ? Un amateur londonien dont le nom est sorti de ma mémoire, a notamment fait beaucoup parler de lui, en prédisant dans les journaux, — grâce à une méthode qu’il prétendait garder secrète… et pour cause, — des séismes pour telle ou telle date. Vérification faite.il arrivait de temps en temps, qu’on en signalait en effet à la date indiquée. Le plus souvent on n’observait rien. La vérité est que, puisque les sismographes enregistrent plusieurs dizaines de milliers de séismes par an, les prévisions de cette sorte, vagues et imprécises, ont souvent chance d’être vérifiées, fût-ce de faits au hasard. Pour qu’on pût les prendre au sérieux, il faudrait que messieurs les prophètes eussent soin d’indiquer exactement, d’une part la position du centre de l’ébranlement annoncé, d’autre part l’amplitude de celui-ci. Comme ils ne le font pas, on ne saurait les prendre au sérieux.
La seule idée vraiment scientifique qui ait été émise dans ce domaine, est due au géologue danois von Kœveslighety. Ce savant a remarqué avec raison que de même que la tension des poutres d’un plafond prêt de s’écrouler, augmente d’abord progressivement jusqu’au moment de la fracture, de même les roches terrestres doivent, avant la dislocation sismique, subir une tension locale croissante. Or, on peut mesurer la tension de roches données, par exemple en mesurant la vitesse avec laquelle s’y propage le son, et celle-ci varie suivant les variations de celle-là. On peut donc prévoir que, dans l’avenir, les stations procédant régulièrement à cette étude dans ces régions menacées pourront annoncer quelque temps à l’avance les tremblements de terre.