Revue Musicale de Lyon 1904-01-05/À Travers la presse

À TRAVERS LA PRESSE

Deux Lettres de Liszt

Le Ménestrel a publié dernièrement deux lettres de Liszt que nous reproduisons ci-dessous.

La première est une réponse à un article non signé paru dans la Revue des Deux-Mondes du 15 octobre 1840, sous le titre de Revue Musicale, et qui se terminait ainsi :

« … Il nous faut des danseuses, des cantatrices, des pianistes ; nous n’avons d’enthousiasme et d’or que pour les tours de force ; nous en voulons pour nos yeux et pour nos oreilles. Pourvu que nos sens se réjouissent, le reste nous importe peu ; nous laisserions Pétrarque dans la rue pour mener la Elssler au Capitole, nous laisserions Beethoven et Weber mourir de faim pour donner un sabre d’honneur à M. Liszt. »

Voici la lettre de Liszt :

Monsieur,

Dans votre Revue Musicale du 15 octobre dernier, mon nom se trouve prononcé à l’occasion des prétentions outrées et des succès exagérés de quelques artistes exécutants ; je prend la liberté de vous adresser à ce sujet une observation.

Les couronnes de fleurs jetées aux pieds de Mlles Elssler et Pixis par les dilettantes de New-York et de Palerme sont d’éclatantes manifestations de l’enthousiasme d’un public ; le sabre qui m’a été donné à Pesth est une récompense donnée par une nation sous une forme toute nationale.

En Hongrie, Monsieur, dans ce pays de mœurs antiques et chevaleresques, le sabre a une signification patriotique. C’est le signe de la virilité par excellence ; c’est l’arme de tout homme ayant le droit de porter une arme. Lorsque six d’entre les hommes les plus marquants de mon pays me l’ont remise aux acclamations générales de mes compatriotes, pendant qu’au même moment les villes de Pesth et d’Œdenburg me conféraient les droits de citoyen et que le comitat de Pesth demandait pour moi des lettres de noblesse à Sa Majesté, c’était me reconnaître de nouveau, après une absence de quinze années, comme Hongrois ; c’était une récompense de quelques légers services rendus à l’art dans ma patrie ; c’était surtout, et je l’ai senti ainsi, me rattacher glorieusement à elle en m’imposant de sérieux devoirs, des obligations pour la vie, comme homme et comme artiste.

Je conviens avec vous, Monsieur, que c’était, sans nul doute, aller bien au delà de ce que j’ai pu mériter jusqu’à cette heure. Aussi, ai-je vu dans cette solennité, l’expression d’une espérance encore plus que celle d’une satisfaction. La Hongrie a salué en moi l’homme dont elle attend une illustration artistique après toutes les illustrations guerrières et politiques qu’elle a produites en grand nombre. Enfant, j’ai reçu de mon pays de précieux témoignages d’intérêts et les moyens d’aller au loin développer ma vocation d’artiste. Grandi, après de longues années, le jeune homme vient lui rapporter le fruit de son travail et l’avenir de sa volonté ; il ne faudrait pas confondre l’enthousiasme des cœurs qui s’ouvrent à lui et l’expression d’une joie nationale avec les démonstrations frénétiques d’un parterre de dilettantes.

Il y a, ce me semble, dans ce rapprochement, quelque chose qui doit blesser un juste orgueil national et de sympathie dont je m’honore.

Veuillez, etc.

Franz Liszt.

Hambourg, 26 octobre 1840.

La seconde lettre a été publiée pour la première fois le 29 octobre dernier, dans le Neues Tageblatt de Stuttgard. Elle faisait partie des papiers posthumes du professeur Sigmund Lebert, dont le fils en a fait hommage à Mme Johanna Klinckerfuss. Ce fut, pour cette dernière, une délicieuse surprise, quelque chose comme le remercîment anticipé de Liszt, pour le dévouement et l’énergie avec lesquels, depuis deux ans, elle s’est consacrée à la glorification du Maître par le monument que l’on vient d’inaugurer. C’est en effet d’elle qu’il s’agit dans la lettre, et cette lettre nous reporte à l’époque pendant laquelle, élève préférée de Liszt, elle portait encore son nom de jeune fille : Johanna Schulz, et n’avait que seize ans.

Liszt écrivait à Lebert :

Honorable ami ! Depuis longtemps je voulais vous écrire et de nouveau vous remercier. Vous n’avez rien exagéré en me recommandant Mlle Johanna Schulz. Je suis heureux d’avoir trouvé en elle une remarquable, une exquise pianiste, qui fait particulièrement honneur à l’école de Stuttgard. La rare correction, le sentiment délicat des nuances et l’intelligence profonde qui distinguent ses interprétations m’ont réjoui maintes fois malgré toute la satiété que j’éprouve vis-à-vis du piano. Dites bien à Mlle Schulz que je suis plus que satisfait de son talent.

Je vous prie de présenter aussi mes plus amicales salutations à Mlle Gault. Les deux virtuoses seront toujours les bienvenues auprès de moi si elles retournent à Weimar.

Avec ma considération distinguée, je reste votre toujours amicalement dévoué.

F. Liszt.

Schillingsfürst, 13 octobre 1872.

À la fin du mois, je reviendrai à Pest où je passerai l’hiver, calme et assidu au travail, autant que je pourrai.

La Voix au Théâtre

(Extrait de Le Spectacle) :

« Si ce gaillard-là avait une voix, il ne s’amuserait pas à rouler du haut en bas d’un escalier, comme il le fait au cinquième acte de Salammbô. »
(Opinion d’un Spectateur).
« Si j’avais la chance de monter mes œuvres avec une troupe intelligente de jeunes acteurs, je leur demanderais de lire et de jouer la pièce. Après, je leur ferais étudier la musique. »
Richard Wagner.

Parmi les préjugés les plus couramment admis, dans la foule sincère et naïve au goût peu éclairé, il n’en est pas de plus curieux à analyser que celui qui fait généralement la base des appréciations d’un public, en ce qui concerne la définition des capacités réelles d’un artiste lyrique. Et cette opinion d’un inconnu, recueillie à la sortie de Salammbô, rapprochée de cette pensée de Richard Wagner, exprime bien dans sa candeur anonyme le degré de critique des foules incultes et susceptibles de s’émouvoir au seul éclat des catapultueux exercices vocaux, où excelle encore la majorité de nos chanteurs en renom.

Il semble, en effet, que le sens des mots harmonie et mélodie soit à jamais fermé à la moyenne, même éclairée, d’un public. Et, sans être trop pessimiste, il est permis de supposer que, pour longtemps encore, la compréhension des nuances et de l’expression que nécessite la déclamation lyrique restera le privilège d’une élite restreinte, qui se subdivise elle-même en sensibilités plus ou moins affinées.

Sensible seulement aux éclats dont la brutalité subjugue son jugement primitif et simple, le spectateur, en général, borne sa critique à deux termes : la note criée ou la note fausse et, sans définir qu’elles sont en elles-mêmes aussi désagréables et laides, il acclame l’une et bafoue l’autre, sans indulgence aucune pour une défaillance qui très souvent n’est qu’accidentelle, mais qui suffit à son critérium rudimentaire de l’art du chant.

Et, comme un préjugé ne se développe jamais dans une solitude vierge, l’observateur se trouve en présence d’une inextricable bizarrerie de jugements dont l’absurdité annihile, chez ceux qui les émettent, la minime parcelle de sens esthétique que tout être humain recèle en lui-même.

Je n’en citerai qu’un, celui qui consiste à propager dans le public que, pour chanter la musique de Wagner, il n’est pas nécessaire d’avoir de la voix.

Une gu…, soyons polis, une facilité d’émission de notes aiguës n’est évidemment pas obligatoire pour traduire la magnificence expressive du Récit du Graal, par exemple ; mais la science du chant et l’intelligence artistique servies par un organe, toujours nécessaire, ô naïveté des Simples, sont seules requises par le maître du tragique musical, et aussi par tous les musiciens de son école, pour exprimer la beauté de ses œuvres.

Certes, nul plus que nous n’est sensible au charme de la voix humaine, lorsqu’elle se manifeste dans sa plénitude intégrale, et il serait puéril d’exiger de tous les chanteurs ou cantatrices, que leur vocation dirige vers le théâtre, le même degré de perfection absolue que la Nature dans son impénétrable mystère dispense à certains élus.

Mais ce que nous sommes en droit d’exiger des artistes lyriques de notre époque, ce n’est plus un assouplissement et une exploitation plus ou moins facile de leurs cordes vocales ; et, quoique en pense le spectateur plus haut cité, un chanteur, même — et surtout — doué d’une belle voix, se doit à la réalisation scénique des œuvres musicales qu’il interprète. Et il n’y aucun déshonneur, ni même aucune défaillance vocale, à rouler, meurtri et mutilé, du haut d’une succession de terrasses en escalier ; au contraire, naïf inconnu, il se trouve que la seule minute artistique, en ce bruyant épisode barbaresque de notre « Wagner national », est réalisée pa la personnalité de l’artiste, que votre critique ne peut plus atteindre, ô sincères et candides attardés de l’ut dièze.

Cl. Laroussarie.

Voici, d’après le Ménestrel, le tableau des œuvres nouvelles représentées en France pendant l’année 1903.

Opéra. — La Statue, opéra en trois actes, parole de Michel Carré et Jules Barbier, musique de M. Ernest Reyer (mars). — L’Étranger, action musicale en deux actes, paroles et musique de M. Vincent d’Indy (4 décembre). — L’Enlèvement au Sérail, de Mozart, (4 décembre).

Opéra-Comique. — Titania, drame musical en trois actes, paroles de Louis Gallet et M. André Corneau, musique de M. Georges Hüe (20 janvier). — Muguette, opéra-comique en quatre actes et cinq tableaux, paroles de M. Michel Carré et Georges Hartmann, musique de M. Edmond Missa (18 mars). — La Petite Maison, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Alexandre Bisson et Georges Docquois, musique de M. William Chaumet (5 juin). — La Tosca, opéra en trois actes, thé du drame de M. Victorien Sardou par MM. Giuseppe Giacosca et Luigi Illica, paroles françaises de M. Paul Ferrier, musique de M. Giacomo Puccini (13 octobre). — La Reine Fiammette, conte musical en quatre actes et six tableaux, paroles de M. Catulle Mendès, musique de M. Xavier Leroux, (23 décembre). — À mentionner : la première représentation à ce théâtre d’Iphigénie en Tauride, de Gluck (février), la reprise de Werther, de M. Massenet (avril), et la 1.300e représentation de Mignon, d’Ambroise Thomas (14 juillet).

Gaité (Théâtre-Lyrique). — Hérodiade, opéra en quatre actes et sept tableaux, paroles de MM. Paul Milliet et Grémont, musique de M. J. Massenet (21 octobre). — La Flamenca drame musical en quatre actes, paroles de MM. Henri Cain et Eugène et Édouard Adenis, musique de M. Lucien Lambert (31 octobre). — La Juive, d’Halévy (1re  représentation à ce théâtre, 21 novembre). — Messaline, opéra en quatre actes et cinq tableaux, paroles d’Armand Silvestre et M. Eugène Morand, musique de M. Isidore de Lara (24 décembre).

Bouffes-Parisiens. — Florodora, opérette en deux actes et trois tableaux, paroles françaises de MM. Adrien Vély et Schwob d’après la pièce anglaise de M. Owen Hall, musique de M. Leslie Stuart (27 janvier). — L’Épave, opérette en un acte, parole de M. Ernest Depré, musique de M. Émile Pessard (17 février). — Miss Chipp, conte fantastique en quatre actes et cinq tableaux, paroles de MM. Michel Carré et André de Lorde, musique de Henry Bérény (31 mars). — Le Mariage aux Tambourins, opérette en un acte, paroles de M. Fernand Esselin, musique de M. Jules Chastan (14 mai). — La Fille de la mère Michel, opérette en trois actes, paroles de M. Daniel Riche, musique de M. Ernest Gillet (octobre).

Variétés. – Le Sire de Vergy, opérette-bouffe en trois actes, paroles de MM. G.-A. de Caillavet et Robert de Flers, musique de M. Claude Terrasse (mai).

Théâtre Sarah-Bernhardt. – Andromaque, tragédie de Racine, avec ouverture et musique de scène de M. Camille Saint-Saëns (7 février). – La Damnation de Faust, légende dramatique en cinq actes et dix tableaux, adaptation scénique du chef-d’œuvre d’Hector Berlioz (mai). – La Sorcière, drame en cinq actes de M. Victorien Sardou, avec musique de scène de M. Xavier Leroux (15 décembre).

Olympia. – Au Japon, grand ballet, scénario de M. Carlo Coppi, musique de M. Louis Ganne (5 septembre).

Théâtre des Capucines. – La Botte secrète, opérette bouffe en un acte, paroles de M. Franc Nohain, musique de M. Claude Terrasse (27 janvier). – Perle de Jade, opérette en un acte, paroles de M. Alban de Polhes, musique de M. Ludo Ratz (11 mai). – Péché véniel, opérette en un acte, paroles de M. Franc Nohain, musique de M. Claude Terrasse (16 novembre). – La Boutique à quat’sous, « camelotte en vers », paroles et musique de M. Jacques Redelsperger (16 novembre). – Pied d’Châlit, « idylle militaire », paroles de M. Montignac, musique de M. Ludo Ratz (23 décembre).

Théâtre des Mathurins. – Son Manteau, opérette-bouffe en un acte, paroles de MM. A. Thalasso et G. Quillardet, musique de Ludo Ratz (27 janvier). – Cœur jaloux, pantomime, musique de M. Chantrier (28 mars). – À l’impossible, fantaisie en un acte, paroles de M. C. Alphand, musique de M. Ed. Mathé (17 avril). – Rêves d’opium, « pantomime lyrique », de M. Paul Franck, musique de M. Ed. Mathé (avril). – Marie de Magdala, « évangile en vers », paroles de M. Maurice Duplessy, musique de Mlle Jane Vieu (avril)

Nouveau-Théâtre (Les Escholiers). – Il était une fois…', « conte en vers » de M. Claude Roland, musique de Mlle Jane Vieu, la Duchesse Putiphar « fantaisie romantique » en deux actes et en vers, de M. Louis Artus, musique de M. Bermberg (22 janvier)

Scala. – La Chula, pantomime en un acte, scenario de M. Girault, musique de M. Henry Rosès (17 février).

Salle des Agriculteurs. – La Vendetta, drame lyrique en quatre acte, paroles de MM. Bérard et Ed. Martin, musique de M. Georges Palicot (21 mars).

Concert Européen. – Fémina, opérette en un acte, paroles de M. P.-L. Flers, musique de M. Rodolphe Berger (20 février).

Monte-Carlo. – Le Tasse, opéra en trois actes et six tableaux, paroles de MM. Jules et Pierre Barbier, musique de M. Eugène d’Harcourt (14 février). – Circé, drame en deux actes, en vers, de M. Charles Richet, avec musique de scène de M. Brunel (avril). – Les Diamantines, ballet en un acte, musique de M. Tesorone (novembre).

Nice. – Marie-Magdeleine, drame lyrique en quatre actes, adaptation scénique du beau drame sacré de M. J. Massenet (février). – Hersilia, ballet, scénario de M. Alfred Mortier, musique de M. d’Ambrosio (mars).

Rouen. – Les Amours de Colombine, ballet- divertissement en deux actes, scénario de M. Géronte, musique de M. Max Guillaume (11 février). – Le Chant du Cygne, opéra- comique, paroles de M. Aubin, musique de M. Dupouy, chef de musique du 74e de ligne (février). – La Mouette blanche, opéra- comique, paroles et musique de Mme Mireille Kermor.

Bordeaux. – La Mandoline de Pierrot, pantomime-ballet, scénario de M. Jules Fortin, musique de M. G. Imberti (avril).

Toulouse. – L’Amour magicien, opérette en un acte, paroles de M…, musique de M. Bastide (Variétés, février). – Zilah, ballet en deux actes et trois tableaux, scénario de M. d’Alessandri, musive de M. Hugounenc (Capitole, mars). – Les Deux Coqs, comédie lyrique en un acte, paroles de M. Roger Valette, musique de M. François Ausseuil (id., id.).

Rochefort. – Louis IX, drame lyrique en quatre parties, musique de M. le comte de Beaufranche (juin).

Nevers. – Cynisca, opéra-comique, paroles de MM. A. P. de Launoy et Fernand de Rouvray, musique de M. Dailly (mars).

Chalons-sur-Marne. – Liberté, drame de M. Maurice Pottecher, avec chœurs de M. L. Marcelot (décembre).

Enghien. – Mam’zelle Frétillon, opérette, paroles de M. Fernand Beissier, musique de M. V. Monti (septembre).

Tours. – Poisson d’avril, opéra-comique en un acte, paroles de M. Rogeron, musique de M. René Delaunay (novembre).

Représentations à l’étranger d’ouvrages français : à Bruxelles (Galeries Saint-Hubert), Yetta, opérette, paroles de M. Fernand Beissier, musique de M. Charles Lecocq (mars) ; à Londres, Maguelonne, opéra en un acte, paroles de M. Michel Carré, musique de M. Edmond Missa (juillet) ; et encore à Bruxelles (théâtre de la Monnaie), le Roi Arthus, drame lyrique en trois actes et six tableaux, poème et musique posthumes d’Ernest Chausson (décembre).

Ajoutons à la liste établie par notre confrère, la Vendéenne, drame lyrique d’Ernest Garnier, représenté au Grand-Théâtre de Lyon

Le Courrier Musical, au début de sa septième année, vient de transformer son format ancien en celui plus commode de notre Revue. Nous sommes heureux d’attirer l’attention des musiciens sur cette excellente publication, d’allure franchement progressiste qui, sous l’impulsion de notre confrère, Albert Diot, est en passe de devenir la première revue musicale de langue française. Nous avons eu plus d’une fois l’occasion de citer des articles du Courrier Musical et nous signalerons tout particulièrement le numéro du 1er  janvier dont nous publions ailleurs le sommaire et qui contient des études de L. de la Laurencie, Jean d’Udine, Fledermaus, Camille Mauclair, Victor Debay et Paul Locard.