Revue Musicale de Lyon 1903-11-24/Musiques d'Église

musiques d’église

(suite)

Si le manque de respect pour les textes liturgiques est cause de nombre d’œuvres regrettables, l’ignorance des convenances liturgiques donne naissance à plusieurs abus.

Ces convenances liturgiques pourraient se définir : le souci de se tenir en harmonie, non seulement avec la lettre, mais encore avec l’esprit des prescriptions de la liturgie catholique qui concernent la musique d’église. Les divers cérémoniaux catholiques qui ont force de loi renferment en effet, des indications nettes sur plusieurs points, et sur les autres contribuent à établir, parmi les directeurs du chant liturgiques, maîtres de chapelle ou organistes, ce qu’on pourrait appeler une mentalité uniforme. C’est ainsi que le cérémonial des évêques est formel quand il prescrit de ne toucher l’orgue que pour accompagner le chant aux offices des défunts et pendant les trois derniers jours de la semaine sainte. La pensée de l’Église est donc que, dans ces offices, où tout marque le deuil, l’orgue ne doit pas se faire entendre seul, même pour chanter une marche ou un offertoire funèbre[1].

D’ailleurs, cette marche funèbre, même de Beethwen ou de Chopin, cet Offertoire, si bien préparé, si riche en ut mineur, que sont-ils à côté des suppliantes paroles du texte liturgique aux naïves et grandioses images, et de sa mélodie à la fois navrée et confiante ? Et encore, il ne faut pas trop se plaindre : l’office des morts est le seul à peu près dont les fidèles connaissent le texte et les mélodies. Parmi tant de suppressions, le Dies Irae demeure parce qu’une fois au moins dans la vie, il les associe à un culte vrai, toujours terrifiant et consolant, compris suffisamment de tous, témoin irrécusable de la valeur d’expression, du caractère populaire de nos chants traditionnels. Des autres offices si intéressants cependant, on dit équivalemment ce que, paraît-il, disaient du Grec certains scolastiques du moyen-âge : « Græcum est, non legitur ».

Quand les ordonnances liturgiques ne sont pas aussi formelles que celle que je viens de citer, leur ensemble et le bon sens constituent néanmoins une sorte de jurisprudence.

Comment ne pas juger contraires, sinon à la lettre, du moins à l’esprit de la liturgie, les deux abus que je vais signaler ?

Le premier et le plus criant, consiste à adapter des paroles sacrés sous un air profane et connu comme tel. Un soir, dans une chapelle de Paris aujourd’hui fermée et dont l’orgue était livré à la fougueuse et baroque fantaisie d’un musicien qui porte pourtant un nom vénérable entre tous, dans les annales de la musique, j’entends commencer par une voix de ténor un O salutaris. Les premières mesures me rappellent un air entendu dans une enceinte plus profane et portant de tout autres paroles. Quelques mesures encore et je reconnais la mélodie de Gounod, sur les paroles de Lamartine : « Le soir ramène les silence » ; ce chant de la mélancolie quelque peu panthéiste où le poète nous parle des sapins, du gazon et de l’étoile amoureuse, était devenu un hymne au Dieu de l’Eucharistie. Heureux quand on ne fait pas servir au culte divin d’autres mélodies d’origine incomparablement plus profane ; pareille aberration toucherait au sacrilège !

Le second abus, plus fréquent que le premier, consiste dans l’exécution, par un instrument soliste (violon, violoncelle et même, Dieu me pardonne, mandoline !) par un orchestre, ou même par l’orgue, de mélodies purement profanes ou théâtrales[2]. La saison dernière, à la messe des baigneurs d’Aix-les-Bains, j’ai entendu, exécuté délicieusement d’ailleurs, le quatuor à cordes, la mélodie de Massenet, dont le refrain est celui-ci : « Les coccinelles sont couchées. » D’autre part, la marche nuptiale de Lohengrin, certains passages de Parsifal, la marche nuptiale du Songe d’une nuit d’été, de Mendelssohn, n’ont-ils pas vraiment trop longtemps sévi dans les messes de mariage ? Faut-il donc changer l’Église en salle de concert et les offices liturgiques en auditions ? N’y a-t-il dans le répertoire de musique vraiment religieuse, aucune pièce de valeur ? Les œuvres des Maîtres du xvie siècle, de Bach, d’Haëndel, et, de nos jours, celles des meilleurs des maîtres de l’orgue sont-elles donc inconnues ?

Il serait bon de se rappeler que l’Église c’est la maison de Dieu, où l’on prie, harmonieusement, tant qu’on voudra, mais réellement ; et que les convenances ne sont pas moins les convenances quand elles ont pour objet le culte divin que quand elles visent la vie de salon.

Jean Vallas.

  1. Un texte différent de celui que nous avons emprunté à l’ouvrage du Dr  Haberl de Ratisbonne porte que la liturgie permet l’emploi de l’orgue aux offices des morts dans les églises où la coutume s’est établie depuis un temps assez long. Quoiqu’il en soit de la vérité de cette addition qui n’est d’ailleurs pas admise par tous, il n’en demeure pas moins que selon l’esprit de la liturgie, l’orgue doit se taire aux offices des morts.
  2. Au moment de mettre sous presse nous trouvons dans un journal de la Loire le compte-rendu de la Messe donnée par une Estudiantina pour fêter la Sainte-Cécile. Voici le programme exécuté à l’église par cette société de mandolines : Salut à Roanne, Pensiero melodico (morceau plein de difficultés et d’un grand effet), Échos des Alpes. Nous nous demandons comment l’autorité paroissiale peut tolérer de pareilles inconvenances (N. D. L. R.).