Revue Musicale de Lyon 1903-11-10/Nouvelles Diverses

Nouvelles Diverses

Malgré ses soixante ans bien passés, Mme Adelina Patti vient d’entreprendre sa dernière tournée d’Amérique. Elle a commencé par chanter à New-York.

Le Nouveau-Monde a un goût si vif pour les artistes de l’Ancien que l’impresario craignit, en fixant lui-même le prix des places, de ne pas demander au public tout ce qu’il en pouvait obtenir. L’idée lui vint, très ingénieuse, de les mettre aux enchères. L’adjudication a eu lieu dans la salle ordinaire des ventes. Elle a donné plusieurs jours. À la première vacation, on a vendu les loges. Sur une mise à prix de 60 dollars, la première loge a été adjugée 375 dollars, soit 1.875 fr. ; la seconde a fait 1.750 francs ; la troisième 1.375 francs. On a payé les suivantes de 750 à 1.250 francs. À elles seules, les loges ont produit 50.000 francs. Les autres vacations consacrées aux fauteuils, ont dû donner d’assez beaux résultats, car les journaux de New-York estiment que les deux concerts produisirent au bas mot 125.000 francs. Mme Patti touche, par représentation, un honoraire de 25.000 francs. Elle reçoit de plus la moitié de la recette au-delà de 40.000 francs.

L’engouement des Américains est d’autant plus flatteur que Mme Patti ne s’est pas mise, pour eux, en frais de nouveautés. Elle leur chante le même répertoire que l’Europe applaudit sous le second empire.

L’abbée Lorenzo Perosi travaille actuellement à un nouvel oratorio, le Jugement dernier, qui est destiné, selon le vœu de S. S. le pape Pie x, à une prochaine solennité de la chapelle Sixtine.

Une jolie anecdote sur Hermann Zumpe, le directeur général de la musique à Munich, décédé au mois de septembre dernier.

Le célèbre chef d’orchestre était attablé au milieu d’un cercle de joyeux compagnons. La conversation tomba sur le genre en composition, particulièrement sur l’opérette. Zumpe stigmatisa les œuvres de cette catégorie. « Ce sont choses sans valeur d’art, dit-il, un peu de talent suffit pour les écrire ». Cette opinion ne fut point partagée ; on demanda au censeur sévère de tant d’œuvres charmantes s’il serait capable d’en composer une à son tour : « Oui assurément, répondit-il ; je n’ai aucun talent pour cela mais je puis très bien confectionner une opérette ». Un pari s’ensuivit ; c’est obligation en pareil cas quand on a bu raisonnablement de bonne bière allemande. Au bout de quatre semaines, Zumpe apportait triomphalement le manuscrit de son opérette Farinelli, qui eut plus d’un millier de représentations.

La gloire : À Saint-André-le-Gaz, en face la gare, vient de s’ouvrir un hôtel qui a pris le nom d’Hôtel de la Gare… et Berlioz !

Le 12 novembre, en l’honneur du centenaire de Berlioz, on donnera à Londres la première audition de Cléopâtre, scène dramatique pour soprano et orchestre. Cette œuvre, composée en 1829, inédite et ignorée jusqu’à ce jour, fut une des cantates écrites par le maître, lorsqu’il concourut pour le prix de Rome. — Mlle Palasara a été engagée pour faire cette création. L’orchestre, de cent musiciens, sera dirigé par Félix Weingartner.

De Munich. — L’intendance de la musique de la Cour et l’intendance du théâtre de la Cour ont conclu un traité avec le directeur général de la musique Félix Mottl, aux termes duquel le célèbre chef d’orchestre est engagé définitivement à Munich. Cet arrangement a reçu, le 3 novembre, le très haut assentiment de son Altesse Royale le Prince Régent. Par suite du contrat, le directeur général de la musique Mottl entrera en fonctions l’année prochaine et prendra part, comme premier chef d’orchestre, dès la saison d’été de 1904, aux représentations de fête en l’honneur de Richard Wagner, au théâtre du Prince Régent.

M. Félix Mottl est né à Bas Saint-Veit, près devienne, le 29 août 1856. Il a écrit quelques œuvres dramatiques : Agnès Bernauer (Veimar 1880), Ramin, Prince et chanteur, opéras ; un intermède, Eberstein (Carlsruhe, 1881) ; un quatuor à cordes (1898) : des Lieder, etc. ; mais c’est comme chef d’orchestre qu’il s’est acquis une réputation considérable, et, si la place qu’il vient d’obtenir est pour lui un beau couronnement de carrière, l’approbation unanime qui accueille sa nomination constitue un témoignage spontané dont il a le droit de se montrer non moins fier que du choix si honorable dont il a été l’objet. M. Mottl est fort connu en France, où il a dirigé les orchestres Colonne et Lamoureux, notamment en 1894, 1897, 1898. Au mois de novembre 1893, il organisa au théâtre de Carlsruhe un « cycle dramatique Berlioz » et fit entendre, en une semaine, Benvenuto Cellini, les Troyens à Carthage, la Prise de Troie, et Béatrice et Bénédict. Ce fut une véritable « fête française ». Chacun sait quelle part l’éminent chef d’orchestre a prise depuis 1876 aux représentations wagnériennes de Bayreuth, mais son éclectisme et son esprit d’initiative l’ont préservé de tout exclusivisme ; il affirmait volontiers son admiration pour Léo Delibes pendant ses fréquentes visites à Paris, et cette admiration se traduisit par des actes. Lorsque mourut Hermann Zumpe, le Prince Régent avait promis que sa succession serait donnée à un chef d’orchestre « de tout premier rang ». On voit qu’il a tenu parole… royalement.

— Nul n’était plus que Berlioz rebelle aux compliments dithyrambiques. Un jour, après une audition triomphale à Vienne, un assistant extasié bouscula toute l’assemblée pour arriver jusqu’à lui : « Je vous en conjure, Maître, dit le personnage, souffrez que je presse la noble main qui a écrit Roméo et Juliette.

Et en même temps il s’emparait de la main gauche de l’artiste. « Monsieur, dit Berlioz en riant, ce n’est pas celle-là ! »

L’étranger, interloqué un instant, prend sans rancune la main droite du compositeur, la serre avec force et s’écrie : « Ah ! vous êtes bien un vrai Français ! Il faut que vous vous moquiez même de ceux qui vous aiment ».

Le Propriétaire-Gérant : Léon Vallas.

Imp. Waltener & Cie, rue Stella, 3, Lyon.