Revue Musicale de Lyon 1903-10-27/Claude Rafi "Fleustier" lyonnais

NOTES ET DOCUMENTS
POUR L’HISTOIRE DE LA MUSIQUE À LYON

CLAUDE RAFI

" Fleustier " Lyonnais

Il n’est pas rare de rencontrer dans les auteurs les louanges en prose ou en vers des virtuoses qui ont su imposer leur talent à leurs contemporains : que ce soit par le charme d’une belle voix ou par le maniement délicat d’un instrument, ceux, qui ont pu émouvoir leurs auditeurs, ont eu la satisfaction de savoir leurs noms portés à la postérité sur les pages des écrivains. Combien il en est autrement des facteurs d’instruments à qui l’on donne aujourd’hui le nom générique de luthier ! Le mérite des exécutants a absorbé et absorbe si bien le leur, qu’il est bien petit le nombre de ceux qui, entendant un virtuose, se demandent de quelles mains sort cet instrument qui les charme, et cherchent à attribuer à son modeste auteur une petite part du plaisir qu’ils éprouvent. Pourtant, dans la musique, la question de facture instrumentale, est loin d’être un élément négligeable : nous n’en voulons pour preuve que le soin que mettent les artistes à choisir chez le meilleur luthier, l’instrument qu’ils chargent de transmettre leurs émotions musicales.

De nos jours, le goût des choses anciennes, et, ajoutons-le tout bas, un peu le mercantilisme, ont tiré de l’oubli le nom d’une foule de ces luthiers, dont le mérite a été consacré par le temps, et sur lesquels les contemporains sont bien muets : c’est donc dans les archives qu’il faut aller chercher leurs traces. C’est ce qu’on a fait notamment pour l’illustre école de luthiers crémonais ; c’est ce que se proposait de faire pour les luthiers lyonnais, M. le Dr Coutagne, à qui nous devons la partie documentaire de ce qui va suivre.

Le témoignage des auteurs, sur les luthiers leurs contemporains, étant d’autant plus rare que l’on remonte plus avant dans le passé, nous avons été agréablement surpris de rencontrer trois fois dans les poètes du xvie siècle le nom de Rafi, luthier lyonnais. Son mérite ne paraît pas avoir dépassé la sphère de sa spécialité instrumentale, aussi nous n’hésitons pas à croire qu’il fut bien grand, pour avoir provoqué, contre toute habitude, une mention qui devait sauver son nom de l’oubli.

Dans son églogue sur Mme Loyse de Savoye, mère du Roy François Ier de ce nom, morte en 1531, Marot, qui avait déjà

passé à Lyon, et qui était peut-être lui-même exécutant, Marot fait dire au berger Thenot :

Et si les vers sont d’aussi bonne mise
Que les derniers que tu feis d’Ysabeau,
Tu n’auras pas la chose qu’ai promise,
Ains beaucoup plus et meilleur et plus beau.
De moy auras un double chalumeau
Faict de la main de Raffy Lyonnois :
Lequel, à peine, ay eu pour un chevreau,
Du bon pasteur Michau que tu cognoys.
Jamais encore n’en sonnay qu’une foys
Et si le garde aussi cher que la vie !

Voilà un diplôme de mérite en règle, d’autant plus flatteur pour notre compatriote, qu’il émane d’une plume célèbre et, nous le croyons aussi, d’un connaisseur. Marot, en effet, était musicien : pourquoi n’eût-il pas joué de la flûte ou de l’un de ses similaires, tous instruments si fort en honneur au xvie siècle que : « Le plus galant hommage, dit M. H. Lavoix fils[1], qu’un amant bien épris pût faire à sa maîtresse, était de lui donner un concert de flûtes. » Son passage à Lyon lui aurait permis de se procurer chez le meilleur facteur un instrument, qu’il gardait aussi cher que la vie, tant il le trouvait à son gré.

Cette supposition est corroborée par ces vers de Baïf :

Après tous ces propos j’apporte une musette
Que Rafi Lyonnois à Marot avoit faite.

Les jeux (Églogue des Devis).

Enfin, Rafi est encore cité dans un poème réédité au tome XI du « Recueil de poésies françaises des xve et xvie siècles » (par A. de Montaiglon, Paris, Janet, 1876), intitulé : Epistre, de l’asne au coq par François La Salla à son ami Pierre Bordet (Paris, 1537) :

Si vous avec couppé le doy…
La bonne fleuste de Raffi.

D’après M. de Montaiglon, il manque un vers, ce qui rend la phrase inintelligible. Pour nous, il n’en est pas moins intéressant d’y voir rappeler notre luthier.

(À suivre).
G. Tricou

  1. Histoire de l’instrumentation. Paris, F. Didot, 1878, in-S