Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch7

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 50-57).
◄  Chapitre 6
Chapitre 8  ►

CHAPITRE VII

Résultats de l’expédition. – Projets des naufragés. – Ils s’éloignent du lieu de débarquement. – Les oiseaux et leurs nids. – Une bonne pèche. – La tonne de pommes de terre. – Fabrication d’une tente. – Les pelles pour creuser le bassin. – Construction d’un bateau.


« Allons, ma chère sœur, dit Hugues à Marguerite, nous allons changer d’habitation. En route ! Gérald et moi avons l’intention de construire un chalet.

— Où nous serons mieux que sous un berceau de feuillage, et, de cette façon, nous n’aurons plus à redouter les morsures des moustiques. Nous venons de trouver un navire.

— Expliquez-vous demanda la jeune fille. C’est une plaisanterie !

— Pas le moins du monde ; seulement, quand je dis un navire, j’entends une épave. Toutefois ne va pas craindre que ce soit une carcasse trop triste à voir et à habiter ; il y a d’ailleurs près de là une charmante baie ; si bien que nous trouverons en ces lieux une retraite sûre, en attendant que nous ayons pris des mesures pour notre salut. »

Tout en parlant ainsi, les explorateurs étaient parvenus près de Max Mayburn. Jack, en entendant le récit fait au vieillard, manifesta un très grand intérêt au sujet de l’épave et des débris du navire. La hache rapportée par O’Brien lui parut un excellent instrument, quoique un peu rongée par la rouille.

Jenny Wilson complimenta les jeunes gens au sujet de quatre canards, récompense de leur adresse ; elle déclara que ces oiseaux, bien plumés et habilement rôtis, feraient un bien meilleur plat que cette viande fantastique de tortue. Quant à Ruth, elle admirait le plumage des cols-verts et déplorait qu’on eût tué d’aussi jolies bêtes du bon Dieu.

« Venez voir à votre tour, dit Marguerite, ce que mon père et moi avons trouvé : une corbeille pleine d’œufs de tortue ; et voilà Jenny qui va vous servir des œufs cuits sous la cendre qui vous paraîtront exquis. »

On dîna, en effet, d’un excellent appétit, et, tout en mangeant, on tint conseil pour savoir quel parti on allait prendre. Marguerite redoutait fort la rencontre des sauvages australiens ; mais Arthur fit comprendre à tous ses auditeurs qu’il n’y avait pas de danger à redouter dans la petite baie qu’ils avaient découverte, Hugues, Gérald et lui ; cette anse n’était-elle pas protégée par des récifs de corail, infranchissables pour des barques de sauvages ? le promontoire qui l’abritait n’était-il pas une sorte de barrière ? Une fois en cet endroit, les naufragés ne seraient plus exposés comme ils l’étaient sur le rocher où se trouvait le campement actuel, comme ils pourraient l’être dans l’intérieur des terres.

Max Mayburn, en excellent agriculteur, eût bien désiré trouver à mettre en œuvre sa science sur des terres de valeur ; mais ses fils lui firent comprendre qu’il fallait renoncer à coloniser, pour le moment du moins. « Il nous faut, avant tout, quitter cette île déserte, lui dirent-ils, et une fois installés sur la plage que nous avons découverte, il nous sera plus facile d’apercevoir un navire de passage.

– Je crains bien que cette chance ne nous arrive pas ; on ne voit pas souvent des vaisseaux au milieu des récifs, objecta Wilkins, à moins que la tempête ne les y pousse. Je ne crois donc pas que nous puissions compter sur ces moyens pour quitter ces côtes inconnues.

— N’importe, nous pourrons construire une embarcation avec les bois de l’épave naufragée, objecta Jack.

— Ah ! voilà une meilleure idée, répliqua le convict. C’est bien ! une fois le bateau mis à flot, de quel côté ferons-nous voile ?

— Vous savez bien, mon garçon qu’il faut que je me rende aux grandes Indes, répondit Max Mayburn.

– Il faut ! il faut ! répliqua le convict ; vous croyez donc que vous pourrez traverser les mers dans une coquille de noix que nous construirons ici et que nous lancerons à la mer ? Écoutez-moi Monsieur je suis prêt à vous servir, disposé à vous défendre et à donner ma vie pour vous ; mais je n’entends pas retourner à Sydney pour être remis aux fers avec les autres.

– Ne craignez rien, mon pauvre garçon, fit l’ainé des Mayburn nous ne retournerons jamais à Sydney ; d’ailleurs, nous ne vous abandonnerions point, et nous ne permettrions pas qu’il arrivât malheur à un homme qui s’est dévoué comme vous l’avez fait pour nous. Voyons ! mon cher père, continua Arthur, ne songez plus à votre voyage aux grandes Indes. Nous voici tous morts au monde dans le Golden-Fairy ; nous n’avons plus rien à faire là-bas. Résignons-nous seulement à la situation que nous a imposée la Providence, et attendons ce qu’elle décidera.

– Dieu nous distribuera notre tâche, ajouta Marguerite ; ne nous décourageons pas.

— En effet, chère enfant, fit Max Mayburn, tu me traces ma conduite future. Je vais continuer mes études d’histoire naturelle en admirant les merveilles de ce pays.

— C’est cela, cher père, et vous serez notre égide, notre vigilant gardien, tandis que nous nous chargerons du travail manuel.

— C’est convenu ; Dieu me soutiendra dans cette tâche, la seule que je puisse remplir, car le chagrin qui dévorait mon cœur sur le sol natal ne m’a point encore abandonné.

– N’avez-vous pas vos enfants pour vous consoler ? fit Marguerite.

– C’est encore vrai !

– Comptez sur votre fils Hugues et sur moi pour vous aider dans vos recherches ornithologiques et minéralogiques, ajouta Gérald.

— C’est convenu ; et maintenant parlons de notre déménagement, dit ensuite le chef des jeunes naufragés. Demain matin, tandis que Jenny Wilson fera cuire nos canards, nous préparerons les paquets à transporter. Ruth remettra les poules dans leur cage, et, après déjeuner, nous nous mettrons en marche. N’oublions pas qu’il faut nous lever de très bonne heure, de façon à éviter l’ardeur du soleil. »

Les naufragés songèrent donc au repos, et, suivant le programme, on se leva au point du jour. Il était important, cette fois, de ne rien laisser derrière soi, car Black Peter avait emporté le biscuit et la tonne d’eau, ainsi que la boite d’instruments de Jack et le fusil. Il ne restait, comme provision, qu’un peu de thé et de sucre que l’on ménageait avec soin.

On enroula la voile qui servait de tente, sans oublier les rames, et, chacun ayant pris sa part du fardeau, on se mit en route.

Nous n’accompagnerons pas les naufragés du Golden-Fairy sur le chemin découvert par les jeunes gens. Qu’il nous suffise de dire que la vue du lac d’eau douce et de ses habitants écaillés et emplumés émerveilla Max Mayburn, qui s’arrêtait deci delà pour cueillir une fleur nouvelle, ramasser une pierre minérale, ou examiner un arbre inconnu. Tous écoutaient en marchant le chant des oiseaux qui voltigeaient sur leurs têtes ou piaillaient dans les buissons.

« Il nous suffira pour nous instruire, mes enfants, dit sentencieusement Max Mayburn, d’admirer les lieux qui nous entourent et la riche végétation qui les couvre. Obligez-moi de me procurer, si cela peut se faire, les spécimens des œufs et des nids de tous ces jolis oiseaux. Je voudrais bien aussi tenir dans mes mains quelques-uns de ces chantres ailés tout en vie.

— Mais, cher père, nous n’avons pas de cage pour les mettre, objecta Marguerite.

— Je l’avais oublié, ma fille aimée ; allons ! n’y songeons plus.

— Attendez, mon cher monsieur Mayburn, je vais aller voir si je découvre un des nids de ces beaux cygnes noirs.

— Oiseaux rares, s’écria le vieillard ; mais ne prends pas cette peine, mon enfant ; le nid de ce cygne doit être fort grand et très encombrant. Nous verrons plus tard. Quelles sont donc ces plantes marécageuses ? demanda-t-il.

— Des roseaux, à l’aide desquels on fera d’excellentes flèches, répliqua Hugues en coupant un certain nombre de ces plantes. Qui sait si on ne pourrait pas également fabriquer des arcs avec ces bambous flexibles ? Nous sommes plus instruits que les sauvages, et nous pouvons mieux réussir qu’eux dans tous ces ouvrages ingénieux. Quand nous serons nantis de ces armes, il nous sera possible de tuer des oiseaux sans faire de bruit, et les méchancetés de Black Peter ne seront plus à craindre. — Essayons, avant de songer aux oiseaux, de nous procurer à dîner. Voyez les magnifiques poissons, » observa O’Brien en montrant à ses amis d’énormes habitants de l’onde qui ressemblaient fort à des perches.

Jack tailla en pointe quelques roseaux ; et dès que ces engins de pêche furent prêts, les jeunes gens commencèrent la pêche. D’abord leurs tentatives furent infructueuses ; mais après de nombreux essais ils parvinrent à harponner deux poissons de moyenne grandeur, et qui cependant pesaient deux kilos et demi environ chacun. Arthur fut d’avis qu’ils appartenaient à l’espèce dite morue de rivière (grystes peelii), poisson très apprécié par les voyageurs en Australie. Il leur fallut, pour s’emparer de ces deux spécimens, se mettre à l’eau ; mais la jeunesse ne craint pas ces immersions volontaires.

Tandis que les pêcheurs ramassaient leur proie, Jack, qui avait découvert un banc de moules de rivière, s’emparait des plus grosses, et, après avoir vidé l’intérieur, réservait les écailles pour s’en servir comme de cuillers ou bien en guise de coupes à boire.

Les Mayburn et leur suite crurent alors devoir continuer leur route, car la chaleur devenait intolérable. Ils trouvèrent un abri dans les bois, et, se frayant un chemin à travers les arbres et les lianes qui poussaient de tous côtés, ils parvinrent sans trop de mal jusqu’à la baie au centre de laquelle gisaient les débris du navire naufragé.

Sans perdre une minute, tous les voyageurs s’avancèrent vers l’épave ; Jack, particulièrement, examina cette carcasse, afin de voir quel parti il pourrait tirer de toutes ces planches. Marguerite et son père ne purent s’empêcher de verser des larmes en songeant aux malheureux marins qui avaient probablement perdu la vie quand leur navire avait été brisé sur la côte.

Tandis qu’Arthur et Gérald, se hissant sur la coque, allaient explorer l’intérieur de la construction maritime, Arthur examinait l’intérieur et remarquait que, depuis la veille, la mer avait déjà arraché de nouvelles planches ; il s’approcha de Jack et se consulta avec lui pour savoir s’il n’y aurait pas moyen de s’emparer au plus tôt de tout ce qui pourrait, dans cet amas de bois de construction, leur être utile pour fabriquer une embarcation.

Pour ne pas perdre de temps, les deux jeunes gens se mirent à arracher une planche à moitié déclouée, et, après y être parvenus, ils aperçurent un gros tonneau arrimé dans la cale. Le tonneau roula et alla se briser sur les roches, laissant échapper de ses flancs de magnifiques pommes de terre.

Toutes les mains se dirigèrent d’un commun accord sur la place où les précieux tubercules s’étalaient sur le sable ; on releva le tonneau, et on le roula sur la grève de façon que son contenu fût à l’abri des atteintes de la marée haute.

« Il est bien étonnant, observa Hugues, que nous n’ayons pas découvert hier cette précieuse provision lorsque nous sommes venus ici.

— C’est vrai ! mais n’importe, puisque voilà les légumes, répliqua Gérald, nous allons en semer une portion dans un champ que nous défricherons à cet effet, et de cette façon nous ne mourrons pas de faim tant que nous resterons ici. »

À ces paroles, Marguerite éprouva une sorte d’appréhension. La pensée de séjourner indéfiniment dans ce pays inconnu la remplissait de terreur, mais Arthur rassura sa bonne sœur, car lui-même comptait bien abandonner ces plages inhospitalières avant que les pommes de terre eussent eu le temps de pousser. Toutefois il approuva le projet de Gérald, et il fut convenu que l’on chercherait un endroit favorable pour planter les tubercules, ne fût-ce que pour le bien-être de ceux que le malheur pourrait encore amener sur cette partie du globe terrestre.

« Allons ! allons ! ma bonne Wilson, faites-nous bouillir une certaine quantité de ces patates anglaises, ajouta-t-il ; nous manquons de pain, ces légumes vont le remplacer avantageusement. »

Ruth était restée sur la bordure du bois pour chercher un endroit favorable afin d’y élever un poulailler ; tout à coup elle accourut vers sa jeune maîtresse en s’écriant :

« Oh ! miss Marguerite, voyez donc la jolie source que je viens de découvrir. »

C’était là, en effet, une excellente nouvelle aussitôt miss Mayburn, Arthur et Jack se précipitèrent sur les traces de la jeune fille, et, au milieu des racines d’arbres, sous un épais buisson, ils aperçurent sourdre entre deux pierres une eau limpide, dont la mère source était probablement le lac des montagnes. Ce filet d’eau avait trouvé son issue par un canal souterrain s’ouvrant sur le bord de la mer, et il allait se perdre dans le sable de la baie.

« La source est bien faible, dit Arthur à Jack ; mais au moins nous de mourrons pas de soif.

– Qui nous empêche de creuser un bassin ? répliqua l’industrieux jeune homme. Pour cela il ne nous faudrait qu’une pioche ou une pelle. »

Jack se mit à réfléchir quelques instants : il ne se trouvait pas embarrassé pour si peu. Il songea à trouver quelque large coquillage qu’il lierait avec des écorces d’arbre à une longue tige fendue par le bout.

Ce plan ingénieux fut adopté par Arthur et ses amis, qui engagèrent Jack à fabriquer rapidement sa pelle primitive.

« Nous resterons ici, ajouta-t-il jusqu’à ce que nous ayons fabriqué une embarcation à l’aide de laquelle nous puissions nous risquer à la mer. Il nous faut de l’eau fraîche à tout prix. Allons donc à la recherche de coquillages. »

En revenant près du navire naufragé, les Mayburn retrouvèrent leur père accablé par la chaleur, et leur premier soin fut d’élever une tente pour le mettre à l’abri. Puis, en regardant autour d’eux, ils découvrirent sur les flancs du promontoire une sorte de grotte formée par deux rochers debout. Afin de boucher les parties exposées au soleil ils transportèrent des planches, de grandes feuilles de bananier et autres, à l’aide desquelles ils élevèrent un abri des plus confortables. Une voile suspendue à l’entrée de cette demeure improvisée complétait l’ombre et procurait de la fraîcheur.

À la marée basse, tout en cherchant des nids d’oiseaux, Hugues et Gérald longèrent le promontoire, et se trouvèrent tout à coup devant une ouverture par laquelle ils pénétrèrent dans une immense grotte que les vagues envahissaient à l’heure de la haute mer. En examinant avec soin cette profonde excavation, les jeunes gens découvrirent que le sol allait en montant et que l’eau laissait à sec la partie élevée de la grotte.

« Mon cher Hugues, dit O’Brien à son ami, ce serait là une vraie forteresse si nous étions menacés de quelque danger. Une fois là-dedans, un homme seul pourrait défendre l’entrée du gîte avec un fusil, fût-ce même à marée basse. Il va sans dire que l’ennemi se trouverait dans l’impossibilité d’approcher lorsque la mer serait en son plein.

— Nous aurions là une triste demeure, mon cher camarade, répliqua Hugues, et l’on ne pourrait y exister bien longtemps. En somme, sous cette latitude aux saisons tempérées, nous n’avons pas besoin d’autre abri que celui d’une tente ; nous laisserons donc cette caverne inhabitée, à moins qu’un péril ne nous menace. N’importe, il faut conduire ici mon frère Arthur : il sera peut-être d’avis de faire de cet endroit notre cave aux provisions. »

Arthur, en effet, félicita Gérald et Hugues de la découverte qu’ils avaient faite, et Max Mayburn se montra très satisfait en apprenant qu’il pourrait, au besoin, se réfugier en cet endroit. Marguerite fut d’avis que l’on fit la cuisine en ce souterrain, de façon que la fumée de leur feu ne pût être aperçue par les sauvages habitants de ce pays.

Jenny Wilson, en effet, établit « ses fourneaux » dans la grotte, et y prépara un excellent repas, composé de poissons et de pommes de terre bouillies dans la carapace de la tortue.

Et tandis que la vieille bonne fonctionnait en vrai « cordon bleu », Ruth faisait le gué afin d’avertir Jenny du retour de la marée.

Jack avait fait une visite minutieuse aux deux épaves du navire ; il trouva dans l’entrepont, encore intact, un banc et une table en parfait état, et ensuite un tonneau vide qui avait contenu de l’eau-de-vie et pouvait servir de réservoir d’eau. Il déclara enfin qu’à l’aide des bois de la carcasse du vaisseau, il se chargeait, avec l’assistance de Wilkins, de construire une embarcation solide et pouvant tenir la mer.

Wilkins fit bien quelques observations quand on lui parla de travailler ; mais Max Mayburn, qui avait acquis une certaine autorité sur le convict, lui fit comprendre qu’il était de son devoir de se rendre utile et Marguerite comprit qu’il acceptait ces conseils avec humilité, ce qui prouvait que cette âme pervertie revenait au bien et qu’il y avait espoir de le convertir tout à fait.

Le jour suivant, Jack parvint à fabriquer deux sortes de pelles, en fixant deux grandes coquilles à des manches de bois, à l’aide de plantes textiles et de gomme. Tandis que ces instruments primitifs se séchaient au soleil, il songea à polir la hache qu’il avait trouvée couverte de rouille. En frottant le fer contre des pierres meulières il parvint à le rendre aussi brillant que s’il fût sorti de la boutique d’un marchand. Il lui fut alors possible de procéder à la démolition de l’épave, et de faire ainsi un choix dans les planches et les autres morceaux de bois ; il mit de côté les clous en état de servir ; aussi en quelques jours il eut devant lui assez de matériaux pour pouvoir entreprendre son grand travail.

Mais, avant toutes choses, Jack s’était empressé de creuser le bassin, grâce à l’aide des Mayburn et d’O’Brien. Les uns et les autres se rendaient chaque jour au grand lac pour s’y procurer des poissons, du gibier et des œufs, provisions indispensables pour l’entretien de la petite colonie, et, le reste de la journée, ils creusaient le bassin de la source. En une semaine, on eut pu voir devant ce filet d’eau une mare très vaste, remplie au fur et à mesure de l’écoulement. Les constructeurs avaient eu le soin d’en paver le fond et les parois avec des pierres plates, dont les interstices avaient été cimentés à l’aide d’une excellente terre glaise qui se trouvait en quantité dans les environs de la grotte. La provision d’eau des naufragés était désormais assurée tant qu’ils resteraient dans l’anse de l’épave.

Quelque temps se passa ainsi sans que les naufragés du Golden-Fairy découvrissent la moindre trace des habitants de l’intérieur des terres. Ils s’aventurèrent donc peu à peu loin de leur campement, et rapportèrent tantôt une tortue, tantôt un panier d’œufs de ces chéloniens, ce qui changeait un peu l’ordinaire. Ajoutez à cela un plat de pommes de terre, mais en petite quantité, car il fallait attendre la récolte pour se montrer plus prodigue du précieux tubercule.

Lorsque le réservoir d’eau fraîche eût été terminé, Jack choisi un emplacement hors des atteintes de la marée haute, et se mit sérieusement à la construction du bateau projeté. Le brave garçon, pendant sa traversée à bord de l’Amoor, avait demandé des conseils au charpentier du navire il connaissait donc quelque peu les premières notions de la construction marine seulement, lorsqu’il fut seul à l’œuvre, il comprit qu’il avait entrepris quelque chose de très difficile.

Les planches dont il devait se servir étaient plus ou moins endommagées par la mer, il n’avait pas d’équerres en fer et ne possédait ni clous ni vis mais, quoi qu’il en fût, le laborieux jeune homme n’en continua pas moins à travailler.

Le mois d’août, qui est le printemps de ces contrées lointaines, était presque fini, quand le bateau prit une certaine tournure. Jack s’occupa alors à le calfeutrer avec des étoupes à cordages qu’il avait découvertes dans les flancs du navire, ainsi qu’avec de la gomme qu’on trouvait en abondance dans la forêt.

En somme, quoique ce bateau fût une construction grossière et primitive, Jack n’en déclara pas moins qu’il était « son monument ». Il ne manquait plus qu’une paire de rames, dont la façon fut un jeu. Cela fait, au grand plaisir de tous, l’auteur de l’embarcation annonça un soir qu’il voulait le lendemain, si le temps le permettait, lancer la barque à la mer.