Reveille-matin des François/Second dialogue
Le pol. Or peut bien dire Iſrael maintenant,
Si le Seigneur pour nous n’euſt point eſt é,
Si le Seigneur noſt re droict n’euſt porté,
Quand tout le monde à grand fureur venant
Pour nous meurtrir, deſſ us nous s’eſt ietté :
L’hi. Ie ſuis deceu ſi ce n’eſt la voix de celuy que ie
deſire le plus de voir en ce monde.
Le pol. Pieça fuſsions vifs deuorez par eux,
Veu la fureur ardente des peruers :
Pieça fuſsions ſous les eaux à l’enuers,
Et tout ainſi qu’vn flot impétueux,
Nous euſſ ent tous abyſmez & couuerts,
L’hi. Ou ie reſue, ou c’eſt l’amy ſans nulle doute,
Mon Dieu où peut-il eſt re entré ? Seroit-ce point
en ceſt e chambre ? Hola he, Ouurez vn peu, ie
vous prie.
Le pol. Qui eſt es-vous, qui ainſi heurtez ?
L’hi. Gens de paix, ouure l’amy.
Le pol. O Seigneur, C’eſt l’Hiſt oriographe. Eſt -il
poſsible !
L’hi. Ce l’eſt vrayement, mon grand amy.
Le pol. Que ie t’embraſſ e, He qu’il y a de temps
que ie ſouhaite d’auoir le bien que ie reçoy !
L’hiſt . Il m’auient tout ainſi qu’à ceux qui ont longuement
attendu, apres quelque bien rare choſe,
qui mal à peine peuuent croire lors qu’ils l’ont en leur puiſſ ance, que ce ſoit ce qu’ils deſiroyent.
Ainſi dy-ie m’auient-il de te voir maintenãt
icy.
Le pol. Ie t’aſſ eure mon grand amy, qu’il m’auient
auſsi tout de meſme, en t’y voyant.
L’hiſt . Si n’eſt -ce fable, ny fantoſme, nous voicy
tous deux, Dieu merci.
Le pol. Dieu ſoit loué, qui nous a conduits à ſauueté,
& nous a faict entrerẽcontrer lors que nous
y penſions le moins. S’il te ſemble nous en remercierons
enſemble noſt re bon Dieu, de tout noſt re
cœur, & puis apres nous entretiendrons l’vn l’autre
tout à l’aiſe du ſuccez de nos voyages.
L’hiſt . Nous ne pouuons honeſt ement laiſſ er paſſ er
ceſt e occaſion, de remercier bien humblemẽt
noſt re grand Dieu, ſans encourir le vice d’ingratitude,
l’vn des plus deſplaiſans à Dieu, & moins
ſouffrable entre les hommes. Mais il nous faut
tenir la porte cloſe, pour euiter l’inconueniẽt qui
nous pourroit ſuruenir, veu le lieu où nous ſommes :
où le pur ſeruice & l’inuocation du nom de
Dieu (comme en tout le reſt e de la Papauté) eſt
deffendue.
Le pol. I’eſpere que bien toſt (comme il nous eſt
commandé de Dieu, expedient pour nos miſeres
& neceſſ aire pour noſt re deuoir) il nous ſera auſsi
permis de ſeruir Dieu par tout ouuertement. Apres
que ſa Maieſt é aura fait iuſt ice de la grande
Paillarde, qui a corrompu la terre par ſa paillardiſe,
& qu’il aura vengé le ſang de ſes ſeruiteurs de
la main d’icelle : lors que les Rois de la terre, qui
ont paillardé auec elle, & ont veſcu en delices, pleureront & ſe lamenteront à cauſe d’elle, quand
ils verront la fumee de ſon bruſlement : Lors dy-ie,
qu’il n’y aura plus nuls Chananeens en la maiſon
du Seigneur des armees. Et que tous ceux qui
ſeront demeurez de reſt e, de toutes les natiõs qui
auront fait la guerre à l’Egliſe de Dieu, adorerõt
le Roy le Seigneur des armees. Ainſi que la predict
Zacharie en ſa Prophetie.
L’hiſt . Ie l’eſpere auſsi tout ainſi. Cependant noſt re
deuoir eſt , de marcher en tout prudemment,
& d’attendre en toute patience ce temps là que le
Pere a mis en ſa puiſſ ance.
Bien le pouuons nous prier qu’il abbrege ces
iours-là, & qu’il haſt e la vocation de ſes eſleus.
Le pol. Tu dis vray. Or le prions donc à genoux,
s’il te plaiſt de faire les prieres ie te ſuyuray de
tout mon cœur,
L’hi. Ie le veux bien. Prions,
Seigneur Dieu Pere eternel & tout puiſſ ant,
Nous tes poures ſeruiteurs, ayans eſt é tranſportez
par ta grace, du Royaume tenebreux, au Royaume
de lumiere, & toſt apres employez par ton
Egliſe en des charges importantes à ton ſeruice :
Te rendons graces, nous te louons, nous te magnifions
Seigneur, pour les biens infinis (& qui, à
dire vray, nous ſont incomprehenſibles) que tu
nous diſt ribues iournellement de ta liberale & infatigable
main, de ce que par ton bras fauorable
tu nous as conduits & ramenez nous ayant adminiſt ré
les choſes neceſſ aires à noſt re voyage, &
nous deliurãt des dangers auſquels nous ſommes
expoſez le plus ſouuent pour nos pechez. Nous te ſupplions Seigneur, qu’il te plaiſe en nous pardonnant
nos fautes, continuer tes benedict ions &
graces ſur nous, & ſur tes autres enfans & ſeruiteurs,
comme tu cognois eſt re expedient pour le
bien de ta gloire. Sur tout Pere & Sauueur, fay
nous touſiours fermement eſperer és promeſſ es
du ſalut eternel qui nous a eſt é acquis par le ſang
precieux de ton fils ton bien-aimé. Et nous fay
continuellement dependre de ta prouidence, par
laquelle iuſqu’aux plus petits d’entre les oyſeaux,
ſont nourris & ſouſt entez, & les cheueux de nos
teſt es comptez & gardez, iuſques à tant Seigneur,
que tu nous retires de ces miſeres, pour nous faire
iouyr de l’immortalité bien-heureuſe, de laquelle
iouyſſ ent ceux que tu as retirez en paix. Cependant
Seigneur, nous te ſupplions de prouuoir
en general & en particulier, à toutes les neceſsitez
de ton Egliſe, de haſt er le temps de la vocation
des tiens, & abbreger les iours de la reſt auration
des choſes. Et de nous faire en particulier la grace
que nous puiſsiõs bien toſt eſt re rendus en ſauueté,
à l’Egliſe qui nous a enuoyé pour luy pouuoir
rendre fidelemẽt compte de la charge qu’elle
nous a donnee : fay-le Seigneur, pour l’amour
de Ieſus Chriſt ton Fils noſt re ſauueur. Ainſi
ſoit-il.
Le pol. Anſi ſoit-il. Or il faut que ie te dye deuãt
que paſſ er outre, que ie me reſiouy grandement,
& m’eſmerueille quand & quand, conſiderant la
peine que tu as eue, & les dangers par où tu as paſſ é
en faiſant vn ſi long voyage, de l’embonpoinct
que tu nous en rapportes.
L’hi I’ay eu de la peine vrayement pour la longueur
du chemin, & diuerſité des Regions, par où
il m’a conuenu paſſ er. Mais la gayeté de cœur, de
laquelle i’ay marché, m’a fait trouuer tout le labeur
facile : Quant aux dangers, tu ſcay bien que
celuy pour lequel ie marchois eſt bon & fort pour
garder ceux qui ſe retirent en ſa garde : auſsi m’a-il
tellement garanty que les dangers ne m’ont approché
que de bien loin. Le plus d’ennuy que i’ay
ſenty, c’à eſt é (afin que ie n’en diſsimule rien) les
Karhous & autres inſolences ou lon m’a voulu cõtraindre
d’entrer par pluſieurs fois en trauerſant
les Allemagnes : Les coups de coude pareillemẽt
& les brocards de Franche dogues, dont les Anglois
vſent ſouuent, conioints auec la vaine & ſuperbe
contenance, & autres deſbauches qu’on
voit en Angleterre, m’ont merueilleuſement
offenſé.
Le pol. Il y auoit aſſ ez dequoy ſe faſcher : mais l’ennuy
ſeroit grand au double, ſi ces ſottiſes eſt oyẽt
pratiquees par quelques Chreſt iens & gens de
marque. Et ie me doute bien que les Karhous Allemans
ne ſe trouuent que parmi quelques vieux
yurongnes Papiſt es, és tauernes & hoſt elleries où
il ſeroit biẽ aiſé de ſe faire ſeruir à part pour fuyr
la violence de ces Sacs-à vin. Quant aux cours
des Princes & Seigneurs Proteſt ans, où tu auois
le plus affaire, ie m’aſſ eure que tu n’y as rien veu
de ſemblable, ny pareillement parmi les Anglois
de bonne eſt offe (ſi leur contenance ne trompe
mon iugement) rien que courtoiſie & douceur,
accompagnee de toute modeſt ie.
L’hi. Pleuſt à Dieu qu’ainſi fuſt l’amy cõme c’eſt
pour la plus part, tout au contraire. Les plus grãs
y font les plus lourdes fautes, voire les plus religieux
ſont plus qu’il ne ſeroit à deſirer, embrenez
de ces ordures.
Le pol. Que me dis-tu ?
L’hi. Il eſt ainſi ie t’en aſſ eure, & nul ne leur vient
au deuant, ils s’en diſpenſent à leur gré.
Le pol. Et les Paſt eurs, quoy cependant ? ne reprenent-ils
pas ces vices ?
L’hi. La plus part ſont des chiens muets, preſque
tous compagnons d’Hely, il n’y a point de
diſcipline.
Le pol. Si eſt -ce que i’ay ouy dire qu’il y auoit en
Angleterre pluſieurs Miniſt res bons Paſt eurs,
qui deſirãs la reformation de la vie & mœurs des
hommes, & de quelques ceremonies externes qui
ſont demeurees de reſt e de la Papauté, ne ceſſ oyent
de faire tout deuoir par eſcrit & de viue voix,
pour mettre la diſcipline Eccleſiaſt ique au deſſ us :
Et quelque bon Prince Proteſt ant qui la vouloit
mettre en ſes terres.
L’hiſt . Tu dis vray : Mais ſon bon vouloir n’a pas
eu l’effet deſiré : Et quant a ces bons perſonnages
Anglois, du temps meſme que i'ay eſt é en Angleterre, ils
ont eſt é merueilleuſement trauaillez par
les Miniſt res de la iuſt ice : Les vns ont eſt é bannis,
les autres depoſez de leurs miniſt eres : Et leurs
eſcrits parlans de reformation, condamnez comme
ſeditieux.
Le pol. Eſt -il poſsible ?
L’hi. Il eſt ainſi.
Le pol. Quant au deſſ ein de ce bon Prince, ie ne
m’esbahy pas par trop qu’il s’en ſoit allé en fumee,
veu la tiedeur & lentitude de laquelle les
Princes marchent, quand il eſt queſt ion de repurger
les Egliſes qui leur ſont commiſes. Conſiderãt
aufsi la malice des Peuples qui abuſent le plus
ſouuent du bon naturel de leurs Princes. Mais de
ce fait-là d’Angleterre : i’en demeure tout eſt onné.
Quelle iniuſt ice ! Quelle d’eſloyauté ! Ie me
doute bien d’où cela peut venir, il ne peut proceder
que de la bobance, ambition & inſolence des
Prelats Anglois, fauoriſee de la Chattemiterie
de quelques vns du conſeil que ie te pourrois biẽ
nommer. Mais qu’ils oyent (outre les paſſ ages de
l’Eſcriture) ce que dit quelque grand perſonnage
de noſt re temps, parlant de la diſcipline Eccleſiaſt ique.
S’il n’y a (dit il) nulle compagnie, ni meſmes nulle maiſon
quelque petite qu’elle ſoit, qui ſe puiſſ e
maintenir en ſon eſt at, ſans diſcipline : Il
eſt certain qu’il eſt beaucoup plus requis d’en auoir
en l’Egliſe, laquelle doit eſt re ordonnee mieux que
nulle maiſon, ny autre aſſ emblee.
Pourtant comme la doct rine de noſt re Seigneur
Ieſus eſt l'ame de l’Egliſe, auſsi la diſcipline eſt en
icelle, comme les nerfs ſont en vn corps pour vnir
les membres & les tenir chacun en ſon lieu & en
ſon ordre. Pourtant tous ceux qui deſirent que la
diſcipline ſoit abbatue, ou qui empeſchent qu’elle
ne ſoit remiſe au deſſ us, ſoit qu’ils le facent à
leur eſcient, ou par inconſideration, cerchent d’amener
l’Egliſe à vne diſsipation extreme.
L’hiſt . Cela eſt tant bien dit que rien plus : Mais quel remede quand les principaux d’entre les gẽs
d’Egliſe qu’on appelle, qui deuſſ ent porter le flambeau
deuant les autres, ſe contentans d’auoir receu
la doct rine, n’ont cure de reformatiõ. Et quel
que bon exemple que leurs voiſins Eſcoſſ ois &
autres peuples qui l’ont receuë, leur en ſachent
dõner, n’ont pas honte de ſe monſt rer ennemis ouuerts
de toute diſcipline, cependant la feinte ſimplicité
du ſurpelis plié menu comme celuy d’vn
preſt re, la ſotte & ſuperflue clarté des chandeles
en plein midy, le ſon ſans intelligence des Orgues,
La gaye muſique gringotee ne manque point dedans leurs
temples, en leurs ſeruices ordinaires.
Là deſſ us Monſieur l’Archeueſque, Monſieur le
Primat, Mõſieur l’Eueſque, & autres tels officiers
accompagnez de pages, laquets, eſt affiers, & autres
falots, iuſques à 20 30 40 100, & tel y en a iuſques
à 200 cheuaux.
Le pol. O Seigneur, iuſques à quand y aura-il de
tels Maiſt re d’hoſt els en ta maiſon ! Quels vignerons,
quels moiſſ onneurs ! ils ont prins l’Euangile
en vain les paillards, & s'en ſont fait riches.
L'hi. Bellement ie te ſupplie, tu es trop prodigue
cenſeur, ils ne ſont pas tous ainſi Dieu mercy, &
pour le moins la doct rine eſt pure parmi eux.
Le pol. Voire dea ! Mais où ſont les fruict s de la
vigne du grand Seigneur ? Ne ſont-ce pluſt oſt des
lambruſches que bons raiſins ? Et ne craignent-ils
pas, ie parle à ceux que le Seigneur a eſt ablis
guettes ſur Iſrael, que le Seigneur leur redemande
les brebis qui periſſ ent par leur faute : Voire & les
vns & les autres ne craignẽt-il pas que le Seigneur oſt e ſon Chandelier du milieu d’eux, & leur face
ſouffrir la faim, ie dis la faim de ſa parole vraye paſt ure
des ames, puis qu’ils en abuſent ainſi ? Et ceſt e
Princeſſ e leur Royne, qui a la reputation d’eſt re
tãt ſage & vertueuſe, qui porte le titre de chef
de l’Egliſe en ſon Royaume, & de deffẽſatrice de
la foy. Eſt -il poſsible qu’elle & les ſeigneurs de
ſon Conſeil endurent vne telle desbauche en la
maiſon du Dieu viuant ?L’hi. Ce n’eſt pas là
tout, Il y a biẽ encore pis à craĩdre. Le pol. Noſt re
Seigneur ! qu’y pourroit-il auoir de pire, entre ceux
qui ont receu l’Euãgile, que de n’ẽ vouloir (par maniere
de dire) que la moitié, à ſc.la ſeule doct rine ?
L’hi. Ne ſeroit-ce pas choſe plus deplorable , ſi
encores de ceſt e moitié-là ils en faiſoyent ſi peu
d’eſt at, qu’ils ne ſe ſouciaſſ ent, quand bien auiourd’huy
ou demain elle leur ſeroit oſt ee.
Le pol. Cela eſt bien certain.L’hi. Or ſont-ils
preſque ſur le point de la perdre s’ils ne s’auiſent.
Le pol. Ie ſerois extremement marri, quoy que le
peuple qui en abuſe ſoit digne d’en eſt re priué, ſi
ce que tu dis auenoit : Mais dy moy comment ce
peut eſt re. L’hi. ll ne faut que la ſeule mort de la
Royne, pour tout chãger & rẽuerſer. Le pol. Cõment,
Bon Dieu! En 14. ou 15. ans qu’elle a regné,
n’a-elle ſceu eſt ablir telles loix & ordõnãces que
la doct rine de l’Euãgile puiſſ e demeurer pure apres
ſõ deſpart bõ gré mal gré la Papauté ? A-elle
ſi peu profité en la lect ure des bõs liures, que i’entens
luy eſt re tãt familiers ? Faudra-il qu’vn Cicero
luy enſeigne ſa leçon, ſurpaſſ ant de zele enuers
la Republique Romaine, le zele de ceſt e Royne,
enuers l’Egliſe de Dieu ?
Quand il afferme n’auoir moins de ſoin de l’eſt at
auenir que de l’eſt at preſent de ſa Republicque :
he Dieu, quelle laſcheté voila.
L’hi. Ie t’aſſ eure l’amy que ſi la Royne & ſon Conſeil
ou le Parlement d’Angleterre ny remedie,
qu’ils ſont venus comme à la veille de voir la ſubuerſion
de leur eſt at & de la Religion enſemble.
Le pol. Ha miſerables ! Et que tardent-ils, qui les
empeſche d’y mettre la main deuant la main ?
L’hi. Rien ne les en deſt ourne que la deſbauche
& la vanité de la cour, les delices des Prelats, la ſuperbe
des nobles : Et pour le dire en vn mot le
peu de zele que la plus part des Anglois a enuers
le ſeruice de Dieu. Et Dieu par ſon ſecret iugement,
pour ſe venger de telle laſcheté tient cõme
en leſſ e vne royne d’Eſcoſſ e, que chacun cognoiſt
aſſ ez plus proche de la Couronne d’Angleterre,
pour la laſcher tout auſsi toſt apres la mort de ceſt e-cy.
Et Dieu ſcait quel remuement on y verra
s’ainſi aduient.
Le pol. O Seigneur ! Et vit-elle encore ceſt e fatale
Medee ? Qui euſt iamais cuydé cela ? Catherine de
Medicis, & les enfans ont bien ſurpaſſ é en luxure,
en cruauté & perfidie treſt ous leurs deuanciers
tyrans, ils les ont dy ie, iuſt ifiez, & aboly le plus de
leur renom : Mais apres ceux-là, ie croy certes
qu’on doit l’honneur à ceſt e-cy, d’auoir couché à
toutes reſt es ſon eſt at, honneur & grandeur, & rafreſchy
en plus de ſortes le ieu tragique malheureux.
Il ſembloit bien que ſa priſon la deuoit auoir
priuee des moyens de continuer ſes deportemens :
Mais à ce que l’on a veu la violence de ceſt eſprit, n’a peu eſt re retenue ny empeſchee qu’elle
n’ait tẽté le dernier effort de ſõ deſt ĩ, trainãt auec
ſon deſaſt re la ruine de tous ceux qui s’en ſont accoſt ez. L’infortuné duc de Northfolc a eſt é le
dernier, qui par ſon ſupplice nous ſert de bon teſmoin,
quelle n’a laiſſ é peril à eſſ ayer. Ayant fait
la plus haſardeuſe entrepriſe qui ſe peut faire, qui
eſt , d attenter ſur la vie de celle qui a la ſienne en
ſa puiſſ ance, & de contraindre ceux qui ont ſa vie
en leurs mains, de n’eſt imer point leur vie eſt re aſſ euree
s’ils ne luy oſt ẽt la ſiene : Mais qu’attendẽt
ils ces Anglois ? N’y a-il ame qui remonſt re à la
Royne & à ſon Conſeil la neceſsité qu’ils ont de
s’oſt er vne telle eſpine du pied ?
L’hi. Voire dea : Il y en a eu des plus doct es & plus
zelez qui n’ont rien oublié à luy dire ſur ces arguments :
Mais la royne d’Angleterre eſt ſi bonne,
elle eſt tant pleine de clemence & douceur quelle
ne prent point de plaiſir à voir reſpandre le ſang.
Le pol. Quelle douceur noſt re Seigneur, & quelle
clemence eſt celle-là, qui traine auec ſoy la ruine
d’vn eſt at ſi beau & ſi grand, & de la Religion enſemble !
N’eſt -ce pluſt oſt la cruauté la plus extreme
qu’on vit onques ? Si vne telle calamité ſe
peut euiter par moyẽs iuſt es & licites : Celuy qui
ne l’empeſchera ne ſera-il pas coulpable de tous
les mal-heurs qui en aduiendront : Sera-ce pas vne
cruelle clemence pour eſpargner le digne de
mort, faire mourir tant d’innocents, & vne double
charge de conſcience à vn Prince de ne vouloir
faire iuſt ice, ne procurer le ſalut de tout ſon
Royaume. Dieu preſẽte ce choix à la royne d’Angleterre de faire iuſt ice, & aſſ eurer ſon eſt at & la
Religion en Angleterre, ou refuſant iuſt ice, y ruiner
l’eſt at & la religion enſemble. Car on ne peut
dire qu’apres le decez de la Royne d’Angleterre,
les choſes eſt ant en l’eſt at qu’elles ſont, il y ayt
moyen d’empeſcher que la royne d’Eſcoſſ e ne viene
à ſucceder, & par conſequent tout l’eſt at du
Royaume à renuerſer, & la Religion à changer :
tous ceux qui ne voudront eſt re ſi meſchans que
de quitter le ciel pour la terre, & renier leur religion,
pour le moins bannis, chaſſ ez, eux & leurs
enfans miſerables, cõme on a ia veu le pourtraict
au regne de la Royne Marie.
L’hi. Cela eſt certain : Et beaucoup de gens de biẽ
Anglois, auec leſquſls i’ay deuiſé de ceſt affaire,
ne s’attendent pas à mieux Encore dernierement
la royne Elizabeth, eſt ant tombee malade (craignant
que pire luy auint) il y en auoit deſia pluſieurs
qui penſoyent à trouſſ er leurs quilles.
Le pol. Ha poures gens ! Et comment eſt -ce qu’vn
Parlement (duquel l’authorité eſt ſi grande, comme
tu ſcay) ne fait ouuertement reſoudre ceſt e
Royne en ce faict -cy, en ce fait dy-ie, auquel il
n’eſt pas queſt ion ſeulemẽt de punir le paſſ é, mais
auſsi d’euiter le mal preſent & aduenir. Dieu aura
bien puny d’aueuglement, ceux qui ne verront
clair en ceſt affaire. Ceux qui ont remis vn pareil
forfaict autrefois, l’ont remis à ceux de qui il n’auoyent
occaſion de douter ſemblable conſpiration :
mais de pardonner à ceux qui retiennent la
meſme volonté, & meſmes moyens pour mal
faire, c’eſt pluſt oſt temerité que douceur.
L’Angleterre tient (comme l’on dict ) le loup
par les oreilles, ils ne le peuuẽt tenir long temps,
& encores moins le laſcher, que en l’vne & l’autre
ſorte il ne leur face beaucoup de mal. Le peril
y eſt tout euident, & ia eſſ ayé : vouloir encores
choquer au meſme eſcueuil où l’on vient de
faire naufrage, ce ſeroit à tort, comme dit le prouerbe,
qu’on accuſeroit Neptune.
Cela eſt bien certain, que tant que la royne
d’Eſcoſſ e y ſera, elle ne ceſſ era de troubler ceſt
eſt at, par conſpirations inteſt ines : Et ſi elle en eſt
vne fois hors (comme Charles de Valois s’eſſ aye
iournellement de l’en tirer) par guerre externe.
Il n’y a rien de ſi pernicieux à vn Royaume que
d’y auoir vn ſucceſſ eur, ayant des qualitez ſi pernicieuſes
à vn eſt at, que la royne d’Eſcoſſ e. Car
en premier lieu, C’eſt vn ſucceſſ eur ennemy, elle
l’auoit aſſ ez monſt ré par les guerres paſſ ees.
Mais en la conſpiration derniere elle a
deſcouuert la plus capitale haine qui ſe peut mõſt rer.
L’ambition & cupidité de ceſt e Couronne, ne
luy permet point d’attendre le temps de la ſucceſsion.
Elle a autrefois vſurpé le titre & les armes.
A preſent par ceſt e conſpiration, elle a monſt ré
d’en vouloir auoir la poſſ eſsion & la commodité.
Dauantage, elle eſt eſt rangere de nation, tellement
que l’affect ion naturelle, comme ſeroit en vn autre ſucceſſ eur qui ſeroit fils, ne peut arreſt er l’ambition qu’elle a d’empieter le Royaume.
Item elle eſt eſt rangere de religion, qui eſt la
pire qualité de toutes, d’autant meſmes, qu’elle a
(comme i’ay entendu dire, les partis pieça dreſſ ez
dans le Royaume, tellement qu’il n’y eſcherroit
que le coup de l’execution.
La retention donques d’vn tel ſucceſſ eur ne
peut eſt re que treſdangereuſe à tout eſt at : Et au
contraire l’extermination fort vtile & au grand repos
& trãquillité d’iceluy, de ſorte qu’on ne peut
douter que ce ne fuſt vn grand bien à ce Royaume
de luy oſt er ceſt e eſpine du pied, qui ne ceſſ e de le
troubler & picquer : Et de s’expoſer au peril, qu’õ
peut facilement & par moyens licites euiter, pour
apres eſſ ayer d’eſt re ſauuez par quelque voye miraculeuſe
de Dieu, & aimer pluſt oſt demourer
touſiours en danger, en retardant ou refuſant iuſt ice,
que s’aſſ eurer de ſon ſalut auec la iuſt ice.
Cela s’appelle en bon Frãçois, Tenter Dieu trop
vilainement.
L’hi. Tu en parles bien à ton aiſe & ainſi comme
tu l’entens : Mais ie me doute bien l’amy que ſi tu
tendois vne oreille à l’accuſee & à ſes droits, que
pofsible tu pourrois faire vne toute autre
concluſion.
Le pol. Ia à Dieu ne plaiſe que ie tende l’oreille à
ceſt e bonne Dame-là : I’entens qu’elle a trop de
moyens pour corrompre les plus parfaits. Mais ſi
ſerois-ie bien aiſe d’eſt re en lieu où ſon faict fuſt
traité, pour en dire ce qu’il m’en ſemble.
L’hi. Tu en as deſia dict aſſ ez pour te garder d’en eſt re iuge. Et nous auons (comme tu ſcay) à
traiter d’vne autre matiere : toutefois pource que
ceſt affaire importe tant à l’Egliſe de Dieu, ſi tu
veux, afin que faute de raiſons, on ne laiſſ e plus lõguement
vne punition ſi neceſſ aire en arriere, ie
tiendray le parti de la royne d’Eſcoſſ e (par forme
de deuis) & t’allegueray au mieux mal qu’il me
ſera poſsible, tout ce que ces partizans alleguent,
pour l’exempter de ſon dernier ſupplice, toy au
contraire debatras ce qu’il te ſemblera eftre raiſonnable,
ſelon l’eſt at & la conſcience pour le biẽ
de ce peuple-là. I’ay bon moyen d’en aduertir des
Myllords qui me ſont amis. Apres cecy, ie te feray
entendre le ſuccez de tout mon voyage.
Le pol. Ie le veux bien, & ſi ne fay point de doute
que ie n’en puiſſ e bien reſoudre ceux qui ſans
paſsion auec vn iugemẽt pur & net, voudront meſurer
mes raiſons. Mais deuant que paſſ er outre,
ie ſuis d’auis qu’en ce fait-cy (comme en toute autre
matiere d’eſt at) nous ayons deux conſiderations
conioinct ement, L’vne, Si ce qu’on propoſe
eſt honeſt e, l’autre, S’il eſt vtile. Ceux qui en matieres
d’eſt at, dient qu’il ne faut cõſiderer que l’vtilité,
monſt rent qu’ils n’ont guere l’honneur, &
encores moins la conſcience en recommandatiõ.
Le populace d’Athenes ſuffit pour leur faire hõte
au iugement qu’il donna, du conſeil que Themiſt ocles
leur vouloit bailler ſãs le déclarer qu’à
vn. Ils eſleurent (comme tu ſcay) pour l’ouyr non
point le plus affect ionné à l’amplification de leur
Republique, ains Ariſt ides le plus iuſt e, auquel
apres qu’il leur eut rapporté que le cõſeil de Themiſtocles eſt oit fort vtile, mais, treſ-iniuſt e :
Ils dirent tous d’vne voix qu’ils n’en vouloyent
point : Nous auons donc en ce faict -cy obligatiõ
& deuoir de regarder autant la iuſt ice & honeſt eté côme
l’vtilité publique du royaume d’Angleterre.
De ce biẽ public s’il y a intereſt ou nõ, i’en
ay deſia, ce me ſemble, parlé aſſ ez : reſt e ſeulemẽt
à vuyder, ſi le fait eſt auſsi iuſt e & honeſt e, comme
vtile & neceſſ aire. Il eſt bien certain & ne ſe
peut nier, que c’eſt vn des plus grans crimes qui
ſe peuuent commettre enuers les hommes que de
conſpirer contre le Roy en ſon royaume, contre
ſon eſt at & rauiſſ ement d’iceluy : l’exemplaire punition
de Coré, Dathan, & Abiron le teſmoigne
aſſ ez : Dauid ordonné & eſleu de Dieu pour eſt re
Roy apres Saul, s’eſt contenté de ſe deffendre &
ſe garentir ſans iamais attenter ſur la perſonne de
Saul, à qui neantmoins il eſt oit deſt iné ſucceſſ eur
de la bouche de Dieu. Et combien que Saul luy
fiſt guerre mortelle & iniuſt e, ſi eſt -ce que Dauid
ſe condamnoit comme digne de mort, s’il euſt
attenté contre Saul, & fit mourir celuy qui l’oſa
entreprendre, quoy qu’il ſe couuriſt du commandement
& de la necefsité de Saul. Ce ſeroit vne
ſuperflue & vaine oſt entation de s’amplifier
en long difcours ſur la preuue d’vne maxime ſi indubitable :
Que celuy qui veut renuerſer l’eſt at &
attẽter ſur la vie du Seigneur ſouuerain d’iceluy
(ie ne parle pas du tyran ny de la tyrãnie aufsi) eſt
digne du ſupplice de mort : & eſt permis, voire cõmandé
aux Peres de maſſ acrer leurs enfãs, & aux
freres leurs freres qui conſpirent contre l’eſt at.
Auſsi qui regarde combiẽ de maux & de crimes ſont trouuez en ce ſeul crime, combiẽ de perſonnes
y ſont offenſees : les ruines & calamitez qui
s’en enſuyuent : la lõgue miſere qu’vn tel fait traine
apres ſoy, il s’en trouuera tant d’expres & en ſi
grãd nõbre, dõt chacũ eſt ſeul digne de mort qu’il
n’y a pas aſſ ez de ſupplices pour vne telle hydre
de crimes. Il ne faut que ſe figurer l’image d’vne
deſolatiõ vniuerſelle de tout le royaume, la cruauté des proſcriptions & calamiteux ſpect acle des
proſcrits, pour iuger le merite de celuy qui en aura
eſt é cauſe. Et iettant les yeux plus loin conſiderer
qu’il faut abolir toute eſpece de Republique
& d’eſt at, & rẽdre les hõmes brutaux ſans ſocieté
ne iuſt ice, ſi tel crime n’eſt condãné, d’autãt qu’il
n’y a eſt at qui puiſſ e ſubſiſt er, ſi telles cõſpiratiõs
demeurẽt impunies. Et d’autre part leuant encores
les yeux plus haut, conſiderer de qui procede
l’authorité & puiſſ ance que Dieu a miſe aux Princes
ſouuerains, qui leur rauit le ſceptre reſiſt e
à la puiſſ ance de Dieu, & viole ce qu’il a voulu
eſt re ſainct & inuiolable par deſſ us autres choſes
humaines. Ce ſeroit choſe trop ridicule de pẽſer
excuſer ce fait, pour dire que le crime n’a pas eſt é
effect ué, ny par cõſequẽt tous les ſuſdits maux en
ſuyuis. Car en vn tel crime, ſi on attẽd l’executiõ,
il ne reſt e plus moyẽ de le punir : il faut que l’ẽtrepriſe
ſoit punie cõme le fait : autremẽt iamais il ni
auroit punitiõ. Car ſi le crime euſt eu reuſſ y, qui euſt
puny les coulpables ? il n’y euſt eu ny loy, ni iuge
pour les cõdãner. Au cõtraire ils euſſ ẽt eu le pouuoir
ſur la loy & iuſt ice. Les exẽples de ceux qu’õ
lit auoir eſt é punis ne ſõt pour auoir executé : ains ſeulemẽt pour auoir attenté. Reſt e donc pour vn
principe conſenty & indubitable par toutes les nations
de la terre, & par toutes loix diuines & humaines.
Que vne telle conſpiration eſt digne de
plus de morts & ſupplices que le coulpable ne
ſcauroit ſouffrir : & par conſequent ſenſuit que la
punition n’eſt pas moins iuſt e & honeſt e, qu’elle
eſt vtile & profitable.
L’hi. Ie t’accorde cela ſimplement : Mais auſsi il
faut que tu me confeſſ es, par l’aduis de Ciceron
meſmes ,que ſi l’on propoſe deux honneſt es &
deux vtiles, quand & quand qu’il faut prendre le
plus vtile, le plus honneſt e & mieux ſeant.
Le pol. Ie l’auouë.
L’hi. Il y a plus : C’eſt qu’en toutes choſes & ſurtout
en tous iugemens, on traite premier des perſonnes,
apres l’on traite de leur fait, ie dis notamment
des perſonnes du iuge & de l’accuſé.
Le pol. Ie le confeſſ e, mais que s’enſuyura-il pour
tant ?
L’hi. C’eſt que ſi nous conſiderons les qualitez de
la perſonne de la royne d’Eſcoſſ e, nous trouuerõs
pour la premiere, quelle eſt maiſt reſſ e de ſõ Royaume,
de pareille puiſſ ance que la royne d’Angleterre
n’eſt ſubiect e, inferieure ny iuſt iciable. Qui
es tu donc, dit l’Eſcriture, qui iuges le ſeruiteur
d’autruy : Dieu a, comme auec vn cordeau, departy
la terre entre les hommes, qui taſche de l’outrepaſſ er, contreuient au dixième commandement
perpetuel & inuiolable. Et d’aller reſuſciter quelques
vieux droits de ſouueraineté, que l’Angleterre
pretend deſſ us l’Eſcoſſ e, & en vouloir vſer pour rendre la royne d’Eſcoſſ e iuſt iciable de la
royne d’Angleterre : Il n’y a homme de bon iugement,
qui ne die que ce ſeroit des pretendues couleurs
& recerches, pour ſe deffaire d’vne Princeſſ e
à qui l’on veut mal. Car puisqu’elle a eſt é auãt
ſa priſon en poſſ eſsion, de ſe dire Monarque en
ſon Royaume, elle ne peut eſt re par la contrainte
tenue, qu’en la meſme conditiõ qu’elle eſt oit lors
de la premiere heure de ſon empriſonnement.
Ce ſont les loix du grãd Empire Romain, en toutes
les grandes guerres qu’ils ont eues par toute
la terre : C’eſt la raiſon naturelle qui le perſuade
aſſ ez à vn chacun. Et de pretendre auſsi qu’elle
n’eſt plus Royne, qu’elle a eſt é priuee du Royaume par ſa
deſmiſsion, & par la deliberation des
eſt ats d’Eſcoſſ e : Ce ſont des traits que la Royne
d’Angleterre, ny autre Prince ne peut approuver,
ſans faire tort à l’authorité que tous les Princes
ſouuerains vſurpent & pretendent auoir, de iuger
& donner la loy à leurs ſuiets, non point eſt re iugez
ny receuoir la loy d’eux, ou eſt re cõtables de
leurs act ions qu’au ſeul Dieu quoy qu’ils facent.
Tu ſcay bien que le noſt re s’en eſt ſouuent fait à
croire. Et en telles occaſions, il ſemble que les
Rois ſont tous vnis à reprimer & cõbatre le faict
des ſuiets : Tant s’en faut que la royne d’Angleterre
s’en puiſſ e ſeruir pour s’approprier authorité
ſur le royaume d’Eſcoſſ e. Il reſt e donc à la royne
Marie Stuard, ceſt e qualité de Royne ſouueraine,
non inferieure de la royne d’Angleterre, laquelle
par conſequent ne peut iuſt ement cognoiſt re
ny iuger ſur elle : d’autant que le fondement plus grand & preallable pour ſolider vn bon iugement,
c’eſt d’eſt ablir la puiſſ ance & authorité legitime
de celuy qui veut eſt re iuge.
Les ambaſſ adeurs des Rois ſont par toutes les
plus agreſt es nations, par toutes eſpeces de religions,
inuiolables, & ceux qui les offenſent tenus
pour execrables & violateurs du droict des gens :
à plus forte raiſon ceux qui offenſent les Rois,
deſquels les ambaſſ adeurs n’ont que la reputation.
Les Romains ont laiſſ é vn exemple qui eſt en pluſieurs
points cõforme au fait de la royne d’Eſcoſſ e.
C’eſt des ambaſſ adeurs venus de la part des
Tarquins à Rome pour emporter leurs meubles
apres leur reiect ion. Ces ambaſſ adeurs firent vne
conſpirariõ auec aucuns Romains pour remettre
les Tarquins & renuerſer la Republique, tuer
les Conſuls & principaux d’icelle : la conſpiratiõ
eſt deſcouuerte : les Romains ſont punis, iuſques
à la que Brutus fit mourir ſes propres enfãs. quãt
aux ambaſſ adeurs, le fait eſt debatu au Senat, où
le droict de gens le gaigna, & furent les ambaſſ adeurs
enuoyez en ſeureté. Celuy qu’ils repreſentoyẽt
qui eſt oit Tarquin eſt oit chaſſ é de ſon Royaume,
comme la royne d’Eſcoſſ e : les ambaſſ adeurs
auoyent faict la conſpiration dans Rome,
apres y auoir eſt é receus, comme la royne d’Eſcoſſ e
a fait en Angleterre apres y auoir eſt é receue.
Et toutefois il fut iugé qu’encore en ce cas ils eſt oyent
inuiolables.
La ſeconde qualité que la royne d’Eſcoſſ e peut
alleguer pour eſt re exempte de la generale condãnation
des cõſpirateurs, eſt , qu’elle eſt refugiee en Angleterre : chacũ ſcait cõme elle y eſt venue à refuge
apres la deſroute d’vne bataille, cõme elle y
a eſt é receue à refuge & ſeureté de ſa vie : à ceſt e
heure la faire mourir, on dira que c’eſt l’act e le
plus indigne d’vn Prince qui ait eſt é fait iamais à
autre Prince. Les plus barbares Princes ont eu ceſt e
humanité de receuoir les rois deiect ez de leurs
thrones, & les maintenir en toute ſeureté, les traiter
auec honneur & dignité : & ont penſé que c’eſt oit
leur propre grandeur de ſecourir, ou pour le
moins retirer les rois expoliez de leurs eſt ats, ſoit
par leurs ſuiets ou par autres Princes. Et n’y a eu
iamais difference de religiõ, inimitié paſſ ee, ny autre
occaſion qui ait empeſché ce reſpect deu à la
maieſt é des Rois & Princes ſouuerains, & à ceux
qui leur appartienẽt. On lit de Chilperic 4. roy
de Frãce, que les François chaſſ erent de ſon royaume
qu’il fut receu à refuge par le roy de Lorraine
Loys. Alphõfe roy de Portugal chaſſ é par ſõ
frere Sancho roy de Caſt ille fut receu par le roy
de Grenade Tilleda, biẽ qu’il fut Sarrazin : & quoy
qu’il luy fuſt predit, qu’il ruineroit ſa poſt erité :
il ſe tĩt en ſeureté, & le laiſſ a aller apres la mort de
ſon frere en ſon royaume. Ces rois Loys II. &
Charles 8. receurẽt Zizim ou Gemes Turc deieté
de l’Empire par Baiazet ſon frere, voire meſmes
le pape Innocẽt le receut Il eſt vray qu’Alexãdre
6. ſõ ſucceſſ eur luy fit en fin vn trait de Pape. Themiſt ocles
fut receu par le roy des Perſes, & quoy
que ſa ſœur luy demãdaſt punitiõ, de ce qu’il luy
auoit tué ſes enfans à Salamine, iamais ne voulut
violer l’Azyle & refuge, qui eſt és maiſõs des Rois
pour tous les Princes affligez.
Il y a biẽ eu en pluſieurs Roys & Princes, cõme
en tous eſt ats, de la meſchanceté & nõ guere moĩs
d’exemples de ceux qui ont enfreint & violé ce
ſainct droit d’hoſpitalité, mais le conſentemẽt vniuerſel
de toutes les nations de la terre a deteſt é ceſt e
perfidie, la fin mal heureuſe de la plus part des
perfides les condamne aſſ ez, les poetes s’en ſont
ſeruis pour ſuiets de leurs tragedies, & les ont logez
en leur enfer fabuleux, parmi les plus cruels
tourmens qu’ils ont peu excogiter. Les hiſt oires
en rapportent des exemples dignes pluſt oſt d’eſt re
enſeuelis que recueillis en la memoire des
hõmes, ſi n’eſt pour la fin qu’ils ont eue miferable.
On n’a que faire de diſputer ſi la royne d’Angleterre
à donné la foy à la royne d’Eſcoſſ e, de la
tenir en ſeureté : Car depuis qu’elle eſt receue, la
detenir vn ſi long temps, cela importe à ſes promeſſ es
de ſeureté : autrement il euſt fallu dés le cõmencement
ne la receuoir point, comme on voit
par les hiſt oires Romaines, que quand ils ne vouloyent
donner ſeureté aux eſt rangers qui venoyẽt
à eux : Ils leur commandoyent dedans dix iours
de deſloger de l’Italie, mais que depuis qu’ils les
auoyent receus, ils les ayent recerchez de rien,
on ne l’a veu jamais. Auſsi n’y a-il homme qui
ne blaſme ceux qui de froid ſang font mourir vn
qu ils tienent en leur puiſſ ance, encores qu’il ſoit
leur ennemy, & par eux prins en guerre, ce que
n’a eſt é la royne d Eſcoſſ e.
La troiſieme qualité de la royne d’Eſcoſſ e eſt ,
qu elle eſt priſonniere. Il ſembleroit que ceſt e
qualité luy deuſt preiudicier, par ce que par cela on cognoiſt quelle n’a point eſt é receuë comme
refugiee ny donné aucune foy : Mais c’eſt au contraire :
ſi elle auoit eſt é receue à refuge & promeſſ e
donnee, on luy pourroit imputer d’auoir conſpiré
contre celle qui luy auoit vſé de ceſt e grande
humanité : à preſent n’ayant receu aucune humanité
de la royne d’Angleterre, elle ne luy eſt de
rien obligee, voire que pour luy auoir vſé de ceſt e
rigueur & n’auoir exercé en ſon endroit, ceſt e
generoſité & beneficence royale, comme les Rois
dont i’ay parlé, elle auroit occaſion d’en prendre
vengeance : Comme fit d’vn roy d’Hõgrie quatrieme,
Federic duc d’Auſt riche, qui ayant fuy vers
luy apres la deſroute d’vne bataille gaignee ſur luy
par les Tartares : il le retint priſonnier, & le contraignit
luy bailler d’argent & trois Comtez prochains
d’Auſt riche. En fin eſt ant deliuré, luy fit la
guerre, & le tua à vne bataille. Il eſt certain que la
royne d’Eſcoſſ e a eſt é touſiours ſous bonne & ſeure
garde, iamais n’a eſt é en liberté ſous ſa foy : vn
priſonnier qui n’eſt point ſur ſa foy & à qui on a
baillé garde : il ne peut eſt re blaſmé de recercher
ſa retraict e par toutes les voyes qu’il eſt poſsible.
Meſmement qu’elle dira auoir eſt é iniuſt ement
faict e priſonniere : Car où l’on pretend qu’elle
ſoit priſonniere de iuſt ice, ou de guerre : autre tiers
moyen agile ne s’en peut trouuer : d’eſt re priſonniere
de iuſt ice, i’ay deſia dit qu’elle n’eſt iuſt iciable
de la royne d’Angleterre : Par ainſi elle
ne peut eſt re priſonniere de iuſt ice en Angleterre,
par ce que le fondement d’vne vraye iuſt ice y
deffaut, c’eſt la puiſſ ance du Iuge : D’eſt re priſonniere de guerre, on demande en quelle guerre les
Anglois l’ont prinſe. Que l’on ſe repreſente ce
que Elizee dit au roy d’Iſrael, quand il amena les
Syriens miraculeuſemẽt aueuglez au roy d’Iſrael,
leſquels voulãt faire mourir, le Prophete luy dit,
qu’il ne les auoit pas prins par glaiue : & par ainſi
qu’il ne les pouuoit faire mourir, ny retenir : ains
les deuoit laiſſ er aller en paix : comme il fit.
Si on vouloit ſubtilizer ſur les act iõs paſſ ees de
la royne d’Eſcoſſ e, & dire qu’elle eſt chargee d’auoir
fait mourir le feu roy d’Eſcoſſ e ſõ mary, natif
d’Angleterre : par ainſi qu’il eſt oit loiſible à la royne
d’Angleterre de cognoiſt re & iuger du tort fait
à ſon ſuiet par vn eſt rãger le trouuãt en ſa terre.
Ce ſeroit entre gens de bon iugemẽt vne couleur
recerchee, pour maſquer vne charité de Cour : &
ne fuſt il que de ce que le feu roi d’Eſcoſſ e ſe faiſant
roy d’Eſcoſſ e, quitta aſſ ez par la ſa naturelle
patrie. Et la Royne meſme l’ayãt approuué pour
roy d’Eſcoſſ e, taiſiblemẽt abdica de ſoy ſon ſuiet :
comme ancienemẽt les patrõs leurs ſerfs. Parainſi
elle ne la peu tenir depuis pour ſon ſuiect .
Et quand bien la iuſt ice, le droict & la raiſon,
permettroyẽt de faire mourir legitimemẽt la royne
d’Eſcoſſ e : encores propoſera-on à la Royne
d’Angleterre, pour l’eſmouuoir à grace & cõmiſeration :
Premieremẽt que la royne d’Eſcoſſ e eſt ſa
prochaine parente. L’exẽple de Dauid enuers ſon
fils Abſalon : du roy Charles 5. enuers le roy Philippe
de Nauarre. Puis le naturel de la royne
d’Angleterre ayant touſiours regné en telle douceur,
quelle en eſt louee & admiree par toute la terre : d’oublier ceſt e vertu ſi recommãdable aux
Princes, que la debõnaireté par la cruelle effuſiõ
de ſãg de ſes plus proches, les anciens Empereurs
qui ont pardõné les cõiurations contr’eux faites,
luy ſeront propoſez, leſquels elle a ſurpaſſ é iuſques
à preſent en ceſt e louãge d’humanité & clemence.
Dauantage la punition qu’on en feroit ſi
ignominieuſe : que ſi d’vn coſt é on met deuant les
yeux la maieſt é Royale, en laquelle chacũ à veu la
royne d’Eſcoſſ e, eſt ant royne d’Eſcoſſ e & de Frãce
des deux plus ancienes Couronnes de toute la
terre, & apres le ſpect acle miſerable, qu’elle fuſt
liuree entre les mains d’vn bourreau : il n’y a ſi felon
& cruel cœur tant fuſt il ſeuere & hardy en la
condãnation, qui ne fuſt amolly & larmoyãt à l’execution.
D’autre part le reſpect du fils du roy
d’Eſcoſſ e ſera de quelque valeur, pour reſpect er
l’honneur de la mere inſeparable de l’honneur
du fils : lequel ne peut eſt re, s’il a bon cœur, qu’il
ne ſe reſſ ente du des hõneur que ſa mere aura ſouffert
par la main des Anglois : tellement que quãd
la mere en ſeroit digne, ſi on aime ou reſpect e le
fils : il faut luy deferer en ceſt endroit qu’on ne
deshonore point la mere & luy en elle conſequẽment.
Outre les points que i’ay traict ez de la iuſt ice
& de la cõmiſeration, encore adiouſt era-on
ce point de l’vtilité du royaume : car on dira ſi on
viẽt iuſques là que d’entreprẽdre ſur la perſonne
de la royne d’Eſcoſſ e : les Rois voiſins auront vn
beau pretexte, voire occaſion, digne de Rois, protect eurs
des Princes affligez, d’entreprendre vne
guerre contre la royne d’Angleterre : de ſorte que penſant aſſ eurer ſon eſt at elle le met en guerre &
en danger : pour le moins le roy d Eſcoſſ e ſon fils,
comme nous venons de dire, s’il deuient grand :
ne ſeroit pas vrayement fils s’il ne haiſſ oit mortellement
l’Angleterre, voyant l’outrage qui aura
eſt é fait à ſa mere : & quoy qu’il trouue bon d’eſt re
Roy aſſ euré par ce moyen, ſi eſt -ce qu’il fera
comme Dauid de celuy qui auoit tué Abſalon
ſon fils, ennemy & conſpirateur contre ſa vie &
ſon eſt at. Voila donc vne haine entre ces deux
Royaumes qui ſont à preſent de bon accord , &
vne guerre mortelle preparee à venir.
Ie te laiſſ e à penſer maintenant l’amy, ſi ce ne
ſont pas là des raiſons & circonſt ãces de tel poids
qu’elles peuuent bien emporter à vne iuſt e balance,
tout ce que tu pourrois dire alencontre pour
vouloir comprendre la royne d’Eſcoſſ e en la condemnation
que nous tenons tous eſt re treſiuſt e,
ſur les conſpirateurs contre l’eſt at & la vie d’vn
Prince.
Le pol. Tes raiſons ont quelque apparence, pour
emporter les paſsionnez au party que tu auois
prins à deffendre : Mais elles ne peuuent en rien
eſmouuoir vn cerueau bien fait vn iugemẽt cler,
& vne conſcience nette, qu’elle ne iuge le plus honeſt e,
le plus iuſt e & vtile eſt re touſiours de mon
party. Et qu’il ſoit vray, eſcoute vn peu en ſilence
ce que i’en ſcay & ce que ie t’en veux dire.
Le premier poinct que tu as allegué de ce que
la royne d’Eſcoſſ e n’eſt iuſt iciable de la royne
d’Angleterre, ains eſt egalle en puiſſ ance à elle,
ſouueraine en ſa terre comme elle, & que ce ſeroit vſurper ſur le ſceptre d’autruy, &c. Tout cela
à lieu (afin que ie me taiſe de ſa deſmiſsion)
quand elle ſeroit en Eſcoſſ e, ou qu’il ſeroit queſt ion
de ce quelle a faict en ſon Royaume : Car
alors la royne d’Angleterre n’y a que voir, & ne la
pourroit iuſt emẽt recercher en aucune façõ, ſous
quelque pretexte que ce fuſt (ſi ce n’eſt pour l’opprefsiõ
& tyrãnie qu’elle feroit à l’Egliſe de Dieu
& au royaume de Iefus Chriſt , lequel eſt ãt eſpandu
au long & au large par toute la terre, n’eſt enclos
dans aucunes limites. La deffenſe duquel eſt
egalement & indifferemment recõmandee à tous
Princes de la terre : Pour cecy dy-ie le Prince qui
a eſgard à ſon deuoir, peut recercher, chaſt ier &
combatre ſon cõpagnon qui fait la guerre à Dieu.
Conſt antin ſert de bon exemple qui rengea par
armes Licinius à laiſſ er en paix les Chreſt iẽs qu’il
perſecutoit en ſes terres. Mais de ce que la royne
d’Eſcoſſ e a fait eſt ãt en Angleterre, qui peut dõter
qu’elle n’en puiſſ e eſt re iugee par la royne d’Angleterre ?
La ſouueraineté des Rois a lieu en leurs
Royaumes : mais depuis qu’ils ſont au royaume
d’autruy, leur ſouueraineté n’a poĩt de lieu. Car en
la terre d’vn ſouuerain, il n’y a perſonne qui ne
luy ſoit inferieur, meſmes en ce qui concerne l’eſt at
& la ſeureté de la Republique. L’on voit cõme
les Rois en ont touſiours vfé quelque autre
Roy qui viene en leur terre, ſoit-il tant amy & parent
qu’il voudra, quelle gratification qu’on luy
vueille faire, iamais on ne permet qu’il commande
ſouuerainement : ſi n’eſt auec autant de puiſſ ãce
que par courtoiſie on luy ottroye. C’eſt vne choſe pleine de ialouſie que la ſouueraineté, qui
ne ſe communique iamais à autruy, de ſorte que
toutes les raiſons que la royne d’Eſcoſſ e pourroit
alleguer en ceſt endroit font contre elle. Car ſi
pour eſt re ſouueraine elle pretẽd que nul ne peut
ny doit attenter ſur ſa perſonne, par ce que ce
ſeroit entreprendre ſur la perfonne & eſt at d’vn
ſouuerain. Pourquoy eſt -ce qu’elle a entreprins
& coniuré contre la perſonne de la royne d’Angleterre
& ſon eſt at meſmes en ſon Royaume ?
Et tout ce qu’elle peut dire pour extoller la ſouueraineté
& exemption des Rois fait contre elle.
Parce que c’eſt la premiere qui l’a violee, par ainſi
elle ne s’en peut plus ſeruir, non plus que celuy
qui enfreint vn priuilege, ne s’en peut plus aider,
meſmes enuers celuy enuers lequel il l’a rompu,
Celuy qui n’eſt oit reſpect é par le Conſul comme
Senateur, diſoit qu’il ne le reſpect eroit auſsi comme
Cõſul. Ie ne veux pas debatre ſi elle eſt pareille,
ou ſubalterne à l’Angleterre : ſi elle eſt encores
Royne ou priuee de ſon Royaume, cela eſt certaĩ
que les eſt ats l’en ont peu deſmettre. Mais quãd
elle ſeroit plus aſſ euree royne ou monarque, quelle
n’eſt , puis qu’elle ne craint en la terre d’vn autre
Roy faire des entreprinſes pour luy oſt er la
vie & la Couronne, ne peut il pas iuſt ement dire ?
Pourquoy voulez vous que ie reſpect e la ſouueraineté
que vous auez hors d’icy, que vous ne reſpect ez
pas la miene en ma terre propre ?
S’il n’eſt oit permis à vn Roy de cognoiſt re de
tels faits ſur les eſt rangers Rois, le meſchãt ſeroit
de meilleure condition que l’innocẽt. Il ſeroit loiſible de conſpirer par prodition cõtre les Rois : &
les Rois ne pourroyẽt deffẽdre leurs vies & leurs
eſt ats par la iuſt ice. Et tant plus doit il eſt re loiſible
à vn Roy de maintenir ſon eſt at par vne iuſt e
punition ſur vn autre Roy ou Monarque, que ſur
vn autre qui ne ſeroit ſouuerain : d’autant qu’encores
pourroit on deſirer que le Roy offenſé en
requiſt iuſt ice au ſuperieur du coulpable, pour n’eſt re
iuge ẽ ſa cauſe propre. Mais où il n’y a aucũ iuge
par deſſ us le coulpable : ou il faut que les Rois
facent eux meſmes la iuſt ice, ou biẽ qu’ils ſoyent
en pire condition, que les plus infimes. Car à faute
de iuge ils n’auroyẽt aucune reparatiõ des torts
qui leur ſeroyent faits. Et toutefois la où il n’y a
point moyen d’auoir iuge, les loix permettẽt aux
ſuiets meſmes de ſe faire iuſt ice de leur main.
Au reſt e ie te confeſſ e, que (comme tu as dict )
les ambaſſ adeurs ſont inuiolables, mais c’eſt tant
qu’ils ſe contienẽt aux termes d’ãbaſſ adeurs : Mais
quãd ils ſortent hors des bornes de leur eſt at, ils
ne doyuẽt plus eſt re tenus pour tels. Les Romaĩs
ont attribué la prinſe de Rome par les Frãçois au
crime, qui auoit eſt é cõmis par Q. Fabius leur ambaſſ adeur
enuoyé aux Frãçois, où il tua hoſt ilemẽt
vn Frãçois, & apres s’en alla à Rome. Les Frãçois
demãderent aux Romains, qu’ils le leur baillaſſ ent,
pour auoir le ſupplice que merite vn ambaſſ adeur
qui fait act es d’hoſt ilité.
Les Fecialiens eſt oyent d’auis qu’il le leur failloit
liurer : autrement que les dieux en ſeroyent
fort courroucez & deſplaiſans. Le peuple Romain
au contraire ſauua ledict ambaſſ adeur : dont apres l’ire des dieux (comme ils diſent) fut
telle contre Rome, qu’ils donnerent la Cité en
proye aux François, & ne leur reſt a de tout leur
Empire que la petite tour du Capitole. Demades
ambaſſ adeur des Atheniens à Antipater, eſcriuoit
des letres à Antigonus, pour venir prendre
Macedoine & l’Empire de Grece qu’il diſoit
ne tenir qu’à vn filet vieil & pourry, pource que
Antipater eſt oit vieil. Caſſ ander le fit mourir cõme
traiſt re. Les ambaſſ adeurs des Perſes venus à
Amyntas, roy de Macedone, voulurent violer ſes
concubines : Alexander ſon fils leur ſuppoſa des
garſons qui les tuerent. Antonius fit donner les
eſt riuieres à vn ambaſſ adeur de Ceſar, & apres le
luy enuoya, diſant qu’il auoit parlé trop ſuperbement.
Que ſi le ſenat Romain a iugé les ambaſſ adeurs
des Tarquins eſt re inuiolables par le
droict des gens, combien qu’ils euſſ ent conſpiré
contre la Republicque : ç’à eſt é parce qu’ils ne
faiſoyent autre, que la charge que leur maiſt re
leur auoit baillee : mais ils en voulurent bien punir
le maiſt re de ce qu’ils pouuoyent : Car combien
que auparauant ladict e conſpiration le Senat
euſt accordé de rendre aux Tarquins tous
leurs meubles, ſi eſt -ce qu’apres ladict e conſpiration
deſcouuerte ils les declarerẽt confiſquez & execrables
auſsi. La conſequence n’eſt pas bonne,
ce qui eſt permis à vn ambaffadeur, ſera permis
au maiſt re : car les ambaſſ adeurs ne ſont pas inuiolables,
pource qu’ils repreſentent leurs maiſt res :
Ains au contraire, les ambaſſ adeurs qui vienent
de la part de ceux qu’on voudroit le plus offenſer ne laiſſ ent pas d’eſt re inuiolables : Et toutefois ſi
on tenoit leurs maiſt res, on les traiteroit hoſt ilement :
Mais le priuilege des ambaſſ adeurs eſt
fondé ſur vn droict de gens, par ce que s’il n’y auoit
franchiſe & immunité pour telles perſõnes,
toute ſeureté humaine ſeroit perdue, & ceux meſmes
qui les offenſeroyent ſont intereſſ ez à les cõſeruer,
autrement on en feroit autant des leurs.
Les Conſuls Romains reſpondirẽt à Hanno ambaſſ adeur
des Carthaginiens, que leurs maiſt res
meritoyent qu’on ne leur tint point la foy nõ plus
qu’ils l’auoyent tenue à leurs ambaſſ adeurs : mais
ils ne vouloyent pas punir au ſeruiteur ce que le
maiſt re meritoit, non pour autre choſe que pour
la foy publique. D’ailleurs il y a des faict s, qui
ſont excuſables voire louables aux ſeruiteurs, freres,
enfans & femmes pour vne fidelité & affect iõ
ſeruiable & offcieuſe, qui toutefois ſeroyent bien
punis aux maiſt res, peres & meres. Les hiſt oires
des ſeruiteurs qui ont hazardé leur vie pour ſauuer
la vie de leurs maiſt res iuſt emẽt condamnez,
ſont vulgaires & en louange à chacun. Mais ſi les
condamnez euſſ ent fait de meſme, ils euſſ ent eſt é
doublement punis.
La ſeconde qualité & circonſt ance de ce que la
royne d’Eſcoſſ e eſt refugiee en Angleterre, & par
ainſi ne peut eſt re offenſee ſans reproche & note
de perfidie, fait pareillemẽt contre elle. Car d’autãt
sõ ingratitude eſt plus puniſſ able, d’auoir voulu
oſt er la vie à celle qui luy conſeruoit la ſiene.
Si celuy qui n’a rien merité enuers le Prince qui
le reçoit à refuge, veut que pour le ſeul reſpect d’humanité on le conſerue : à plus forte raiſon
doit il rendre le meſme deuoir à celuy, qui luy a
fait deſia vn bon office de protect ion, Si ceux qui
ont violé le droict d’hoſpitalité aux Princes refugiez
vers eux, ſont deteſt ables : combien le meritent
dauantage ceux qui l’ont violé aux Princes
qui les ont receus ?
Ie tiens la foy & ſeureté donnee par la ſeule reception
de la royne d’Eſcoſſ e, & accorde que ce
ſeroit rompre la foy, d’offenſer celuy qui a eſt é receu
à refuge : mais c’eſt vne perfidie deteſt able
d’offenſer celuy qui le reçoit.
Les poetes ont encores plus abondé en tragedies
compoſees ſur ce ſuiet, de la punition de telles
perfidies, que des premières. Les hiſt oires
pareillement n’en rapportent que trop d’exemples : la ſeule
hiſt oire de l’euerſion de Troye pour
la perfidie commiſe par Paris à Menelaus, le conſentement
de toute la Grece à la punir & ſi obſt iner
dix ans, auec toutes les incommoditez & malheurs
qu’il eſt poſsible.
Cleomenes roy de Sparte receu à refuge par
Ptolomee, fuyant Antigonus, & ayant apres conſpiré
contre luy, ſe tua. Ptolomee l’ayant deſcouuert
fit pendre ignominieuſement ſon corps,
comme indigne de ſepulture. Mais qui eſt celuy
là qui voudroit deffendre vne telle deſloyauté,
d’vn qui auroit eſt é recueilly en ſa miſere par vn
autre, & apres auroit conſpiré contre ſa vie ? Qui
tient vn tel fait impuny oſt e tout le lien de la ſocieté
humaine, & fait perdre tous les offices d’humanité
entre les Rois, s’ils penſent qu’ayant receu vn autre Roy à refuge, il luy ſeroit loiſible cõſpirer
contre celuy qui luy fait bon office, ſans
crainte d’aucune punition. Il n’en faut faire iuges
que ceux meſmes qui ſont refugiez chez autruy,
ceux-là les deteſt eront comme pernicieux & dommageables
à tous les Princes, tant à ceux qui reçoyuent,
que auſsi à ceux qui ont beſoin d’eſt re
receus.
Pour la derniere qualité & circonſt ance : Tu
dis que la royne d’Eſcoſſ e eſt ant priſonniere &
mal traict ee pour ſa condition & dignité Royale,
peut licitement tenter tous les moyens pour eſchapper
& recouurer ſa liberté. Ceſt e opinion
eſt veritable, mais qu’elle ſoit bien entendue : c’eſt
à dire qu’on ne peut point imputer deſloyauté à
celuy, que l’on tient ſur garde, & ne ſe fie on en
rien à ſa foy s’il cerche quelques moyens pour
euader.
Mais que ſi vn priſonnier pour eſchapper commet
quelque crime qu’on ne l’en puiſſ e punir : il
s’enſuyuroit que pour eſt re priſonnier, il auroit
toute licence de mal faire.
Le plus vrgent argument en ce faict , eſt , de ce
que la royne d’Eſcoſſ e pretend eſt re iniuſt emẽt,
& ſans legitime occaſion detenue priſonniere par
la royne d’Angleterre, comme n’ayant eſt é prinſe
en guerre ou autrement.
Et par ainſi, comme entre les Rois, le glaiue
eſt le vray iuge pour punir, & venger leurs
faits : Si elle a voulu faire tous appreſt s, pour
venger par vne guerre le tort qu’elle pretend que
la royne d’Angleterre luy faict , elle ne fait que ce que tous les Rois feroyent en ſemblable cas, &
cõme ce duc d’Auſt riche fit enuers le roy d’Hongrie
duquel tu as parlé. Ie te reſponds que la royne
d’Angleterre a ſi bien iuſt ifié ſon faict enuers
tous les Princes Chreſt iens, & monſt ré que tant
par les loix & conuenances des deux royaumes
d’Angleterre, & d’Eſcoſſ e, que par l’vſage obſerué
entre les predeceſſ eurs Rois de l’vn & de l’autre
royaume, il luy eſt oit loiſible de retenir la royne
d’Eſcoſſ e, & luy eſt oit impoſsible de la laſcher
ſans faire tort aux loix ancienes & à ſon eſt at, qu’il
n’eſt beſoin de faire plus grande inſiſt ance ſur ce
point.
Et meſmes quand bien la royne d’Eſcoſſ e euſt
peu pretendre auoir eſt é iniuſt emẽt faite priſonniere
apres auoir faict e ceſt e conſpiration, lon ne
peut dire qu’elle ne le ſoit iuſt ement : comme il
aduient ſouuent que d’vne bonne cauſe, la pourſuyuant
par meſchans moyens l’on la rend mauuaiſe.
Pompee, Caton & le Senat Romain faiſoyent
tort à Ceſar de luy refuſer le triomphe ſi iuſt ement
acquis : toutefois par ce qu’il le pourſuyuoit
par conſpirations contre la patrie, il n’y a homme
qui n’ait iugé, qu’il auoit fait de ſa bonne cauſe vne
mauuaiſe. Si on conſidere toutes les conſpirations
qui ſe font à vn eſt at, elles ſont la plus part
accompagnees de quelque tort, que l’on a faict à
ceux qui vienent iuſques à ceſt e extremité & hazardeuſe
entreprinſe : mais ne s’enſuit pas pour cela,
qu’ils ſoyent innocens & non puniſſ ables.
La royne d’Angleterre meſmes ſuffira pour exẽple, en ce faict : y eut-il iamais Princeſſ e plus iniuſt ement
& tyranniquement retenue priſonniere,
plus ſeuerement traitee, plus ſouuent expoſee
au danger de mort qu’elle fut par ſa feue ſœur : cõbiẽ
qu’elle ne l’euſt iamais offenſee ? Si eſt ce que
iamais n’entreprins, ne conſpira contre elle : &
quand elle l’euſt entreprins, il eſt ſans doute quelle
euſt eſt é iuſt ement condamnee, combien qu’elle
euſt peu pretendre droict à la Couronne. Auſsi
Dieu a ouy ſa iuſt e plainte, & luy a fait iuſt ice de
ſa main.
Quand la royne d’Eſcoſſ e auroit eu ſeulemẽt
ce but de recouurer ſa liberté, & employer les
moyens tendans à s’eſchapper, elle ſeroit excuſable : mais
d’auoir voulu vſurper l’eſt at de la royne d’Angleterre
& attenter ſur ſa perſonne : c’eſt biẽ
indignement recognu, ce que la royne d’Angleterre
a fait en ſon endroict . Elle a eu puiſſ ance ſur la
royne d’Eſcoſſ e, ſur ſa vie, (il eſt certain) ſur ſon
eſt at. Les occaſions en ont eſt é ſi propres, ſi ſouuent
par tant de guerres ciuiles & partialitez qui
ſont en ce Royaume-là, qu’il n’y a homme qui par
diſcours humain ne le recognoiſſ e : ſi eſt -ce qu’elle
n’a voulu iamais attenter ſur ſa vie, ny la liurer
és mains de ceux qui la vouloyent faire iuger par
les eſt ats : encores moins faire entreprinſe ſur le
Royaume. Mais au contraire elle a taſché par
tous moyens à le pacifier & le conſeruer pour ſon
fils : toutefois à preſent elle luy rend tout le
contraire.
Ce que l’on peut alleguer pour attirer à clemence
la royne d’Angleterre à pardonner ce fait, eſt bien conſiderable pour auoir compaſsion de
la royne d’Eſcoſſ e. Auſsi vraye iuſt ice doit eſt re
accompagnee de compaſsion, & vuide de
toute cholere, malice & cruauté. Mais que pour
vne pitié, il faille au lieu de iuſt ice faire iniuſt ice :
& s’il faut auoir pitié, en auoir plus d’vne ſeule
perſonne, que de tout l’eſt at vniuerſel, ce ſeroit
meſurer à fauſſ e meſure, & poiſer à faux poids la
clemence, & l’humanité, car s’il faut eſt re pitoyable,
ce ſeroit pluſt oſt eſt re cruel, que humain,
pour ſauuer vn particulier, que on n’aye point de
pitié de tout vn peuple, de tant de nobleſſ e, de tãt
de familles, deſquels la mort, le pillage, la ruine,
& la miſere eſt oit toute proiettee par ceſt e conſpiration,
& ne ſcauroyent eſt re aſſ eurez que par
la punition du chef de la coniuration.
Il y a eu des Empereurs qui ont pardonné les
conſpirations : Veſpaſien les meſpriſoit toutes,
par ce qu’il s’eſt oit perfuadé, qu’il ſcauoit le iour,
heure, & eſpece de ſa mort.
Ce ſont des exemples dãgereux à imiter : comme
de ce pere, qui ayant deſcouuert que ſon fils
le vouloit tuer, le mena en lieu où il eſt oit ſeul,
luy baille l’eſpee, luy dit qu’il le tuaſt , s’il vouloit.
Il y a plus de temerité en tels exemples, que de
clemence.
Mais en ce fait : il y a vne conſideration plus
importante, que en tous les exemples qui ſe peuuent
propoſer : & qui met du tout la Royne hors
de puiſſ ance d’vſer de clemence en ceſt endroit,
ſans offenſer Dieu : Car il n’eſt pas icy queſt ion,
d’vne conſpiration qui n’apportaſt autre changement que d’eſt at, & regne temporel, mais elle
importoit changement de la Religion, en laquelle,
quand les Princes voudroyent quitter leur offenſe,
negliger le ſoin qu’ils doyuent du ſalut, &
repos des ſuiets que Dieu leur a baillé en protect ion,
encores ne peuuent-ils quitter l’offenſe,
qui tend à renuerſer le regne de Dieu, ſon honneur,
& gloire, & ſon vray ſeruice.
Il eſt certain, que ſi la conſpiration euſt ſorty
ſon effect , la Religion euſt changé en Angleterre :
l’intelligence du Pape, du roy d’Eſpagne, & du
duc d’Albe le deſcouurent aſſ ez.
Que la royne d’Angleterre donques ſe repreſente,
le iuſt e iugement que Dieu fit ſur Saul,
pour auoir ſauué la vie à Agag roy d’Amalec,
Roy qui auoit coniuré la ruine du peuple, & du
ſeruice de Dieu. Ceſt e clemence le fit reietter
de deuant la face de Dieu, rendit inutiles les prieres
de Samuel, iuſques là, que Dieu luy deffendit
de prier pour Saul : & fît que le Royaume fuſt
tranſporté de luy à ſon prochain, ainſi qu’en parle
l’Eſcriture.
Achab ayant donné la vie à Benadab, ennemy
& contempteur de la puiſſ ance de Dieu, fut condamné
par la ſentence de Dieu, prononcee de la
bouche du Prophete, qui luy dit que ſon ame ſeroit
pour la ſiene. Dieu a voulu que les hommes
fuſſ ent clemens & doux à pardonner leurs iniures,
& ſeueres à punir les ſienes.
Et ſi on regarde bien l’hiſt oire ſainct e, en laquelle
les iugemens de Dieu ſe cognoiſſ ent au
vray, & par certitude : (Car aux prophanes, ils ne ſe cognoiſſ ent que par coniect ure.) On verra plus
de punitions, ſur les Rois qui ont voulu eſt re clemens
aux deſpens de l’honneur de Dieu, que ſur
ceux qui ont eſt é trop cruels. Saul eſt puny pour
clemence : Salomon eſt loué de la ſeuerité : Ioſué,
ayant ſans aucune humanité tué trente vn Roy,
eſt loué : Saul, & Achab, pour en auoir laiſſ é eſchapper
vn, ſont condamnez à mort : c’eſt vne vertu
fort recommandable aux Princes que clemence,
mais le zele de la Religion, eſt plus commandé
que la clemence.
De vouloir perſuader qu’il n’eſt point vtile, de
prendre punition de ceſt e conſpiration ſur la royne
d’Eſcoſſ e, & vouloir faire peur à la royne d’Angleterre
des Rois voyſins, elle a deſia eſſ ayé, que
les entreprinſes des Rois voiſins ne ceſſ eront pas
pour reſeruer la royne d Eſcoſſ e : Mais au contraire,
il n’y a rien qui ait donné courage, volonté, ny
moyen aux Rois voiſins, pour entreprendre ſur
ſon eſt at, que la reſerue qu’elle a faict iuſques à
ceſt e heure, de la royne d’Eſcoſſ e. Il eſt certain
que tous les troubles paſſ ez en Angleterre, ont eſt é
braſſ ez par elle, & fondez ſur l’eſperance de la
faire royne d’Angleterre. Les Rois qui s’eſmouuroyent
de ſa mort, ſont ia eſmeus : tant ſous pretexte
de la ſeule detention, & du zele pretendu de
leur Religion, que, pour dire plus vray, pour l’enuie
qu’ils ont de ce beau Royaume, ſi riche, & ſi
opulent, qu’ils eſt imẽt vne proye bien aiſee, pour
eſt re entre les mains d’vne femme, n’eſt ant appuyee
de perſonne, & de laquelle ils imputent la
clemence à timidité, & crainte de n’oſer chaſt tier ceux qui troublent ſon eſt at. La punition de ceſt e
conſpiration, n’adiouſt era rien à leur mauuaiſe
volonté : mais l’impunité adiouſt era bien aux
moyens de l’executer. Le Pape, le roy d Eſpagne,
ny le duc d’Albe, quelle parentelle, ny confederation,
ou amitié ſi eſt roict e ont ils à ladict e royne
d’Eſcoſſ e, que pour ſon reſpect ils ayent iamais
voulu s’armer contre la royne d’Angleterre ? c’eſt
pluſt oſt la haine que le Pape, le roy d’Eſpagne, &
le duc d’Albe, portent à la royne d’Angleterre,
l’enuie qu’ils ont de la voir ſi heureuſe, au plus
fort des malheurs de tous ſes voiſins.
L’ambition qu’ils ont de ce Royaume ſi floriſſ ant,
& encores l’indignatiõ qu’a le Pape, de voir
le Religion plantee, tant en ce Royaume, qu’en celuy
d’Eſcoſſ e, de voir ſes reuenus, & ſon authorité
du tout perdue, ſans eſpoir de recouurement.
La royne d’Eſcoſſ e ne leur ſert que de couleur, &
de leur fournir de moyens à pratiquer troubles, &
remuemens en tous les deux Royaumes : Quand
la royne d’Eſcoſſ e ny ſera plus, leur malice demeurera,
mais leurs moyens ceſſ eront, & entre autres
celuy qui eſt le plus ſpecieux, & auantageux pour
leur party : C’eſt que la royne d’Eſcoſſ e ne peut
faillir d’eſt re royne d’Angleterre, par le droict de
prochaineté, & cours de ſon aage.
Cette conſideration apporte de grands malheurs
à l’Angleterre : car les ennemis de la Religion
& de la Royne, en ont le cœur enflé, voyant
la ſaiſon de leur regne ſi proche : Ses plus affect iõnez
ſeruiteurs, en ſont au contraire intimidez,
voyans leur ruine d’autant approcher : & les Princes eſt rangers ſont retenus à s’aſſ ocier à la royne
d’Angleterre,ſi ce n’eſt pour mieux la trahir (cõme
noſt re Tyran ſouhaite) ſachans bien que l’amitié
qu’ils contract eront auec elle, fera autant
d’inimitié auec ſon ſucceſſ eur : tellement que ce
ſeroit contract er auec la perſonne, non point auec
le Royaume : par ce qu’elle eſt ant moins, tout
le Royaume ſera renuerſé.
On ne peut gueres baſt ir ſur vn fondement,
qu’on voit ne pouuoir long temps durer : & (comme
dit le prouerbe) Il y a plus de gens qui adorẽt
le Soleil leuant, que le couchant. Il eſt certain
que ceſt e conſideration, desfauoriſe infiniment
tous les deſſ eins de l’Angleterre : Mais la facilité
que la royne d’Angleterre a, de ſe priuer d’vn tel
ſucceſſ eur, & de s’en eſlire vn proche, qui ſoit capable
& ſuffiſant, peut coupper broche à tous
leurs deſſ eins.
Quant à l’indignation que le Roy d’Eſcoſſ e
pourra auoir à l’aduenir, ou contre ceux qui auront
fait mourir ſa mere, ou contre ſa mere, qui a
fait mourir ſon pere. S’il regarde la raiſon, il a
plus d’occaſion de ſe reſſ entir du meurtre de ſon
pere, auquel ny a ny occaſion, ny pretexte, ains vn
parricide, & perfidie deteſt able : que de celuy de
ſa mere, qui eſt accompagné de toute la raiſon,
& iuſt ice, qu’il eſt pofsible de deſirer à vn iuſt e
iugement : Ioint, que c’eſt vne peur de ſi loin, &
ſi incertaine : à ſcauoir de ce que fera vn enfant
quand il ſera grand, qu’elle ne merite d’eſt re reputee,
au prix d’vn danger preſent & euident.
Outre ce que la comparaiſon eſt fort inegale, de la crainte d’vne guerre externe, à vne conſpiration
inteſt ine.
Nous auons dit qu’en affaires d’eſt at, il faut
regarder ſi ce qu’on propoſe eſt iuſt e, & vtile au
public : les autres reſpect s de clemence, de libéralité,
de generoſité particuliere, doyuent touſiours
ceder à l’vtilité publique : mais il y a encores vn
tiers, qui ſurmonte tous autres : C’eſt vne neceſsité
publique. Celle-la eſt preferee quelquefois
aux loix diuines ceremoniales. Les Machabees
qui ne voulurent combatre au iour du
Sabbath, demourerent enſeigneurs à leurs ſucceſſ eurs,
de faire ceder les ceremonies diuines, à
la neceſsité.
Les Romains diſent, que leurs maieurs auoyent ſouuent
preferé la neceſsité, à la Religion :
Les loix politiques luy cedent. Caton qui en a eſt é
le plus rude obſeruateur, le perſuada au Senat
en la queſt ion Catilinaire : aufsi le ſalut du
peuple, eſt la ſouueraine Loy d’vn eſt at : car alors,
la neceſsité publique fait licite ce qui autrement
ne l’eſt oit point : A plus forte raiſon ſera-elle
preferee à vne douceur, qui n’eſt que volontaire :
& à vne clemence, qui traine auec ſoy
la ruine de l’eſt at.
Que la neceſsité, & ſalut publique ſoit en ceſt
endroit, il eſt aſſ ez aiſé à iuger, par ce que deſſ us,
où il a eſt é monſt ré que ceſt e conſpiration
n’apportoit pas ſeulement changement d’eſt at,
mais ruine de Religion.
Il ne reſt e donques, que de bien fonder la verité,
& certitude du delict : Et auoir intention droict e, & ſincere. N’apporter haine, ny paſsions
à ce iugemẽt : ains cerchant la verité, deſirer puſt oſt
trouuer l’innocence, que la coulpe. La coulpe
eſt ant verifiee, auoir compaſsion du malheur
auquel le coulpable eſt cheu : Mais auoir vne balance,
& meſure iuſt e à ceſt e pitié, qui eſt , comme
la haine particuliere, ne doit iamais nuire au
public, aufsi la particuliere amitié, ou commiſeration,
ne doit iamais faire contrepoids, à la pitié
que le prince doit auoir, de la ruine publique, &
generale de ſon Royaume : & encores moins, au
zele qu’il doit à la conſeruation, & amplification
du regne de Dieu.
Le Prince qui refuſe la iuſt ice à vn ſien ſuiect ,
eſt coulpable deuant Dieu, à plus forte raiſon celuy
qui la refuſe à tous ſes ſuiets d’vn coup, & notamment
à ceux deſquels on ſcait que leur mort
eſt oit iuree par ceſt e conſpiration : leſquels (à ce
que i’ay entendu) ſont des plus illuſt res de ſon
Royaume. Et qui par les fideles ſeruices qu’ils
ont fait à la royne d’Angleterre, meritent qu’elle
leur oct roye, ce qu’elle doit au moindre de ſes ſuiets,
qui eſt la iuſt ice des machinations qu’on fait
contre leurs vies.
Il eſt certain qu’il n’y a fidele ſeruiteur de la
royne d’Angleterre qui n’aye fait, & deu faire tous
les offices qu’il a peu, de deſcouurir, accuſer, & cõdamner
(chacun ſelon ſa vocation & qualité) vne
ſi malheureuſe conſpiration, & qui par là ne ſoit
expoſé, à la haine de tous les conſpirateurs, & de
leurs complices : & plus ils y auront fait leur deuoir,
plus ils en ſeront hays de ceux qui ſont les plus principaux de ceſt e conſpiration : de façon,
que venant la royne d’Eſcoſſ e à la ſucceſsion du
Royaume, ceux qui ont deſcouuert à la Royne
d’Angleterre ceſt e conſpiratiõ, ſont expoſez eux,
& leurs familles, à la haine d’icelle, ſi on la laiſſ e
impunie. Qu’eſt cela ſinon pour ſauuer le conſpirateur,
& ennemy, laiſſ er en proye en ſes mains, le
fidele ſuiect , & auec ce, donner vn treſ-mauuais
exemple, à tous ceux qui doreſenauant ſcauront
quelque ſemblable conſpiration (comme il eſt à
craindre, puisqu’on s’accouſt ume à telles fact iõs
en vn Royaume, que ceſt e-cy ne ſera pas la derniere)
à n’eſt re ſi volontaire à la deſcouurir, voyãt
la ruine qui leur eſt , & à leur poſt erite toute certaine,
pour auoir voulu ſauuer la vie, & l’eſt at à
leur Royne.
Il ne faut pas aller gueres loin, pour voir les inconueniens, qui arriuent de pareils faits. Qu’eſt -ce
qui a rendu le roy d’Eſcoſſ e dernier, delaiſſ é
des ſiens, expoſé à la cruauté de ſes ennemis, que
pour auoir quitté ſes amis, leſquels luy auoyent
deſcouuert ce qui touchoit à ſon honneur, & à ſa
vie, s’eſt ans montrez ſes bons, & fideles ſeruiteurs,
& s’eſt ans par la, rendus ennemis de la royne
d’Eſcoſſ e, & des miniſt res de ſa lubricité ? Il
voulut appaiſer ſes ennemis, & laiſſ er ceux qui
luy auoyent voulu faire ſeruice : il luy aduint que
depuis, il n’y eut homme qui vouluſt , ou oſaſt luy
vſer de pareils offices, lors que le beſoin en eſt oit
plus grand : auſsi eſt ce vne fidelité, & reſolution
bien rare auiourd’huy, quand vn ſuiet deſcouure
vn forfait, duquel il voit deux euenemens treſcertains deuant ſes yeux : à ſcau.que celuy qu’il accuſe,
pourroit eſt re quelque iour ſon Roy, & auoir ſa
vie, ſon honneur, ſes biens, & de tous
les ſiens en ſa puiſſ ance : & l’autre, Que quoy
qu’il ſache dire & verifier, l’accuſé n’en ſouffrira
rien.
Si le conſpirateur eſt oit quelque perſonne infame,
de laquelle ils n’euſſ ent occaſion de craindre
ſa haine, & inimitié, on pourroit dire qu’ils
ont intereſt particulier à ceſt e douceur, & clemence,
& qu’il n’y auroit que l’exemple publique
qui fuſt fruſt ré : Mais eſt ant celle qui eſt la
plus proche à eſt re leur Royne, contre laquelle
ils ont deſcouuerte ceſt e machination, & les laiſſ er
en proye entre ſes mains, il n’y a pas vn de
ceux qui s’en ſont meſlez, qui ne doiue penſer,
que c’eſt fait de ſa vie, de ſes biens, & de tout ce
qu’il a de plus cher en ce monde, ſi la royne d’Eſcoſſ e
vient à eſt re leur Royne.
Il eſt à eſperer, que ceux qui ont eſt é fideles à
la royne d’Angleterre, à la deſcouuerte, & verification
de la coniuration, perſeuereront touſiours
en la meſme fidelité, quelque danger qu’ils
ſe voyent propoſé deuant les yeux. Or c'eſt vne
tentation bien dangereuſe, qu’vn Prince pour
garantir vn qui eſt digne de punition, mette en
telle eſpece de deſeſpoir ſes plus loyaux
ſeruiteurs.
Le refus de iuſt ice fait par le Prince à ſes ſuiets,
meſmement à ceux qui ſont les principaux,
pres de ſa perſonne, a eſt é touſiours dommageable au refuſant. L’exemple de la mort de Philippe,
pere d’Alexandre, ſuffira pour tous : Le deſeſpoir
où tous les ſuiets ſe voyent ſans eſperance
de protect ion de leur Roy, les contraint d’aller
cercher leur ſeureté ailleurs.
Or eſt -ce le pire conſeil qu’vn Prince peuſt auoir,
de delaiſſ er en deſeſpoir ſes principaux ſeruiteurs,
& les contraindre d’aller cercher leur
protect ion, ailleurs qu’à ſon Prince naturel.
Si l’on s’amuſe à l’opinion que l’on aura de la
punition qui ſe feroit : C’eſt choſe trop vaine,
que les opinions, & rumeurs des hommes, pour
les mettre deuant le ſalut : Fabius Maximus n’en
eſt oit pas d’auis : Auſsi, quiconque s’arreſt e à cela,
il monſt re n’auoir guere droict e intention.
Ce bon Empereur d’Antonin, aduertiſſ oit les
Proconſuls qui alloyent aux prouinces, de n’affect er
en la iuſt ice, reputation ny de ſeuerité, ny de
clemence : car l’vne , & l’autre affect ion, deſuoyent
du droict ſentier de la iuſt ice.
Ceux qui iugeront ſainement, & ſans paſsion
de ceſt affaire, ne pourrõt eſt imer la royne d’Angleterre
que treſ-iuſt e Princeſſ e, treſ-ſage, &
bien zelee au ſalut de tout ſon peuple, & à la
deffenſe & propagation de la vraye Religion
Chreſt iene.
Ceux qui en iugeront par affect ion, & contre
la raiſon, ne meritent qu’on ſe ſoucie de leur iugement,
ny qu’on diſpute auec eux par raiſon,
veu qu’ils la banniſſ ent de leur iugement, par leur
paſsion particuliere.
Pour concluſion, la punition de ceſt e conſpiration
ſur la royne d’Eſcoſſ e, ſuppoſe qu’elle ſoit
veritablement coulpable, quoy que ſachent dire
& alleguer ſes partizans, eſt treſ iuſt e, & legitime,
par toutes loix diuines, & humaines : vtile, voire
treſneceſſ aire, pour le ſalut, & conſeruation de la
perſonne de la Royne, & de tout l’eſt at d’Angleterre,
& meſmes de ceux, que la Royne a occaſiõ
d’aimer le plus. Au contraire, l’impunité, eſt vn
vray refus de iuſt ice, & de protect ion à ſes ſuiets,
vn meſpris du ſalut de ſon peuple, & (ce qui eſt
plus à regreter) vne deſertion, & contemnement
de la conſeruation de l’Egliſe de Dieu, & de ſon
pur ſeruice, lequel, comme tu as dict au commencement,
y ſeroit de tout point renuerſé, ſi la mort
de la royne Elizabeth aduenoit, deuant le ſupplice
deu à la royne Marie.
Dieu n’aura faute de moyens pour garantir ſõ
peuple eſleu, & amplifier ſon regne : mais malheur
au Paſt eur, qui aura nourry le loup dans le
troupeau : & au laboureur, qui n’a chaſſ é le ſanglier
de la vigne du Seigneur. Et comme dit Ezechiel,
au 33.chapitre : Celuy qui oit ſonner la trõpette,
& ne reçoit point l’aduertiſſ ement, ſi l’eſpee
vient, & l’occit, ſon ſang eſt ſur luy : & encores apres
il adiouſt e. La guette qui oyt le ſon de l’ennemy
venant, & n’aduertit, ſi l’eſpee vient, & occit
vn autre, le ſang de celuy-là eſt ſur luy : Car il
eſt mort en ſon peché. Mais il redemandera (dit
le Seigneur) ſon ſang de la main de la guette. Il ne
faut point dire, ce danger eſt loin de nous, ce ſera
apres la mort de la Royne : Dieu luy face la grace de viure longuement : tout bon fidele le doit ſouhaiter :
mais c’eſt oit le prouerbe des enfans d’Iſrael,
duquel le Prophete crie tant, vous auez dit,
la prophetie eſt prolõgee, ou ſera d’icy à pluſieurs
iours, & apres long temps : Non, dit le Seigneur :
I’auanceray le iour, & ma Prophetie ſera auancee,
non pas prolongee. Dieu vueille diuertir ce
malheur, comme il monſt re bien le vouloir : veu
qu’il en donne les moyens ſi iuſt es, honeſt es, vtiles,
profitables, neceſſ aires, aiſez, & faiſables.
Amen.
Voila l’amy en ſomme, ce que ie penſe qu’on
peut dire ſur ce faict , pour l’eſclarcir, & pour reſoudre,
& deſueloper les nuœds de toute la matiere.
C’eſt à toy maintenant, ſi tu le trouues bon
d’en aduertir les grands de ta cognoiſſ ance : afin
que rien ne les empeſche, de demander iuſt ice à
haute voix, & crier tant, que les plus ſourds
l’entendent.
L’hi. Ie ſuis tant ſatisfaict : en ton diſcours graue,
& prudent : Ie l’ay tellement imprimé au liure de
ma memoire : i’ay ſi bonne enuie qu’il ſoit veu, &
entendu, de tous les zelateurs du bien public de
l’Egliſe de Dieu, & ay de ſi bons moyens, Dieu
mercy, pour les en aduertir, que ie ne voudrois
pour rien, que nous euſsions employé ceſt e heure,
à autre deuis quel qu’il ſoit. Mainternant, ie te
diray plus gayement comme il me ſemble, tout le
ſuccez de mes voyages.
Le pol. Ie t’en prie beau ſire, mais que ce ſoit ſans
digreſsion, le temps me dure, que ie ne ſache cõme
c’eſt que Dieu a beny tes ſainct s labeurs.
L’hi. Certes amy, ie te puis dire, que i’ay preſque
trauaillé en vain, & ie te diray en deux mots cõment
reſeruant toutefois à dire quelques particularitez
à l’Egliſe qui nous a enuoyé.
Tu dois ſcauoir amy, qu’au deſpartir d’auec
toy, i’ay tant fait par mes iournees, que ie me ſuis
rendu, par grace de Dieu, en la Cour de la pluſpart
des princes Proteſt ans, i’ay eſt é en celle de
l’Elect eur Palatin, du duc Auguſt e de Saxe, du
Marquis de Brandeboug, des Lantgraues de
Heſſ en, du duc de Vvitemberg, du Marquis de
Baden, (Ie te les nomme ainſi qu’ils me vienent
à la bouche, & non ſelon leurs degrez, ou l’ordre
de mon voyage) I’ay eſt é à la Cour du duc de
Pruſſ e, du duc de Melzelbourg, du duc Iules de
Brunzuich, du Prince d’An-halt, du duc de Lunebourg,
des ducs de Pomeranie, du comte de
Oldembourg, du comte de Hansbach , de l’Archeueſque
de Magdebourg, du Roy de Suedde.
du Roy de Dannemarc, des ducs de Olſt ian : &
finalement en la Cour des Comtes de Emden,
I’ay auſsi parlé aux Seigneurs du Conſeil des principales
republiques d’Allemagne, qui ont receu l’Euangile,
ie leur ay bien au long fait entendre,
à chacun en particulier, l’hiſt oire tragique du
Maſſ acre de Paris. I’en ay trouué aucuns d’entre
eux, qui eſt oyent deſia auertis, par des Eſt affiers
de Charles, qui, donnans leur ame au Diable,
pour l’amour de leurs maiſt res, auoyẽt voulu perſuader
à ces Princes, que l’agneau auoit troublé
l’eau au loup. Mais, pas vn d’eux n’auoit eſt é ſi
mal auiſé de le croire.
Ie leur ay fait entẽdre, autant comme i’ay peu,
& ſceu, le ſurplus de la perfidie de Charles de Valois,
& des ſiens, leurs deſſ eins, leurs entrepriſes,
la calamité de l’Egliſe Françoiſe, le beſoin qu’elle
a d’aide, le deuoir qu’ils ont de la ſecourir en ſa
neceſsité, comme membres de l’Egliſe Catholique,
que nous croyons tous n’ayant qu’vn ſeul
chef Ieſus Chriſt : ie leur ay remonſt ré le bien
qu’il leur en reuiendra, s’ils le font, & le mal ne le
faiſant pas : ie leur ay dit là deſſ us, ce que Daniel
en auoit prononcé en l’arreſt que tu ſcay, i’ay accompagné
mon dire d’authoritez de l’Eſcriture,
des ſainct s Doct eurs, d’exemples anciens, & modernes,
de la raiſon diuine, & humaine : ie l’ay meſmes
entrelardé de quelques fables ſeruãs à ce propos :
entre autres, ie leur ay recité bien à point (cõme
ils me l’ont par apres confeſſ é) la fable que tu
ſcay du bon homme Mercier.
Le pol. Ie ne ſcay quelle fable tu veux dire, ie l’orrois
volõtiers dire, s’il te plaiſt en prẽdre la peine.
L’hi. Ie penſois que tu la ſceuſſ es mieux que moy :
elle eſt aſſ ez vulgaire, mais fort conuenable à noſt re
fait.Eſcoute.Il y auoit vne fois vn bon
homme de Mercier, trafiquant, & frequentant
les foires : monté d’vn bon & beau courtaut, qui menoit apres ſoy vn aſne, chargé des balles de ſa
marchandiſe : Auint vn iour, ou pource que l’aſne
eſt oit trop dru, frais, & gaillard, qu il s’eſgaroit
à trauers chãps, ne ſe ſouuenãt plus des coups
de baſt õ qu’il en auoit receu au parauãt, ou pour
quelque autre occaſiõ ſecrete, qu’auoit le maiſt re
d’ainſi faire : il auint dis-ie, qu’il s’auiſa de charger ſon aſne, d’vn ballot, d’enuirõ cent liures peſant,
plus que ſa charge accouſt umee, vn jour, auquel,
par grand deſaſt re les chemins eſt oyent empirez,
pour l’iniure du temps de la nuict : tellement que
le poure aſne, n’auoit garde de regimber, pluſt oſt
ahanant ſous le faix, eſmouuoit. à pitiè tous ceux
qui regardoyent ſa contenance, le ſeul cheual ne
faiſoit que s’en rire. Le Maiſt re etant cõtraint de
s’arreſt er en vn village, pour payer le peage, enuoya
ſon courtaut deuãt, & l’aſne auſsi qui le ſuyuoit,
au moins mal qu’il eſt oit poſsible, iuſques à
ce qu’eſt ans arriuez en vn mauuais paſſ age, duquel
l’aſne preuoyoit bien qu’il luy eſt oit impoſſ ible
d’eſchapper, ny de paſſ er outre, ſans ſe rompre
ou bras, ou iambe, & parauẽture auſsi le col,
pria lors affect ueuſement le cheual de luy aſsiſt er,
& l’aider à paſſ er ce mauuais chemin, ne luy
demandant pour tout ſecours autre choſe, ſinon
qu’il print ſur ſoy le ballot d’extraordinaire, iuſques
à ce, tant ſeulement, qu’il euſt paſſ é par delà
ce mauuais paſſ age, promettãt le reprendre apres
treſ volontiers deſſ us ſon dos : mais il craignoit
autant ce bourbier-là, comme ſa ruine preſente.
Le cheual ſe moquãt de l’aſne, au lieu de luy vouloir
aider, le menaçoit fierement du rude baſt on
de ſon Maiſt re, qu’il diſoit ne pouuoir tarder : que
d’obligation, il n’en auoit point à l’aſne, & quand
bien il en euſt quelqu’vne, elle ne s’eſt ẽdoit point
iuſques-là, que de luy perſuader, de faire le vil office
de Baudet, qu’il eſt oit cheual de nature, plus
genereux qu’on ne penſoit, qu’il s’eſt oit trouué
maintesfois entre les rengs des grands cheuaux : Somme, que quoy qu’eux deux n’euſſ ent qu'vn
Maiſt re, que leurs offices eſt oyent ſeparez, & qu’à
chacun le ſien n’eſt pas trop : s’aſſ eurant d’auoir
bien toſt ſon paſſ e temps à tenir compte des bõs
petits coups de baſt on. Baudet, ſe voyant eſconduit
du cheual, craignant les menaces du Maiſt re,
voire, & s’aſſ eurant des coups, autant, dit-il lors,
me vaut-il mourir icy, que plus attẽdre : mon Maiſt re
me tuera de coups. Si ſe mit ſans plus marchãder,
à deuoir de biẽ paſſ er outre : mais le bourbier
par trop profond, luy ayant rõpu ſon deſſ ein
l’arreſt a tout court, & de ſorte, qu’il luy fut force
d’y mourir, le col caſſ é ſous la charge. Le cheual
auſsi mal-enſeigné, que beaucoup de gens de noſt re
aage, qui ne rient iamais mieux, qu’alors que
quelque mal s’addreſſ e, ſe print à rire auſsi graſſ ement,
comme s’il eut fait quelque grande conqueſt e :
mais le Maiſt re arriué, ayant demandé nouuelles
de Martin, le voyant mort ſous la charge,
fit bien toſt changer contenance, à ce beau monſieur
le cheual, luy remonſt rant, qu’il eſt oit force,
de luy charger le baſt deſſ us, qu’il ne vouloir pas
laiſſ er perdre ſa marchãdiſe, ny la laiſſ er illec plus
longuement.
Le pol.Hé que i’euſſ e volontiers veu la contenance
du cheual !
L’hi. Il faiſoit lors (ce dit le compte) vne bien piteuſe grimaſſ e, & n’allegant rien que ſes droits,
ſes qualitez, & ſes merites, diſoit, qu’il n’eſt oit couſt umier
à porter rien plus que la ſelle : Ce qu’il faiſoit
bien volontiers, s’offrant à mieux porter ſon
Maiſt re, qu’il n’auoit fait par le paſſ é : mais au reſte, qu’il le prioit de ne luy parler point du baſt ,
que c’eſt oit le meſt ier des aſnes, qu’on en trouueroit
bien vn autre, qui vaudroit trop mieux que
Martin : mais, le maiſt re, ne voulant prendre ces
raiſons en payement, ayant attaché le cheual à vn
arbre, & retiré le baſt , & les balles du bourbier,
auec vn regret indicible de la mort du poures Martin,
chargea le tout, à l’aide de quelques paſſ ans,
ſur le dos du ſeigneur Cheual : lequel, ſe rauiſant
bien tard, de la faute qu’il auoit faite, refuſant d’aider
à Martin, regretta tout le reſt e de ſa vie, la
mort du bon poure Baudet.
Lepol. Ie t’aſſ eure, que voila vne fable autant à
propos, que nul autre qu’on euſt peu forger de ce
temps. Hé qu’il fut bien employé à ce vilain, &
cruel cheual, de luy charger le tout deſſ us.
L’hi.Il le confeſſ oit bien luy meſmes, & qu’il en
pouuoit (ce dit la fable) eſchapper à meilleur marché,
s’il eut eſt é bien auiſé, ou ſi la compaſsion de
l’aſne, luy fuſt peu entrer dans le cœur : mais c’eſt oit
trop tard.
Le pol. Il eſt oit du naturel de ceux, qui ſont ſages
apres le coup, il auoit apprins des François, à ne
cognoiſt re point ſa faute, qu’alors que le remede
eſt oit loin.
L’hi. Ainſi donc, cõme ie t’ay dit, pour retourner
à mon propos, ces bõs Princes, & Seigneurs, trouuoyent
ceſt e fable de fort bon gouſt , & recognoiſſoyent
facilement, que c’eſt oit vne pierre, que ie
iettois en leur iardin. ie paſſ ay encore plus outre :
Ie leur dis, tout ce que Daniel auoit auiſé eſt re
bon de faire, pour les vnir & liguer en vn corps, comme ils le ſont, ou doiuent eſt re en vn eſprit,
les vns, auec les autres, & tous enſemble auec
nous. Ie leur diſcouru de beaucoup de petites
choſes, que la concorde a faict croiſt re, & ſurgir :
& de beaucoup d’autres bien grandes, que la diſcorde
a fait cheoir, & perir. Ie leur dis auſsi là
deſſ us l’hiſt oire de ce bon vieux Prince, qui ayant
vingt & deux enfans, luy vieux, caſſ é, eſt ant au lict
malade, les ayant fait venir à ſoy, leur commanda
de rõpre en ſa preſence, vn fagot de cheneuotes,
qu’il auoit fait lier tout expres : mais, comme du
plus grand, iuſques au plus petit, ils s’y fuſſ ent eſſ ayez
en vain, luy ſeul, ayant deſlié le fagot, rompit,
& fort aiſément, toutes les cheneuotes, vne à
vne : leur remonſt rant par là, fort dextrement, cõbien
l’vnion eſt oit puiſſ ante, au prix d’vne folle
diſcorde. Ie leur dy, que ceſt e vnion, & eſt roict e
amitié, & intelligence qui deuſt eſt re entre les
Chreſt iens, c’eſt à dire, ce conſentement des choſes
humaines, & diuines, conioinct auec vne beneuolence,
& charité, eſt oit le ſeul lien pour conſeruer
& eux, & nous, & toute l’Egliſe de Chriſt eſpandue
par tout.
Que les choſes qui aſſ emblent les gens en vn,
ſont facilement trouuees entre nous, qui deſirons
meſmes choſes, haiſſ ons meſmes choſes, &
craignons meſmes choſes : que c’eſt ce qui contract e
les amitiez parmi les bons, comme auſsi
c’eſt la cauſe des fact ions & ligues parmy les
meſchans.
Pour tout cela pas maille (comme lon dit) &
t’aſſ eure, que, me ſouuenant de la prophetie de Daniel parlant de ceſt Empire des Romains, il
m’a ſemblé, afin que ie ne mente, parler aux vrais
doigts de terre, deſquels Daniel le Prophete, fait
mention, tous ſeparez les vns, des autres : aiſez à
rompre, & à froiſſ er, ou bien, ainſi que diſoit l’autre,
tous preſt s à vẽdre, s’ils trouuoyẽt quelqu’vn
qui les vouluſt acheter.
Voyant que ie ne profitois de rien enuers eux,
ainſi comme nous tombions d’vn propos, à l’autre :
ie leur ay mis les iugemens de Dieu deuant
les yeux. Ie leur ay dit, que ce n’eſt pas le Iuif, qui
qui tue Ieſus Chriſt : car il attẽd ſon Meſsie. Que
ce n’eſt pas auſsi le Turc : que le Papiſt e ne tue nõ
plus(par maniere de dire) Iefus Chrift en ſes mẽbres :
Il penſe (comme dit l’Eſcriture) faire vn ſacrifice
à Dieu, en ce faiſant : qu’il n’y a perſonne
qui tue plus veritablement Ieſus Chriſt en ſes
membres, que les Rois, Princes, Potentats, & peuples,
qui cognoiſſ ent Ieſus Chriſt , qui l’ont receu :
& laiſſ ant neant moins à leurs portes, & comme
en leur preſence, maſſ acrer leurs freres, combourgeois,
& concitoyens, ſans leur donner aucune aide
ne ſecours.
En ſomme, l’amy, ie t’aſſ eure, que ie n’ay, Dieu
mercy, rien laiſſ é à dire, de ce que i’ay eſt imé pouuoir
ſeruir, à promouuoir vne ſi bonne cauſe.
Pour tout cela, comme ſi le fait ne les euſt en rien
touché, pas vn d’eux n’a fait ſemblant de vouloir
donner vn brin d’aide. Bien ont-ils confeſſ é chacun
à ſon tour, que l’act e eſt oit treſ-inhumain : la
trahiſon treſ-deteſt able : Charles de Valois, &
tout ſon Cõſeil, le plus deſloyal de la terre : qu’ils ne s’y fieront iamais : Qu’ils s’esbahiſſ ent comme
c’eſt que les defunct s, (deſquels la memoire leur
eſt honorable) apres auoir eſt é tant de fois trahis,
s’eſt oyent, encores à ceſt e fois, oſé fier aux
meſmes traiſt res. Qu’ils donnent par aduis aux
ſuruiuãs de nos freres, de ne iamais plus s’endormir
aux paroles de Charles, ny des ſiens, & ne iamais
plus mettre bas les armes (que Dieu, & vne
iuſt e, & legitime deffenſe leur ont mis en main.)
Que quant a eux, ils s’armeroyẽt volontiers pour
nous : mais leurs gens ne marchent pas ſans argẽt,
& nous n’auons pas les moyẽs d’en fournir : qu’ils
ſeroyent bien aiſes de trouuer de l’argent, pour
foire vne bonne leuee de Reyſt res : mais ils ne ſcauoyent
où en prendre, & leurs gens ſont mercenaires,
regardans moins à Dieu, qu’à l’argent, cõme
nous auons peu voir és troubles paſſ ez de la
France, où il y auoit des leurs aſſ ez, d’vne meſme
religion, ſeruans ſans aucune conſcience, ne honte
à deux maiſt res diuers, & contraires.
Pour le dire en vn mot, apres beaucoup de paroles,
ils m’ont traité, comme l’on traite communément
les poures, mendians l’aumoſne à la porte
des riches : Ie vois bien qu’il y a pitié en vous,
(ce leur dit-on) mais ie n’ay pas que vous donner.
Allez de par Dieu, Dieu vous ſoit en aide : Voila
comme ils m’ont renuoyé, à mon grand regret, à
baſt vuide. Voyant cela, apres les auoir menacez
derechef des iugemens de Dieu, qui ne peut longuement
ſouffrir vne telle laſcheté, en ceux qui ſe
renomment ſiens, qui ne peut ſouffrir, l’Empire
de ceux-là demourer debout, qui laiſſ ent fouler le ſien aux pieds : ie les ay laiſſ ez la : & ay paſſ é de
Emden en Angleterre, où i’ay trouué, les nouuelles
que i’allois annoncer de la verité des Maſſ acres,
eſpãdues au long, & au large par toute l’iſle :
les Eccleſiaſt iques, les Nobles , & le peuple,
tous eſchauffez à les vouloir venger, ne demandans,
que congé de la Royne, pour pouuoir gueer
leurs foſſ ez. I’ay trouué, en ſomme, les choſes ſi
bien diſpoſees, qu’il m’a ſemblé, de prime face,
qu’il ne ſeroit ia beſoin de leur faire plus grande
inſt ance, ny pourſuite de ſecours, que d’eux-meſmes
ſans eſt re preſſ ez d’auantage, ils s’y achemineroyent
aſſ ez.
Ce neantmoins i’ay fait la reuerence à la Royne,
& aux ſeigneurs de ſon Conſeil, ie leur ay fait
entendre l’occaſiõ de ma venue : & la charge que
l’Egliſe m’auoit donné : ie leur ay dit là deſſ us que
qui voit bruſler la maiſon de ſon voiſin, doit auoir
peur de la ſiene : que ces foſſ ez qui ſeparẽt la grãd
Bretagne du reſt e du mõde, ne ſont pas ſuffiſans
à empeſcher la flamme de la cruauté de la maiſon
de Valois, de voler ſur les Anglois. Qu’on a accouſt umé
de porter de l’eau, à la maiſon du voiſin
qui bruſle, encore que ce fut la maiſon de ſon
ennemy. Ie leur ay auſsi auãcé les meſmes authoritez
de l’Eſcriture, les exemples & raiſons, alleguees
aux princes Proteſt ans, ie leur ay remõſt ré
qu’il ny eſcheoit qu’à bailler congé à quelques
Myllords, qui s’offroyent d’aller à leurs deſpens,
à vn nombre de nobleſſ e, & de peuple volontaire,
pour voir bien toſt vengé, l’outrage fait à Dieu, &
à ſon Egliſe Françoiſe.
Sur cela, la Royne, & la plus part de ſon Conſeil,
ne m’a ſceu que dire, ny oppoſer autre choſe,
que la ligue, qu’elle auoit freſchement faite auec
Charles de Valois, enuers lequel, quoy qu’elle le
recognoiſſ e pour tyran, traiſt re, & meſchant, elle
eſt oit reſolue de garder ſa foy promiſe. Qu’elle
voudroit bien qu’il fuſt mort, & que Dieu en fiſt
la vengeance, qu’elle l’en prie de bon cœur : mais,
que d’aller contre ſa promeſſ e, qu’elle ne le fera
iamais. Surquoy, apres luy auoir repliqué, que
telle promeſſ e peut eſt re à bon droit comparee
à celle d’Herodes, à Herodias, & autres ſemblables,
qui ne meritẽt pas d’eſt re gardees, au detriment
de la gloire de Dieu : Qu'il y a des promeſſ es,
leſquelles ſont bonnes à leur naiſſ ance,
mais (comme Ciceron le dit) par traict de temps
vienent à eſt re dommageables, & pernicieuſes :
comme d’vn preſt , qu’on aura promis faire, à vn
qu’on tient eſt re bon citoyen, auquel, ſi d’auenture
il ſe rendoit ennemy de la Republique, on n’eſt
nullement tenu d’accomplir la promeſſ e : qu’ainſi
en eſt il de ſa ligue.
Que ſa Maieſt é, a promis foy, & homage dés
le Bapteſme, au Dieu viuant, ſouuerain Roy, duquel
Charles de Valois eſt ennemy iuré. Que dés
lors qu’elle fut introduict e en l’Egliſe de Dieu,
elle contract a auec les autres membres de l'Egliſe
de quelque region qu’ils ſoyent, ligue, & cõfederatiõ
inuiolable : que Dieu la ſõme de ſa foy,
& toute raiſon diuine, ciuile, & des gens la diſpenſe
de celle qu’elle a donnee au Fidefrage : lequel,
comme elle peut cognoiſt re, n’a iamais contract é ligue auec elle, que pour la deceuoir, & tromper,
& trahir ſous meſme manteau, les poures Huguenots
François : Que Dieu, qui luy a fait tant de faueur,
que de la tirer de la priſon, à la Couronne
d’Angleterre, luy demande preſentement, qu’elle
tire hors de la preſſ e, les membres de ſon fils Ieſus,
& autres raiſons pregnantes, tirees non ſeulement
de l’Eſcriture, laquelle nous monſt re en mille
paſſ ages, que ie luy alleguois, la ſymmetrie, &
bõne intelligẽce, qui doit eſt re au corps de Chriſt
ains auſsi, des raiſons, tirees de la neceſsité, de l’eſt at,
& d’autres que le ſens commun ſimplement
nous dict e, nous enseignant de nous oppoſer à ces
vilains & execrables mõſt res, & de les retrencher
d’entre les hommes, comme ennemis iurez du gẽre
humain : Ainſi que Ciceron meſmes, le nous
enſeigne, en ſon liure des Offices, duquel ie luy alleguay
le paſſ age, en langue Latine, que ſa maieſt é
entend fort bien, qui dit, que nous ne pouuons ne
deuons nous aſſ ocier, ou auoir commerce auec
les tyrans, pluſt oſt nous en eſloigner, & diſt raire :
& que ce n’eſt pas contre nature, de deſpouiller, ſi
nous pouuons, celuy, que nous pouuons honeſt ement
tuer : que tout ce genre peſt ifere, & prophane,
doit eſt re exterminé de la communauté des
hommes, eſt ant choſe treſraiſonnable, tout ainſi
comme nous voyons, qu’on retrenche les membres
eſt iomenez du reſt e du corps, de ſeparer du
conſorce, & commune ſocieté des hommes, ces
beſt es cruelles, & farouches.
Apres(dis-ie) luy auoir remontré cela, & pluſieurs autres choſes, touchant la charité Chreſtiene, & la nature de la vraye magnanimité, compagne
honorable des grands, qui ne ſe monſt re iamais
mieux, qu’alors qu’on deffend en toute iuſt ice,
les foibles, & oppreſſ ez & ſes alliez, des brigands,
& volleurs : Trouuant ſa maieſt é auſsi froide,
& gelee à la fin, que ie l’auois trouuee au commencement,
ie m’apperceu, que cela ne pouuoit
proceder que de la couardie, & puſillanimité du
ſexe : & de ce, qu’elle voit ſon Royaume, deſpourueu
d’vn grand Capitaine, auquel elle puiſſ e fier
vne armee, pour en eſperer vn bon ſuccez : Auſsi
que le principal de ſes Conſeillers, qui gouuerne
le temporel, & le ſpirituel, (cõme l’on dit, en toutes
ſes terres) eſt vn vray couard, & recreu, ſentant
ſon clerc trop mieux que ſon gendarme : Et
neantmoins (ſelon que quelques vns eſt iment)
pour ſe dreſſ er vn appuy apres la mort de ſa maiſt reſſ e,
eſt aux gages de deux autres Rois : Voyãt,
dis-ie cela, ie m’addreſſ ay ſans ſortir hors de l’Angleterre,
à d’autres Myllords mieux zelez, par le
moyen deſquels, & de l’Eueſque de Londres, auec
quelques gentils-hommes, & marchands, du
ſceu & conſentemẽt de la Royne, qu’elle preſt oit
ſous main, & par l’ẽtremiſe du Sieur, Apfter Ciampernon,
on amaſſ a, partie par forme d’aumoſne,
partie par forme de preſt , dont quelques vns de
nos freres de la Rochelle ſe ſont obligez, enuiron
quarante mille francs : à l’aide deſquels, le Comte de
Montgomery, qui pour lors eſt oit en Angleterre
refugié, du vouloir & commandement ſecret
de la Royne, accompagné du ieune Ciampernon,
de l’vn des Morgans , & de pluſieurs autres gentils-hommes, & ſoldats Anglois, & François,
dreſſ a vne petite armee, d’enuiron cinquãte
Nauires petits, & grans : entre leſquels, la Royne
fournit vn ſien nauire, nommé la Prime-roſe, du
port de quatre cens tonneaux : & euſt baillé auſsi
le nauire Biſcain de meſt er Hacquin, n’euſt eſt é
que meſt er Olſt at, Vice-amiral Anglois, auoit enuiron
ce temps-là, deſualizé ſur le nauire Biſcain,
plus de vingt nauires François, & Vvallons, qui
eſt oyẽt és haures, & en la coſt e d’Angleterre, armez,
& preſt s à accõpagner le cõte de Mõgomeri.
Le pol. Et cõment, bon Dieu ! Vn ſeul nauire, pouuoit-il
bien deſualiſer vingt nauires armez ?
L’hiſt . Fort aiſément, ainſi comme il les trouuoit
dans les haures, où ils ne ſe doutoyent de rien, cõme
n’eſt ans en rien coulpables, oyans que c’eſt oit
par le commandement de l’Amiral d’Angleterre
le myllord de Clynton, les poures gens n’oſoyent
point reſiſt er.
Le p. Voire, mais, quelle occaſiõ auoit le myllord
de Clynton, de cõmander que l’on fiſt vn tel vol ?
L’hi.Il n’ẽ auoit du tout point : mais voicy ſon pretexte.
La Rovne d’Angleterre, ne ſe contentant
point d’eſt re liguee auec le plus meſchãt Tyrã de
la terre, voulut auſsi eſt re ſa cõmere, & preſenter
au Bapteſme la fille de ce deſloyal : pource faire, elle
luy enuoya en ambaſſ ade le myllord de Vvenceſt er,
pour faire l’office de la part de la Royne.
Le pol. Ie m’esbahys, cõment ceſt que le myllord
de Vvenceſt er, ne ſupplia la Royne de l’excuſer,
veu qu’il ne pouuoit honeſt emẽt & en bonne cõſcience,
ie ne dis pas preſenter l’engeãce du Tyrã, ains vn autre enfant de quelque bõ Papiſt e que ce
ſoit, deuãt l’idole abominable, à vn miniſt re de Satan,
ny voir prophaner le ſainct Bapteſme, par
leur creſme, par leurs crachats, & autres telles execratiõs
cõtraires à l’inſt itutiõ, & pratique de Ieſus
Chriſt , des Apoſt res, & de l’anciene Egliſe.
L’hiſt . Il ne faut pas que tu t’esbahiſſ es de cela, le
myllord de Vvenceſt er eſt Papiſt e, Dieu luy face
miſericorde. Ie m’aſſ eure qu’vn mylord d’Oktincthõ,
vn myllord de Bethford, le ſeigneur de Vvalzingham,
qui pour lors eſt oit ambaſſ adeur en Frãce,
ou quelque autre religieux Seigneur, n’auoit
garde d’accepter telle charge, ny la Royne de la
luy donner : mais il y a bien de quoy s’esbahyr de
la Royne, qui ſcait cõbien telle prophanation eſt
deſplaiſante deuant Dieu, & cependãt elle ſe moque
de la cognoiſſ ance receue, & ſemble n’en faire
que le cerf.
Le pol. C’eſt merueille, de voir cõme les grãs (vers
de terre neantmoins ) ſe diſpenſent de deſobeir à
leur Souuerain, cõme ſi ſa loy treſentiere ne les attouchoit
en rien. A ce que tu dis, il ſemble, que
tãt plus ce tyrã eſt meſchãt, tãt plus elle l’honore.
L’hi. Elle le fait pluſt oſt pour crainte, que pour l’amour
qu’elle luy porte : c’eſt cela qui l’a fait auſsi
vouloir eſt re ſa belle ſœur, pẽſant eſchapper bien
par là, les embuſches de ſon cõpere, & garãtir par
ce moyen, l’Angleterre de ſes aguets : mais Dieu
ſcait, ſi ce n’eſt pas pluſt oſt ſe perdre, ſe rẽdre malheureuſe
deuãt le tẽps, & accelerer ſa ruine par
les noces du frere, comme la Frãce, par les noces
de la ſœur.
Or pour reuenir a mon propos, du vol, & deſualiſemẽt
de tãt de nauires. Ainſi que le Myllord
de Vvenceſt er s’acheminoit en France, pour l’occaſion
que ie t’ay dit, trauerſant de Douure, à Bologne
ſur vn bateau, n’ayãt lors que trois bateaux
paſſ agers auec luy, il fut aſſ ailly par quelques courſaires Angiois, Frãçois, & Vvallons en petit nombre,
qui eſt oyent dans vn petit nauire, nommé le
Poſt e : aſſ ailly, dis-ie, de ſi pres, que bien peu s’en
falut, que le bateau où eſt oit le Mylord, ne fut mis
à fons, tant y a, que l’vn des bateaux de ſa ſuite,
fut preſque tout pillé, & quelques vns de ſõ train
tuez. Aucuns diſoyent, que quelque inimitié particuliere
contre le Myllord de Vvenceſt er, auoit
fait dreſſ er celle partie : les autres, l’amour du butin,
& du preſent que la Royne enuoyoit à ſon
Compere, au lieu duquel ils vouloyent ſuppoſer
vn licol : d’autres penſoyent que c’eſt oit vn deſpit
& vne enuie de rompre vn ſi vilain voyage, où
Dieu eſt oit deshonoré. Comme qu’il en ſoit, cela
fut cauſe que la Royne, lors irritée, donna charge
à ſon Amiral, d’enquerir bien au vray du fait,
& de chaſt ier les coulpables.
L’Amiral qui ne demandoit pas plus beau ieu
pour grobiner, comme il en a bonne couſt ume,
enquit ſi à point de ce fait, par le moyen de ſes ſuppoſt s,
qu’on ne laiſſ a nauire François, ny Vvallõ,
de ceux qu’on peut attraper, qui ne fut mis a blãc.
Les capitaines, Mariniers, tout l’equippage, voire
quelques paſſ agers, furent faits priſonniers, entre
autres vn gentil-homme mien amy, Poiteuin de
nation, à qui noſt re France doit beaucoup, Hiſtoriographe diligẽt & ſoigneux, & plein d’autres bõnes parties fut auſsi detenu, & tous enſemble ſi
bien traitez en leur priſon, quoy qu’ils fuſſ ent innocens
du fait, que le mieux traité d’entre eux, a
bonne occaſion de s’en ſouuenir.
Ce trait, fut cauſe que le comte de Montgomery
alla plus tard d’vn mois, au ſecours de la Rochelle,
& plus foible de ces vingts nauires, & du
nauire Biſcayn, que la Royne auoit promis, qui
n’y oſa aller, de peur qu’on n’uſaſt de reuẽche ſur
ſon equippage : & fut ce vol cauſe en partie, que
la Rochelle ne fuſt point ſecourue, par l’armee du
comte de Montgomery : lequel peu de temps apres,
ayant ſinglé vers la Rochelle, à la veue, &
port de canon des nauires, & galeres, & des forts
de l’ẽnemy, qui tenoit le Canal, & entree de mer
de la Rochelle gardez, apres luy auoir prefenté la
bataille, ſe voyant à ſon auis foible, s’eſt onna :
l’ennemy le voyant marchander l’abbord, au lieu
qu’à la premiere veue, ſon armee de mer, & de terre
s’eſt oit (comme on dit) esbranlee, commença
à ſe raſſ eurer, & à ſe renforcer par mer, faiſant embarquer
dans ſes nauires, à la veue de celles du
Comte, enuiron de mille harquebouziers, qui fut
cauſe, que le lendemain, le comte de Mõtgomery
apres s’eſt re preſenté au meſme lieu en bataille,
n’eſt ant ſuyui que d’vne partie de ſon armee, rebroſſ a
ſon chemin vers Belle-iſle, qui eſt ſur la coſt e
de Bretaigne, print le chaſt eau, & l'iſle d’emblee,
& là ſeiourna quelques iours. Vn des parens
du comte de Rets, qui eſt oit Capitaine du chaſt eau
de Belle-iſle y fut fait prifõnier, & ainfi pris, mené en Angleterre, où ie le vy chez le Seigneur
de la Motte Fenelon, ambaſſ adeur du Tyran.
Le pol. Puisque ce Capitaine eſt oit parent d’vn ſi
honeſt e homme, il ne pouuoit eſt re que braue, &
bien excellent guerrier, on ne prent pas tels chats
ſans mouffles.
L’hi. Tu ſerois bien marry, ſi tu ne diſois le mot
en paſſ ant à ton accouſt umee, he dea ! ceſt uy-là
n’eſt oit pas de ſes parens de maintenant, qu’il eſt
comte de Rets, encore moins des parens de Mõſieur
le mareſchal de Rets, il luy appartenoit ſeulemẽt,
du temps que le pere d’Albert Gondy, Florentin,
marchand en ſon viuant à Lyon, venoit de
faire freſchement Banque route, du temps auſsi
que le Peron, eſt oit vn commiſſ aire des viures,
aux guerres de Mets : ou du temps qu’il eſt oit garſon
de coutouër chez Bonuiſi à Lyon, & que ſa
mere, fille de Pierre Viue, marchand de Lyon,
couroit l’eſguillette par tout.
Le pol. Il ne paya donc gueres de rançon, le vilain,
à celuy qui le fit priſonnier.
L’hi. Ie te le laiſſ e à penſer, chacun ſcait biẽ qu’il
n’auoit lors vn ſeul double qui fuſt à luy, & auiourd’huy,
chacun ſcait bien que pour auoir monté
la Mere, ce Landry à tout ce qu’il veut, commãde
par tout à baguette, fait changer le quarré, en
rond, & a luy ſeul, plus de finances, qu’vne douzaine
des plus grands : Mais, pour reuenir à nos
moutons, d’où ce bouc m’auoit deſt ourné, le cõte
de Montgomery eſt ant à Belle-iſle, les poures
gens de la Rochelle, ayans veu que le ſecours auquel
ils eſperoyent le plus, apres Dieu, ne les pouuoit en rien ſeruir, ny ſoulager, enuoyerẽt deuers
le comte de Montgomery vn petit eſquif, auec
ſept hommes dedans, qui paſſ erent en deſpit de
l’ennemy, au trauers de ſon armee, fauoriſez des
vens, & des vagues : pour remercier le comte de
Montgomery, & le prier qu’il ne ſe miſt aucunement
en plus grand danger pour eux, ains ſe reſeruaſt
à meilleure rencontre : qu’ils eſt oyent reſolus par
la grace de Dieu, de ſe bien deffendre,
contre les aſſ aux de l’ennemy, & de mourir tous
l’vn, apres l’autre, auec leurs femmes, & enfans,
pluſt oſt que ſe rendre à la mercy de ces perfides.
Le pol.Ce fut vn trait fort magnanime, que celuy
de ces bõnes gens. Au lieu que le cœur, cõme il
ſemble, leur deuoit faillir, & manquer : il leur eſt
lors, tout au rebours, accreu cõtre le ſens cõmun.
La neceſsité eſt puiſſ ante à faire reſoudre les gẽs :
mais certes, Dieu les fortifie touſiours au beſoin.
L’hi.C’eſt tresbien dit. Or le comte de Montgomery
voyant le bon courage de ces poures Rochelois,
apres leur auoir enuoyé vn batteau à l’auẽture,
que l’on dit, auec deux milliers de poudre à canon,
& quelque peu de muys de bled, qui par grace
de Dieu, arriuerẽt à bõ port, & ſi à point qu’ils
trouuerẽt ces bõnes gẽs preſque au bout de leurs
poudres, & de leurs bleds, apres cela (dis-ie) craignãt
que l’ẽnemy ne le vint charger à defprouueu
à Belle-iſle, où il n’auoit ny port ny fort, rõpit ſõ
armee, où (ſelon que la creãce en ce tẽps eſt bonne
parmy les Capitaines & ſoldats) elle ſe rõpit elle
mefme. Le Capitaine Hippi ville, qui auoit vn
fort bon,beau, & bien armé nauire, s’alla rẽdre à l’ennemy en Normandie : d’autres tindrẽt la mer
& l’eſcumerẽt. Le Comte s’en alla rendre en Angleterre,
auec vn biẽ peu de vaiſſ eaux, ſur leſquels
eſt oyent deux de ſes gendres, ſon aiſné fils, le capitaine
Poyet, Caſaux, Maiſon-fleur, la Meauſſ e,
des Champs, le capitaine Sore, & certains autres
capitaines, gentils-hommes & ſoldats.
La Royne, & les ſeigneurs de ſon Conſeil, qui
s’eſt oyent promis de l’expedition du comte de
Montgomery, vn ſecours de la Rochelle, & poſsible
quelque choſe de plus, commencerent à ſon
retour d’en rabbatre iuſques là, que au lieu qu’auparauant
ils l’auoyent chery, & honoré comme
vn demy dieu des batailles, en pleine cour à deſcouuert
& preſque tout ioignant la barbe de l’ambaſſ adeur
du Tyran, à peine le vouloyent-ils lors
voir en ſecret & à cachette.
Le pol. Quelques vns accuſent les femmes, de chãger
fouuent leur maintien, & ſous couleur qu’elles
ſont legeres, taxent leur ſexe à tous propos,
d’vne inconſt ance inſupportable : mais quãd tout
vn Confeil s’en meſle, c’eſt les iuſt ifier de tout
point.
Les Romains eſt oyent bien d’autre auis au retour
de leurs Capitaines : ne les fauoriſans rien
moins à la perte, qu’à la vict oire : comme Varro
nous eſt teſmoin, ayant perdu la grãd bataille qui
donnoit Rome à Annibal (s’il euſt ſceu vaincre,
comme on dit.) Retournant ainſi tout batu dedans
Rome bien deſolee, on ne laiſſ a pas de luy
faire comme vn petit triõphe à demy : il leur ſembloit
bien que c’eſt oit aſſ ez de regret & de faſcherie à leurs Conſuls, & capitaines, le deſplaiſir
qu’ils receuoyẽt de la perte d’vne bataille, & penſoyent
eſt re mal ſeant, redoubler leur mal, par reproches,
ou par quelque autre chaſt iment : auſsi
ſcait-on bien que les armes ſont iournalieres le
plus ſouuent, & que tel a bien fait ſur le tyllac vn
iour, qui s’en ira le lendemain cacher pres le leſt
du nauire : tel a rompu ſon ennemy, qui toſt apres
eſt mis en route. C’eſt preſque comme vn ieu
d’eſchets, où les pions, mattent ſouuent les Rois,
prenent les Cheualiers : les Roynes, forcent les
Rocques, & chaſt eaux, par fois les fols qu’on loge
pres des Rois, font auſsi eux-meſmes l’office,
ou iouent au Roy deſpouillé.
L’hiſt . Il eſt certain. L’autre diſoit que tous les
dieux iouent des hommes à la pelote, les eſleuant
pour s’en mocquer, toſt apres les iettant par terre :
mais en ce fait-cy dont nous parlons, c’eſt vne
choſe treſ-certaine, que le Dieu des dieux, ſouuerain
Dieu des armees, & batailles par ſon treſſ ecret
iugement, ayant retiré les meilleurs, a affady
le cœur des autres arcs boutans, ainſi qu’il ſembloit,
de toute l’Egliſe Françoiſe : la dis-ie oſt é entierement
à la Nobleſſ e, (qu’on appelle) & là dõné
& fait à croire aux petits & humiliez : à fin qu’à
ſon accouſt umee, par les choſes foibles, & baffes,
il confondiſt les fortes, & hautaines : & que par là
toute la gloire, & honneur de la deliurance de ſes
enfans luy fuſt rendu.
Le pol. C’eſt tresbien dit. Et pour certain, qui ne
le voit eſt bien aueugle. Dieu a beſogné puiſſ amment
(ce dit la Vierge, au I.de S.Luc) par ſon bras en diſsipant les orgueilleux en la penſee de leur
cœur. Il a mis bas les puiſſ ans de leurs ſieges, & a
eſleué les petits, il a rẽply de biens ceux qui auoyent
faim, & a enuoyé les riches vuides. Il a releué
Iſrael ſon ſeruiteur, en ayant ſouuenance de ſa miſericorde.
Tu cognoiſt ras cecy plus clerement,
l’amy, quand ie te reciteray ce qui s’eſt paſſ é dedans,
& deuant la Rochelle & Sancerre pendant
que l’ennemy les tenoit aſsiegez, & que tu entendras
la deliurance miraculeuſe que le Seigneur a
fait de ces deux villes & de nos freres qui eſt oyẽt
dans Sancerre. Mais ie te prie pourſuy, & te deſpeche
de peur que quelcun ſuruenant, n’interrõpe
nos ſainct s deuis.
L’hi. I'en ſuis cõtẽt : i'auray fait en deux mots.
Ainfi dõc, quãd ie vey ceſt e petite armee qui auoit eſt é
dreſſ ee, cõme tu as peu cõprendre, auec tãt de
difficultez, que le Tyrã meſme auoit eſſ ayé de rõpre
auparauãt, ayãt enuoyé à ceſt effet par diuers
iours ẽ Angleterre la Mauuiſsiere, Chaſt eauneuf
de Bretagne, & Sainct Iean frere du cõte de Montgomery,
pour le deſt ourner, mais en vain : voyant
(dis-ie) ceſt e partie la rõpue de tout poĩt, ſans eſperãce
d’aucune reſſ ource, & quoy que ie m’eſſ ayaſſ e
de la faire renouer, & de perſuader à la Royne,
d’enuoyer des forces au double, luy remõſt rant
qu’autãt valoit, cõme diſoit l’autre, bien batu, que
mal batu : & que touſiours l’Anglois auoit meilleur
marché du Traiſt re, l’allant cercher ſur ſes
terres auec l’aide des offenſez, que de l’attendre
ſur les ſienes apres la desfaite des bons. Qu’il eſt oit
à craindre que l’Anglois, qui n’auoit bõnement oſé faire ſemblãt de s’en meſler, en fuſt à la
fin recerché à plein fonds : & que ce n’eſt oit pas
oſt er la guerre de deſſ us ſes bras, ains ſeulement
la differer. Voyant que tout cela ny ſeruoit de riẽ
qu’à les faſcher, qu’à troubler le repos de ceux qui
aiment mieux ouyr vn diſeur de bonnes nouuelles,
qu’vn Michee, qui leur annonce leur ruine, afin
qu’ils auiſent à eux. Apres que i’eu recommãdé
au Seigneur auec nosfreres refugiez, nos freres
aſsiegez : ie partis de ceſt e Iſle-là pour m’en
venir par deuers les Seigneurs des ligues.
Là eſt iant apres auoir fait entendre bien au lõg
à quelques Seigneurs principaux nos affaires, &
par conſequent, ce me ſembloit, les leurs, ie penſois
pour la conformité de la Religion, qui eſt entre
quatre des plus puiſſ ans Cantons & nous, &
pour la neceſsité de leur eſt at, qui à bon droict
peut craindre l’entrepriſe d’vn Prince tyran &
perfide, ennemy de toute liberté ciuile & ſpirituelle :
& pour le deuoir auſsi que les Seigneurs
des ligues ont a conſeruer & maintenir les François,
comme leurs alliez & confederez : ie penſois
dis-ie, bien profiter de tant envers eux tous que
d’en arracher quelque braue & puiſſ ant ſecours
contre l’oppreſsion du Tyran,
Mais ie trouuay tout au rebours, que deſia les
Cantons Catholiques auoyent enuoyé au grand
Boucher ſix mille de leurs poures hommes, pour
luy aider à eſgorger & maſſ acrer le reſt e des brebis
Françoiſes.
Le pol. Qui iamais euſt creu que ces gens euſſ ent
fait vne ſi grande faute de fauoriſer le party d’vn cruel tyran & perfide : eux grans amis de liberté :
eux reputez entre les hommes pour gens
qui gardent leurs promeſſ es , & qui deuſſ ent par
conſequent hayr le Tyran qui les rompt au detrimẽt
de tout vn peuple, ie dis peuple leur allié : c’eſt
vn dãgereux paradoxe que l’opiniõ de ces gens-là.
L’hi. La faim de l’or inſatiable conduit les gens
tout à ſon gré.
Le pol. L’odeur du profit (diſoit l’autre) eſt ſouefue,
d’où ſoit qu’elle ſorte. Mais on n’ouyt iamais
parler d’vn tel profit ſi execrable, qu’vn homme
prene de l’argent d’vn ſien voiſin confederé pour
l’aller tuer quand & quand, pour le piller & le deſt ruire.
Ils ont beau dire, c’eſt du Roy de qui nous receuons
la ſolde. Car leurs penſions en temps de
paix, & leurs gages en temps de guerre, ne ſont tirez
aucunement que du labeur du poure peuple,
eſclaue de ce Roy tyran. Auſsi ne ſont-ils alliez
au Tyran, tant qu’au Royaume, qu’ils vont tous
les iours depredant : mais qui les a enſorcelez encore
à ce dernier voyage ? veu qu’il n’y auoit pas
vn viuant de ceux qu’ils s’eſt oyent fait à croire qui
abbayoyent au parauant à la (Côrôna) qu’ils appellent :
ils ne pourront à leur retour, ſi quelqu’vn
d’entre eux eſchappe, ſe vanter comme aux autres
fois, d’auoir ſeuls gardé la Corona, Que lo Rey
lor é byn tenu, que ſen celou Monſiou l’Animal &
Dendelou ly hoſſ on ota la Corona de deſſ u la teta :
puis qu’on ne cerche encore à ceſt e fois que d’eſchapper
& ſe garder de la fureur des mains meurtrieres.
L’hi.Ils n’ont pas creu touſiours ce qu’ils ont dit :
mais il falloit pour cacher leur folie, la couurir de
quelque manteau : partant prenoyent-ils ce pretexte,
comme le plus ſpecieux. Mais à dire vray la
plus part ny alloit que pour deſrober, l’autre pour
viure ſimplement, l’autre pour diſsiper l’Egliſe :
leurs Chefs cerchoyent de s’agrandir, & d’apprẽdre
en ſi bonne eſcole toute ſorte de corruption,
& le moyen de tout vouloir & de pouuoir tout ce
qu’on veut : à fin qu’vn iour ſuyuant l’exemple de
leur beau compere Boucher par ſon moyen & ſa
faueur, qu’ils s’aſſ eurent d’auoir propice, ils puiſſ ent
auſsi à leur tour gouſt er que c’eſt de commãder
abſolument, & à baguette par deſſ us tous
leurs Citoyens.
Ces ſeules raiſons & non autres les ont fait
marcher à ce coup, auſsi bien comme és autres
fois.
Le pol. Qui a manié leur leuee ? Car Belieure ny
eſt oit plus : & ils croyent ce bõ Apoſt re, plus que
nul de leur Kalendier.
L’hi. Ce Belieure, duquel tu parles, ny eſt oit plus
vrayement : mais il auoit fait eſt ablir ſon aiſné frere
en ſa charge, & luy meſmes y vint à point, ſecõdé
d’vn bon coſt iller meſsire Pierre Carpentier,
(tu cognois l’homme) & aſsiſt é d’vn bon preudhomme
le vieux ſecretaire Poulier.
Le pol. O Seigneur qu’eſt -ce que i’oys dire de mõ
ancien amy Poulier ! Que ie regrette ce bon
homme !
L’hi. Auſsi eſt -il à regreter. Car des autres paſſ e
ſans flux. Carpentier a touſiours eſt é vn maiſtre frippon effronté, vn Tholozat, c’eſt à dire vn double.
Les autres deux ſont entendeurs, ce ſont des
Huguenots d’eſt at : ceux à qui le Dieu de ce monde
a cillé ou creué les yeux. Mais de Poulier, le
cœur me fend, quand ie m’en ſouuiens, de regret.
Le pol. Mon Dieu que ie ſuis deſplaiſant, qu’il face
ſi mauuaiſe preuue de la cognoiſſ ance qu’il a !
L’hi. C’eſt ſans doute que le poure homme a trauaillé
bien lourdement contre la verité cognue.
Mais Dieu qui ſcait bien ramener ſes brebis de
peur de les perdre, le vint trouuer en ces iours-là,
& luy fit ſentir le petit doigt de ſa main forte,
trebuſchãt luy & ſon cheual, en vn chemin plain
& facile : & pour l’arreſt er court ſur cul, il luy caſſ a
la iambe droite.
Le pol.Dieu vueille que ce coup de fouet luy face
cognoiſt re ſa faute. Mais quel pretexte propoſoyent-ils,
ces gens de bien aux Catholiques ?
L’hiſt . Nul autre, ſi non, quoy qu’il en fuſt , que
leur Compere vouloit eſt re maiſt re abſolu en
ſon pais : qu’il vouloit, tout coupper & coudre à
ſon plaiſir : que nuls ne luy deſplaiſoyenr tant que
les Rochellois, qui ne vouloyent ouurir les portes
à ceux qui les vouloyent tuer de par le Roy.
Et ainſi tout honeſt ement, comme qui conuie à
des noces, les preſſ oyent d’aller au pillage & carnage
des gens de bien, qu’ils diſoyent eſt re des rebelles,
ſeditieux à tout iugement.
Lepol. Ie leur nie bien c’eſt article, qu’ils ſoyent
ſeditieux ny meſchans, & pourrois bien deuant
tous iuges qui ne ſeroyent point paſsionnez prouuer
tout outre le contraire.
L’Hiſt . Ie ſerois content de t’ouyr diſcourir ſur ceſt e matiere, s’il te plaiſoit prendre la peine de la
traiter naifuement, ſelon la conſcience & l’eſt at.
Tu ſcais qu’il y a pluſieurs conſciences de timides
ſcrupuleux, qui font eſt at de ſe laiſſ er frapper
& de tendre auſsi toſt l’autre ioue.
Le pol. C’eſt tresbien fait à des priuez, & pour des
iniures priuees de patienter & de ſouffrir, pluſt oſt
que de rendre la pareille : mais en ce fait il va bien
autrement.
L’hi. Ie le ſcay bien, & ne ſuis pas ſi grue, que ie
ne ſache comme il s’y faut porter. Et ne doute
non plus qu’il ait eſt é & qu’il ſoit loiſible à nos
freres de ſe garder contre l’inuaſiõ du Tyran, que
contre brigans & volleurs, contre des loups & des
ſangliers, ou autre beſt e plus farouche.
Ie dy d’auãtage auec l’ancien peuple Romain :
que d’entre tous les act es genereux, le plus illuſt re
& magnanime eſt , d’occire le Tyran : eſt ant,
comme tresbien le monſt re Ciceron, vn tel act e,
quand bien il ſera executé par vn familier du tyrã,
tout plein d’honeſt eté & de bien ſeance, conioinct e
auec le ſalut & l’vtilité de la choſe publique.
Mais ce qui me fait deſirer d’entendre de ta
bouche la reſolution de ce faict : c’eſt pour me
ſeruir des argumens, authoritez & exemples deſquels
ie ſcay que tu abondes, à confermer les timides,
& reſoudre les ſcrupuleux.
Le pol. S’il faut que ie traite ce point, ie crain d’eſgarer ta memoire de ton diſcours encommencé.
L’hi. Point, poĩt, ne crain pas que ie laiſſ e d’y reuenir,
i’auray fait ẽ deux pas & vn faut, Mais cõmẽce ie te prie de traiter vn peu clerement ceſt e matiere :
elle n’eſt pas hors de propos.
Le pol. Ie le veux bien : Eſcoute.
Premierement il faut eſt ablir ceſt e maxime :
qu’il n’y a qu’vn ſeul Empire infiny : ſcauoir, celuy
de Dieu tout puiſſ ant, & par conſequent que
la puiſſ ance de quelque magiſt rat & Prince que ce
ſoit eſt encloſe dans certaines limites & barrieres,
hors deſquelles le Prince ne doit ſortir, ny le
ſuiet, s’il les outrepaſſ e, luy obéir : autrement ce
ſeroit eſgaler l’Empire du Magiſt rat à celuy de
Dieu ſouuerain : blaſpheme par trop horrible ſeulement
à le penſer. Car quoy que le Magiſt rat repreſente
l’image de Dieu, ſi ſe faut-il ſouuenir
de ce que Dieu a dit par ſon Prophete : Ie ne dõneray
pas ma gloire à vn autre. Les magiſt rats dõques
ſont eſt ablis de Dieu, non afin qu’en partageant
auec ſa Maieſt é ils ſe reſeruent partie de la
gloire : ains afin que cõme Miniſt res & ſeruiteurs
du Seigneur ils raportent entierement à leur maiſt re
toute gloire & tout honneur.
Les Magiſt rats, s’ils n’auiſent de pres à leur deuoir,
peuuẽt commettre des fautes bien lourdes :
ſoit en commandant ce qui repugne à la premiere
table de la loy de Dieu : ou en deffendant, ce
qui eſt commandé par la premiere table : Tels cõmandemens
& deffenſes ſont prophanes & contre
toute pieté. Ils offenſent auſsi contre la ſecõde
table, quand ils commandent ce qui ne ſe peut
obſeruer ſans violer la charité deue au prochain :
ou deffendent de faire les choſes lesquelles nous
ne pouuons delaiſſ er ſans violer celle charité qui nous doit eſt re inuiolable : tels edits doyuent eſt re
appellez iniques.
Ce fondement poſé, que nous deuons au ſeul
Dieu toute obeiſſ ance ſans nulle exceptiõ, il s’en
ſuit, qu’il ne faut pour rien obeir aux edict s prophanes,
ou iniques de quelconque magiſt rat ou
prince que ce ſoit : & par conſequent, que les ſuiets
ne peuuent obeir en bonne cõſcience au Roy
commandant choſes prophanes ou iniques. Il n’y
a pas faute d’exemples en ce point.
L’edict de Pharao, par lequel il commandoit
l'homicide cruel & ſauuage des petits enfans des
Hebrieux eſt oit inique tout outre. Les ſages femmes
ny obeiſſ ent point : elles en ſont louees par
l’eſprit de Dieu en l’Eſcriture : Dieu recompenſe
la pieté de ces bonnes femmes, qui ont ainſi deſobey
au tyran, leur edifie des maiſons, beniſt &
accroiſt leurs familles.
L’edict de Nabuchadnezar commandant d’adorer
la ſt atue, eſt oit prophane & contre la premiere
table de la loy. Les compagnons de Daniel
ny obeiſſ ent point : pourtant ſont louez du
Seigneur, & conſeruez de ſa main forte au milieu
des flammes du feu.
Les edict s de Iezabel ont eſt é prophanes & iniques
tout enſemble, en ce qu’elle commandoit
de meurtrir les Prophetes de Dieu, & les gens de
bien. Voila pourquoy Abdias au lieu d’y obeir
nourriſſ oit de tout ſon pouuoir les ſeruiteurs du
Seigneur.
Les Iuifs entant qu’en eux eſt oit empeſchoyẽt
Ieſus Chriſt d'annoncer la volonté de Dieu ſon Pere auec deffẽſes menaces. Ieſus Chriſt leur
a reſiſt é en l’annonceant. Et quoy que nous puiſſions
dire qu’en la maiſon du Pere Eternel il a eſt é
eſt & ſera à iamais fils Eternel de Dieu : toutefois
ſelon la diſpenſation du temps d’alors, ſa
condition & la police, il eſt oit comme perſonne
priuee : & toutefois n’a il point obey.
Les Apoſt res ayans receu commandement de
ſe taire, & ne point annoncer Ieſus Chriſt , n’auoyent
garde d’y obeir.
Il ne ſeroit pas ſi toſt fait ſi ie voulois reciter
par le menu le nõbre des teſmoings qui ont ſouffert
perſecution, pour n’auoir voulu obeir aux edict s
des Rois, Empereurs & autres Magiſt rats,
auſquels tant s’en faut que nous ſoyons tenus d’obeir,
lors qu’ils commandent choſes prophanes
ou iniques : qu’au contraire comme nous pouuõs
recueillir des exemples alleguez nous ne ſatisfaiſons
iamais à noſt re deuoir, ſi en deſobeiſſ ant d’ũ
coſt é, à tels Magiſt rats, nous n’obeiſſ ons de l'autre
aux edict s & commandemens du Dieu ſouuerain,
chacun de nous ſelon ſa vocation : vocation
dis ie generale ou particuliere : generale par laquelle
vn chacun eſt appellé à pratiquer la charité
enuers ſes prochains : particuliere ſelon l’eſt at
& office auquel vn chacun eſt appellé.
Les ſages femmes donques Egyptiennes ont
fort vertueuſemẽt fait en n’obeiſſ ant point à Pharao,
& en s’acquittant de leur vocation particuliere
ont de tout point accomply leur deuoir, conſeruant
les enfans que l’edict du tyran auoit deſtiné à la mort.
Ainſi auſsi Abdias, qui non ſeulement ne tua
point, ains nourrit & fuſt enta les Prophetes du
Seigneur. Pareillemẽt les Apoſt res, qui tant s’en
faut qu’ils ſe teuſſ ent, qu’au contraire ils annoncerent
plus librement la parole du Seigneur. Auſſi
eſt oit ce leur vocation particuliere, à laquelle
ils ne pouuoyent autrement ſatisfaire qu’en ce faifant.
Et partant auiourdhuy és terres des Princes
prophanes, ſuperſt icieux & tyrans, deſquels le nõbre
n’eſt que trop grand, qui deffendẽt d’annõcer
la Parole de Dieu, & commandent d’aſsiſt er aux
ſeruices des faux dieux cõtrouuez dans le cerueau
des hommes : s’il s’y trouue quelque Chreſt ien,
(comme Dieu mercy il y en a bon nombre) nous
ne dirons pas qu’il ſe ſoit acquitté de ſon deuoir,
quand ſeulement il ſe ſera abſt enu de communiquer
aux faux ſeruices, ſi quand & quand il ne fait
tout ce qu’il luy ſera poſsible pour ſe trouuer és
aſſ emblees Chreſt ienes, ouyr la parole de Dieu,
& communiquer aux prieres & ſacremens de l’Egliſe
Chreſt iene.
Le roy Ozias ayant voulu vſurper l’office de
Sacrificateur, fut dechaſſ é hors du Temple par
Azarias, & oct ante autres Sacrificateurs ſes compagnons :
deſquels le fait fut approuué de Dieu,
& celuy d’Ozias condamné : de ſorte qu’il en fut
frappé de lepre de la main du Seigneur & contraint
de finir ſa vie tout lepreux, & miſerable, en
vne maiſon ſequeſt ree & à part.
Cela eſt donc tout reſolu que nous pouuons
en bonne conſcience deſobeir aux edict s prophanes
ou iniques des Magiſt rats, quels qu’ils ſoyent.
Reſt e à voir maintenant, s’on leur peut auſsi
pareillemẽt reſiſt er en bonne conſcience, & pour
quelles raiſons : eſt ant choſe toute aſſ euree, que
c’eſt plus leur reſiſt er, que leur deſobeir ſimplement.
Ia n’auiene que ie fauoriſe en ceſt endroit le
party de ces furieux & turbulens Anabaptiſt es,
que nous confeſſ ons tous pouuoir eſt re dignement
chaſt iez par le Magiſt rat.
Qu’on ne penſe pas auſsi, que ie vueille porter
le party des Seditieux, pourtant, ſi ie viens affermer
que les ſuiets ſont tenus de reſiſt er par armes,
ſi beſoin eſt , au Magiſt trat commandant chofes
prophanes ou iniques,eſt ant vne telle reſiſt ence,
qu’õ fait aux deſſ eins d’vn Magiſt rat ſeditieux,
vn vray moyen d’oſt er la ſedition, & faire mettre
vne bonne paix parmy les peuples.
Mais afin que la queſt ion puiſſ e eſt re plus clerement
traitee & deſnouee, ie mettray en auant
quelques maximes, comme preludes ſeruans à ce
faict .
Premierement qu’il y a vne mutuelle & reciproque neceſsitude & obligation d’entre le Magiſt rat
& les ſuiets : comme il eſt aiſé à cognoiſt re,
s’on conſidere l’origine, la cauſe & la fin de l’inſt itution
des magiſt rats.
Cela eſt bien certain que les magiſt rats ont
eſt é creez aux peuples & non les peuples aux magiſt rats :
tout ainſi que le tuteur eſt cree à vn
pupille, & le Paſt eur à vn troupeau : non pas le pupille
au Tuteur, ou le troupeau au Paſt eur. Il falloit
donc qu’il y euſt quelques aſſ emblees & troupes
d’hommes deuant la creation des Magiſt rats.
Encores peut-on bien trouuer auiourd’huy vn
peuple ſans Magiſt rat, mais nullement vn Magiſt rat
ſans peuple : C’eſt donc le peuple qui a creé
le Magiſt rat & non le magiſt rat le peuple : qui a,
dis-ie, creé les premiers magiſt rats d’vn commun
conſentement, pour la neceſsité qu’il ſe ſentoit
auoir pour ſa conſeruation d’vn tel lien &
conduite.
Aucuns peuples ont creé des Princes ſur eux,
pour eſt re gouuernez & regis en ceſt e façon ou
en l’autre, tellement toutesfois qu’il demouroit
touſiours par deuers le peuple vne bonne portiõ
de la puiſſ ance & anthorité. On voit cela en l’eſt at
Democratique, auquel aucuns eſleus en ceſt e
charge demandent les auis & recueillent les
voix du peuple, n’oſans au reſt e rien ordõner ſans
ſon conſentement. Ceux-cy ſont appelez Magiſt rats
populaires.
Autres y en a, qui ayans mieux aimé le gouuernement Ariſt ocratique, ont choiſi & eſleu vn certain
nombre des meilleurs de leurs citoyens, auſquels
ils ont cõmis toute la conduite de leur eſt at
& choſe publique.
Ceux qui ont plus priſé le gouuernemert d’vn
ſeul, l’ont eſleu & eſleué ſur eux pour les gouuerner
& conduire comme Monarque & ſouuerain.
Mais il ne ſe trouuera iamais, qu’il y ait eu vn peuple
ſi ſot & mal aviſé, qui ait eſleué vn magiſt rat ſur ſes eſpaules, auquel il ait donné puiſſ ance &
authorité abſolue de commander indifferemmẽt
tout ce qu’il voudroit au peuple, qui l’auoit eſleu.
Au contraire touſiours le peuple en ſe ſoumettant
au magiſt rat, la auſsi lié & comme attaché à
certaines loix & conditions, leſquelles il ne luy eſt
permis d’enfreindre ny outrepaſſ er.
On voit encores auiourdhuy cela aux eſt abliſſ emens
& couronnemens des Rois : où l’on leur
offre certaine forme de iurement, qu’ils preſt ent
deuant qu’eſt re eſt ablis : s’aſt reignans par iceluy
aux conditions qui leur ſont offertes.
Sous telles conditions le Magiſt rat regne, &
ſous telles conditions luy doit le peuple obeir,
n’eſt ant en rien honeſt e d’eſt endre le commandement
ny l’obeiſſ ance hors ou par deſſ us icelles
conditions, que nous pouuons appeller, vltro citróque
& reciproquement obligatoires.
Nous auons vn ancien exemple de cecy aſſ ez à
propros au regne d’Iſrael. Dieu eſlit Dauid &
ſa poſt erité pour regir & gouuerner les Iſraelites.
Ils ſe ſoumettent à ſon Empire, ſous certaines
conditions & formule de iurement, que l’on
peut recueillir des paſſ ages de l’Eſcriture, où l’hiſt oire
du regne du roy Ioas eſt traitee : Là il eſt
dit que Ioiada ſacrificateur ſt ipulant, l’alliance
fut faite comme de nouueau entre Dieu, le Roy
& le peuple.
Dieu teſmoignoit par la bouche du Sacrificateur,
qu’il recognoiſſ oit ce peuple là pour ſon peuple :
& le peuple de ſa part reclamoit Dieu pour
ſon Dieu.
Item le Roy de ſon coſt é promettoit de regner
ſelon Dieu, & le peuple d’obeir au Roy ſelon
Dieu.
Le meſme ſerment & alliance ſe trouue faite
en l’Eſcriture ſous Ioſias & autres Rois. En ſomme
iamais ne s’eſt veu qu’il y ait eu homme eſl eué
en degré par deſſ us les autres, ſans auoir premierement
fait quelques promeſſ es & ſermens
au peuple, ou à la nation à laquelle il eſt oit prepoſé.
On voit encores auiourd’huy les formules de
iurement de l’Archeduc d’Auſt riche, du roy des
Romains, du roy de France, quoy qu’elles ayent
eſt é viciees par l’entremiſe de Meſſ ieurs les Papes
Romains.
Apres auoir veu l’origine & forme de la creation
des magiſt rats, voyons maintenant quelle
eſt la cauſe & occaſion, pour laquelle ils ont eſt é
creez. Nous trouuerons qu’il n’y en a point d’autre
que le ſalut du peuple. Afin, ce dit l'Apoſt re,
qu’ils ſoyent en terreur & eſpouuantement aux
meſchans, & en ſeureté & conſeruation aux
bons.
Ariſt ote en ſes Politiques dit tresbien : Que
tout ainſi qu’au Pilote, l’heureuſe & proſpere nauigation :
au medecin, la ſanté du patient : au Capitaine,
la vict oire : auſsi au Roy le ſalut & conſeruation
du peuple doit eſt re touſiours deuant
les yeux.
Et partant le peuple ayant eſleu ou autrement
eſleué premierement, le Roy à ceſt e fin, le Roy
auſſ i eſt ant obligé à telle condition toutesfois & quantes qu’il s’en deſuoye : quand de bon prince
il deuient Charles 9. quand ſeulement il prepoſe
fon priue au public : augmentant auec le detriment
du peuple ſes coffres & reuenus : lors l’obligation
du coſt é du peuple eſt rompue : lors eſt le
peuple deliuré de ce qu’il deuoit à ſon Roy. Ne
pouuant l’Empire & gouuernement eſt re dit iuſt e
& legitime, auquel l’on a tellement eſgard au
bien particulier du Prince qu’on en vient à intereſſ er
le public de tout le Royaume.
Outre ce que dict eſt , il faut qu’vn Roy ſoit legitimement
appellé à la Royauté, ſelon les couſt umes
& loix du pais, pour pouuoir eſt re dit Roy
legitime. Autrement s’il vient à vſurper le ſceptre,
il ſe rend indigne du titre & des priuileges d’ũ
Roy Cecy ſoit dit tout en paſſ ant, en faueur de
ceux de Lorraine : ſur leſquels, comme tu ſcay mieux,
les predeceſſ eurs de nos Valois ont vſurpé la
Couronne.
Or les Rois ſont appellez au royaume, ou par
ſucceſsion en lieux où le droit de regner eſt tranſmis
aux heritiers : ou par elect ion : ou par ſucceſsion
& par elect ion tout enſemble. Ceſt e derniere
façon de creer les Rois eſt merueilleuſemẽt
à l’auantage & benefice du peuple : eſt ant choſe
tout aſſ euree que là où le droit de ſucceſsion eſt
ſimplement obſerué, le plus ſouuent la Royauté
eſt tranſportee à perſonnes indignes, d’où ſort
vne infinité de malheurs & deſaſt res, nous l’auons
veu, nous le ſauons, nous le ſentons ſi nous ne ſõmes
ladres. Là où l’elect ion ſeule eſt pratiquee,
on baille entree aux ſeditions & partialitez, deſquelles naiſſ ent le plus ſouuent des guerres ciuiles,
ruine des peuples & eſt ats. Mais quand la choſe
eſt temperee, de ſorte qu’on ne reiect e pas temerairement
la famille ſous laquelle le peuple a
accouſt umé d’eſt re conduit : ains enquiert-on diligemment,
ſi c’eſt pour le bien du peuple de l’eſlire
ou reietter : c’eſt s’y conduire ſagemẽt de tout
point Telle eſt oit ancienement la façon d’eſleuer
les Rois. Ainſi a eſt é pratiqué en l’Empire
de Dauid (duquel toutefois Dieu eſt oit l’autheur
& en la famiile duquel il vouloit conſeruer le ſceptre)
où les aiſnez n’ont pas eſt é eſt ablis indifferemment
Rois. Roboam apres la mort de Salomon
fut appellé par droit de ſucceſsion au Royaume :
mais ce fut par l’auis des douze lignees, qui
pour c’eſt effet s’aſſ emblerent.
Ces choſes ainſi premiſes, ie vien à la queſt ion
propoſee. S’il eſt loiſible aux ſuiets de reſiſt er au
magiſt rat, & iuſques où telle licence s’eſt end.
Mais deuant toute œuure, il faut entendre, que les
ſuiets ne ſont pas tous d’vne meſme condition.
Car les vns ſont ſimplement ſuiets priuez : les autres
ne ſont dits ſuiets qu’à raiſon du magiſt rat
ſouuerain : tels ſont les magiſt rats inferieurs.
Mais à ſcauoir mon ſi le Souuerain magiſt rat
ou Roy eſt tellement ſouuerain, qu’il n’ait nul
fors que Dieu eſt ably deſſ us luy. Il ſemble bien
qu’on pourroit dire que apres Dieu le Roy eſt le
premier : ie l’accorde, mais non pas abſolument.
Car, comme i’ay defia dit, les gens n’ont iamais
eſt é ſi ſots & mal auiſez de donner à aucun tant
de ſouueraine puiſſ ance, qu’ils ne ſe ſoyent touſiours reſeruez de tenir comme par les renes vne
bonne & forte bride, de peur que la Royauté, cõme
en vn chemin gliſſ ant, ne tombaſt toſt en tyrannie.
Mais ils n’ont ſceu ſi bien faire (tant le peuple
eſt aiſé à piper) que ce malheur, que ce deſaſt re
ne ſoit auenu mille fois.
L’authorité des anciens rois des Romains eſt oit
ſouueraine, mais elle eſt oit retenue par le
Senat.
Les anciens Rois dechaſſ ez par leur ambitiõ,
violence, & paillardiſe, l’authorité ſouueraine demeura
au ſenat Romain : tellement toutefois que
l’authorité des Tribuns du peuple luy ſeruoit de
frein & de bride.
Les Lacedemoniens auoyent deux familles à
Sparte, deſquelles ils eſliſoyẽt leurs Rois : le frein
& bride qui les tenoit en office eſt oyent les Ephores,
c’eſt à dire les voyans ou regardans & obſeruateurs.
A ceux-cy eſt oit loiſible de condamner
& chaſt ier les Rois, qui abuſoyent de leur charge,
comme tu ſcay qu’il auint à Pauſanias.
Tel eſt auiourd’huy en l’empire Romain le
Sept-virat : ſcauoir les Princes Elect eurs. Ceux-cy
n’ont pas ſeulement droict d’eſt ablir les Empereurs,
ains auſsi de les deſmettre. Teſmoin en
eſt : Vvenceſlaus Empereur priué par eux de l’Empire
l’an 1400. Munſt er recite la forme de l’abrogation.
Le mefme a eſt é obſerué aux Rois de France,
du temps que l’authorité des Eſt ats (que ceux de
Valois ont abbatue) eſt oit en ſa force : laquelle auſsi s’eſt endoit iuſques là, comme tu ſcay, qu’il
n’eſt oit permis au Rois de declarer, ny faire guerre,
ny d’impoſer tribut ou ſubſides nouueaux ſans
le conſentement des trois eſt ats : eſquels neantmoins
les gens d’Egliſe n’eſt oyent aucunement
comprins : ains ſeulement ceux de la Iuſt ice, ceux
de la Nobleſſ e, & le Peuple. Et eſt oit leur authorité
telle, qu’ils depoſoyent les Rois quand l’occaſion
le requeroit pour leur desbauche, inſolence,
faineanciſe, incapacité & autres ſemblables
choſes.
Nos hiſt oires nous font mention , comme tu
ſcay trop mieux, de huict Rois de France deſmis
par l’authorité des Eſt ats.
Childeric en eſt l’vn, deſmis en l’an 469. Eudon,
l’autre deſmis vn peu apres. Vn autre Childeric,
l’an 679. Theodoric l’an 696. Chilperic
l’an 750. Charles le Gros, l’an 890. Odon, l’an
894. Charles le ſimpie, l’an 926.
Quant à noſt re Charles le traiſt re, ils ne l’euſſ ent
ia deſmis : il n’eſt pas vray-ſemblable : ils euſſ ent
eu eſgard à ſes belles vertus, à ſa pieté, à ſa iuſt ice :
ils euſſ ent porté reſpect à ſa mere qui peut
tout, & au Peron qui la ſurmonte, & gouuerne
tout à ſon tour.
Mais ſi la liberté des Eſt ats, n’euſt eſt é opprimee,
ils euſſ ent bien deſmis d’autres Rois, qu’on
euſt peu nommer bons, tresbons, les comparant
aux moindres traits de ceux que Charles a
ioué au poure & miſerable peuple : cõme les Romains
demirent Tarquin à raiſon de ſes outrages
& violences.
En Angleterre les Parlemens, qui ont meſme
puiſſ ance qu’auoyent les eſt ats en France, ont ſouuent
condamné leurs Rois.
Cela eſt hors de toute doute que ceux qui ont
la puiſſ ance de deſlier, ont auſsi pouuoir de lier.
Et partant és lieux où ceſt ordre eſt eſt ably,
qu’il y en a quelques vns qui ſeruent de bride aux
Rois, & aux loix de ſeure garde : ie dis que ceux là
ſans faillir peuuent & doiuent reſiſt er aux iniques
ou prophanes commandemens des Rois. Et ne
peuuent ceux-là laiſſ er la royauté & legitime gouuernement
degenerer en tyrannie ſans commettre
vne manifeſt e trahiſon enuers le peuple : qui a
eſleu tels eſt ats principalement à celle fin, qu’ils
empeſchent la tyrannie. Que ſi de malheur elle y
ſuruient, (comme nous la voyons par nos pechez
arriuee à ſon comble, diſpoſant des biens & des
corps, de l’honneur & de l’ame à ſon gré) c’eſt aux
ſuiets priuez de recourir au remede vers les eſt ats :
eſt ant choſe toute aſſ euree, que ces trois eſt ats
ſont comme ſouuerains magiſt rats par deſſ us
le Roy en ceſt endroit, quoy qu’ils ſoyent priuez
& au deſſ ous du Roy pour vn regard ordinaire.
Que ſi ce droit là des eſt ats vient à deſcheoir
& à ſe perdre ? Ie te reſpõs, & fort bien ce me ſemble :
que les Rois qui ont ſi ſouuent en leur bouche,
qu’on ne preſcrit rien contre eux, nous enſeignent
auſsi de dire, qu’il n’y a point de preſcriptiõ
contre les droits du peuple & des eſt ats. Et que
la loy ciuile de laquelle nous vſons, qui a la raisõ
pour ſon ame, nous enſeigne & apprẽt, qu’vn poſſeſſeur de mauuaiſe foy ne peut preſcrire aucunement.
Les rois de France promettẽt & iurent à leurs
Couronnemens, qu’ils conſerueront, vn chacun
en ſon ordre, reng & degré : quand ils font le contraire,
qu’ils violent les bonnes loix & les bons edict s
en quelque façon que ce ſoit, ils ne ſont plus
Rois, ains Tyrans.
S’ils repliquent : Il y a cent ans deux cens, voire
ſix cẽs ans que nous vſons de tel & de tel droit.
(Car tel eſt noſt re plaiſir) & pour autant ce droit
nous eſt preſcrit.
Ie reſpons, que ſi on fueillete les hiſt oires de
noſt re France, on trouuera qu’il n’y a pas plus de
ſoixante ans que la liberté des eſt ats y a eſt é opprimee,
& que les Rois y ont eſt é comme l’on dit
mis hors de page. Mais quand bien ce ſeroit de
plus long temps, ie tourne dire, que la preſcription
contre les bonnes mœurs & cõtre les droits
du peuple eſt inualide. Mais l’on me dira : Les eſt ats
ne peuuẽt ou ne veulent s’aſſ embler, ou s’ils
s’aſſ emblẽt, la plus grãd part emporte, touſiours
la meilleure : ne ſera-il donc permis à vne ou à
l’autre partie des trois eſt ats, ce qui eſt loiſible à
toutes les trois enſemble ? Ie reſpons que non,
pour euiter aux partialitez qui s’en pourroyent
ſourdre : Ayans à ceſt é fin eſt é eſt ablis trois, que
toutes choſes ſe fiſſ ent auec bon ordre & ſain iugement :
& que le chemin ſoit couppé à la diſsipation
du peuple, qui autrement s’en pourroit bien
enſuyure.
Qu’eſt -il donques beſoin de faire quand vne partie du corps eſt ſi extremement greuee, qu’elle
ne peut plus ſupporter ſon mal ? En tel cas il
faudra diligemment conſiderer, quelle eſt la cauſe
de ſes plainct es, & le but auquel elles tendent.
Car il y en peut auoir qui ſe plaindront de la tyrannie,
enuers lesquels toutefois on n’vſera que
de iuſt e & legitime commandement.
Eſt ans certains de la bonté & iuſt ice des complaignans,
en ſe ſouuenant qu’il n’eſt pas permis
à vne partie, ſoit en chaſt eau, ville ou prouince,
ce qui eſt propre & appartenant au tout : apres
que celle partie greuee aura admonneſt é & auerty les
autres ſes compagnons de leur deuoir &
charge : & qu’ils n’y voudront entendre : il luy ſera
permis & loiſible par tout droit & raiſon diuine,
humaine, politique & des gens : non de deſmettre
le tyrã, iaçoit que par le droit il deuſt eſt re
deſmis : mais fort bien de ſe ſouſt raire de ſa ſuiect ion,
& de ſe deffendre contre la tyrannie, & violence
de celuy, qui au lieu d’eſt re Paſt eur & pere
du peuple en eſt le volleur & brigand.
Cela peut il faire en bonne conſcience, & laiſſ er
perir cependant qui veut perir à ſon eſcient.
N’eſt ant aucunement raiſonnable que pour la laſcheté
& nonchalance d’autruy mon droit, mon
bien, mon honneur & ma vie, voire mon propre
ſalut ſoit abandonné & perdu.
Par le droit Feudal, pour les meſmes cauſes
que le vaſſ al perd le fief, ſcauoir pour felonie,
pour icelles meſmes le haut Seigneur le perd :
pource que, comme dit la Loy, l’obligation d’entre eux deux eſt mutuelle & reciproque. Le ſemblable
eſt d’entre vn Roy & ſes fuiets, qui luy sõt
comme vaſſ aux.
Chacun ſcait combien la puiſſ ance des Seigneurs,
ou maiſt res enuers leurs ſerfs & eſclaues
eſt grande : toutefois ſi le Seigneur ne prouuoit
& ſubuient au ſerf en ſa maladie, le ſerf ſans autre
manumiſsion eſt declaré libre par la loy : laquelle
n’a eſt é ordõnee qu’à celle fin que ceux qui ont
quelque authorité & puiſſ ance n’en vienent point
a abuſer.
La condition des ſuiets ne doit pas eſt re pire
que celle des ſerfs. Que ſi le ſerf eſt fait libre,
quand ſon Seigneur abuſe de ſon pouuoir, pourquoy
ne ſera-il le ſemblable des ſuiets ?
Les Suiſſ es, deſquels nous parlions n’agueres
ſe ſont ſouſt raits, comme les hiſt oires en font foy
de la ſuietion & obeiſſ ance de la maiſon d’Auſt riche,
à laquelle ils s’eſt oyent obligez ſous certaines
conditions :pource que la maifon d’Auſt riche
ne les daignoit accomplir de ſa part. Ainſi
ſont ils auiourd’huy libres, ayans ſecoué, non
pas abbatu l’Empire de celle maiſon : laquelle
cependant cognoiſſ ant ſa grand faute à approuué
leur ſubſt ract ion & reuendication de leur liberté.
Quant à nos poures freres de la Rochelle, s’eſt ans
autresfois diſt raits de la ſuietion des Anglois,
ils ſe ſousmirent au Roy de France ſous certaines
conditions, que Froiſſ ard recite en ſon
hiſt oire.
Toutes les autres villes de la France pareillement
ſont ſoumiſes ſous des conditions & auec
ſpeciaux priuileges, qu’on leur a iuré & promis.
Puis que celuy à qui elles ſont ſoumiſes, n’obſerue
ce qu’il a promis, & qu’il n’y a point de moyen
d’auoir vn iuge, pourquoy ne leur ſera-il loiſible
de ſe diſt raire de telle ſuiect ion ? Et de ſe faire à
vn beſoin iuſt ice à eux-meſmes de tant de concuſſions,
extorſions, violences, paillardiſes, cruautez,
trahiſons & autres telles infametez, deſquelle les
brigans & volleurs abuſans du ſacré nom de Roy,
de Pieté & de iuſt ice, commettent en leur endroit.
Ioram fils de Ioſaphat ayant ſuccedé à ſon pere
au royaume de Iuda, introduiſit les dieux eſt rãges
& le ſeruice des Idoles parmi le peuple. Lobna
ville ſacerdotale en Iuda voyant cela, ſe retira
de luy pour ne plus eſt re ſous la main de Iorã :
pource, ce dit l’Eſcripture, qu’il auoit delaiſſ é
Dieu le Seigneur de ſes peres. 2.Chron.21.
Il n’y a nulle doute qu’entre nous, les loix diuines
ne doiuent eſt re en plus grand poix & eſt ime
que les humaines.
Le Magiſt rat eſt eſt ably pour eſt re en terreur
aux meſchans. Ceux-là ſont plus meſchans, qui
violent les loix diuines, que ceux qui ſimplement
contreuienent aux loix humaines. Or s’il eſt
permis de ſe ſouſt raire du magiſt rat violant la police
humaine, à plus forte raiſon de celuy qui a
violé toutes choſes ſainct es, voire l’humanité meſmes,
qui a deſpouillé toutes affect ions naturelles,
ſecoué entant qu’en luy eſt tout ioug et cognoiſſance de la deité, & corrompu & diſsipé en toutes
ſortes la Religion, laquelle eſt le principal lien de
la ſocieté humaine.
Item s’il faut fuyr la ſedition en la police humaine,
à plus forte raiſon la faut il fuyr en l’Egliſe
de Dieu & aſſ emblee Chreſt iene : laquelle eſt
liee & conioinct e eſt roitement par le treſſ ainct
& ſacré lien du ſainct Eſprit. Cependant en la tyrannie
Eccleſiaſt ique du Pape, qui a corrompu
toute doct rine & violé tout ordre en l’Egliſe, n ayant
eſt é permis d’aſſ embler vn Synode libre, qui
euſt eſt é comme les trois eſt ats en la police, auquel
il euſt fallu recourir, n’ayant, dis ie, eſt é loiſible
de l’aſſ embler, parce qu’il euſt eſt é beſoin le
demander aux meſmes tyrans, & par conſequent
approuuer la tyrannie Papale : cependant, dis-ie,
il a eſt é permis à vne partie, pendant que la plus
grand part ſommeilloit en profondes tenebres,
de ſe diſt raire d’icelle tyrannie, ſans encourir entre
les bons le nom de ſciſmatique. Pourquoy eſt imerons-nous
ceux-là ſeditieux qui ſe retirent
de la ſuiect ion d’vn magiſt rat periure, perfide,
cruel oppreſſ eur de peuple, mangeſuiet, de l’infameté
duquel toute la terre eſt infect ee ?
L’hi.Mon Dieu que ie ſuis aiſe de t’auoir ouy auancer
& deduire tant de bonnes & belles raiſons pour
la iuſt ification de nos freres. Elles ne
ſont que trop ſuffiſantes pour prouuer, qu’il a eſt é
loiſible à la Rochelle & autres villes & provinces
oppreſſ ees du reng deſquelles on peut mettre
toute la France, au quatre coins & au milieu,
de l’obeiſſ ance & ſuiect ion du tyran : & pour le moins de ſe deffendre contre l’inuaſion de ſes ſatellites,
concuſsion de ſes officiers, oppreſsion de
ſes gabelliers, violences & infametez de ſa cour :
Et, pour le dire en vn mot, contre tout ce qui procede
de luy & de ſes Ianniſſ aires.
Et tant s’en faut qu’en ſe deffendant, ou retirant
du tyran, on acquiere le nom de ſeditieux,
qu’au contraire ceux-là ſont treſmauuais concitoyens,
compatriotes, & mauuais voiſins, qui ne
s’adioignent à eux.
Le pol. Cela eſt hors de difficulté, que ceux qui
deſirent la conſeruation de la France, & ſur tout
de l’Egliſe de Dieu, ſe doiuent ioindre à eux. Et
aſſ eure toy, que ceux qui par couardie, ou autrement
laiſſ ent les ſecourir, orront vn iour & à bon
droit prononcer la ſentence contre eux, que Debora
donna contre la ville de Meros, pourtant
qu’elle ne vint point à l’aide du Seigneur cõtre Iabin
roy de Chanaan. Iug.5.22.& 23.
Cependant le Seigneur ne lairra point de faire
ſon œuure, pour paracheuer leur entiere deliurance,
comme il a commencé, ainſi que ie te diray.
Mais ie te prie paracheue ce que tu as à dire,
& te deſpeche, afin que i’aye auſsi quelque peu de
loiſir de t’entretenir de ce qui s’eſt paſſ é en mon
voyage.
L’hi. Ie le veux bien : que pleuſt à Dieu que les Seigneurs
des cantõs Papiſt es t’euſſ ẽt ouy diſcourir
en plein Cõſeil de la iuſt ice de la cauſe de nos freres,
de la puiſſ ance des magiſt rats, & iuſques où elle
s’eſt end. Ie m’aſſ eure que cela ioint auec les autres
occaſions qu’ils ont de tenir pour ſuſpect es les forces des tyrans, qui ne pardonnent iamais
aux loix, aux confederations & ligues : ains plantent
touſiours leurs limites là où le bout de leurs
eſpees s’eſt end, les euſt engardez de deſpeupler
leurs terres, & de deſgarnir leurs maiſons de leurs
gẽs. Cela, dis-ie, euſt eſt é ſuffiſant, pour faire que
le Conſeil euſt arreſt é tout court les plus ambitieux
& auares, & les euſt engardé d’emmener
leurs combourgeois à la boucherie. Cependant
cela eſt fait : il n’y a plus d’ordre, & ie m’aſſ eure
qu’ils ne feront pas grand mal aux noſt res pour ce
coup cy.
Le pol.Ie t’en reſpons & te le iure : ils n’ont eu garde
d’approcher plus pres que de l’artillerie les
murailles de la Rochelle, que ſi aucuns ont paſſ é
outre, ils ont eſt é tresbien frottez. Mais voila le
mal qu’ils ont fait : ils ſe ſont faits battre & tuer,
eux qui aiment leur liberté, pour nous vouloir rauir
la noſt re : & ont touſiours en ce faiſant veſcu
deſſ us Iaques bon homme. Puis rapporteront au
retour l’argent & ſueur du bon homme, apres
qu’ils l’auront bien pillé. S’ils apprenoyent vne
fois à cognoiſt re la grande difference qui eſt d’entre
vn tyran & la Couronne, qu’ils appellent, voire
d’vn Roy à ſon Royaume : ie m’aſſ eure qu’ils
n’auroyẽt garde d’outrager, d’offẽſer & perdre vn
ſi grand & ſi puiſſ ant corps, comme eſt celuy de
Frãce, à l’appetit d’vn ſeul tyran , & pour les paſſ ions d’vne
femme.
L’hi.Certainement ie le croy. Mais, comme i’ay
dit, c’en eſt fait pour ce coup cy : vne autre fois ils
pourront eſt re poſsible quelque peu plus ſages.
Quant aux Cantons de la Religion, ils n’ont
garde d’y auoir enuoyé de leurs gens : pluſt oſt leur
ont-ils deffendu ſur peine de la vie d’y aller, & cõmãdé
de ſe tenir preſt s & armez, tãt ils ont craint
és premiers iours apres le maſſ acre, que quelque
orage tombaſt deſſ us eux, & ſur leur eſt at. Et cela
a eſt é cauſe, auec la crainte auſsi qu’ils auoyent
de faire naiſt re vne guerre ciuile d’entre eux & les
cantons Papiſt es, qui deſia, comme ie t’ay dit, eſt oyent
embarquez du coſt é du tyran, qu’ils n’õt
baillé aucun ſecours à nos freres : quoy qu’ils confeſſ aſſ ent ingenuement d’y eſt re tenus & obligez
par la loy de Dieu & des hommes.
Bien eſt vray qu’ils ont monſt ré & tous leurs
ſuiets auſsi d’auoir vn extreme deſplaiſir & compaſsion
de noſt re fait m’aſſ eurant en teſmoignage
de leur bonne volonté que tous les François
Huguenots foruſcis ſeront les tresbien venus &
ſeurement cõſeruez en leurs terres : & qu’ils n’oublieront
riẽ du deuoir de charité enuers eux : mais
qu’ils ne pouuoyent du tout rien plus que cela
pour maintenãt : deſia auoyent-ils recueilly à Baſle
& bien fort honorablement les petits ſeigneurs
de Chaſt illon, & de Laual, Meſdames d’Andelot
& de Teligny, la damoiſelle de Laual & pluſieurs
autres gentilshommes & peuple François, & auſſi
bon nombre de Miniſt res refugiez, qu’ils entretienent
çà & là à leurs deſpens deſſ us leurs terres.
Le pol. Dieu ſoit loué, de ce que leur charité au
moins ſe monſt re en cela qu’ils recueillent liberalement
ces ieunes Seigneurs & nos autres freres François : ils ne ſcauroyent mieux condamner
toutes les act ions du tyran, ſes proſcriptions &
cruautez, qu’en vſant d’hoſpitalité enuers les poures
oppreſſ ez qu’ils iuſt ifient en les hebergeant.
L’hi. Ie t’aſſ eure l’amy, qu’ils le font fort volontiers.
Le ſemblable auſsi (ce que i’auois oublié à
te dire) font les Seigneurs Proteſt ans : & de meſme
la royne d’Angleterre par tout ſon Royaume
& pais, recommandant les eſt rangers autant
quelle peut à ſes ſuiets.
Le pol. Dieu leur vueille rendre, & à tous ceux
qui vſent de telle charité, le guerdon qu’il leur a
promis au nom de ſon fils Ieſus Chriſt noſt re Seigneur.
L’hi. Ainſi ſoit-il. Oray-ie acheué de te dire tout
ce peu que i’ay exploict é en mon voyage, excepté
pour ne point mentir, quelques particularitez ſecretes,
qu’on m’a chargé de faire entendre à ceux
qui nous ont enuoyé. C’eſt maintenant à toy l’amy,
à m’entretenir à ton tour de ton voyage.
Le pol. C’eſt bien raiſon. Sus donc, eſcoute.
Ainſi que i’approchois la France, par tout là
où ie logeois i’oyois tant dire de nouuelles des
volleries & inhumanitez qu’on exerçoit ordinairement
par les chemins, emmy les champs & par
les villes, & ie tenois cela pour ſi certain, qu’il me
ſembloit bien que i’allois à vne mort toute preſente
ou bien à vn ſecond enfer : tellemẽt que peu
s’en fallut, tant mon infirmité fut grande, que ie
ne rebroſſ aſſ e mon chemin auec vn vœu de iamais
ny rentrer. Et n’euſt eſt é que noſt re Dieu,
que ie me prins lors à prier, me fortifia & me fit paſſ er outre ſur toutes ces difficultez, i’euſſ e fuy
auec vn Ionas, pluſt oſt que de faire ma charge. A
la fin ie m’y hazarday : mais ie ne fu pas ſi toſt en
France, que dés la premiere iournee ie m’apperceu
trop cleremẽt que i’eſt ois au vray monde des
miſeres & dans vn royaume de beſt es, ou biẽ plus
toſt de traiſt res & brigans. A la premiere hoſt ellerie
où ie logeay, i’entendy vn qui ſe plaignoit de la
grande cherté de viures : l’autre diſoit, les groſſ es
tailles qu’on va redoublant tous les iours, ces
grands impoſt s nous ruinent, nous mangent : &
puis les inuentions nouuelles que ces bougres
d’Italiens donnent au Roy pour arracher du peuple
tous les deniers de ſa ſueur, nous acheuent à
bon eſcient de peindre : au diable ſoyent les Atheiſt es :
ils vienent la plus part en France pour
nous aider à eſcorcher, pour nous gabeller &
nous tondre, & pour ſuccer iuſques au ſang les
poures gens. Les autres y vienent auec vne main
de papier, ou auec vn liure de raiſons, Dieu ſcait
quel liure : ils dreſſ ent apres leur banque dans Paris,
dedans Rouen, ou dedans Lyon : & lorsqu’ils
ont bourſe garnie, ils font le ſaut, la Banque route.
C’eſt le vray moyen de gaigner, voire de paſſer
en credit les plus grands Princes de la France.
Et qu’il ſoit vray qu’on le demande au Peron, au
comte de Rets. Tu te trompes, repliquoit l’autre,
il eſt paruenu autrement que tu ne penſes le
bon homme : ne ſcay tu pas ce qu’on dit en prouerbe :
Pour bien ſeruir & loyal eſt re,
De Maquereau on deuient traiſt re :
Traiſt re, Maquereau & Ruffien
Ne peut faillir d’auoir du bien.
De par le gibet, c’eſt le moyen de paruenir. La
Royne mere ayãt receu ceſt uy-là, dont tu parles,
entre ſes premiers eſt allons, la recognu eſt re vn
digne inſt rument pour illuſt rer la grandeur de ſa
race, & la Maieſt é de ſes enfans, pour redreſſ er les
ruines de la France, & pour appuyer & ſouſt enir
ce poure Royaume, que ceux de Guyſe auoyent
tant esbranlé : qui, lequel donques ? ce Landry, ce
fils de putain du Peron : la male peſt e qui le creue auec
ſa dame Brunehaut, repliquoit vn autre
poure homme : ils ont fait eux deux plus de mal
que ne firent iamais enſemble tous les Lorrains
& les Guiſars : ce n’eſt oit lors que belles roſes
au prix des ronces, dont ceux cy eſgratinoyent
le poure peuple. Et puis les Lorrains, les Guiſars,
ce ſont des Princes appartenans en pluſieurs
ſortes à la France : & poſsible auſsi que la France
leur pourroit bien appartenir.
Mais ces deux-cy ces Florentins, auec l’aſne
qu’ils ont choiſi, ce meſchant bougre de Chancelier :
ces trois Italiens tant fameux, chacun ſcait
d’où ils ſont venus : mais on n’entend pas leurs menees.
Ie ne ſcay pas s’on les entend, diſoit vn autre,
ſi ſcay-ie bien qu’on eſt biẽ ladre s’on ne les ſent.
Ce ſont ceux là qui nous ont remis auec le
Gonſage, & Lanſac, ainſi auant dedans les miſeres
& calamitez, qui nous accableront tous enſemble.
Adiouſt ez y le Roy luy-meſmes, & ſon frere
le beau Monſieur : vous ne ſcauriez dire, lequel de
tous ceux là vaut mieux que l’autre. Que pleuſt à
Dieu qu’ils fuſſ ent tous chaſt rez comme ils le meritent.
Le chaſt iment du Parricide, c’eſt de les ietter
à val l’eau dans vn ſac de cuir, bien couſu auec
vn ſerpent, ce me ſemble, vn coq & vn ſinge auſſi.
O que cela conuiendroit bien à vn Charles le
parricide ! à Catherine la couleuure, le coq ſeroit
noſt re Monſieur, & le Peron ſeroit le ſinge : ce ſeroit
aſſ ez de ces quatre, les autres auroyent belle
peur. On purgeroit toſt le Royaume de garnemens :
ie m’aſſ eure bien, diſoit l’hoſt e, que s’ils
s’en vont à la Rochelle, ils n’en reuiendront ia
tous : ou il y aura de la iuſt ice auſsi peu au ciel
qu’en la France. Toutefois ceux-cy n’ont garde
d’aller auant dãs la meſlee, ils craignẽt les coups,
les tyrans. Mais il y font aller les autres pour en
auoir leur paſſ etemps. Hé que de braues gentilshommes,
que de ſeigneurs, que de ſoldats y vont
mourir : c’eſt grand pitié : c’eſt grand dommage.
Si l’eſt ranger nous venoit ſur les bras, A dieu la
France, elle tomberoit aiſément és mains du premier
aſſ aillant, maintenant qu’elle eſt deſpourueue
& qu’elle s’en va deſpouillant iournellemẽt
de ſes bras droits, de ſes parreins, ſes deffenſeurs.
Voila la plus part des deuis que i’entendois tenir
à table, auprès du feu dans les logis. Et Dieu
ſcait ſi ces harẽgueurs en deſpitant à tous propos
accompagnoyent leurs beaux diſcours de iuremens
& de blaſphemes, ie n’eu onques tant de regret,
i’eſt ois contraint leur laiſſ er dire, ie n’oſois point me deſcouurir ny faire ſemblãt de mõſt rer
quel des partis ie maintenois. Cependant i’allois
pourſuyuant mon chemin, n’ayant eu preſque iamais
faute d’vn entretien de meſme eſt offe ſelon
les gens que ie rencontrois : Dieu voulut qu’vn
iour ie trouuay par les chemins deux gentils-hõmes
de la Religion, qui s’eſt oyent depuis les maſſacre
reuoltez de peur de la mort, bien montez &
armez de meſmes qui s’en alloyent tout droit au
camp aſſ emblé deuant la Rochelle : non pas, ce
diſoyent-ils, afin de faire mal aux aſsiegez : que
pluſt oſt ils mourroyent mille morts que le penſer :
ains ſeulement pour empeſcher qu’on ne confiſcaſt
tous leurs fiefs & qu’on les rendiſt roturiers,
ſuyuãt le ban qui en eſt oit fait & publié par
toute la France contre ceux qui refuſeroyent de
ſe trouver en celle armee : & auſsi pour plus ſeurement
garantir, eux & leurs familles en monſt rant
l’atteſt ation de leur ſeruice.
Ces poures gens à demy morts de la faſcherie
qu’ils auoyent d’auoir offenſé Dieu contre leur
conſcience portoyent vn incredible regret des
cruautez exercees ſur nos freres, des trahiſons,
deſloyautez & autres confuſions qu’on voyoit
emmy le Royaume. Et en ſouſpirant maintefois
monſt royent de porter vne enuie de recouurer
leur liberté, comme qu’il fuſt , fuſt ce au prix de
leur vie, ſi l’occaſion ſi preſentoit.
Ceux-là m’aſſ eurerẽt que Sancerre, où i’auois
enuie d’aller tout premierement eſt oit de bien
pres aſsiegee, & la Rochelle tout de meſmes, qu’il
n’y auoit moyen d’y entrer ou de ſe gliſſ er dans le parc des ouailles qu’en ſe meſlant auec les loups,
lors qu’il y a eſcarmouche dreſſ ee : mais que le dãger
y eſt oit grand de toutes parts. Oyant cela apres
auoir prins langue d’eux ſur ce qu’ils ſcauoyent
de l’eſt at de nos freres aſsiegez : entendant
qu’ils eſt oyent aſſ ez bien garnis pour quelques
temps & reſolus d’eux tresbien deffendre, ie prins
mon chemin tout droit vers nos freres du Dauphiné,
que ie trouuay ẽ pluſieurs endroits de leur
poure patrie eſpars ſous diuers Capitaines, qui
par montagnes & couſt aux, qui par les champs,
qui par les villes, par les villages & chaſt eaux.
Montbrun, Mirebel, l’Edyguier, & auec eux nõbre
de gentilshommes eſt oyent ceux-là qui conduiſoyent
nos poures freres ramaſſ ez, armez au
moins mal qu’ils ont peu pour ſe conſeruer tous
enſemble contre l’effort des ennemis, leſquels ils
battoyent bien ſouuent & eſt oyent battus à leur
tour.
Apres que i’eu fait entẽdre aux principaux des
Chefs & du Conſeil l’occaſion de ma venue, &
qu’ils m’eurẽt ouy tout au long, ils remercierent
beaucoup de fois Dieu & l’Egliſe qui m’auoit enuoyé,
de la bonne ſouuenance & cõpaſsion qu’elle
auoit de leur eſt at, des bons auis & ſainct es ordonnances,
que Daniel leur auoit dreſſ ees : les recognurent
fort neceſſ aires à leur conſeruation.
Mais pour ce qu’il y pourroit auoir des difficultez
ſur quelques articles : & principalement, quãd
il ſeroit queſt ion de les mettre en pratique, pour
le peu de cognoiſſ ance que les Frãçois ont d’vn eſt at
libre, & bien conduit : ayans eſt é preſque touſiours nourris en ſeruage, & commandez à baguette
comme l’on dict , au plaiſir de ceux que les
Rois leur eſleuoyent deſſ us la teſt e : Car tel eſt oit
leur plaiſir : Ils prioyent que ie ne trouuaſſ e
pas eſt range ſi eux, (qui auoyent eſt roict e confederation,
& intelligence auec nos freres de
Languedoc, Viuarez, & autres) me renuoyoient
auec quelqu’vn d’entre eux au Conſeil qu’on
tiendra à Niſmes, pour ordonner de leur eſt at &
police.
Quant à eux, ils cognoiſſ oyent facilement
qu’ils auoyent beſoin parmi eux de ces deux nerfs
tant excellens pour tenir les vices en bride, & les
ſoldats en leur deuoir : à ſcauoir de la diſcipline
Eccleſiaſt ique, & de la diſcipline militaire : ayans
au reſt e tout ce qui rendoit les hommes hardis,
& vaillans : A ſcauoir eſt , la bonne cauſe,
qui rend la conſcience toute aſſ euree, d’où le bon
cœur a accouſt umé de ſortir, & la neceſsité de ſe
deffendre, qui rend les couards, courageux pour
conſeruer leurs biens, leurs vies, leur honneur,
leur ſalut, & celuy de leurs familles, contre la rage
de ces traiſt res, qui les aſſ aillent à credit, d’vn
cœur animé à mal faire, alteré du ſang innocent,
qu’ils eſt oyent tous bien reſolus de iamais plus
ne s’y fier : & de ne plus poſer les armes, quelque
paix qu’on leur ſceuſt offrir, s’on ne leur bailloit
de bons gages, bons oſt ages, & reſpondans.
Sur ces mots, de ne poſer les armes, pource
que le ſeigneur de Gordes, qui cõmande pour le
tyran en Dauphiné, auoit reſcrit à quelqu’vn des
chefs de nos freres, des letres fort douces, luy promettant de le conſeruer, & bien traiter, s’il
vouloit mettre bas les armes, il y en eut en la cõpagnie
qui releuerent ces mots (de ne plus les poſer)
leur ſẽblant bien qu’ils ne pourroyent moins
faire, quand cela ſeroit commandé par le tyran,
(ne voyans pas les bonnes gens, que ça eſt é touſiours
la ruſe des ennemis, de les deſarmer premierement,
pour les ſurprendre plus à l’aiſe ſous
le beau manteau de la paix.) L’opinion de ceux-cy
fut cauſe que la reſolutiõ fut reuoquee en doute,
& la queſt ion miſe ſur les rengs, à ſcauoir mon
qui premier doit laiſſ er les armes, nos ennemis,
ou nous. La matiere fut débattue à plein fonds,
pro, & contrà, iuſques à ce qu’vn ieune homme,
braue, & gaillard qui a l’entendement bien fait,
nourry aux letres, & aux armes, & verſé en matieres
d’eſt at, là reſolut en ceſt e ſorte, & preſque ſous
ces meſmes mots.
Si on diſpute par le droit, il n’y a celuy qui ne
confeſſ e qu’on ne peut iuſt ement requerir quelcũ
qu’il ceſſ e de parer, de mettre la main au deuant,
& de ſe deffendre, que premier on n’ait ceſſ é de tirer,
de frapper, & d’offenſer : car eſt ant toute choſe
qui a vie, naturellement apprinſe à la conſeruer,
c’eſt conſequemment vn ordre du tout naturel
que qui cerche de l’oſt er, doit ceſſ er, premier
que celuy qui ne taſche qu’à la retenir : & ne ſe
peut preſumer qu’il en laiſſ e la volonté, tãt qu’il
en retient les moyens tous deſployez entre ſes
mains. Donc pour vuider ceſt e queſt ion, il faut
voir qui eſt l’agreſſ é, & qui l’agreſſ eur, qui pourſuit,
& qui ſauue ſa vie : qui tire les coups, & qui met le bouclier au deuant, & cela fait, elle eſt reſolue.
Chacun ſcait, que quelques mois auãt ces troubles
derniers, les François de la religion monſt rerent
bien qu’ils ſe fioyent merueilleuſement en la
parole de celuy qu’ils cuidoyent eſt re bon Roy,
quand ils remirent volontiers entre ſes mains,
long temps auant le terme, les villes qu’il leur auoit
baillees pour s’y couurir cõtre les coups des
ennemis publiques de la paix.
Ceſt e fiance, ne pouuoit eſt re ſans grande amour :
ne ceſt e amour, ſans fort prompte obeiſſance.
Ils eſt oyent tous paiſibles, & auoyent tellement
effacé de leur eſprit toute ſouuenance de
guerre, qu’à peine ſe ſouuenoyent-ils où eſt oyẽt
leurs armes.
Le 24. d’Aouſt par le malheureux Conſeil des
perfides, proietté de plus longue main, ſous l’appaſt
de banquets & nopces, les principaux d’entre
eux furent meurtris dans le palais Royal, &
dans la capitalle ville du Royaume : ce maſſ acre
fut ſuyui preſque par toutes les autres principales
villes, contre la volonté du roy Charles neufieme,
(s’il faut croire à ſes premières letres de declaration)
nonobſt ant que les officiers de ſa Couronne,
ſes autres ſatellites, courtiſans, & archers,
& les gouuerneurs des prouinces (comme chacun
ſcait) commençaſſ ent la tuerie, & que les parlemens,
& ſieges Royaux y tinſſ ent la main : & que
les maiſons de ville fiſſ ent, ou aidaſſ ent l’execution :
tellement qu’en l’eſpace de quelques iours,
tous ceux de la Religion qui ſe retrouuerent és villes furent miſerablement mis à mort : encores
toutesfois ne priſmes nous pas les armes : mais
partie de nous ſe contenta de fuyr, partie de fermer
la porte, par vn mouuemẽt naturel, à la mort
qui nous pourſuyuoit.
Finalement quelques vns de nos freres, fondez
ſur leſdict es letres que le roy Charles auoit
eſcrites, eſquelles il declaroit, que ceux de Guyſe
auoyent commencé ces tueries à Paris, pour preuenir
la vengeance que l’Amiral reguary euſt peu
faire de ſa bleſſ eure, ou ſes amis, pour l’indignation
qu’ils en receuoyent, & ſur quelques autres
declarations qu’il faiſoit, que ces Maſſ acres auoyent
eſt é faits contre ſa volonté, & qu’il en feroit
la punition, ſe refolurent de deffendre leurs portes,
contre ceux qui auec groſſ es armees venoyẽt
pour leur coupper la gorge dans leurs maiſons :
& apres infinies proteſt ations, voyans les glaiues
teints du ſang de nos freres, appreſt ez contre le
leur, cercherent les moyens de s’en parer, & ſe
couurir au moins mal qu’il leur fut poſsible
Dont il appert que nous auons prins les armes
pour nous deffendre, & non pour offenſer autruy,
& que par conſequent c’eſt à ceux qui pourfuyuent
noſt re mort, de mettre les armes bas les premiers.
La loy ciuile permet à l’eſclaue, pourſuyui par
ſon maiſt re courroucé, l’eſpee au poing, preſt de
la luy mettre au trauers du corps, de luy fermer
la porte de ſa chambre meſme, pour s’y ſauuer : &
s’il la veut forcer, de la barrer le mieux qu’il peut :
& s’il l’efforce plus outre, de ſe mettre cõtre luy, pour luy empeſcher l’entrée.
Que ſi ce n’eſt point le maiſt re qui fait ceſt e
violence : mais quelques gallands de maiſt res ſeruiteurs,
qui ſous l’authorité du maiſt re le veulent
tuer, il n’y a doute que la loy ne luy permette encores
dauantage. Et ſi on luy dit, qu’il ouure hardiment, qu’on
ne luy fera point de mal, & qu’il
refuſe de ce faire tãt qu’on a des armes à la main,
il n’y aura aucun qui le condamne : d’autant qu’en
l’eſpouuantement où il eſt reduit, ne pouuant,
s’il ouure, & qu’on le vueille tromper, auoir recours
qu’a ſe ietter par les feneſt res, il ne peut eſt re
aſſ euré qu’on n’ait point de volonté de luy
nuire, tant qu’il voit qu’on en retient les moyens
en ſa main.
Or les Rois, quand ils ſont bons, ſont appellez
Peres du peuple, & par conſequent ils doyuent
traiter leurs ſuiets comme enfans. Et la loy
qui donnoit aux Maiſt res puiſſ ance de vie & de
mort ſur les eſclaues, (qui depuis fut fort moderee
par les Empereurs) n’eut oncques lieu ſur les
enfans. Dont appert qu’en ce cas, il eſt beaucoup
plus permis aux enfans, qu’aux eſclaues :
& plus requis des Peres que des Maiſt res : eſt ant
choſe toute aſſ euree que les ſuiets doyuent eſt re
tenus en autre reng que d’eſclaues.
Quel ſera donc l’office d’vn Pere en ceſt endroit,
d’vn pere (dis-ie s’ainſi le faut nommer) que
les enfans, de la bonté deſquels il a ſi ſouuent abuſé,
ne redoutent pas ſans grande occaſion, voyans
leurs freres tout freſchement morts deuant
leurs yeux ? Sera-ce ſeulement de leur monſt rer bon viſage ? de leur parler doucement d’vne paix ?
de leur monſt rer la main ? Mais quand ils la voyent
armee d’vn glaiue tout ſanglant : quand ils le
voyent enuironné de ceux qui les ont tuez, & de
leurs plus grands ennemis : mais quand ils ſcauẽt
que luy-meſme a commandé tout ce forfait : a auoué
tous les maſſ acres, & proietté les trahiſons,
Eſt -il poſsible qu’ils le puiſſ ent reputer aucunement
Pere ? Et quand bien ils ſeroyent ſi fols,
pourront-ils bien hauſſ er leurs yeux, pour luy cõtempler
le viſage, ou prendre garde à ce qu’il dit ?
Que fera donc vn Pſeudo-pere pour oſt er ceux
de deſeſpoir qu’il deuſt traiter ainſi qu’enfans, &
pour les garder s’il pourſuit de ſe precipiter tout
outre ? Il iettera pour le moins ſon eſpee, il laiſſera
toutes ſes armes bas. II fera retirer ceux deſquels
ils ſe mesfient. Il caſſ era ſes ſatellites. Il chaſt iera
tous ſes bourreaux, condamnera tous ſes forfaits.
Lors s’approchant de ſes enfans, les conſolera
de paroles : les deſchargera de toute crainte,
& leur tendra ſa main plus douce : alors il ne
faut parauenture point douter, qu’ils ne s’attendriſſ ent,
qu’ils ne fondent en larmes, & ne ſe iettent
comme à ſes pieds s’ils ſont vne fois aſſ eurez
que ces façons luy procedent du cœur.
Que ſi l’on dit qu’il y va de la reputation d’vn
Roy de faire le ſemblable, ie dy donc qu’il n’eſt
pas honorable à ce Roy-là de porter titre de Pere
de ſon peuple, veu que les titres ſe donnent
pour l’effect , & c’eſt effect conuient à ce nom-là.
Entre deux combatans en vn duel, il y a de l’hõneur
à qui fait quitter les armes à ſa partie. Entre deux Princes, à qui contraindra ſon ennemy vaincu,
deſnué de ſes armes, hors de tout eſpoir, de
requerir la paix. Car on combat à qui ſera le plus
fort, & le plus puiſſ ant : mais quand entre le Pere
& les enfans pour la meſchanceté du pere on
en vient là, l’honneur du pere eſt acheué de perdre,
s’il s’eſſ aye de les vouloir forcer, de leur faire
rendre les armes le pied ſur la gorge, de les mener
en triomphe liez au derriere de ſon chariot.
Celuy eſt (dis ie) vn trop lourd deshonneur de le
faire : c’eſt ſe rendre ignominieux ſoy-meſme, &
pourchaſſ er ſa honte à ſes deſpens.
Son honneur eſt de ſe montrer benin, & doux,
enclin à pitié, recercher tous moyens de les regagner,
& les retirer du deſeſpoir où il les a mis. Et
le Prince qui ne ſuit ceſt e voye, ſous vn faux pretexte
de conſeruer ſa reputation, la pert en ce
point, & acquiert celle d’vn tyran inhumain. Pour
ce auſsi qu’on penſe que ſes ſuiets vienent en cõpetence auec
luy, & qu’il veut monſt rer qu’il eſt
plus fort qu’eux : comme ainſi ſoit qu’il deut mõſt rer
(s’il luy eſt oit poſsible) qu’il eſt meilleur
Prince, qu’ils ne ſont ſuiets : & plus benin, & clement,
qu’ils ne ſont obeiſſ ans.
Les bons Princes, ſont eſt imez eſt re l’image
de Dieu en terre. Dieu auquel les hommes ſont
plus tenus qu’aux Rois, & Prĩces, veut auoir ceſt
honneur de nous aimer premier que nous luy : &
ne le pouuons aimer, que premier il ne nous aye
aimez. Il ne ſe courrouce iamais iniuſt ement, cõme
les hõmes à toutes heures : & toutefois il ceſſe
pluſt oſt de nous hair, que nous luy : & deſpouille pluſt oſt ſes armes, que nous noſt re rebellion.
L’amour eſt vne vertu non petite, & naturellement
veut commencer du plus parfaict , du vray
Prince, vers ſes ſuiets : du vray pere, vers ſes enfans,
deſcendant, pluſt oſt que montant : & lors
par vne certaine reflexion les enfans commencẽt
à aimer le Pere : les ſuiets, le Prince.
Et cõme c’eſt aux peres de cõmencer, auſsi eſt -ce à
eux-meſmes de recõmencer, s’il s’interrompt
& s’ils vienent à desfiance, de cercher les moyens
de les aſſ eurer.
Brief, qu’on conſidere le droit, ou l’honneur, il
eſt touſiours requis à vn Roy, de quitter les armes
premier, que ſes ſuiets : à plus forte raſon
l’eſt -il requis, ô compagnons, à vn tyran, traiſt re,
& perfide, duquel le mieux traité de ſes ſuiets reçoit
ce mal de luy eſt re ſerf, & eſclaue, cõtre tout
droit & deuoir.
Ce ieune homme ſembla ſi vieux, ſi prudent
& ſage en ſon diſcours, qu’il n’y eut homme en la
compagnie qui ne couruſt de pieds, & mains tout
ſoudain apres ſon auis : ainſi fut la première reſolution
d’entre eux priſe de ne plus ſe deſarmer,
pendant que le tyran, & ſes ſatellites ſeroyent armez,
comme de nouueau confirmee par les voix
& ſuffrages de tous les aſsiſt ans : auſquels ſuyuãt
les raiſons de ce vieux ieune homme ſembla bon
d’ainſi le faire : tant pour conſeruer la reputation
du roy Charles neufieme, auquel, comme à bon
pere de famille (car ainſi auſsi s’appelle il ſoy-meſme)
touche de ſe deſarmer le premier : Que
(& plus veritablement) pour garder auec leurs vies, ce qu’ils doyuent auoir de plus cher en ce
monde. Surquoy ils ſe ramenteuoyent l’vn à l’autre
ce que Nancé capitaine des gardes du tyran,
fit par ſon commandement en la iournee de la
trahiſon, aux gentilshommes couchez en l’antichambre
du Roy de Nauarre : leſquels, comme
tu ſcay, il fit tuer, le tyran les regardãt d’vne feneſt re,
à la porte du Louure, apres les auoir tous
deſarmez de leurs eſpees, & dagues, & pluſieurs
autres exemples des anciens, & modernes tyrans
qui en ont vſé tout de meſmes.
Et ſur tout ils ſe reſouuenoyent, comme d’auertiſſ emens
treſnotables, de ce Bordereau de memoires
qui fut enuoyé, comme tu ſcay, au defunct
Amiral, vn peu auant les noces tragiques de la
ſœur du tyran : lequel bordereau, tous eux diſoyent
vouloir apprendre par cœur, pour ne l’oublier
à iamais : ayant comme ils diſoyent le meſpris
d’iceluy eſt é cauſe de la ruine & des miſeres
que nous ſouffrons tous auiourd’huy.
L’hi. Voila de bonnes gens, & bien reſolus. Dieu
les vueille fortifier, & maintenir en leur ſainct
propos. Il vaut mieux eſt re ſage tard, que de ne
l’eſt re iamais : & ne le pouuant eſt re aux deſpens
d’autruy : il vaut mieux l’eſt re à ſes deſpens : voire,
aux deſpens de ſes freres : (quoy que le prix ſoit
par trop cher) que de ne l’eſt re point du tout, ny
à quelque prix que ce ſoit : ſe ſouuenant qu’ils ont
affaire à des ennemis, qui ſe ſont touſiours plustoſt
ſeruis de noſt re ſimplicité, pour nous nuire,
que des moyens qu’ils euſſ ent.
L’italien nous enſeigne vne tresbonne leçon
en ſon meſchant petit prouerbe. Non viti fidare
(dit-il) & non ſarai ingannato. C’eſt à dire ne
t’y fie point, & tu n’y ſeras pas trompé. S’il fut ia
mais temps de faire ſon profit de la ruſe, & malice
Italiene, il eſt maintenant. Et s’il y eut iamais
gens contre leſquels il ayt eſt é de beſoin d’employer
& le bec, & les ongles, de ſe ſeruir de toutes
peaux, d’eſlancer toute forte de chiens & de leuriers,
voire bien de dogues, François, & Anglois
il ne m’en chaut : c’eſt maintenant qu’il le faut faire
contre ces furieuſes, & enragees beſt es Medici
Valoyſes : maintenant, dis ie, qu’il ny a ny loy,
ny foy qui de ces gens retiene la malice. Mais ie
te prie pourſuy.
Le pol. Apres ceſt e reſolution, deux de la troupe
furent ordonnez pour venir auec moy en Languedoc :
afin de faire entendre aux noſt res, la concluſion
de ceux du Dauphiné, & d’en rapporter
du Conſeil general ce qu’il trouueroit bon de faire
pour la conſeruation d’eux tous. Eſt ans arriuez
à Niſmes, (où le Conſeil de pluſieurs prouinces
villes, villages & chaſt eaux faiſans profeſsion
de la Religion, fut aſſ emblé) luy ayant fait entendre
le contenu de ma charge & ceux du Dauphiné
leur legation : apres qu’ils eurent monſt ré cõbien
ils eſt oyẽt ayſes de noſt re venue : qu’ils nous
eurent remercié du bon office que nous faiſions :
& de la peine que nous prenions pour le corps de
l’Egliſe Françoiſe, ils me reſpondirent, que deſia
deuant ma venue le Conſeil eſt oit ſuffiſamment
auerty de l’arreſt , auis & ordonnances que Daniel auoit donné en nos affaires par vn petit dialogue qui a couru imprimé, contenant vn deuis
paſſ é d’ẽtre l’Egliſe, Alithie, & nous autres : qu’ils
eſt oyent bien aiſes de l’auoir veu, & d’eſt re auertis
par le menu des act ions de nos ennemis : qu’ils
voudroyent bien que les tyrans euſſ ent auſsi veu
ce Dialogue : afin que cognoiſſ ans en telle peinture
muette leurs vilanies, ordures, trahiſons, &
cruautez, que la peinture viue du ſang innocent,
qui crie vengeance, va tous les iours ramenteuãt,
deuant le jugement de Dieu, & l’humanité des
hommes, ils apprinſent : comme Iudas, eſt ans conuaincus
en eux-meſmes de l’auoir fort bien merité,
d’eſpargner la peine au bourreau, s’eſt ranglãs
tous à la bonne heure. Que puis que ces perfides
n’ont pas eu honte de commettre telles infametez,
qu’on ne doit point craĩdre de les publier par
tout l’vniuers : & cõme ils ont noircy leurs ames
de crimes ſi execrables, qu’on ne doit point faire
difficulté de noircir leurs renommees par la legẽde
de leurs vies : & quant au reſt e, il y a certains
Catholiques, & autres François, qui ayans horreur
de la confuſion que ces maſt ins Florentins,
leurs enfans & ſuppoſt s ont introduit en France :
vont ramaſſ ant au vray en tous lieux & places le
ſurplus de leurs faits & geſt es qu’ils mettront en
lumiere au premier iour, auec la legende ſecrete
des honneſt etez de la cour, & feront auſsi toucher
au doigt à toute la Nobleſſ e & peuple François
endormy d’vn trop profond ſomne les indignitez,
extorſions & pilleries inſupportables que le
tyran & ſes ſatellites, hors de la Religion (de laquelle ils n’ont cure) ſeulement en ce qui touche
la police, eſt at & gouuernement du Royaume, exercent
iournellement ſur les biens, vie & honneur
des poures François. S’aſſ eurans que ce ſera
vn bon moyẽ pour faire qu’il s’en trouue quelques
vns d’entre vn ſi grand & comme infini nombre
d’eſclaues & forçats, qui ſeront contraints de
honte, ou de regret pluſt oſt au prix de leurs vies
de recouurer leur liberté auec celle de leur patrie.
L’hiſt . Telles gens meriteront bien, ſi Dieu veut
qu’aucuns il s’en trouue, qu’on leur dreſſ e des ſt atues,
ainſi qu’à des liberateurs & peres de toute la
France. Et ne doute pas ſi cela auient (comme il
eſt treſneceſſ aire) que tout le Royaume ne repoſe,
quiconque ſoit que l’on eſliſe pour s’aſſ eoir au
throne vacant. Iamais le fils de ce iuge inique,
que Cambyſes fit eſcorcher pour orner le ſiege
iudicial de ſa peau à cauſe des torts & iniuſt ices
qu’il faiſoit au peuple de Perſe, ne fut plus homme
de bien eſt ant aſsis ſur la peau de ſon pere,
que ſeroit celuy qui ſuccederoit au tyran, quand
bien ſeroit vn de ſes freres : conſiderant la malheureuſe
fin où la tyrannie conduit ceux qui l’exercent.
Mais ie te prie comme s’eſt fait cela, que
l’on ait imprimé nos deuis que nous euſmes auec
Alithie ? Et qui eſt ce qui les peut auoir redigez
ſi toſt par eſcrit ?
Le pol. Ie ne te le ſcaurois dire, ſi d’auenture ce
n’eſt Euſebe Philadelphe qui fut preſent à nos diſcours.
Mais tant y a qu’ils ſont imprimez, encore
m’a on fait entendre qu’vn Catholique en a
eſt é Imprimeur : & qu’il en a vendu luy meſmes à beaucoup de ſes cõpagnons auec vn certain autre
liure qu’on nõme des fureurs Frãçoiſes, qu’vn Allemã
fit en Latin toſt apres les iours du maſſ acre.
L’hi. Nous ſommes tous tenus à ceux qui s’eſſ ayent
de nous remettre le cœur au ventre, comme
on dit. Dieu vueille que tout cela ſerue à reſueiller
les ſept dormans.
Le pol. On m’a dit qui a ia ſerui & ſeruira encore
d’auantage, n’en doute pas. Les fers ſont biẽ
fort eſchauffez. Mais, pour reuenir à mon dire,
le Conſeil de Niſmes me fit auſsi entendre en ce
que touche les quarante articles de la police de
Daniel (car autãt y en a-il de marquez en ce Dialogue
imprimé) qu’ils les trouuoyent fort bons,
ſainct s & dignes d’eſt re obſeruez & gardez en ce
prĩcipalemẽt, qui touche la diſcipline Eccleſiaſt ique
& la diſcipline militaire qu’ils confeſſ oyent
eſt re la bride, l’eſperon, l’eſpee & le bouclier l’vne
de l’autre : & toutes deux enſemble la targe, la
garde & le ſouſt ien de nous tous : ils trouuoyent
auſsi fort neceſſ aire le dernier d’iceux articles,
ſuyuant lequel nos freres du Dauphiné ſe ſont reſolus
de ne iamais plus ſe deſarmer, qu’ils auoyẽt
arreſt é de faire auſsi le ſemblable, iuſques à ce
qu’ils voyent la tyrannie bas & court bridee par
nos ancienes loix de la France auec des bons &
bien aſſ eurez gages, gardiens de la liberté ciuile
des François. Et cependãt ils auoyent enuie de
dreſſ er & entretenir apres tant de malheurs, qui
leur ſont auenus par leur ſotte credulité, vn eſt at
aſſ euré, qui approchaſt tant que faire ſe pourroit
de celuy qui eſt oit iadis en leurs prouinces.
Pour ce faire ils auoyent donné charge à ſept
des plus auiſez obſeruateurs de l’antiquité de recueillir
de tous les bons liures qui traitent l’hiſt oire
& eſt at ancien des François & Gaulois, l’ordre,
police & forme de gouuernement qui eſt oit
parmi eux, auant que la tyrannie fuſt en regne : &
particulierement celuy de leur patrie du temps
que la religion en fuſt chaſſ ee, pour ramener le
tout à leurs principes.
L’hi. C’eſt tresbien fait : pleuſt à Dieu que i’y fuſſ e
pour leur en dire ce que i’en ſcay. Le doct e
Paſquier en ſon liure des recerches de la France,
releuera grandement de peine ces ſept deputez.
Et le grand Hotoman en ſa Francogaule, qu’il a
mis de nouueau en lumiere les en iettera hors du
tout tant il cotte dextrement les paſſ ages qui peuuent
ſeruir en ce fait.
Ce ſeroit vne belle choſe, ſi l’on pouuoit (en
retenant l’anciene religion) que les Albigeois du
temps du comte Raymond : les poures de Lyon,
ceux de la vallee de Pragela, ceux de Cabrieres &
Merindol ont tenu & que nous tenons auiourd’huy
plus dépuree Dieu mercy) ramener ceſt eſt at
preſent tout confit & rouillé en vices au modelle
de ce temps là. C’eſt vn auis que tu ſcay biẽ
eſt re le ſouuerain remede à vn eſt at du tout pourry
& preſt à cheoir comme eſt celuy de France.
Le pol. Cela eſt certain : & s’appelle radreſſ er, non
pas renuerſer l’eſt at, le ramener à ſon principe. Et
pour certain ces bonnes gens, pour la part qui les
touche, ſont ſur le point d’en venir là.
L’hi. O le beau trait que ce ſeroit ! pourueu qu’il fuſt ſuyui des autres pais de la France. Ce ſeroit
vne belle pierre philoſophale, pour enrichir les
poures gens qui ſont rongez iuſques aux os par
les enfans de Catherine. Au moins ſeroyent-ils
deſchargez des impoſt s & tailles nouuelles.
Le pol. Tu dis vray. Quant au ſurplus de la police
& l’ordre de Daniel, le Conſeil a eſt é auſsi
d’auis de le pratiquer en ſubſt ance, retenant touſiours
toutefois les noms des charges & eſt ats accouſt umez
en leurs prouinces. Vray eſt qu’ils cognoiſſ ent,
qu’il y aura grande difficulté aux Elect ions
és premieres charges, pource, que le peuple
n’eſt pas accouſt umé d’aller, comme l’ancien
Romain querir leur Dict ateur, leur maieur ou
gouuerneur à la charrue apres les bœufs. Et leurs
gouuerneurs n’ont iamais accouſt umé, comme
vn Quntius Cincinnatus, de retourner à la charrue
apres que la guerre eſt paſſ ee ou que leur charge
eſt expiree.
Ains au contraire vn Caporal veut eſt re quãd
& quand ſergeanr, le Sergeãt veut eſt re enſeigne,
l’Enſeigne lieutenant, le Lieutenant Capitaine.
Et ainſi touſiours en auant ſans s’abbaiſſ er ny ſe
deſmettre, en danger de monter trop haut.
L’hi. Voila qui va mal. Les Romains quoy qu’ils
fuſſ ent autrement ambitieux & cupides d’hõneur
& gloire auoyent en telle recommandation le biẽ
& honneur de leur Republique, qu’ils quittoyent
volontiers du leur pour le ſalut de leur patrie.
En ceſt endroit principalement ils auoyent
cela de bon qu’ils ne refuſoyent point d’aller cõme
perſonnes priuees en vne armee, à laquelle l’annee auparauant ils auoyent commandé en
chef.
Quintus Fabius ayant eſt é Cõſul marcha gayement
ſous ſon frere Marcus Fabius. Et Manlius
Conſul en vne armee contre les Thoſcans,
ne refuſa de ſe trouuer en la bataille commandé
de ceux qui luy auoyent obei. C’eſt oit vn ordinaire
à Rome que celuy ne deſdaignoit pas d’accepter
la petite charge qui auoit exercé la plus
grande.
Et combien que cela ne ſemblaſt pas honorable
pour le priué, ſi eſt oit-il bien fort vtile pour
le public : car à la verité dire vne Republique ſe
doit beaucoup plus aſſ eurer & eſperer d’auãtage
és deportemens d’vn citoyen qui d’vn grand degré
deſcend volontiers au bas ou mediocre, que
non pas de celuy qui ne taſche qu’à monter & à
deuenir grand. A vn tel on ne ſe peut guere bien
raiſonnablement fier s’on ne l’accompagne touſiours
de gens de tel reſpect , de telle vertu & reputation
qui peuſſ ent par vn graue & prudent Conſeil
& par leur autorité moderer le deſir de nouuelleté
& de remuement qui ſe pourroit facilement
loger dedans le cœur & cerueau d’vn tel
homme.
Le pol. Il eſt ainſi. Et auſsi nos freres eſperent que
la Nobleſſ e fille naturelle & legitime de la vertu
& prudence, qui a ſa vraye ſource de la crainte de
Dieu, ſe lairra tellement conduire au deſir qu’elle
a de voir le regne de Dieu auancé, & l’Egliſe
conſeruee, qu’elle fera fort aiſément tout ce qui
pourra appartenir au bien d’vn ſi precieux ſeruice & à la liberté de ſon eſt at & de ſa patrie, prepoſant
touſiours le public à ſon particulier profit.
Que le peuple auſsi reſpect era de tant les Nobles
qui logeront ceſt e vertu, mere-nourrice de
Nobleſſ e, qu’il n’y a rien qu’ils ne facẽt pour leur
obeir en ce qui ſera de leur charge, & pour les
honorer en priué autant qu’ils peuuent deſirer
d’eux. Et qu’au reſt e tous ces deux Eſt ats ſe ſouuiendront
auec celuy de la Iuſt ice de ce que Valerius
Corumus qui fuſt fait Conſul dedans Rome
le vingtroiſieme an de ſon aage dit pour lors
à ſes ſoldats : que le Conſulat eſt oit le guerdon
& le prix de la vertu & non du ſang. Et auſsi tous
enſemble par vne bonne intelligence s’en iront
cercher la vertu & la ſuffiſance, là où elle ſera logee,
ſans reſpect de l’aage ou du ſang, pour l’eſleuer
en tel degré qu’ils cognoiſt ront eſt re propice
pour leur commun bien & ſalut.
L’hi. Si cela eſt bien pratiqué ce ſera vne belle
choſe. Auſsi ſi cela ne s’y trouue, i’eſpere bien peu
de leur fait.
Le pol. Ne doute pas qu’il ne ſe face, i’en ay bon
gage. Dieu mercy, il ſeroit bon voir que ceux-là
qui profeſſ ent vn Ieſus Chriſt , fiſſ ent conte de
leur honneur au detriment de ſon Egliſe, & à la
perte du troupeau : ou que l’ambition malheureuſe
regnaſt , où l’eſprit de Dieu doit auoir ſouuerain
Empire.
L’hiſt . Ia n’auiene, ce ſeroit aſſ ez pour tout ruiner.
Car ceſt e ambition a touſiours ruiné les Republiques.
Le pol. Ne crain pas, tout ira bien, Dieu aidant.
Au ſurplus touchant les autres principaux articles
de la police de Daniel, comme i’ay dit, ils
ſont reſolus de les pratiquer en ſubſt ance, ſingulierement
le 17 où il eſt parlé d’eſlire au Maieur
general, ou gouuerneur cinq ou ſix lieutenans, nõ
pour commander tous à vn coup, ains vn apres la
mort ou deſmiſe de l’autre, la mort dis-ie, qui en
peut auenir ordinairement ou extraordinairemẽt
par l’aguet ou poiſon de l’ennemy, pource que
ce bon nombre de lieutenãts conſeruera le Chef
& les membres en plus grande ſeureté : le Chef,
pour autant que l’ennemy dira, pourquoy le ferons
nous tuer ? Il y a des lieutenans qui feront
poſsible mieux que luy. Les membres, pour ce
que le Chef mourant ils ne ſeront pourtant deſprouueus
de chef, comme il nous eſt auenu en ce
dernier maſſ acre du mois d’Aouſt , à noſt re treſgrand
regret & ruine.
Le Conſeil trouua auſsi fort bons les 22 23. &
24 articles de Daniel. Le 22 leur ſembla treſneceſſ aire
pour deux raiſons : l’vne pour empeſcher
que aucun des chefs ou quelque autre citoyen,
n’attente ny entreprene rien ſur & au preiudice
de leur commun eſt at & liberté ciuile : l’autre,
pource que cela auenant, ou eſt ant fauſſ emẽt cuidé
& creu par le peuple & impoſé à quelcun des
grands, le peuple aura dequoy s’en reſoudre en
propoſant l’accuſation, & pourſuyuant l’accuſé
ſi beſoin eſt , pour le rendre conuaincu, le faire
condamner & punir ſelon que le merite le requerra.
L’hi. Cela va bien. Car autrement il pourroit auenir
tout plein d’inconueniens, s’il n’eſt oit loiſible
d’accuſer les plus grands. Et s’il n’y auoit ordre
ſuffiſant eſt ably pour les chaſt ier, Quelqu’vn
pourroit comploter auec l’ennemy : le peuple ialoux
de ſa liberté ne pourroit que mal volontiers
ſouffrir ſes deſportemens, on luy dreſſ eroit des
parties. Celuy là ſe voudroit preualoir de ſes amis,
on viendroit de la aux fact ions & partialitez
& moyens extraordinaires, qui ſont la ruine des
eſt ats libres. Ou s’il eſt oit loiſible de calomnier
& faire courre de faux bruits par cy par là contre
vn chacun : comme il eſt auenu maintesfois qu’õ
a mis à ſus aux plus gens de bien qu’ils auoyent
deſrobé le threſor publique, à d’autres qu’ils pouuoyent
bien prendre vne telle ville s’ils euſſ ent
voulu, & à d’autres qu’ils ont vendu pluſt oſt que
rendu par force vn tel chaſt eau, & pluſieurs autres
telles calomnies.
Si, dis ie, il eſt oit impunément permis de calomnier,
il n’y auroit homme de bien, qui ne fuſt
deſgouté de ſa charge, l’ennemy ſe pourroit preualoir
de telles fautes, & en ſomme tout iroit en
cõfuſion. Comme il cuyda auenir à Rome, apres
que Furius Camillus l’eut deliuree des mains des
François.
Il ſembloit bien que tous les citoyẽs Romains
ſans faire tort à leur reputation deuoyent ceder
à la vertu de ce grand Camillus, comme de leur
liberateur, & à la verité auſsi chacun luy defferoit
volontiers le premier reng. Le ſeul Manlius Capitolinus
ne pouuoit ſupporter de le voir en telle reputation & credit, eſmeu d’vne meſchante emulation
& ialouſie, & d’vne bonne opinion de
ſoy meſme : luy ſemblant bien d’auoir pour le
moins merité en ſauuant le Capitole des mains
des François, autant que meritoit Camillus en
les dechaſſ ant du tout. Cela fut cauſe que tout outré
d’enuie ne ſe pouuant contenir pour la gloire
& renom de Camillus, il alla ſemãt parmi le peuple
pluſieurs faux bruits encontre luy, & contre
les Senateurs Romains, pour les mettre en mauuaiſe
opinion enuers le peuple. Entre autres choſes
il diſoit que le threſor qu’on auoit aſſ emblé
pour bailler aux François & racheter le Capitole,
auoit eſt é vſurpé par quelques vns des grands :
que ſi on le pouuoit rauoir on le pourroit conuertir
au profit publique, ſoulageãt d’autant le peuple
des tributs ordinaires, ou en acquittant quelque
autre debte. Ces faux bruits, ceſt e calomnie
ſembla de telle importance & de ſi dangereuſe
conſequence au Senat, qui voyoit deſia comme le
peuple commençoit à tumultuer, qu’il fut contraint,
pour remedier à la deſunion & deſordre
qui s’en pouuoit enſuyure, de recourir au moyen
extraordinaire, qui eſt oit accouſt umé parmi eux
és extremes dangers : ſcauoir de creer vn Dict ateur
dedans Rome pour cognoiſt re de ce fait.
Le Dict ateur creé, il fait appeller Manlius deuant
luy, & eſt ant le Dict ateur conduit au milieu
des Senateurs, & Manlius au milieu du peuple en
vne place publique. Là, Manlius fut interrogué
de ce qu’il ſcauoit du threſor publique, & luy fut
cõmandé de dire entre mains de qui il le cuidoit eſt re, que les Senateurs auoyent auſsi bonne enuie
de ſe ſcauoir comme le peuple. Mais pour ce
que Manlius n’en reſpondoit point pertinẽment,
ains en tergiuerſant diſoit qu’il n’eſt oit ia beſoin
de leur dire ce que eux meſmes ſcauoyent trop
mieux, il fut mis en priſon par l’authorité du Dict ateur,
qui de calomniateur fit deuenir par ce
moyen Manlius accuſateur. Et eſt ant par apres
ſa ſauſſ eté & enuie cognue fut chaſt ié, comme il
le meritoit.
Par là & par autres exemples auenus en beaucoup
de Republiques mal ordonnees l’on peut
voir aiſément, combien de maux peuuent auenir
en vn eſt at grand ou petit au detriment de la liberté
ciuile : ſi ceſt ordre & liberté de pouuoir accuſer
quiconque ſoit d’entre les grans ny eſt eſt ably.
Noſt re Frãce depuis que l’ordre des trois eſt ats
a eſt é ſupprimé, que les offices de Iudicature de
Conſeillers & Preſidens, &, pour le dire en
vn mot, depuis que la police & la iuſt ice a eſt é eſt ouffee
& corrompue, vendue en gros & en menu
en a produit d’exemples lamentables.
Il ne faut que ſe remettre en memoire les calamitez
auenues pour le maſſ acre fait à Vaſſ y par
le duc de Guyſe : & celles qui ont enſuyui la coniuration
du Triumuirat, contre lequel nul n’oſoit
mot ſonner, quoyque l’on ſceuſt ſes entrepriſes.
Auſquelles on n’oſa s’oppoſer qu’auec vne biẽ
forte armee, la quelle ſuyuie de pluſieurs guerres
ciuiles a fait tomber la poure France de la fieure
en vn chaut mal, comme l’on dit.
Le pol. Cela n’eſt que trop veritable : Or ces raiſons
& exẽples auec quelques autres ſemblables,
qui furent amenez, ont eſt é cauſe que nos freres
de Niſmes ſe ſont reſolus, comme ie t’ay dit, d’eſt ablir
ceſt ordre parmi eux. Sachans l’auantage
qui leur en peut reuenir, & le bien que la creatiõ
des Tribuns du peuple (qui eſt oyent les gardiens
de la liberté ciuile & qui pouuoyent à vn beſoin
former les proces aux plus grands) à apporté à
l’anciene Rome du temps d’vn Martius Coriolanus
& autres ſemblables eſprits qui eſt oyent retenus
en crainte par l’authorité d’vn tel magiſt rat.
Quant au 23 article, ce qui le leur a fait approuuer
a cité la ſouuenãce qu’ils ont des desbauches
& licence à mal faire que la pratique contraire à
cauſé par cy deuant en leurs armees, & en leurs
villes & retraites. Si d’auenture il aduenoit qu’vn
gentilhomme, vn capitaine ou ſoldat qui euſt fait
quelque force, larcin, meurtre, ou autre telle veillaquerie
fuſt condamné à mourir, a eſt re harquebouzé,
ou à paſſ er par les piques. Si ceſt uy là meſmes
auoit fait quelque bon ſeruice auparauant,
il n’y auoit pas faute de quelques fauoriz des grãs
qui venoyẽt ſoudain aux requeſt es interceder enuers
le chef pour la vie du cõdamné, qu’ils diſoyẽt
eſt re bon ſoldat, ou quelque braue gentilhomme,
qu’il eſt oit bien à cheual, qu’il tiroit bien l’arquebouſade,
que c’eſt oit grand dommage de le faire
mourir, & autres ſemblables remonſt rances, voire
bien ſouuent remonſt rances de ce qu’il n’auoit
iamais fait, par ceſt artifice ils importunoyent tellement
le chef qu’ils ſe faiſoycnt donner le criminel, & faiſoyent aller en fumee tout iugement &
condemnation. Dont il aduenoit que le condamné
au lieu de s’amender alloit multipliant ſes
fautes, cuidant que tout luy fuſt permis ſous couleur
qu’on le penſoit eſt re braue, gaillard & bien
adroit ſoldat.
L’hi. Cela eſt bien fort dangereux : il n’y a celuy
qui ne condamne le fait des Romains en ſemblable
cas, quand pour les merites d’Horace, qui par
ſa vaillance auoit vaincu les Curiaces, & rendu
par ce moyen là Rome maiſt reſſ e des Albains,
ils luy remirent la fratricide qu’il auoit commis
enuers ſa ſœur, laquelle il meurtrit au retour de
ſa vict oire, pour le regret qu’elle portoit d’y auoir
perdu ſon mary. Au lieu qu’Horace deuoit eſt re
chaſt ié par ſupplice de mort, cõme il le meritoit
tresbien.
Il vaut beaucoup mieux pratiquer ce que les
Romains plus auiſez firent par apres enuers leurs
citoyens & ſoldats en remunerant les bienfaits &
bons ſeruices de quelque honneſt e petit guerdon
ſelon la portee de la republique & diſpenſation
du temps : & en chaſt iant rudement les vices &
les laſchetez, cõme ils firent enuers Manlius Capitolinus.
Auquel pour auoir ſauué le Capitole,
comme ie te diſois n’agueres, ils donnerent vne
petite meſure de farine (preſent aſſ ez conuenable
pour ce temps là) en recognoiſſ ance de ſa vertu,
& ne laiſſ erent pas pourtant de le condamner &
ietter apres du haut en bas du meſme Capitole
qu’il auoit peu deuant gardé, à cauſe de la ſeditiõ
qu’il auoit cuidé faire naiſt re dedans Rome par ſon enuie & meſchante nature.
Le pol. Il vaut beaucoup mieux, vrayement auſsi
nos gens en ſont bien là logez.
Quant aux 11 & 24 articles, nos freres cognoiſſans
de quelle importance ils ſont, n’ont garde de
faillir à les obſeruer, ains en ſont du tout reſolus.
Ils ſcauent qu’aux guerres paſſ ees ceux des ennemis
auſquels ils donnoyent la vie, ceux qu’ils prenoyent à
mercy les laiſſ ant aller bagues ſauues,
comme il eſt aduenu ſouuent, le lendemain ou
l’autre apres, au lieu de leur ſcauoir bon gré de la
vie qu’on leur laiſſ oit venoyent pour rauir la leur
ſe monſt rans plus cruels & rudes qu’ils n’auoyent
eſt é parauant. Ainſi donc que les brigands s’aſſeurent
de n’en auoir pas bon marché, ſi Dieu les
baille entre les mains de quelcun de nos gallans
hommes, ils ſont reſolus, ne te chaille.
L’hi. Voire mais. Les ennemis en pourront faire
autant aux noſt res.
Le pol. Tu dis vray s’ils leur tombent entre les
mains. Mais auſsi que penſerois tu, que toſt ou
tard ils veullent faire ſi nous leur venons entre les
mains, quoy qu’ils nous promiſſ ent la vie, ſi ce
n’eſt de tuer, empoiſonner, faire mourir ou nous
forcer, que ie repute beaucoup pire ?
Or ceſt e reſolution de nos freres de ne prẽdre
à mercy aucun des ennemis ſeditieux & armez fera
trembler nos ennemis, qui nous aſſ aillent & offenſent
contre leur cõſcience & contre tout droit
d’humanité pour complaire au deſir du tyran, fera
dis-ie reboucher leur fer à la premiere goutte
de ſang qu’ils ſentiront couler de leurs corps eux qui combattent de gayeté ou pluſt oſt de malice
de cœur ſans y eſt re contraints, & fera qu’à la fin
perſonne ne voudra venir à la guerre, ou porter
armes contre nous quelque commandement que
le tyran leur en face, nous voyans ainſi reſolus.
Deſia y en a-il beaucoup qui ſe tienent bien loin
des coups & tirent leur eſpingle arriere, aimans
mieux eſt re reputez couard & recreus, que fols &
meſchans tout enſemble, en ſe faiſans battre à credit.
Surquoy ie te veux dire vn trait, qui paſſ e encores
bien plus outre, du ieune Candole, que tu
cognoiſſ ois beau-frere de ceux de Montmorency.
Eſt ant en l’armee que le mareſchal Danuille
auoit aſſ emblé deuant Sõmieres que les noſt res
tenoyent, & qu’ils ont rendu à la fin, ſous honneſt e compoſition,
que Danuille a gardee aux noſt res,
dont le tyran ne luy ſcait point de gré. Eſt ãt
dis-ie là au camp ce ieune ſeigneur de Candole,
& voyant tant de ſeigneurs, capitaines, gentilhommes
& ſoldats que les noſt res faiſoyent mourir
en ſe deffendant vaillammẽt, il a dit & beaucoup
de fois à ſon beau-frere Danuille en iurant &
blaſphemant : hé que nous ſommes fols mon frere
de nous faire ainſi bleſſ er, battre, meurtrir &
tuer à l’appetit de ces meſchans (parlant du tyrã,
de ſa mere, de ſes freres & conſeillers) qui nous
ont meurtri nos parens, nos amis & nos alliez ! Et
qui nous payeront auſsi quelque iour en meſme
monnoye.
L’hi. Ce trait vaut bien qu’on s’en ſouuiene : Cãdole
auoit bon iugement. Mais qu’eſt il deuenu
le poure homme ?
Le pol. II eſt mort en ce ſiege là, & auec luy durãt
le ſiege plus de cinq ou ſix mille perſonnes des ennemis
y ont eſt é tuez : ie te conteroye bien tout
au long le commencement, le milieu & la fin de
ce ſiege : mais ie ſerois trop prolixe, i’interromprois
mon propos & auſsi tu le pourras voir tout
à loiſir auec le diſcours du ſiege de la RochelIe &
de Sancerre : tout cela eſt imprimé, & ie le porte
auec moy, ie te le monſt reray demain ſi tu as loiſir
de le voir.
L'hi. Ie t’en prie beau Sire : mais retourne ſur ton
diſcours.
Le pol. Comme ie te diſois, ceſt e derniere reſolution
des noſt res de pratiquer toute extremité de
rigueur contre nos ennemis, auec ce qu’on les a
deſia bien frottez Dieu mercy par tout où ils ſõt
venus, refrenera vn peu leur rage, & refroidira leur
cholere. D’autre part elle enflambera le cœur
des noſt res, qui combattans pour la neceſsité &
deffenſe d’vne bonne cauſe ſembleront des demi
Ceſars eſt ans reſolus de bien obeir à leurs chefs,
de porter patiemment les trauaux de la guerre, &
de vaincre ou de mourir, ſi l’on vient aux mains
& au combat, pluſt oſt que de jamais ſe rendre.
L’hi. Il n’y a rien qui face mieux vaincre, qu’vne
ſainct e obſt ination en vn combat ou en bataille,
ſuppoſé que tout ſoit rengé, & que le fondement
ſoit bon : il me ſemble que dix des noſt res en deuroyent
combatre cinq cens de tels volleurs, de
tels brigands, comme ſont tous ces ſatellites.
Le pol. Cela eſt ſans doute : auſsi pour dire la verité
ils les ont tresbien eſt rillez. Or quant au 33 article de Daniel touchant la douceur, de laquelle
il veut qu’on vſe enuers les Catholiques paiſibles :
Cela eſt bien tout arreſt é qu’il ne leur ſera
fait aucun outrage ne force en leur conſcience,
honneur, vie & biens : ains ſeront conſeruez en
paix & amitié comme bons compatriotes & freres
bien aimez.
Sachans bien le regret que portent telles gens
des extorſions & cruautez, dont on vſe en noſt re
endroit, & l’enuie qu’ils ont de voir la tyrannie
bas, & les anciẽs ordres de la France remis au deſſus.
A cauſe dequoy tant s’en faut qu’on les vueille
ſurcharger, qu’au contraire on les eſpargnera,
autant qu’il ſera poſsible aux contributiõs qu’on
ſera contraint de faire pour noſt re conſeruation,
chargeans pluſt oſt les noſt res que ceux-là.
Quant aux Eueſques, preſt res, moynes, & autres
gens de l’Egliſe papale, qui ne porterõt point
les armes & qui ſeront contens de viure parmi
nous ſans rien attenter, & ſans eſmouuoir ou ſeduire
le peuple qu’ils auoyent deceu, ie ſcay auſsi
qu’on leur donra moyen de viure honneſt ement,
& le mieux qu’il ſera poſsible. Le ſurplus de leur
reuenu ſera pour deſcharger le peuple.
L’hi. Ce ſera vn ordre parfait, s’ils pratiquẽt tous
ces articles.
Le pol. Ne doute pas qu’ils ne le facent, ſi Dieu
leur preſt e ſa faueur. Mais pour te dire le ſurplus
que i’ay apprins en mon voyage : apres la reſolution
prinſe en ce Conſeil, ſur beaucoup d’autres
choſes neceſſ aires pendant que i’eſt ois de ſeiour
à Niſmes, mal diſpoſé à voyager, nous receuions tous les iours letres de ce qui ſe paſſ oit dedans &
dehors la Rochelle, nous entendiſmes que apres
que la Rochelle fut de toutes parts aſsiegee par
les Ianniſſ aires du tyran, ſes deux freres y arriuerent
le 15 de Feurier 1573, menans le roy de Nauarre,
le prince de Condé, & le ieune comte de la
Rochefoucaut, comme en triomphe deuant eux,
auec bon nombre de Seigneurs Catholiques, de
courtizans, d’Atheiſt es, d’Epicuriẽs, de blaſphemateurs,
de Sodomites, & d’autres tels officiers,
que le tyran auoit chaſſ é d’aupres de luy & de ſa
cour, non qu’il fuſt marry de voir tels galans pres
de ſa perſornne : ce ſont ſes mignons fauoris, ce
ſont ſes appuis & ſouſt ien & les delices de ſa Mere :
ains tout deſpit, tout enragé, blaſphemant touſiours
de cholere, de ce qu’vn chacun n’alloit pas,
comme il commandoit, en l’armee.
Depuis l’arriuee du duc d’Aniou, les Rochellois
furent aſsiegez de plus pres, battus de beaucoup
plus de pieces d’artillerie & en plus d’endroits
furent menez, eſcallez, aſſ aillis & trauaillez
en toutes ſortes dont l’ennemy ſe pouuoit auiſer.
Eux de leur part faiſoyent le plus ſouuent ſorties
braues & gaillardes, aſſ aillans courageuſemẽt les
ennemis iuſques dans leurs trenchees, & les eſt rillans
tellement le dos, ſous le ventre & partout,
que pluſieurs de nos ennemis contraints d’abandonner
la vie, quittoyent les charges les plus belles
à leurs compagnons ſuruiuans, qui bien ſouvent
ne gardoyent guere ce qu’on leur auoit delaiſſ é,
eſt ans les plus marris du monde de ce que
nos bons Rochellois les viſitoyent par trop ſouuent : de ce qu’il les repouſſ oyent trop rudemẽt
de leurs murailles, ſouſt enãs mieux qu’ils ne vouloyent
& plus longuement leurs aſſ auts. Nous
ſceuſmes que le ſeigneur de la Noue qui par grãd
merueille & admirable prouidẽce de Dieu auoit
eſchappé les fillets des traiſt res, ſe trouuant lors
du maſſ acre de Paris dãs Mons en Haynaut qu’il
auoit aidé à ſurprendre par commandement du
tyran, duquel ils attendoyẽt ſecours ſuyuãt ſa
promeſſ e donnee : nous ſceuſmes, dis-ie, qu’il eſt oit
reuenu en France & à la cour, apres la reddition
de Mons, ſous l’aſſ eurance du duc de Longue-ville
& le ſaufconduit du tyran : nous ſceuſmes qu’il
eſt oit entré dés le commencemẽt des approches
dans la Rochelle accompagné de l’abbé Gadagne
auec charge expreſſ e, que le tyran luy auoit
donné de diuertir s’il eſt oit poſsible les Rochellois
de leur conſt ance & opiniaſt reté, qu’ils appellent
de ſe deffendre, & de leur promettre bon traitement,
s’ils ſe vouloyent laiſſ er tuer auec liberté
de conſcience. A ceſt e nouuelle pluſieurs d’entre
nous furent extremement marris de ce que ce gẽtilhomme
auoit accepté telle cõmiſsion. Les autres
eſt oyent faſchez ſimplement, de ce que au
ſortir de Mõs il n’eſt oit allé en Angleterre, en Allemagne
ou en Suiſſ e, pour ſeruir à ce qu’il euſt
peu pluſt oſt que reuenir en Frãce. D’autres excuſoyẽt
ſon retour, à l’occaſiõ de ſes enfans qu’õ luy
detenoit deſſ ous garde, qu’il deuoit taſcher de les
rauoir : & qu’il n’auoit de moins peu faire que d’accepter
cõtre ſon gré vne charge tant deshoneſt e :
quelques autres eſt oyent bien aiſes, qu’õ luy euſt
dõné telle commiſsion.
Croyant bien que ceſt homme là ne pourroit
que beaucoup ſeruir pour faire ſagement reſoudre
du chemin le plus expedient, les citoyens de
la Rochelle. En ſomme les vns en parloyent d’vne
ſorte, les autres d’vne autre. Quant à moy en
telle diuiſion & partialité d’opinions, ayant ſceu
que le ſeigneur de la Noue, pour tout cela ne s’eſt oit
point ſouillé en Idolatrie, recueillant de là
vn teſmoignage de ſa bonne conſcience, ie ſuſpẽdi,
comme ie tiens encores ſuſpendu, mon iugement
de ſon affaire : ne voulant rien temerairement
prononcer d’vn gentilhomme ſi bien qualifié
que ceſt uy-là, que i’ay aimé & honoré, comme
ie deſire de faire tout le reſt e de ma vie. Tant
y a que nous ſceuſmes, comme ie t’a y dit, ſon arriuee
dans la Rochelle, ce qu’il propoſa aux Rochellois,
le peu qu’il y exploita pour le tyran, cõme
il s’en retourna à baſt vuide à la cour.
Nous ſceuſmes qu’il fut enuoyé pour la ſeconde
fois auec le meſme Abbé & vne charge vn
peu plus ample à la Rochelle : & qu’a ceſt e ſecõde
fois y eſt ant rentré, n’ayant rien peu negotier
de ſa charge au plaiſir du tyran il eſt oit demouré
pour gage dans la Rochelle, ayant renuoyé ſon
Abbé pour annoncer les nouuelles à ſon maiſt re
de la grande obſt ination des bons Rochellois.
Or ſi l’arreſt & ſeiour que le ſeigneur de la
Noue fit dans la Rochelle ſeruit ou non aux bonnes
gens, ie ne t’en puis dire autre choſe pour n’y
auoir point eſt é durant ce temps-là. Tant y a que
i’ay depuis ouy dire aux Rochellois meſmes, &
au ſeigneur de l’Anguillier, qui eſt oit de ſa tenue : que les Rochellois apres Dieu doyuent au ſeigneur
de la Noue, tout ce qu’ils ont du premier
cœur & de l’aſſ eurance qu’ils eurent ſur ces premiers
commencemens, qu’il leur mit le cœur au
vẽtre, qu’il les ordonna mieux qu’on ne ſcauroit
dire, qu’il les aguerrit leur faiſant faire pluſieurs
bonnes & belles ſorties auec leur auantage qui
leur ſeruoit de bonne curee, luy eſt ant touſiours
le premier à la meſlee, & le dernier à la retraite.
Au ſurplus pource que le ſiege continuoit lõguement
deuant la Rochelle, que les bleds & poudres
approchoyent de leur periode, & l’eſperance
d’eſt re auituaillez alloit touſiours amoindriſſ ant.
Les Rochellois ayans pour leur conſeruation
fait tenter toute ſorte d’honneſt es ſecours
& remedes, furent contraints à la fin de regarder
comme de nouueau à leurs titres & liberté, pour
ſcauoir au vray quelle eſt oit l’obligation que pretendoit
la maiſon de Valois ſur eux, s’elle s’eſt endoit
iuſques là de leur pouuoir rauir leurs vies,
leurs biens, leurs honneurs & celuy de leurs femmes,
& leurs familles : & iuſques à les faire perdre
& damner auec tous les diables pour faire ſeruice
aux Valois, comme ils demandoyent en ſubſt ance.
Surquoy ayans trouué par eſcrit en bonnes
& ancienes pancartes, que l’obligation eſt oit
fort petite & bien aiſee, ſous des conditions toutefois
qu’on leur auoit ſouuent rompu, eux ayans
touſiours de leur part plus ſatisfait, qu’à leur deuoir.
Et que lors c’eſt oit à tout rompre : apres auoir
fait clerement voir leurs droits au Conſeil,
qui pour ce fut aſſ emblé d’entre eux & qu’ils eurẽt a vne autre fois recueilly l’auis ſur ce poĩt, trouuant
le ſeigneur de la Noue differẽt bien fort d’opinion
d’auec leur auis tout courant, pour des raiſons
qu’il alleguoit, dont le peuple ne ſe pouuoit
ſatisfaire : ils commencerent dés l’heure à mal eſt imer
& parler de ceſt homme tant renommé,
iuſques là qu’il fut contraint, craignant que mal
ne luy auint ſauter, comme on dit, de la poile & ſe
ietter dedans les braiſes, accompagné de Champigny
& de quelques autres amis, auec leſquels il
s’alla rendre, ainſi que nous fuſmes auertis le mecredy
onzieme iour de Mars en l’armee du duc
d’Aniou : duquel ſelon l’apparence il fut recueilly
volontiers & aſſ euré de ſa perſonne. Il ne fut
pas ſi toſt en l’armee de l’ennemy, que les ſoldats
par deſſ us les rempars luy reprocherent qu’il auoit
delaiſſ é Syon, pour aller en Egypte : mais i’en
eſpere proù de bien.
Durant le ſiege, à ce qu’on nous rapporta, nos
freres de la Rochelle ont ſouuent parlementé auec
le duc d’Aniou touchant quelques moyens
de paix, de laquelle l’ennemy oyoit fort volõtiers
parler ſe voyant fruſt ré de l’eſperance de pouuoir
forcer la Rochelle, pource qu’il auoit perdu vn
bien fort grand nombre de ſa nobleſſ e, & treſgrãd
nombre de Capitaines & ſoldats, & que les ſuruiuans
auoyent le cœur failly, quoy que les Suiſſes
en nõbre de 6 mil fuſſ ẽt arriuez à leur ſecours.
Enfin le duc d’Aniou ayant receu certaines
nouuelles qu’il eſt oit eſleu roy de Poloigne, par
les menees de Monluc Eueſque de Valence & de
ſes autres agents. Elect ion autant à l’auantage & ſoulagement de l’Egliſe Françoiſe qu’à la ruine &
ſubuerſion de la liberté des Polonois, ſi Dieu n’a
bien grand pitié d’eux : ayant, dis-ie, receu ces nouuelles,
ſon ambition luy cõmandant de ſe haſt er à
porter la couronne : il ouyt lors plus volontiers
parler de paix qu’auparauant. Et ayant fait ſortir
les deputez de la Rochelle pour parlementer,
Il receut lors de leurs mains le 25 de Iuin leurs articles
& leurs demandes qu’il enuoya incontinẽt
par deuers Charles le tyran.
Toſt apres l’armee de l’ẽnemy qui ne cerchoit
que le repos toute haraſſ ee d’auoir eſt é ſi ſouuẽt
battue & moquee, commença à ſe desbander çà
& là. Et auſsi les noſt res à auoir de relaſche plus
qu’ils n’euſſ ent oſé penſer.
Ie ne te dis pas le nombre de ceux qui ont eſt é
tuez du coſt é de l’ennemy : il paſſ e plus de huict
mille. Ie ne te nõme pas auſsi les principaux d’entre
eux qui y’ont eſt é tuez ou bleſſ ez pource que le
diſcours qui ẽ eſt imprimé en nõme la plus part.
Seulement ie te diray en paſſ ant, qu’vn ſeul boleuard
appellé de l’Euangile, contre lequel l’ennemy
s’aheurta le cuydant emporter de volee, à
fait perdre à vne infinité des ennemis leur meſchante
paillarde vie ſans qu’ils ayent rien exploité.
C’eſt de là d’où fut tiré vn coup de couleurine
qui tua le duc d’Aumale derriere vn gabion.
c’eſt de là où l’eſpee vierge du Perõ ſe retirãt des
trẽchees le iour qu’õ batit ce bouleuard de 40 canons
fut bleſſ é au dos qu’il luy auoit tourné : c’eſt
ce bouleuard que les Princes accompagnez de la
Nobleſſ e allerẽt aſſ aillir le ſeptieme d’Aouſt où le Gonzague duc de Neuers, le marquis du Maine,
Clermont, le Gas, & vn grand nombre d’autres
aſſ aillans furent bleſſ ez & plus de trois cens
tuez. C’eſt ce bouleuard que l’ennemy fit ſapper
& miner, duquel vn grand quartier ſe renuerſa
par deuers les Rochellois qui rendit l’endroict
plus fort que deuant : les autres quartiers de pierre,
les pieces de bois & ruine de la terre, renuerſerent
tous dans les trenchees de l’ennemy, choſe
qui fit perdre la vie à plus de deux cens d’entr’eux
choſe qui eſt oit fort horrible de voir emporter
en l’air les bras, iãbes, & autres membres de Meſſieurs
nos ennemis, & d’en voir tirer vn grand nõbre
deſſ ous les ruines de la mine. C’eſt ce bouleuard
duquel (eſt ant batu de nouueau & eſt ant de
nouueau miné & aſſ ailli en grande diligence par
les Capitaines & ſoldats de l’ennemy, ainſi qu’ils
eſt oyent preſques au deſſ us) ils furent repouſſ ez
par trois fois & contraints par les noſt res de ſe retirer
à leur courte honte, & grand perte de nos ennemis.
C’eſt auſsi ce bouleuard ſur lequel quelques
troupes des ennemis eſt ans montees, & ayãt
trouué vn Corps de garde des noſt res endormy,
le tuerent & mirent en pieces, l’onzieme du mois
de May. Ce nõobſt ant ce bouleuard eſt touſiours
demouré aux noſt res.
Tout cecy que ie te viens de dire, tu le verras
au diſcours meſmes que nos ennemis en ont fait.
L’hi. C’eſt vn bouleuard remarquable, & croy
moy, ce n’eſt ſans emphaſe & ſans vn myſt ere caché
que ce nom-là de l’Euãgile luy a ainſi eſt é impoſé.
A y regarder de bien pres il a produit meſmes effets que l’Euangile aſſ ailly a accouſt umé
de produire. Il a repouſſ é les efforts de l’ennemy,
& renforcé ceux qui le deffendoyẽt, pendãt qu’ils
ont eſt é au guet & ſur leurs gardes. Mais quand
ils ſe ſont endormis leur a laiſſ é coupper la gorge :
& en fin il eſt demouré entre les mains des
gens de bien ſans leur pouuoir eſt re arraché. Le
Seigneur a fait tout cecy ſe monſt rant grand & admirable
en la conſeruation des ſiens.
Le pol. Cela eſt ſans doute : or eſcoute, afin que
i’acheue de te dire, ce qui s’eſt paſſ é durant ce ſiege
de la Rochelle. Apres que les deputez de l’ennemy
& les noſt res eurent parlementé des moyẽs
de paix, voyant que nos freres de la Rochelle demandoyent
par leurs articles pluſieurs choſes cõcernans
toute l’Egliſe Françoiſe, & ne vouloyent
entendre à aucun accord, quoy qu’ils fuſſ ent merueilleuſement
preſſ ez, affligez & haraſſ ez, ſans que
de meſme le reſt e de nos freres receuſt vn bõ ſoulagement
en ſes oppreſſ es, remonſt rans qu’il n’eſt oit pas
honneſt e qu’vn de leurs membres ſouffriſt
peine ou plaiſir : ſans faire part & du mal & du
bien aux autres membres de leur corps. Voyãt,
dis-ie, qu’ils inſiſt oyent à cela, l’ennemy leur accorda
qu’ils peuſſ ent librement communiquer auec
ceux de Montauban, & ceux de Montauban
auec eux pour le benefice de paix.
Et de fait ceux de Montauban vindrent, comme
ie t’ay voulu dire, durant le ſiege à la Rochelle
auec memoires de nos autres freres, ſous ſaufconduit
de l’ennemy : & meſlerent leurs demandes
& celles qu’ils eſt imerent eſt re bon de faire, pour le reſt e du corps de l’Egliſe Françoiſe auec
celles de la Rochelle. Leſquelles, comme ie t’ay
dit, furent enuoyees au tyran ſur la fin du mois de
Iuin dernier paſſ é. Le tyran & tout ſon Conſeil
eſt onnez comme fondeurs de cloches, quand la
fonte n’a pas bien pris, ne ſachans plus de quel
bois faire fleches, n’ayant ny gens, ny argent, ny viures
pour pouuoir plus long temps camper : &
ne pouuant à force ouuerte emporter ceux de la
Rochelle, ſe contentãt d’y auoir receu & d’auoir
fait receuoir de meſmes à ſon frere le duc d’Aniou
vn eſcorne & perte la plus grande, que iamais
tyrans receurent en ce monde : & ne voulant pas
que les ambaſſ adeurs de Pologne, qui venoyent
ſaluer leur beau roy le trouuaſſ ent embeſoigné en
vn ſi cruel ouurage & en affaire ſi honteux : le tyran
(dis-ie) fut contraint recourir au dernier remede,
duquel il a toujours vſé pour nous ruiner
& piper. Il fit ſur nos demandes & articles vn edit
au mois de Iuillet, par lequel, apres auoir declaré
dés l'entree que ſon intention a touſiours eſt é de
regir & gouuerner ſõ royaume pluſt oſt par
douceur & voye amiable que par force, il accorde
à ceux de la Rochelle, gentilshõmes, & autres retirez
en icelle les points & articles qui y font ſpecifiez,
tãt pour eux que pour les habitãs des villes
de Montaubã & Niſmes, gentilshõmes & autres
retirez en icelles & aucuns autres ſes ſuiets pour
leſquels ils ont ſupplié. Premieremẽt que la memoire
de toutes choſes paſſ ees depuis le 24 d’Aouſt dernier
paſſ é à l’occasiõ des troubles & emotions
auenues en la Frãce demourera eſt einct e & aſſ opie cõe de choſe nõ auenue, deffendãt à tous
ſeſ ſuiets de quelque qualité qu’ils ſoyent qu’ils
n’ayẽt à en parler ny en renouueller la memoire.
L’hi. Mon Dieu le vilain edit : ie te prie ne m’en
recite pas d’auãtage : eſt -il poſsible qu’il y ait tãt
d’impudẽce en tout le reſt e des meſchãs qu’en ce
perfide tyrã ? qui apres auoir tout rauagé & enſanglãté
toute la Frãce aux quatre coins & au milieu,
veut faire à croire maintenãt, qu’il a eu touſiours
intentiõ de cõduire le tout doucement & par la
voye amiable ? Ha malheureux ! Et eſt -il poſsible
encores qu’il oſe maintenant deffendre de iamais
ne parler de ſi horribles cruautez ? ou penſe-il par
ſon edit pouuoir effacer la memoire de ſes trahiſons
cõme de choſe non auenue ? que n’entreprẽd
il quand & quãd de deffendre ſur groſſ es peines
au ſang innocent reſpandu de ne demander point
vengeance deuant le tribunal de Dieu ? ha ſchelme !
Et les pierres n’en parlerõt elles pas, quand
les hõmes ſeroyent ſi laſches que de t’obeir en cela ?
O le grãd coup que ce tyran a fait pour nous
en ceſt endroit, c’eſt vn bel article de paix. C’eſt
autãt cõme s’il diſoit : il eſt vray poures beſt es que
le 24. d’Aouſt , & depuis en çà i’ay tué & fait tuer,
& maſſ acrer traiſt reuſemẽt, ſans differẽce d’aage
de ſexe ny de qualité tous ceux que i’ay peu d’entre
vous ? Et ne tiẽt pas a moy, que ie ne face mourir
tout ce qui eſt demouré de reſt e. Car telle eſt
mon intentiõ : mais ie veux & entens qu’on croye
qu’il en va bien tout autremẽt, & qu’il n’en eſt riẽ
auenu, quoy que le ciel & la terre le ſache : ha beſt e
furieuſe & enragee ſi iamais il en fut au mõde !
Si eſpere-ie qu’il t’auiendra quelque iour pour
beaucoup qu’il tarde à tout le moins ce qui auint
à Tryfus ce tyran inſigne, mais ſans comparaiſon
meilleur que tu ne fus iour de ta vie. Ce vilain
ayant deffendu par ſon edict à ſes ſuiets de ne parler
point l’vn à l’autre ny en public ny en priué,
(craignant qu’entre eux ils n’auiſaſſ ent de ſe remettre
en liberté) ſes poures ſuiets furent contraints
pour exprimer leurs conceptions les vns
aux autres d’vſer de geſt es, de contenances & ſignes
des yeux, de la teſt e & des mains tels qu’ils
pouuoyent pour s’expliquer. Mais ces façons &
moyens de ſe faire entendre, leurs eſt ans auſsi deffendus :
vn poure bõ hõme outré du creuecœur &
deſplaiſir qu’il ſentoit d’vn ioug ſi peſant, s’en alla
au milieu de la place, cõmẽça à ſe plaindre en ſoy
meſme, à lamenter, à gemir & à plourer, tellemẽt
qu’il attira vne grande multitude de ſes concitoyens
à larmoyer auecques luy pour leur dure & miſerable
condition. Cela eſt ant entendu du tyran,
ne pouuant ſouffrir ſeulement qu’on ſe plaigniſt
de ſes cruautez, s’en vint droit à la place, où ceſt e
poure multitude deſarmee & plourante eſt oit aſſ emblee :
pour leur empeſcher encores celle naturelle
faculté de gemir & larmoyer. Mais Dieu
voulut que le peuple ne ſe pouuant plus contenir,
s’eſt ant rué deſſ us les gardes & ſatellites du tyrã,
leur arracha des poings les armes & mit le tyran
infame en mille pieces & lopins.
Le pol. Voila bonnes gens, compagnon, ie croy
bien qu’apres ce beau trait Tryfus le tyran n’euſt
oſé les empeſcher ny leur deffendre de ſe complaindre & lamenter.
Mais reuenant à parler du noſt re : Par ceſt edict
meſmes il ordonne qu’il ne ſera loiſible ne
permis à ſes procureurs generaux, ny autres perſonnes
publiques ou priuees en quelque temps,
ny pour quelque occaſion que ce ſoit faire mention,
proces ou pourſuite des choſes auenues depuis
le mois d’Aouſt en ça en aucune cour ou iuriſdict ion.
L’hi. Cecy eſt encores pire que les mots precedẽts
n’eſt oyent. Car en deffendant à ſes procureurs generaux
de n’en faire aucune pourſuite : c’eſt tout
autant que s’il diſoit : la coniuration que ie mis à
ſus à l’Amiral & aux autres Huguenots pour auoir
quelque couleur en mes cruautez, quoy quelle
ſoit fauſſ ement excogitee par moy & mes ſpeciaux
Conſeillers, & qu’elle n’ait apparence quelconque
de verité ny meſme aucune veriſimilitude,
eſt toutefois tellement vraye, que ie veux qu’õ
le penſe ainſi. Et partant mes procureurs vous en
pourroyent vn iour tirer en cauſe deuant mes parlemẽs
& autres iuges & officiers. Mais ie ne veux
pas qu’ils le facent, pourueu que vous auſsi ne
vous plaigniez nullement de ce qui vous a eſt é
fait ny en faciez aucune pourſuite en aucune cour
ou iuriſdict ion. Le tyran ſera toujours en liberté
de nous en ietter le chat aux iambes quand il
voudra & quand il nous tiẽdra en puiſſ ance. Mais
quant à nous il ne veut pas que durant ſa meſchãte vie, ny
apres ſa vilaine mort, ſi Dieu nous en
donne quelqu’autre qui nous vueille faire raiſon,
que nous en facions la pourſuitte deuant la iuriſdiction des hommes, ny deuant celle de Dieu. Il
faut bien dire que ce tyrã a excedé du tout les bornes
de toute impieté & iniuſt ice. Pour l’honneur
de Dieu, fay moy ce plaiſir que nous ne parlions
plus des edits de ce bourreau, de ce ſauuage : ſi nõ
que de bonheur il s’auiſaſt d’en faire vn qui commandaſt
de l’eſt rangler auec la truye & les cochons,
tous ſes ſuppoſt s & conſeillers. En ce cas
ie ſerois d’auis qu’on vſaſt vers eux de douceur,
ne permettant pas qu’ils tombaſſ ent en la miſere
de Neron, qui ne trouua lors qu’il ſe vit reduit
en extreme deſt reſſ e, vn ſeul amy ny ennemy, qui
luy vouluſt faire ce plaiſir de le deſpecher & tuer.
Ie ſerois, dis-ie, bien d’auis qu’on ne les fit gueres
languir, de peur qu’ils ne ſe retract aſſ ent, quãd ils
verroyẽt l’ẽfer ouuert & tout preſt à les receuoir.
Le pol. Ie ſerois biẽ de meſme auis. Et croy qu’auſſi
tous les bons Catholiques en deſireroyẽt tout
autãt pour ſe voir par là deſpeſt rez du ioug de ce
mãge-ſuiet. Mais cependãt tu me ſemble trop difficile
à ne vouloir point que ie parle de ceſt edit
tãt ſignalé : ie dis ſignalé notãment, cauſant la paix
ou le relaſche que nos freres en ont ſenti lors : alors
que pas vn de nous ne s’y oſoit ny s’y pouuoit
attendre : tu és bien vn merueilleux homme à ne
conſiderer pas cela.
L’hi. Ie le conſidere bien, & ren graces à Dieu de
bon cœur pour la deliurãce miraculeuſe des poures
aſſ iegez. Mais ie ſuis tant ſaoul d’ouir parler
de ces edits, i’en ay les oreilles tãt battues, qu’auſſitoſt
que i’en entends vn mot, peu s’en faut que
ie ne rende ma gorge, & ſur tout s’il y a quelque choſe bõne pour nous en ſon edit, & qu’il l’appelle
irreuocable. Car en ce cas touſiours il nous
faut croire qu’il en fera cõme de ceſt uy-là de l’an
1570 au mois d’Aouſt , qui n’a ſerui à autre choſe
qu’à nous attraper & nous perdre, quelque irrevocable
qu’il fut. Et ſe faut touſiours ſouuenir de
ce dont on auertit le deffunct Amiral. Que le tyran
ne permettra iamais que ſes ſuiets, qui ſe ſerõt
vne fois eleuez en armes pour quelque occaſion
iuſt e ou iniuſt e que ce ſoit, iouyſſ ent de la faueur
& benefice des loix : A plus forte raiſon me
dois-ie faſcher de ce vilain edit des ſõ entree ſi effronté
& inique.Le pol. Toutefois ſi en diray-ie
encores deux ou trois traits ſous ton congé.
L’hi. Tu le peux faire : mais ie m’aſſ eure que s’il falloit
eſplucher le ſens caché & les myſt eres contenus
dedans les articles de tels edits irreuocables,
que ce ne ſeroit iamais fait. Et l’heure me ſemble
fort tarde, il eſt temps de penſer ailleurs.
Le pol. I’auray fait en deux mots. C’eſt qu’il ordõne
que la Rochelle, Niſmes, & Montaubã, & les
gentilshõmes & autres qui iuſqu’alors ſe ſont cõſeruez
en la Religiõ pourront iouyr de l’exercice
d’icelle. Et ceux qui pour crainte de mort ou autre
infirmité ont eſt é cõtraints de faire promeſſ es
& obligatiõs, & bailler cautiõs pour chãger de
religiõ ſõt deliurez de telles promeſſ es & cautiõs.
L’hi. Les premiers, quoy qu'il leur promette n'aurõt
pas ſeulemẽt la vie, s'ils s’arreſt ẽt à ceſt edit.
Les derniers cõfeſſ ans leur fautes sõt abſous du
ſouverain roy de telles promeſſ es. Mais il vaut
mieux mourir vne autre fois que d’en plus faire.
Le Pol. Au reſt e la Rochelle, Niſmes & Montauan
iouirõt, ce dit ceſt edit de leurs priuileges anciens,
& modernes droits de Iuriſdict ion & autres
eſquels ils ſeront maintenus & conſeruez ſans auoir
aucune garniſon, en baillant durant deux ans
quatre des principaux bourgeois de chacune deſdict es
villes, qui ſeront choiſis par le tyran entre
ceux qu’ils nommeront & changez de trois en
trois mois pour demonſt ration & ſeureté de leur
obeiſſ ance.
L’hi. Ce terme de deux ans m’eſt fort ſuſpect ,
quand ie me ſouuiens des deux ans de l’autre edict
irreuocable. Et ces bourgeois qu’on baillera
ne ſeront pas à leur retour ſi aſſ eurez qu’au parauant.
Et aſſ eure toy qu’il n’a voulu qu’on fiſt ce
changement de trois en trois mois, que pour auoir
meilleur moyen de corrompre tant plus
de gens : afin de ſurprendre ces villes. Au demeurant
ie t’accorde qu’elles iouyront de leurs
priuileges, ſi elles pratiquent les articles de Daniel,
la reſolution de ceux du Dauphiné, & celle
que tu m’as dict e de nos frères de Niſmes, autrement
ie ny voy point d’ordre, quelque edict que
le tyran face.
Le pol. Auſsi ne s’y fient-ils pas, & ſcauent fort
bien dés ceſt e heure à quoy ils ſe doyuent tenir.
Mais tant y a que la Rochelle en ſent quelque ſoulagemẽt,
non par la vertu de l’edit, ains par la vertu
de la force ou pluſt oſt par grâce de Dieu, qui a
fait retirer l’armee & le camp de nos ennemis.
Quant à ceux de Montauban & Niſmes & toutes
les Egliſes de la Guienne, Languedoc, Viuarez, Geuoudam , Scneſchauſſ ee de Thoulouze,
Auvergne, Rouergue, haute & baſſ e Marche,
Quercy, Perigort, Limoſin, Agenois, Armaignac,
Cõmẽges, Cõſerãs, Bigorre, Albret, Foix,
Laurageois, Albigeois, pays Caſt rez, de Villelaugues,
Mirepoix, Carcaſſ ez, & autres pays &
prouinces adiacentes, eſquelles par grace de
Dieu y a grande quantité d’Egliſes, pas vne d’elles
n’a fait conte, ny n’a daigne s’amuſer aux paroles
de ceſt Edit, n’auſſ i pareillemẽt nos freres
que ie t’ay dit du Dauphiné.
L’hiſt . O qu’ils ſont ſages ! pourueu qu’ils ſachent
ſe tenir touſiours ſur leurs gardes, & ne
plus s’attendre au Tyran. C’eſt le ſeul moyen
pour r’auoir leurs libertez & priuileges, & pour
garder auec leurs vies, leurs biens, cheuances,
& honneurs, que perſonne ne leur rauiſſ e la liberté
de leur conſcience, & l’exercice de la religion.
Mais ie te prie de me dire, cõme il va de ceux
de Sancerre. C’eſt Edict dernier n’en parle il
point ?
Le pol. Rien du tout. Quoy que nos freres de
la Rochelle en ayent fait bien grande inſt ance,
ſachant le calamiteux eſt at où ils eſt oyent reduits,
Mais ie te diray ſommairement ce que
i’en ſcay.
Quant à nos poures freres de Sancerre, le
Sieur de la Chaſt re Gouuerneur pour le Tyran
en Berry, les aſſ iegea dés le mois de Ianuier dernier
paſſ é, fit batterie auec dixhuict ou vingt
pieces d’artillerie, en diuers endroits de leur ville, fit breſche de cinq cens pas, & le ieudy deuant
Paſques, leur liura vn aſſ aut fort & rude,
duquel ſe voyant viuement & bien repouſſ é auec
ſa courte honte, & perte de bon nombre
des ſiens, comme l’hiſt oire, que ie te monſt reray,
en fait mention : il s’eſt contenté de les tenir
aſſ iegez, par le moyen de quelques forts & trenchees,
qu’il fit faire pour empeſcher les noſt res
de ſortir, & les viures d’aller à eux : s’aſſ eurant
par ce moyen, de les faire à la longue mourir de
faim.
Et en ceſt e façon, les a tenus de tous coſt ez
enfermez, ſans les aſſ aillir de plus pres, que de
la portee d’vn moſquet, depuis le mois de Mars
iusques au mois d’Aouſt dernier.
Durant lequel temps, ces bonnes gens ont
eu vne infinité de mal aiſé, de faim, de poureté &
diſette. Laquelle plus ils alloyent auant, plus
s’alloit augmentant, iuſques là, qu’ils ont
eſt é contrains de manger cuyrs, ſouliers, parchemins
bouillis, & autres telles eſt ranges
viandes.
Cependant, la parole de Dieu qui leur eſt oit
iournellement preſchee, nourriſſ oit leurs armes
en toute abondance.
Eux ſe voyans reduits en telle perplexité,
qu’ils n’attendoyent plus que la mort, prioyent
ſans ceſſ e le Seigneur pour leur deliurance.
Que ſi ſon bon plaiſir eſt oit, de les expoſer es
mains cruelles & barbares de leurs ennemis,
qu’il les fortifiaſt & raffermiſt de cœur, de corps
& d'ame en vne conſt ante foy & eſperance de la vie eternelle, iuſques au dernier ſouſpir de ceſt e-cy.
Les ſoldats, le Peuple, les femmes & iuſques
aux petits enfans de la ville, qui ſuruiuoyent à
la faim, languiſſ ans es trenchees, emmy les rues
& dans les maiſons, ne ceſſ oyent de tendre les
mains au ciel, d’y eſleuer leurs yeux, attendans
ſecours du treſ-haut.
Leurs miniſt res faiſoyent vn ſingulier deuoir
a les cõſoler, à les exhorter & encourager à bien
faire, & à mieux eſperer. Leur remonſt rans : que
combien que la conſpiration des ennemis s’eſt endit
iuſques à vouloir racler la memoire des
bons de deſſ us la terre, afin qu’il n’y euſt que le
ſeul regne des meſchans en vogue : que toutefois
il en iroit tout autrement.
Que les Roys de la terre auoyent beau ſe mutiner,
beau comploter, & s’eſleuer contre le Seigneur
pour rompre & ſecouer ſon ioug, & pour
ruiner ſon Egliſe : que celuy qui habite es cieux
s’en rira : que le Seigneur ſe moquera d’eux, leur
parlera en ſon courroux, & les eſt onnera par ſa
fureur, qu’il les caſſ era par ſon ſceptre de fer, &
les briſera comme vn vaiſſ eau de potier. Qu’ils
s’aſſ eurent que la pierre, que Nabuchadonozor
vit en ſonge couppee ſans mains, caſſ era le fer, la
terre, l’airain, l’argent & l’or de l’image & ſeront
comme la paille que le vent emporte, & que ceſt e
pierre deuiendra vne grande montagne, &
remplira toute la terre, briſant tout autre Royaume,
Principauté & hauteſſ e, qui s’oppoſe au
Royaume eternel de Ieſus Chriſt .
Partant mes freres (leur diſoyent-ils) ne vous
faſchez point, pour raiſon des mal-faiſans, que
vous voyez ce ſemble proſperer. Car ils ſeront
coupez ſoudain comme le foin, & viendront à
faner comme l’herbe verde.
Attendez en patience le Seigneur, ayez ferme
fiance en luy, & ne portez point d’enuie, n’ayez
meſmes aucun regret de celuy, qui eſpere en
ſes laſchetez. Car les malins ſeront exterminez,
mais ceux qui ont leur attente au Seigneur, ſeront
benis de luy. ils ne ſeront point confus au
mauuais temps.
Le Seigneur eſt puiſſ ant pour donner la manne
du ciel, pour faire ſortir de l’eau de la pierre
dure. Mieux vaut peu de choſe au iuſt e, que
foiſon de biens aux meſchans, ils ont (dit Dauid)
deſgainé leur glaiue, & ont bandé leur arc pour
abbatre le poure & indigent, & pour meurtrir
ceux qui cheminent droit.
Mais leur glaine entrera dans leur propre
cœur, & leur arcs ſeront rompus. Il eſt vray,
(mes freres diſoyent-ils) que c’eſt vn argument
ſuffifant ſelon la chair pour chopper & faire cõme
banque route à Dieu, de voir comment
les ennemis de l’Egliſe proſperent, qu’ils ſe glorifient
en cruauté & violence enuironnez d’orgueil,
comme d’vn carcan, que la graiſſ e leur
pouſſ e leurs yeux hors de leur chef malicieux,
& que bien ſouuent, ils ont dauantage que n’a
deſiré leur courage.
Au cõtraire voir vn Dauid, voire toute vne Egliſe
en deſt reſſ e, ſes iours desfaillir comme fumee, ſes os hauis, cõme vn tiſon, fõ cœur frappé
& ſeché ſemblable au Pelican du deſert, ou
comme le hibou qui ſe tient es lieux ſauuages,
ſemblable au paſſ ereau priué de ſa compagnie,
qui ſe tient ſur la cime du toict , le voir manger
la cendre comme le pains & meſler ſon boire
de pleurs.
Mais certes ſi nous ſommes enſeignez comme
il appartient par la parole de Dieu, nous
trouuerons que le Seigneur a logé les meſchans
en lieux gliſſ ans pour les precipiter en ruyne,
pour les deſt ruire en vn inſt ant, & les conſumer
d’vne maniere eſpouuantable.
Et d’autre part, nous voyons que Dieu encline
ſon oreille au beſoin, à la clameur de ceux
qui patiemment l’attendent, les tire hors du
bourbier, les deliure des dangers, affermit leurs
pieds, adreſſ e leurs pas, & les loge ſur vn roc fort
& aſſ euré. Nous verrons vn Elie, au temps de la
plus grande famine nourry par les corbeaux, &
& quelques fois par les Anges. Nous le verrons
enuoyé à la vefue, qui n’a point de pain, ains
ſeulemẽt pleine main de farine, & vn peu d’huyle,
n’attendant que la mort. Nous le verrons
nourry, la vefue ſuſt entee, la farine, & l’huyle
continuer à les nourrir,& ne defaillir nullement.
La main du Seigneur n’eſt point abbregee,
ſon bras n’eſt point accourcy, le Seigneur eſt le
Roy qui ſeul peut tout ce qu’il veut, il ne permettra
point, qu’vn cheueu de noſt re teſt e tombe
en terre ſans ſa volonté, partant ne nous effroyons aucunement pour le deſſ ein des hommes
qui ont iniuſt ement deliberé de nous mettre
tous à mort auec nos femmes & enfans, ſoyons
pluſt oſt aſſ eurez, que ſi le Seigneur a ordonné
de nous deliurer tous, ou aucuns de nous
que nul ne luy pourra reſiſt er, s’il luy plaiſt que
nous mourions tous, ne craignons point.
Car il a pleu à noſt re Pere, nous donner vne
autre habitation, qui eſt le Royaume celeſt e,
auquel il n’y a point de mutation, poureté, miſere,
larmes, pleurs, dueil, ou triſt eſſ e, ains felicité
& beatitude eternelle.
Il vaut beaucoup mieux eſt re logez auec le poure
Lazare au ſein d’Abraham, qu’auec le mauuais
riche, auec Cain, auec Saul, auec Herode, ou
auec Iudas en enfer.
Cependant il nous faut boire du breuuage
que le Seigneur nous a preparé vn chacun ſelon
ſa portion.
Il ne faut pas que nous ayons hõte de la croix
de Chriſt , ny regret de boire du fiel duquel il a
eſt é le premier abbreuué : ſachans que noſt re
triſt eſſ e ſera tournée en ioye, & que nous rirons
à noſt re tour, quand les meſchans pleureront, &
grinceront les dens.
Par telles & ſemblables paroles, les paſt eurs
ſollicitans iournellement le peuple, de ſe preparer
à receuoir totu ce qu’il plairoit à Dieu
leur enuoyer, les enſeignoyent & entretenoyent
de plus en plus en tout deuoir & bon office de
pieté & crainte de Dieu. Lors que contre toute
eſperance, Dieu citant par maniere de dire, comme deſcendu pour voir leur afflict ion, le vingt &
ſixieme du mois d’Aouſt dernier paſſ é : lors que
ils ne pouuoyẽt, ſelon l’apparence humaine, autre
choſe faire (s’ils ne vouloyent renier Dieu)
tout à plat, que ſe laiſſ er mourir de faim, ils
furent receus à compoſition par le ſeigneur de la
Chaſt re (non ſans le ſceu du Tyran, quoy qu’au
parauant, il euſt dit, qu’il les feroit manger l’vn
l’autre, Dieu luy ayant pour ce regard flechy &
amolly le cœur) qui leur promit de leur laiſſ er
la vie & biens ſauues, & l’exercice de la Religion
à la forme de l’edict , moyennant qu’il donnaſſ ent
quarante mille francs au Tyran : ce que
les poures gens ont fait & accomply.
Quoy que les ennemis par apres contre toute
foy donnee ſelon leur couſt ume, ayent pillé &
deſrobé ce que bon leur a ſemblé de leurs meubles,
demantelé leur ville, enleué iuſques à leur
horologe, & maſſ acré quelques vns d’entre eux,
& notamment le Bailly & Gouuerneur de Sancerre.
Et contraint les autres, qui ne iouiſſ ent
d’vn ſeul brin de liberté, d’eſt re vagabons & errans
a la mercy des volleurs & brigans. Au ſurplus,
ie ne veux pas oublier à te faire entendre,
que l’vn des moyens, deſquels Dieu s’eſt principalement
ſeruy pour la deliurance de ces bonnes
gẽs de Sancerre, a eſt é la venue des ambaſſ adeurs
de Pologne, qui arriuerent en la Cour du Tyran,
quelques iours au parauant la compoſition
de Sancerre.
L’hiſt or. Ie te prie declare moy vn peu par le
menu ton dire, ie ne puis pas bonnement entendre comment ce peut eſt re que les Polonois
ayent ſeruy à faire deliurer les Sancerrois.
Le pol. Ie te diray comment. Les Polonois apres
la mort de leur Roy Sigiſmond dernier decedé
ſollicitez par l’Eueſque de Valence, & le
ieune Lanſac, leſquels comme tu ſcay, leur furent
enuoyez en ambaſſ ade, d’elire à leur Royaume
vaquant, le Duc d’Aniou apres quelques
remiſes, ne firent que bien peu, ou point de difficulté
d’en faire elect ion pour des conſiderations
particulieres, reuenans comme il leur ſembloit
au bien de leur eſt at.
Mais ayans toſt apres entendu les nouuelles
des trahiſons de ceux de Valoys & des maſſ acres
qu’ils auoyent fait faire en la France ſur les
fideles, indignez extremement contre ceſt e maiſon,
ils furent bien fort marris, d’auoir fait vn ſi
meſchant choix, & n’euſſ ent pour rien voulu auoir
eleu d’vne ſi trayſt reſſ e race, homme qui
leur deuſt commander, craignant qu’il ne leur
miſt vn iour leur Patrie en pareille combuſt ion
que la France. Tellement que volontiers ſe fuſſ ent
departis de ceſt e elect ion, pour proceder à
Elect ion nouuelle, n’euſt eſt é que deſia, ils auoyent
irrité tous les autres competiteurs, qui pretendyent
de paruenir au Royaume de Pologne,
en ce principalemẽt qu’ils les auoyent poſt poſez
au Duc d’Aniou. Contrains donques & forcez
de s’y tenir, d’autant meſme que le Turc allié de
la maiſon de Valoys les en ſollicitoit auec des
conditions auantageuſes pour la Pologne.
Ceux de la nobleſſ e & des autres eſt ats de
Pologne faiſans profeſſ ion de meſme religion
que nous (leſquels à ce que i’entens ſont en bien
fort grãd nombre & des principaux du pays) eſt imans
que le faict de France attouchoit de pres
à leur eſt at & affaires, tant pour la pieté & crainte
de Dieu, que pour la charité & compaſſ ion de
nos freres affligez & le meſme danger auquel ils
pourroyẽt tomber : voulans eſprouuer le traitement
quais pourroyent attendre d’vn eſt ranger
par celuy qui ſeroit fait aux naturels ſubiets en
pareil cas, deuant que bien aſſ eurer & raffermir,
l’elect ion du Duc d’Aniou, entrerẽt en conference
& negotiatiõ nouuelle auec l’Eueſque & Lanſac,
deſquels entre autres choſes le 4 de May 1573.
ils obtindrẽt par promeſſ e ſolenelle iuree & ſignee
de leurs mains au nõ de leur maiſt re le tyrã,
Que pour remettre la paix en France, le tyran
aboliroit tout ce qui a eſt é fait durãt les guerres
ciuiles, que les fideles François pourroyent habiter
par toute la France ſans eſt re recerchez en
leur conſciẽce, ni contraints d’aſſ iſt er aux ſeruice
de la Papauté Que ceux qui ſe voudroyent retirer
hors de la France pourroyent vendre leurs
biens, ou iouyr de leurs renenus en terres qui ne
ſont ennemies de la Frãce. Que les heritiers des
meurtris ſeroyent remis en leur bon nom & honneur
nonobſt ant tous edict s & arreſt s. Que les
eſt ats des defunct s qui auroyent eſt é vendus, ſeroyent
rembourſez en deniers à leurs heritiers.
Que les foruſcis pour la religion pourroyent
r’entrer en leurs biens & honneurs, & habiter ſeurement ou bon leur ſembleroit de la France.
Que les villes qui tenoyent lors la religion
auroyent l’exercice libre d’icelle ſans aucun contredit
ne garniſon. Que l’on enquerroit diligemmẽt des
meurtriers & maſſ acreurs, & que punitiõ
exẽplaire en ſeroit faite. Et que l’Eueſque & Lanſac
à leur retour en Frãce ſeroyẽt de ſorte que le
Duc d’Aniou s’employeroit enuers le tyrã pour
obtenir de luy vn lieu en chaſcune prouince de
la France, auquel l’exercice de la religion ſeroit
librement faict .
Ces articles ainſi promis & iurez aux Polonois,
les ambaſſ adeurs François s’en reuindrent
à la Cour du tyran pour dõner les certaines nouuelles
de l’elect ion du Duc d’Aniou. Toſt apres
les eſt ats de Poloigne enuovyerent en France
pour ſaluer leur Roy eſleu & prendre de luy le
ſerment en tel cas requis vne ambaſſ ade fort honorable.
Laquelle ils chargerent auſſ i de pourſuyure
l’accompliſſ ement de ces articles, dequoy
principalement la nobleſſ e de la religion, & ſix
ou ſept des Palatins de Poloigne leur firent treſgrande
inſt ance : eſt imans que de la pratique de
ces articles dependoit entierement la paix de la
France & vn eſſ ay de ce qu’ils deuoyent eſperer
en Pologne.
Ces ambaſſ adeurs Polonois ne furent pas ſi
toſt arriuez à la Cour du tyrã, qu’apres l’auoir ſalué
& ſon frere leur Roy eſleu, deuant que parler
de leurs affaires de Pologne, ils leur parlerent de
remettre la paix en France & de l'y conſeruer &
entretenir mieux qu’ils n’auoyẽt fait par le paſſ é Autrement ils ne voyoyent point que l’alliance
auec le Frãçois peuſt ſeruir aux Polonois pendãt
que la France ſeroit en vn tel galbuge & en vn ſi
mauuais meſnage. Surquoy le tyran leur ayãt reſpondu
qu’il auoit deſia tout pacifiié par ſon edit,
leur en fit mõſt rer vne copie, laquelle ayãt veue
& biẽ cõſideré les mots de l’edict le trouuãt court
& captieux en tout & par tout, ny voyãt riẽ auſſ i
qui fauoriſaſt ceux de Sãcerre, que les ambaſſ . Polonois
auoyẽt entẽdu eſt re extrememẽt preſſ ez,
eſmeus de la cõpaſſ iõ de leur fait, ils firẽt inſt ãte
requeſt e à la mere du tyran pour leur deliurãce.
Et trouuans la l’Eueſque de Valence, ils le ſommerent
de ſa foy donnee en Pologne touchãt les
articles de paix. Mais la mere du tyrã qui ſauoit
bien l’eſt at des poures Sãcerrois, s'aſſ urãt qu’auiourd’huy
ou demain ils ſe rendroyent la hart au
col à toute mercy, reſpondit que Sãcerre eſt oit à
vn Seigneur priué, qui auoit eſt é offenſé par ſes
ſuiets. Et que le Roy luy auoit preſt é ſes forces
pour les chaſt ier, & ne luy vouloit faire tort anticipant
deſſ us ſes droits. L’Eueſque ayant auoué
ce qu’il auoit promis & iuré, faiſoit ſemblant de
prier pour ceux de Sancerre, affermant que iamais
il ne fuſt venu à bout de ſa charge enuers les
eſt ats de Pologne ſans les voix, ſuffrages & faueur
des Seigneurs & gentils hommes de la Religion.
Cependant il prioit les ambaſſ adeurs Polonais
de luy donner relaſche de deux ou trois iours,
pour ſe pouuoir acquiter de ſa promeſſ e & qu’ils
ne doutaſſ ent nullement que les choſes iroyent
mieux qu’ils ne penſoyent.
Or vſoyent ils & la mere & l’eueſque de ceſt artifice
& renuoy pour auoir cependant leur plaiſir
de l’entiere euerſiõ des Sancerrois, qu’ils ſcauoyent
comme i’ay dit eſt re preſt s à ſe rendre,
pour euiter à mourir de male faim.
Les Polonois ſe voyãs ainſi rẽuoyez ayãs appris
par le bruit courant l’extremité des Sancerrois
retournent le lendemain trouuer la mere Catherine,
la prient & l’adiurent d’auoir compaſſ ion
des Sancerrois, qu’ils ne ſoyent pas pirement
traitez que les autres, qu’on donne bien le pain
aux chiens, qu’a plus forte raiſon le doit on fournir
aux Chreſt iens. & que la cruauté eſt par trop
grande, de vouloir faire mourir de faim ceux qui
(comme ils eſt oyent informez) n’auoyẽt en rien
failly : ſi d’auenture on ne veut appeller faute, ſeruir
à Dieu purement, & defendre ſa propre vie.
Partant la ſupplient d’y auoir eſgard.
A cela la bonne dame leur reſpõdit, que lon
traitoit leur compoſition & que de bref ils en auroyent
quelque bon contentement.
En ces entrefaites la compoſition que i’ay dit
de Sancerre fut faite, & portee à ſigner au tyran,
qui en blaſphemant reſpondit, comme il auoit
deſia dit quelques iours auparauant, que par la
mort Dieu il ne vouloit point de compoſition
& qu’il n’en ſigneroit point. Que par le ventre
Dieu il les vouloit voir manger les vns les autres.
Et de faict il ne l’euſt point ſignee, ſans ce
que ſa mere & ſes plus ruſez conſeillers luy remonſt reront
que s’il ne ſignoit ceſt e compoſitiõ
il gaſt oit tout ce qu’on pouuoit attendre de la negociation de Pologne : que les Polonoys auec
leſquels ils n’auoyent encores rien conclu eſt ans
informez d’vne telle rigueur, s’en offenſeroyent
grandement & ſeroyent bien gens pour rebroſſ er
leur chemin ſans vouloir paſſ er outre à leur
charge.
Cela, di-ie, fut cauſe que le tyran la ſigna, Dieu
luy ayant par ſa prouidence fleſchy le cœur pour
ce regard. Voila le moyen duquel Dieu importuné
d’autre part par les prières des ſiens, & ayãt
ſon honneur par maniere de dire engagé à leur
conſeruation, s’eſt ſeruy pour la deluirance de
ces pouures Sancerrois. Et ne doute point auſſ i
que les nouuelles de la venue des Polonois, dés
lors qu’elles furent entendues à la Cour du tyran,
& au camp deuant la Rochelle, comme ie
t’a y dit, n’ayent eſt é aucunement cauſe de faire leuer le
ſiege & d’accommoder les affaires de
nos freres de la Rochelle.
L'hi. Ce ſont choſes merueilleuſes que les œuures
de noſt re Dieu. Et a y bien penſer, à vray
dire, on ne ſe peut remettre à la memoire l’iſſ ue
du ſiege de la Rochelle, de Sancerre, & du
ſiege de Soimmieres, dont tu me parlois n’agueres,
qu’on ne voye clairement & à l’œil que
Dieu y a monſt ré & fait paroiſt re : d’vne part l’innocence
& iuſt ice des ſiens : & d’autre part par
confequent l’iniuſt ice & infame deſloyauté de
ſes ennemis. Car l’eſt onnement des trahiſons
& maſſ acres ſi cruels & inopinez eſt oit plus
que ſuffiſant pour faire perdre le cœur aux plus
vaillans & aguerris.
Les longs & obſt inez ſieges, tant de rudes & furieux
aſſ auts & autres exploits & ruſes de guerre
eſt oyent baſt ans pour emporter des places
beaucoup plus fortes. Et toutesfois Dieu a tellemẽt
pourueu aux ſiens par vne admirable bonté
& prouidence, & a tellement encouragé le peu
qui reſt oit qu’ils ont fait teſt e à toute la force de
leurs fiers & ſanglans ennemis ſans ſecours d’aucun
de leurs voiſins, quoy que les ennemis en
ayent emprunté de toutes pars ſelon leur couſt ume,
ayans perdu de leurs gens en ces trois ſieges
plus qu’ils n’auoyent perdu en toutes les trois
guerres paſſ ees.
Cela me fait, quand ie le conſidere, eſperer encores
plus auant. Que comme Dieu par vne faueur
ſpeciale : & ſecours extraordinaire a beſongné
iuſqu’à preſent, qu’auſſ i vn iour en nos preſences
& deuant nos yeux ou des noſt res, il fera
l’entiere vengeance du ſang innocent reſpandu
& nous dõnera vn tel relaſche que nous n’oſeriõs
demander pour luy ſeruir ſans nulle crainte en
toute paix & ſeureté. Ce qui me le fait ainſi croire
outre les promeſſ es que nous en auons en l’Eſcriture,
& l’eſſ ay que Dieu en a fait freſchement
en telle deliurãce eſt ce que i’ay particulieremẽt
marqué en l’elect ion du Roy de Pologne, laquelle
n’eſt ant faite (ce ſembloit) que pour aſſ ouuir
l’ambition du Duc d’Aniou, a neantmoins
ſeruy à faire venir d’vn pays bien fort lointain
des hommes Chreſt iens & genereux pour
porter parole vertueuſement pour le ſoulagement
des bons : lors que nos affaires eſt oyent en ſi miſerable eſt at que nos Patriotes & tous nos
voiſins nous meſcognoiſſ oyent en plain iour : &
que nul d’eux ne s’oſoit entremettre d’en dire
vn seul petit mot, ou s’il le faiſoit à l'aduenture,
c’eſt oit par maniere d’acquit. Mais ie te prie conte
moy vn peu ce qui s’eſt apres enſuyui de la
pourſuite des Polonois.
Le pol. Ie te diray ce que i’en ſcay. Apres que
la compoſition de nos freres de Sancerre fut ſignee
par le tyran, ſa mere fit entendre aux Polonois
que les Sancerrois eſt oyent contens & qu’ils
auoyẽt ce qu’ils auoyent demãdé. Et au reſt e que
quand les Polonois en ſeroyẽt d’aduis elle ſeroit
bien aiſe de voir leur charge touchant les affaires
de Pologne parfaite & accomplie.
Les Polonais bien aiſes penſans que nos freres
de Sancerre euſſ ent eſt é bien traitez, monſt rerent
d’auoir enuie de deſpecher le ſurplus
de leurs affaires : Mais deuant que d’entrer plus
auant ayant examiné & conferé l’edit du tyran
auec les articles que l’Eueſque & Lanſac leur
auoyent iuré & promis, & trouuant que l’edit eſt oit
bien fort eſloigné deſdits articles : en
ce principalement qu’ils promettent vne diligente
inquiſition & ſeuere punition des maſſ acreurs,
desquels ce bel edit defend de parler ſeulement,
& d’en renouueller la memoire : ils ſe reſolurent
d’en ouurir propos au tyran. Et de faict ,
l’eſt ans allé trouuer, ils luy firent vne roide &
ferme inſt ance ſur l’execution deſdits articles
que ſes ambaſſ adeurs leur auoyẽt promis en ſon
nom.
Mais le tyran leur reſpondant en vn mot leur
dit qu’il n’auoit rien promis de cela, ni auſſ i donné
charge à perſonne de leur en rien promettre :
les Polonoys oyans vn tel langage & voyans là
l’Eueſque preſent, le ſommerent de ſa promeſſ e
luy firent recognoiſt re ſon ſeing appoſé au bas
des articles, & luy ayans demandé, qu’il diſt au
vray, comme il en alloit. Il confeſſ a d’auoir ſigné
les articles, mais que ç’auoit eſt é ſans charge ny
mandement, conſiderant que s’il ne les ſignoit, il
ne pouuoit venir à bout de ſa charge à ſon honneur.
L’hi. O quel honneur, traiſt re pariure ! hé
comme il meriteroit bien des eſt riuieres en cuiſine.
Le pol. Tout cela luy fut reproché en la preſence
du tyran par les Polonoys, leſquels irritez
d’vn ſi deſloyal patelinage, ſe partirent de la
preſence du tyran ſans luy rien dire dauantage
de ce iour-là.
L’hi. A dire la vérité, humainement parlant,
le tyran euſt eſt é vn grand ſot d’auouer en c’eſt
endroit-là mõſieur l’Eueſque auec ſa mitre. Car
de là ſenſuyuroit ſi les articles s’obſeruoyẽt, cõme
il eſt treſraiſonnable & expediẽt pour le bien
de paix, que monſieur le tyran, ſa mere, ſon frere
ſon beau pere, le Peron, ſes autres conſeillers &
ſuppoſt s ſeroyent traitez, comme meritent les
plus laſches & villains meurtriers, que le diable
aye iamais mis en beſongne depuis Cayn iuſquà
preſent.
Le pol. Cela eſt certain. Voila pourquoy ayãt penſé à ſes affaires, il ſe garda bien d’y conſentir.
Mais à parler à bon eſcient qui voudroit examiner
de pres la pratique du tyran, de ſa mere & de
l’Eueſque & ſauuer l’honneur de ſa mitre, il trouueroit
que ce Cornu (quoy que le tyran l’ait deſauoué) n’a iamais rien promis aux Polonois touchant
ces articles, que par commandement du tyran,
pour leur perſuader en Pologne (engageant
en cela ſa conſcience auſsi bien que Puybrac a vẽdu
la ſiene par ſon Epiſt re, Ornatiſsimi) que le tyran
eſt oit bien fort homme de bien, Trefchreſt iẽ
& paiſible, & que tant s’en faut qu’il euſt iamais
fait faire ou conſenty à ces maſſ acres, qu’au contraire
il ſeroit touſiours bien aiſe d’en faire faire
vne diligente enqueſt e & punition treſrigoureuſe.
Mais maintenant que les Polonois abuſez par
ces piperies en font arriuez ſi auant, qu’il leur eſt
malaiſé de ſe retract er : & que d’autre part le fait
des maſſ acres eſt cognu de tous eſt re procedé du
commandemẽt du tyran & de ſes principaux ſuppoſt s :
craignant qu’on ne le prinſt au mot, il le
nye comme vn meurtrier.
Au reſt e quant aux autres articles iurez auſsi
aux Polonois, il eſt bel à voir pour la plus part,
s’on les confere auec l’edit du tyran, que l’Eueſque
n’en a auſsi rien promis que par expres commandement,
comme choſe que le conſeil du tyrã
eſt oit deſia reſolu d’accorder de parole ſeulemẽt
par eſcrit à nos amis, penſant par là les appaiſer,
comme les enfans d’vne põme : mais ne voulant
que l’on penſaſt que les Polonais nous euſſ ent apPorté ce meſchant petit relaſche, le tyran par ſon
edit ſe haſt a de nous l’accorder au parauant leur
arriuee.
Or pour reuenir aux Polonois, eux eſt ans quelque
iour apres ce beau tour qui leur fut ioué, entrez
à traiter des affaires de leur Royaume : apres
auoir receu le ſerment du duc d’Aniou, qu’il n’attenteroit
rien de parole ny de fait contre les loix
de Pologne : ains les regiroit & gouuerneroit ſelon
icelles, ils voulurent auſsi qu’il leur promiſt
d’entretenir & laiſſ er paiſibles les Polonois en
leur religion reformee Papiſt ique & autre, telle
quelle y eſt .
Et comme ſur ceſt article, il ſe print à faire
quelque difficulté, les ambaſſ adeurs luy repliquerent
qu’il falloit donc qu’il fiſt ſon conte, qu’il ne
leur ſeroit iamais Roy, qu’ils ne veulent point vn
tyran, lequel leur force la conſcience, ny vn qui
ſous vn faux pretexte de zele de Religion leur
diſsipe la paix publique, qu’ils ont enuie de nourrir.
Et inſiſt erent tellement ſur cela, qu’il fallut que
le duc d’Aniou leur en paſſ aſt le ſerment & promeſſ e.
L’hi. Ha poure gentilhomme ! Il eſt à craindre ie
t’aſſ eure qu’il en ait bleſſ é ſa conſcience, tant il
fait du religieux. Quel zelateur !
Mais i’oſe dire que ſi l’on euſt requis de luy vn
ſerment en propres termes de ſeruir à iamais au
diable, qu’il en euſt donné la parole d’auſsi bon
cœur, & auſsi bien qu’il luy ſert de fait en ſa vie,
pluſt oſt que d’eſt re repouſſ é d’vn Royaume ſi opulent.
Au reſt e on voit bien par là quelle eſt la Religion
de ceſt e maiſon de Valois. Vne partie de
Pologne eſt pleine, comme chacun ſcait, d’Anabaptiſt es
& d’Arriens, qui ſont vrays ennemis
de Dieu & de ſon Chriſt noſt re Seigneur : & neantmoins
il leur va promettre de les conſeruer
& garder.
Il y a auſsi, par grace de Dieu, vn grand nombre
de Polonois, qui font profeſsion de meſmes
Religion que nous : il promet de les y laiſſ er & de
les y entretenir. Il fait bien quoy qu’il ſoit contraint :
i’en ſuis treſaiſe, Dieu ſoit loué.
Cependant il ne peut laiſſ er viure ceux de ſa
nation, qui croyans vne meſme choſe, ont tous
les iours prié pour luy. Ils ne ſcauroyent mieux
faire paroiſt re qu’ils n’ont aucun ſoucy de Dieu,
que par ceſt e diuerſité de traitement : en laquelle
ils monſt rent au doigt, comme en tout le reſt e
de leur vie, qu’ils ne font aucun conte que de
leurs delices & de ce qu’ils penſent ſeruir à leur
grandeur, & n’employans la Religion, par maniere
de dire, que comme vne maquerelle d’eſt at, &
couuerture de leurs cruautez.
Le pol. Il eſt ainſi : mais pour pourſuyure, ces ambaſſ adeurs
Polonois ayans receu ceſt e promeſſ e,
& s’aſſ eurans de la luy faire bien garder & de le
tenir en bride ſous les loix de leur patrie, ne ſe
pouuoyent pas bien contenter de voir la poure
France ſi mal traitee par ceux-là qu’elle a eſleuez.
Partant dreſſ erent vne requeſt e bien ample
pleine de toutes ſortes de raiſons diuines & humaines,
& de moyẽs encore plus amples propres
à eſt ablir la paix : & ainſi faict e & ſignee ils la baillerent
à leur Roy pour la preſenter au tyran. Mais
à ce qu’on m’a fait entendre, on les renuoya tous
à Mets : où le tyran auec ſa cour alloit accompagner
ſon frere qui s’en alloit en ſon exil, où Dieu
la voulu releguer, pour le bien de chacũ de nous.
Que Dieu doint à ces bonnes gens autant de biẽ
& de bonheur, que nous auons ſouffert de mal,
de malheur & de mal encontre ſous ceſt e race de
tyrans.
L’hi. Amẽ, par ſa grace. Ie ſerois treſmarry qu’ils
euſſ ent le moindre mal de tous les noſt res. Mais
ie te prie dy moy vn peu, eſt -ce tout ce que tu as
apprins durant le temps de ton voyage ?
Le pol. C’en eſt bien la plus grande partie. Mais
encor y a-il quelque trait, que i’ay apprins, Dieu
ſoit loué, qui te ſeruira à l’hiſt oire : & à monſt rer
de plus en plus l’honneſt eté de nos Valois.
L’hi. Ie te prie, amy, dy le donques, & ne crain pas
que ie le cache. Leurs act es ont bien merité
qu’on n’attende apres leur mort à dire leur vilaine
vie.
Le pol. Tu dis vray : & c’eſt vne hõte, au lieu qu’vn
chacun deuſt crier à l’eau, au feu, à l’arme, à l’aide
contre ces traiſt res malheureux, qu’il s’en trouue
encor’ de si laſches qui n’oſent leur tenir propos
qu’en leur diſant voſt re clemence, voſt re bonté,
voſt re douceur, voſt re Maieſt é treſchreſt iene : ores
qu’ils ſachent qu’il n’y a ſchelmes plus vilains que ceux cy.
l’hi. Ie ne croy pas qu’vn homme rond parle iamais
de leur clemence, ny de leur bonté & douceur,
ſachant combien ces miſerables ſont cruels,
felons, inhumains. Quant au titre de Treſchreſt ien
on le deuſt , pour ne point flatter, changer en
Archiantichreſt ien, pour appliquer des noms és
choſes qui fuſſ ent ſignificatifs.
Le pol. On le deut faire vrayement. Mais ie gage
qu’outre ce que leurs flatteurs, & quelques autres
qui s’en approchent ayans affaires à eux prophanent
ordinairement ces beaux & ſacrez mots, les
attribuants à ces perfides : qu’il y aura encores
quelques vns des Treſ illuſt res princes d’Allemagne,
qui au voyage que le frere du tyran y fera
s’en allant en Pologne, n’auront pas honte de l’en
appeller & de luy faire auſsi bel accueil, que l’on
feroit à vn honneſt e homme.
Si quelcun pour legere faute ſe trouuant mis
au bã de l’Empire, eſt recueilly par quelque Prince,
ſoudain l’Empire luy courra ſus. Mais à ceux-cy
qui ſont attaints, ſont conuaincus & condamnez
deuant Dieu & deuant les hommes, d’eſt re
des ſchelmes execrables & ennemis du genre humain,
ſous couleur qu’ils ſont des gros ſchelmes,
vn chacun les honorera, iuſques à ſe confederer
& ſe liguer auec eux. Quelle miſere !
L’hi. Ne ſcay tu pas que le prouerbe en a donné
ſon iugement. La cenſure tourmente les pigeõs,
laiſſ ant aller les corbeaux libres. Mais n’entrons
pas ie te prie plus auant en ceſt e matière : tel luy
baiſera la main qui la luy voudroit voir bruſlee : & tels ira-il viſiter qu’il voudroit deſia voir par
terre : leur dam, s’ils ne ſcauent choiſir l’occaſion
que Dieu leur appreſt e.
Or dis maintenant ie te prie ce que tu m’as encores
à dire.
Le pol. I’en ſuis content. Apres que i’eu ſeiourné
à cauſe de mon indiſpoſition quelque temps à
Niſmes, où nous receuions (comme ie t’ay dict )
tous les iours à force nouuelles, entendant qu’on
traitoit la paix : & que les ambaſſ adeurs Polonois
de la Religion eſt oyent en chemin pour venir
en France, ie m’acheminay par l’auis de nos
freres à Paris, où la cour du tyran eſt oit, pour voir
vn peu ſa contenance & celle de ſes courtizans à
leur retour de la Rochelle.
Ie trouuay à mon arriuee, qui fut ſur la fin de
Iuillet, que l’edit dont ie t’ay parlé eſt oit deſia ietté
au moule : tellement toutefois que de honte,
quelque meſchant & trupellu qu’il ſoit, on ne l’oſoit
point publier au Parlement ne dans Paris :
craignant de faſcher les Sires Pierres, & d’appreſt er
à d’autres à rire pour leur argent tout deſpendu
meſchantement.
Cependant nos beaux aſsiegeurs eſt oyent de
retour à la Cour, non pas tous, non, comme il
faut croire : ains ſeulement les reſchappez : ie parle
de nos courtiſans. I’y vy les trois Rois qu’on
appelle : le tyran, le roy de Pologne, & le tiers, le
roy de Nauarre : qui pour rendre graces à Dieu
pour la paix ou leur deliurance, ne ceſſ oyent de
le deſpiter & de le prouoquer à ire par leur laſciue
puanteur & autres tels Sardanapaliſmes.
Ie ſceu que ces trois beaux Sires s’eſt oyent fait
ſeruir à la table en vn leur banquet ſolennel à des
femmes toutes nues, auſquelles apres le banquet
ils bruſlerent auec des torches allumees le poil
de leurs parties honteuſes.
Apres cela comme ils eſt oyent en peine de ſcauoir
en quoy ils employeroyẽt le reſt e de la nuit,
ie ſceu qu’ils auoyent mandé à Nantouiliet preuoſt
de Paris de leur appreſt er la collation, qu’ils
la vouloyent aller prendre chez luy. Et que de
fait ils y allerent, quelque excuſe que Nantouillet
ſceuſt alleguer pour ſes deffenſes.
Ie ſceu qu’apres la collation, la vaiſſ elle d’argent
de Nantouillet & ſes coffres furent fouillez
& pillez par les Rois & leurs ſatellites : & diſoit-on
dedans Paris, qu’on luy auoit pris & volé plus
de cinquãte mille francs. Et qu’il euſt mieux fait
le bon homme de prendre à femme Chaſt eauneuf, fille
de ioye du roy de Pologne, que de l’auoir refuſee :
qu’il euſt mieux fait auſsi d’auoir vẽdu
ſa terre de Nantouillet au duc de Guyſe, que
de ſe faire ainſi piller à ſi grands & puiſſ ans volleurs.
En ſomme ie ſceu que le lendemain le premier
Preſident de Paris fut trouuer le tyrã, & luy
dire que tout Paris eſt oit eſmeu pour le vol de la
nuict paſſ ee : & que quelques vns vouloyent dire
qu’il l’auoit fait pour rire, & qu’il s’y eſt oit trouué
luy-meſmes.
A quoy le tyran reſpõdit, que par le ſang Dieu,
il n’en eſt oit riẽ & que ceux qui le diſoyẽt auoyẽt
mẽty : dont le Preſidẽt treſcõtent : i’en informeray donques, ſire (replica- il) & en feray faire iuſt ice.
Non, non, reſpondit le tyran, ne vous en mettez
pas en peine, & faites entẽdre à Nantouillet qu’il
aura trop forte partie, s’il en veut demander raiſon.
Voila que ie ſceu au vray quant à ce fait.
Apres ie ſceu qu’vn autre jour les Rois firent
dreſſ er partie à douze de leurs courtiſans, contre
douze filles de ioye des plus honneſt es de Paris :
& que pour la mieux voir iouer, ils firent tendre
en vne ſalle douze lits de cãp ſans rideaux, ou chacun
auec ſa chacune en la preſence de ces Rois
n’auoit pas honte de deffier ſes compagnõs à paillarder.
L’hi. O mon Dieu, qu’eſt -ce que i’oy dire ! hé que
voila d’infames act es ! Ie ne croiray iamais que
Neron, Caligule, Heliogabale, & le vilain Sardanapale ayent
approché que de loin à l’infameté de
ceux cy.
Le pol. Or eſcoute. I’apprins à Paris d’auantage :
que le tyran auoit mandé & eſcrit deux fois à ſon
frere le roy de Pologne durant le ſiege de la Rochelle,
qu’il deuſt faire eſt rangler la Mole vn gentilhomme
Prouençal, fauory du duc d’Alençon.
L hi. Ie le cognoy bien : & qu’elle raiſon en auoit
il ? la Mole eſt -il pas Papiſt e & le balladin de la
cour ?
Le pol. Il eſt vray. Mais tant y a que le tyran le cõmanda,
quoy que ſon frere ne fit rien que mõſt rer
ſeulement les letres à la Mole, afin qu’il auiſaſt vn
peu de plus pres à ſon fait que par le paſſ e.
L’hi. Et ne dit-on pas l’occaſion qui eſmeut le tyran
à cela ?
Le pol. On dit qu’il n’en auoit point d’autre que
l’occaſion de ialouſie, de tant que la Mole eſt oit
fauorizé d’vne jeune princeſſ e que ie ne nomme
point pour le reſpect de ſon mary, plus que le tyran
n’euſt voulu. Apres ie ſceu que pour ceſt e occaſion
meſme, le tyran voyant que ſon frere n’auoit
voulu faire deſpecher la Mole, fit vne nuict
deſſ ein luy-meſmes de l’eſt rangler dedãs la cour,
où la Molle eſt oit retourné apres le camp de la
Rochelle.
Et pour ce faire ſachant que la Molle eſt oit en
la chambre de la ducheſſ e de Neuers dãs le Louure,
il print auec luy le duc de Guyſe, & certains
gentilshommes que ie te nommeray iuſques à ſix,
auſquels il commanda ſur la vie d’eſt rangler celuy
qu’il diroit auec des cordes qu’il leur diſt ribua.
En ceſt equippage le tyran portant vne bugie
allumee, il diſpoſa à la ſortie de la chambre de la
ducheſſ e de Neuers, ſes compagnons bourreaux
ſur les briſees que la Mole deuoit prendre pour
aller à la chambre de ſon maiſt re le duc d’Alençon.
Mais bien ſeruit au poure ieune homme de
ce qu’au lieu d’aller à ſon maiſt re, il deſcẽdit trouuer
ſa maiſt reſſ e : ſans rien ſcauoir de la partie, laquelle
il ne pouuoit autrement eſchapper qu’en
deſcendant en bas, comme il fit au lieu de monter
à ſon maiſt re, comme les autres le penſoyent.
L’hi. Voila vn ieune homme perdu, s’il ne prend
garde de bonne heure aux embuſches de ce tyran.
Le pol. Il a beau ſe donner de garde : s’il ne prent
l’expedient de Bodille : & s’il ne fait, comme l’on dit, d’vne pierre deux galands coups, deliurant
ſoy & ſa patrie de ce monſt re pernicieux, & mettant
le duc en ſa place : maintenant que l’autre eſt
bien loin. Autrement ceſt fait de la Mole : le tyran
iamais ne pardonne à pas vn de ceux qui le
faſchent, quelque mignon de cour qu’il ſoit. Et
ie t’en diray vne preuue que poſsible tu ne ſcay
pas.
L’hi. Ie t’en ſupplie. Ie ſuis tout preſt de t’eſcouter,
ſi c’eſt quelque preuue nouuelle qui puiſſ e ſeruir
à l’hiſt oire.
Le pol. Ce que ie te veux dire, n’eſt pas nouueau à
quelques vns qui me l’õt dit pour choſe ſeure. La
plus part ignore le fonds de la trahiſon du tyran :
& cecy me ſemble tout propre pour aider à bien
l’eſclarcir.
Tu ſcay que Lignerolles fut tué à Bloys la cour
y eſt ant, & que le bruit courut entre aucuns, que
le roy de Pologne, qu’on appelloit lors Monſieur
l’auoit fait tuer pour auoir deſcouuert au tyran
vn paquet d’Eſpagne qui venoit à Monſieur, traitant
de quelques intelligences ſecretes auec l’Eſpagnol.
Autres penſoyent que c’eſt oit ſimplement
Villequier, qui pour deſmeller ſa querelle s’eſt ãt
accompagné de ſes amis, auoit anticipé ſur Lignerolles
luy en preſt ant vne dans le ſein.
Mais voicy la vraye occaſion de la mort de Lignerolles que
i’ay apprins eſt ant en Cour, de la
bouche d’aucuns des grands, qui cuidoyent que
ie fuſſ e encores Papiſt e.
Le tyran & ſa mere qui deſiroyent ſur toutes choſes faire mourir l’Amiral & d’exterminer tout
le reſt e des Huguenots de la France. Apres auoir
cerché dés la paix de l’an 1570. parmi tous ſes ſuppoſt s
& courtiſans vn qui fuſt aſſ ez habile à leur
tracer quelques moyens pour executer ſubtilement
leur proiect , puis que la force ny auoit de
rien peu ſeruir. S’aſſ eurans qu’il n’y auoit aucun
à leur gré mieux auenant à forger vne laſcheté,
quelque beſt e qu’il ſoit, au reſt e, pour l’inſigne
meſchanceté qu’il nourrit dans ſon courage, que
l’Italien Birague, Gardeſeaux : ne voyans pas auſſi
qu’il y en euſt vn qui ſceuſt mieux garder leur
ſecret.
L’ayans fait venir à eux, luy communiquerent
leur deſſ ein & volonté : & luy donnerent charge
expreſſ e d’auiſer de tout ſon pouvoir à leur tracer
ce qu’il croiroit pour ſeruir à l’execution de
leurs deſirs.
Birague ſe voyant de tant honoré, tout aiſe de
ce qu’on l’auoit prepoſé en affaire ſi important
aux autres de ſa nation, leur promit de faire en
ſorte qu’ils auroyent contentement.
Il ne faut pas douter (ie diray cecy en paſſ ant)
qu’il ne ſe promiſt dés lors d’auoir l’eſt at de Chãcelier
qu’on luy a du depuis baillé en recompenſe
de ce ſeruice.
Quelques iours ſe paſſ erent durant leſquels,
(comme tu peux penſer) le vilain eut beau diſcourir
tout à loyſir & à part ſoy de ce qu’il iugeoit
neceſſ aire.
A la fin il ſe reſolut qu’il eſt oit du tout expedient
de mettre en auant de traict er & reſoudre à quelque marché que ce fut le mariage de la ſœur
du tyran auec le prince de Nauarre, afin de pouvoir
attirer par ce cordeau les Huguenots, l’Amiral auec
la Nobleſſ e à la diſcretion de la cour.
Que pour faciliter ceſt affaire, il ne falloit nullement
pardonner à beaux ſemblants, preſens, promeſſ es,
& autres telles attrapoires & eau benite de
cour iuſques qu’on les viſt dans Paris, où la cour
pour ceſt e occaſion ſe remueroit au beſoin : eux y
eſt ãs venus, recueillis & careſſ ez qu’il falloit pour
le temps des nopces leur dreſſ er vn fort à plaiſir
bien trouſſ é & bien equippé, comme à mode de
guerre, au Pré aux clercs, ou pres des Tuyleries,
ſous couleur de faire exercer les courtiſãs, les vns
à aſſ aillir, les autres à deffendre le fort pour l’esbat
& paſſ etemps des dames. Qu’il eſt oit de beſoin
de faire que l’Amiral fuſt le chef des aſſ aillans :
& qu’il fuſt ſuyui des gentilshommes de la
Religion, qui lors ſe trouueroyent en cour, deſquels
il ne falloit pas douter qu’il ne s’en trouuaſt
vn bon nombre : & que ceux qui deffendroyent le
fort fuſſ ent des plus feaux & aſſ eurez courtiſans,
Capitaines & ſoldats du tyran : deſquels les chefs
auroyent le mot de guet de tout ce qu’il leur faudroit faire.
Qui ſeroit, ſelon ſon auis, de charger
à plomb leurs harquebouzes, les encarrer & tirer
droit à l’Amiral & à ceux de ſa trouppe, leur courre
ſus à bon eſcient, & les tuer, comme qu’il en
fuſt , apres auoir fait quelque ſemblant au commencement
de combatre & de ſe deffendre ſeulement
pour le plaiſir.
Que cela fait on viendroit facilement à bout des autres Huguenots quelque part qu’ils ſe retiraſſ ent.
Quant à la couuerture du fait, lors qu’il
ſeroit executé, qu’on trouueroit aſſ ez de pretexte,
qu’il n’y auoit pas faute de quelque groſſ e conſpiratiõ,
dont on les prouueroit autheurs, pour leur
ietter le chat aux iambes.
Apres que Birague ſe fut reſolu de la ſorte, luy
ſemblant qu’on ne pouuoit mieux, il fit entendre
au tyran & à ſa mere tout ce qu’il en auoit tracé.
Eux conſiderans que l’affaire ſeroit aſſ ez bien cõduit,
s’on le demenoit de la ſorte, apres auoir fait
à Birague quelques difficultez ſur la forme, & ſur
la matiere : & le moyen de l’exploict er, ſe reſolurent
à la fin de ſuyure ce chemin là & ces briſees
par l’auis meſme du comte de Rets, à qui ils le cõmuniquerent,
qui s’y accorda de tout point. Si mirent
le mariage ſur les rengs, & firent tour ce que
tu ſcay, pour tirer les noſt res en cour.
Quelques iours apres ceſt e reſolution le tyran
la voulant faire entendre à ſon frere le duc d’Aniou,
le fit coucher auec luy, comme il a de couſt ume,
quand il le veut entretenir de quelque choſe
d’importance. Et luy ayant communiqué tout, le
fit iurer & promettre de n’en iamais rien reueler,
d’auoir ſeulement bon courage, qu’il s’aſſ euroit
d’en voir le bout.
Le duc d’Aniou trouuant ceſt e entreprinſe biẽ
difficile à digerer, ſe diſpenſa de la communiquer
à Lignerolles ſous vn grand & profond ſilẽce, que
Lignerolles luy iura.
Afin que Lignerolles qui eſt oit ſon plus grand
mignõ, ſelon le iugemẽt & diſcours qu’il en pourroit faire, luy dit librement ſon auis, apres y auoir
bien penſé pour mieux faciliter l’affaire.
Mais comme Lignerolles, ne trouuant rien à
redire à vne trahiſon ſi bien proiect ee, luy fiſt la
choſe biẽ aiſee : ſans en rien parler d’auãtage leur
deſſ ein demoura couuert. Iuſqu’à ce qu’vn iour
le vieux Briquemaut, qui ſolicitoit auec Teligny,
& les autres les affaires de la Religion à la Cour :
eſt ant allé parler au tyran pour auoir quelque iuſt ice
des meurtres commis à Rouen ſur les fideles
apres la paix, & le trouuant froit & reſt if d’en
commander le chaſt iement : s’auança de dire au
tyran qu’il ſeroit à craindre, s’il n’en faiſoit faire
vengeance, que les Papiſt es deuinſſ ent ſi inſolens
qu’ils ſe permiſſ ent encores d’auantage, & que
les Huguenots ne les pouuans ſupporter fuſſ ent
contraints de recourir aux armes, s’ils n’y voyoyent
autre moyen d’en auoir iuſt ice : dont s’enſuyuroit
qu’on retourneroit en guerre auſsi forte
qu’auparauant.
Ce langage eſmeut le tyran à commander au
mareſchal de Montmorency de s’en aller iuſqu’à
Rouen, pour voir de remedier à tout.
Cependant Briquemaut s’en eſt ant allé de la
preſence du tyran : le tyran fit vuider ſa chambre
pour pouuoir blaſphemer à l’aiſe & ſe deſpiter
tout ſeul.
Lors que Lignerolles eſt ant admis dans la
chambre du tyran pour luy parler de quelque affaire,
le trouuant eſmeu de cholere, s’auança de
luy demander tout doucement l’occaſion de ſon mal talent : qu’il eſt oit aiſé à iuger que ſa Maieſt é
eſt oit eſmeue.
Ventre-Dieu, ce dit le tyran, & qui ne ſeroit
en cholere ? d’ouyr ce bougre de Briquemaut,
(ainſi appelle-il le plus ſouuent les gens de
bien) me brauer & me menacer que ie ſuis pour
rentrer en guerre, ſi ie ne punis ceux de la ville
de Rouen.
Hé Sire, reſpond Lignerolles, & ne pourriez
vous attendre ſans tant vous faſcher de ces choſes,
l’aſſ aut & deffenſe du fort.
Or cela diſoit Lignerolles penſant rappaiſer
le tyran, & luy voulant faire ſentir qu’il auoit eu
part au Conſeil : ſe mõſt rant par là auſsi ſot, qu’il
ſe cuidoit eſt re habile.
Le tyran l’entendant ainſi parler, ſe doutãt d’eſt re
deſcouuert : Quel fort, repliqua-il, mort-dieu
ie ne ſcay que vous voulez dire. Le fort Sire, dit
Lignerolles, du iour des noces que ſcauez.
Le tyran en ayant ouy plus qu’il n’euſt voulu,
changeant de propos, renuoya Lignerolles, qui
s’auiſa poſsible bien tard qu’il auoit vn peu trop
parlé.
Soudain apres le tyran ayant mandé ſa mere,
luy demanda s’elle auoit deſcouuert leur pot aux
roſes, que par le ſang quelqu’vn en auoit ia parlé.
Mais trouuant que ſa mere n’en auoit rien decelé,
il fit venir le comte de Rets, auquel d’abordee
il va dire : Petit vilain, par le ſang Dieu, ie t’ay
fait trop grand, petit beliſt re : mais ie te feray
bien ſi petit, qu’on ne te verra pas ſur terre : tu deſcouures mes ſecrets, Bougre, ie me donne,
&c.
Ce poure vilain du Peron ſe voyant ainſi rudoyé,
plus mort que vif & tout tremblant, commença
à reſpondre au Sire, que iamais il n’auoit
penſé ſeulement d’en ouurir la bouche : le ſuppliant
de le faire pendre, s’il trouuoit qu’il ne fuſt
ainſi.
Le tyran ne ſachãt que dire, s’en alla lors trouuer
ſon frere, luy demandãt s’il n’auoit point parlé
à quelcun de ceſt affaire. Et comme ſon frere,
en le ſuppliant de luy pardonner, luy euſt confeſſ é
qu’il s’en eſt oit deſcouuert à Lignerolles, &
non à autre, le cognoiſſ ant homme ſecret & de
diſcours, afin d’en auoir ſon auis pour mieux executer
le cas. I’ay bien cognu, dit le tyran, que quecun
luy auoit parlé : vous m’auez fait vn deſplaiſir
qui me gardera de vous rien plus dire : quant à Lignerolles,
c’eſt vn ſot, il faut qu’il meure. Car eſcoutez
ie ne veux pas qu’il en ouure iamais la
bouche.
Le duc d’Aniou, cognoiſſ ant ſa faute, celle de
Lignerolles & la cholere du tyran, ne ſceut autre
choſe que dire, ſinon qu’il ne s’y oppoſoit pas.
Dés ceſt e heure-là le tyran ayant fait venir à ſoy
ſon frere baſt ard le Cheuallier, luy cõmanda d’aller
trouuer le ieune Villequier, de luy fournir ſix
ou ſept bons hommes pour eſcorte, & luy dire de
ſa part que par le ſang il eſt oit laſche, couard &
recreu de courage, s’il n’eſſ ayoit à auoir raiſon
de Lignerolles, qui luy auoit fait tort.
Le Cheualier ne faillit pas à s’aquitter biẽ de
ſa charge, laiſſ ant Villequier reſolu, armé & accõpagné
de meſmes. Mais Villequier en trouuant
Lignerolles, ſeigna du nez ſans l’oſer attaquer
comme le tyran deſiroit.
Qui fut cauſe que le tyran l’ayant ſceu manda
querir Villequier, & apres luy auoir dit des pouilles,
luy defendit de ſe trouuer iamais deuãt luy,
s’il ne tuoit à ce coup Lignerolles : luy donna
vne eſpee bonne & bien trenchãte & l’arma luy-meſmes
de ſon iacque de maille, cõmandant au
cheualier de l’accõpagner mieux que la premiere
fois de gens, qui ne fiſſ ent point faute de tuer
bien mort Lignerolles, & qu’il le leur diſt de ſa
part. Ce commandement fait, la partie fut dreſſee
de nouueau en laquelle le Cõte de Mansfeld
papiſt e qui pour lors eſt oit à la Cour & S. Iean
de Montgomery & quelques autres gentils-hommes
accompagnerent Villequier, qui eſt ant allé
tout reſolu trouuer le poure Lignerolles, l’attaqua
de cul & de teſt e, le bleſſ a, & comme il s’enfuyoit
la bonne aide de ſa quadrille l’ataignit &
porta par terre d’vn coup d’eſpee à trauers le
corps. Ainſi mourut le beau fils Lignerolles l’vn
des fauoris de la Cour.
Quant au deſſ ein, que ie t’ay dit baſt y par le
garde-ſeaux Birague, cõbien que l’on dreſſ a ſuyuant
ſa trace, le fort pour le temps des nopces :
toutesfois, pource que l’on ſentit que l’Amiral
ne vouloit point eſt re de la partie , & que bien
peu de nobleſſ e de la Religion y voudroit aſſ iſt er :
le tyran fut contraint, pour aſſ ouuyr ſon laſche deſir, de prendre vn autre expedient par l’aduis
de ces premiers conſeilliers & du Duc d’Aumale
& de Neuers, auxquels il communica le
fait vn peu auant les nopces.
En ces entrefaites le Duc de Guiſe, qui doutoit
que l’Amiral auquel il portoit particuliere inimitié,
luy eſchappaſt & qu’il ſe retiraſt de la Cour,
comme il en auoit enuie, luy fit tirer le coup
d’arquebouſade que tu ſcay le vendredy deuant
le maſſ acre. Qui fut cauſe qu’ils changerent encore
leur proiect , faiſans à l’œil & ſelon l’occurrence
(au deſceu de ceux à qui ils auoyent cillé
les yeux auec leurs careſſ es de Cour) leur traiſt reſſ e
& deſlovalle guerre ſur les gens de bien,
mal-auiſez. Voila ce qu’en i’en ay peu apprendre
de plus veritable en la Cour.
Hiſt oriog. Ce fait eſt autant remarquable
que nul autre de ceux que tu m’as recité afin que
vn chaſcun cognoiſſ e la deſloyauté des tyrans :
& que les Courtiſans apprennent ce qu’ils en
doyuent eſperer.
Le pol. C’eſt merueille qu’en voyant tant d’exemples
apparens, voyant le danger preſent,
perſonne ne ſe veut faire ſage au moins aux deſpens
d’autruy : & que de tant de gens qui s’approchent
ſi volontiers des tyrans, il n’y a pas
vn qui ait l’auiſement & la hardieſſ e de leur dire,
ce que dit le regnard au lion (qu’on dit eſt re
le Roy des beſt es, qui faiſoit, comme dit le
conte, le malade dans ſa taſniere) ie t’irois voir
luy dit-il (Sire) & bien ſouuent de bon cœur :
mais ie voy tant de traces de beſt es qui vont en auant vers toy & en arriere qui reuienent ie n’en
voy pas ſeulement vne.
L’hiſt . Si feu monſieur l’Amiral euſt ſceu
ce conte & qu’il euſt parlé en regnard, il nous
en euſt à tous mieux pris. Mais la brebis comme
tu ſcay, ne ſcait rien faire que beeler, & ne
ſcachant auec les loups hurler pour deſguiſer ſa
voix, elle n’a garde d’eſchapper. Mais quant à
ces autres Courtiſans : quel remede ?
Quand ces miſerables voyans reluire le threſor
du tyran, qu’il tire de la ſueur du peuple,
& de la deſpouille des bons, regardent tous eſt onnez
les rayons de ſa brauerie : & alléchez de
ceſt e clarté s’approchent de luy, ſans regarder
qu’ils ſe mettent dans la flamme qui ne peut faillir
à les conſumer.
Ainſi le Satyre indiſcret voyant, comme diſent
les fables anciennes, eſclairer le feu trouué
par Promethee, le trouua ſi beau qu’il l’alla
baiſer & s’y bruſler.
Àinſi le Papillon qui eſpere iouyr de quelque
grand plaiſir ſe met au feu de la chandelle,
qu’il voit eſt re clair & luyſant, eſprouuant en
iceluy ſon autre vertu qui le bruſle.
C’eſt vne choſe bien certaine que ces coquins
mendie-faueurs ſouffrent vne peine incredible,
à qui y regarde de pres : eſt ans contrains d’eſt re
nuict & iour après à ſonger pour
plaire au tyran, & ſe rompre, ſe tuer, & trauaiiler
pour inuenter nouueaux moyens de trahir,
de tuer, de paillarder, de piller, de deſrober,
& qu’ils laiſſ ent leur gouſt pour le ſien, & neantmoins ſe craindre de luy plus que de
tout homme du monde : auoir touſiours l’œil au
guet, l’oreille aux eſcoutes pour eſpier d’ou
viendra le coup, pour deſcouurir les embuſches,
pour ſentir la mine de ſes compagnons,
pour aduiſer qui le trahiſt , rire à chaſcun, ſe
craindre de tous, n’auoir aucun, ny ennemy
ouuert, ny amy aſſ euré, ayant toujours le viſage
riant & le cœur tranſy, ne pouuant eſt re ioyeux,
& n’oſer eſt re triſt e.
Le pol. Tu as deſcrit en deux mots, la vie de ces
miſerables. Mais pour en parler à bon eſcient &
ne plus flatter le dé, comme l’on dit, tout ainſi
que la Repub. de laquelle les Roys philoſophent
ou en laquelle les Philoſophes ſont gouuerneurs
(ſelõ le dire de Platon) eſt heureuſe ſur toutes autres :
Et que c’eſt vn treſgrand heur d’eſt re ſuiet à
vn bon Prince qui ſoit ſuiet à la loy, laquelle ait
pour ſeure garde de peur qu’elle ne ſoit violee,
quelques eſt ats ou parlemẽs. Ainſi que iadis
noſt re Frãce, & cõme encores quelques vns de nos
voiſins l’ont pour le iourd’huy parmy eux. Auſſ i
eſt -ce vne grãde miſere de demeurer ſous la ſeruitude
d’vn tyran, chaſſ eur deſloyal, & d’vn conſeil
de meſme eſt offe, qui ne garde ni foy, ni loy, aucune
equité ou droiture, non pas meſme l’humanité,
ni les loix que nature imprime dans le cœur
des plus mallotrus. C’eſt (di-ie) vn extreme malheur
non ſeulemẽt pour les Courtiſans : ains auſſ i
pour tous les François de quelque religiõ & condition
qu’ils ſoyẽt d’eſt re ſuiets à vn maiſt re, duquel
on ne peut iamais s’aſſ eurer qu’il ſoit bon, puis qu’il eſt touſiours en ſa puiſſ ãce d’eſt re mauais
quãd il voudra, & d’auoir pluſieurs tels maiſt res :
c’eſt autant qu’on en a eſt re autant de fois
extrememẽt mal-heureux. Mais ie ſcaurois volõtiers,
comme il ſe peut faire que tant d’hommes,
tant de bourgs, tãt de villes & tant de prouinces,
endurẽt ſi long tẽps vn tyran ſeul, qui n’a moyen
que celuy qu’on luy donnes, qui n’a puiſſ ance de
leur nuire, ſinõ tant qu’ils ont vouloir de l’endurer,
qui ne ſcauroit leur faire mal aucũ, ſinõ alors
qu’ils ayment mieux le ſouffrir que luy contredire ?
Tant plus i’y penſe, plus i’en ſuis esbahy.
L’hi. Et moy de meſmes, ie t’aſſ eure. Mais ie
te prie, mon grand amy, que i’aye ce bien maintenant
de t’ouyr ſur ceſt e matiere, faire vn peu
le preſt re Martin. Ce ſuiet eſt propre à ce temps
& ie ſcay bien que tu l’entens auſſ i bien qu’homme
de noſt re aage. Commence, ie t’eſcouteray,
i’ayme mieux veiller toute nuict .
Le pol. I’en ſuis content : auſſ i bien y a il longtemps
que i’en ſuis ſi gros, que ie creue d’enuie
que i’ay d’enfanter ce que ie ſens de c’eſt affaire :
Mais ie proteſt e bien que ie n’en parleray point
comme les Huguenots en parlent, ils ſont trop
doux & trop ſeruiles : i’en parleray tout amplement
en vray & naturel François, & comme vn
homme peut parler des choſes ſuiettes à ſon iugement,
voire au ſens commun de tous hõmes :
afin que tous nos Catholiques, nos patriotes
& bons voiſins & tout le reſt e des François
qu’on traite pire que les beſt es, ſoyent eſueillez
à ceſt e fois pour recognoiſt re leurs miſeres, & auiſer treſt ous enſẽble de remedier à leurs malheurs.
A la verité dire, mon compagnõ, c’eſt vne
choſe bien eſt range de voir vn milliõ de milliõs
d’hommes ſeruir miſerablemẽt ayans le col ſous
le ioug, non pas cõtrains par vne plus grãd force :
mais auicunemẽt (ce me ſemble) enchãtez & charmez
par le nom ſeul d’vn, duquel ils ne doyuẽt ne
craindre la puiſſ ance, puis qu’il eſt ſeul : ne aimer
les qualitez, puis qu’il eſt en leur endroit inhumain
& ſauuage.
La nobleſſ e d’entre nous hõmes eſt telle, qu’elle
fait ſouuẽt que nous obeiſſ ons à la force : il eſt
beſoin de temporiſer, nous ne pouuons pas touſiours
eſt re les plus forts. Si dõques vne natiõ eſt
contrainte par la force de la guerre de ſeruir à vn
(comme la cite d’Athenes aux 30. tyrans) il ne ſe
faut esbahir qu’elle ſerue : mais ſe plaindre de l’accident,
ou pluſt oſt ne s’esbahir ny ne s’en plaindre : ains
porter le mal patiemment & ſe reſeruer
à l’auenir à meilleure fortune.
Noſt re nature eſt ainſi, que les communs deuoirs
de l’amitié emportẽt bõne partie du cours
de noſt re vie. Il eſt bien raiſõnable d’aimer la vertu,
d’eſt imer les beaux faits, de recognoiſt re le
biẽ d’où l’on la receu, & diminuer ſouuent noſt re
aiſe pour augmẽter l’hõneur & auãtage de celuy
qu’on aime & qui le merite. Ainſi donc ſi les habitans
d’vn pays ont trouué quelque grãd perſonnage
qui leur aye monſt ré par eſpreuue vne grande
prouidence pour les garder, vne grande hardieſſ e
pour les defendre, vn grand ſoin pour les
gouuerner : ſi de là en auant ils s’appriuoiſent de luy obeir & ſe fier tant de luy que de luy donner
quelque auantage (ie ne ſcay ſi ce ſera ſageſſ e
de l’oſt er de là où il faiſoit bien pour l’auancer
en vn lieu où il pourra mal faire) mais il ne
peut faillir d’y auoir de la bonté du coſt é de ceux
qui l’eſleuent, de ne craindre point mal de celuy
de qui on n’a receu que bien.
Mais bon Dieu ! Que peut eſt re cela ? Comment
pourrons-nous dire que cela s’appelle ?
Quel mal heur eſt celuy la ? Quel vice ? ou pluſt oſt ,
quel mal-heureux vice ? voir vn nombre infini
de perſonnes, non pas obeir, mais ſeruir, non
pas eſt re gouuernees, mais tyranniſees : n’ayant
ni biens, ni parens, ni femme, ni enfans, ni leur
vie meſmes qui ſoit à eux. Souffrir les paillardiſes,
les pilleries, les cruautez, non pas d’vne armee,
non pas d’vn camp Barbare, contre lequel il
faudroit deſpendre ſon ſang & ſa vie, mais d’vn
ſeul, non pas d’vn Hercule, ne d’vn Samſon, mais
d’vn ſeul hommeau le plus laſche & femelin de
toute la nation. Non pas accouſt umé à la poudre
des batailles, mais encores à grand peine au
fable des tournois. Non pas qui puiſſ e par force
commãder aux hommes, mais tout empeſché de
ſeruir vilemẽt à la moindre femellette. Appellerõs-nous
cela laſcheté ? Dirons-nous que ceux-la
qui ſeruent à vn ſi laſche tyran ſoyent couars &
recreuz ?
Si deux, ſi trois, ſi quatre ne ſe defendent d’vn,
cela eſt eſt range & poſſ ible pourra-l’on biẽ dire
lors à bon droit que c’eſt faute de cœur. Mais ſi cent, ſi mille endurẽt d’vn ſeul, ne dira l’on point
qu’ils ne veulent, non pas qu’il n’oſent, ſe prẽdre
à luy : Et que c’eſt non couardiſe, mais pluſt oſt
meſpris ou deſdain. Si l’on voit, non pas cẽt, non
pas mille hommes : mais cent pays, mille villes,
vn million d’hommes n’aſſ aillir pas vn ſeul, duquel
le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’eſt re
ſerf & eſclaue : Comment pourrons-nous
nommer cela ? Eſt -ce laſcheté ? Or y a-il en tous
vices naturellement quelque borne, outre laquelle
ils ne peuuent paſſ er. Deux peuuent craindre
vn & poſſ ible dix le craindront : Mais mille, mais
vn million, mais mille villes ſi elles ne ſe defendent
d’vn ? Ce n’eſt pas couardiſe, elle ne va pas
iuſques la : non plus que la vaillance ne s’eſt end
pas qu’vn ſeul eſchelle vne ſeule fortereſſ e, qu’il
aſſ aille vne armee, qu’il conquiere vn Royaume,
Donc quel mõſt re de vice eſt cecy, qui ne merite
encore pas le nõ de couardiſe, qui ne trouue pas
de nom aſſ ez vilain, que la nature deſauoue auoir
fait, & la longueur refuſe de le nommer.
Qu’on mette d’vn coſt é cinquante mille hommes
en armes : d’vn autre autant, qu’on les range
en bataille, qu’ils viennent à ſe ioindre, les vns
combatans pour leur franchiſe, les autres pour
la leur oſt er : auſquels promettra-on par cõiect ure
la vict oire ? Leſquels penſera l’on qui plus gaillardement
iront au combat ? ou ceux qui eſperẽt
pour le guerdon de leur peine l’entretenemẽt de
leur liberté ? Ou ceux qui ne peuuent attẽdre autre
loyer des coups qu’ils dõnent, ou qu’ils reçoiuent,
que la ſeruitude d’autruy ?
Les vns, ont touſiours deuant les yeux le bon
heur de la vie paſſ ee, l'attente de pareil aiſe à l'auenir,
il ne leur ſouuient pas tant de ce qu'ils endurent
ce peu de temps que dure vne bataille,
comme de ce qu’il cõuiendra à iamais endurer à
eux, à leurs enfans, & à toute leur poſt erité.
Les aurres n’ont rien qui les enhardiſſ e, qu'vne
petite pointe de leur conuoitiſe, qui ſe rebouche
ſoudain cõtre le dãger, & qui ne peut eſt re ſi
ardẽte, qu'elle ne ſe doiue (ce ſemble) eſt eindre
par la moindre goutte de ſang, qui ſorte de leurs
playes.
Aux batailles tant renommees de Milciades,
& de Themiſt ocles, qui ont eſt é donnees deux
mille ans y a, & viuent encore auiourdhuy, auſſ i
freſches en la memoire des liures, & des hõmes,
comme ſi c’euſt eſt é l'autr'hier, qui furent donnees
en Grece, pour le biẽ de Grece, & pour l'exemple
de tout le mõde, & qu'eſt -ce qu’on penſe
qui donna à ſi petit nombre de gens, comme eſt oyent
les Grecs, non le pouuoir, mais le cœur
de ſouſt enir la force de tant de nauires, que la
mer meſmes en eſt ait chargee, de deffaire tãt de
nations, qui eſt oyent en ſi grand nombre, que l’eſcadron
des Grecs, n'euſt pas fourny ſeulement
de Capitaines aux armees des ennemis : ſinon
qu'il ſemble que ces glorieux iours-là, ce n'eſt oit
pas tant la bataille des Grecs contre les Perſes,
cõme la vict oire de la liberté, ſur la domination,
de la franchiſe, ſur la conuoitiſe.
C’eſt choſe eſt range, d'ouyr parler de la vaillance
que la liberté met dans le cœur de ceux qui la defendent.
Mais ce qui ſe fait tous les iours deuant nos
yeux, en noſt re France. Qu'un homme maſt ine
cent mille villes, & les priue de leur liberté, qui
le croiroit, s’il ne faiſoit que l'ouyr dire, & non le
voir? Et s’il ne ſe voyoit qu’en pays eſt range, &
lointaines terres, & qu'on le diſt , qui ne pẽſeroit
que cela ne fuſt pluſt oſt feint ou trouué, que non
pas veritable ? Encores ce ſeul Tyran, il n'eſt pas
beſoin de le combatre, il n'eſt pas beſoin de le
deffaire, il eſt de ſoy-meſme desfait : mais que le
pays ne conſente pas à ſa ſeruitude : il ne faut pas
luy oſt er rien, mais ne luy donner rien : il n’eſt pas
beſoin, que le pays ſe mette en peine de faire riẽ
pour ſoy, mais qu'il s'eſt udie à ne rien faire contre
ſoy.
C'eſt donques le peuple meſme, qui ſe laiſſ e,
ou pluſt oſt ſe fait gourmander, puis qu’en ceſſant
de ſeruir, il en ſeroit quitte.
C'eſt le peuple qui s’aſſ eruit, qui ſe couppe la
gorge : qui ayant le choix, ou d’eſt re ſerf, ou d'eſt re libre, quitte ſa franchiſe, & prent le ioug, &
pouuant viure ſous des bonnes loix, & ſous la
protect ion des Eſt ats, veut viure ſous l'iniquité,
ſous l'oppreſſ ion & iniuſt ice au ſeul plaiſir de ce
Tyran. C'eſt le peuple qui conſent à ſon mal, ou
pluſt oſt le pourchaſſ e : s'il luy couſt oit quelque
choſe à recouuurer ſa liberté, ie ne l'ẽ preſſ erois
point : combiẽ qu’eſt ce que l’homme doit auoir
plus cher, que de ſe remettre en ſon droit naturel,
& par maniere de dire, de beſt e reuenir
homme?
Mais encore ie ne deſire pas en luy vne ſi grãde
hardieſſ e, ie luy permetz, qu'il aime mieux vne
ie ne ſcay quelle ſeureté de viure miſerablement,
qu'vne douteuſe eſperance de viure aiſe.
Quoy ſi pour auoir la liberté, il ne luy faut
que la deſirer ? S'il n'eſt beſoin, que d'vn ſimple
vouloir, ſe trouuera-il nation au monde,
qui l'eſt ime trop chere, la pouuant gaigner d’vn
ſeul ſouhait ? & qui pleigne ſa volonté à recouurer
le bien, lequel on deuoit racheter au prix
de ſon ſang, & lequel perdu tous les gens d'honneur,
doiuent eſt imer la vie deſplaiſante, & la
mort ſalutaire.
Certes tout ainſi, que le feu d'vne petite eſt incelle, deuient grand, & touſiours ſe renforce :
& plus il trouue de bois, plus il eſt preſt
d'en bruler. Et ſans qu'on y mette de l’eau pour
l’eſt eindre, ſeulement n'y mettant plus de bois,
n'ayant plus que conſumer, il ſe conſume ſoy-meſmes,
& vient ſans force aucune, & n’eſt plus
feu. Pareillement les Tyrans plus ils pillent &
exigent, plus il ruynent & deſt ruiſent, plus on
leur baille, plus on les ſert, de tant plus ils ſe fortifient,
& deuienent touſiours plus forts, & plus
frais, pour aneantir & deſt ruire tout, & ſi on ne
leur baille rien, ſi on ne leur obeyt point, ſans cõbatre,
ſans frapper, ils demeurẽt nuds & desfaits,
& ne ſont plus rien, ſinon comme la racine eſt ant
ſans humeur, ou aliment, la branche deuient
ſeche, & morte.
Les hardis, pour acquerir le bien qu'ils demandent,
ne craignent point le danger, les auiſez ne refuſent point la peine. Les laſches & eſt ourdis
ne ſcauẽt ny endurer le mal, ny recouurer le biẽ,
& s’arreſt ent en cela de le ſouhaiter. La vertu
d'y pretendre leur eſt oſt ee par celle laſcheté : le
deſir de l’auoir, leur demeure par la nature. Ce
deſir, ceſt e volõté, eſt commune aux ſages & aux
indiſcrets, aux courageux, & aux couards, pour
ſouhaiter toutes choſes, leſquelles eſt ans acquiſes,
les rendront heureux & contens. Vne ſeule
choſe en eſt à dire, en laquelle, ie ne ſcay comme
nature defaut aux hommes pour la deſirer, c’eſt
la liberté, qui eſt toutefois vn bien ſi grand & ſi
plaiſant, qu’elle perdue, tous les maux vienent à
la file, & les biens meſmes qui demeurent apres
elle, perdent entierement leur gouſt , & ſaueur,
corrompus par la ſeruitude,
La ſeule liberté, les hommes ne la deſirent
point, non pas pour autre raiſon (ce ſemble) ſinon
que s'ils la deſiroyent, ils l’auroyent : comme
s'ils refuſoyent faire ce bel acquet, ſeulemẽt par
ce qu'il eſt trop aiſé.
Poures & miſerables François, peuple inſenſé!
nation opiniaſt re en ton mal, & aueuglee en
ton bien! vous vous laiſſ ez emporter deuãt vous
le plus beau, & le plus clair de voſt re reuenu, piller
vos chãps, voller vos maiſons, & les deſpouiller
de meubles anciens & paternels, vous viuez
de ſorte, que vous ne vous pouuez vãter que rien
ſoit à vous. Et ſembleroit que meshuy, ce vous
ſeroit grãd heur, de tenir à meſt ayrie vos biens,
vos familles, & vos vies. Et tout ce deſgaſt , ce
mal-heur, ceſt e ruine, vous vient non pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemy, & de celuy
que vous faites ſi grãd, qu'il eſt , pour lequel vous
allez ſi courageuſement à la guerre, pour la grandeur
duquel ne refuſez point de mettre à la mort
vos perſonnes. Celuy qui vous maiſt riſe tant, n’a
que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'vn
corps, & n’a autre choſe, que ce qu'a le moindre
hõme du grand & infiny nõbre de vos villes. Sinon
qu’il a plus que vous tous, vn cœur deſloyal,
felon, & l'auantage, que vous luy donnez pour
vous deſt ruire, d'où a-il pris tant d'yeux, dont il
vous eſpie? ſi vous ne les luy baillez. Comment
a-il tant de mains pour vous frapper ? s’il ne les
prent de vous : les pieds, dont il foule vos citez,
d’où les a-il, s'ils ne ſont des voſt res ? Comment
a-il aucun pouuoir ſur vous, que par vous ? comment
vous oſeroit-il courir ſus, s’il n’auoit intelligence
auec vous ? que vous pourroit-il faire, ſi
vous n'eſt iez recelateurs du larrõ qui vous pille,
complices du meurtrier qui vous tue, & traiſt res
à vous meſmes.
Vous ſemez vos fruict s, afin qu’il en face deſgaſt ,
vous meublez & rempliſſ ez vos maiſons
pour fournir à ſes pilleries & volleries, vous nourriſſ ez
vos filles, afin qu’il ait dequoy raſſ aſier ſa
luxure : vous nourriſſ ez vos enfans, afin que pour
le mieux qu’il leur ſcauroit faire, qu'il les mene
en ſes guerres, qu'il les conduiſe à la boucherie,
qu'il les face les miniſt res de ſes conuoitiſes, les
executeurs de ſes vengeances, & bourreaux des
conſciences de vos concitoyens : vous rompez à
la peine vos perſonnes, afin qu'il ſe puiſſ e mignarder en delices, & ſe veautrer dans les ſales &
vilains plaiſirs : vous vous affoibliſſ ez afin de le rẽdre
plus fort, & roide à vous tenir plus courte la
bride.
De tant, d'indignitez, que les beſt es meſmes
ne les ſouffriroyent point, vous pouvez vous en
deliurer ſi vous eſſ ayez, non pas de vous en deliurer :
mais ſeulement de le vouloir faire. Soyez reſolus
de ne ſeruir plus, & vous voy la libres, ie
ne veux pas que vous le pouſſ iez, ou esbranliez :
mais ſeulement ne le ſouſt enez plus, & vous le
verrez comme vn grand Coloſſ e, à qui on a deſrobé
la baſe, de ſon poix, de ſoy meſme fondre
en bas & ſe rompre.
L'hiſt . Il n'y a rien de plus veritable entre les
choſes humaines, que ce que tu viẽs d'enſeigner:
que pleut à Dieu, que ces beaux mots euſſ ent pieçà
eſt é ſemez au beau milieu d'vne grande aſſ emblee
de nos Catholiques François, ie m'aſſ eure,
qu’ils y auroyent eſt é fort bien recueillis, & qu’il
n'y auroit celuy d'entre eux, qui n’en fiſt bien
ſon profit : nul auquel ils ne creaſſ ent par maniere
de dire, vn nouvel eſprit dans le ventre. Et quoy
que le peuple François ſemble auoir perdu longtẽps
y a toute cognoiſſ ance, & que par là, on puiſſe
iuger, que ſa maladie ſoit cõme mortelle, puis
qu'il ne ſent rien plus ſon mal : ſi eſt ce, que i’oſerois
promettre, que ce diſcours vn peu dilaté,
& accompagné de raiſons, & d’exemples & de
quelque belle forme d’adminiſt ration de l’eſt at,
de la iuſt ice, & de la police, approchante à celle que nos anciens Peres auoye parmy eux, du temps
que les Eſt ats eſt oyent en regne, dõt M.
Hottoman nous a fait vn fort gentil & riche recueil en ſon œuure Gaule françoiſe, i’oſeroy (dis-ie)
aſſ eurer que cela reueilleroit les coqs, leur feroit
hauſſ er les creſt es, battre les aiſles, & courir
ſus de bec & d’ongles, contre ceux la qui les tienent
captifs : & ſeroit ſuffiſant moyen pour faire
qu’vn chacũ pẽſaſt à recouurer ſa liberté, à crier
apres les Eſt ats à les redreſſ er, & remettre. On
verroit bien toſt l’aage d’or, que les Tyrãs ont effacé
de France, pour y planter celuy de fer, d’oppreſſ ion,
& d’infameté, reluire comme au parauant, la paix, l’amitié & concorde ſurgir & croiſt re
à veue d’œil, & faire à iamais ſa demeure parmy
nos naturels François : he que ceſt vne grand
pitié ! qu’vne ſi belle nation, ſi grande & ſi opulente,
ſoit par ſi long temps mal menee, à l’appetit
de ſix ou ſept : deſquels le meilleur ne vaut pas
qu’on prenne peine de le pendre. Mais ie ſcaurois
fort volontiers, s’il te plaiſoit de me le dire,
comment c’eſt , que tous nos François ſe ſont ainſi
laiſſ é deſchoir, & comme ceſt e opiniaſt re volonté
de ſeruir s’eſt ſi auant enracinee dans leurs
mouelles, qu’il ſemble maintenant, que la memoire
de la liberté ne ſoit pas ſi naturelle.
Le pol. Si ie n’eſt ois accablé de ſõmeil, ie te
diſcourrois bien au long, d’où procede la maladie
& la matiere peccãte d’icelle. Mais ie t’aſſ eure
l’amy, que i’ay les yeux pieçà cillez, & les leures
comme couſues. Nous aurons demain bon loiſir : ie ſuis d’auis ſi tu le veux, que nous ſeiournions
nos cheuaux, en attendant qu’vn Courrier
viene, que nos freres du Languedoc me doyuent
enuoyer bien toſt .
L’hiſt . Quel courrier eſt -ce ? Ie cognoiſt roye
ie point ?
Le pol. C’eſt Spoudæe. Ie croy bien que tu le
cognoy.
L’hiſt . Mon Dieu ! he ie ne cognoy autre. Il
n’a garde de faillir à nous apporter des nouuelles.
Le pol. C’eſt pour cela qu’on me l’enuoye, &
ie l’ay chargé à mon deſpart, de paſſ er par cy hardiment,
& de s’enquerir de mes nouuelles, en ce
logis cy où nous ſommes.
L’hiſt . Cela va bien, que i’en ſuis aiſe ! attẽdons
le pluſt oſt trois iours.
Le pol. Ie le veux bien. Le Seigneur nous face
la grace de repoſer en ſeureté, & nous doint à noſt re
reſueil, de le ſeruir en toute crainte, au nom
de ſon fils noſt re Seigneur Iefus Chriſt .
L’hiſt . Ainſi ſoit-il.
FIN.
Fautes à corriger.
Page 24.ligne,17. à ſes, liſez aſſ ez. pag. 31. lig.
27.auſſ i : liſez. Auſſ i la.pag,66.lig. 15. commiſſ aire :
liſez Clerc de commiſſ aire.pag.152.lig.24 preceder :
liſez proceder, lig.ſuyuante, liſez auoyent.
lig.ſuyuante, liſez pretendoyent. pag.160.lig.30.
qe.liſez ait.