Reveille-matin des François/Premier dialogue
Oicy venir à moy le petit pas, tout las &
fort haraſsé, ſelon qu’il me ſenble, mon
ancien amy Philalithie. C’eſt -il
voirement : He Dieu, qu’il eſt maigre, deſchiré, desbiffé,
& mal en poinct ; Si faut-il que ie l'embraſſe,
quelque mal veſtu qu’il ſoit. Que tu ſois le
tresbien venu l’amy : Qui ſont ces deux gens de
bien qui vienent quand & toy ?
Phi. Vous ſoyez la tresbien trouuee, madame ma
grande amie. Quant à ceux cy deſquels vous demandez,
l’vn eſt l’Hiſt oriographe : l’autre,
le Politique François.
Ali. Ie ſuis plus aiſe de te voir accompagné de
l’vn que de l’autre, ſachant combien l’vn eſt
neceſſaire & profitable pour aider à la memoire, &
ſeruir à la poſterité : & l’autre, le plus ſouuent
pernicieux & dommageable, principalement s’il eſt
nourry à la cour d’aucuns Rois & Princes que tu
cognois bien : toutefois, ſi tu as touſiours bonne
ſouuenance de ce que ie t’ay enſeigné, ie
m’aſſ eureray que telles gens que les Politiques
d’auiourd’huy, ne te deſt ourneront facilement de l’amitié
que tu me portes.
Phi. I’aimeroy’ mieux eſt re mort, que de
m’eſloitant ſoit peu de mon deuoir enuers vous, ou de
flechir aucunement de ce que m’auez enſeigné.
Quant au Politique que vous voyez, cõbien qu’il ait eſt é nourry quelque temps en la cour du Roy Charles IX. ſi eſt -il ſi modeſt e & bien auisé, que
tant s’en faut qu’il ſe ſoit eſſ ayé à me diuertir de
mon ſainct propos, qu’au contraire touſiours il
m’y a aidé & fauoriſé au poſsible : iuſques là, que
me voyant partir de France, il s’eſt ioinct à moy,
auec ce bon Hiſt oriographe : Me priãs tous deux
(quoy qu’ils ne cognoiſſ ent pour toutes veritez,
que celle de l’eſt at) de leur permettre de courre
pareille fortune que moy (Ce furent les mots dõt
ils m’vſerent à mon depart) quelque choſe qui me
deuſt auenir : depuis en çà, nous auons touſiours
eſt é compagnons de voyage, de table, & de lict ,
avec toute la meilleure paix & creance que lon
ſcauroit deſirer.
Ali. le ſuis bien aiſe d’entendre ce que tu en dis,
& de ce que Dieu t’a pourueu en eux d’vne ſi
honeſt e compagnie, & penſe que ce n’eſt pas ſans
myſt ere qu’ils ſont venus auec toy. Mais qui t’euſt
iamais pensé icy ?
Phi. Mais vous vraiement : il y a bien plus dequoy
s’eſmerueiller à vous y voir habiter, & y tenir
maiſon (cõme ie m’apperçoy que vous l’y avez
dreſſee) qu’il n’y a de m’y voir venir.
Ali. Quant à moy, eſt ant pluſt oſt Coſmouague
qu’arreſt ee en certain lieu, ce n’eſt pas de
merueilles ſi paſſ ant par ce pays, & m’y voyant la bien
receue, i’y ay planté mon bourdon & enſeigne, &
dreſsé ma famille, tout ainſi cõme ie fay en tout
autre lieu où lon me reçoit : Mais toy, duquel la
patrie eſt ſi fertile, ſi heureuſe, & plaine d’vn ſi
grand nombre de nos amis, ie m’esbahy comme
tu as iamais eu le cœur d’en ſortir, pour venir peregriner en region tant eſloignee de la tienne.
Phi. Quand tu ſçauras ce qui m’y a cõduit, tu
t’eſmerueilleras beaucoup plus de ceux qui m’õt
donné occaſion d’en ſortir, que de moy qui l’ay ſceu
prendre. Quant à ma retraict e en ce pays, le peu
de ſeureté que ie voy aux autres plus voiſins,
pour la fetardiſe de ceux qui y commandent, m’a
cõtraint (par l’aduis meſme du Politique) de venir
icy de bõne heure cercher ſiege, & repos aſſ euré.
Ali. Que tu y ſois derechef le bien venu. Quand
tout eſt dit, la demeure en ces terres-cy par la
grace de Dieu eſt beaucoup plus aſſ euree & plus
libre pour nos amis, qu’elle eſt en beaucoup
d’ẽdroits où ceux qui ſe diſent Chreſt iẽs ont la
puiſſance & le gouuernement. Mais ie te prie, dy moy
la raiſon, pourquoy tu es ſorti de ta patrie, & qui
t’a ainſi deſualizé et deſapointé de la ſorte ?
Phi. Ie ſuis content de te le dire, & te prie de croire, Quoy que ce meſchef me ſoit aduenu pour l’amour de toy : de ce que fauoriſant ton parti, ie t’ay touſiours confeſſ ee & maintenue, enuers tous & contre tous : Ie ne t’en demanderay aucun grand-mercy : encores moins t’en ſcauray-ie mauuais gré, ny ne quitteray pourtãt l’obligation que i’ay à te defendre & maintenir, à la vie & à la mort : Mais s’il te ſemble mieux que l’Hiſt oriographe que voila, recite le faict pluſt oſt que moy, qui pourroy’ ſẽbler ſuſpect à ces meſsieurs qui nous eſcoutent : luy, qui a la memoire bonne, & l’integrité requiſe à ſon eſt at, te pourra informer ſommairement, & ces auditeurs enſemble, du faict ainſi qu’il eſt paſſ é.
Ali. Ie me reſiouy grandement de te voir ainſi
conſtamment perſeuerer (quoy qu’il t’aduiene)
en mon amitié : de ma part, ne doute point que ie
ne te rende la pareille, & à la fin des douceurs (ſi
tu pourſuy) nompareilles. Quãt à ces aigreurs
paſſageres que mes amis ſouffrent le plus ſouuent,
tu ſcais que la faute (que le mõde qui me hait fait
contre moy & les miens) ne me peut eſt re
imputée, auſsi peu qu’au bon vin, le blaſme que l’homme
par ſon intemperãce s’acquiert. Mais pour ce
que ceſt e matiere requiert plus long diſcours, &
que ie ſcay que tu es bien reſolu de ce qu’il en faut
croire, attendant que nous en puiſsiõs parler plus
amplement au benefice commun des ignorans : il
vaut mieux que l’Hiſt oriographe nous die
maintenant tout haut, afin que ceux cy l’entendent, ce
qu’il a recueilly & appris de tes miſeres &
diſgraces. Nous veux-tu pas faire ce plaiſir, mon
compagnon ?
Hiſt . Ie ſuis ſi grand amy de la verité, Madame,
que combien que ie ne vous cognoiſſ e point, &
qu’au récit de telle tragœdie, voire au ſeul
ſouuenir ie ſente tous mes ſens fremir, & iuſqu’au poil
s’heriſſ onner : ſi ſuis-ie content de dire ſinceremẽt
ce que i’en ſcay, à la charge que mon compagnon
le Politique m’y aidera, adiouſt ant ce que ie
pourroy’ oublier par meſgarde, & retrenchant ce qu’il
cuidera de trop dict .
Ali. C’eſt bien auiſe. Que t’en ſemble ſeigneur
Politique ?
Pol. I’en ſuis contẽt : & d’autrepart marry, d’ouyr
refreſchir la memoire de ce que, pour l’honneur de ma patrie, de mon Roy, & des ſiens, ie
deſireroy’ eſt re enſeuely au plus profond du puys de
l’oubliance.
Ali. Commence donc ie te prie, Hiſt oriographe
mon amy, ſans y adiouſt er du tien, ny te mõſt rer
paſsionné pour l’vn ou l’autre party : dy-nous
ſimplement le faict .
Hiſt . Ie ne le puis pour maintenant dire qu’en
gros, n’ayãt pres de moy mes memoires : mais
i’eſpere biẽ en Dieu, qu’vn iour ie lairray le tout par
le menu, & comme il s’eſt paſſ é, ſans en rien
diſsimuler, eſcrit à la poſt erité.
Pour ceſt e heure, Oyez.
La lumière de l’Euãgile (car ainſi l’appelloit-on)
commençant par la voix & les eſcrits de Luther,
Bucer, Zuingle, Ecolampade, Melanct hon, &
autres doct es perſonnages, comme de nouueau à ſe
manifeſt er : Le Pape (tout ainſi qu’en Alemagne
par ſes menees, & par les armees & moyens de
Charles le quint, auſsi en France par le moyen
de Frãçois premier) s’y oppoſa fort & ferme pour
en empeſcher le cours, auec bourrees & fagots,
iuſques à faire bruſler par ſentences & arreſt s, les
liures du vieil & nouueau Teſt ament, d’où lon
tiroit ceſt e doct rine, s’ils eſt oyent tournez en
François ou autre langage vulgaire, & auec les liures,
ceux qui les maintenoyent, qu’on nomma pour
lors Lutheriens. Ceux de Merindol en Prouence
peuple inſtruit de longue main par ſes
predeceſſeurs en la doct rine de l’euangile furent par
arreſt du parlement de Prouence en l’an 1540. condemnez
comme Lutheriens à eſt re bruſlez. Et pour ce que la ville de Merindol cõme lon diſoit
eſt oit la retraite & ſpelonque des gens tenans
ſect es damnees fut ordonné par le meſme arreſt
que les maiſon y ſeroyent raſees & demolies,
& le lieu rendu inhabitable.
Quatre ou cinq années apres ceux de Merindol,
ceux des Cabrieres & le peuple de vingt &
deux villages dalentour, pour la meſme doct rine
furent pourſuyuis à feu & à ſang par le ſeigneur
d’Opede premier preſident, & lieutenant pour
le Roy en Prouence aſsiſt é du Capitaine Poulain
qu’on appelle le Baron de la garde, & d’autres
Capitaines & ſoldats en grand nombre
iuſques la qu’il fut tué & meurtry des poures gens
de Cabrieres hommes, femmes & enfans
enuiron le nombre de huit cens, contre la foy que le
ſeigneur d’Opede leur auoit promis & iuree.
Pluſieurs autres grans meurtres & pilleries furẽt
exercees ſur ces bõnes gens deſquelles ie me tay
pour ce que l’hiſt oire qui en à eſt é eſcrite en fait
aſſ ez ample mention. François premier decedé
la meſme pourſuyte fut faite ſous Henry ſecond,
qui luy ſucceda à la couronne : durant le regne
duquel, non ſeulement les liures & les corps des
Lutheriens furent bruſlez, ains auſsi leurs
legitimes heritiers priuez de leurs biens, qui pour ce
regard eſt oyent confiſquez & donnez à la
ducheſſe de Valentinois, au Mareſchal ſainct André,
ou à d’autres ſemblables courtizans, en
recompenſe de leurs bons, honeſtes & loyaux ſeruices
Il fut deſcouuert de ſon Regne vne aſſ emblee de
trois cens personnes en la rue Sainct Iacques dans Paris, qui aſsiſt oyent à vn preche qu’on
faiſoie la nuict en vne maiſon priuee, où auſsi
la Cene fut lors celebree entre eux : les preſt res
& le peuple Pariſien les ſurprirent, les
outragerent de parole & de fait, pluſieurs de
l’aſſ emblee furent faict s priſonniers & pourſuyuis par
les officiers de la iuſt ice. Nonobſt ant cela le
nombre de ces gens alloit touſiours en
augmentant, ils firent courre par Paris & ailleurs
certaine Apologie pour eux purger des crimes quon
leur mettoit à ſus affermans qu’ils ne
maintenoyent que la vraye religion pour laquelle pluſt oſt que de l’abandonner ils eſt oyent contens
d’endurer feux & tout autre genre de ſupplice.
Le ſeigneur Dandelot neueu du Conneſt able &
Colonel de l’infanterie Françoiſe fut accuſé au
Roy Henry d’eſt re du nombre des Lutheriens.
Et en fin fut fait priſonnier pour auoir dit
librement ce qu’il ſentoit de la Meſſ e en la preſence
du Roy & fut priué de ſa charge de Colonnel, à
laquelle toutefois il fut puis apres remis par
lentremiſe du cõneſt able qui le recõcilia au Roy lequel
à la fin apres la paix faite auec le Roy Philippe,
reſolu de ruiner Geneue, en haine de la doct rine
Lutheriẽne, & pour icelle meſme, de voir bruſler
A.du Bourg l’vn de ſes conſeilliers au parlement
de Paris : au milieu des mariages, feſtins, délices,
ieux & tournois, eſt ant bleſſ é en l’oeil d’vn coup
de lance, que le ſeigneur de Mõgomery luy
donna, en iouſt ãt contre luy par ſon commãdement,
par grand deſaſt re mourut.
Apres Henry, le meſme feu cõtinua ſouz
François ſecond, qui luy ſucceda au Royaume, duquel
tout le gouuernement tomba auſsi toſt entre les
mains de meſsieurs de Lorraine, tant à cauſe de
leur niece royne d’Eſcoſſ e, qui eſt oit mariée à
François, que pour leur habileté & ſouppleſſ e.
Les Princes du ſang, voyãs l’eſt at du royaume
és mains du Cardinal de Lorraine, du Duc de
Guyſe, de ſes autres freres Lorrains, de leurs
partiſans & amis, n’apperceuans en François autre
choſe de reſt e que le nom de Roy ſeulement, ſe
reſolurent de luy faire entendre l’eſt at de ſes
affaires, de le ſupplier treshumblement de
conuoquer au pluſt oſt les eſt ats de ſon Royaume, de le
manier & conduire auec l’aduis des princes de
ſon ſang ou bien de les charger du maniement, &
s’en repoſer ſur eux, ſuyuant les ancienes loix de
Frãce, iuſqu’à ce que l’aage luy euſt apporté plus
grande cognoiſſ ance d’affaires. Quant à eux, ils ne
pouuoyent plus longuement ſouffrir, de voir le
Royaume conduit à l’appetit d’vn Cardinal,
(duquel la vocation eſt oit de preſcher) & de ſes
frères leſquels deuoyent en toutes ſortes ceder aux
Princes du ſang, & pluſt oſt rendre conte de leur
adminiſt ration, que paſſ er outre à la conduite de
l’eſt at : n’eſt ans exempts de ſoupçon de ſe vouloir
emparer du Royaume : Ce que les Princes
craignoyent d’autant plus, que ceux de Lorraine ſe
diſoyent deſcendus de Charlemagne, fils de Pepin
roy de France, ſur la lignee duquel, apres la mort
de Loys le Quint 34. Roy de Frãce, en l’an 988.
ſelon que leurs hiſt oriens le recitent, Hugues Capet vſurpa le Royaume, lequel depuis eſt tombé
és mains de ſes ſucceſſ eurs de Valois, auſquels
les Lorrains l’arracheroyent facilement, ſi la
vertu des naturels vaſſ aux & loyaux ſuiets, n’y
mettoit empeſchement. Quant à la religion, ils
deſiroyent que le Roy ſe laiſſ aſt flechir, à faire ceſſ er
les feux qui eſt oyent allumez par tout le
Royaume encontre les Lutheriens, à cauſe de leur foy &
doct rine, laquelle les Lutheriens diſoyent eſt re
contens, que le Roy fiſt examiner aux gens
doct es par la ſainct e Eſcriture, ſeul & vray iuge de
ce faict .
Ces poinct s redigez par eſcrit en forme de
ſupplication & remonſt rance, Loys de Bourbon
prince de Condé, s’eſt oit chargé de les preſenter
au Roy, qui pour lors eſt oit à Amboiſe : Quand
ceux de Lorraine, doutans qu’vne telle requeſt e
ne fuſt cauſe de quelque ſiniſt re changement à
leur deſauantage, par le moyen des gentilshommes
de leur ſuite, & des archers de la garde,
firent empoigner aucuns des gentilshommes qui
eſt oyent venus pour accompagner le prince de
Condé : les firent executer à mort, & eſcarterent
les autres : de ſorte, que ce deſſ in des Princes &
ſeigneurs Frãçois fut de tout poinct interuerty, &
vn bruit ſemé (pour rendre le faict odieux) que ce
n’eſt oie pas contre ceux de Lorraine, ains contre
le Roy : non pour le ſupplier pour la religion, ou
pour le bien de l’eſt at, ains pour l’occuper &
enuahir, que celle entrepriſe eſt oit faite. Le nom de
Huguenot fut auſsi dés lors mis à ſus, pour vn
ſobriquet d’ignominie à ceux qu’auparavant on nommoit Lutheriens, & au lieu de faire ceſſ er les
feux contr’eux, ils en firent plus aſpre pourſuite
que deuant, reduiſant meſsieurs de Lorraine en
tout le ſurplus, l’eſt at des affaires du Royaume à
leur plaiſir & volonte, iuſques là, qu’ayans fait
remuer la Cour d’Amboyſe à Orléans, & là aſsigné
les Eſt ats, ils y firent auſsi venir le prince de
Condé, Prince du ſang, qu’ils firent empriſonner
dés l’heure qu’il y fut arriué, pour luy faire rẽdre
compte de ce qui s’eſt oit paſſ é à Amboyſe : en
danger d’y laiſſ er la vie, ſi le roy François toſt apres
par vn mal d’oreille qui luy ſuruint, ne ſe fuſt
haſté de quitter le premier la ſienne.
Le pol. le me ſouuien fort bien de ce temps-là &
de ce que tu viens de dire. Mais quãt à la
conuocatiõ des Eſt ats faite de la part de meſsieurs de
Lorraine, ſous le nom du Roy François, ce n’eſt oit
qu’vn maſque & couuerture qu’ils prenoyẽt : pour
monſt rer qu’ils eſt oyent contens que les
anciennes loix du Royaume fuſſ ent remiſes ſus, &
entretenues en leur force & vigueur par l’aduis cõmun
des Eſt ats (iadis cerueau, yeux, & oreilles de nos
Rois les mieux aduiſez & la bride & chaſt ifol des
meſchans & des mal ſaiges) afin d’arracher par ce
moyen du poing à la Nobleſſ e & au peuple, tout
pretexte de murmurer contre le gouuernement
Lorrain : Car quant au reſt e, ie ſcay bien qu’ils ne
vouloyent rien quitter de leurs deſſ eins, faiſans
pour ceſt e cauſe elire aux conuocations
particulieres qui ſe faiſoyent és prouinces du Royaume,
des deputez aux eſt ats generaux, les plus
affect ionnez de leurs partizans & amis : mais la mort du Roy inopinee, ne pouuant empeſcher leur
deſir de voler, retrancha en beaucoup de ſortes
les æſl es de leur eſperance. Peu de temps apres
(comme vn deſaſt re ne va gueres ſeul) il fut ioué
vn terrible tour à monſieur le Cardinal, ſi
d’aueuture ne l’auez ſceu : ie le vous diray en deux mots.
Le pape aduerti de l’iſſ ue du faict d’Amboyſe,
& du bon deuoir que le Cardinal de Lorraine
auoit fait à maintenir le parti de ſainct e mere
Egliſe Romaine, contre les Lutheriens deuenus
Huguenots (qui ſembloyent ne ſe contenter que
les feux allumez ceſſ aſſ ent ſi quant & quant ils ne
parloyent & diſputoyent publiquement de leur
religion & doct rine) luy reſcriuit par vn courrier
expres des letres gratulatoires, le merciant de la
bonne volonté qu’il auoit monſt ré à maintenir
le parti du ſainct ſiege Romain, & le priant de
continuer de bien en mieux en celle bonne
affect ion : en recognoiſſ ance de laquelle, il luy
enuoyoit en don par le porteur, vn tableau cõſacré
par ſa ſainct eté, d’vne noſt re dame de grace tenãt
ſon fils entre ſes bras, que Michel Angel de ſa
plus doct e main, auoit pourtraict cõme vn
chef-d’œuure : Aduint (comme Dieu voulut) que le
courrier qui portoit les letres du Pape auec le
preſẽt du tableau, eſt ãt tõbé malade par les chemins,
rencõtra vn ieune marchant Luquoys catholique
qui s’en alloit en cour, & ſe diſoit eſt re au
Cardinal de Lorraine (cõbien qu’à vray dire il fuſt ſon
ennemi mortel & deſeſperé, par ce qu’il ne pouuoit auoir ſeure aſsignation du Cardinal, qui
manioit les finances de France, d’vne grande ſomme de deniers qu’il auoit fourny au roy Henry lors
des guerres de monſieur de Guyſe en Toſcane)
lequel il creut facilement, bien aiſe de ceſt e
occaſiõ, puisque ſa maladie l’empeſchoit de paſſ er
outre : ayant dõc apprins le nom du Luquoys, &
doutant que le retardement des letres de ſa ſainct eté
ne luy fuſt dommageable, il le pria de ſe charger
des letres & du tableau, qu’il luy remit entre
mains, pour les liurer, comme il promit, au Cardinal.
Ce Luquoys ne fut pas ſi toſt à Paris, que
ayant rẽcontré vn peintre à ſa poſt e, & l’occaſion
de faire vn ſcorne à monſieur le Cardinal, fit faire
vn tableau de meſme grandeur, où le Cardinal de
Lorraine, la Royne ſa niece, la Royne mere, & la
ducheſſ e de Guyſe eſt oyẽt peints au vif nuds, ayãs
les bras au col, & les iambes entrelacees l’vn auec
l’autre : puis le fit ſoigneuſement empaqueter dãs
le tafetas & toile ciree de l’autre tableau, &
trouua moyen de le faire conſigner, auec les lettres de
ſa ſainct eté, en la chambre du Cardinal, lors qu’il
eſt oit en conſeil, entre les mains d’vn de ſes
ſecretaires : Quand mõſieur le Cardinal reuenu du
conſeil, eut leu les letres de ſa ſainct eté, il reſerua de
voir le tableau au lendemain diſner : auquel tout
expres il conuia meſsieurs les Cardinaux de
Bourbon, de Tournon, & de Guyſe, les ducs de Montpenſier, & de Guyſe, & quelques autres grãds
ſeigneurs : ils ne furent pas au ſecond ſeruice, que
monſieur le Cardinal ayant fait lire tout haut les
letres de ſa ſainct eté, eſmeut tellement le deſir de
la compagnie à voir noſt re dame de grace, que
quittant le repas du corps pour repaiſt re leurs eſprits, ils firent apporter le tableau, lequel bien
dextremẽt deſueloppé, eſt ant regardé par eux, &
trouué tel que ie vous vien de dire, ie vous laiſſ e
à penſer ſi ces ſeigneurs en furent eſt onnez, &
monſieur le Cardinal faſché.
L’hiſt. Ie n’auoy’ point encore ouy faire ce conte :
mais vrayement il eſt admirable, & digne que ie
le couche entre mes eſcrits, pour monſt rer d’vn
coſt é la force de la verité, laquelle d’vne façon
ou d’autre toſt ou tard faut que ſe deſcouure, &
la puiſſ ance du deſpit ſur vne perſonne outree.
Le pol. Quant au deſpit dont tu parles, ſi celuy du
Luquoys le pouſſ a à faire ce traict que i’ay recité,
aſſ eure toy que le deſpit que monſieur le Cardinal
en print, cuidant que ce fuſſ ent Huguenots
qui luy euſſ ẽt ioué ce tour, leur a cauſé beaucoup
de maux qui leur ſont depuis ſuruenus.
Phil. Ainſi bien ſouuent, l’innocent ſouffre la
peine deue au coulpable : mais pour n’entrer plus
auant en ce diſcours, ie te prie Hiſt oriographe,
repren le fil de ton hiſt oire.
L’hiſt. Charles ix. François ſon frere decedé,
ſucceda à la couronne en l’aage de dix ans : Et
Catherine de Medicis ſa mere, & Anthoine de
Bourbõ roy de Nauarre, premier Prince du ſang
eſt ans en different touchant le gouuernement de
la perſonne de Charles & de ſon eſt at, & peu apres
tombez d’accord à l’auantage de la mere : le
prince de Condé fut declaré innocent, & abſous
du faict d’Amboiſe, tenu pour bon parent du
Roy, & deliuré : Les feux auſsi & pourſuites contre
les Huguenots furent faits ceſſ er : les eſt ats de France aſſ emblez : leur aduis entendu, & ſuyuant
iceluy eu auſsi l’aduis des Preſidens &
Coſeilliers des Parlemens de la France, auec les
ſeigneurs du conſeil priué du Roy, fut fait vn
Colloque à Poiſſ y, deuant le Roy & ſes Princes,
entre les plus doct es des Catholiques & des
Huguenots : leſquels ayãs fait confeſsion de leur foy,
diſputé d’icelle en public, & maintenu leur
doct rine par les Eſcritures, obtindrent pour
concluſion vn edict du Roy, par l’aduis du ſuſdict
Conſeil, au mois de Ianuier en l’an 1561. par lequel fut
permiſe aux Huguenots liberté de conſcience, &
exercice de leur religion hors des villes du
Royaume. De là ſourdit vn grand nombre d’Egliſes
(ainſi les nommoit-on) & d’aſſ emblees de
Huguenots par la France : on preſcha à la Cour, hors de
Paris, & és autres villes, auec tel efficace, qu’à
vray dire on voyoit ces gens-là s’amender en la
vie, & s’accroiſtre en nombre à veue d’œil.
Monſieur le Cardinal de Lorraine & meſsieurs ſes
freres, ne pouuãs ſupporter vne telle liberté en ceux
qu’ils reputoyent leurs ennemis, & craignans que
ſi quelquefois telle doct rine venoit en auant, ils
ne fuſſ ent cõtraints par la reformation de ces
Huguenots. de quitter 300. mille eſcuz de reuenu,
qu’ils auoyent des benefices en leur maiſon, &
rendre compte de leurs charges & maniemens
paſſ ez : pour fortifier leur parti de Lorraine,
atirerent à eux Antoine de Bourbon, luy promettans
de luy faire rendre par le Roy d’Eſpagne le
royaume de Nauarre qu’il occupoit, ou la Sardaigne en
change, erigee en Royaume : Ils s’adioignirent auſsi le Conneſtable, & le mareſchal ſainct
André, tant à cauſe de la recerche qu’ils craignoyẽt
qu’on fiſt vn iour ſur eux, des dons immenſes,
receus du Roy, contre les loix du Royaume, que
pour la crainte qu’ils auoyẽt d’eſt re contrains de
rendre les confiſcations des Lutheriẽs &
Huguenots, ſi vne fois ils auoyent le credit & la faueur :
Pluſieurs autres grands ſeigneurs auſsi ſe
rengerent du coſt é de meſsieurs de Lorraine, en haine
de ceſt e doct rine de l’Euangile. L’expugnation
de laquelle eſt ant iuree par eux, le duc de Guyſe
commença à faire preuue de leur deſſ ein ſur les
Huguenots de Vaſſ y, deſquels luy ou ſes gens
tuerent vn bon nombre, ainſi qu’ils les trouuerent
aſſ emblez au preſche. Quand & quand le prince
de Condé par le commandemẽt de la Royne
mere (qui par letres & courriers luy reccomandoit
la defenſe d’elle & du Roy ſon fils, ayant
deſcouuert l’entrepriſe de meſsieurs de Lorraine, & de
leurs confederez) prit les armes, & les fit prendre
auec luy aux Huguenots de la Frãce, pour la
conſeruation du Roy, de ſes Edict , vaſſ aux & fuiets.
Meſsieurs de Lorraine, ayans auparauant
aſſ emblé forces de pied & de cheual en grand
nombre, & auec eux le Conneſt able, & le mareſchal
ſainct André, vindrent à la Cour armez : & la
s’eſt ans emparez du Roy, eurent auſsi à la fin ſa
mere fauorable à leur party.
Le po. Il eſt ainſi. Et voila d’où nous vindrẽt
beaucoup de maux : car ſi la Royne mere n’euſt jamais
donné courage & mandemẽt au prince de Cõdé
de s’armer, ou l’ayãt fait, s’elle n’euſt point à la fin adheré à ceux de Lorraine, la guerre ne fuſt point
nee, ny ſortie ſi auant, ne ſi aſprement qu’elle fit
depuis : mais ie ſuis certain que la Royne mere
(qui auoit faict tomber le gouuernement du Roy
& du Royaume entre ſes mains) ſe doutant, ſi les
Princes & les grans du Royaume eſt oyẽt vne fois
bien d’accord, qu’elle en ſeroit deſarçonnee, vſa
de ſe moyen de deſunion, preſt ant ſa conſcience
& authorité aux deux partis, pour les tenir en
diſcorde, les affoiblir par leurs mains propres, & ſe
conſeruer par ceſt artifice apres les coups ruez au
gouuernement du Royaume.
L’hiſt . Ie le croy : mais tant y a, que la guerre print
vn tel traict , les vns & les autres ayans tantoſt du
bon, tantoſt du mauuais : que finalemẽt apres
pluſieurs prinſes, & pertes de villes de tous les
deux coſt ez, le prince de Cõdé fut fait priſonnier,
en vne bataille qui luy fut liuree pres de Dreux :
le Conneſt able de l’autre coſt é y fut auſsi prins
par les Huguenots, le mareſchal ſainct André
tué, & peu apres le roy de Nauarre deuãt Rouen,
& le duc de Guyſe deuant Orléans, dont
s’enſuyuit la paix tant deſiree par les Huguenots, que la
neceſsité de ſe defendre, comme i’ay dit, auoit
armez : auſquels de nouueau par Edict ſolennel, fait
par le Roy, ſa mere, & ſon conſeil, ſur la
pacification de ces troubles, au mois de Mars, 1562. fut
accordee liberté de conſcience, & exercice de
leur religion dans les villes où pour lors ils
faiſoyent preſcher, & en beaucoup d’autres lieux du
Royaume. Tout ce qu’ils auoyẽt fait en ces
guerres fut déclaré auoir eſt é fait pour le ſeruice du Roy, lequel neantmoins par ſon Edict leur
commandoit de mettre les armes bas, & viure au
ſurplus (leur conſcience ſauue) en paix comme
auparauant, ſous les loix & police de ſon Royaume.
Le pol. Tu as oublié de dire, que la Royne
d’Angleterre (pour la conformité de la doct rine
qu'elle & ſes ſuiets ont auec les Huguenots) leur
enuoya durant la guerre, vn grand & puiſſ ant
ſecours : qui fut cauſe en partie, de faire haſt er la
reſolution de la paix.
L’hiſt . Tu as raiſon : Mais pour reprendre le fil de
mon diſcours l’Edict de pacification ne fut pas
ſitoſt publié, que les Huguenots mirent les armes
bas, & ſe conformãt en tout à la volonté du Roy
declaree par ſon Edict , menoyent vne vie
tranquille & paiſible. Quand la Royne mere, ſe
ſouuenant du tour qu’elle leur auoit ioué (les faiſant
armer à ſon beſoin & mandement, & neãtmoins
accommodãt d’autre part ſon authorité aux
Lorrains, pour les faire mieux entrebatre, & en auoir
ſon paſſ e-temps) & doutant qu’ils ne peuſſ ent
oublier la memoire d’vne telle offenſe, & que tout
le royaume eſt ant d’accord, on ne fiſt quelque
deſſ ein de cõduire les affaires ſans elle, craignant
de perdre par ce moyẽ ſon authorité : ou poſsible
(comme Caton, qui appelloit conſpiration
enuers le pere de famille, la bonne intelligence de
ſes domeſt iques) ne pouuant voir plus lõgtemps
l’eſt at de l’vn & l’autre parti en balance, elle
monſt ra de vouloir entierement fauoriſer le parti des
Lorrains : mais cependant elle s’acqueroit
particulierement le plus qu’elle pouuoit d’autres partizans, ayans pour ce, fait faire vn voyage au
Roy tout à l’entour de ſon Royaume, apres auoir
pratiqué (ſous couleur de vouloir voir la Royne
d’Eſpagne ſa fille) vn parlement auec le duc
d’Albe à Bayonne, où elle fut auec le Roy : où auſsi la
royne d’Eſpagne & le duc d’Albe ſe trouuerent,
non ſans eſtroite conference, & ferme reſolution
de quelque choſe d’importance, que ie ne vous
puis déclarer.
Ali. Si fay bien moy : ie ſuis contente de le vous
dire. La Royne mere comme perſonne curieuſe,
ayant interrogué Noſt radamus (qui ſe meſt oit de
predire les choſes futures) de ce qui aduiendroit
à ſes enfans : & ayant ouy qu’elle les verroit tous
trois Rois, croyant par trop à ſes paroles, & doutant
s’ainſi aduenoit qu’elle ne fuſt rẽuoyee à
Florence, pour voir ſes parens & amis, & ne ſachant
quel parti prendre (tout ainſi qu’elle voyoit la
force des eſt ats pieçà ſupprimee & la loy Salique,
touchant le gouuernement, qui eſt oit tombé en
quenouille, violée) penſant que pour la ſucceſsiõ
du Royaume elle en pourroit bien faire autant :
promit & iura au duc d’Albe, de faire tomber la
couronne de France, ſur la teſt e de ſa fille aiſnee,
& par conſequent du roy d’Eſpagne, pour ſe le
rendre bon patron & garant, au cas que ſes enfans
mouruſſ ent : Mais le duc d’Albe ne la
pouuant legerement croire, voulut pour confrmation
de ce faict , que la Royne mere luy promiſt
cependant, de rompre & caſſ er l’Edict de pacification,
& d’oſt er aux Huguenots tout ce qu’ils
auoyent de liberté de conſcience, & d’exercice de religion, pour meilleure preuue de ſa bonne
volonté enuers l’Eſpagne, au détriment de la France,
ce que la Royne fit volontiers.
Le po. C’eſt oit bien loin de reſt ablir le royaume
en ſon entier, que d’abolir ſes plus ancienes loix :
elle eſt oit bien loin de chauffer la botine de
Theramenes, comme nous cõſeillions, quand elle
vouloit ruiner la moitié du royaume qu’elle diſoit
malſaine, au lieu de conſeruer les deux, comme en vn
corps demi paralitique on a accouſt umé d’vſer :
He Dieu que la maiſon eſt malheureuſe, quand la
poule y chãte plus haut que le coq ! Mais s’il vous
plaiſt , que l’Hiſt oriographe pourfuyue, afin que
ie me taiſe des maux ſans remede.
L’hiſt . Ie le veux bien. Apres ce pourparler fait à
Bayonne, les Huguenots ſe plaignoyent en beaucoup
d’endroits du royaume, des maux, des torts
& iniuſt ices qu’on leur faiſoit, de quelques reſt rict ions
de l’Edict de pacification , & de pluſieurs
contrauentions à la volonté du Roy faites iournellement
à leur deſauantage, depuis la pacification
iuſques alors, durãt le temps de cinq années.
Et cepẽdant la Royne mere ſous le nom du Roy,
ayant ſoudoyé, fait entrer en Frãce, & venir droit
à la cour ſix mille Suyſſ es, auec l’aide de ſes
partisans & autres peu paiſibles François, rompit
ouuertement l’Edict de paix, ſur l’heure que le
prince de Condé s’eſt oit accompagné pour aller
trouuer le Roy à Meaux, & luy faire ſes
plainct es & doléances, tant pour luy que les autres
Huguenots, & nommeement ſur ceſt e entrée
d’eſt rangers iuſques au milieu du Rovaume, & pres la perſonne de ſa maieſt é, ſans occaſion
apparẽte.
Ceſt e rupture d’edict fut telle & ſi à poĩct
nommé, que ſi le prince de Condé & ceux de ſa
trouppe n’euſſ ent pris garde à eux, les Suyſſ es
(informez tout autrement des choſes) n’euſſ ent
failli à les mettre en pieces, tant leur deſſ ein eſt oit
bien dreſſ é.
Le pol. Nous eſt ions extremement marris, moy &
vne trouppe de bons François, qui eſt ions pour
lors à la cour, zelateurs du bien de l’eſt at, & de la
reputation du Roy, de voir prendre ceſt e routte
aux affaires : de voir la foy publique violee, par
ceux qui la deuſſ ent garder plus chere que leur
propre vie : voire que ce fuſt par les forces des
Suyſſ es, qui auoyent la reputation entre les
nations, d’eſt re loyaux obſeruateurs de leurs
promeſſ es iurees, d’autant plus que de ce mal dependoit
comme d’vn ruiſſ eau vne mer de miſeres ſur nous
& à le vouloir continuer, la ſubuerſion entiere du
Royaume : auquel les Suyſſ es eſt ans alliez plus
fort qu’au Roy (pour dire vray) & leurs penſions
payees des deniers des ſuiets du Roy, nous-nous
eſmerueilliõs grandement, comme ils n’auoyent
regret de prendre de leur argent, pour les venir
tuer en leurs maiſons, en violant toute foy, alliance,
& ſeureté publique. Et ſachans combien és
Cantons de Suyſſ e, il y a de grandes & puiſſ antes
Republiques, qui tiennẽt la meſme doct rine que
les Huguenots François, nous doutions biẽ fort
que le feu ne s’allumaſt parmi les Suyſſ es, en leur
propre pays, pour les empeſcher de venir en Frãce à
la tuerie des Huguenots : nous trouuions aufſi fort eſt range, de voir ces poures Suyſſ es ſe laiſſer
mener à la boucherie (car ſans doute il en
mouroit & en eſt oyent tuez beaucoup en France pour
trois ou quatre eſcuz le mois) à la merci de trois
ou quatre Colonels qui rempliſſ oyent leurs
bougetes, aux deſpẽs du ſang de leurs combourgeois.
Et euſsiõs bien voulu, qu’au lieu de ſix mille
Suyſſ es armez, les Seigneurs des Ligues en euſſ ent
enuoyé ſix des plus ſages & paiſibles au Roy & à ſõ
conſeil, pour faire entendre qu’à tout euenement
en telles guerres ciuiles, il vaut mieux armer le
parti obeiſſ ant, que le ſeditieux & rebelle. Que
celuy eſt obeiſſ ant, qui ſe contente des bons Edict
de ſon Roy : que les Huguenots (hors la conſcience)
luy rendoyẽt tous deuoirs de ſuiets, mais qu’au
reſt e le corps eſt foible & moins appareillé à
cõbatre les autres, quand il a perdu la moitié de ſes
membres : qu’il n’y a choſe plus miſerable que la
vict oire és guerres ciuiles, laquelle affoiblit le
vaĩqueur bien ſouuent autãt que le vaincu, le liurant
à la fin du compte entre les mains de ſes voiſins :
que partant l’opinion de Machiauelli (que le
conſeil du Roy ſembloit ſuyure, tenant ſes ſuiets
deſunis) eſt oit vne perniceuſe hereſie en matiere
d’eſt at : qu’il valoit donc mieux conſeruer le tout,
qu’en ruiner vne grande partie. Que les
Républiques des Suyſſ es & celles d’Allemagne (quoy qu’il
y ait meſme diuerſité de religions qu’en France)
ne laiſſ oyent pas de proſperer, & eſt re bien fort
paiſibles : En ſomme, nous euſsions deſiré que les
Seigneurs des Ligues euſſ ent fait remonſt rer les
choſes, qu’ils euſſ ent auiſé eſt re mieux pour le biẽ & conſeruation du Royaume, ſans enuoyer leurs
gẽs à vn cõmun & reciproque rauage. Mais quoy ?
nous n’oſions mot ſonner, ny en dire ce que nous
penſions : & d’autre part l’ambaſſ adeur du Roy
vers les Suyſſ es, monſieur Belieure, leur donnoit
à entendre, que le prince de Condé vouloit faire
tuer le Roy, & ſe faire Roy luy-meſme : tellemẽt
que les Colonels des Suyſſ es, faiſant ſemblant de
le croire, pour les penſions, gages, & profits qui
leur en reuenoyent : au lieu d’y mettre la paix, y
voyoyent volontiers la guerre.
L’hiſt . Tant y a, les choſes eſt ãs és termes que i’ay
dict , le prince de Condé voyant que c’eſt oit à bõ
eſcient & à deſcouuert, & non plus par ieu & en
cachettes, qu’on en vouloit à luy & aux
Huguenots de la France : en ayant aſſ emblé vne bonne
troupe, s’en vint pres de Paris, où le Roy s’en
eſt oit allé, pour entendre encore plus au vray le
deſſ ein de leurs ennemis : mais luy eſt ant
reſpondu à coups de canon, & couru ſus luy à grand
force, apres s’eſt re vaillamment defendu, ſe retira &
les Huguenots qui l’accompagnoyent, pour leur
ſeurete & conſeruation, dans quelques villes du
Royaume. Quand les Princes proteſt ans
d’Allemagne ouyrent ces nouuelles, ſentans toucher à
eux, ce qui touchoit aux François de leur religiõ,
& marris de ce qu’õ les traittoit ainſi à la rigueur,
enuoyerent au prince de Condé & aux Huguenots
François pour leur aide & defenſe, vn braue
& puiſſ ant ſecours de Reyſt res & Lanſquenets,
ſous la conduite du duc Iean Caſimir, fils du
comte Palatin. Apres l’arriuee duquel, la Royne mere, le Roy, ſes freres, & ſon conſeil voyans
combien il leur eſt oit mal-aisé de ruiner pour lors les
Huguenots entierement, leur accorderent de
nouueau par vn Edict ſolennel, fait au mois de
Mars, en l’annee 1568. la meſme liberté de conſcience,
& exercice de religion qu’ils auoyent
auparauant : reputant fait pour le ſeruice du Roy,
tout ce qu’ils auoyent fait en ceſt e guerre-là, à la
charge qu’ils mettroyent bas les armes, remettroyent
les villes où ils s’eſt oyẽt retirez és mains
du Roy, ou de ſes miniſt res, & renuoyroyent leur
ſecours Alleman, hors de France. Cela ne fut pas
ſi toſt commandé qu’il fut executé par les
Huguenots : le parti contraire demeurant touſiours
armé, dont aduint (auſsi toſt que le duc de
Caſimir & ſes trouppes furent retirees) que de
nouueau furent exercees par la France, pluſieurs
iniuſt ices & cruautez ſur les Huguenots, tant que le
prince de Condé fut enuironné de garniſons, qui
venoyent pour le ſurprendre dans ſa maiſon de
Noyers, où il s’eſt oit retiré : de ſorte que s’il ne
fuſt bien viſt e & dextremẽt eſchappé, auec ſa
femme & ſes enfans, & s’il n’euſt trouué le gué des
riuieres qu’il luy conuint paſſ er à commandement,
il eſt oit trouſſ é en malle : & biẽ luy ſeruit de
trouuer la ville de la Rochelle, où il ſe retira,
fauorable : ſans cela, c’eſt oit fait de luy. Eſt ant retiré
dans la Rochelle, les Huguenots faſchez, de voir
que ſi ſouuẽt on leur fauſſ oit la foy, furẽt
merueilleuſemẽt eſt onnez : mais peu apres ayans reprins
courage, ils accoururent de toutes parts trouuer le prince de Condé, pour ſe conſeruer auec
luy. Entre autres leanne d’Albret royne de
Nauarre, vint auſsi trouuer le prince de Condé ſon
beau frere, auec ſõ fils le prince de Nauarre,
q’uelle voua tout ieune qu’il eſt oit à ceſt e guerre, auec
ſes bagues & ioyaux, leſquels depuis furent engagez
pour aider aux fraix de l’armee. Le duc de
Deux-ponts prince de l’Empire, entendant que
la foy auoit eſt é de nouueau violee en France aux
Huguenots, eſmeu de la grauité du faict ,
s’achemina en France, & auec luy le prince d’Orenge, le
compte Ludouic ſon frere, le comte de Mansfeld
& pluſieurs autres Seigneurs & Comtes Allemãs,
auec ſept ou huict mille Reyſt res, & autant de
Lanſquenets. Cependant le prince de Condé menoit
les mains, aſsiegeoit villes & chaſt eaux ,
faiſant tout ce qui pouuoit ſeruir à ſe defendre, &
endommager l’ennemy : quand le duc d’Aniou frere
du roy Charles, & ſon lieutenant general,
conduiſant vne puiſſ ante armee contre le prince de Condé
(qui n’auoit alors que bien peu de ſes forces)
luy donna vne bataille pres de Iarnac, où le Prince
perdit, & y fut fait priſonnier, & peu apres par
commandemẽt du duc d’Aniou tué, à ſang froid,
par vn nommé Monteſquiou, de la maiſon du duc
d’Aniou.
Ali. Le prince de Condé ſe hazardant ainſi, monſt ra
cuidemment combien peu il aſpiroit à la couronne,
deſmentant ouuertement ceux qui le calõnioyent
de cela.
Phi. Il eſt bien vray : Mais auſsi fit-il vne grande
faute, hazardant auec peu de forces, tous ceux qui s’eſt oyent à luy retirez pour ſe conſeruer, & generalement
tous les Huguenots de France.
Le Pol. Ce ſont des fautes qu’õ ne peut faire
qu’vne fois, & qu’il ſe faut bien garder de commettre,
L’hiſt . Il eſt ainſi. Or le reſt e des forces des Huguenots,
apres la mort du prince de Condé, demeura
(ſous le nom du prince de Nauarre, & du
ieune prince de Condé) entre les mains de Gaſpard
comte de Coligny, admiral de France, par
l’auis commun de tous les principaux, leſquels eſt ans
allez enſemble au deuant du duc de Deux-ponts
& de ſon armee, qui leur venoit au ſecours :
& ayãs trouué le duc de Deux ponts mort de
maladie, ne laiſſ erent pourtant comme freres de
meſme religion & volonté, de ioindre leurs forces
enſemble : auec leſquelles (apres quelques prinſes de
villes & autres faits d’armes) ils furent contraints
de ſouſt enir vne autre bataille, près de Montcontour,
au mois d’Oct obre 1569. que le duc d’Aniou
leur liura, laquelle auſsi ils perdirent : mais ne
laiſſerent pourtant ayans ramaſſ é leurs forces, de
tenir la campagne, & ſe cõſeruer le mieux qu’il leur
fut poſsible auec leurs villes, durant neuf ou dix
mois : pendant leſquels auſsi ils prindrẽt pluſieurs
villes, & eurent des rencontres en diuers endroits
où il ſembloit que la chãce ſe tournaſt à la faueur
des Huguenots. Ce que lon cognut encores plus
ouuertement. En fin le 22. du mois d’Aouſt de
l’an 1570. leur fut derechef ottroyee la paix, qu’ils
auoyent tant deſiree, par vn edict que le roy Charles
fit, par l’aduis de la Royne ſa mere, de ſes freres,
des autres Princes & Seigneurs ſes conſeillers par lequel entre autres choſes, le Roy vouloit
que la memoire de toutes les choſes paſſ ees és
guerres ciuiles de la France, voire les ſentences
& iugemens donnez contre les Lutheriens ou
Huguenots, du temps du roy Henry ſon pere iuſques
alors, fuſſ ent annullees & abolies perpetuellement.
Declaroit tout ce qui s’eſt oit fait en ceſt e
guerre, auoir eſt é fait pour ſon ſeruice : pour
lequel auſsi il recognoiſſ oit que le ſecours
d’Allemagne leur eſt oit venu, reputant pour bons
parens ſiens, les princes de Nauarre & de Condé,
le prince d’Orenge, le comte Ludouic de
Naſſ au, & de Mansfeld, ſes bons couſins &
amis, & les Huguenots François, ſes loyaux vaſſ aux
& ſuiet : leur promettant liberté de conſcience
& exercice de leur religion, en certaines
villes, & és maiſons des ſeigneurs gentils-hommes
& autres ayans fief de haubert : Et par
ce que la memoire des dommages reciproquement
donnez en ces guerres, ne ſe pouuoit ſi toſt
perdre comme il ſeroit bien requis (voulant euiter
tout inconuenient, & donner ſeureté à
ceux des Huguenots qui pourroyent eſt re en
quelque crainte retournans en leurs maiſons,
d’eſt re priuez de repos) attendant que les rancunes
& inimitiez fuſſ ent adoucies, le Roy accorda
de leur bailler en garde, les villes de la Rochelle,
Mont-auban, Coignac, & la Charité : eſquelles
ceux d’entr’eux qui ne voudroyent ſi toſt s’en aller
en leurs maiſons, ſe pourroyent retirer & habituer,
à la charge que le roy de Nauarre, le prince
de Condé, & vingt gentils-hommes de maiſon qui ſeroyent nommez par le Roy, iureroyent &
promettroyent vn ſeul & pour le tout, pour eux
& ceux de leur religion, de garder au Roy leſdict es
villes, & au bout de deux ans, les remettre
entre les mains de celuy qu’il plairoit au Roy d’ordonner,
ſans rien y innouer : Voulant pour plus
grande aſſ eurance de l’obſeruation de ſon Edict ,
que le Roy donnoit pour irreuocable, que tous
les Parlemens, gouuerneurs, & miniſt res de la iuſt ice
& police de la France, iuraſſ ent ſolennellement,
de le faire exact emẽt obſeruer ſelon ſa forme
& teneur.
Ali. On voit clairement és iſſ ues de ces guerres,
vne choſe admirable, que le mõde ne recognoiſt
point : c’eſt que ces Huguenots perdoyent touſiours
les batailles, & toutefois obtenoyent la vict oire
de leur cauſe, d’autant que la liberté de cõſcience
& l’exercice de leur religion, leur eſt oit
touſiours accordé, depuis le temps qu’elle leur
fut premier ottroyee au mois de Ianuier, en l’an
1561. tellement que on les pourroit dire vainqueurs,
alors qu’ils ont eſt é vaincus. Choſe qui
fait recognoiſt re à qui regarde de pres & ſans
paſſion en leur doct rine, vn naturel effect de la Palme,
ſymbolizãt à la vérité, laquelle tant plus qu’elle
eſt preſſ ee, plus elle s’eſleue & reſſ ourd.
Phi. Cela eſt certain : Mais ce dequoy ie m’eſmerueille
le plus, & dequoy ie ne me puis encores biẽ
reſoudre c’eſt , laquelle de ces choſes eſt oit plus
grande, ou aux Huguenots la patience, l’obeiſſ ance
& fidelité : ou en leurs ennemis, la furie, haine,
& deſloyauté ?
Ali. C’eſt vne queſt ion bien mal-aiſee à ſoudre :
toutefois quant aux Huguenots, ils ne pouuoyent
faire de moins pour iuſt ifier leur cauſe, & recommander
deuant Dieu & les hommes leur parti
(qu’on accuſoit de ſedition) que de monſt rer vne
manſuetude & ſucceſsiue obeiſſ ance à leur Roy,
& à ſes miniſt res, ſelon Dieu.
Phila. Voire : mais on pratiquoit par trop ſouuẽt
ſur eux, la fable du loup d’AEſope, lequel beuuãt
au haut de la riuiere, chargeoit l’agneau (qui beuuoit
tout au bas) de luy troubler l’eau, comme il
diſoit que ſon pere auoit fait, prenãt ſur ceſt e
querelle d’Alleman, occaſion de le deuorer.
Le pol. Laiſſ ons ce diſcours ie vous prie,
n’interrompons pas celuy de l’Hiſt oriographe.
L’hiſt . Ceſt Edict de paix fait & publié, il fut iuré
& promis par tous les officiers de la France, de
l’obſeruer : Les Huguenots de leur part renuoyerent
leur ſecours d’Allemagne, & ſe conformerẽt
en tout le ſurplus, à la volonté du Roy, declaree
en ſon Edict .
La Royne de Nauarre, le prince de Nauarre,
le prince de Condé, l’Admiral, le comte de la
Roche-foucaut, & quelques autres ſeigneurs & gentils-hommes
s’eſt ans retirez à la Rochelle, apres
les ſermens & promeſſ es de la conſeruer au Roy
faites comme il appartenoit, viuoyent le plus
paiſiblement qu’on pourroit penſer : & quelques
gentils-hõmes, gens de letres, & marchans, ſous meſmes
promeſſ es s’eſt oyent pareillement retirez és
autres trois villes baillees pour refuge : & tous les
autres Huguenots retournez en leurs maiſons, ſe tenoyent coy, chacun en ſa vocation, comme ſi
iamais auparauant on ne leur euſt fait tort ou
deſplaiſir. Le Roy Charles mõſt roit de ſa part,
vouloir que ſon Edict fuſt de poinct en poinct obſerue :
iurant bien ſouuent par la mort, & par le ſang,
qu’il le feroit entretenir : qu’il ne croiroit plus ce
qu’on luy auoit voulu faire entendre, que les Huguenots
le vouluſt ent tuer, qu’ils luy eſt oyẽt trop
bons ſuiets, pour attenter telle meſchanceté. Mõſieur,
frere du Roy ne ſe pouuoit de tant commãder,
que de monſt rer tant ſoit peu d’enuie, que les
Huguenots iouiſſ ent de quelque repos aſſ euré : au
contraire, il faiſoit ouuertement paroiſt re, le peu
de plaiſir qu’il y prenoit : iuſques là, que le Roy &
luy, s’en faiſoyent mauuaiſe chere, pour la diſcrepance
qu’ils monſt royẽt auoir en leurs volontez.
Ceux que le Roy aimoit, ſembloyent hays de Mõſieur :
ceux que Monſieur aimoit, n’eſt oyẽt en apparence
guere biẽ veus du Roy : duquel pluſieurs
(voyans les Huguenots entrer en credit) diſoyẽt
tout haut, qu’ils luy auoyẽt deſrobé le cœur. Mais
pour ce qu’en plusieurs endroits du Royaume on
leur faiſoit des torts & iniures, la royne de
Nauarre, les prĩces de Nauarre & de Cõdé, & auec eux
l’amiral, enuoyerẽt vers le Roy, quatre gẽtilshõmes
ſignalez : ſçauoir eſt , Briquemaut le pere (anciẽ
ſeruiteur du Roy, & des vieux Capitaines de la Frãce)
Teligny gendre de l’Admiral, la Noue, beau-frere
de Teligny, & Cauagnes Conſeiller au parlement
de Thoulouſe : pour faire entendre à ſa
maieſt é, les torts qu’on faiſoit à ceux de leur religion,
contre l’intention expreſſ e de ſes Edict : le ſupplier treshumblement d’y pouruoir & leur
adminiſt rer iuſt ice, comme vn bon prince doit à ſes
ſuiets. Le Roy les ayant humainement receus, &
recueilli leurs plaintes, monſt roit d’en eſt re bien
fort marri, & leur reſpõdit, que par la mort-Dieu
il en feroit la vengeance, & chaſt ieroit ſi bien les
ſeditieux, qu’il en feroit memoire à iamais.
Monſieur, frere du Roy, ne pouuant laiſſ er ſi
toſt la haine qu’il portoit aux Huguenots, ny
meſmes la diſsimuler, pour l’obligation qu’il auoit à
l’egliſe Romaine (de laquelle & du clergé François,
il auoit deux cens mille francs de penſions)
donnoit neantmoins parfois eſperance auſdict s
gentils-hommes deputez, d’appaiſer & rabatre
vn iour à venir, le mal-talent qu’il leur portoit.
Le Roy de ſa part, continuoit touſiours ſes careſſes,
auſdict s quatre gentils-hommes deputez, leur
faiſant pluſieurs dons & preſens : entre autres, il
dõna vn eſt at de Maiſt re des requeſt es de ſon hoſt el,
au ſeigneur de Cauagnes, & quelque preſent
en deniers à Teligny, lequel fit auſsi preſent au
Roy d’vn beau & bien adroit courſier Rabican,
& d’vn petit cheual, qui manioit en toutes ſortes
de luy-meſme, ſagement & bien à poinct , & ſans
que perſonne fuſt deſſ us, que le Roy monſt roit
d’aimer bien fort, & s’en eſmerueiller. Preſque
tous les courtiſans ſembloyent ſe reſiouir, voyans
ces deputez en cour, & monſt rans d’auoir oublié
les aigreurs des guerres, n’oublioyẽt rien des
careſſ es de cour enuers eux, reprenans en
apparence les arres de leurs vieilles cognoiſſ ances &
familiaritez paſſ ees. Sur tout, le Roy,& la Royne ſa mere, monftroyent deſirer que la royne de Nauarre,
les princes de Nauvarre & de Condé, & l’Amiral
vinſſ ent à la cour : afin que mettans à part
toute desfiance, ils receuſſ ent de luy le bon viſage
& accueil qu’il eſt oit preſt de leur faire. Quant
au Roy, il deſiroit ſur toutes choſes, s’allier le
prĩce de Nauarre, qu’il aimoit autãt que ſon propre
frere : diſant qu’il luy vouloit donner ſa ſœur en
mariage : S’aſſ eurant, qu’outre ce que ce ſeroit vn
rafreſchiſſ ement des ancienes alliances de la
maiſon de Nauarre, à celle de Valois, & vn teſmoignage
de l’affect ion cordiale, que le Roy, la Royne
ſa mere, & meſsieurs ſes frères portoyent à la
royne de Nauarre, & au prince de Nauarre ſon
fils : ce ſeroit auſsi vn certain moyen d’aſſ eurer &
appaiſer à iamais l’eſt at de la France, & oſt er aux
Huguenots tout ſoupçõ qu’on leur vueille doreſenauant
nuire. Partant, le Roy, & la Royne mere,
prioyent affect ueuſement les deputez, d’aſſ eurer
en toutes ſortes la royne de Nauarre, les Princes,
& l’Admiral, de leur bonne volonté, & procurer
que bien toſt le Roy les peuſt voir en ſa
cour. Les deputez, treſaiſes de voir ce qu’ils n’auoyent
iamais cuidé, & d’ouyr ce qu’ils n’auoyent
iamais eſperé, reſcriuoyent bien ſouuent & quelquefois
aucun d’eux alloit à la Rochelle, par deuers
la royne de Nauarre, les Princes, & l’Admiral,
leur racontans merueilles des langages, façons,
& affect ions du Roy enuers eux. Le Mareſchal
de Mont-morẽcy, & ſes freres couſins de
l’Amiral, faiſoyent auſsi tout le deuoir à eux poſsible,
pour aſſ eurer & teſmoigner la volonté du Roy, & de ſa mere, qu’ils cognoiſſ oyent (ce
diſoyent-ils) eſt re bonne enuers les Huguenots,
diſans que le Roy vouloit reconcilier l'Admiral auec
le duc de Guyſe, pour ſe pouuoir mieux
ſeruir de luy & de ſon conſeil au maniement des
affaires d’eſt at de la France, donnant meſme ceſt e
eſperance, qu’auec le temps ceux de Guyſe ſeroyent
auſsi eſloignez de la cour, qu’ils en eſt oyent
près. Le ſeigneur de Biron fut enuoyé pluſieurs
fois vers la Royne de Nauare, les Princes, &
l’Amiral, & certains autres gentilshommes
particuliers Huguenots, firent pluſieurs allees & venues
à la cour, le tout pour la negociation de ce que
deſſ us. Le Roy cependant enuoya des
commiſſaires en certains endroits du Royaume, pour informer
des torts que lon faiſoit aux Huguenots,
cõtre ſes Edict s, & fit chaſt ier à Rouen & en
quelques autres endroits, des meurtriers & ſeditieux
qui auoyent tué quelque nombre de poures hommes
& femmes Huguenots, depuis la paix, au retour
d’vn de leurs preſches.
Ceux de Montmorency, & les deputez,
perſuadez, perſuaderent auſsi (apres toutefois pluſieurs
reſiſt ances, repliques, difficultez, inconueniens, &
ſolutions de tous coſt ez alleguees) la Royne de
Nauarre, les princes de Nauarre, & de Condé,
l’Admiral, le comte de la Rochefoucaut, & tous
les autres ſeigneurs, gẽtilshommes, & autres Huguenots
de la France, de la bonne volonté, zele, &
affect ion qu’ils penſoyent cognoiſt re au Roy, &
en la Royne ſa mere, enuers eux.
Le Roy fit venir en ſa cour le comte Ludouic de Naſſ au, frere du prince d’Orenge, qui depuis
la paix derniere s’eſt oit tenu à la Rochelle, auec
lequel il traict a de diuers moyens & deſſ eins, qu’il
deſiroit exploiter contre le roy d’Eſpagne pour
ſe venger des torts qu’il luy auoit faits : & l’entretenant
auec douces careſſ es, reſolut auec luy vne
entrepriſe de treſgrande conſequence, qui s’eſt du
depuis executee en partie ſur le pays bas, par
ledict comte Ludouic, le ſeigneur de la Noue, &
pluſieurs autres François : au ſecours deſquels eſt ans
aſsiegez dans Mons, le Roy enuoya le ſeigneur
de Gẽlis, auec quatre mille ſoldats de pied
ou de cheual : Si fut auſsi ladict e menee du Roy
auec le comte Ludouic, occaſion & cauſe que le
prince d’Orenge auec vne puiſſ ante armee entra
dans le pays bas, qui ſe reuolta preſque tout du
roy d’Eſpagne, & print la Hollande (qu’il tient
encores maintenant) auec la plus grande partie de
Zelande, en danger de ne la quitter iamais.
L’Admiral, perſuade & conduit par le
mareſchal de Coſſ é, & pour ſatisfaire à la volonté du
Roy, vint trouuer à Bloys ſa maieſt é : qui pour oſt er
la crainte que l’Amiral auoit de la maiſon de
Guyſe, luy enuoya des lettres de congé, à mener
cinquante gentils-hommes auec luy armez, pour
ſa ſeureté, iuſques à la cour : où eſt ant arriué, le
Roy, & la Royne ſa mere, le receurent de toute la
plus courtoiſe façõ qu’il leur fut poſsible : le Roy
le voulut ouyr ſouuent en conſeil ſecret & à part,
és choſes de plus grande importance, monſt rant
de ſe fier en luy de ſa vie & de ſon Royaume, cõme
il euſt fait en ſon pere propre.
En meſme temps le Roy fit demander pour
Monſieur ſon frere, la Royne d’Angleterre en
mariage, ayant enuoyé à ceſt effect vn ambaſſ ade
honorable à ladict e royne d’Angleterre : auec
laquelle auſsi le Roy fit traiter d’vne ligue, confederation
& alliance, laquelle depuis fut conclue & reſolue,
au grand contentement des Huguenots, auſquels
telle ligue ſembloit ſeruir de gage, de l’amitié
du Roy enuers eux.
Ali. Ie me ſouuien bien, que le Roy apres les
premiers troubles de France, enuoya le Mareſchal
de Vieille-ville en Suyſſ e, pour traiter Ligue auec
les ſeigneurs de Berne : mais ils n’en voulurẽt
point faire auec luy, qu’il ne leur promiſt quand
& quand, d’obſeruer eſt roitement ſon Edict de
paix enuers les Huguenots : mais de ceſt e cy
d’Angleterre, ie n’en ay rien ouy dire.
L'hiſt . Ie ne ſcay pas auſsi comme elle eſt faite, ie
ne t’en puis dire autre choſe : mais en meſme tẽps
le Roy faiſoit pareillemẽt traiter vne ligue,
d’entre luy, la royne d’Angleterre, & les princes
Proteſt ans d’Allemagne : & vne autre ligue
en particulier, du Roy auec le duc de Florẽce, vers lequel
il auoit enuoyé Iean Galeas Fregoze Geneuois,
qui en rapporta bonnes paroles, & promeſſ e que
le duc de Florence preſt eroit deux cens mille
ducats pour la guerre de Flandre, contre le roy
Philippe : pour le moins le faiſoit-il entendre ainſi à
l’Amiral & aux députez.
La royne de Nauarre vint trouuer à la fin le
Roy, duquel (ce diſoit-il) elle eſt oit la meilleure
tante, la plus deſiree, la mieux aimee & mieux venue, qui iamais fut en France : la Royne-mere la
recueillit comme ſa treſchere ſoeur : toute la cour
en ſomme, s’en reſiouiſſ ait, en double façon.
Le mariage du prince de Nauarre, auec Madame
ſœuer du Roy, fut (apres pluſieurs menées, &
difficultez faites ſur la forme des ceremonies) enfin
conclu & arreſt é : & auiſé que les promeſſ es
des eſpoux à venir, ſeroyent receuës par le cardinal
de Bourbon, hors des ceremonies de l’egliſe
Romaine, pour ne point forcer la conſcience du
prince de Nauarre Huguenot. Quelque temps apres,
la royne de Nauarre fort contente, partit de
la cour, qui pour lors eſt oit à Bloys, pour s’en aller
à Paris. L’Amiral auſsi s’eſt oit retiré auparauant
en ſa maiſon de Chaſt illõ, où il receuoit
ſouent letres & meſſ ages du Roy, qui luy demãdoit
ſon conſeil és affaires occurrens, eſquels il monſt roit
ne vouloir rien refoudre d’importance, ſans
ſon auis.
La royne de Nauarre au partir de la cour, eſt ant
venue à Paris, tomba malade, & cinq iours
apres mourut, en l’aage de 43. à 44. ans, d’vn boucon
qui luy fut donné à vn feſt in, où le duc d’Aniou
eſt oit, ſelon que i’ay ouy dire à vn de ſes
domeſt iques : dont on ne voulut parler, de peur que
ce fuſt occaſion de rompre ledict mariage, deſiré
de tous les amateurs de paix & ſans ſoupçon.
Ali. Le Seigneur a accouſt umé de retirer en vne façon ou en l’autre, ſes bien-aimez en paix, quand
il veut faire venir quelque mal ſur ſon peuple :
Ainſi le promit-il & l’obſerua à Ioſias roy d’lſrael,
pour un ſingulier benefice.
Phi. Ie me doutay bien quand & quand, que quel
que quelque grand deſaſt re nous auiendroit, quãd
ie vey ceſt e bonne Princeſſ e partie.
L’hiſt . Enuiron ce temps la, de diuers endroits de
la France, eſt oyent enuoyez pluſieurs aduertiſſ emẽs
à l’Amiral, afin qu’il print garde à ſoy, & qu’il
ſe retiraſt des dangers où lon diſoit qu’il eſt oit
eſt ant dedans Paris, ou à la cour : entre autres, vn
je ne ſcay qui, luy enuoya vn bordereau de mémoires,
où il eſt oit eſcrit,
|
Ayez memoire, que les Romains, les Lorrains, &
les Courtizans, tienent les Lutheriẽs, les Huguenots
& tous ceux qui font vne meſme profeſsion
de l’Euangile (de quelque nom qu’on les appelle)
pour heretiques, bruſlables : Croyez que partant
ils leur ont rompu, & leur rompront encores la
foy iuree & promiſe, toutefois & quantes que la
commodité de les ruiner & deſtruire leur ſera
offerte.
Sachez, qu’au ſecret conſeil tenu parmi les Peres,
au dernier concile de Trente, il a eſt é reſolu,
qu’on peut & doit tuer, non ſeulement ceux de la
Frãce qui ſeront de ceſt e religion, ains auſsi tous
ceux qui en ont eu quelque ſentiment, ſoit de la
France, ou d’autre nation : n’eſt ant iamais poſsible,
que ceux qui ont vne fois eſt é abbreuuez de
ceſt e doct rine, ſe fient derechef en ce qu’on leur a voulu par cy deuant faire entendre, de la part
de ſa ſainct eté, la vie & les abus d’icelle leur eſt ãs
par trop deſcouuerts & cognus.
Ne doutez pas auſsi, que la Royne mere n’accompliſſ e
ce qu’elle promit au duc d’Albe, pour
le roy d’Eſpagne à Bayõne : de rompre les edict s
de paix, & ruiner les Huguenots de la France, auec
la peau du lion, ou auec la peau du regnard.
Conſiderez, que le Roy depuis douze ans en ça
a eu des maiſt res & inſt ituteurs qui l’ont apprins
à iurer, blaſphemer, ſe periurer, paillarder, diſsimuler
ſa foy, ſa religion, ſes penſees, eſt re maiſt re
de ſon viſage, & qui l’ont ſur tout nourri à aimer
de voir du ſang commençant par des beſt es, & acheuant
par ſes ſuiets.
Prenez garde, que le Roy a eſt é perſuadé par la
doct rine de Machiauelli, qu’il ne faut pas qu’il
ſouffre en ſon Royaume, autre religion que celle
ſur laquelle ſon eſt at a eſt é fondé : de laquelle, voire
de ſes faux miracles, il faut qu’il monſt re faire
compte : Aſſ eurez-vous qu’on luy a enſeigné &
ſouuent repeté ceſt e leçon, que ſon Royaume ne
peut eſt re paiſible & aſſ euré, cependant qu’il y aura
deux religions.
Notez qu’on a pluſieurs fois fait entendre au
Roy, que les Huguenots le vouloyẽt tuer, & pour
le luy mieux perſuader, luy ont fait voir des lettres
de menees & deſſ ein, ſuppoſees & fauſſ es : &
au reſt e i’ay ſceu de bonne part, que le iour que
la royne de Nauarre arriua à Bloys, il dit à ſa mere :
Ne ioue-ie pas bien mon rollet, Madame ? Ce
n’eſt rien fait, reſpondit-elle, il faut acheuer. Par la mort-Dieu, Madame, ce répliqua il, ie les vous
mettray tous au filé, ſi vous me voulez laiſſ er
faire.
Vous vous trompez, ſi vous croyez qu’vn Roy
ou Prince permette iamais, que ſon vaſſ al ou ſuiet,
qui s’eſt vne fois eſleué en ligue contre ſa volonté
(pour quelque occaſion que ce ſoit, iuſt e ou
iniuſt e) vſe & iouiſſ e de la faueur des loix. Penſez
pluſt oſt que cecy eſt engraué dãs le cœur des rois
& des Princes, de venger par les armes, ce qu’ils
eſt iment auoir eſt é fait contr’eux par les armes.
Faites voſt re compte, que ce que les Rois &
Princes (qui ne regardent à la conſciẽce) penſent
auoir fait par crainte ou neceſsité, ils ſe diſpenſent
de le rompre, ſoudain que l’vne ou l’autre de
ces deux occaſions ceſſ ent : & tienent pour maximes
d’eſt at, qu’il ne faut point garder les conuentions,
faites par le prince, à ſes ſuiets armez : Que
pour regner, il eſt loiſible de violer la loy, & que
lon peut piper les enfans auec paroles & promeſſes,
& tromper les hommes auec des iuremens
ſolennels. C’eſt leur caballe : ce ſont leurs loix inuiolables,
qu’ils n’oſent outrepaſſ er, ſe ſouciant
biẽ peu ou rien, de la force faite à toute autre loy,
ſoit diuine, naturelle, ciuile, des gens, ou municipale
pour eſt re (ce diſent ils) ennemie de leur repos,
eſt at, & grandeur.
Voicy quelque traict & exemple, de leurs plus
rares vertus.
Antonin Commode, faiſant par fois treues auec
ſes voluptez, eſquelles il eſt oit du tout plongé,
pour employer le temps & fuir l’oiſiueté, vaquoit à contemplation, s’appliquant à proietter
& executer des meurtres & cruautez contre la nobleſſ e
de ſon Empire : entre les autres, Iulian
gouuerneur d’vne prouince, qui eſt oit ſon plus fauorit,
qu’il ſouloit baiſer & embraſſ er, l’appellant
ſon pere & ſõ mignõ, fut par luy traitreuſemẽt tué.
Antonin Caracalle, eſt ant arriué en Alexandrie,
irrité contre les Alexandrins, qui auoyent recité
de luy quelques vers mal plaifans, fit ſemblãt
de vouloir voir la monſt re des jeunes gens de la
ville, les plus aptes à la guerre : & les ayant fait appreſt er
pour la reueue, les fit tous mettre en pieces,
commandãt aux ſoldats Romains qu’il auoit
menez auec luy, d’en faire ceſt e nuict -là chacun
autant a ſon hoſt e : Il fit faire telle boucherie dãs
Alexandrie, qu’il n’oſa faire compter les corps
morts, ains eſcriuant de ceſt e execution au Senat
de Rome, luy manda, Qu’il n’eſt oit ia beſoin
ſe mettre en peine, pour ſcauoir quels &
combien de gens y auoyent eſt é tuez : que c’eſt oit
aſſ ez de ſcauoir, que tous auoyent bien merité
la mort.
Lyſandre colonel des Lacedemoniens, ayant
ſous couleur d’amitié, fait venir à ſoy huict cens
Mileſiens, les fit tous tailler en pièces.
Seruie Galbe, ayant conuoqué & aſſ emblé le
peuple de trois citez de Portugal, pour traiter auec
eux les choſes qu’il diſoit leur appartenir, en
choiſit neuf mille d’entr’eux des plus gaillards &
robuſt es, qu’il deſarma, en fit tuer vne partie,
l’autre partie vendit.
Antoine Spinole, gouuerneur pour les Geneuois de l’iſle de Corſe, ayant iuré & donné ſa
foy aux Princes, ſeigneurs, & grans perſonnages
de Corſe, qu’il appella au conſeil, & de là au banquet, leur
fit à tous trencher la teſt e.
Charles ſeptieme, roy de France, apres pluſieurs
guerres & tumultes arriuez en ſon Royaume,
ayant fait alliance, & contract é affinité auec
le duc de Bourgongne, & promis d’oublier toute
iniures & inimitiez paſſ ees : & pour le mieux aſſ eurer,
ayant tout cela iuré ſur ſon hoſt ie conſacree,
le fit venir pour le feſt oyer à Montereau
faut-yonne, & en le careſſ ant, il le tua ſur le pont
d’Yonne.
Et pluſieurs autres, deſquels le recit ſeroit lõg
& ennuyeux, les exemples deſquels on ramentoit
ordinairement au Roy, auec le chapitre dixhuitieme
du liure du prince de Machiauelli, où il traitte
comme c’eſt que les princes doyuent garder la
foy : ſurquoy ſes maiſt res d’eſcole (auſsi peu ſoucieux
de ſa conſcience que de ſa reputation) font
des additions & gloſes plus dangereuſes, que le
meſme texte : Partant ſoyez diligent à prendre
garde à vous, n’y ayant autre remede d’eſchapper
qu’en fuyant hors de la cour, que ie puis appeller
Sodome.
L’Amiral ayant veu ceſt eſcrit, fit fort
mauuais viſage à celuy qui le luy bailla : Et renuoya
pour route reſponſe, dire à celuy qui luy auoit
enuoyé, Que ſi par le paſſ é il auoit eu, & les autres
Huguenots auſsi, occaſion de ne ſe fier pas legeremẽt
en des promeſſ es que, Dieu merci, telle peur
ou deffiance eſt oit alors ſans fondement.
Que la prouidence de Dieu, laquelle guide &
conduit iuſques aux plus petites choſes de ceſt e
vie, auoit changé le cœur du Roy : de ſorte, qu’il
y auoit dequoy bien & mieux eſperer.
Qu’il ne croiroit iamais, que dans le cœur de
ſon roy, peuſt loger vne penſee ſi meſchãte, ny
approchante à ce qu’on luy eſcriuoit.
Que tout au contraire il croyoit, que dés que
la France a eſt é erigee en regne, il n’y auoit eu vn
meilleur roy, que Charles neufieme l’eſt oit pour
lors.
Qu’il eſt oit bien vray, que Monſieur frere du
Roy n’aimoit pas les Huguenots, & qu’on leur
faiſoit tout plein d’outrages en diuers lieux du
Royaume : mais qu’il eſperoit de voir Monſieur
vn iour adoucy, pour les bõs ſeruices que les Huguenots
luy pourroyent faire, & s’attendoit bien
(le mariage de Madame fait & conſommé) que le
Roy feroit faire iuſt ice des ſeditieux, &
perturbateurs de paix.
Que la ligue qui eſt oit freſchement faite auec
la royne d’Angleterre, ſeruoit d’aſſ ez bon teſmoignage
aux Huguenots, de l’aftect ion du Roy
enuers eux.
Et la ligue qu’il fait recercher auec les
Proteſt ans d’Allemagne, confermera du tout ceſt e
bonne opinion.
Que le Roy portant meilleure affect ion à
monſieur l’Electeur Palatin, qu’à nul des autres princes
Proteſt ans, auoit choiſi le duc Iean Caſimir
ſon fils, pour ſe le faire penſionaire, & le duc
Chriſt ofle ſon maiſné, pour le retirer en ſa cour, auec entretenement digne de ſa qualité.
Qu’il deſiroit auſsi auoir de l’Angleterre, le
myllord de Lyceſt re, & le myllord Burgley, ou l’ũ
d’eux, pour les feſt oyer & traiter, comme il deſire
de careſſ er tous les loyaux ſeruiteurs de ſa ſœur
la royne d’Angleterre, en ſigne de vraye alliance.
Que le Roy auoit enuoye ſa foy au prince d’Orenge,
& l’auoit donnée au comte Ludouic ſon frere,
de leur aider & les ſecourir en tout & par tout,
contre le roy d’Eſpagne : & que ſans cela, iamais
ils n’euſſ ent rien entreprins de remuer en l’eſt at
de Flandres.
Que combien que monſieur de Genlis & ſes
gens qu’il leur menoit euſſ ent eſt é deffaits, le Roy
ne lairroit à leur enuoyer de nouueau, & biẽ toſt ,
vn braue & puiſſ ant ſecours.
Que Iean Gileas Fregoze aſſ euroit, que pour
ceſt e guerre de Flandres, le duc de Florence
preſt eroit au Roy, ou au prince d’Orenge, deux cens
mille ducats.
Que les affaires vont ſi bien en Flandres, que
l’Agent du Roy pres le duc d’Albe, donne continuellement
auis au prince d’Orenge, & communique
auec luy par letres & meſſ ages, tous les
deſſ eins qu’il peut entendre du duc d’Albe, & le prince
d’Orenge à l’Agent tous les ſiens : tellement
que quand il n’y auroit autre choſe que ceſt e bonne
intelligence, elle eſt ſuffiſante à faire bien
eſperer aux plus timides.
Mais qu’il y a bien plus, c’eſt que l’armee de
Stroſſ y, & du Baron de la garde, ne ſont près de la
Rochelle, que pour attẽdre la flotte venant d’Efpagne, la cõbatre, & de là ſingler à la Fleſsinghe,
pour ſe ioindre au prince d’Orenge, & faire la
guerre à ieu deſcouuert.
Qu'à ceſt e occaſion, le prince d’Orenge a enuoyé
par l’auis du Roy, de l’argent pour payer les
nauires & galeres à Stroſſ y, qui eſt de la meilleure
volonté du monde.
Quant à ſon faict , & querelle particuliere auec
le duc de Guyſe, le Roy les auoit mis d’accord, &
fait iurer l’vn & l’autre entre les mains, de ne ſe
recercher que d’amitié. Mais que ce miraculeux mariage
de Madame, que le Roy donne (ce dit-il) nõ
pas au prince de Nauarre, ains à tous les Huguenots
à femme, pour ſe marier comme auec eux, eſt ant
le comble de toute ſeurete & repos : le faiſoit
prier ce gentil homme & tout autre, que s’ils luy
vouloyẽt faire plaiſir, qu’ils ne luy parlaſſ ent plus
de ces faſcheuſes choſes du paſſ é, qu’ils ſe
contentaſſ ent de prier Dieu, & le remercier de la grace
qu’il leur auoit daigné faire, d’amener les choſes
à vn ſi paiſible eſt at.
Or le prince de Nauarre (fait Roy par la mort
de ſa mere) & le prince de Condé en ces entrefaites,
ſollicitez & aſſ eurez de toutes parts de venir à
la cour, vindrent à la fin trouuer le Roy à Paris,
où il s’eſt oit remué, pour y faire celebrer les noces
de ſa ſœur : Pluſieurs Seigneurs, Barons, &
gentils-hommes Huguenots y accompagnerent
le roy de Nauarre, & le prince de Condé, au deuant
deſquel preſque toute la cour y alla : Ils y
furent recueillis du Roy, de ſa mere, & de ſes freres,
& des autres Princes, de Madame, & des princeſſes, comme ils le pouuoyent deſirer en
apparence.
Quelques jours ſe paſſ erent en feſt es &
banquets, attendant le iour des nopces, que lon dilayoit
pour diuers reſpect s d’vn iour à l’autre : entre
autres, pour ce que le cardinal de Bourbon, qui deuoit
receuoir les promeſſ es du mariage, n’y oſoit
toucher ſans diſpenſe du Pape, qu’il luy auoit enuoyé
demander : laquelle apres eſt re venue, & à
ſon gré n’eſt ant aſſ ez ample pour ſa conſcience, il
fallut renuoyer à Rome, pour en auoir vne à ſa
fantaſie : Et ſur ce, le Roy faiſant ſemblant de ſe
faſcher de tant de remiſes, blaſphemant & deſpitant,
iura, qu’il vouloit que le mariage ſe conſommaſt
ſans plus tarder : que ſi le cardinal de Bourbon
ne les vouloit eſpouſer, il les meneroit luy-meſme
à vn preſche des Huguenots, pour les y faire
eſpoufer à vn miniſt re : Et que par la mort-Dieu
il ne vouloit pas que ſa margot (car ainſi appelloit-il
ſa ſœur ) fuſt plus longtemps en ceſt e
langueur.
Ali. La bonne dame n’auoit garde d’auoir ſi longtemps
attendu : Monſieur ſon frere ſcauoit bien
qu’il auoit eu ſon pucellage.
L’hiſt . Ie ne ſcauois pas cela : Mais i’auois bien
ouy dire qu’elle eſt oit preſt e d’accoucher dés lors
que la Royne fut à Xainct es.
Ali. Il eſt ainſi ie t’aſſ eure. Et tu vois que ces beaux
Princes ne font maintenant que le cerf de depuceller
leurs parentes. Regarde moy vn roy d’Eſpagne,
& vn Archeduc Ferdinand, chaſcun d’eux
n’a-il pas ſa niece ?
L’hiſt . Voire. Mais auſsi le Pape leur en a baillé
la diſpenſe.
Ali. Comme ſi l’homme pecheur pouuoit rompre
la loy de Dieu & en diſpenſer les autres.
Quel ſeruiteur des ſeruiteurs de Dieu ! Tu verras
tu verras amy quelque iour que ce mariage du
Roy d’Eſpagne auec la fille de ſa ſœur & de ſon
couſin germain l’Empereur, qui luy fait naiſt re
des enfans, fils, neueux & couſins enſemble ſera
cauſe s’il plaiſt à Dieu de l’entiere ruine de Rome,
du Pape & de ſa papauté.
L’hiſt . Comment cela, Bon dieu ?
Ali. Le Roy d’Eſpagne mourant les enfans maſles
de l’Empereur ſont appellez à la courõne d’Eſpagne
(car de la fille nee d’Izabel de France, l’Eſpagnol
n’en veut point & ne croit pas qu’elle ſoit
legitime) Les enfans de ce mariage de la niece diront
que la Couronne leur appartient. Les legitimes
neueux leur repliqueront qu’ils ſont inceſt ueux
& baſt ards, partant ne peuuent ſucceder :
voire mais, ce diront les autres, le Pape en a diſpensé,
Le ſeruiteur, diront les legitimes (afin que nous
ne flattions plus) n’eſt pas par deſſ us le maiſt re,
Dieu l’a defẽdu, le Pape ne le doit permettre, c’eſt
l’Antechriſt tant attẽdu. En ſomme, par ce moyẽ
là la puiſſ ance de ce faux paſt eur ſera miſe en diſpute,
ſes abus ſerõt cognus, on ne les pourra plus
ſouffrir, & dieu ſcait le beau meſnage qu’il y aura
pour ce ſeduct eur.
L’hi. Dieu nous vueille eſt re en aide, cela n’a que
trop d’apparence, on a bien fait autrefois la guerre
pour moindre choſe que n’eſt la couronne d’Eſpagne : mais, pour reuenir à mon diſcours, les
nopces (pour le faire court) du roy de Nauarre,
& de Marguerite ſœur du Roy, ſe celebrerent en
treſgrande pompe, le lundi dixhuict ieme iour du
mois d’Aouſt dernier paſſ é : les Princes, Comtes,
Barons, & autres ſeigneurs, & gentilshommes de
marque Huguenots, y aſsiſt oyent preſque tous,
dont aucuns y auoyent amené leurs femmes & enfans.
Et pouuoyent eſt re en tout, enuiron mille
gẽtils-hommes.
Le mardi, mecredi, & ieudi ſuyuans, furent
employez en toutes ſortes de ieux & paſſ e temps à
rechange, eſquels l’Amiral ſouuent aſsiſt oit, ayãt
le bon viſage du Roy à l’accouſt umé.
Le mecredi, l’Amiral voulãt entretenir le Roy
de quelques affaires de grande importãce, le Roy
en riant, le pria de luy donner quatre iours pour
s’eſgayer & esbatre, promettãt à foy de Roy, qu’il
ne bougeroit de Paris, qu’il ne l’euſt rendu content,
& tous ceux qui auoyent affaire à luy.
Peu de iours auparauant, outre les auertiſſ emens
ſuſdict s, l’Amiral auoit eſt é aduerti de
certain homicide, fait par des Catholiques ſeditieux
de Troye, ſur certains Huguenots reuenãs de leur
preſche.
Que ceux de Rouen, & d’Orléans menaçoyent
les preſches de prendre fin, les deux ans apres la
pacification derniere, paſſ ez.
Et parmi les gentils hommes courtizans, on
ſentoit ſouuent murmurer entre leurs dents, que
dãs la fin du mois d’Aouſt , on interdiroit les
preſches aux Huguenots, meſmes que pluſieurs gentils-hommes Catholiques vouloyent faire gageure
auec des Huguenots, que deuant quatre mois
ils iroyent à la meſſ e.
Qu’on ſentoit courre vn bruit d’entre les principaux
du peuple de Paris, qu’en ces nopces, ſe
reſpandroit plus de ſang, que d’eau.
Que les Commiſſ aires, Centeniers, & Dixeniers
de Paris, braçoyent quelque entrepriſe,
facile à eſt re deſcouuerte à qui y regarderoit de pres.
Qu’vn fameux Aduocat Huguenot du palais
de Paris, auoit eſt é aduerti par vn Preſident, de ſe
retirer pour quelques iours auec ſa famille hors de
Paris, s’il vouloit conſeruer ſa vie, & celle des ſiẽs.
Qu’vn Italien engageoit ſa teſt e, au cas que ces
nopces s’accompliſſ ent : Et vn autre Italien à la
table de Iean Michael & Sabalin ambaſſ adeur de la
ſeigneurie de Veniſe, ſe vantoit de ſcauoir le moyen
pour ruiner les Huguenots en vingt-quatre
heures.
Autres ſemblables choſes ſe reſpandoyent parmi
le vulgaire, deſquelles auſsi l’Admiral eſt oit
aduerti :
On adiouſt oit à cela, que la fact ion des ſeditieux,
deſiroit la ruine des Huguenots ſur toutes
choſes, Que le lieu & le temps la facilitoyent : La
voulant donc, & la pouuãt mettre à effect , qu’on
ne deuoit attendre autre choſe d’eux.
A tout cela, l’Amiral ſans peur, touſiours ſemblable
à ſoy, touſiours cõſt ant & aſſ euré ſur la
bõté du Roy, ne pouuoit prẽdre occaſion d’alarme.
Le ieudi il fut dict au conſeil priué du Roy,
qu’on auoit veu certains hommes à cheual, au pré aux clercs, & par les places de Paris, auec
des piſt oles & harquebuzes à l’arçõ de la ſelle,
cõtre les deffenſes du port des armes : à quoy quelqu’vn
du conſeil reſpondit, que ce pouuoyent eſt re
quelques vns qui ſe preparoyent & s’exercoyent
pour la reueuë, qui ſe deuoit faire, pour la recreation
de la cour.
Le vendredi 22 iour d’Aouſt au matin, fut tenu
conſeil au Louure, pour remedier aux plainct es
des Huguenots (Monſieur frere du Roy qui
y preſidoit, s’eſt ant leué & ſorti pluſt oſt que de
couſt ume) l’Amiral, qui y eſt oit pareillemẽt, ſortit auec les autres ſeigneurs du conſeil : & comme
il alloit en ſon logis, ayant trouué le Roy qui ſortoit
d’vne chappelle qui eſt au deuant du Louure,
le ramena iuſques dans le ieu de paulme (où le
Roy, & le duc de Guyſe ayant dreſſ é partie, contre
Teligny & vn autre gentilhõme, & ioué quelque
peu) l’Amiral en ſortit pour s’en aller diſner
à ſon logis, accompagné de douze ou quinze gentilshommes,
entre leſquels i'eſt oy’ : il ne fut point
cent pas loin du Louure, que d’vne feneſt re
ferree, du logis (où logeoit ordinairement Villemus
precepteur du duc de Guyſe) luy fut tiree vne
harquebouzade auec trois balles, ſur le poinct qu’il
liſoit vne requeſt e (allant à pied par la rue)
l’vne des balles luy emporta le doigt indice de la
main droite : de l’autre balle, il fut bleſſ é au bras
gauche près du carpe, & ſortit la balle par l’olecrane.
Lorsqu’il fut bleſſ é, le ſeigneur de Guerchy
eſt oit à ſon coſt é droit, d’où luy fut tiree , l’arquebouzade, & à ſon gauche, l’aiſné des Pruneaux. Ils
furent fort esbahys & eſperdus, & tous ceux qui
eſt oyent en la compagnie.
L’Amiral ne dict iamais autre choſe, ſinon
qu’il mõſt ra le lieu d’où on luy auoit tiré le coup,
& où les balles auoyent donné : priant le capitaine
Pilles, qui ſuruint là, auec le capitaine Monins,
d’aller dire au Roy ce qui luy eſt oit aduenu : qu’il
iugeaſt quelle belle fidelité c’eſt oit (l’entendant
de l’accord fait entre luy, & le duc de Guyſe.)
Vn autre gentil homme voyant l’Amiral bleſſé,
s’approcha de luy, pour luy ſouſt enir ſon bras
gauche, luy ſerrant l’endroit de la bleſſ eure auec
ſon mouchoir : le ſeigneur de Guerchy luy ſouſt enoit
le droict & en ceſt e façon fut mené à ſon logis,
diſt ant de là enuiron de ſix vingts pas : En y allant,
vn gentil-homme luy dit, qu’il eſt oit à craindre
que les balles ne fuſſ ent empoiſonnees : à quoy
l’Amiral reſpondit, qu’il n’auiẽdroit que ce qu’il
plairoit à Dieu.
Soudain apres le coup, la porte du logis d’où
l’arquebouzade auoit eſt é tiree, fut enfoncee par
certains gentils-hommes de la ſuite de l’Amiral.
L’arquebouze fut trouuee, mais non l’arquebouzier :
ouy bien vn ſien laquais, & vne ſeruãte du logis :
l’arquebouzier s’en eſt oit ſoudain enfuy par la
porte de derriere, qui ſort ſur le cloiſt re de ſainct
Germain l’Auxerrois : où lon luy gardoit vn cheual
preſt , garni de piſt oles à l’arçon de la ſelle : ſur
lequel eſt ant eſchappe, il ſortit hors de la porte
ſainct Antoine, où ayant trouué vn cheual d’Eſpagne
qu’on luy tenoit en main, deſcendit du premier, & monta ſur le ſecond, puis ſe mit au grand
galop.
Le Roy entendant la bleſſ eure de l’Amiral,
quitta le ieu, où il eſt oit encores iouant auec le
duc de Guyſe : ietta la raquette par terre, & auec
vn viſage triſt e & abbatu, ſe retira en ſa chambre :
le duc de Guyſe ſortit auſsi peu apres le Roy, du
ieu de paume.
La chambriere du logis interrogee, reſpondit,
que le ſeigneur de Chailly (qui eſt maiſt re d’hoſt el
du Roy, & ſuperintendant des affaires du duc
de Guyſe) le iour auparauant auoit mené l’arquebouzier
dans le logis, & l’auoit affect ueuſemẽt
recommandé à l’hofteſſ e.
Le laquais interrogué, reſpond que ce iour-la,
bien matin, ſon maiſt re l’auoit enuoye à Chailly,
pour le prier de faire en ſorte, que l’eſcuyer du
duc de Guyſe, tint les cheuaux qu’il luy auoit promis
tous preſt s : Quant au nom de ſon maiſt re, il
n’y auoit pas long temps qu’il eſt oit à luy & ne l’auoit
ouy appeller que Bolland, l’vn des ſoldats de
la garde du Roy : mais à la vérité dire, c’eſt oit
Mont-reuel de Brie, celuy qui aux guerres paſſ ees
tua en trahiſon le ſeigneur de Mouy.
Le roy de Nauarre, le prince de Cõdé, le
comte de la Roche foucaut, & pluſieurs autres Seigneurs,
Barons, & gentils-hommes Huguenots,
aduertis de la bleſſ eure, vindrent incontinent viſiter
l’Amiral : il y vint auſsi pluſieurs autres ſeigneurs,
& gentils-hommes Catholiques, amis de
l’Amiral, tous biẽ fort marris de ce qui luy eſt oit
auenu.
Les playes penſees par les plus experts chyrurgiens,
le roy de Nauarre, & le prince de Condé allerẽt
trouuer le Roy, auquel ils firent leurs plaintes
ſelon le merite du faict : remonſt rans qu’il ne
faiſoit pas ſeur dans Paris pour eux, & le ſuppliãs
treshumblemẽt de leur donner congé d’en ſortir,
& de ſe retirer ailleurs.
Le Roy ſe complaignant auſsi à eux du deſaſt re
auenu, & les conſolant, iura & promit de faire
du coulpable, des conſentans & fauteurs ſi memorable
iuſt ice, que l’Amiral & ſes amis auroyẽt
dequoy ſe contenter : cependant il les prie de ne
bouger de la cour, & qu’ils luy en laiſſ ent la punition
& vengeance, & s’aſſ eurent qu’il y pouruoira
bien toſt .
La Royne mere qui là auſsi eſt oit, monſt roit
d’eſt re bien fort marrie du cas aduenu : Que c’eſt oit
vn grand outrage fait au Roy, qu’à le ſupporter
auiourd’huy, demain on prendroit la hardieſſ e
d’en faire autant dans le Louure, vne autre fois
dans ſon lict , & l’autre dedans ſon ſein & entre ſes
bras. Par ceſt artifice, le roy de Nauarre, le prince
de Condé, les autres ſeigneurs & gentils hommes
François Huguenots, furent arreſt ez dans Paris.
Mais pource qu’il ſembla bon à aucuns d’entr’eux,
de faire conduire l’Amiral en ſa maiſon de
Chaſt illon ſur Loin diſt ant deux iournees de
Paris : le Roy pour empeſcher ce deſſ ein , luy offrit
chãbre dãs le Louure pour s’y retirer : Que s’il ne
pouuoit pour la douleur des playes remuer de logis,
il luy enuoyeroit vne cõpagnie des ſoldats de
ſa garde, pour la ſeureté de ſa perſonne & de ſon
logis.
L’Amiral entendant les honeſt es offres que le
Roy luy faiſoit, l’en remercia beaucoup de fois
treshumblement, & ſe recognoiſſ ant eſt re aſſ ez
aſſ euré en la protect ion du Roy, apres Dieu, il diſoit
n’auoir beſoin d’aucune autre garde : toutefois
il y eut ce iour-la enuiron cent ſoldats poſez
en garde deuant ſon logis, par le commandemẽt
du Roy.
Cependant on pourſuyuit le criminel, lequel
s’enfuyant & paſſ ant par Ville neuue ſainct George
(où il print vn autre cheual) alloit diſant tout
haut, Vous n’auez plus d’Amiral en France
Le Roy en ces entrefaites commanda à Nancé,
l’vn des capitaines de ſes gardes, d’aller ſaiſir
Chailly, & le mener en priſon : mais il auoit deſia
gagné le haut, ou pour le moins il s’eſt oit caché
ſi bien, qu’on ne le vouloit trouuer.
Ce iour-là, le Roy eſcriuit des letres à tous les
gouuerneurs des prouinces, & des principales villes
de ſon Royaume, & auſsi à ſes ambaſſ adeurs
eſt ans pres des princes eſt rangers : par leſquelles
il les aduertiſſ oit de ce qui eſt oit auenu, & promettoit
de faire en ſorte, que les autheurs & coulpables
d’vn ſi meſchãt act e, ſeroyent deſcouuerts
& chaſt iez ſelon leurs demerites. Cependãt qu’ils
fiſſ ent entendre à tout le monde, combien ceſt
outrage luy deſplaiſoit. La Royne mere ce meſme
iour eſcriuit des letres de meſme ſuſt ãce auſdict s
gouuerneurs & ambaſſ adeurs.
Le Roy ce iour-là apres ſon diſner (qu’il fit
court) enuiron deux heures apres midy, & auec
luy la Royne ſa mere, ſes freres, tous les Mareſchaux de France (excepté celuy de Mont-morency,
qui le iour auparauant eſt oit allé à la chaſſ e) le
cheualier d’Angoleſme, le duc de Neuers, Chauigny,
& pluſieurs autres capitaines, alla viſiter
l’Amiral, qui mouroit d’enuie de luy parler : le Roy
l’ayant ouy, & faiſant du pleureux, confeſſ a librement,
que l’Amiral s’aſſ eurant ſur ſa foy & bienvueillance,
eſt oit venu à la cour : & partant quoy
que la douleur des bleſſ ures fuſt à l’Amiral, que
l’iniure & l’outrage eſt oit fait à luy, & qu’il eſt oit
reſolu de tout ſon cœur, d’en auoir la raiſon, & en
faire iuſt ice ſi exemplaire, qu’il en ſeroit memoire
à iamais.
L’Amiral repliqua, qu’il en remettoit la vengeance
à Dieu, & au Roy le iugemẽt : quant à l’autheur
du faict , qu’il eſt oit aſſ ez bien cognu. Et
pource qu’il ne ſcauoit s’il auoit encores longuement
à viure, il ſupplioit treshumblement le Roy
de l’ouyr ſur certaines choſes qu’il luy vouloit
cõmuniquer, qui eſt oyent treſneceſſ aires à l’eſt at de
ſon Royaume.
Le Roy à ceſt e demande, ayant fait ſemblant
de vouloir ouyr l’Amiral en ſecret, commanda
que chacun ſortiſt de la chambre, quand la Royne-mere,
qui n’abandonnoit le Roy d’vn pas empeſcha
(ie ne ſcay pourquoy) que ce colloque ſecret ne
ſe fiſt .
Le ſamedi ſuyuant 23. iour d’Aouſt , les playes
ſe portoyent aſſ ez bien, tellement que les medecins
& chyrurgiens diſoyent, que la vie de l’Amiral
n’en eſt oit en aucũ danger : que le bras, en perdant
bien peu de ſa force, ſeroit aiſément gueri.
Ce iour-la de ſamedi, le Roy enuoya viſiter
l’Amiral par diuers gentils hommes. La nouuelle
eſpouſee l’alla auſsi viſiter.
Ce meſme ſamedi, dãs le cõſeil priué du Roy,
furent examinez certains teſmoins, touchant l’arquebouzade,
le tireur, & les coulpables : tellemẽt
que l’Amiral & ſes amis, croyans que la voye à
iuſt ice leur fuſt ouuerte, ſe reſiouiſſ oyent grandement,
s’aſſ eurans de pouuoir facilement conuaincre
les autheurs du faict : dequoy ils aduertirent
leurs amis en pluſieurs endroits du Royaume, par
des letres qu’ils leur eſcriuirent, les prians de ne
bouger, & ne ſe faſcher de ce qui eſt oit aduenu à
l’Amiral. Que Dieu & le Roy eſt oyent puiſſ ans
d’en faire la vengeance : que deſia on commençoit
à proceder contre le coulpable & ſes fauteurs
par iuſt ice, & les bleſſ ures n’eſt oyent pas,
Dieu merci à mort : que combien que le bras fuſt
bleſſ é, le cerueau ne l’eſt oit pas. En ceſt e façon
les conſolant par letres, les auertiſſ oyent de ſe tenir
coys, en attendant l’iſſ ue telle qu’il plairoit à
Dieu d’enuoyer.
Ce iour-la Monſieur frere du Roy, & le cheualier
d’Angouleſme ſe pourmenoyent dans vn coche
par la ville de Paris, enuiron les quatre heures
apres midy. Dés ceſt e heure-là il courut vn
bruit par Paris, que le Roy auoit mandé le mareſchal
de Mont-morency, pour le faire venir à Paris,
auec grand nombre de caualerie & d’infanterie :
que partant les Pariſiens auoyent occaſion
de ſe prendre garde : mais ce bruit-là eſt oit
faux.
On vit entrer ce iour-la ſix crocheteurs chargez
d’armes dans le Louure : dequoy Teligny auerti
par le trompette de l’Amiral, reſpõdit, Que
c’eftoyent des peurs qu’on ſe donnoit ſans occaſion :
qu’il eſt oit treſaſſ euré de la bonne intentiõ
du Roy, qu’il cognoiſſ oit fort bien ſon cœur &
ſes affect ions : qu’on ne deuoit pas ſe faire accroire
des choſes tant hors de propos. Ie croy que Teiligny
ny penſoit aucun mal, d’autant que le iour
deuant la bleſſ eure de l’Amiral, on auoit ordonné
certain combat & aſſ aut, qu’on deuoit donner
à vn chaſt eau, qui pour ceſt effect deuoit eſt re
dreſſ é, à quoy les courtiſans eſt oyent conuiez de
ſe preparer.
Le Roy, pour aſſ embler les ſeigneurs & gentils
hommes Huguenots en vn quartier, leur fit à tous
marquer logis pres celuy de l’Admiral, pour luy
eſt re plus pres & à poinct : quelques vns y allerẽt
loger, les autres ne peurent ſi toſt changer de
logis.
Le comte de Montgomery, Briquemaut le
pere, & quelques autres gentils hommes, auoyent
mandé à Teligny, que s’il vouloit, ils iroyent volontiers
veiller au logis de l’Amiral : mais Teligny
les remerciant, leur manda qu’il n’eſt oit ia de
beſoin.
Cependant les autres veilloyent : le Cheualier
d’Angouleſme (qui ne ſe voulut point aller coucher) entretenant ſes plus intimes amis, leur donnoit
bon courage, les aſſ eurãt qu’il ſeroit ce iour
la Amiral de France : mais il fut trompé, d’autant
que l'eſt at vaquãt fut dõné au marquis de Villars.
La Royne-mere, peu apres la minuict du ſamedi
paſſ ee, fut veuë entrer dans la chambre du
Roy, n’ayãt auec elle qu’vne femme de chambre,
quelques ſeigneurs qui y furent mandez, y entrerẽt
peu de temps apres, mais ie ne ſcay pourquoy
ce fut. Bien eſt vray que deux heures apres, on
donna le ſigne du temple de ſainct Germain
l’Auxerrois, à ſon de cloche : lequel ouy, ſoudain les
ſoldats qui eſt oyent en garde deuant le logis de
l’Amiral, forçant la porte du logis, y entrerent facilement,
leur ayant eſt é auſsi toſt ouuerte, que le
nom du Roy (duquel ils ſe vantoyent) y fut ouy.
Le duc de Guyſe y entra auſsi toſt apres à cheual,
accompagné d’vne grande troupe de ſes partizãs :
il n’y eut que peu ou point de reſiſt ance, n’eſt ans
ceux de la famille, & ſuite, de l’Amiral, aucunement
armez.
L’Amiral oyant le bruit, & craignãt qu’il y euſt
quelque ſedition, commanda à vn ſien valet de
chambre (qu’on nommoit Nicolas le Trucheman)
de monter ſur le toict du logis, & appeller
les ſoldats de la garde, que le Roy luy auoit baillez,
ne penſant à rien moins que ce fuſſ ent ceux
qui faiſoyent l’effort & violence : quant à luy, il ſe
leua, & s’eſt ant affublé de ſa robe de nuict , ſe mit
à prier Dieu : & à l’inſtãt vn nommé le Beſme
Alleman, ſeruiteur domeſt ique du duc de Guyſe,
qui auec les capitaines Cauſſ ens, Sarlaboux, &
pluſieurs autres, eſt oit entré dans ſa chambre, le
tua : toutefois Sarlaboux s’eſt vanté, que ce fut
luy.
Les dernieres paroles de l’Amiral, parlant au Beſme furent : Mon enfant, tu ne feras ia pourtãt
ma vie plus brieue.
On ne pardonna à pas vn de ceux de la maiſon
de l’Amiral, qui ſe laiſſ erent trouuer, que tous ne
fuſſ ent tuez.
Le corps mort de l’Amiral fut ietté par Sarlaboux
par les feneſt res de ſa chambre, en la cour
de ſon logis, par le commandement du duc de
Guyſe, & du duc d’Aumale (qui y eſt oit auſsi accouru) & le voulurent voir mort deuant que partir
de là.
Le iour de la bleſſ ure de l’Amiral, le Roy auoit
baillé aduis à ſon beau-frere le roy de Nauarre,
de faire coucher dans ſa chambre dix ou douze de
ſes plus fauoris, pour ſe garder des deſſ eins du
duc de Guyſe, qu’il diſoit eſt re vn mauuais garçon.
Or ces gentils-hommes là, & quelques autres
qui couchoyent en l’antichambre du roy de Nauarre,
furent menez hors deſdict es chambres, apres la
mort de l’Amiral, & deſarmez de l’eſpee
& dague qu’ils portoyent, par les mains de Nancé,
& des ſoldats de la garde du Roy, & menez
iuſques à la porte du Louure : là (le Roy les regardant
par vue feneſt re) furent tuez en ſa preſence :
Entre ceux là eſt oyent le baron de Pardillan, le
capitaine Pilles, ſainct Martin-Bourſes, & autres
dont ie ne ſcay le nom.
Alors on amena le roy de Nauarre, & le prince
de Condé au Roy, lequel les voyant leur dit,
qu’il n’entendoit ſupporter doreſenauant en ſon
Royaume, plus d’vne religion : partant il vouloit
qu’ils veſquiſſ ent à la façon de ſes predeceſſ eurs, à ſcauoir qu’ils allaſſ ẽt à la meſſ e, ſi leur vie & leurs
biens leur eſt oyent en quelque recommandation.
Le Roy de Nauarre (ſans toutefois condeſcẽdre
à la propoſition du Roy) luy reſpondit fort
humblement : & le prince de Condé, qui eſt
d’vne nature vn peu plus bruſque, ayant reſpondu
auſsi vn peu plus aſprement, ne fut menacé par le
Roy de moins, que de la perte de ſa teſt e, s’il ne
ſe rauiſoit dans trois iours, que le Roy luy bailloit
pour tous delais, l’appellant opiniaſt re, obſt iné,
ſeditieux, & fils de ſeditieux.
Les autres Huguenots qui eſt oyent dedans le
Louure, auſquels à prix ou priere on auoit iuſqu’alors
ſauué la vie, promettoyent de faire tout ce
que le Roy commanderoit : Entre autres, Grammont,
Gamache, Duras, & certains autres, eurent
d’autant plus facilement leur pardon, que le Roy
ſcauoit fort bien, qu’ils n’auoyent iamais eu que
peu ou point de religion. A l’inſt ant on ſonna le
toxin du Palais, afin qu’on ſe ruaſt ſur les autres
Huguenots (de toutes qualitez & ſexes) qui eſt oyent
dãs la ville : leur pretexte eſt oit, vn bruit qu’ils
firent courre, qu’on auoit deſcouuert vne conſpiration
faite contre le Roy, ſa mere, & ſes freres,
par les Huguenots : leſquels auoyẽt deſia tué plus
de quinze ſoldats de la garde (ce diſoyent ceux
qui eſt oyent morts) partant le Roy commandoit
qu’on ne pardonnaſt à pas vn Huguenot.
Les Courtiſans, & les ſoldats de la garde du
Roy, furent ceux qui firent l’execution ſur la Nobleſſ e,
finiſſ ans auec eux (ce diſoyent-ils) par fer & deſordre les procès, que la plume, le papier, &
l’ordre de iuſt ice, n’auoyent iuſqu’a lors ſceu
vuider : De ſorte, que les chetifs, accuſez de conſpiration
& d’entrepriſe, tous nuds, mal-auiſez, demi
dormans, deſarmez, & entre les mains de leurs
ennemis, par ſimplicite, ſans loiſir de reſpirer, furent
tuez qui dans leurs lict s, qui ſur les toict s des
maiſons, & qui en autres lieux, ſelon qu’ils ſe laiſſ oyent trouuer.
Le comte de la Roche-foucaut, qui iuſques apres
onze heures de la nuict du ſamedi, auoit deuiſé,
ris, & plaiſanté auec le Roy, ayant à peine
cõmencé ſon premier ſomne, fut reſueillé par ſix
maſques, & armez, qui entrerent dans ſa chambre :
entre leſquels cuidant le Roy eſt re, qui vinſt
pour le fouëtter à ieu : il prioit qu’õ le traitaſt
doucement, quand apres luy auoir ouuert & ſaccagé
ſes coffres, vn de ces maſques (valet de chambre
du duc d’Aniou) le tua, par le commandement
de ſon maiſt re.
Bien eſt vray que le capitaine la Barge, qui
eſt oit l’vn des maſquez, auoit eu commandement
du Roy de l’aller tuer auec promeſſ e d’auoir
la compagnie de gendarmes du comte de la
Roche-foucaut, ny eſt ant autrement voulu aller
qu’à celle condition. Et quoy que le valet, comme
on m’a dit, l’ait anticipé à tuer, ſi n’a-il pas
pourtant moins eu la compagnie du comte meurtry.
Teligny fut veu de pluſieurs courtiſans, &
quoy qu’ils euſſ ent charge de le tuer, ils n’eurent oncques la hardieſſ e de ce faire en le voyant, tant
il eſt oit de douce nature, & aimé de qui le
cognoiſſ oit : à la fin vn qui ne le cognoiſſ oit pas, le
tua.
Le marquis de Renel fut chaſſ é tout en chemiſe,
iuſques à la riuiere de Seine, par des ſoldats &
le peuple, & là fait monter ſur vn petit bateau, fut
tué par Buſſ y d’Amboyſe ſon couſin.
Monſieur frere du Roy, pour gratifier à l’Archan
capitaine de ſa garde, amoureux de la Chaſt egneraye,
enuoya tuer par les ſoldats de ſa garde, le
ſeigneur de la Forſe ſon beau-pere : & cuidant
auoir tué deux des freres de la Chaſt egneraye,
il ne s’en trouua qu’vn mort, l’autre eſt oit
ſeulement bleſſ é, & caché ſous le corps mort de
ſon pere qui luy eſt oit trebuſché deſſ us, d’où ſur
le ſoir il ſe deſpeſt ra ſe gliſſ ant iuſques dedãs le logis
du ſeigneur de Biron ſon parent : Ce que fachant
la Chaſt egneraye ſa foeur, marrie de ce que
tout l’heritage ne luy pouuoit demeurer, vĩt trouuer
le ſeigneur de Biron à l’Arcenal, où il eſt oit
logé, feignant d’eſt re bien aiſe que fon frere fuſt
eſchappé, & diſant qu’elle deſiroit le voir & le faire
penſer : Mais le ſeigneur de Biron qui s’apperceut
de la fraude, ne le luy voulut deſcouurir, luy
ſauuant par ce moyen la vie.
Le preſident de la Place, homme fort doct e, &
rare, fut à coups de hallebarde mené iuſques à la
Seine, tué & ietté dans l’eau : autant en fut fait à
Pierre Ramus, lect eur publique du Roy. A l’auocat
de Chappes auſsi, & à l’Omenie ſecretaire du
Roy, apres luy auoir fait faire (ſous promeſſ e de luy ſauuer la vie) donaiſon du plus beau de ſon
bien, & reſignation de ſon eſt at de ſecretaire : pluſieurs
autres furent maſſ acrez de meſmes, deſquels
ie ne ſcauroy’ dire les noms.
Les commiſſ aires, quarteniers, & dixeniers de
Paris, alloyent auec leurs gens de maiſon en maiſon,
là où ils cuidoyent trouuer des Huguenots,
ſe faiſant ouurir les portes par le Roy, & vengeãt
ſur poures artiſans, ieunes, vieux, femmes & enfans
Huguenots, leur conſpiration pretẽdue. ſans
auoir eſgard à ſexe, aage, ou condition quelconque :
Eſt ans à ce faire animez & induits, par les
ducs d’Aumale, de Guyſe, & de Neuers, qui alloyent
par les rues diſans, Tuez tout, le Roy le cõmande.
Les charrettes chargees des corps morts
de damoiſelles, femmes, filles, hommes & enfans,
eſt oyent conduits à la riuiere.
De bon heur, le ſeigneur de Fontenay, frere de
monſieur de Rohan, le Vidame de Chartres, le
comte de Mont-gomery, le ſeigneur de Caumõt,
l’vn des Pardillans, Beauuois la Nocle, &
pluſieur autres ſeigneurs & gentils hommes
Huguenots, eſt oyent logez aux fauxbourgs ſainct
Germain, vis à vis du Louure, la riuiere entre deux :
Et Dieu voulut que Marcel, preuoſt des marchãs
de Paris, ayant dés le ſamedi au ſoir eu commandement
du Roy, de luy tenir mille hommes armez
preſt s ſur la minuict du Dimanche, pour les
bailler à Maugiron (auquel il auoit donné charge
de depeſcher ceux des faux bourgs, ayant auſsi
commandé au commiſſ aire du quartier & au
Contrerolleur du Mas, de le guider auec ſa troupe par les logis des Huguenots) n’eut pas ſes gẽs
preſt s, & que du Mas Commiſſ aire s’endormit
plus de l’heure aſsignee : & cependant vn certain
homme (qu’on n’a pas veu ny cognu depuis) qui
eſt oit paſſ é dans vne nacelle de la ville aux fauxbourgs
ſainct Germain, ayant veu tout ce qui auoit
eſt é fait toute la nuict ſur les Huguenots en
la ville, auertit enuiron les cinq heures du Dimanche
matin, le conte de Montgommery de ce
qu’il en ſcauoit. Le comte de Montgommery en
bailla auertiſſ ement au Vidame de Chartres, &
aux autres ſeigneurs & gentils hommes Huguenots
logez aux fauxbourgs : pluſieurs deſquels ne
ſe pouuans perſuader que le Roy fuſt (ie ne dy
pas autheur, mais ſeulement conſentant de la tuerie)
ſe reſolurent de paſſ er auec barques la riuiere,
& aller trouuer le Roy : aimant beaucoup mieux
ſe fier en luy, qu’en fuyant, monſt rer d’en auoir
quelque deffiance : d’autres y en auoit, leſquels
cuidans que la partie fuſt dreſſ ee contre la
perſonne du Roy meſme, ſe vouloyent aller rendre
pres de ſa perſonne, pour luy faire treshumbleſeruice,
& mourir ſi beſoin eſt oit à ſes pieds,
& ne tarda gueres qu’ils virent ſur la riuiere, &
venir droict à eux (qui eſt oyent encores és fauxbourgs) iuſqu’à deux cens ſoldats armez de la garde
du Roy, crians, Tue , tue : & leurs tirans harquebouſades
à la veuë du Roy, qui eſt oit aux feneſt res
de ſa chambre, & pouuoit eſt re alors enuiron
ſept heures du Dimanche matin. Encores
m’a-on dict que le Roy prenant vne harqueboufe
de chaſſ e entre ſes mains, en reniant Dieu, dit : Tirons, mort-Dieu, ils s’enfuyent. A ce ſpect acle
ne ſachãs les Huguenots des fauxbourgs que
croire, furent contrains qui à pied, qui à cheual,
qui botté, & qui ſans bottes & eſperons, laiſſ ans
tout ce qu’ils auoyent de plus precieux, s’enfuir
pour ſauuer leur vie, là où ils cuidoyẽt auoir lieu
de refuge plus aſſ euré. Ils ne furent pas partis que
les ſoldats, les Suyſſ es de la garde du Roy, & aucuns
des courtiſans, ſaccagerent leurs logis, tuans
tous ceux qu ils trouuerent de reſt e.
Encores vint-il bien à propos, que le duc de
Guyſe voulãt ſortir par la porte de Buſſ y, ſe trouua
auoir eſt é pris vne clef pour l’autre, ce qui dõna
tint plus de loiſir de monter à cheual aux pareſſ eux.
Et ne laiſſ erent pourtant d’eſt re
pourſuyuis par le duc de Guyſe, le duc d’Aumale, le
cheualier d’Angouleſme, & par pluſieurs gentils-
hommes tueurs, enuiron huict lieues loin de Paris,
le duc de Guyſe fut iuſques à Montfort, où il
s’arreſt a, & manda à ſainct Cegier & autres
gentils-hommes d’alentour, de ſon humeur & partiſans
ſiens, de faire en ſorte, que leſdict s ſeigneurs
& gentils-hommes qui ſe ſauuoyent de viſt eſſ e,
n’eſchappaſſ ent point : autant en enuoya-il dire à
ceux de Houdã & de Dreux. En ceſt e chaſſ e d’hõmes,
il y en eut quelques vns de bleſſ ez, & biẽ peu
ou point de tuez.
Les ducs de Guyſe & d’Aumale, quelque ſemblant
qu’ils fiſſ ent, s’y deporterẽt aſſ ez doucemẽt,
& comme ſi leur cholere fuſt appaiſee apres la
mort de l’Amiral : ils ſauuerent à beaucoup la vie,
meſmes en leur maiſon de Guyſe, où le ſeigneur d’Acier, & quelques autres Huguenots ſe retirerent
à ſauueté : tellement qu’à leur retour de la
pourſuyte, & quelques iours apres, le Roy leur en
fit mauuais viſage, croyant que ceux qui eſt oyent
reſchappez, n’eſt oyent ſauuez que par leur faute.
Tout ce iour de Dimãche 24. d’Aouſt , fut
employé à tuer, violer, & ſaccager : de ſorte, qu’on
croit que le nombre des tuez ce iour-la dans Paris
& ſes faux-bourgs, ſurpaſſ e dix mille perſonnes,
tant ſeigneurs, gentils-hommes, preſidens,
conſeillers, aduocats, eſcoliers, medecins, procureurs,
marchands, artiſans, femmes, filles, qu’enfans,
& preſcheurs. Les rues eſt oyent couuertes
de corps morts, la riuiere teinct e en ſang, les portes
& entrées du palais du Roy peinct es de meſme
couleur : mais les tueurs n’eſt oyent pas encore
ſaoulez.
Le Roy, la Royne ſa mere, & meſsieurs ſes freres,
& les dames ſortirent ſur le ſoir, pour voir les
morts l’vn apres l’autre : Entre autres, la Royne-mere
voulut voir le ſeigneur de Soubize, pour ſcauoir
à quoy il tenoit, qu’il fuſt impuiſſ ant d’habiter
auec ſa femme.
Vers les cinq heures apres midy de ce Dimanche,
il fut fait vn ban auec les trompettes de par
le Roy, Que chacun euſt à ſe retirer dans les maiſons,
& que ceux qui y eſt oyent, n’euſſ ent à en ſortir
hors : ains fuſt ſeulement loiſible aux ſoldats
de la garde. & aux cõmiſſ aires de Paris auec leurs
trouppes, d’aller par la ville armez, Sur peine de
grief chaſt iement à qui feroit au contraire.
Pluſieurs ayans ouy ce ban, penſoyent que l’affaire ſe mitigueroit : mais le lendemain & iours
ſuyuans, ce fut à recommencer.
Ce iour meſme de Dimanche, le Roy eſcriuit
des letres à ſes ambaſſ adeurs pres les princes
eſtrangers, & aux gouuerneurs des prouinces, & villes capitales du Royaume, les auertiſſ ant que
l’homicide de l’Amiral ſon treſcher & bien aimé
couſin, & des autres Huguenots, n’auoit pas eſt é
fait de ſon conſentement, ains du tout contre ſa
volonté : Que la maiſon de Guyſe, ayant deſcouuert
que les amis & parẽs de l’Amiral, vouloyent
de ſa bleſſ eure faire quelque haute vengeance :
pour les anticiper, auoyent aſſ emblé des gentils-hommes & des Pariſiens leurs partiſans, en tel
nombre, qu’ayans premierement forcé la garde
que le Roy auoit donnee à l'Amiral, & eſtans entrez
en ſon logis le ſamedi de nuict , ils l’auoyent
tué, luy & ſes amis qu’ils auoyent peu rencontrer,
au treſgrand regret du Roy, de la Royne ſa mere
& de ſes freres, eſt ant contraint de l’endurer, &
pour la crainte qu’il auoit de ſa propre perſonne,
ſe contenir dedans le Louure, où il auoit auec luy
ſon treſcher frere le roy de Nauarre, & ſon bienaimé
couſin le prince de Condé, qui iouiroyent
de pareille fortune que luy : Ce qu’il vouloit bien
que tout le monde ſceuſt , & entendiſt le deſplaiſir
qu’il auoit eu, de voir qu’ayant tant de fois tenté
la ſincere reconciliation du duc de Guyſe , & de
l’Amiral, c’eſt oit neantmoins pour neant.
Auec ces letres, le Roy enuoya enſemble des
patentes, par leſquelles il eſt oit deffendu de porter
armes illicites, de faire aſſ emblees illicites, ou choſe aucune en fraude, & alencontre des Edict s
de paix, ſous le benefice deſquels, il commandoit
à tous ſes ſuiets, de ſe comporter & viure
paiſiblement l’vn auec l’autre : Ces letres eſt oyẽt ſignees
par Pinart ſecretaire d’eſt at, le 24. d’Aouſt .
La Royne-mere eſcriuit auſsi des letres auſdits
gouuerneurs & ambaſſ adeurs, de meſme ſuſt ance
que les letres du Roy. N’en l’vne n’en l’autre
de ces letres, il n’eſt oit faite aucune mention
de la conſpiratiõ de l’Amiral, ne de ſes conſorts.
Mais combiẽ que ces letres fuſſ ent enuoyees par
les prouinces de la France, dans Paris on n’oyoit
parler de choſe qui en approchaſt , ne qui tendiſt
à appaiſer la furie des ſeditieux.
Le lundi 25. d’Aouſt , les Pariſiens ayans aſsis
des gardes aux portes de leur ville, par commandement
du Roy qui en voulut auoir les clefs, afin
(ce diſoit-il) que nul Huguenot eſchappaſt par cõpere
ou par commere, apres auoir moiſſ onné le
champ à grand tas & à pleine main, ils alloyent
cueillant çà & là les eſpics reſt ans du iour precedent :
menaçant de mort quiconque receleroit aucun
Huguenot, quelque parent ou amy qu’il luy
fuſt : de ſorte, que tant qu’ils en trouuerent de reſt e,
furent tuez, & leurs meubles baillez en proye,
comme auſsi les meubles des abſens.
Le Roy donna aux Suyſſ es de ſa garde, pour le
bon deuoir qu’ils avoyent monſt ré en ceſt affaire,
le ſac & pillage de la maiſon d’vn treſ riche lapidaire,
nommé Thierry Baduere : i’ay’ ouy dire,
que ce qu’on luy a pillé, valoit plus de deux cens
mille eſcus.
Le pillage des ſeigneurs, gentilshommes, marchands,
& autres Huguenots tuez, eſt oit fait par
authorité priuee, ou donné & departi par le Roy
à ſes courtiſans, & autres ſiens bons ſeruiteurs :
deſquels les aucuns trouuãs quelque choſe de ſingulier
parmi la deſpouille des morts, le venoyent
offrir & preſenter au Roy, à ſa mere, ou à quelque autre des Princes à qui ils eſt oyent plus affect ionnez.
En ces entrefaites le Roy aſſ embla ſon conſeil,
auquel furent monſt rees par Monſieur frere
du Roy, certaines letres du mareſchal de Montmorency,
à Teligny, du vendredi 22. d’Aouſt apres
la bleſſ ure de l'Amiral, en reſponſe de celles
que Teligny luy en auoit eſcrit : & furent leſdict es
letres trouuees dãs les coffres & entre les papiers
de Teligny mort : Par icelles, le mareſchal de
Montmorency monſt roit ouuertement, le deſplaiſir
qu’il auoit receu, entendant la bleſſ ure de
l’Amiral ſon couſin : Qu’il ne vouloit pas en
pourſuyure moins la vengeance, que ſi l’outrage euſt
eſt é fait à ſa propre perſonne, n’eſt ant pas pour
laiſſ er en arriere, choſe qui peuſt ſeruir à ceſt effect , ſachant combien vn tel act e eſt oit deſplaiſãt au Roy.
Or auoit il eſt é conclu au ſecret conſeil
d’entre le Roy, la Royne-mere, Mõſieur frere du Roy
le duc d’Aumale, le duc de Neuers, le comte de
Rets, Lanſac, Tauanes, Moruilliers, Limoges, &
Villeroy (tenu quelques iours auant la tuerie)
qu’auſsi toſt que l’Amiral & les Huguenots ſeroyent depeſchez dans Paris, le duc de Guyſe, & ceux de ſa maifon vuideroyent, & ſe retireroyent hors
de Paris en quelqu’vne de leurs maiſons : afin qu’il
ſemblaſt mieux à toute la France, & aux regions
voiſines, que c’eſt oyent ceux de Guyſe qui auoyẽt
fait le tout, ſans le ſceu du Roy : pour venger ſur
l’Amiral & autres Huguenots, la mort du vieux
duc de Guyſe, qu’vn Huguenot auoit tué au premiers
troubles de la France. Voila pourquoy en
ſes letres du Dimanche, il auoit le tout iette ſur
ceux de Guyſe : mais ceux de Guyſe voyans
l’atrocité du faict auenu, & conſiderans qu’ils attiroyẽt
ſur eux & leur poſt erité l’ire de tous hommes, à
qui l’humaine ſocieté eſt chere : & par conſequẽt
ſe mettoyent en butte, à laquelle chacun viſeroit,
comme ſur les ſeuls autheurs & coulpables : preuoyans,
di-ie, le mal qui leur en pourroit auenir,
eſt ans retournez dans Paris, n’en voulurent ſortir,
n’abandonner la cour, demandans au contraire
inſt amment, que le Roy aduouaſt le tout.
Le Roy auec le meſme conſeil que deſſ us, tant
à l’occaſion des letres du mareſchal de Montmorency
(qui prenoit pretexte ſur la volonté du Roy
de ſe vouloir venger) que par ce que ceux de Guyſe
ne vouloyent ſortir hors de Paris, ny ſe charger
de la faute, fut contraint le tout aduouër : Car diſoyent
ceux de ſon cõſeil, ſi le mareſchal de Montmorency,
ſeulement pour la bleſſ eure de l’Amiral
ſon couſin, eſt ſi fort piqué, & menace tant : que
fera il quand il en entendra la mort, & de tant de
gens qu’il aimoit ? & ſi la maiſon de Guyſe ne s’en
charge, comment couurira on le faict ?
Partant, le Roy par l’auis de ſondict conſeil, reſcriuit des letres à ſes ambaſſ adeurs, & aux gouuerneurs
des prouinces, & villes principales de la
France : par leſquelles il les auertiſſ oit, que ce qui
eſt oit auenu à Paris, ne concernoit aucunement
la religion, ains auoit eſt é ſeulement fait pour
empeſcher l’executiõ d’vne maudite cõſpiration, que
l’Amiral & ſes alliez auoyent faite, contre luy, ſa
mere & ſes freres : partant vouloit que ſes Edict s
de pacification fuſſ ent obſeruez : Que s’il auenoit
que quelques Huguenots, eſmeus des nouuelles
de Paris, s’aſſ emblaſſ ent en armes en quelque lieu
que ce fuſt , il commandoit à ſeſdict s gouuerneurs
de tenir la main qu’ils fuſſ ent diſsipez, & rompus.
Et afin que par les ſtudieux de nouueauté, quelque
ſiniſt re cas n’aduint, il entendoit que les portes
des villes de ſon Royaume, fuſſ ent bien &
diligemment gardees : remettant ſur la creance des
porteurs, le ſurplus de ſa volonté.
Ces letres ne furent pas ſi toſt receues à Meaux,
Orleãs, Tours, Angiers, Bourges, Thoulouze,
& en pluſieurs autres citez, que les Huguenots
par le commandement des gouuerneurs, y furent
tuez. Quelques gouuerneurs moins cruels, comme
Mandelot à Lion, & Carrouges à Rouen, ſe
contenterent pour le commencemẽt de faire empriſonner
les Huguenots de leurs villes : mais peu
de iours apres, auſsi bien furent-ils tuez.
Le meſme iour du lundi au matin, le Roy enuoya
quelques capitaines & ſoldats de ſa garde à
Chaſt illon ſur Loin, pour luy amener les enfans
de l’Amiral, & de ſon feu frere d’Andelot, de gré,
ou par force : mais on trouua les aiſnez partis, & deſia ſauuez à la fuite.
Le duc d’Auiou enuoya pareillement des ſoldats
de ſa garde à la campagne, és enuirons de Paris,
viſiter les Huguenots dans leurs maiſons aux
champs, & les y tuer : Et afin que nul ny fuſt eſpargné,
il enuoyoit à poinct nommé en diuers quartiers,
ceux de ſes ſoldats qui ny cognoiſſ oyẽt perſonne,
tellemẽt qu’auſsi ils n’en eſpargnerent pas
vn, excepté quelques vns qui furent prins à rançõ
par ceux qui eſt oyent plus frians de l’argent : Et
ſi ne laiſſ oyent pas pourtãt de tuer les priſonniers
apres leur rançon payee.
Ces iours de dimanche & de lundi, le temps
fut beau & ſerein à Paris, & és enuirons : tellemẽt
que le Roy s’eſt ant mis aux feneſt res du Louure,
contemplant le temps, dit, Qu’il ſembloit que le
temps ſe reſiouiſt , de la tuerie des Huguenots.
Enuiron le midi du lundi (hors de toute ſaiſon)
on vit vn aubeſpin fleury au cemetiere ſainct
Innocent : Si toſt que le bruit en fut eſpandu par
la ville, le peuple y accourut de toutes parts, criãt,
Miracle, miracle, & les cloches en carrillonnerẽt
de ioye. On fut contraint pour empeſcher la foule
du peuple, & afin que le miracle (qui eſt oit cõme
il a eſt é ſceu, fait par l’artifice d’vn bon vieux
homme de cordelier) ne fuſt deſcouuert, & auilé :
on fut, di-ie, contraint d’aſſ eoir des gardes à l’entour
de l’aubeſpin, pour empeſcher le peuple de
s’y approcher de trop pres. Il n’y eut pas faute de
gens qui interpretoyent ce miracle ne vouloir de
noter autre choſe, ſinon que la France recouureroit
ſa belle fleur & ſplendeur perdue. Le peuple s’en retournant de la veuë de l’aubeſpin content
& ſatisfait, penſant que Dieu par vn tel ſigne approuuaſt
toutes leurs act ions, s’en alla droict au
logis du defũct Amiral : où ayãt trouué ſon corps
mort, le prindrent, & l’ayãs trainé par les rues
iuſques au bord de la riuiere, luy coupperent le mẽbre,
& puis la teſt e, qu’vn ſoldat de la garde (par
commandement comme il diſoit) porta au Roy :
le tronc, auec dagues & couteaux laceré, &
deſchiqueté en toutes ſortes par la populaſſ e, fut à la fin
trainé au gibet de Montfaucon, & là pendu par les
pieds.
Le mardi 26. d’Aouſt , le Roy accompagné de
ſes freres, & des plus grands de ſa cour, s’en alla au
Palais de Paris (qu’on appelloit iadis la cour des
Pairs de France, & le lict de iuſt ice du Roy) Là ſeant
en plein ſenat, toutes les chãbres aſſ emblees,
il déclara tout haut, que ce qui eſt oit auenu dans
Paris, auoit eſt é fait non ſeulement par ſon conſentement
ains par ſon commandement, & de ſon
propre mouuemẽt. Partant entendoit-il, que toute
la louange & la honte, en fuſſ ent reiettees ſur
luy.
Alors le premier Preſident, au nom de tout le
Senat, en louant l’act e, comme digne d’vn ſi grãd
Roy, luy reſpondit, que c’eſt oit bien fait, & qu’il
l’auoit iuſt ement peu faire.
Que qui ne ſcait bien diſſ imuler, ne ſcait regner.
Le pol. C’eſt oit bien loin de faire comme la
Vacquerie, iadis Preſident en meſme lieu & charge,
lequel, comme Paſquier le recite en ſon liure des recerches, Eſt ant preſſ é par le roy Loys II.
d’emologuer vn Edict qui n’eſt oit point de iuſt ice,
& pour ce qu’il ne le vouloit faire eſt ant menacé
par ce Roy là de la mort, & tout le parlement
auſſi, s’habilla & auec luy tous les Senateurs de Paris
de robbes rouges, & en ceſt equippage s’en alla
trouuer le Roy qui eſt oit courroucé outre meſure.
Le Roy eſmerueillé de les voir en vn tel habit
hors de ſaiſon, les enquit de ce qu’ils cerchoyent :
Surquoy la Vaquerie reſpõdant pour tous, Nous
cerchons la mort (dit-il) Sire, de laquelle vous
nous auez menacez ſi nous ne confirmions voſt re
Edict . Eſt ans tous appareillez de la ſouffrir
plufſt oſt que de faire choſe contre noſt re deuoir &
conſcience.
L’hiſt . C’eſt uy-cy n’auoit garde de faire le
ſemblable, il prend trop de plaiſir à toute ſorte d’iniuſt ice
pour s’y vouloir oppoſer. Mais, pour retourner
à mon hiſt oire, Ainſi que le Roy alloit au
palais, vn gentil-homme fut recognu en la trouppe
pour Huguenot, & auſsi toſt tué, aſſ ez pres du
Roy (qui en ſe reuirant pour le bruit, ayant entendu
que c’eſt oit) Paſſ õs outre, dit-il, pleuſt à Dieu
que ce fuſt le dernier !
Ce iour de mardi, & autres iours ſuyuans, il y
eut peu de Huguenots tuez dans Paris, Car auſsi
y en auoit-il peu de demeurez de reſt e.
Quelques Catholiques, prindrent la hardieſſ e
de ſauuer la vie à aucuns de leurs anciens amis &
parens. Entre autres, Feruaques la voulut ſauuer
au capitaine Monins, pour lequel il alla prier le
Roy, & pour tous ſes ſeruices paſſ ez, de luy donner la vie qu’il luy auoit ſauuee iuſques à l’heure :
mais ce fut en vain, car le Roy luy commanda de
tuer Monins, ſi luy meſme ne vouloit mourir de
la main de Charles. Feruaques eut horreur du
faict (quoy qu’il fuſt fort aſpre ennemy des Huguenots,
& qu’il en euſt tué & ſaccagé pluſieurs
de ſa main les iours precedens) pour l’amitié particuliere
qu’il portoit à Monins : toutefois il fut
contraint de deſcouurir où il eſt oit caché, auquel
auſsi toſt fut enuoyé vn tueur qui le depeſcha.
Le ſemblable eſt auenu à quelques autres Huguenots,
lors qu’ils cuidoyent eſt re eſchappez.
Le ieudi 28. iour d’Aouſt , fut celebré dans Paris
vn Iubilé extraordinaire, auec la proceſsion
generale, à laquelle le Roy aſsiſt a : ayant premierement
ſolicite (mais en vain) le roy de Nauarre
par douces paroles, & le prince de Condé par
menaces de s’y trouuer.
Le meſme iour furent publiees des letres patẽtes
du Roy, par leſquelles ouuertement il declaroit,
qu’il ne vouloit plus vſer de paroles couuertes,
ny de diſsimulations : Que la tuerie des Huguenots
auoit eſt é faite par ſon commandement :
à cauſe d’vne maudite conſpiration faite par l’Amiral,
contre luy, ſa mere, ſes freres, & autres princes
& grans ſeigneurs de la cour, n’entendãt pourtant
que les Edict s de pacification fuſſ ent moins
que bien obſeruez : auec tel ſi toutesfois, que les
Huguenots ne feroyent faire aucuns preſches, ny
aſſ emblees, iuſques à ce qu’autrement y fuſt pourueu.
Au premier exemplaire deſdict es letres, le roy de Nauarre ny eſt oit pas compris : mais ſachant
bien qu’on tireroit de luy tout le teſmoignage
qu’on voudroit, il ſembla bon au conſeil de l’y
nõmer.
Ces letres patentes, furent enuoyees par courriers
expres à tous les gouuerneurs de la France,
auec d’autres letres particulieres du Roy de meſme
ſuſt ance : Excepté qu’il y eſt oit adiouſt é vn
commandement, Qu’incontinent les Ietres receuës,
les gouuerneurs fiſſ ẽt tailler en pieces tous
les Huguenots que lon trouueroit hors de leurs
maiſons. Aucuns Huguenots (que la peur auoit
fait ſortir hors de leurs maiſons) entendans ce
mandement, ſe retournoyent mettre dedans : les
autres qui ne s’y oſoyent fier, & ſe trouuoyent
dehors, ſoudain eſt oyent tuez, autres prins à rançon :
Mais à la fin, ceux qui obeiſſ ans au mandement
s’eſt oyent retirez en leurs maiſons, ne furent
pas de meilleure condition que les autres.
Et toutefois les gouuerneurs ayãs receu leſdict es
letres, donnoyent à entendre, qu’ils ne recerchoyent
d’entre les Huguenots, que les coulpables de
ceſt e derniere conſpiration de l’Amiral : que quãt
au paſſ é, ils n’y vouloyent pas ſeulement toucher,
n’y s’en ſouuenir.
Mais pource que peu de iours apres fut adiouſt é
auſdict es letres, que les priſonniers fuſſ ent deliurez,
& que nul ne fuſt fait doreſenauant priſonnier,
excepté ceux qui és guerres ciuilés de la Frãce,
auoyent eu quelque charge pour les Huguenots,
manié affaires, ou autrement en auoyent eu
intelligence : deſquels ſi aucun eſt oit pris, on l’euſt à remettre entre les mains du gouuerneur de la
ville, ou du pays, qui entendroit du Roy ce qu’il
luy plairoit d’en ordonner. Et toutefois on voyoit
que les priſonniers n’eſt oyẽt point deliurez, ains
tous les iours en empriſonnoit-on de nouueaux.
Pluſieurs d’entre leſdict s Huguenots moins credules
que les autres, ont penſé faire plus ſagemẽt
de ſortir viſt ement hors de France que d’y demeurer
plus longuement : mais ils n’ont pas ſi toſt
eſt é hors du Royaume (cõbien qu’ils ſe ſoyent retirez
és terres cõfederees au Roy) que ſes officiers
en beaucoup d’endroits, leur ont ſaiſi & annoté
leurs biens, les ont confiſquez, vendu les meubles
d’aucuns, & d’aucuns autres ſaccagez & pillez.
Or pour retourner aux choſes de Paris, le Roy
le 5. iour du mois de Decembre, ayant fait venir
à ſoy Pezou Bouchier (l’vn des conduct eurs
des Pariſiens) luy demanda, s ’il y auoit encores
dãs la ville quelques Huguenots de reſt e : A quoy
Pezou reſpondit, qu’il en auoit iette le iour auparauant
ſix vingts dans l’eau, & qu’il en auoit encores
entre ſes mains autant pour la nuict venant :
Dequoy le Roy grandement reſiouy, s’en print à
rire ſi fort, que ne le ſcauriez croire.
Le 9. iour de Septẽbre, le Roy eſmeu de peur,
& de cholere tout enſemble, iurant & blaſphemant
qu’il vouloit tuer de ſa main propre tout le
reſidu des Huguenots, commanda qu’on luy apportaſt
ſes armes, ſe fit armer, & fit venir à ſoy les
capitaines de ſes gardes, diſant que par la mort-Dieu,
il vouloit commencer à la teſt e du prince de Condé. Adonc la Royne regnante s’agenouillant
deuant luy, le ſupplia qu’il ne fiſt point vne
choſe de ſi grande conſequence, ſans l’auis de ſon
conſeil. Le Roy aucunement vaincu des prieres
de ſa femme, ſouppa & dormit auec elle : Le matin
venu (ce feu luy eſt ant vn peu paſſ é) il fit venir
le prince de Condé, auquel il propoſa trois
choſes, la meſſ e, la mort, ou priſon perpetuelle : &
qu’il aduiſaſt laquelle des trois luy agreeroit le
plus. Le prince de Condé reſpõdant luy dit, Que
moyenãt la grâce de Dieu, il ne choiſiroit iamais
la première : les deux dernieres, il les laiſſ oit (apres
Dieu) à l’arbitrage & diſpoſition du Roy.
Vray eſt qu’ayant entendu qu’on luy preparoit
vne chambre à la Baſt ille (où lon a accouſt umé
d’empriſonner les Princes) i’ay ouy dire, que ce
ieune prince de Condé, a changé du depuis
d’auis.
Peu de iours apres, on a imprimé auec priuilege
du Roy, certains liures mordans & pleins d’iniures,
contre l’Amiral : eſquels nommément eſt
diſputé & maintenu, qu’il a eſt é loiſible au Roy
de traiter ainſi ſes ſuiets, pour la religion violee,
ne plus ne moins que furent chaſt iez les ſacrificateurs
de Baal. Mais de la coniuration de l’Amiral,
point de nouuelles, ces liures n’en dient rien
de particulier : & les cõſeillers & courtiſans à qui
i’en ay parlé auant mon depart (entre autres meſſ ieurs
de Foix, & de Mal-aſsiſe) s’en moquent : diſans
par leur foy, que ç’a eſt é vne galante couuerture :
recognoiſſ ant le faict ſi barbare & diaboliquement
cruel, qu’on ne luy peut donner autre titre (toutefois il eſt mal caché, à qui le cul paroiſt .)
Mais quoy qu’il en ſoit, ils diſent, que le Roy veut
qu’on croye, qu’il y a eu de la coniuration. Et tout
ce qu’il y a de bon c’eſt , qu’ils ont nommé le roy
de Nauarre, entre ceux que les Huguenots
vouloyent tuer.
Le pol. C’a eſt é vne forte inuention que celle-la,
pour faire croire la conſpiration : & encore me
ſemble plus eſt range, puisqu’ils ſe vouloyent ſeruir
de ce pretexte, pourquoy le Roy a mandé à
tous ſes officiers, que quoy qu’il en puiſſ e aduenir,
il ne veut qu’il y ait autre religion que la ſiene
en ſon Royaume : & cependant il veut faire croire
aux Princes eſt rãgers, qu’il veut entretenir
l’Edict de pacification.
Ali. Ie ne trouue cela eſt range : car le diable, ny
ſes enfans, ne ſe ſcauroyent aider que de leurs outils :
à ſcauoir, du menſonge, ce qui eſt vne grande
conſolation pour les eſleus, ſachant que la verité
ſurmonte.
Phi. Tu vois cependant Alithie, quel blaſme on
nous met à ſus, & la façon dont on nous traict e,
& le tout pour l’amour de toy.
Ali. Ce n’eſt pas choſe nouuelle, de voir mes amis
hays, blaſmez, calõniez, batus, & le plus ſouuent
tuez. Vne infinité d’hiſt oires tant prophanes
qu’eccleſiaſt iques & ſainct es, nous font treſentiere
foy, que ce n’eſt que leur ordinaire. La vérité
(ce dit l’autre) engendre haine : La croix eſt comme
collee à l’Euangile. Vous pleurerez, dit Ieſus
Chriſt en vn mot, & le monde rira.
L’hiſt . Pour concluſion, par toute la France où le Roy a pouuoir, qui ne veut aller à la meſſ e, faut
qu’il meure, ou qu’il fuye ſecretement hors du
Royaume : Et croit-on que depuis le 24. d’Aouſt
iuſques à maintenant, il y a eu plus de cent mille
perſonnes Huguenotes tuees par toute la France,
ſous pretexte de leur conſpiration : Encores
ne ſont-ils pas ſaoulez, leur cholere n’eſt point
aſſ ouuie.
L’egl. O Dieu tout-puiſſ ant, ô paſt eur d’Iſrael, iuſques
à quand fumeras-tu contre l’oraiſon de ton
peuple ? Tu l’as repeu de pain de larmes, & l’as
abbreuué de pleurs. Tu nous as mis en querelles
contre nos plus proches, & en moqueries parmi
les nations. Tu as tranſporté ta vigne d’Egypte,
tu l’as plantee, & luy as preparé le lieu, afin qu’elle
y prinſt racines & s’eſt endiſt , en rempliſſ ant la
terre : Pourquoy dõc as tu rompu ſa haye, la baillant
en proye aux paſſ ans ? pourquoy a-elle eſt é
conſumee par le ſanglier, & deuoree par les beſt es
ſauuage ? Les gens ſont entrez en ton heritage,
ils ont baillé les corps de tes ſeruiteurs en viande
aux corbeaux & la chair des bien viuans aux
beſt es de la terre. Ils ont eſpars le ſang des tiens,
& n’y auoit aucun qui les enſeueliſt . Iuſques à
quand Seigneur, te courrouceras-tu ? ton ire ſera-elle
pour iamais embraſee ? Reſpan Seigneur tes
indignations, ſur les gens qui ne te cognoiſſ ent
point, & ſur les royaumes qui n’inuoquent point
ton Nom : car ils ont preſque eſt einte toute la
poſt erité de Iacob, & ruiné ſa demeure. Que la vengeance
du ſang de ceux qui te reclamoyent eſpandu
contre tout droict , ſoit cognue par toute la terre : Vueilles, grand Dieu, auoir eſgard aux cris
& gemiſſ emens de tant de poures vefues, & de
poures enfans orphelins. Souuienne toy des plainct es
des priſonniers. Reſerue en vie ſelon la grandeur
de ta force, tes enfans deſt inez à la mort. Et
rends à nos voiſins ſept fois au double, l’outrage
duquel ils t’ont diffamé, Seigneur.
Phil. Amen.
L’hiſt . Encore n’eſt -ce pas tout : Car comme ie diſois
tantoſt (lors que tu m’as interrompu) quelque
grande tuerie qu’il y ait eu en France, la cholere
du Roy ne paſſ era iamais, pendant qu’il y aura
vn Huguenot en vie. Encore iure-il par le ventre
Dieu, qu’ils ont beau faire, que la Meſſ e ne les
ſauuera-ia.
Ali. Iamais en ſa vie il n’a dit parole plus veritable :
Mais comment l’entend il ie te prie ?
L’hiſt . Il n’a garde de l’entendre comme les Huguenots
l’entendent, qui maintienent que le Pape,
noſt re bonne intention, nos bonnes œuures,
les merites des Sainct s, le bois de la ſainct e croix,
les grans pelerinages, l’eau beniſt e, la ſainct e & digne
meſſ e, & tout cela enſemble, & chacun d’eux
ſeul & pour le tout, ne nous peut ſauuer : ains ſeulement
Dieu par ſa pure grace, & par la miſericorde
qu’il fait à ceux qui eſperẽt en luy, deſpouillez
de toute arrogance & fierté, humiliez & abbatus
par le ſentimẽt de leurs fautes, & appuyez ſur
le ſeul merite de la mort & paſsion de noſt re Seigneur
Iefus Chriſt . Il n’a di-ie, garde de parler de
ce ſalut-là, il n‘y penſe pas.
Ali. Ie le croy. II appert euidemment par ſes œuures, qu’il n’en a ny ſoin ny cure : Et toutefois
ſi y faut-il penſer, Hiſt oriographe mon amy, & y
entendre continuellement : ce doit eſt re noſt re
principal but. Mais s’il plaiſt à Dieu, nous en parlerons
à loiſir, deuãt que nous-nous laiſsions l’vn
l’autre. Tu entendras poſsible, ce que tu n’as iamais
appris, quoy qu’il ſemble que tu en ayes ouy
parler quelque fois : Pour maintenant il eſt queſt ion
de pourſuyure ton hiſt oire, & de nous dire
(ſi tu le ſcais) comme c’eſt que le Roy entend ce
que tu as dit.
L’hiſt . Ie te le diray tout à ceſt e heure, & t’eſcouteray
quand tu voudras : auſsi bien ne fſcay-ie dire
(quand il eſt queſt ion de ſalut) où c’eſt que i’en
ſuis. L’ignorance de nos curez, & la noſt re, nous
a logez touchant cela, chez Guillot le ſongeur (cõme
on dit.)
Le pol. Ie ſeroy s’il te plaiſt de la partie, Alithie,
auſsi bien ne voy ie point de religion, ne de
voye de ſalut, ains pluſt oſt tout atheiſme, & chemin
de perdition parmi nous. On a beau ſe dire
treſ-chreſt ien, il eſt tout clair qu’on ment fauſſ ement.
Ali. Ie ſuis bien aiſe de vous voir en chemin de
vouloir apprendre, nous en parlerõs plus à plein
Dieu aidant : Pour ceſt e heure oyons l’Hiſt oriographe
ſur ſon interpretation, & le reſt e de ſon
diſcours.
L’hi. Comme ie vous ay dit, il y a des Huguenots
en grand nombre, qui ſont eſchappez de la tuerie,
tous leſquels peuuent eſt re repartis en deux
eſpeces : l’vne ſera de ceux qui s’en ſont fuys hors la France, l’autre, de ceux qui y ſont demeurez.
Ceux qui ſont ſortis, ſe ſont retirez en Suyſſ e, en
Allemagne, en Angleterre, & és Iſles qui luy ſont
ſuiettes. A ceux-cy le Roy ne touche que par letres,
meſſ agers, & autres menees : taſchant
(comme bon pere de famille qui a ſoin de ſes enfans)
de les faire reuenir en lieu où il les puiſſ e trouuer
quand il voudra : pour la pitié qu’il a des diſettes
& neceſsitez qu’ils endurent eſt ans hors de leurs
maiſons, eſquelles il deſire (ce diſent ſes letres)
qu’ils reuienent, pour pouuoir iouyr de leurs biẽs
en ſe conformant à ſa volonté, & faiſant ce qu’il
commandera. Ceux qui ſont demeurez en France,
outre les morts, ſont de diuerſes conditions.
Les vns ſe ſont retirez dans des villes fortes, comme
vous diriez dans Montauban, Sancerre, Nyſmes,
la Rochelle & dans certaines autres villes.
Contre ceux-cy le Roy a enuoyé ſes freres pour
les exterminer s’il le peut faire : pource qu’ils n’õt
pas voulu laiſſ er entrer dans les villes où ils ſont,
ceux qui y alloyent pour les tuer de par le Roy, &
qu’ils leur ont fermé les portes.
Ali. O poures gens ! leur condition ſera elle donques
pire que des beſt es, à qui nature apprent de
ſe conſeruer, les armant en diuerſes ſortes pour
leur deffence ? ſeront-ils pirement traict ez que l’eſclaue,
à qui outre le droict de nature, celuy des
gens, voire la loy ciuile, permet de fermer l’huis
au nez de ſon maiſt re, s’il cognoiſt qu’il le vueille
tuer ?
L’hift. Ie ne ſcay qu’en dire : mais ſur toutes les
villes, il en veut à celle de la Rochelle.
Le pol. Elle l’a eſchappé belle ceſt e poure Rochelle :
Car ſi tu ne le ſcais, ie t’oſe dire pour certain,
que l’armee de mer de Stroſſ y, & du Baron de la
garde, qui eſt oit en Brouage pres de la Rochelle
il y auoit plus de quatre mois, pour attendre (ce
diſoyent-ils en ſecret) la flotte d’Eſpagne, & la
cõbatre (comme auſsi l’Amiral le penſoit) & de là,
ſingler à Fleſsinghe, ne taſchoit qu’à ſurprendre
la Rochelle à poinct nõmé : & plus de deux mois
auant la tuerie de Paris, la Royne-mere auoit enuoyé
à Stroſſ y vne letre eſcrite de ſa main propre,
bien cachetee, luy deffendant par vne autre letre
qu’il receut la premiere, de ne point ouurir ceſt e
la, iuſques au 24. iour d’Aouſt : Or les mots
de la letre que Stroſſ y ouurit le 24. d’Aouſt , eſt oyent,
S T R O S S Y, ie vous auertis que ce iourdhuy
24. d’Aouſt , l’Amiral, & tous les Huguenots qui
eſt oyent icy auec luy, ont eſt é tuez. Partant auiſez
diligemment à vous rendre maiſt re de la Rochelle :
& faites aux Huguenots qui vous tomberont
entre les mains, le meſme que nous auons fait à
ceux-cy. Gardez vous bien d’y faire faute, d’autant
que craignez de deſplaire au Roy, Monſieur
mon fils, & à moy. Et au deſſ ous,
C A T H E R I N E.
Ie te laiſſ e à penſer, ſi Dieu les a bien gardez.
L’hift. I’auoy’ bien touſiours creu, que l’armee de
Stroſſ y n’eſt oit pas pres de la Rochelle pour neant :
& que les ſoldats qui eſt oyent à l’entour par
mer & par terre, mangeans, forçans, & pillans le
bonhomme, ne taſchoyent qu’à ſe rendre plus forts dans la Rochelle, pour la ſurprẽdre, & y mener
les mains baſſ es, & ſcauoy’ bien qu’ils y auoyent
failli deux ou trois fois : voire meſmes i’ay biẽ
ſceu, que le iour du maſſ acre fait à Paris, il eſt oit
entré dans la Rochelle, plus de deux cens ſoldats
de Scroſſ y, auec armes, faiſans ſemblant de faire
racouſt rer leurs harquebouſes, ou d’acheter quelques viures, & munitions : leſquels pour quelque
frayeur qui les ſurprit, craignans que ceux de la
Rochelle (ialoux des priuileges & libertez de leur
ville qui les exemptent de garniſon) ne ſe doutaſſ ent
des deſſ eins de Stroſſ y, s’enfuyrent en
tapinois tout bellement hors de la ville. Mais ie n’auoy
encores rien ſceu de ceſt e letre, ie n’ay garde
d’oublier à la mettre en mes memoires. Voila de
merueilleux traict s. On a raiſon de dire qu’il y a
eu coniuration : Mais ç’a eſt é contre les Huguenots. Poures miſerables ! il faut bien dire que la
deliurance de ceux qui ſont demeurez de reſt e, eſt
miraculeuſe, ayans eſt é ſi ſubtilement trahis !
Mais pour retourner à eux : outre ceux qui ſe ſont
retirez és villes & lieux de ſeureté, il y en a d’autres
qui ne s’y ſont pas retirez, ou pource qu’ils
n’ont peu, ou pource qu’ils n’ont voulu, ou oſé s’y
retirer.
De ceux-cy, les vns (mais en petit nombre) ſe
tienent coys & couuerts en leurs maiſons, & ſans
aller ny à meſſ e ny à matines, prient Dieu vn chacun
chez ſoy : bien ſecretement toutefois, de peur
d’eſt re ſurpris, attendans qu’on les accommode
(c’eſt le mot dont vſent les tueurs.)
Les autres, s’en vont à la Meſſ e de gayeté de cœur, & comme à l’enuy l’vn de l’autre, blaſphement,
deſpitent, & renient mille fois le iour, pour
monſt rer qu’ils n’en ſont plus, faiſans en tout le
ſurplus, des vilenies, & des maux, plus que ie ne
t’en ſcauroy’ reciter : vne grande partie de ceux-cy
porte les armes contre les autres Huguenots,
mais le Roy ne s’y fie pas beaucoup. Et les autres
vont auſsi à la Meſſ e, mais contre leur gré , & par
force, comme il eſt aiſé à iuger à leur mine & contenance,
tant ils ſont abbatus & contriſt ez, & ſi
n’oſent bonnement parler l’vn à l’autre, ny ſe laiſſ er
rencontrer par les rues, ou en leurs maiſons
deux à la fois. I’eſt ime que c’eſt de ceux-cy deſquels
le Roy parle, quand il dit, Que par la mort-Dieu,
la meſſ e ne les ſauuera pas, & poſsible entend
il auſsi parler des autres qui montrent d’y
aller de plain gré, & par deſpit :
Alith. Ie ne doute pas qu’il ne parle de tous les
deux. Quel piteux & miſerable eſt at, ne ſe contenter point de tuer le corps, ſi on ne pert l’ame quãd
& quand : & ne ſe contenter point de tuer l’ame, ſi
le corps n’eſt auſsi meurtry !
O Seigneur,iuſques à quand ?
L’egl. Benit ſois-tu, Seigneur Dieu de nos Peres,
ton Nom eſt louable, & digne d’eſt re glorifié à iamais.
Tu es iuſt e en toutes les choſes que tu as
faites : tes voyes ſont droites : tous tes iugemens
par leſquels nous ſont aduenues toutes ces choſes,
ſont droituriers. Nous auons contreuenu à
tes loix, nous n’auons point eſcouté ny gardé tes
commandemens. Nous nous ſommes par trop
desbordez en delices, & auons cerché en la cour des grans (d’où par Edict ſolennel ta verité auoit
eſt é bannie) les honneurs & les alliances.
Tu as vfé d’vn vray iugemẽt, en toutes les choſes
que tu as fait venir ſur nous, nous liurant aux
mains de nos ennemis, qui ſont ſans loy, & treſmeſchãs
traiſt res, & à vn Roy iniuſt e, &
treſmauuais, par deſſ us ceux de toute la terre. Nous
ſommes liurez à mort pour l’amour de toy tous les
iours, & ſommes eſt imez cõme brebis de la
boucherie : Nous te prions que tu ne nous liures pas
ainſi à touſiours. A cauſe de ton Nom, ne diſsipe
point ton alliance, ne nous cõfonds point du tout
mais fay-nous ſelon ta douceur, & ſelon la grandeur de ta miſericorde, afin que la ſemence des
tiens que tu as reſeruez, croiſſ e, vegete, & multiplie,
en nombre, zele & vertu. Seigneur, tu t’es ſerui
autrefois de l’inſt rument de perſecution, pour
l’accroiſſ ement & augmẽtation de ton troupeau,
qui venoit ſeulement de naiſt re & s’aſſ embler en
Ieruſalem, lors que tu l’eſpardis par la Iudee & Samarie :
fay, Seigneur, que le reſt e des tiens que tu
as eſpars maintenant en regions lointaines & peregrines
par ceſt e horrible diſsipation, continue
touſiours en ton ſeruice, ſeruant d’exemple &
edification aux nations qui les ont recueillis, & portans
doucement l’exil : recognoiſſ ent que toute la
terre t’appartient, qu’elle toute n’eſt qu’vne ſeule
cité, de laquelle l’hõme eſt bourgeois paſſ ager, en
quelque climat qu’il habite : ou pluſt oſt Seigneur,
donne leur de cognoiſt re, que nous n’auons point
icy de cité permanente, afin que cerchans la cité
à venir, ils perſeuerent en l’eſperãce de la vie bien heureuſe, que tu nous as acquiſe par le precieux
ſang de Ieſus Chriſt ton Fils noſt re Seigneur. Et
en rendans leur vocation certaine, par bõnes œuures
& la ſainct e conuerſation (que tu as ordonné
aux tiens, afin d’eſt re glorifié en eux) qu’ils conſiderent
les faſcheufes & frequentes peregrinations
d’Abrahã, d’Iſaac & de Iacob : qu’ils iettẽt
l’œil ſut ton Fils vnique, ton Bien aimé, fuyant de
nuict , toſt apres ſa naiſſ ance en Egypte, auec ſa
Mere-vierge, ſous la conduite de Ioſeph, pour
eſchapper les mains d’Herode, qui cerchoit la vie
de l’enfant. Fay entendre à tous les tiens, que tu
chaſt ies ceux que tu aimes, afin qu’il ne leur ſemble
eſt range, comme ſi quelque choſe nouuelle
leur arriuoit, quand ils ſeront par feu, par glaiue,
ou exil, examinez pour faire preuue de leur foy :
que pluſt oſt eſt ans faits participans des paſsions
de tõ Fils Ieſus Chriſt , & iniuriez pour ſon Nom
ils s’en reſiouiſſ ent, en attendant que ceux qui
cerchent l’ame de l’enfant, ſoyent morts. Cependãt
donne-leur iugement & prudence, afin qu’ils ne ſe
laiſſ ent plus endormir ne piper, à la voix de ce
Pſeudo-pere de famille, aux larmes de ce Crocodile,
qui ſous vne feinte pieté, ne cerche qu’à les
deuorer & deſt ruire. Garni les auſsi Seigneur, de
bon courage, & de force, par leſquels ſurmontans
en vraye foy & charité toutes les difficultez qui
leur ſeront preſentees, eux qui ſont eſchappez du
naufrage, s’efforcent de tout leur pouuoir & moyens
d’en retirer leurs freres : d’aider & ſecourir
ceux que les dangers de mort enuironnent, que
l’armee de Pharao, que ce nouueau Sennacherib, & Rabſaces le prophane pourſuyuent.
Seigneur, nous auons ouy de nos oreilles, nos
peres nous ont raconté les œuures que tu as
faites en leurs iours en Egypte, aux deſerts, en la
terre où tu les auois introduits : comment tu as de ta
main dechaſſ é les nations, & abbatu les plus grãs
qui empeſchoyent les tiens de iouyr du repos
promis.
Ils ne conqueſt erent point la terre par leur
glaiue, leur bras ne les a point ſauuez : mais ta dextre,
ton bras, & la lumière de ta face les deliura,
pourtant que tu les auois prins en amour. Il eſt
bien vray Seigneur, que par leur deffiance t’ayans
irrité grandement, pluſieurs d’entr’eux moururẽt
au deſert, voire ton feruiteur Moyſe, que tu leur
auois donné pour liberateur : mais tu ne laiſſ as
pourtant d’accomplir en leurs enfans par Ioſué,
tout ce que tu auois promis à leurs peres par
Moyſe.
O Seigneur, nous auons peché, nous t’auons
offenſé : tu nous as auſsi deboutez, tu nous as
diſſ ipez & t’es courroucé amerement, nous mettant
comme en vn train de ruine irréparable. Tu as
traité ton peuple rudement, & l’as abbreuué de
vin d’eſt ourdiſſ ement : mais depuis, tu as donné vne
baniere à ceux qui te craignent, afin de l’eſleuer
en haut, pour l’amour de ta vérité. Fay Seigneur,
que tes Iſraelites n’eſperent plus au bras de
la chair, en leurs armes, ou autre puiſſ ance
humaine, ains en toy ſeul, Dieu des armees, le fort des
forts : ſachant que c’eſt en vain qu’on edifie la
maiſon ſi tu n’y mets la main, & que c’eſt en vain qu’on veille, ſi tu ne gardes la cité. Toy qui par
les raines, par les poux, par les ſauterelles, & autre
telle gendarmerie, as fait trembler ceſt anciẽ Pharao dans ſon lict , & luy faiſant ſentir ta main forte,
lors qu’il pourſuyuoit tes enfans, l’as enſeuely
dans les eaux auec toute ſon armee, faiſant paſſ er
les tiens à ſec.
Toy Seigneur Dieu d’Iſrael, qui es aſsis ſur les
Cherubins, tu es le ſeul Dieu de tous les Royaumes
de la terre, tu l’as faite, & le ciel auſsi Seigneur,
encline ton oreille, & oy : ouure les yeux, &
regarde. Eſcoute les paroles de Sennacherib, &
de ce ieune Rabſaces confit en blaſphemes, qui
en t’appellant au cõbat demande, Où eſt le Dieu,
le Fort, Gardien de ce petit troupeau. Il eſt vray,
Seigneur, que les rois des Aſſ yriens ont deſtruit
les Gentils & leur terre, & ont mis au feu les dieux
d’iceux : Car ils n’eſt oyent point dieux, mais
ouurages des mains des hommes, bois & pierres,
pourtant ils les ont deſt ruits : mais ceux-cy, Seigneur
t’iniurient, ils te blaſphement & deſpitent,
eſleuant leurs voix contre toy, ſainct d’Iſrael, ſe
vantãs qu’ils raſeront toutes les villes ſur leſquelles
ton Nom eſt inuoqué, & qu’ils en effaceront
la memoire de deſſ us la terre. Seigneur, ſi les as-tu
faites & formées, & as planté au milieu d’icelles
le ſceptre de ta parole, pour lequel arracher,
on les pourſuit. Ne les meine pas donc à deſolation,
deffen-les pluſt oſt , Pere ſainct , à cauſe de tõ
honneur & gloire, qui eſt coniointe à leur
deliurance.
Enuoye ton Ange Seigneur, l’Ange que tu enuoyas contre ce Sennacherib, ou ſuſcite vne Iudith
contre ceſt Holoferne, pour la deliurance de
ta Bethulie. Ne te tiens plus arriere de nous, &
ne te cache point au temps de tribulation : Car le
meſchant auec orgueil pourſuit le poure, & s’eſgaye
quand toutes choſes luy ſuccedẽt à ſouhait.
Il eſt tant fier, qu’il ne ſe ſoucie point de ta majeſt é,
Seigneur, ains toutes ſes penſees ſont, qu’il
n’eſt point de Dieu. Sa bouche eſt pleine de maudiſſ on,
de fraude, & de tromperie, ſous ſa langue
giſt moleſt e & nuiſance : Il ſe tiẽt aux embuſches,
il occit l’innocent aux lieux cachez : ſes yeux aguettent
le deſolé, & dit en ſon cœur, Dieu l’a oublié,
& a caché ſa face afin que iamais ne le voye. Leue
toy doncques Seigneur, hauſſ e ta main, caſſ e le
bras des meſchans, pren le bouclier & la targe,
pour ſecourir ceux qu’õ perſecute pour tõ Nom.
Tire hors la lãce, & ferre le paſſ age à ceux qui les
pourſuyuent : qu’ils ſoyent comme la paille expoſee
au vent, leur voye ſoit tenebreuſe & gliſſ ante,
& que ton Ange les pourſuyue à iamais. Et pour
autant Seigneur, qu’il y a encores quelques vns de
tes enfans, qui comme Daniel en Babylone t’adorent & t’inuoquent, mais non point auec telle hardieſſ e de foy, craignans comme vn Helie d’eſt re
demeurez ſeuls en toute la terre : Toy Seigneur,
qui es pres de ceux qui ſont rompus de cœur, &
ſauues ceux qui ſont briſez d’eſprit, Qui as ton
œil fiché ſur ceux qui te craignent, & qui s’attendent
à ta bonté, afin de retirer leur ame de mort
& les preſeruer en vie au temps de l’aduerſité
Tien-les touſiours en ta reſerue, auec les ſept mil hommes qui n’ont pas flechi le genouil deuant
Baal. Fortifie-les, Seigneur, comme tu renforças
iadis par ton Eſprit ton ſeruiteur Daniel. Preſerue-les
comme les trois enfans en la fournaiſe,
afin qu’ils n’adorent l’image de ce grand Nabuchodonoſor.
Chaſſ e-le pluſt oſt Seigneur, arriere
des hommes, ſon habitation ſoit auec les beſt es
des champs. Qu’on le paiſſ e d’herbe comme
les bœufs, iuſqu’à ce qu’il te recognoiſſ e pour
ſouuerain dominateur, Roy des Rois, & Seigneur
des Seigneurs, eſt abliſſ ant les dominations, & les
donnant & oſt ant à qui & quand bon te ſemble.
Quant à ceux, Pere de miſericorde, qui comme
brebis ſans paſt eur entre les loups affamez, pour
l’infirmité de la chair & foibleſſ e de leur foy, font
de leur corps vn hommage contraint à ce morceau
de paſt e tranſſ ubſt antié en chair, à ceſt accident
ſans ſuiet, forcez (par l’erreur commun qui
a obtenu lieu de loy) d’aller à la Meſſ e, pour ſauuer
leur vie & leurs biens : Monſt re-leur, Seigneur,
& leur fay ſentir viuement & à bon eſcient
en leur cœur, combien ta gloire & ton honneur
nous doyuent eſt re plus recommandez que noſt re
propre vie. Fay leur cognoiſt re l’outrage
qu’ils font à ta maieſt é, adherant tant ſoit peu au
ſeruice des faux dieux, que Dauid ne vouloit pas
ſeulement nommer par ſa bouche.
Que l’impudicité eſt trop grande de la femme,
qui apres s’eſt re oubliee, lors que ſon mari la
chaſt ie, recourt ſoudain à ſon paillard.
Que tu vomis les tiedes, & ne prens point
plaiſir à ceux qui clochent des deux coſt ez.
Que qui aime ſa vie, ſon pere, ſa mere, ou ſes
biens, plus que ta gloire & ton honneur, n’eſt pas
digne d’eſt re des tiens. Toy Pere, qui nourris les
corbeaux, & donnes robbes ſomptueuſes aux lys
des champs deuant nos yeux.
Qui as nourri ton peuple au deſert de la manne
treſprecieuſe, les entretenant veſt us comme
tes mignons & tendrets. Arrache de tes enfans
la deffiance de diſette, que le diable, le monde, &
la chair, impriment dans le cœur des hommes.
Ramentoy-leur Seigneur, les merueilles que ton
Fils noſt re Seigneur Ieſus Chriſt fit, en repaiſſant
abondamment ceux qui oublians eux-meſmes,
le ſuyuoyent, pour ouyr ſa voix, comme les
brebis leur paſt eur.
Monſt re-leur que ton bras puiſſ ant eſt touſiours
ſemblable à ſoy-mefme, ſans diminuer ou
accourcir : ſinon autant que noſt re ingratitude &
deffiance, diuertit ou empeſche le cours de tes
benedict ions & graces. Et pour autant que la
faute que les tiens commettent en ceſt endroit,
eſt grande & deteſt able, Toy Pere, qui ne veux
point la mort du pecheur, ains demandes qu’il ſe
conuertiſſ e & viue.
Conuerti les à toy Seigneur, ne leur imputant
point leurs fautes. Touche leur le cœur cõme tu
fis à Pierre te reniãt, afin que recognoiſſ ans l’horrible
faute qu’ils commettent, ils s’humilient deuant
toy; gemiſſ ent & pleurent pour leurs pechez :
& ainſi releuez par ta main, qu’ils ſe mõſt rẽt forts
& puiſſ ans, à ſouſleuer leurs freres infirmes. Ouure
leur auſsi la voye Seigneur, afin qu’ils puiſſ ent bien toſt ſortir de Sodome, deuant que ceux qui
leur font quitter l’heritage du ciel pour vne eſcuelle
de lentilles, executent leur conjuration & deſſeins.
Qu’ils n’ayẽt point regret de laiſſ er les aulx
& les oignons d’Egypte, ſachans combien plus
vaut vn peu de pain auec ioye & contentemẽt de
conſcience, qu’vne maiſon pleine de richeſſ es auec
vne inquiétude & continuel tourment d’eſprit.
Que trop mieux vaut en toutes ſortes
Vn iour chez toy, que mille ailleurs :
Et ſont les eſt ats trop meilleurs
Des ſimples gardes de tes portes,
Qu’auoir vn logis de beauté,
Entre les meſchans arreſt é.
Qu’ils ayent memoire (en conſiderant leur miſerable
condition) de ce poure enfant prodigue, &
qu’à ſon exemple, ils laiſſ ent la viande aux pourceaux :
s’aſſ eurans que toy grand Pere de famille,
es preſt à les recueillir, & à les traict er & entretenir,
tout ainſi que ceux-là qui n’ont bougé de ta
maiſon. Les autres qui d’vne gayeté de cœur ont
delaiſſ é ton ſainct ſeruice, communiquans à toutes
infametez : voire Seigneur, en te faiſant la guerre,
ſe ſont adioints à ces tueurs, s’il y a encores
quelque reſt e de miſericorde pour eux, ſi parmi
ceux-cy ſe trouuent quelques vns de tes eleus, aye
pitié Seigneur, aye compaſsion d’iceux, les faiſant
retourner en ta ſainct e farmlle, de laquelle ils ſont
foruſcis. Abba-les Seigneur, & les atterre, comme
iadis tu fis Saul, qui perſecutant ton fils en ſes
membres, ſeruit apres ſa conuerſion de bon teſmoin à ta verité eternelle : afin qu’apres l’eſt onnement,
eſt ans par toy releuez & ſouſt enus, ils ſeruent
plus ardemment à ta gloire, qu’ils n’ont fait
par cy deuant. Que ſi c’eſt malicieuſement contre
ta vérité cognue qu’ils ſe bandent, s’obſt inans
à leur eſcient à te faire outrage, mon Dieu, fay les
ſemblables à la rouë, & au tourbillon : pourſuy-les
par terreur & eſpouuantement : rempli leurs
faces de meſpris, & darde ſur eux ta cholere : fay
pleuuoir charbons ſur leur teſt e, feu, ſoulphre &
vent de tempeſt e ſoit la portion de leur hanap, afin
que toute la terre cognoiſſ e, que tu es noſt re
Dieu & Sauueur.
Et nous alors ton vray peuple & tes hommes,
Et qui troupeau de ta paſt ure ſommes,
Te chanterons par ſiecles innombrables,
De fils en fils preſchans tes faits louables.
Ali. Ie m’eſmerueille grandement, ſeigneur politic
François, conſiderant le piteux eſt at de la Frãce
(ſi tu as ta patrie en quelque recommandatiõ)
maintenant qu’elle a plus de beſoin de ſes vrais
amis & bons conſeillers quelle n’eut oncques,
comme c’eſt que tu as eu le courage de l’abandõner :
au lieu de t’employer à guairir ſa playe, à la
penſer, de la freneſie & de la rage qui la mene.
Le pol. Ie n’en ſuis parti qu’en pleurant, auec vn
regret incredible, preuoyant la prochaine & ineuitable
ruine, où va tomber ce poure Royaume,
pour l’extreme confuſion où il eſt : laquelle i’oſe
aſſ eurer eſt re irremediable, au jugement de tous
bons eſprits : car (ie me tay de la religion des Huguenots
en laquelle ie n’ay iamais peu mordre, quelque bonne vie & changement de mœurs que
i’aye apperceu en mes proches voiſins qui en faiſoyent
profeſsion, & ie laiſſ e à part ceſt e barbare
tuerie que l’Hiſt oriographe a recité) tout y eſt
tellement conduit, qu’il n’eſt pas poſsible de voir
vne plus grande maſſ e de meſchãcetez, ny vn chaos
plus horrible, ſoit que tu regardes la Iuſt ice,
ou que tu contemples la Police, depuis vn bout
iuſques à l’autre. Que dy-ie, ſi tu les regardes : tu
aurois beau y regarder, tu ne les y ſcaurois voir :
elles n’y font pas, pieç’a qu’elles s’en ſont allees :
on ne les y trouue plus qu’en eſcrit, on n’y voit
que leurs noms & leurs maſques. Quant au ſeruice
de Dieu que nos peres nous auoyent apprins
à bonne intention, nos Princes d’auiourd-huy,
leurs courtiſans, & à leur imitation vne infinité
d’autres gentils hommes & de bourgeois
& marchands, ne s’en font que rire & moquer.
Le ſoldat le deſpite & deteſt e : la cour pour le dire
en vn mot à l’exemple du Roy, & la plus grande
partie de France à l’exemple de la cour eſt pleine
de blaſphemes, d’atheiſme, & parmi eux l’epicureiſme,
l’inceſt e, la ſodomie, & toute autre ſorte
de lubricité, eſt vulgaire & familiere. Tu as ouy combien de fois la foy publique (qui deuſt eſt re
vn lien indiſſ oluble pour entretenir la ſocieté
humaine) y a eſt é violee, tellement qu’on ne ſcait
plus à qui lon ſe doit fier. Nous penſions qu’apres
tant d’Edict s rompus, celuy de la pacification
derniere, fait au mois d’Aouſt en l’an 1570.
ſeroit à la fin obſerué. Noſt re poure France
commençoit d’auoir quelque relaſche à ſes miferes : nous voyions ce nous ſembloit l’entree de mieux
eſperer. Les Huguenots ſe comportoyent fort
modeſt emẽt, quelques outrages qu’on leur ſceuſt
faire : ils aimoyent mieux les endurer, que d’vſer
d’aucune reuenge. Il eſt vray qu’ils recouroyent
au Roy & à ſon conſeil, pour la punition de ceux
qui les offenſoyent : mais combien que le Roy ne
fiſt que le ſemblant de leur en vouloir faire raiſon
cela les contentoit. Ils remirent les villes que le
Roy leur auoit baillé pour leur ſeureté & retraict e
& durant les deux ans, beaucoup pluſt oſt que le
terme aſsigné, entre les mains de ceux qu’il pleut
au Roy d’ordonner : qui fut cauſe que le Roy là
deſſ us, enuoya par tout ſon Royaume, des letres
patentes de confirmation de ſon Edict de paix,
n’oubliant rien de ce que luy & ſon bon conſeil
ſe pouuoyent aduiſer pour les appriuoiſer : &
faiſant comme le bon faulconnier qui veille les oyſeaux, & vſe de toute la diligence qu’il peut pour
leur faire oublier leur liberté, & les accouſt umer
au chapperon. Les principaux d’entre les Huguenots
vindrent à la cour au mandement du Roy,
ſe reſigner entre ſes mains, monſt rant d’auoir agreables
les tresbõs & treſnotables ſeruices qu’ils
luy faiſoyent & eſt bien certain que ſi le Roy euſt
pourſuyui à ſe ſeruir d’eux comme il auoit commencé,
il ſeroit auiourd’huy patron de Flandres :
& s’il euſt ſceu entretenir ce parti de religion, il
eſt oit pour eſt re eſleu Roy des Romains,
& ſon
beau-pere mourant appellé à l’Empire. Nous
penfiõs que ce tragique mariage du roy de Nauarres
& de la ſœur du Roy, qui auoit
oſt é toute deffiance aux Huguenots, ſeroit vne confirmation
de paix entre nous : quand ce mal-heureux coup
d’arquebouſe (qui fut tiré à l’Amiral, le meſme
iour, comme ie croy, de l’Edict de la pacification
derniere, à ſcauoir le 22. iour d’Aouſt , & par ainſi
le dernier iour des deux ans de retraict e aſſ euree)
me fit penſer & à beaucoup de mes amis auſsi,
qu’il y auoit dés long temps de la menee ſecrete
cõtre luy & les autres Huguenots, & que ce coup
traineroit apres ſoy quelque dangereuſe queue.
Ainſi comme ie le penſoy’ il aduint : non pas ainſi Ia
Dieu ne plaiſe que i’euſſ e iamais penſé, qu’ũ
ſi meſchant œuf deuſt eſt re ponnu, couué, & eſclos,
en la France ! Mais tant y a que ie me doutay
bien quand & quand, que les choſes eſt oyent preparees à quelque grand & inſigne malheur : tu l’as
ouy reciter, ſinon du tout, au moins en partie. Ie
te laiſſ e à penſer maintenant qui eſt l’homme de
bien, qui vouluſt habiter tant ſoit peu en France.
Quant à moy, & beaucoup de mes amis (bons
Catholiques François ie t’en aſſ eure) voyans la
deſloyauté & bizarrerie du Roy (puis qu’il faut
que ie le die) enſemble de ſon conſeil, compoſé
d’vne femme Italiene Florentine, de la maiſon de
Medicis, de penſionaires du roy d’Eſpagne, de pẽfionaires
& creatures du Pape, d’Italiens, de Lorrains,
& non d’autres, & le mal ſans remede : craignãs
que demain ou l’autre il ne nous en euſt fait
autant qu’aux Huguenots, ſi dauenture il en venoit
enuie au Roy, ou à ſes premiers conſeillers
qui nous en veulent, comme à ceux qui cognoiſſ ent
leurs deſſ eins & menees, & portent quelque affect ion au bien de la France. Craigant, dy-ie,
que tout à vn coup ils ne nous iettaſſ ent le chat
aux iambes & la rage ſur le dos, comme font ordinairement
ceux à qui il prend enuie de tuer leur
chien, & que ſur cela ils nous fiſſ ent noſt re proces
apres la mort, comme on a fait à l’Amiral : nous
auons mieux aimé nous en ſortir de bonne heure,
que d’y demeurer trop longuement. Sur tout
quand nous auons conſideré, que de tous les Princes
voiſins, les vns ne s’en ſouciẽt pas beaucoup,
les autres ſont bien aiſes de la ruine de tant de
François, de ſi grands perſonnages & de ſi bons
ſeruiteurs du Roy : & prennent plaiſir de voir le
Roy, ſe coupper du bras droict le gauche, & autres membres de ſon corps. Ie dy notamment
qu’ils y prenent plaiſir : car s’ils en eſt oyent marris, s’ils auoyent regret de voir vn ſi piteux ſpect acle,
ils s’y oppoſeroyent de faict , & l’empeſcheroyent
par force de paſſ er outre à ſe deſchirer ſoy-meſme, tout ainſi qu’õ fait à l’amy frenetique qui
ſe veut precipiter, lequel on veille & on retient à
force, le liant pieds & mains, quand il bleſſ e, bat,
ou tue. Mais quand ie voy que les Potentats voiſins
n’en tienent compte, non pas ſeulement de
luy faire entẽdre par letres & ambaſſ ades, le tort
qu’il ſe fait, & aux ſiens, de les maſſ acrer de la ſorte :
ie dy qu’ils en ſont bien aiſes, & que c’eſt le
doigt de Dieu qui eſt courroucé contre France :
que de quelque coſt é que le baſt vire, il faut que
ceſt e grande & floriſſ ante maiſon de Valoys prene
fin, & que ce braue & puiſſ ant Royaume , ſoit
tranſporté à quelqu’autre Prince, ou reparti entre pluſieurs. Là deſſ us, ie ſcay que le roy d’Eſpagne
entre autres Princes voiſins, a de ſi bonnes intelligences
en la France : il y a de longue main, de ſi
bons ſeruiteurs : ſes ducats de Cattille luy ont tãt
acquis de partizans & ſeruiteurs en France, voire
meſme au conſeil du Roy (ie ne veux pas dire que
le comte de Rets, Lanſac, Moruilliers, Limoges,
& Villeroy, en ayent penſion ordinaire, car on les
cognoiſt bien : ne que la maiſon de Gonzague ne
fut iamais qu’Eſpagnole) Que s’il veut ſeulement
employer le prince d’Orenge & le comte Ludouic
ſon frere, auec leur credit & leur force (comme
il luy ſera bien aiſé de les auoir à commandement,
autãt fideles ſeruiteurs qu’ils luy furent onques, en
leur laiſſ ant & à ſes autres ſuiets la liberté
de leur conſcience, & les remettant en leurs
biens, priuileges & eſt ats) ie m’aſſ eure que non
ſeulement ils luy rendroyent tous les pays bas raffermis
& paiſibles, mais auſsi en moins d’vn an la
France (diſt raict e & alienee pour le iourd’huy de
l’amitié de ſon Roy) toute paiſible & à ſa
deuotion.
Et ne faut ia douter que le prince d’Orenge,
& ſon frere, ne s’y employaſſ ent volontiers, tant
pour le tour que le Roy leur a ioué les mettant en
beſongne ſur ſa parole, & les laiſſ ant apres au dãger,
que pour l’enuie qu’ils doyuent auoir de rentrer
en grace par quelque bonne occaſion auec
leur prince naturel, & pour le bien & honneur qui
leur reuiendroit d’vne ſi belle entrepriſe. Quant
au roy d’Eſpagne, il a occaſion de ſe les reconcilier,
non ſeulement pour attraper ceſt e belle terre qui branſle : mais auſsi pour raffermir & aſſ eurer
ſon eſt at de Flandres, qui autrement eſt en
voye d’eſt re perdu, pour la bonne conduite de ce
vieil reſueur le duc d’Albe. Que ſi le roy d’Eſpagne
ne ſe veut ſeruir en ceſt affaire du prince d’Orenge,
aimant mieux perdre tout à plat ſon eſt at
de Flandres, que de le conſeruer par ſon moyen,
& en acquerir vn autre : cela s’appelle ſe courroucer
contre ſes morceaux. Mais quoy qu’il en ſoit,
s’il aime mieux y employer monſieur de Sauoye,
en luy laiſſ ant pour ſon partage, le Lyonois, Dauphiné
& Prouence, contigus à ſon eſt at : ie ne
doute pas que ce Prince, qui a occaſion de ſe reſſ entir
des torts que la France à fait à ſon feu pere & à
luy-meſmes luy qui eſt guerrier & ſage, & qui a la
reputation de garder inuioiablement la foy à ſes
ſuiets Huguenots, n’acquiere facilement & en peu
de temps, ſinon tout, au moins la plus grande partie
de France : Surquoy (pour les difficultez &
meſſ eances procedantes d’alliances & affinitez
que quelques vns pourroyent alleguer, pour deſguiſer
le mal qui eſt à la porte) ie diray que les
grands n’ont point accouſt umé de pardonner à
loix d’amitié, d’affinité, ou d’autre confederation
quelques ancienes qu’elles ſoyent, quãd il eſt
queſt ion d’amplifier & d’eſt endre leur Empire : ains
plantent touſiours les limites de leur terre, là où
la poinct e de leur eſpee peut arriuer.
Au demeurant, quant au roy d’Eſpagne, il n’a
pas faute de priſes ſuffiſantes ſur le Roy. Pour auoir
ſuborné les villes de ſõ obeiſſ ãce au pays bas
voulu ſubuertir ſes eſt as par pratiques : entretenu ſes rebelles en ſa cour, gratifié & honoré en toutes
ſortes. Auoir communiqué auec le comte Ludouic
pluſieurs fois, & approuué ſes entrepriſes,
auec grande attention, contentement, & promeſſ es. Luy auoir baillé aide de ſes ſuiets, & permis
d’entrer grande troupe d’iceux és pays bas, marchãs
à enſeigne deſployee par le royaume de Frãce.
Fait faire pluſieurs voyages à ſainct Remy, &
autres, qu’il enuoyoit vers le duc d’Albe, pour l’amuſer
& tromper, cependant que le Roy donnoit
moyen à l’execution des entrepriſes : & meſmes
en pratiquoit vne ſur Arras, par le moyen du petit
Refuge, qui eſt mort à Paris, luy eſt ant venu
dire qu’il enuoyaſt gens, & qu’il eſt oit temps, &
qu’il ne doutaſt nullement du moyen de la prendre.
Pour auoir donné ſeur accez en ſes haures
aux Pirates qui ont depredé ſes ſuiets. Commandé
à ceux de la Rochelle d’adminiſt rer viures aux
nauires du prince d’Orenge, & librement les laiſſ er
deſcharger leurs priſes, & les vendre. Permis
au veu & ſceu de tout le monde, que les Capitaines
de marine dudict Prince, fiſſ ent leurs equippages
de François, tant de mariniers que ſoldats.
Pour auoir fait des menees & pratiques ſur la Frãche comté. Auoir enuoyé le capitaine Minguetiere,
recognoiſt re les deſcentes du Perou, avec
nauire deſguiſé en marchandiſe, plein toutefois de
ſoldats, qui fut prins à la Spagnole. Auoir voulu
traict er la paix des Venitiens avec le Turc, pour
faire tomber toute la guerre ſur l’Eſpagnol : Et
pour auoir depuis la mort meſme de l’Amiral,
pratiqué par letres & meſſ ages le prince d’Orenge, chaudement & à bon eſcient : & pluſieurs autres,
qu’il ſeroit long à deduire. Voila quant au
roy d’Eſpagne.
Maintenant la royne d’Angleterre, laquelle tiẽt
la meſme religion en ſon Royaume, que les Huguenots
de France : qui a tant de priſes nouuelles
ſur le Roy (afin que ie taiſe les priſes ancienes,
que la ligue d’entre elle & le Roy auoit aſſ opies,
comme ceſt e tuerie les peut auoir reſueillees)
laquelle peut bien cognoiſt re auiourd’huy, que ceſt e
ligue ne ſe fit, que pour esblouir les yeux à l’Amiral,
& aux autres Huguenots de la France, afin
qu’ils ſe laiſſ aſſ ẽt mieux prẽdre à la pipee. Laquelle
cognoiſt maintenant, comme c’eſt que le Roy
ſcait garder ſa foy promiſe. Laquelle ſcait que
deux eſt ats voiſins ayans quelque cõtrepoids l’vn
auec l’autre, ne peuuent auoir amitié ne ligue enſemble
autre, que celle que la neceſsité ou la force
y entretient : & que l’vne ou l’autre y defaillãt,
il ne faut pas qu’elle s’attende aux promeſſ es de
ſon voiſin. Elle qui ſcait bien, que le Roy demandoit
les Myllords ſes plus ſpeciaux conſeillers,
pour les feſt oyer (comme vous pouvez penſer) en
ſa cour. Laquelle doit auoir cognu, que tout ainſi
que par les nopces de la ſœur en France, auſsi par
celles du frere en Angleterre (s’il y euſt peu paruenir)
on ſe fuſt efforcé d’y mettre bas le parti de
la Religion, & par conſequent ſon Royaume en
ruine. Qui ſcait bien que le Roy a tenu & tient
iournellement la main à la royne d’Eſcoſſ e ſa belle
ſœur, non ſeulement pour la faire euader. mais
poſsible pour plus haut deſſ ein & affaire. Que le Roy a voulu & taſché, comme il taſche encores
faire enleuer en Frãce le petit roy d’Eſcoſſ e, pour
mettre vn iour à venir toute la grãde Bretagne en
vn acceſſ oire dangereux : & qu’il entretiẽt la guerre
par forces & par menees le plus qu’il peut en
Eſcoſſ e. Elle qui eſt bien aduertie d’vne
entrepriſe faite n’agueres par le cõmandemẽt du Roy, ſur
l’Iſle de Gerſay, pour y ſurprẽdre & tuer ceux qui
y eſt oyent refugiez ſous ſa protect iõ. Ceſt e Princeſſ e,
à laquelle ſans doute tous les Huguenots regardent
attentiuement, luy adreſſ ans leurs prières
& vœus. Ie ſcay fort bien que toutes les fois qu’elle
voudra, il luy ſera fort aiſe (y employãt vn des
Myllords que le Roy demandoit, ou autre tel des
grans de ſon Royaume qu’elle voudra choiſir) de
ſe faire maiſt reſſ e de la terre, dõt elle ne porte que
le nom & les armes. Quãt aux Princes & Eſt ats
de l’Empire, ne doutez pas s’ils veulent (cõme ils
doyuẽt) qu’ils ne puiſſ ent recouurer maintenant,
les terres de Mets, Verdun, & Thou, que le Roy
a vſurpe ſur l’Empire & auec ce, paſſ er outre pour
ſe rẽbourſer des deſpẽs que l’Empereur Charles
leur lit faire deuãt Mets, & de ceux qu’ils ferõt au
recouuremẽt de ces terres. A voſt re auis, l’Elect eur
Palatin entre autres Prĩces de la Germanie,
n’a-il pas occaſiõ de ſe reſſ entir de ce que le Roy
taſchoit d’attirer en ſa cour le duc Chriſt ofle, &
d’endormir le duc Iean Caſimir, par des penſions
qu’il luy offroit, pendant qu’il faiſoit ſon appreſt
pour perdre tous ceux de la religiõ : & particulieremẽt
l’Amiral, que l’Elect eur aimoit ſingulieremẽt ?
Ie diray cela, que quãd ce Prince ſeul ſe voudra
eſuertuer & reſſ entir de l’outrage fait à l’Amiral & aux autres Huguenots, & qu’il y voudra employer
ſeulemẽt le comte de Mãsfield (auquel, &
à ſes Reiſt remaiſt res eſt deuë grade ſõme de deniers
par le Roy) le faiſant auec vne mediocre armee
(ſous couleur d’aller querir leur argẽt) entrer
vn peu auant en France (cõme la choſe luy eſt aiſee)
on ne vit iamais telle cõfuſion qu’il y auroit :
tout le mõde crieroit le haro & au meurtre, cõtre
ceux qui sõt cauſe de ces maux. Voila quãt aux prĩces
eſt rãgers, leſquels me ſemblẽt auoir vn beau ſuiet
d’entrer en Frãce. Mais ce que i’apperçoy au
dedans, eſt ce qui me trouble le plus. Ie ne doute
point que la maiſõ de Mõtmorẽcy, leurs parẽs, amis,
alliez, & partizãs, qui ſe ſentẽt vilainemẽt intereſſ ez
en la mort de l’Amiral, & de pluſieurs autres
ſeigneurs & gẽtilshommes qui leur appartenoyẽt
de ſang, d’alliãce, ou d’amitié : ne taſchẽt de
ſe venger en vne façõ ou en l’autre, du Roy, de ſa
mere, de sõ frère, de ceux de la maisõ de Guyſe, &
des autres cõſeillers, qui ont dreſſ e & fait executer
ceſt e tragedie en la Frãce : ou s’ils ne le fõt, ils
ſõt les plus ladres, les plus couards, & les plus deſloyaux
à leur ſang (afin que ie ne parle de leur patrie)
que gẽtilshõmes furẽt onques. De moins ne
peuuẽt-ils faire, que de ſe ioindre eux & leurs partizans,
au premier Prince eſt ranger qui branſlera
pour entrer en France : auſsi bien ſcauent-ils que
c’eſt fait d’eux, & de leur maiſon à iamais, celle de
Guyſe ne la lairra ia debout : le Roy meſmes à ce
que i’ay entendu, parlant ces iours paſſ ez à ſa mere
à biẽ ſceu dire, que par le corps Dieu il n’a riẽ
fait, s’il n’a les quatre fils Aymon, parlant des quatre
freres de Montmorency. Ils ont beau ſe tenir efcartez, l’vn en Languedoc, l’autre à l’Iſle-Adam,
l’autre çà, l’autre là,: l’on a beau faire ſemblant de
n’auoir ſouci que de la chaſſ e & de la vollerie : les
voyages qu’il a faits en cour, ny tout le viſage qu’il
y reçoit y eſt ant, ne le garantiront non plus que
l’Amiral : & s’il ſe ſouuient de l’aduis qu’il donna
au comte d’Aiguemont allant en Eſpagne, & de
la faute qu’il fit à ne le croire, il ne s’y fiera. L’autre
a beau s’employer à ce qu’on luy commande,
& les autres ont beau contrefaire les fats & les mitouards :
le Roy ne croira iamais qu’ils puiſſ ent
oublier l’iniure qui a eſt é faite à leur maiſon : ſon
conſeil eſt trop fin & ruſé, pour ſe laiſſ er perſuader
vue ſi grande aſnerie.
La maiſon de Guyſe, maintenãt qu’elle ſe voit
depeſt ree de ceux qui s’oppoſoyent à ſa grãdeur,
& leſquels ſeuls pouuoyent empeſcher ſes deſſ eins,
n’ayant plus que ceux-cy de Montmorency
à tuer, pour pouuoir dire, Tout le reſt e m’aime :
à voſt re aduis s’elle ſe ſcaura bien venger des
traict s, que la maiſon de Montmorẽcy luy a faits :
de ce beau liure des marchands de Paris, que le
mareſchal de Montmorency fit faire à la Planche
contre leur maiſon : de la peur & honte qu’il fit
receuoir au cardinal de Lorraine à ſon entree dans
Paris, dont la chanſon de fy-fy a prins ſon origine.
Et ie m’aſſ eure s’il ne gaigne le deuant, qu’il
ſera accommodé comme les autres.
Au reſt e, à quoy tient-il que ceux de Lorraine
(qu’on ſcait bien eſt re deſcendus de Charlemagne,
& priuez de la couronne de France) ne la recouurent
maintenant ? II ne tient ia qu’à vne habileté de main : Que s’ils y veulent aller à force
ouuerte (mais qu’il n’en deſplaiſe au Roy) meſſ ieurs
de Lorraine mettront deux fois plus de gẽs
en campagne, qu’il n’y en ſcauroit mettre. Ils ont
plus d’amis, & plus de villes partizanes qu’il n’a.
Et tenez vous pour tous aſſ eurez, qu’à tout euenement,
ſi la couronne de France s’en va perdre,
ou changer de maiſt re, ils l’aimeront mieux ſur
leur teſt e, que ſur celle d’vn Prince eſt rãger. Pour
ma part, ayant veu le peu de ſeurete qu’il y a ſous
le regne d’àpreſent ie l’aimeroy beaucoup mieux
(puis qu’il faut que ie le die) en la maiſon de Lorraine,
que là où elle eſt . Et diray vne choſe que le
Huguenot (deſpité pour iamais, & deſgouté en
toutes ſortes de la maiſon de Valois) ſeroit bien
aiſe, voire s’employeroit (à mon aduis) à ce que la
maiſon de Lorraine recouuraſt ce qui leur appartient :
s’aſſ eurant bien qu’elle lairroit la conſcience
du Huguenot libre & l’exercice de ſa religion,
& luy garderoit la foy qui luy auroit eſt é promiſe :
ſe ſouuenant du malheur que la deſloyauté auroit
apporté à ſon maiſt re. Deſia ont-ils donné
quelque occaſion aux Huguenots, de croire qu’ils
ne leur ſont pas ſi aſpres comme on crioit. Ils en
ont ſauué, comme a dit l’Hiſt oriographe, beaucoup,
& en ſauuent ſecretement tous les iours.
Au reſt e, ils ont fait porter la marote au Roy
(ſi vous y auez prins garde) de toute ceſt e tuerie,
tant pour n’en auoir le blaſme, que pour moyenner
que la furie des petits ou des grans s’eſleuant,
elle ſe deſcharge ſur celuy qui ſe vante de l’auoir
fait faire. Ils ſe ſont bien gardez, d’en vouloir prẽdre le faix ſur eux.
Mais voyons le traict qu’a faict Monſieur frere
du Roy, & la Royne ſa mere, en ceſt e tragedie
de Paris. Le ſamedi au ſoir, deuant le Dimanche
du maſſ acre, ils vindrẽt tous deux trouuer le Roy :
lls luy remonſt rent, ils le prient qu’il haſt e l’execution
de leur entrepriſe : ils ſcauoyent bien que
ſi ceſt e occaſion ſe perdoit, qu’ils ne la recouureroyent
iamais telle, comme ils l’auoyent lors ſur
les Huguenots : qu’ils les tenoyent tous dans le filé
qu’il leur auoit promis : que le moyen que ils
auoyent tant de fois tenté (mais en vain) de les exterminer,
eſt oit tout preſt & preſent : qu’il ne falloit
donc plus ſonger, qu’il eſt oit temps de s’en
reſoudre : que le roy d’Eſpagne (ſi les affaires du
prince d’Orenge alloyent mal, comme ils ſembloyent
decliner depuis la route de Genlis) ſcauroit
bien tout à temps ſe venger ſur la France, du
mal qu’il auoit receu par ſon moyen & ſupport
en ſes eſt ats du pays bas. Partant le ſupplioyent
qu’il y fiſt mettre la main à bon eſcient & ſoudainement,
dés ce ſoir la ſans plus tarder : qu’ils auoyent
donné ordre auec le duc de Guyſe, le duc
d’Aumale, le duc de Neuers, & le comte de Rets,
que toutes choſes fuſſ ent preſt es & diſpoſees.
Que ſi le Roy vouloit retarder plus longuement
l’execution, la Royne ſa mere le prioit auec larmes,
& ſon frere fort affect ueuſement de leur donner congé, en recompenſe des ſeruices qu’ils luy
auoyent faits : qu’ils eſt oyent reſolus de ſe retirer
hors de France, & de s’en aller en part où ils n’en
ouyſſ ent iamais parler.
Par ceſt e chaude alarme, ils eſmeurent ſi bien
le Roy, qu’il fut contraint de s’accorder qu’on executaſt
dés la nuict meſmes, ce qu’il auoit deſigné
de differer encore : pour voir cependant le
train que prẽdroit ſon eſperance de Flandres, par
le ſeruice que les Huguenots luy feroyent en ce
pays-la. Ie vous laiſſ e à penſer, quel traict la mere
fit en cela pour ſon fils bien-aime, contre le bien
de celuy qui pieç’a l’auoit deſpitee, & qu’elle n’aime
que bien peu dés quelque temps. En luy faiſant
pratiquer vne des leçons de Machiauelli, qui
eſt de ne garder aucune foy, qu’autãt qu’on la cuidera
tourner à ſon aduantage, elle luy a fait rompre
l’autre (que Denys de Sicile entendoit mieux)
entretenant pres de ſoy le plus meſchant hõme
du monde, ſur qui le peuple voulãt recouvrer
ſa liberté, peuſt vomir toute ſa cholere. Et par
meſme moyen la mere ayant attiré l’ire de Dieu
& des hommes ſur l’aiſné de ſes enfans, elle a armé
le m’aiſné d’vne grande & puiſſ ante armee,
qui luy eſt venue entre mains, comme lieutenant
general, ſous couleur de vouloir raſer les Huguenots
de deſſ us la terre. A voſt re aduis, eſt -il maintenant
à cheual ? a-il beau moyen d’accomplir ſes
deſſ eins, luy qui de ſi long temps abboye à la
couronne ?
L’hiſt . Ie n’auoy’ pas entendu ce traict : II eſt vray
que ie ſcauoy’ bien, que Monſieur auoit belle enuie
d’eſt re Roy, de quelque Royaume que ce fuſt :
& que le Roy & ſa mere, pour le contenter ayans
perdu l’eſperance du mariage & du Royaume
d’Angleterre, auoyent depeſché en Poloigne pour taſcher de le marier auec la Reginelle ſœur
du roy de Poloigne, toute vieille qu’elle eſt oit, eſt imans
que ce ſeroit vn bon moyen pour le faire
paruenir à ce Royaume là apres la mort de Sigiſmond
lors regnant. I’auois bien ſceu auſsi qu’apres
ceſt e depeſche, le Roy & la Royne ayans
eſt é aduertis que le roy Sigiſmond eſt oit mort ſur
ces entrefaites, auoyent enuoyé en ambaſſ ade
Monluc eueſque de Valẽce, par deuers les Polonois
auec des bien belles memoires & charge biẽ
ample de richement mentir de beaucoup promettre,
& de rien tenir : pour eſſ ayer par ceſt artifice,
de faire eſlire Monſieur à ce beau Royaume vacquant.
Maintenant tant plus ie penſe à ce ſtratageme
que tu m’as recité, tãt plus ie le trouue remarquable,
& digne d’eſt re logé en ſon reng au liure
de mes memoires. Mais ie m’aſſ eure biẽ ſi le Roy
y aduiſe de pres, qu’il empeſchera bien le deſſ ein
de l’autre.
Le pol. Tout auſsi bien comme l’autre ſe peut garder
d’eſt re attrapé, anticipãt ſon compagnon, par
vn gaillard contrantidote.
L’hiſt A bon chat, bon rat.
Le pol. Or ie veux laiſſ er ces grands iouer leurs
tours, comme mieux ils l’entendent : & acheuant
mon diſcours dire en vn mot, ce que ie penſe de
la portee des petits. Ie ſuis treſaſſ euré que quand
tous les autres ſe tairoyent, les vrais Catholiques
François & quelque nouueau Bodille, que les
Hiſt oriens nous recitent auoir iadis tué Childeric
roy de Frãce, ainſi qu’il reuenoit de là chaſſ e, pour
ce qu’il l’auoit fait fouëtter publiquement attaché à vn pal : & qui tua auſsi (outre de meſme deſpit) Vlcide la Royne enceinte, ſont bien gens
pour dõner eſchek-& mat à la maiſon de Valois,
s’ils entrent vn coup en furie.
Ali. Tu m’as remis à la mémoire ce que Ronſard
en fort bons termes, & ſans en rien diſsimuler,
a mis en eſcrit de Bodille dans ſa Franciade,
remiſe en lumiere depuis le maſſ acre de Paris,
quand en parlant de trois Rois freres, il dit tout à
propos.
Trois fait neants, groſſ es maſſ es de terre,
Ny bons en paix, ny bons en temps de guerre,
La maudiſſ on du peuple deſpité :
L’vn pour ſouiller ſon corps d’oiſiueté,
Pour n’aller point au conſeil, ny pour faire
Choſe qui ſoit au Prince neceſſ aire :
Pour ne donner audience à chacun,
Pour n’auoir ſoin de ſoy ny du commun,
Pour ne voir point ny palais ny iuſt ices,
Mais pour rouiller ſa vie entre les vices :
Traiſt re à ſon peuple,& à ſoy deſloyal,
Sans plus monter en ſon throne royal.
De ſes ſuiets comme peſt e hay,
A contre cœur des ſeigneurs obey :
Chaud de cholere, & d’ardeur inutile,
Fera fouëtter le Cheualier Bodille
En lieu public, lié contre vn poſt eau,
Tout deſchiré de veines & de peau :
Bodille plein d’vn valeureux courage,
Touſiours penſif en ſi vilain outrage,
Ne remaſchant que vengeance en ſon cœur
Lairra couler quelque temps en longueur :
Puis ſi deſpit, la fureur l’eſpoinçonne,
Que ſans reſpect de ſceptre ou de couronne
Tout allumé de honte & de courroux,
Ce Roy peu ſage occira de cent coups.
Luy de ſon Prince ayant la dextre teinct e,
Pres le Roy mort tuera la Royne enceinct e
D’vn meſme coup (tant ſon fiel ſera grand)
Perdant le pere, & la mere & l’enfant
Qui ſe cachoit dedans le ventre encore.
Et ſuyuamment adreſſ ant ſon langage au plus
ieune frere, que lon dit n’auoir rien ſceu de ces
deſſ eins ſanguinaires, pour le contenir en office,
il dit,
Seigneur Troyen, le Prince ne s’honore
De felonnie, il faut que la fierté
Soit aux lions : aux Rois ſoit la bonté,
Comme mieux nez, & qui ont la nature
Plus pres de Dieu que toute creature.
Et reprenant la deſcription de ce Roy, il
adiouſt e,
Ce Roy doit eſt re abuſé par flateurs
Peſt e des rois, courtizans & menteurs :
Qui des plus grans aſsiegeans les oreilles
Font les diſcrets, & leur content merueilles.
Le plus ſouuent les Princes s’abeſt iſſ ent
De deux ou trois, que mignons ils choiſiſſ ent :
Vrais ignorans, qui font les ſuffiſans,
Qui ne ſeroyent entre les artizans
Dignes d’honneur, groſſ es lames ferrees,
Du peuple ſimple à grand tort honorees :
Qui viuent gras des impoſt s & des maux,
Que les Rois font à leurs poures vaſſ aux :
Tant la faueur qui les fautes efface,
Fait que le ſot pour habile homme paſſ e
Quelle fureur ! qu’vn Roy pere commun
Doyue chaſſ er tous les autres pour vn,
Ou deux, ou trois ! & bleſſ er par audace
Vn maſle cœur iſſ u de noble race,
Sans regarder ſi le flateur dit vray !
Ce Childeric doit cognoiſt re à leſſ ay
Le mal qui vient de croire à flaterie,
Perdant d’vn coup & vie & ſeigneurie.
Le pol. A ce que ie voy, vrayement Ronſard triomphe
de dire, & touche de merueilleux poinct s. Ie
n’euſſ e iamais penſé, qu’il euſt oſé mettre ces choſes
ſi clairement en auant du viuant de ce Roy,
quoy qu’il les couche ſous d’autres noms feinct s.
Phil. Or confere ie te prie maintenãt ce que nous
auons veu, auec ce diſcours.
Ali. Certes c’eſt vn piteux eſt at, ie ne ſcay qu’en
dire.
Le pol. Comment eſt -il poſsible que Ronſard ait
publié cela ?
Ali. Il en dit bien d’auantage : Il deſcrit bien encores
plus particulierement ce Roy & ſon règne,
ſous le nom de Chilperic : l’impudicité de
la cour, les meurtres, l’eſt oille nouuelle qui apparoiſt ,
& autres ſignes : l’obſt inatiõ du Roy iuſqu’à
predire qu’il eſt ouffera ſa femme pour eſpouſer
ſa putain.
Le pol. He ie te prie ſi tu te ſouuiens de ce qu’il en
dit, recite-le moy.
Ali. Ie n’ay pas retenu le tout : mais voicy ce que
i’en ſcay.
C’eſt Chilperic indigne d’eſt re Roy,
Mange ſuiet, tout rouillé d'auarice,
Cruel tyran, ſeruiteur de tout vice :
Lequel d’impoſt s ſon peuple deſt ruira,
Ses citoyens en exil bannira.
Affamé d’or, & par armes contraires,
Voudra rauir la terre de ſes freres.
N’aimant perſonne, & de perſonne aimé,
Qui de putains vn ſerrail diffamé,
Fera mener en quelque part qu’il aille :
Soit temps de paix, ou ſoit temps de bataille,
En voluptez conſumera le iour,
Et n’aura Dieu que le ventre & l’amour,
Du peuple ſien n’entendra les complaintes,
Toutes vertus, toutes couſt umes ſainct es
Des vieux Gaulois, fuyront deuant ce Roy :
Grand ennemy des paſt eurs de ſa loy.
Les eſcoliers n’auront les benefices,
Les gens de bien les honneurs des offices.
Tout ſe fera par flateurs eshontez,
Et les vertus ſeront les voluptez.
Iamais d’enhaut la puiſſ ance celeſt e,
Ne monſt ra tant ſon ire manifeſt e,
Et iamais Dieu le grand Pere de tous
Ne monſt ra tant aux hommes ſon courroux :
Signes de ſang, de meurtres, & de guerre,
De tous coſt ez vn tremblement de terre
(Horrible peur des hommes agitez)
De fonds en comble abbatra les citez.
Iamais les feux la terre ne creuerent
En plus de lieux, iamais ne s’eſleuerent
Plus longs cheueux de Cometes aux cieux.
Iamais le vent (eſprit audacieux)
En fracaſſ ant & foreſt s & montagnes,
Ne fit tel bruit : le ballay des campagnes,
Les pains couppez, de ſang ſe rougiront,
En plein hyuer les arbres fleuriront :
Et toutefois par ces menaces hautes,
Ce meſchant Roy n’amendera ſes fautes :
Mais tout ſuperbe, en vices endurcy,
Contre le ciel eſleuant le ſourcy
Au cœur bruſlé d’infame paillardiſe
Eſtouffera contre ſa foy promiſe,
En honniſſ ant le ſainct lict nuptial,
Sa propre eſpouſe, eſpoux tresdeſloyal,
Ioinct e à ſon flanc, le baiſant en ſon lict ,
Seure en ſes bras, l’eſtranglera de nuict .
Cruel tyran ! à qui deſſ us la teſt e
L’ire de Dieu pend deſia toute preſt e.
Puis en parlant de ie ne ſcay quel Clotaire,
& de la vengeance qu’il fera de la Royne-mere,
qu’il entend ſous le nom de Brunehaut, il adiouſt e
apres,
Sage guerrier victorieux & fort
Qui pour l’honneur meſpriſera la mort,
De Brunehaut princeſſ e miſerable
Fera punir le vice abominable,
Luy attachant à la queuë d’vn cheual
Bras & cheueux : puis à mont & à val
Par les rochers, par les ronces tiree,
En cent morceaux la rendra deſchiree :
Si qu’en tous lieux ſes membres diffamez,
Seront aux loups pour carnages ſemez.
Les Leſt rigons, les Cyclopes, qui n’ont
Qu’vn oeil au front, en leur rochers ne ſont
Si cruels qu’elle, à toute peſt e nee :
Qui en filant menee ſur menee,
Guerre ſur guerre, & debats ſur debats,
Fera mourir la France par combats :
Mais à la fin ſous les mains de Clotaire
Doit de ſes maux receuoir le ſalaire.
Le pol. Mon Dieu, qu’eſt -ce là ? qui vit iamais deſcrire
mieux les choſes deſſ ous noms couuerts?
He que ces Poetes ſont grands ouuriers ? il y en a
mille & mille qui liront cela ſans l’entendre, & ce
pendant on n’en ſcauroit dire dauantage en peu
de mots.
Ali. Le bon eſt , que Iamyn qui a fait les argumẽs
de la Franciade de Ronſard, & qui cognoiſt bien
le ſens caché ſous l’eſcorce, & l’intention de l’Auteur
l’a eſclarcy en l’argument du 4. liure, quand
en parlant de l’erreur Pythagorique, touchant la
tranſmigration des ames, il dit que Ronſard ſe
ſert expres de ceſt e fauſſ e opinion, afin que cela
luy ſoit comme vn chemin & argument plus facile,
pour faire venir les eſprits des vieux Rois en
nouueaux corps : car ſans telle inuention, il euſt
fallu ſe monſt rer pluſt oſt Hiſt oriographe, que
Poëte.
Le pol. Voila qui va bien. Mais ſi ſeroy’-ie bien
marri que la prophetie de Ronſard aduint touchant
ceſt e poure Princeſſ e la Royne regnante,
qu elle fuſt eſt ouffee par ſon mari : quant à Brunehaut, il ne me chaut quoy qu’il luy puiſſ e aduenir.
Que pleuſt à Dieu quelle ne fuſt iamais venue en
France, nous ne ſerions pas és peines où nous
ſommes. Mais ie te prie, conſidere vn peu quel argument
Ronſard baille à tous François, quand il
monſt re l’entrepriſe executee par Bodille, contre
le roy Childeric, ſa femme, & ſon enfant, pour auoir
eſt é ſeulement fouetté. A ton aduis, n’eſt -ce
pas autant que s’il diſoit, en argumentãt du moindre
au plus grand : Vous tous qui auez eſt é en dix
mille ſortes plus inhumainemẽt traict ez que Bodille,
en vos perſonnes, honneurs & biens, de vos
femmes & enfans : Vous deſquels les plus proches
parens, alliez, amis & voiſins ont eſt é meurtris
& violez, contre tout droict , contre la foy publique :
s’il y a quelque cœur maſle iſſ u de noble
race, s’il y a quelque generoſité de reſt e entre
vous, que ne la monſt rez vous à ceſt e fois contre
ce traiſt re à ſon peuple, & à ſoy deſloyal ? cõtre ce
mange-ſuiect , cruel tyran, affamé d’or, n’aimant
perſonne ? ce meſchant Roy, en vices endurcy (car
voila vne partie des titres qu’il luy baille) Ne
voyez-vous pas ſes deportemens, ceux de ſa mere, de
ſon frere, de ſes autres conſeillers que ie vien de
deſcrire : attendez-vous à voir dauantage de ſignes
du ciel ? ou plus de teſmoins en la terre de
ſon infame deſloyauté ? comme s’il diſoit, Vous
ne ſcauriez. Aſſ eure-toy Alithie, que Ronſard
eſt merueilleuſement ſubtil, il ſcait bien pinſer
ſans rire.
Ali. Ouy pour le ſeur : Que ie ſeroy’ aiſe que on
entendiſt bien ſon diſcours, pour eſt re eſmeus chacun en ſon deuoir. Mais ie ne voudroy’ pas
que le tyran ſceuſt qu’il euſt eſcrit quelque choſe
de luy, ſous quelque eſcorce que ce ſoit : ſans doute
il le feroit mourir, ou pour le moins il l’en feroit
deſdire par force, cõme il a fait eſcrire à monſieur de Puybrac par viue crainte, & auec la promeſſ e
d’vne abbaye, vne epiſt re en latin à Staniſlaus Heluidius Polonois, pour donner couleur à ſa
trahiſon du 24. d’Aouſt .
Le pol. Tu dis vray, I’ay veu ceſt e letre dont tu
parles, ie ne penſoy ’ pas que ce fuſt Puybrac qui
l’euſt faite : il ne s’eſt oſé nommer de honte le poure
homme. Mon Dieu, que ie le regrette ! il n’a
gueres profité iuſqu’à preſẽt, auec tous ſes eſcrits
enuers les Polonois : tout le monde cognoiſt deſia
par trop la trahiſon de celuy, à la louange duquel
il s’eſt efforcé d’eſcrire. Il ne faut auiour
d’huy que les traict s que tu m’as recité de Ronſard,
pour faire deuiner que c’eſt , & de qui il parle :
& ſi l’Hiſt oriographe met en lumiere ce qu’il
en ſcait, comme il nous le vient de racompter, cela
eſt trop plus que ſuffiſant pour mõſt rer à tous
gens de bien, la preudhommie des meurtris, & la
felonnie des meurtriers.
L'hiſt . Ne doute pas que ie ne le publie, auec toutes
les circonftãces des tours qu’ils ont ioué pour
ſurprendre ces poures gens : les letres, les menees
plus ſecretes, les larmes feinct es, les mots couuerts :
tout ſera deduit par le menu. L’arreſt du
parlement auſsi qu’ils ont donné contre l’Amiral,
long temps apres ſa mort : & celuy contre Briquemaut
& Cauagnes, Ie n’en oublieray rien, Dieu aidant.
L’egl. Que dis-tu de l’arreſt contre l’Amiral, &
de celuy contre Briquemaut & Cauagnes ?
Ie ne t’entens pas : a-il quelque arreſt donné
cõtr’eux ?
L’hiſt . N’en ſcauez-vous autre choſe ?
L’egl. Non.
L’hiſt . Ie vous le diray. Apres la mort de l’Amiral,
& le maſſ acre fait ſur les Huguenots dans Paris le 24. d’Aouſt : le 26. enſuyuant, le Roy (comme
ie vous ay dit) alla au palais de Paris : & là ſeant,
aduoua tout le maſſ acre auoir eſt é fait par
ſon aduis & propre mouuement, commandant
que lon informaſt de la conſpiration qu’il auoit
fait mettre à ſus à l’Amiral, auec les teſmoins qui
ſeroyent trouuez les plus propres. Ce commandement
& arreſt fait, la cour de Parlement (apres
auoir dit que le Roy auoit bien & vertueuſement
fait, en faiſant meurtrir les Huguenots) deputa
commiſſ aires, fit informer parmi les tueurs, forma le
procez au meurtri, & pareillement à Briquemaut
& à Cauagnes (qui furent faits priſonniers
en ces iours-la de maſſ acre, & reſeruez pour ſeruir
de bonne couuerture à quelque ſolennelle execution,
qu’il leur ſembloit deuoir eſt re faite par
les voyes de iuſt ice ordinaires.) Il s’enſuyuit en fin
arreſt , par lequel (veues par la chambre ordõnee
par le Roy en temps de vacations, les informations
faites apres la mort, interrogatoires, confeſſ ions
& denegations de quelques priſonniers, &
les autres papiers qu’ils voulurẽt dire auoir veus)
ledict Amiral fut déclaré auoir eſt é crimineux de leſe maieſt é, perturbateur & violateur de paix, ennemy
de repos, tranquillité, & ſeurete publique :
chef principal, autheur & conduct eur de la dict e
conſpiration, faict e contre le Roy & ſon eſt at : Sa
memoire damnee, ſon nom ſupprimé à perpetuité.
Et pour reparation deſdict s crimes, ordonné
que le corps dudict Amiral (ſi trouuer ſe pouuoit,
ſinon en figure) ſeroit prins par l’executeur
de la haute iuſt ice, mené, conduict & trainé ſur vne claye,
depuis les priſons de la conciergerie du
Palais, iuſques à la place de Greue : & illec pendu
à vne potence, qui pour ce faire ſeroit dreſſ ee &
erigee deuant l’hoſt el de ville, & y demeureroit
pendu l’eſpace de vingt & quatre heures : Et ce
faict , ſeroit porté & pendu au gibet de Montfaucon,
au plus haut & eminent lieu. Les enſeignes,
armes, & armoiries dudict feu Amiral, trainez à
queues de cheuaux par les rues de Paris, & autres
villes, bourgs & bourgades où elles ſeroyent trouuees
auoir eſt é miſes à ſon honneur, & apres rompues
& briſees par l’executeur de la haute iuſt ice,
en ſigne d’ignominie perpetuelle, en chacun lieu
& carrefoux, où lon a accouſt umé faire cris &
proclamations publiques. Toutes les armoiries
& pourtraict ures dudict feu Amiral, ſoit en
boſſ e, ou peinct ure, tableaux, & autres pourtraits
en quelque lieu qu’ils ſoyent, caſſ ez, raſez, rompus
& lacerez : Enjoignant à tous iuges Royaux,
de faire executer chacun en ſon reſſ ort pareille laceration
d’armoiries, & à tous ſes ſuiets du reſſ ort
de Paris, de n’en garder ou retenir aucunes : Tous
les biens feudaux dudict feu Amiral mouuans de la couronne de France, reunis & incorporez au
domaine d’icelle, & les autres fiefs & biens tant
meubles qu’immeubles, acquis & confiſquez au
Roy : declarant les enfans de l’Amiral, ignobles,
vilains, roturiers, infames, indignes & incapables
de teſt er, ne tenir eſt ats, offices, dignitez & biens
en France : leſquels, ſi aucuns en ont, ladict e
chambre declaroit acquis au Roy : Ordonnant
que la maiſon ſeigneuriale & chaſt el de Chaſt illon
ſur Loin, qui eſt oit l’habitation & principal
domicile dudict Coligny, enſemble la baſſ e cour,
& tout ce qui depend du principal manoir, ſeront
demolis, raſez, & abbatus, & deffendu de iamais
y baſt ir, ny edifier : & que les arbres plantez és
enuirons de ladict e maiſon & chaſt el, pour l’embelliſſ ement
& decoration d’icelle, ſeront coupez
par le milieu : & en l’aire dudict chaſt eau, vn
pillier de pierre de taille erigé, auquel ſeroit miſe
& appoſee vne lame de cuyure, en laquelle ſeroit
graué & eſcrit ledict arreſt : & que doreſenauant
par chacun an le 24. iour d’Aouſt , ſeroyent
faites prieres publiques & proceſsions generales
dans Paris, pour rendre graces à Dieu de
la punition de la conſpiration faite contre le Roy
& ſon eſt at. Le ſemblable & pareil arreſt (excepté
quant à ceſt e derniere clauſe, touchant le
demoliſſ ement de maiſon) fut donné contre Briquemaut
& Cauagnes. Si furent leſdict s arreſt s
prononcez & executez le 27. & 29. d’Oct obre,
1572. l’vn ſur vn fantoſme au lieu du corps de l’Amiral
(lequel auoit pieça eſt é emporté de Mõtfaucon,
& dependu par quelques vns qui l’auoyẽt reueré en ſon viuant) Et fut l’autre arreſt executé
ſur les perſonnes propres deſdict s Briquemaut &
Cauagnes, en la preſence du Roy qui les voulut
voir mourir : eux proteſt ãs du tort qu’on leur faiſoit,
& en demandans vengeance à Dieu.
L’egl. Ie puis bien dire maintenant auec Dauid,
parlant de la meſchanceté des miniſt res de Saul,
& de leur iniquité & iniuſt ice.
Entre vous conſeillers, qui eſt es
Liguez & bandez contre moy,
Dites vn peu en bonne foy,
Eſt -ce iuſt ice que vous faites ?
Enfans d’Adam, vous meſt ez-vous,
De faire la raiſon à tous ?
Ainçois voz ames deſloyales
Ne penſent qu’à meſchanceté,
Et ne peſez qu’iniquité,
En voz balances inegales.
Car les meſchans dés qu’ils ſont nez
Du Seigneur ſont alienez.
Ali. Les iugemens de Dieu ſont grans : Mais ie
veux bien dire en paſſ ant (ſans entrer aux particulieres
occaſions de courroux que tous hommes
donnent à Dieu par leurs pechez, & ſur tous, ceux
qui ſcauent la volonté du maiſt re & ne la font,
car cela eſt immenſe) qu’il ne ſe pouuoit faire, que
le Seigneur ne fuſt merueilleuſement emeu à ire,
de ce que les Huguenots (comme s’ils euſſ ent perdu
toute ſouuenance des bien-faits de Dieu, qui
ſeul les auoit iuſqu’à lors conſeruez : voire tant de
fois & par miracles tant extraordinaires retirez
d’extremes perils) n’auoyent les yeux ny l’eſperance d’aucun repos ou felicité, que ſur le mariage
du roy de Nauarre (comme s’il eulſt eſt é le ſauueur
de l’Egliſe) ayans bien quelque peu, voire
trop legerement inſiſt é ſur la forme, mais ſur la
matiere nullement.
L’egl. Il eſt certain : Et ceſt e faute me poiſe beaucoup :
Mais cependant i’ay tant d’aſſ eurance de la
loyauté de mon eſpoux, qu’il ne laiſſ era d’accomplir
le contract de noſt re alliance : ce qu’il a eſt é,
il eſt , & ſera à iamais.
Ali. Il faut tenir ceſt e reſolution, & s’y conſoler :
que Dieu eſt tout ſage, tout bon, tout puiſſ ant, &
ialoux de ſa gloire, & partant qu’il ne veut rien
perdre du ſien : & qu’eſt ant la meſme verité, il ne
defaudra vn ſeul iota de ſa parole, à ſçauoir de ſes
promeſſ es enuers ſes enfans, & de ſes iugemens
enuers ſes ennemis, & le temps eſt pres.
L’egl. Mais ſurquoy eſt -ce ie vous prie que ces
meſchans ont pris leur argument pour tout rauager
& deſt ruire, qu’elle occaſion en auoyent ils ?
car de ceſt e conſpiration qu’ils ont impoſee aux
mieux, c’eſt vne couuerture ſi ſotte qu’on y voit
le iour au trauers.
Ali. Ie ne ſache point qu’ils ayent eu autre occaſion
de ce faire, que celle que Cain eut en tuant
Abel, celle d’Herode en faiſant meurtrir les enfans.
Le tout pour enſuyure les loix qui eſt oyent
bien au long couchees dans les memoires qu’on
bailla à l’Amiral deuant les nopces, que pleuſt à
Dieu qu’il les euſt creues, & que quelque iour
tout le reſt e des gens de bien y prene garde pour
euiter à leurs ſurpriſes.
Le pol. L’hiſt oriographe ſcait bien les principaux
poinct s ſur leſquels la Royne-mere, qui tient ſes
enfans dans la manche, & la France deſſ ous ſes
pieds, auoit voulu prendre ſubiect de ſe forger
vne haine irreconciliable contre les Huguenots.
L’hiſt . Pource qu il ſeroit trop long de reciter à
preſent tous les particuliers incidens de ceſt e matiere,
ie remettray à les deduire ailleurs amplement :
& pour ceſt e heure vous diray, que rien ne
l’a tant piquee contre les Huguenots, que la publication
de ſes letres en pleine diette de Francford
(en la preſence de l’Empereur Ferdinand, &
de ſon fils & preſent Empereur) Ie dy l’original,
eſcrit & ſigné de ſa main, par leſquelles elle auoit
fait prendre les armes au prince de Condé aux
premiers troubles, & dont par conſequent il eſt oit
tout apparent, qu’elle auoit allumé le feu en
France.
Et pour de tant plus legitimer ſa vengeance,
elle s’eſt voulu perſuader, qu’autres que les
Huguenots n’auoyent publié ſon impudicité : Et que
la reputation qu’elle auoit d’eſt re ſorciere venoit
d’eux, ce qu’elle ne pouuoit ſouffrir eſcouler
de ſa memoire : meſmement que par leurs eſcrits
elle cognoiſſ oit bien, qu’il ne tiẽdroit à eux qu’ils
ne luy tiraſſ ent le gouuernement & authorité des
poings : Qu’elle cognoiſſ oit bien auſsi, que l’Amiral
n’oublieroit iamais les tours qu’elle luy auoit
faits, & partant le vray expedient de leur oſt er
(aux vns en general le moyen de luy mal faire, & à l’autre en particulier de ſe reſſ entir) c’eſt oit
de tout exterminer, par les voyes que nous
auons touchees au commencement de noſt re diſcours,
ſe confirmant en ce deſſ ein par pluſieurs
autres impreſsions, qui d’elle-meſme & d’ailleurs
luy ſuruenoyent tous les iours : mais ſur toutes,
celle qui eſt ſucceſsiue & à ſa maiſon, & à ſa nation,
à ſçauoir, de hayr à mort ceux qu’vne fois ils
ont offenſez, & qu’il ne ſe faut reconcilier à vn ennemy, que pour le deſt ruire.
Ce qui l’irrita auſsi bien fort, fut vn tableau de
quatorze ſeruiteurs ſecrets de la Royne, entre
leſquels le Peron tenoit le premier reng peints au
vif auec elle. Lequel le Cheualier de la Battereſſ e
ſuppoſa vn iour (ainſi que l’on m’a dict ) au
lieu d’vn deſſ ein de ſa maiſon des Tuyleries,
qu’il trouua ſur le lict de l’antichambre de la Royne,
& l’enleua ſubtilement, logeant en ſa place le
tableau, lequel toſt apres fut veu au grand regret
de la Dame & detriment de ſa bonne renommee.
Le pol. Mais pourquoy eſt -ce que la Battereſſ e fit
ce tour-là.
L’hiſt . On m’a dict que ce fut par deſpit, & à
cauſe de la ialouſie qu’il auoit conceu de ſe voir
poſt poſé à tant de vilains, de voir (di-ie) qu’il n’auoit
peu eſt re receu en meſme charge auec ces
quatorze, luy qui comme bon & beau eſt alon penſoit
l’auoir mieux merité.
Ceſt e ſuppoſition de tableau enuenima fort la
Royne contre les Huguenots, qu’elle cuydoit luy
auoir ioué ce tour.
Pareillement elle s’eſt fort offenſee de certaine
Rithme, parlant des Roynes Fredegonde &
Brunehaut, & de Iezabel & Catherine, & la monſt rant
eſt re pire que Iezabel ne fut iamais : pour
ce qu’elle a touſiours creu que ces bõs offices luy
eſt oyent faits de la part des Huguenots : Ie m’en
vay te reciter les vers,
Si France pure de loix,
Pleine d’équité & droiture,
A ſouffert tout à la fois
Ruine & deſconfiture
Par la Royne Fredegonde
Maſt inant le François monde
Auec ſon Landry infect ,
S’elle a eſt é en effect
Foulee par Brunehaut,
Iezabel qui moins ne vaut
Et ſon eſt alon Gondy
Qui de plein ſault a bondy
Plus haut que nul de nos Princes,
Pourquoy parmy nos prouinces,
Maintenant qu’il n’y a loy
Ne couſt ume qui ſe garde,
Maintenant qu’il n’y a foy
Ny eſt ats qui les engarde,
Ne feront-ils de rauage
D’oppreſsion & carnage ?
Parle qui parler voudra
Tant que Iezabel voudra,
Mais que dy ie Iezabel,
I’entens dire Catherine
Qui la grand tour de Babel
Confuſion & ruine
De la maiſon de Valois
A baſt y comme tu vois
Aux quatre coings de la France,
Et qui eſt mille fois pire,
Ainſi que tu m’orras dire,
Que ne fut onc Iezabel,
Qu’il ſoit vray, le fait eſt tel.
S’on demande la conuenance
De Catherine & Iezabel,
L’vne ruine d’Iſrael,
L’autre ruine de la France :
Iezabel maintenoit l’idole
Contraire à la ſainct e parole
L’autre maintient la Papauté
Par trahiſon & cruauté :
L’vne eſt oit de malice extreme,
L’autre eſt la malice meſme :
Par l’vne furent maſſ acrez
Les prophetes à Dieu ſacrez ;
L’autre en a fait mourir cent mille
De ceux qui ſuyuent l’Euangile :
Iezabel pour auoir ſon bien
Fit mourir vn homme de bien :
L’autre n’eſt encor’ aſſ ouuie
S’elle n’a les biens & la vie :
En fin le jugement fut tel,
Les chiens mangerent Iezabel,
Par vne vengeance diuine :
La charongne de Catherine,
Sera differente en ce poinct :
Les chiens meſmes n’en voudront point.
Voila à mon aduis les choſes qui ont ainſi fait
enrager ceſt e bonne dame. Et penſes tu ſi elle ne
ſcauoit au vray que Ronſard a faict les autres vers
qu’Alithie recitoit tantoſt d’elle & de ſes enfans,
qu’elle ne creuſt : que c’eſt quelque Huguenot qui
la gallope de la ſorte, quoy qu’elle donne auec les
ſiens par trop d’argumẽt aux Papiſt es de crier aux
armes contre eux.
Ali. Ie le croy biẽ : Mais encore ne touchez-vous
point à la vraye matiere qui l’a reduite à ces furieuſes
idées. Tenez pour certain, que ceux qui
vomiſſ ent comme elle, le don celeſt e (à ſcauoir
la cognoiſſ ance de Dieu en ſon Fils Ieſus Chriſt
qui eſt ſa parole) & malicieuſement ſe bandent
contre la verité qu’ils cognoiſſ ent, ne trouuans aucun
lieu de repentance, ſont tellement abandonnez
de Dieu, qu’ils entrent aiſement en ceſt e rage
canine, qui les fait mordre & deuorer tout ce
qu’ils rencontrent.
Phil. Vous m’auez fait ſouuenir d’vn ſonnet qui
fut fait pour elle y a enuiron cinq ans, ſur ce ſubiect ,
lequel i’ay retenu par cœur, & ie le vous reciteray
preſentement.
Lors qu’vn zele baſt ard, enfant de l’ignorance
Ton Henry furieux incitoit à pourſuyure
Par feu, ſang & tourmens, ceux qui deſiroyent viure
En la crainte de Dieu ſous ſon obeiflance,
Lors d’vne voix commune on bruyoit en la Frãce
Que (du monde caduc ta penſee deliure)
Des mains, des yeux, du cœur, ſans ceſſ e au ſacré liure
Tu recerchois de Dieu la vraye cognoiſſ ance :
Mais ayant ſauouré par ton libre vefuage,
L’imperieux honneur, nay de ton mariage,
Il ne faut s’eſt onner (auſsi n’eſt -il et range)
Si lon t’a ſoudain veu deſchoir de telle grace :
Car la truye a de propre & tient cela de race,
De retourner au baing de ſa première fange.
Le pol. le vous laiſſ e à penſer de quel naturel peuuent
eſt re ſes enfans, qui ſont nourris de ſon laict ,
& dreſſ ez ſa main. Et en cela remarquez la lourde
faute que firent ceux qui auoyent puiſſ ance d’y
pouruoir apres la mort du roy Henry, qui au lieu
de s’en ſaiſir (pour les faire inſt ituer en toutes vertus)
luy en laiſſ erent le gouuernement, pour en faire
des exemplaires de toute deſloyauté & execration :
& pour le comble de tout malheur, elle les a
faits inſt rumens de leur ruine, de l’eſt at & de la
couronne dont elle a receu tant d’honneur.
Phi. C’eſt vne choſe eſt range, que d’ouyr les propos
que le Roy tient, & de l’endurciſſ ement que
Dieu a mis en luy : en ſorte que ſi Dieu ne luy retardoit
ſes malheureux deſſ eins, le ſang de ſon peuple
regorgeroit iuſques aux ſommets des montagnes,
ſi tant il en pouuoit reſpandre.
Ali. Dieu pour certain eſt courroucé, & pour l’appaiſer,
faut s’humilier deuant luy, autremẽt qu’on
n’a fait par le paſſ é : & que les diſcours & iugemẽs
humains cedent aux ſiens, ſe reſignant & ayant recours à ſa bonté & prouidence, par prieres
continuelles
& ardentes, auec aſſ eurance qu’il a la volonté
& la puiſſ ance de deliurer les ſiens quand il
ſera temps.
L’egl. O Seigneur, mets ce tyran en la puiſſ ance
d’vn meſchant, qui ne s’eſt udie qu’à le tourmenter
Que Satan ſoit touſiours à ſes coſt ez. Fay que
luy & ſes bourreaux conſeillers & ſatellites, ſoyẽt
par toute la terre recognus pour tels qu’ils ſont.
Accourcy leurs iours, & pouruoy, ô Dieu, en leur
place, de gens qui ſoyent ſelon ton cœur. Que
leurs enfans ſoyent orphelins, leurs femmes vefues :
Les leurs vagabons & errans ſoyent dechaſſez
de leurs maiſons, cerchans leur pain, ſans que
perſonne s’auiſe d’eſt ẽdre ſa miſericorde ſur eux.
L’vſurier attrape leurs biens, & l’eſt ranger leur
ſubſt ance. Leur poſt erité ſoit oſt ee du monde, le
nom, dy-ie, de ce tyran ſoit aboli de la terre. Que
l’iniquité de ſes peres ſoit continuellement deuat
toy, & n’efface point les pechez de ſa mere : d’autant
que tant s’en faut qu’ils ayent eu ſouuenance
d’aider le poure en ſon aduerſité, qu’au contraire
ils n’ont tendu qu’à tourmenter les perſonnes oppreſſ ees,
laſſ ees, chetiues, & angoiſſ ees, iuſques à
leur pourchaſſ er la mort, voire apres la mort les
pourſuyure.
Ils ont aimé la mal-encontre,
Fay donc, Seigneur, qu’ils la rencontrent :
La bonne encontre ils ont haye,
Que deux bonne-encontre s’enfuye.
Soyent entortillez de tous maux ainſi que d’vn habillement :
Mais aide moy mon Dieu, mon Roy, & par ta bõté ſauue moy : Car Seigneur, ie remets
en toy & moy & mon affaire, n’ayant eſperance
qu’en ta bonté, & attendant ta iuſt ice ſur les peruers
& iniques. Accompli & parfay ton œuure,
Seigneur. Mets en veuë la preud’hõmie des tiens,
afin que leur innocence & bonne vie reluiſe & apparoiſſ e
comme tu l’as promis, Que ſi (comme il
peut eſt re, & toy ſeul le cognois Seigneur) il y a
quelques vns de tes enfans meſlez parmi ces deſloyaux,
comme nous auons iadis veu Paul tõ vaiſſ eau
eſleu perſecuter les tiens auant ſa conuerſiõ :
Abbrege les iours, Seigneur, haſt e le tẽps de leur
vocation, afin que parauenture ils ne ſoyent comprins
ſous meſmes iugemens, & periſſ ent parmi
les faux vieillards de Suſanne. Suſcite tõ Daniel,
Seigneur, pour la iuſt ification de ta ſeruante, &
nous exauce pour l’amour de Iefus Chriſt tõ Fils
noſt re Seigneur.
Ali.
Adonc tous pleins d’eſiouiſſ ance
Tes enfans qu’on a oppreſſ ez,
Voyans deſrompus & caſſ ez
Les peruers par iuſt e vengeance,
Dedans le ſang ſe baigneront
De ces meſchans, & puis diront :
L’innocent ne perd point ſa peine,
C’eſt vn poinct du tout arreſt é,
Quoy que le iuſt e ait enduré,
C’eſt vne choſe bien certaine
Qu’il eſt vn Dieu, qui iuge icy,
Les bons & les mauuais auſsi,
Dan. Ie fuis innocẽt de ce ſang reſpandu : Et pour
dire ce qu’il me ſemble d’vne telle perfidie & cruauté & d’vn ſi peruers iugement, Apres auoir
veu pieç’a (cõme auſsi tout le monde a peu voir)
la confeſsion de foy de ces vieux Lutheriens Frãçois,
qui aimoyent mieux endurer tous tourmens
que de riẽ quitter de la cognoiſſ ance que le ſainct
Eſprit leur auoit donné, de Dieu le Pere en noſt re
Seigneur Ieſus Chriſt , laquelle ils recognoiſſ ent
eſt re le ſouuerain bien de l’homme, le ſalut eternel,
ſans lequel la condition des hommes ſeroit
plus miſerable que celle des beſt es brutes : Et auoir
veu que nul ne leur pouuoit arracher ceſt e eſperance,
Que nulle tribulation, angoiſſ e, perſecution,
faim, nudité, couſt eau, ny feu, ne les pouuoit
ſeparer de l’amour de Chriſt , quoy qu’ils fuſſ ent
pour ceſt e ſeule occaſion tous les iours tuez, reputez
comme brebis de la boucherie, voire ſans
comparaiſon plus rudement traitez : eſt ans iournellement
bruſlez tous vifs à petit feu, & leurs langues
couppees, pour les garder de donner gloire
à Dieu deuãt le peuple, eſt ans en tout & par tout
pour le dire en vn mot, maſt inez en leur honneur,
vie, & biens, comme les plus deteſt ables heretiques
qui furent onques, & declarez criminels de
leze maieſt é diuine & humaine, ainſi que plus à
plein appert tant par les proces, procedures & areſt s
ſur ce faits, reſeruez iuſques à maintenant rie
re les greffes des Parlemens, & des autres iuges de
la France, que par les act es & confeſsion de foy
d’vn grand nombre d’eux redigez par eſcrit és liures
des martyrs & teſmoins de la vérité.
Auoir veu aufsi que pour vn de ces Lutheriẽs
qu’on bruſloit, vn grand nombre d’hõmes, femmes & enfans, garnis de meſme foy & eſperance,
en eſt oit ſuſcité iournellement : tellement que les
cendres de leurs corps bruſlez & leur ſang reſpandu,
ſembloit ſeruir à veuë d’œil de ſemence à l’Egliſe :
Et que nonobſt ant cela, on ne laiſſ oit pas
de toujours bruſler iuſques à s’en prendre à la
Sainct e eſcriture, au vieil & nouueau Teſt ament,
qu’on n’auoit pas honte de bruſler s’il eſt oit trouué
eſcrit en langage que le peuple peuſt entẽdre,
penſans arracher par ce moyen à aucuns d’eux les
armes du poing, le bouclier de leur foy & le heaume
de leur ſalut : & aux autres, en empeſcher du
tout la cognoiſſ ance.
Veu pareillement la confeſsion de leur foy,
que le prince de Condé ayant compaſsion d’eux,
pour les tourmens qu’on leur donnoit & les blaſmes
qu’on leur mettoit à ſus, voulut preſenter
en eſcrit au Roy François ſecond à Amboyſe, afin
qu’elle fuſt examinee de gẽs doct es par la ſainct e
Eſcriture, & que la rigueur des feus qu’on allumoit
iournellement contr’eux fuſt moderee & faite
ceſſ er.
Veu auſsi la confeſsion de foy que les Huguenots
preſenterent au Roy Charles 9. au colloque
de Poiſſ y, laquelle fut diſputee & maintenue publiquement
par les miniſt res du ſainct Euangile,
contre les Cardinaux, Eueſques, & Doct eurs de
la Papauté, en la preſẽce dudict Charles, & ſa mere,
ſes freres, des Princes & Seigneurs de ſon conſeil :
laquelle fut traduite & imprimee en pluſieurs
lãgues, & qui eſt entre les mains de tous ceux qui
la veulent voir, conforme en tout & par tout à la parole de Dieu, contenue au vieil & nouueau
Teſt ament, & au ſymbole des Apoſt res.
Auoir veu auſsi l’Edict fait toſt apres ce colloque
de Poiſſ y au mois de Ianuier en l’an 1561. par
Charles, du conſeil de ſa mere, de tous les Princes
& Seigneurs de ſon conſeil, & d’vn grand nombre
de Preſidents & Conſeillers de toute la France,
qui pource furent aſſ emblez : par lequel Edict les
feux & recerches cõtre ces poures gens furent ceſſ ez,
leur conſcience delaiſſ ee en liberté (ſelon la
confeſsion de leur foy) à eux permis de faire preſcher
l’Euangile & adminiſt rer les ſacremens en
leurs aſſ embiees, és fauxbourgs des villes de France,
par leurs Miniſt res à ce appellez, ordonnez, &
eſleus, comme plus à plein, és patentes ſur ce faites
(qu’vn chacun a peu voir) eſt eſcrit & contenu.
Conſideré auſsi le maſſ acre fait à Vaſſ y contre
la teneur de ceſt Edict ſur les Huguenots, iouyſſ ans
en paix du benefice d’iceluy : La requeſt e que
le duc de Guyſe, le Conneſt able, & le mareſchal
ſainct André preſenterẽt peu de temps apres (les
armes au poing) au Roy Charles, tendant à exterminer
ceſt e religion-la, & ceux qui en faiſoyent
profeſsion : les letres que la Royne, mere du Roy,
en ces entrefaites reſcriuit de ſa main au feu prince
de Condé, luy commandant de s’armer & faire
armer le plus d’hõmes qu’il pourroit pour s’oppoſer
aux deſſ eins de ces trois & de leurs adherans,
qui tenoyent l’enfant & la mere captifs : Le
ſecours que la royne d’Angleterre & les princes
d’Allemagne donnerent lors aux Huguenots, &
tout ce qui s’en eſt enſuyui iuſques au mois de Mars 1562. Veu & conſideré auſsi l’Edict de pacification
alors fait, confirmatif de celuy de Ianuier,
leur permettant outre plus, qu’ils peuſſ ent auoir
l’exercice de leur religion dans quelques villes :
Les reſt rict ions & violemens dudict Edict
de Mars faites en apres par le Roy & ſon conſeil,
ſous titre de declaration de l’Edict : Les menees
faites durant cinq ans par la mere de Charles, les
Lorrains, & autres de leur fact ion : L’obeiſſ ance
des Huguenots : La creance, nourriture & leçon,
que la mere a donné & fait donner ce temps-pendant
à ſes enfans : L’entreueuë & parlement de la
mere, de ſa feu fille d’Eſpagne, & du duc d’Albe à
Bayonne, leur deliberation & promeſſ es : Les leuees
de Suyſſ es faites par Charles en l’an 1567.
Le peu de compte qu’il tenoit des plainct es & remonſt rances
des Huguenots, qu’on tuoit & outrageoit
en beaucoup d’endroits de la France : La
guerre ouuerte pour les exterminer : Le ſecours
que les princes d’Allemagne Proteſt ans leur enuoyerent,
ſous la conduict e du duc Iean Caſimir :
Ce qui s’eſt paſſ é en ceſt e guerre la : L’edict fait
& publié pour la pacifier au mois de Mars 1568.
La rupture de ceſt edict toſt apres faite par Charles
& ſes forces : La fuitte du prince de Condé, de
pluſieurs autres Huguenots, & de leurs familles,
qui faillirent à eſt re attrapez dans leurs maiſons
par les infract eurs des Edict s de la paix & foy publique :
Le ſecours que le duc de Deux põts pour
le commun lien de religiõ dõna aux Huguenots :
Les batailles donnees en toutes ces guerres-la,
principalement la bataille de Iarnac, où le prince de Condé fut fait priſonnier, & puis tué de ſang
froid, par commandement du duc d’Aniou : La
charge de l’armee des Huguenots par eux remiſe
(apres la mort du prince de Cõdé) entre les maĩs
de l’Amiral, ſous l’authorité des ieunes princes
de Nauarre & de Condé. L’edict de pacification
de ces troubles fait par Charles & ſon conſeil, auec
toutes les ſolennitez requiſes le 22. iour d’Aouſt
1570. Les promeſſ es & iuremens ſolennels
faits par Charles, les Seigneurs de ſon conſeil,
tous les parlemens, gouuerneurs & miniſt res de
la iuſt ice de France, de le garder inuiolablement
& à iamais : Les outrages, violences, & iniuſt ices
faites preſque par toute la Frãce aux Huguenots,
durant deux ans depuis ledict Edict : Le ſemblant
que Charles faiſoit de vouloir faire chaſt ier les
ſeditieux & perturbateurs de paix & repos : Les
menees que luy & ſa mere ont fait, pour faire venir
à leur cour la royne de Nauarre, ſon fils, ſes
neueux, l’Amiral, & autres ſeigneurs & gentilshommes
Huguenots : Les nopces du roy de Nauarre auec
Marguerite ſœur de Charles : La bleſſ ure de
l’Amiral faite le dernier iour des deux ans
apres la paix dernière : Le meurtre d’iceluy Amiral,
& de tant de ſeigneurs gentils hommes, & autres,
tant hommes, femmes, que petits enfans Hugnenots,
maſſ acrez inhumainement dans Paris,
le Dimanche 24. iour d’Aouft 1572. & autres
iours enſuyuans : les cruels maſſ acres, violences,
& rauiſſ emens faits en pluſieurs villes & endroits
de la France, & ceux qu’on fait iournellement, ſur
la cõſcience, honneur, vie & biens des Huguenos : les armees & forces que Charles aſſ emble, pour
en exterminer la memoire deſſ us la terre.
Veu pareillement l’areſt donné par Charles,
& par ſon parlement de Paris, contre l’Amiral :
l’areſt contre Briquemaut & Cauagnes, & tout ce
qui fait à voir : ayans ouy ſur beaucoup d’autres,
particularitez l’Hiſt oriographe, le Politique, &
pluſieurs autres teſmoins dignes de foy : & ſur tout
cela, eſcouté les plainct es, requeſt es, & prieres
treshumbles de l’Egliſe, laquelle nous ſcauons auoir
touſiours auparauant prié bien & affect ueuſement
pour la conuerſion de ſes ennemis, conſeruation
& accroiſſ ement de leur eſt at & grandeur,
pendant qu’elle y a veu quelque eſperance d’amẽdement.
Le tout bien conſideré, Nous auons dit
& diſons, que les Lutheriens & Huguenots de la
France, n’ont tenu, comme ils ne tienent, aucun
erreur ne propoſition fauſſ e en matiere de la foy
& religion : ains tienent la pure, vraye, & ſainct e
doct rine Chreſt ienne, que la vraye Egliſe catholique
(de laquelle Ieſus Chriſt eſt le chef) a tenu
& confeſſ é, tient & confeſſ e, auec tous les ſainct s
martyrs qui ſont morts pour la ſeeller de leur
ſang : la meſme (à qui bien l’entend) que les Egliſes
d’Allemagne, d’Angleterre, d’Efcoſſ e, de Suede,
de Dannemarc, de Noruege, de Suyſſ e, &
tous autres eſleus & enfans de Dieu tiennent &
confeſſ ent, ayans enſemble meſmes marques & ſacremens,
ainſi qu’il appert ſuffiſammẽt à tout hõme,
qui ſans paſsion, pour ſeulement donner gloire
à Dieu, y regardera de pres. Qu’ils ont puiſé
& tiré ceſt e doct rine des ſainct es Eſcritures du vieil & nouueau Teſt ament, lequel les ennemis
de Dieu ont taſché & taſchẽt iournellemẽt (mais
en vain) d’abolir & eſt eindre : Ayant eſt é arreſt é
au conſeil eternel de Dieu, que les cieux & la terre
paſſ eront, mais ſa parole demeurera eternellement,
quelque perſecution que les ennemis de
Dieu, en haine de la verité, dreſſ ent à l’encontre
de ceux qui en font profeſsiõ, leſquels plus on les
preſſ era, plus ils croiſt ront, comme vn Iſrael en
Egypte : & au contraire, Toute plante que le Pere
n’a plantee, toute fauſſ e doct rine, & ceux qui la
maintienent & fauoriſent, ſeront arrachez de deſſ us
la terre. Partant ſont exhortez tous enfans de
Dieu, de conſt amment perſeuerer, & continuer
en meſme foy & eſperance iuſqu’au dernier ſouſpir
de leur vie, en adiouſt ant autant que faire ſe
pourra à ces deux, la charité pour compagne, ſans
laquelle la foy eſt incognue & morte.
Ce faiſant qu’ils ne doutent nullement, quoy
qu’il leur auiene de ſiniſt re en ceſt e vie, que le Pere
celeſt e ne les face participãs en l’autre, des choſes
que l’œil ne ſcauroit voir, l’oreille ne ſcauroit
ouyr, & l’entendement de l’homme ne pourroit
comprendre, que Dieu a preparees deuant la conſt itution
du monde à ceux qui l’aiment & le craignent :
là où au contraire, les iniques, infideles &
deſloyaux, ſerũt logez és priſons perpetuelles, où
il y aura tenebres, grincement de dents, & peines
(pour le dire en vn mot) infinies : lors qu’ils diront,
Ne ſont-ce point ceux-la deſquels la vie
nous ſembloit tant infame, & leur fin tant malheureuſe ?
Nous inſenſez ! He, comment ſont-ils logez en telle gloire ? comme leur eſt eſcheuë leur
portion parmi les Sainct s ?
Quant aux areſt s de Charles & de ſon parlement
de Paris, dõnez cõtre l’Amiral, Briquemaut
& Cauagnes, nous les auons declarez & declarõs
iniquement, iniuſt ement, & deſloyalement faits &
donnez, & ſur fauſſ es, deſloyales & impudentes calomnies,
leſquelles les peruers ont accouſt umé
de prendre pour pretexte de leur cruautez, ainſi
qu’il appert euidemmẽt en vn ſeul exemple pour
tous : ſcauoir eſt , en la mort cruelle & ignominieuſe
que les Preſt res de la loy, les Scribes & Phariſiens,
voire le grãd Sacrificateur meſme, & le peuple
de Ieruſalẽ, ont fait ſouffrir à noſt re Seigneur
Ieſus Chriſt autheur de vie, le pendant entre deux
larrons en croix, luy impoſant qu’il eſt oit vn ſeduct eur
& perturbateur d’eſt at, & qu’il ſe vouloit
faire Roy, quoy qu’il marchaſt en toute manſuetude
& debonnaireté, faiſant au benefice de la nation
des Iuifs des continuels miracles deuãt leurs
yeux, & n’eſt ant venu que pour leur conuerſion &
ſalut. Or le diſciple n’eſt pas par deſſ us le maiſt re,
s’ils l’ont perſecuté, auſsi vous perſecuterõt-ils.
Au reſt e, entant que touche ceſt e perſecution
(du mois d’Aouſt & depuis en ça, faite ſur l’Amiral
& ſur les autres fideles) nous auons dit & diſons,
que c’eſt la plus horrible, la plus eſt range &
deteſt able conſpiration, la trahiſon la plus poltronnemẽt
menee, la deſloyauté proiettee de plus
loĩ, & le maſſ acre le plus barbare, qui ait eſt é ouy
dés que Cain en trahiſon tua ſon frere Abel le iuſt e
iuſques à maintenant. Et ne ſachant trouuer nom propre & conuenable à Charles, à ſa mere,
ſon frere, à ſes conſeillers, fauteurs, ianniſſ aires, &
autres ſeruants : Nous diſons pour maintenant
(en attendant qu’ayons rencontré des termes aſſ ez
ſignificatifs pour exprimer le fait) qu’ils ont
effacé la gloire de tous les tyrans les plus horribles,
& des traiſt res les plus felons qui ont eſt é,
ſont, & ſeront à iamais, comme tels les auons bãni
& banniſſ ons à iamais eux & toute leur poſt erité,
de toute la ſocieté humaine. Ordonnant que
doreſenauant ſera faite tous les vingtquatriemes
iours des mois de l’an, memoire ſolennelle (en execration
de leur abomination) du maſſ acre fait
le 24. d’Aouſt & autres iours enfuyuans, ſur les
Egliſes Françoiſes, vrais membres de l’Egliſe catholique,
de laquelle ces tyrans ſe vantent en vain
n’en tenans ny marque ny enſeigne, & n’ayãt pour
toute religion, que le blaſpheme en la bouche, &
l’atheiſme enraciné en leur cœur.
QVE ledict iour du maſſ acre 24. d’Aouſt ſera
à iamais nommé, La Iournee de la Trahiſon,
Et le Roy (comme pluſieurs de ſes predeceſſ eurs
ont eſt é ſurnommez l’vn debonnaire, l’autre pere
du peuple &c.) ſera appellé Charles le Traiſt re,
& aura pour blaſon par l’anagrãme de ſon nom,
Chaſſ eur Déloyal.
Et faiſant droit ſur la requeſt e & priere de ladict e
Egliſe, touchant Charles, ſon parlement, &
autres mancipes de ſa tyrannie, nous oſons hardiment
aſſ eurer, que ſadict e requeſt e, & toute autre
qu’elle a fait & fera, ſera exaucee, pour l’amour de
ſon chef le Fils de Dieu, lequel ne pourſuyura pas moins ceſt outrage, que s’il eſt oit fait à ſa propre
perſonne : ayant vne fois declaré, que qui la touche,
touche la prunelle de ſon œil. Partant eſt en
ioint à l’Egliſe, & à tous ſes membres ſuruiuans,
d’attendre en toute patiẽce l’aduenement du Seigneur,
Ayans ſouuenance que Ieruſalem, apres le
meurtre fait en la perſonne de noſt re Seigneur Ieſus Chriſt (d’autant que la vengeance tardoit à venir,
cuidant eſt re eſchappee & à deliure) ſe ſentit
raſer iuſques aux fondemens, & vit diſsiper & deſt ruire
ſa nation quarante ans apres, par l’armee
des Romains, deſquels neantmoins (en mettant à
mort Ieſus Chriſt ) ils ſembloyent pourchaſſ er l’amitié
& la bonne grace. Qu’ils ſe ſouuienẽt auſsi
que le premier monde moqueur & prophane, apres
auoir meſpriſé par l’eſpace de plus de cent
ans les admonitions de ce bon patriarche Noé,
fut ſubmergé, lors qu’il y penſoit le moins : quand
l’Egliſe de Dieu (laquelle toute conſiſt oit lors en
huict perſonnes) fut garantie & conſeruee, au milieu
des flots & des vagues. Qu’Achab & Iezabel
ſa femme, apres auoir quelque tẽps regné en perſecutant
l’Egliſe, furent deſt ruits, eux & toute leur
race, par Iehu, que Dieu ſuſcita à ceſt effet : & d’vne
infinité d’autres exemples, par leſquels on voit
à l’œil que le Seigneur apres auoir fouetté ſes enfans,
iette les verges au feu. Et pource que (comme
le peuuẽt conſiderer toutes perſonnes qui ont
quelque ſentiment, ſolide iugement & bon diſcours)
la ligue du Pape, du roy d’Eſpagne, & de
tous les catholiques Romains, & la particuliere
intelligence qui eſt entre l’Empereur & ſes deux gẽdres Rois, ne tendẽt qu’à exterminer tous ceux
qui ſe ſont retirez de l’obeiſſ ance de l’Egliſe Romaine :
S’il eſt ainſi que Ieſus Chriſt n’a qu’vne
Egliſe, dont la pluſpart des Allemagnes, d’Angleterre,
d’Eſcoſſ e, Dannemarc, Suede, Noruege, Pologne,
Suyſſ e, & generalement tous ceux qui font
vraye profeſsion de l’Euangile par toute la terre,
ſont les membres : s’il eſt ainſi, dy-ie, qu’ils ſoyent
tous freres en vn meſme eſprit, tous d’vn corps,
membres l’vn de l’autre, ſelon l’intention du Seigneur,
qui diſtribue vne meſme vie à tous les ſeruiteurs
d’vn maiſt re, ſuiets & ſoldats d’vn Roy &
Capitaine Ieſus Chriſt , qui n’a point fait de difference
ou diſtinct ion des nations en la communication
de ſon ſalut eternel. Qu’ils ſont enſemble
la maiſon du Seigneur, edifiee ſur le fondement
des Prophetes & Apoſt res, en vn temple ſainct ,
duquel Ieſus Chriſt eſt la maiſt reſſ e pierre du
coing : Et ſi derechef il eſt ainſi, que les bras, les
mains, les iambes, & les pieds d’vn meſme corps
doyuent ſeruice au chef, & particulierement, ſecours
les vns aux autres : Que les Princes, Princeſſ es,
& Potẽtats qu’il a cõſt ituez ſur les pays cy deſſ us
nommez, qui ſe diſent de l’Egliſe Chreſt iẽne,
auiſent de s’employer tous, à cõpoſer d’vn coſt é
les differens qu’en particulier les vns d’eux ont auec
les autres, & d’autre part, à traict er entr’eux
tous. chaudement (ſans marchander à qui cõmencera,
à recercher les autres, car cela n’eſt point de
l’Eſprit de Dieu) & par bonne negociation, vne
ligue generale, d’eux, leurs ſuiets, & pays pour ſe
maintenir les vns les autres, s’oppoſer aux entrepriſes de l’Antechriſt & ſes ſuppoſt s : & ſe reſſ entir
autrement que par le paſſ é, des outrages faits à
leurs freres à l’occaſion de la religion, quelque autre
pretexte qu’on y puiſſ e auoir donné, Recognoiſſ ans (auec vſage relatif) que Dieu ne les a
couronnez, ny conſt ituez ſur les autres & (qui plus
eſt ) receus en ſon Egliſe pour leurs beaux yeux,
ny pour les entretenir oiſeux, gras & en bõ point :
mais pour feruir à ſa gloire, & au ſoulagcment de
leurs freres (ie ne dy pas ſelon la chair) Ne doutans
nullement que Dieu ne beniſſ e, fortifie, & rẽde
ſt able, la ligue qui aura vn tel fondement : & en
ceſt e aſſ eurance, employent leurs forces & moyens
à maintenir l’Euãgile & tous ceux qui en font
profeſsion, contre la rage de Satan & les ſiens : &
ſans tarder ny perdre temps, conſiderans les langueurs
& miſeres extremes dont ſont pourſuyuis
ceux qui ſont ſous la tyrannie de l’Antechriſt &
ſes enfans. Et s’il y en a de ſi aueuglez par l’enſorcellement
du monde, qui ne vueillent entendre à
ceſt e ligue, le leur annõce au nom de Dieu, qu’ils
ne ſçauroyent par leurs ſubterfuges charnels &
prudences mondaines, euiter vn aſpre & horrible
ſentiment des iugemens de Dieu (lequel n’a rien
de cõmun auec la chair & le ſang, & ne veut point
que ceux qui mettent la main à la charrue regardent
derrière eux) & moins auec leurs ſubtilitez
& aſt uces aux affaires d’eſt at, euiter ce que leur
braſſ e la ligue contraire, de laquelle ils ne peuuẽt
ignorer le but, & la haine conceuë contr’eux : & en
fin fuyr qu’ils ne comparoiſſ ent deuant le grand
Iuge, deuant lequel les maximes de Machiauelli, ny de ſes ſemblables ou diſciples, n’ont aucune valeur.
Que pour les defaillans, les autres ne laiſſ ent
à la faire : & ſi du tout elle ne ſe peut, ceux auſquels
Dieu aura reſerué la plus ſaine volonté & zele,
s’employent autant que leurs moyens ſe pourrõt
eſt endre, à donner teſmoignage de leur pieté :
ſachans que (ſans rompre la liaiſon de ce baſt iment
de l’Egliſe, ſans offenſer la ſymmetrie de ce
corps eſleu & precieux, ſans en ſomme commettre
vne horrible laſcheté) ils ne peuuent differer
de donner à leurs freres, le ſecours qu’ils voudroyent
en pareil cas leur eſt re donné. Et ſi le commãdement
qui leur eſt fait d’aſsiſt er principalement
aux domeſt iques de la foy, & les exemples des anciens,
& de ceux qui en moindre neceſsité ont ſecouru
aux guerres paſſ ees les fideles de la France,
ne les eſmeuuent : qu’ils ſe ſouuiennent des menaces
qui ſõt faites en l’Eſcriture, cõtre les froids
& contre les tiedes. Qui fera l’oreille ſourde à la
clameur du poure (dit l’Eſcriture) il criera au iour
de la tribulation, & ne ſera point exaucé. Allez
(dira ce grand Roy au dernier iour) maudits de
Dieu mon Pere, au feu eternel qui vous eſt preparé :
I’ay eu ſoif, i’ay eu faim, i’ay eſt é nud, vous ne
m'avez point ſoulagé, &c. Qu’ils ſachent, qu’outre
la ruine qu’ils en peuuent receuoir en leurs eſt ats
& en leurs maiſons priuees, le Seigneur leur
redemandera tout le ſang de leurs freres qui aura
eſt é reſpandu deuant leurs yeux, faute d’aide & de
ſecours, par leur nonchallance, dés l’heure qu’ils
ont ſceu l’afflict ion de leurs freres, y ont peu remedier
& ne l’ont pas fait.
Quant aux fideles François ſuruiuãs, nous leur
auons eſt abli & eſt abliſſ ons par le preſent arreſt
& iugement, les loix & ordõnances politiques qui
s’enſuyuent,
1Premierement, que comme les Niniuites
à la voix de Ionas, les fideles auſsi à la voix de
Dieu courroucé, parlant par ſes ſeruiteurs, & ſes
verges & menaces, publient & obſeruent eſt roitement
& ſans hypocriſie, par autãt de iours que
l’Egliſe auiſera, en chacune cité ou ville, où Dieu
les aura retirez, vn ſainct & chreſt iẽ ieuſne, qui ſerue
à les humilier, abbatre & matter la chair, & eleuer
l’eſprit à Dieu.
2Que par prieres publiques & treſardentes
auec vn cõtinuel amendemẽt de vie, du plus grãd
iuſques au plus petit, ils facent (comme de nouueau)
ainſi qu’au temps de Ioſias, paix & alliance
auec ce grand Pere de famille irrité pour leurs pechez :
& ſur ce l’vn auec l’autre cõioints par vraye
foy & charité, ils annoncent la mort du Seigneur,
celebrans ſa memoire en l’act ion de la ſainct e &
ſacree Cene.
3Que cela fait, en chacune ville eſt ans aſſ emblez
en lieu public, ils iurent pour eux & leur poſt erité,
d’accomplir inuiolablement les loix qui
s’enſuyuent, à ſçauoir :
4Qu’en attendant qu’il plaiſe à Dieu (qui a
les cœurs des Rois en ſa main) de changer celuy
de leur tyran, & reſt ituer l’eſt at de France en bon
ordre, ou ſuſciter vn Prince voiſin qui ſoit manifeſt é
(par ſa vertu & marques inſignes) eſt re liberateur
de ce poure peuple affligé.
Apres le ſerment fait, ils eſliſent auec voix &
ſuffrages publiques en leur dict e ville ou cité, vn
chef ou Maieur pour leur commãder, tant au fait
de la guerre (pour leur defenſe & conſeruation)
que de la police ciuile, afin que le tout y ſoit fait
par bon ordre.
5Qu’à chacun deſdict s Maieurs ils eſliſent
vn conſeil de 24. hommes, leſquels & pareillement
le Maieur, ſeront pris & choiſis ſans acceptiõ
de la qualité, ſoit des nobles, ou d’entre le peuple,
tant de la ville que du plat pays, comme ils ſeront
cognus propres pour le bien public.
6Qu’outre leſdict s 24. conſeillers qui ſerõt
ordinaires auec le Maieur qui ſera le 25. y ait 75.
hommes eſleus, leſquels auec le nombre de cent,
qui ſeront pareillement indifferemment pris tant
des habitans des villes que du plat pays : par deuant
leſquels pourront appeller les parties és cauſes
criminelles ſeulement, c’eſt à ſçauoir, où y auroit
condamnation de mort, banniſſ ement, ou mutilation
de membres.
7Que ſans le cõſeil des 24. le Maieur ne puiſſ e
reſoudre ny faire aucune choſe de la guerre ou
de la police (qui peuuent tomber ſous deliberation)
Et és choſes de plus grande importance, le
conſeil des 25. ne puiſſ e aucune choſe determiner
ſans le conſeil des cent : comme pour loy nouuelle,
ou abrogation d’anciene, ordonnãce des monnoyes,
leuee de deniers, accord de treſues ou paix
& choſes directement touchantes au public, &
d’importance.
8Que les choſes ordonnees par les chefs & conſeils ſoyent diligemment executees & volontairement,
ſans aucune cunct ation (comme deuãt
Dieu) ſur peine de correct ion exemplaire.
9Que tous les ans aux calendes de Ianuier,
les 25. ſe depoſent de leurs charges en l’aſſ emblee
des cent, & puis demeurans perſonnes priuees (ſi
non du nombre des cent) par l’aduis d’eux tous,
on procede à nouuelle elect ion d’autres à ſçauoir
d’vn Maieur & 24 conſeillers, qui ſeront choiſis
comme eſt dict cy deſſ us, & dont ne ſeront exclus
ceux qui ſe ſeront nouuellement depoſez s’il eſt
trouué bon à la pluralité des voix, excepté le Maieur
qui ne pourra eſt re appellé à meſme charge,
qu’il n’y ait deux ans d’interualle pour le moins :
mais demeurera du nombre des 24. conſeillers
pour ceſt e année, en ſorte qu’il n’y en aura que 23.
à eſlire de nouueau : & puis le nouueau Maieur
qui ſera le 25. & aduenant la mort de quelqu’vn
d’eux dans l’an, ſeront aſſ emblez les cent, qui y
pouruoirront pour le reſt e de l’annee, ſelõ qu’ils
verront bon eſt re.
10Que ces 25. le iour enſuyant leur elect õ
caſſ ent les 75. & eſliſent autant en leur place
comme deſſ us, dont ſeront exclus ceux qui en auront
eſt é l’annee derniere ſeulement, & ſoit ainſi
pourſuyui ceſt ordre tant que beſoin ſera.
11Que ſi quelqu’vn dudict conſeil des cent
eſt appellé à quelque charge ciuile ou militaire,
ſoit depoſé d’entre les cent, ſinon qu’il fuſt enuoyé
en qualité de commiſſ aire pour traiter de paix,
guerre, ou autre affaire publicque, auec Princes
ou Republiques.
12Que ceux qui ſeront comptables ne puiſſ ent
eſt re appellez à charge aucune quelle qu’elle
ſoit, iuſques apres la reddition & cloſt ure de leurs
comptes, & qu’ils ayent payé le reliqua s’ils ſont
redeuables : & ſi aucun donnoit voix ou ſuffrages
à vn comptable, ſoit condamné à vingt eſcus d’amẽde
qu’il payera prõptement à peine de priſon.
13Que les officiers ordinaires de la iuſt ice
s’ils ſont cognus gens de bien, demeurent en leur
premier eſt at, pour l’exercer comme de couſt ume,
& iuger abſoluement des cauſes de leur iuriſdict ion,
auec conſeil de douze de la qualité requiſe.
Et ſi leſdict s officiers ordinaires, ne ſont gens
qui ayent accouſt umé de s’acquitter de leur deuoir,
& hors de toute chiquanerie : en les deſmettant,
le Maieur & conſeil de chacune ville en pourra
eſt ablir d’autres, de la qualité requiſe & neceſſ aire
pour exercer l’eſt at de iudicature : & ſeront
leſdict s officiers ſuiets à cenſures, reprimendes, &
chaſt iemens s’il y eſchet.
14Qu’entre tous leſdict s chefs & conſeils
particuliers, ils eſliſent vn chef general, à la façon
de Dict ateur Romain, pour commander en la cãpagne :
auquel auſsi ceux des villes & citez obeiront
en tout ce qui ſera de ſa charge, pour le benefice
commun de leur conſeruation.
15La façon d’eſlire ce chef general ſeroit bõne,
ſi (comme les Ioniens, Doriens, Béotiens,
Achees, Dolopes, & autres peuples des douze floriſſ antes
villes de Grece, qui pour aduiſer à leur
eſt at, s’aſſ embloyent deux fois en l’an : ou comme
le conſeil des Amphict yons du temps de Pauſanias) les Maieurs & Conſeils des villes ſe pouuoyent
aſſ embler en quelque lieu & ville commode
pour toutes : Mais pource que cela leur eſt malaiſé
pour maintenant, ils pourront apres vne ſainct e
priere, chacun Maieur & conſeil aſſ emblé endroit
ſoy, proceder à l’elect ion d’vn chef general,
& enuoyer chacun Maieur & conſeil ſon vœu &
ſuffrage à celuy de la ville, qui (par vn aduis courãt)
ſera trouuee plus propre à recueillir tous les
aduis des autres : afin que là, ſelon la pluralité des
voix & ſuffrages qui y ſeront enuoyez de dehors,
ioints auec celuy de dedans, celuy ſoit ſolennellement
declaré & pronõcé chef general d’entre les
membres, à qui Dieu, par le plus de voix, l’aura
voulu accorder.
16Et combien que les neceſsitez des guerres
n’attendent pas touſiours le conſeil, & que (cõme
lon dit) la guerre ſe face à l’œil : neantmoins, qu’il
ſoit eſleu par meſme moyen & eſt abli par la meſme
voye que deſſ us, vn conſeil au chef general, duquel
il ſoit tenu de prendre aduis, toutefois & quãtes
que l’occaſion s’y preſentera, & que la neceſsité
du temps & des affaires le permettra.
17Que par meſmes moyẽs ſoyẽt eſleus cinq
ou ſix lieutenans au General, qui luy ſuccederont
(ſelon qu’ils ſeront nommez) vn, apres la mort ou
deſmiſe de l’autre, en meſme ou ſemblable charge
pour euiter toute confuſion, deſordre, & incõuenient
qui pourroit aduenir, par l’entrepriſe que
les ennemis pourroyent faire en trahiſon, ou autrement,
contre le General, pour priuer les membres
de conduite par ſa mort.
18Que tous leſdict s chefs & lieutenans ſoyent
gens qui ayent (tant que faire ſe pourra) la
crainte de Dieu, ſon honneur, ſa gloire, & ſon Egliſe,
en ſouueraine recommandation : Et auec la
prudence, ſoyent accompagnez de quatre choſes,
que lon ſcait deuoir eſt re en vn grand capitaine,
ſcauoir eſt , de ſcience militaire, de magnanimité
& hardieſſ e, de réputation & creance, & de proſperité
en ſes entrepriſes.
19Que les conſeillers des chefs des villes &
de la campagne, outre la cognoiſſ ance de l’art de
la guerre, & de la police, ſoyẽt de ceux que Iethro
beau-pere de Moyſe luy conſeilloit d’auoir pour
ſoulagement, hommes vertueux, qui craignent
Dieu, hommes veritables, qui ayent en haine l’auarice.
20Qu’ils prennent garde à ce que dit le ſage :
Que la repentance ſuit de pres le conſeil leger, &
que la plus part des fautes en la guerre & en l’eſt at,
ne ſe peuuent faire qu’vne fois : Partant qu’ils
n’oublient ſe garder d’en faire, & n’oublient à remedier
à tout ce que par conſeil ſe pourra remedier
& pouruoir.
21Que ſur les deniers & threſor publicque
(quoy qu’il ne doyue eſt re en ceſt affaire de religion
& neceſsité commune à ſe conſeruer, appellé
le nerf de la guerre) ſoyent commis par leſdits
chefs & conſeils chacun endroit ſoy, en chacune
cité, gens de bien & ſans fraude, tant pour receuoir
que pour deliurer, & autres pour contreroller :
& ſur tous eux, vn receveur & vn contrerolleur
general, eſt abli au lieu où ils auiſerõt le mieux & gens ſuperintendans aux finances : tous comptables
au conſeil, pour euiter à toute fraude & maluerſation.
22Et pour euiter aux calomnies, leſquelles
ſouuent ſont eſparſes & miſes à ſus aux Chefs &
principaux membres du corps, par l’artifice des
ennemis, ou par enuie, ambition, ou autres ſemblables
peſt es que le diable fait ſouuent gliſſ er, &
cerche d’introduire en l’Egliſe, ou qui naiſſ ent de
quelque ſoupçon legerement pris par les ſoldats
ou par le peuple : & pour empeſcher les deſordres
qui en aduienent bien ſouuent : qu’il ſoit loiſible
en chacune ville à vn chacun, d’accuſer pardeuant
le Maieur & ſon conſeil tous ceux (ſoit de la nobleſſ e,
ou autres chefs, ou membres) qu’ils penſeront
machiner, pratiquer, ou faire quelque choſe
contre le bien public de la religion, & de la defenſe
cõmune du corps. Et s’il aduenoit que le ſoupçon
fuſt ſur le chef & le conſeil ou partie d’iceluy,
l’accuſateur pourra requerir que les cent ſoyent
aſſ emblez pour le bien public (à quoy ſeront tenus
ſatisfaire le Maieur & le conſeil) & là par deuant
eux tous propoſer ſon accuſation, afin d’y eſt re
pourueu comme ils verront bon eſt re. Et ne
ſe tiene pourtant aucun de ceux qui ſeront ainſi
accuſez, pour offenſé, de l’accuſateur (qui ne doit
eſt re mené que d’vne bonne conſcience) ains pluſt oſt
l’accuſé ſoit aiſe & ioyeux, que Dieu face à
tous ſes compagnons paroiſt re ſon innocẽce (s’elle
y eſt .)
23Que ſuyuant les iugemens qui s’en enſuyuront, ſoit faite punition cõdigne des coulpables, ſans auoir eſgard en telles fautes, ny és autres, aux
ſeruices paſſ ez que les coulpables, leurs parens &
amis peuuent auoir faits : afin que la vertu (à laquelle
parmi les hommes eſt deuë recognoiſſ ance
& guerdon) ne ſoit ſatisfaite de ſes merites (au
preiudice de la gloire de Dieu & de la ſeureté cõmune)
auec la remiſsion de la peine deuë à la faute :
ains ſoit l’vne touſiours guerdonnee, & l’autre
chaſt iee & punie : & qu’auſsi aux faux accuſateurs
ſoit impoſee peine, ſuyuant les loix, ordonnãces,
ou couſt umes des lieux.
24Que la neceſsité de tenir armee en campagne
paſſ ee, le General en remettant ſa charge
entre les mains du conſeil, ne deſdaigne point (ny
les autres chefs inferieurs pareillement leur tẽps
accompli) de retourner comme auparauant perſonnes
priuees, ou auoir moindre charge.
25Que l’on introduiſe & obſerue treſ-eſt roitement,
depuis le chef general iuſques aux moindres
chefs & membres, la diſcipline eccleſiaſt ique
& religieuſe, ordonnee & introduite par cy deuãt
par les Synodes tenus en la France, auant la derniere
diſsipation des Egliſes, par les Miniſt res &
Anciens d’icelles : afin que par ce moyen on voye
à l’œil, le regne de Dieu & le ſceptre de ſa parole,
eſt abli & entretenu : & le regne de Satan, auec la
cohorte des vices, que le monde & la chair entretienent,
deſt ruits, chaſſ ez, & abolis d’entre les fideles,
comme il appartient à vrais enfans de lumiere :
Eſt ans aſſ eurez qu’en ce faiſant, ils ſeront benits
à la ville & aux champs : ils habiteront en toute
ſeureté, rien ne les eſpouuantera : le couſt eau meurtrier ne paſſ era point par leur terre : Cinq
d’entr’eux pourſuyuront cent de leurs ennemis, &
cent, dix mille. Le Seigneur eſt ablira ſon alliance
auec eux, & les fera croiſt re & multiplier en paix
& abondance de toutes choſes neceſſ aires : là où
au contraire, s’ils meſpriſent les ordonnances du
Dieu viuant, s’ils laiſſ ent regner les vices & deſbauches
parmi eux, la peur, le tremblement, les
maladies, & autres langueurs, & toutes ſortes de
maledict ions les pourſuyuront : Le Seigneur tiẽdra
touſiours ſa face courroucee contr’eux : Ils
mourront par la main de leurs ennemis, & fuyrõt
ſans que nul ne les pourſuyue. Le Seigneur adiouſt era
auſsi (s’il n’y voit vn amendement) ſept fois
au double de leurs playes, comme il en a menacé
ſon peuple d’Iſrael, en la place duquel ils ont ſans
doute eſt é plantez.
26Qu’à l’execution d’vne ſi ſainct e œuure,
qu’eſt l’eſt abliſſ ement & obſeruation de la diſcipline
eccleſiaſt ique, à vn frein tant ſainct & neceſſ aire,
les Magiſt rats tienent la main aux Conſiſt oires
dans les villes : & à la campagne, le General,
ſon conſeil, ou autres capitaines, & tant qu’il y aura
de gens de bien en l’armee.
27Qu’on introduiſe auſsi & qu’on pratique
le plus exact ement que faire ſe pourra, entre tous
les capitaines, chefs mineurs, & ſoldats, la diſcipline
militaire, de laquelle ne ſera ia beſoĩ faire beaucoup
d’articles & ordõnances : eſt ant la multitude
d’icelles (ſi les chefs font leur deuoir) ſuperflue, &
ne le faiſãt point, pernicieuſe & dõmageable. Il ſuffira
que toute la diſcipline militaire ſoit puiſſ ãte d’enſeigner (ſous la loy de Dieu) & de faire pratiquer
aux ſoldats l’art & meſt ier des Lacedemoniens,
lequel en ſomme conſiſt oit en trois choſes :
A bien obeir à leurs officiers, à porter gayement
les trauaux de la guerre, & à vaincre ou mourir au
combat.
28Qu’ils ſe ſouuienent de ce que Iudas Machabeen
reſpõdit aux cœurs faillis, Que la vict oire
ne giſt pas en la multitude, & au grand nombre
de ſoldats, ains la force eſt du ciel : Partant, qu’en
inuoquant continuellement le Seigneur, ils ſuyuent
en leurs entrepriſes l’exemple de ce bon Machabeen,
contre Nicanor, & autres ennemis du
peuple de Dieu : Et n’oublient ce que Gedeon, aſſ iſt é
du Seigneur, fit de beau & de gaillard auec
trois cents ſoldats, contre les Madianites : Car (à
vray dire) tout ainſi que les ennemis au temps du
Machabeen, auſsi bien auiourd’huy les meſchans
aſſ aillent-ils ce poure peuple, confus par leur iniuſt ice,
trahiſon, & deſloyauté, voulans abbatre le
ſeruice de Dieu & deſt ruire hommes, femmes, &
enfans : Et au contraire, les fideles cõbatent pour
la gloire de Dieu, pour la deffenſe de ſon Egliſe,
& pour leur vie & conſeruation.
29Que les capitaines s’eſt udient à faire exercer
les ſoldats aux armes, au combat, à l’eſcarmouche,
à ſouſt enir ou liurer vn aſſ aut, Et que le General
en particulier s’eſt udie à apprendre à toute
l’armee, de ſe renger en vn clein d’œil (ſi beſoin
eſt ) en bataille, en pluſieurs & diuerſes ſortes, à
garder leurs rengs, à ſe rallier, ſelon le lieu, les gẽs
ou ſelon les ordres, reng, & conſt itution de bataille de l’ennemi, ou autre neceſsité occurrente.
30Que les chefs, & principalement le General, harengue ſouuent l’armee & les particulieres
compagnies, pour encourager, retenir, louer, blaſmer,
ou autrement renger le ſoldat, ſelon l’occaſion
qui ſe preſentera.
31Que les ſoldats Chreſt iens ayent honte
qu’il ſe trouue entr’eux querelles, brigues, & debats,
n’ayans iamais eſt é trouuez entre les ſoldats
(quoy que prophanes) de l’armee de Annibal, en
vn ſi long temps qu’il fit la guerre aux Romains,
bien que ſon armee fuſt compoſee de ſoldats de
diuerſes natiõs, & langues : qu’ils conſiderẽt quelle
vergongne ce ſeroit à vn homme, ſi ſes mẽbres
s’entrequereloyent l’vn l’autre. Quel reproche ce
ſeroit à vn pere de famille, ſi on voyoit ſes enfans
s’entrepicquer : Et partant, qu’ils aduiſent de combatte
en toute vnion & concorde la querelle du
Seigneur, comme deuant ſa face.
32Et pource qu’il a eſt é enſeigné tant par
theorique, que par pratique & experience : que des
trois voyes du traict emẽt qu’on peut faire aux ennemis,
la moyene eſt touſiours dommageable, cõme
celle qui n’acquiert point d’amis, & ne priue
point d’ennemis : que tous les chefs & conſeils ſe
reſoluent, à faire pratiquer exact ement ces deux
extremes : ſçauoir eſt , toute rigueur enuers les traiſt res
& ſeditieux armez, & toute la douceur qu’il
ſera poſsible enuers les catholiques paiſibles.
33Que de ceux-là, nul ne ſoit eſpargné : &
qu’à ceux cy, ne ſoit fait aucun outrage ne force,
en leur conſcience, honneur, vie, & biens, ains ſoyent conſeruez en amitié, & en paix, comme cõpatriotes
& freres bien-aimez : en leur communiquant
de la doct rine de ſalut auec toute charité &
affect ion chreſt tiene, autant qu’ils ſe voudront rẽdre
capables & dociles pour la receuoir : ſans vſer
en leur endroit pour regard de la foy que d’vn bõ
exemple, que chacun s’efforcera de leur donner
en bien viuant, ſuffiſant moyen (s’il plaiſt à Dieu
le benir) auec la predication de l’Euangile, pour
les amener à la cognoiſſ ance du ſouuerain biẽ de
l’homme.
34Vray eſt , que pourautant que l’eſt at affligé
des fideles pourroit auoir beſoin de viures, munitions
& deniers, les Catholiques François (ainſi
traict ez que dit eſt ) pourront eſt re priez de les en
ſecourir : & aduenant qu’ils refuſaſſ ent de le faire,
y pourront en cas de grande neceſsité eſt re contraints,
par tous les plus honneſt es moyens dont
on ſe pourra auiſer : ce qui ne pourra tourner à
blaſme, ſi on conſidere que Dauid en la neceſsité
s’eſt ſerui des pains de propoſition.
35Surquoy les Chefs & Conſeils ſeront aduertis,
de bien & ſoigneuſement meſnager tout
ce qui pourra tomber en meſnage, & profit publique,
pour ne rien deſpendre ſuperfluement, & n’auoir
à charger les amis plus que de beſoin : Prenãs
garde à ce que Tite Liue dit, que la guerre ſe nourriſt
elle-meſme, comme l’enſeigne tresbien le lõg temps
que Annibal a mené la guerre en Italie,
ſans auoir aide, ou argent frais de la republique
de Carthage :
36On ſcait bien que quand on ſera cõtraint de camper, ſi le ſoldat eſt inſt ruit & commãdé de
ſe cõtenter de l’ordinaire du bon-hõme auec toute
modeſt ie & crainte de Dieu, (ce qui auiendra
aiſement, ſi outre la parole de Dieu, & les loix militaires
qui leur doyuent ſeruir de bride & cõduite,
le capitaine ou ſoldat conſidere le traict ement
qu’il voudroit luy eſt re fait, s’il eſt oit en la place
du bon-homme, voire tout le village en corps, ſera
bien aiſe de dreſſ er eſt appe, fournir munitiõs,
argent & autres commoditez, entre les mains de
ceux qui ſeront eſt ablis pour les receuoir.
37Ceſt e bonne & modeſt e façon de loger,
outre que c’eſt le deuoir du ſoldat Chreſt iẽ d’ainſi
le pratiquer, contentera infiniment le cœur du
peuple des villes & du plat pays, qui ſcait combien
ceſt e querele eſt iuſt e, & la deffenſe contrainte :
au contraire, le parti des ennemis, meſchant
traiſt re, deſloyal, & volontaire : tellement qu’au
lieu que par le paſſ é, les deſbauches & deſordres
auoyẽt aliené le bon-homme, des fideles, en ſorte
qu’en vn bien grand village, quand on alloit pour
y loger, à peine y trouuoit-on à qui parler, maintenant
auec vn tel deportemẽt, le bon-homme s’efforcera
de recueillir le ſoldat, & de faire au reſt e
tous les bons offices qu’il luy fera poſsible, cõtre
les ennemis de la paix & ſocieté ciuile des Frãçois.
38Qu’il y ait vn ou pluſieurs bons preuoſt s
de camp, accompagnez de bon nombre d’archers
pour punir à la rigueur & promptement, les fautes
que le ſoldat desbauché pourroit faire, contre
la loy de Dieu, & la police de l’armee.
39Que les Chefs ſe ſouuienent de ce que Polibe dit, que la partie la plus requiſe en vn grãd
Capitaine eſt , qu’il cognoiſſ e les cõſeils & le naturel
de ſon ennemi : & partãt ne ſoyent iamais ſans
vn bon nombre d’eſpies (deſquels ils doyuent &
peuuent auoir à rechange) de toutes parts.
40Qu’ils ayent entre toutes leurs maximes
de negociation, ceſt e-cy en ſinguliere recommandation,
De ne ſe fier iamais en ceux qui tant de
fois & par ſi inſignes & prodigieuſes trahiſõs, ont
violé & rõpu la foy, le repos, & la paix publique,
ny iamais ſe deſarmer tant qu’ils feront pourſuite
contre la doct rine de ſalut, ou cõtre la vie de ceux
qui en font profeſsion : ſe gardans bien de faire iamais
de ces paix, qui ſeruent d’inſt rumens à maſſ acres.
Que s’il aduenoit de tomber en quelques
termes d’accord, ce ſoit auec telles conditions,
qu’auant tout œuure, ſoit reſolument eſt abli ce
qui eſt expedient pour la gloire de Dieu : & apres
cela, ſi biẽ aduiſé à la ſeureté des poures Egliſes,
quelles ne ſoyent plus à la merci des loups &
tygres.
Que ſi (comme dit eſt ) il plaiſt à Dieu de toucher
le cœur des tyrans, & les changer, comme il
en a la puiſſ ance, lors de bonne volonté ils ſe ſubmettent
à ceux que Dieu leur a ordonnez pour
Princes naturels, & leur rendent tout deuoir de
bons & obeiſſ ans ſuiets. Mais ſi le mal eſt venu
uiſques au comble, & que la volonté de Dieu ſoit
de les exterminer : s’il plaiſt à Dieu ſuſciter vn prĩce
Chreſt ien vengeur des offenſes, & liberateur
des affligez, qu’à ceſt uy ils ſe rendent ſuiets & obeiſſ ans,
comme à vn Cyrus que Dieu leur aura enuoyé, & en attendant ceſt e occaſion, qu’ils ſe
gouuernent par l’ordre cy deſſ us eſt abli par forme
de loix.
Leſquel les loix, aduis, & ordonnãces, & autres
qu’ils pourront d’eux meſmes ſelon l’occurrence
des choſes, dreſſ er & baſt ir, conformes aux preſentes
ſelon la parole de Dieu : Nous leur auons ordonné
& ordonnons d’obſeruer & entretenir de
poinct en poinct , ſelon leur forme & teneur, & de
lignee en lignee : ſe gardans bien de permettre,
qu’elles reſſ emblent (comme Anacharſis diſoit
à Solon) aux toilles d’araignee, dans leſquelles
ſi quelque choſe de leger tombe, il eſt retenu, là
où le peſant fardeau paſſ e au trauers en deſchirãt
la toille : Enquoy faiſans, nous les auons aſſ eurez
& aſſ eurons, que quãd bien ils ne ſeroyent iamais
ſecourus par leurs freres des autres nations (ce
qui ſeroit trop indigne, & ie ne le veux ſeulement
imaginer) ils ſe pourront conſeruer (moyenant la
grace de Dieu) en ſon pur ſeruice, exercice de la
religion Chreſt iene, pleine liberté de leurs conſciẽces,
& en toute ſeureté & repos, autant que les
euenemẽs d’vne guerre iuſt e, biẽ fondee, bien conduite
& ordonnee, le peuuent ſouffrir & endurer,
ſous la garde de ce grãd Dieu des armees, du Roy
des ſiecles immortel, inuiſible, ſeul Dieu ſage &
puiſſ ant, auquel ſoit tout honneur & gloire à
iamais.
L’egl. Ainſi ſoit-il. Et certainement ie le croy, ie
m’en tien tout aſſ euree, & ſoubſcris fort volontiers
à ton aduis & iugement.
Ali. Et moy.
Phil. Et moy auſsi.
L’hiſt . Ie trouue ce que Daniel a dit ſi ſainct , que
non ſeulement ie ſoubſcris à la verité du faict , à
l’aduis qu’il dõne à tous Princes qui ont receu l’Euangile,
& à l’ordre qu’il donne aux poures François.
Mais auſsi (par la grace de Dieu, qui m’a touché
en l’oyant diſcourir du faict des Huguenots)
pour beaucoup de circonſt ances, en la conſideration
deſquelles il m’a fait entrer, ie croy qu’ils ſõt
gens de bien, & qu’ils tienent la vraye pureté de
religion Chreſt iene : meſmement quand ie me remets
en memoire de leur confeſsion de foy (qui
eſt imprimee au bout des Pſeaumes de Dauid) laquelle
i’ay leue & releue pluſieurs fois : Mais pour
ce que deuant qu’y mettre le nez, ie m’eſt oy’ touſiours
propoſé de ne rien croire de ce qui y eſt cõtenu,
de peur d’eſt re ſurprins, comme noſt re curé
nous a touſiours dit, qu’il eſt mal-aiſé de lire vn liure
des Huguenots ſans le deuenir : Ie n’y auoy’
pas prins garde de ſi pres, mais ie ſuis content d’eſt re
trompé de ceſt e ſorte. Et au ſurplus ie m’aſſ eure,
comme Daniel a dit, que Dieu ne laiſſ era
impunie (quoy qu’il tarde) la meſchanceté qui a
eſt é faite aux poures Huguenots François : Et les
meſchans ont beau en rire, car ils ne ſcauroyent
attacher au bout de leur vie celle des Huguenots,
qu’ils leur oſt ent ſi licencieuſemẽt, comme s’il n’eſt oit
point de Dieu. Or à luy ſoit louange, de la
grace qu’il me fait de m’ouurir les yeux, me communiquer
ſa lumière, & m’eſlõgner des tenebres :
le priant qu’il me fortifie, pour pouuoir, ſi beſoin
eſt , ſouffrir & endurer pour le teſmoignage de ſa verité, auec le ſurplus des fideles.
Le pol. Et moy i’en dy, i’en croy, & en prie tout autant :
eſt ant preſt & appareillé de faire tout ce qui
ſera aduiſé expedient pour la gloire de Dieu, & la
conſeruation de ſon Egliſe, autant qu’il me ſera
poſsible, par ſa grace.
L’egl. Loué ſoit l’Eternel à iamais, qui a manifeſt é
ſa vertu & puiſſ ance conioinct e à ſa bonté & grace
en ces deux bonnes gens icy. Vous ſoyez les
tresbien receus en la maiſon du Seigneur. Ie taſcheray
de faire que voſt re conuerſion y ſoit cognue
de tous, afin de nous en reſiouir enſemble,
& en rẽdre graces ſolẽnelles au Seigneur. Ce fait,
vous Hiſt oriographe, irez par deuers les Rois,
Princes, & Nations, qui ont receu l’Euangile : leur
faire entendre tout ce qui s’eſt paſſ é en France cõtre
les Chreſt iens, & l’arreſt que Daniel en a donné,
afin qu’ils aduiſent de pres à leur deuoir. Et
vous, Politique, irez trouuer nos freres & membres
François, pour leur declarer l’arreſt , l’aduis,
& ordonnances, que Daniel a donné ſur ce faict .
Et tiendrez la main auec eux, à ce que le tout s’effect ue
pour la gloire de noſt re Dieu, & conſeruation
de ſes enfans.
L’hiſt . Ie le veux bien.
Le pol. I’en ſuis content.
L’egl. Le bon Dieu vous benie & conduiſe touſiours
par ſon ſainct Eſprit, pour l’amour de ſon
Fils Ieſus Chriſt noſt re Seigneur. Amen.