Remontrance aux femmes et filles de la France


Remonstrance aux femmes et filles de la France. Extrait du Prophète Esaye, au chapitre III de sa prophetie.

1599



Remonstrance aux femmes et filles de la France. Extrait
du Prophète Esaye, au chapitre III de sa prophetie
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Femmes, filles de France, escoutez la tempeste
Dont le ciel esclatant menace vostre teste,
Et, s’il y a encores lieu de conversion,
Quittez vos vanités et vos bobances folles,
C’est à vous qu’Esaye adresse ces parolles,
Si vous estes au moins des filles de Sion.

Bourgeoises de Salem1 au superbe parage
Qui marchez le col droict, l’œil brillant et volage,
Et les pieds fretillans maniez par compas,
Comme le baladin quand la harpe fredonne,
Ou le jeune poulain que l’escuyer fassonne,
Les cordes au jarret, aux ambles et au pas,

Voicy que le grand Dieu vous mande par ma bouche :
La teigne rongera, dict-il, jusqu’à la souche,
Ces rameaux esgarez de vos perruques d’or ;
Et, de vostre poictrine allongeant l’ouverture,
Je mettray tout à nud, jusque soubs la ceinture,
Vostre honte au soleil, s’il vous en reste encor.

Le temps, le temps viendra, changement bien estrange !
Qu’on vous verra trotter pieds deschaux par la fange,
Pour ces grands eschaffaulx de patins hault montez ;
Et lors, sous vos lassis à mille fenestrages2,
Raiseuls et poincts couppés3, et tous vos clairs ouvrages,
Ne se boufferont plus vos gros seins eshontez.

Je vous arracheray de la teste pelée
Ces lunettes d’esmail à l’oreille emperlée4,
Qui vous font rayonner le front de toutes parts ;
Je rompray vos estuis, vos boettes, vos fioles ;
Et la cendre et les pleurs, dont serez toutes molles,
Seront vos eaux de nafe5, vos poudres et vos fards.

L’or qui vous roule ès bras en cent tours de chaisnettes,
Et qui volle sur vous en mille papillettes6,
Chassé par la cadène7, à Babel s’enfuira ;
Vos atours les suivront, et vos pendans d’oreilles,
Et ce qui à Thamar vous faict sembler pareilles :
Vostre laydeur pour masque assez vous suffira.

Bourrelets, affiquets, et toutes ces machines
À ceindre vostre poil et le mettre en crespines,
Seront pour le vieux fer et pour le vieux drapeau ;
Et, pour l’assortiment de tant d’habits si braves,
À grand’ peine aurez-vous, miserables esclaves,
Un lambeau deschiré qui vous couvre la peau.

Ces mantelets garnis d’un pied de broderie,
Bourses et espingliers, flambans de pierreries,
Seront pour le butin des soldats triomphans ;
Et ces miroirs polis, dont la trompeuse glace
Brusle si sottement vos cœurs de vostre face,
Serviront de jouets à leurs petits enfans.

Ces cofrets diaprez et ces fatras de chambre,
Toilettes et peignoirs, soufflant le musq et l’ambre,
Couvre-chefs de fin lin, dentelés alentour,
Et ces coiffes de nuict faictes en diadesme,
Orgueil demesuré ! s’en yront tout de mesme :
Auriez-vous plus la nuict de faveur que le jour ?

Somme, au lieu de parfums, vous aurez pour escorte
L’horrible puanteur d’une charogne morte ;
Pour ces beaux ceinturons qui vous serrent les reins,
Le ventre desbraillé comme pauvres bargères ;
Vous suivrez le bagaige à grands coups d’estrivières,
L’injure et le mespris des goujards8 inhumains.

Ces tresses, par surtout, sources de vos detresses,
Qui m’ont tant irrité, trouveront des maistresses
Qui, raclant jusqu’au test9, m’en sçauront bien venger ;
Ces robes à plain fonds à gros bouffons et manches
Ne feroient qu’entrapper10 et vos bras et vos hanches :
Un sac, pour bien courir, vous sera plus leger.

Ce visage poupin, qui met en jalousie
Le lis accompaigné de la fleur cramoisie,
Si bien contregardé, si frais, si en bon poinct,
Sera plus laid qu’un More à la couleur tannée,
Plus ridé qu’une peau seiche à la cheminée,
Et plus rouillé qu’un pot que l’on n’escure point.

Bref, le hasle abattra la fleur de la jeunesse,
Et, pour tant de muguets qui vous faisoient caresse,
Brigans à qui auroit le bonheur d’estre à vous,
Je jure en mon courroux, ce sera bien de grace
Si à sept d’entre vous, pour en avoir la race,
Le barbare relasche un captif pour espoux.



1. Jérusalem.

2. Le lacis étoit une espèce d’ouvrage de fil ou de soie fait en forme de filet ou de reseuil (réseau), dont les brins étoient entrelacez les uns dans les autres. (Dict. de Furetière.) Un certain Frédéric Vinciolo, Vénitien, avoit patente spéciale de la reine, en 1585, pour enseigner aux dames l’art de fabriquer ces tissus. On a de lui un livre curieux et devenu rare : Les singularités et nouveaux pourtraicts pour les ouvrages de lingerie... par le sieur Frederic de Vinciolo, Venitien. Paris, 1587, in-4.

3. V., sur cette sorte de dentelle à jour, notre t. 3, p. 246.

4. Petites rondelles d’émail, pierreries ou camées, dont on s’ornoit le front en les attachant avec un fil garni de perles. C’est ce que nous appelons une Feronnière. V. notre t. 3, p. 40, note.

5. Sorte d’eau de senteur dont on ne connoît pas au juste la composition. Il en est parlé dans Boccace (Décameron, journée VIII, nouvelle 10), dans Rabelais (livre 1er, chap. 55) ; et, selon Malherbe, dans sa lettre à Pereisc du 19 décembre 1626, il paroîtroit que la disgrâce de Baradas vint de ce qu’il se fâcha trop fort pour quelques gouttes de cette eau que Louis XIII lui avoit jetées au visage.

6. Paillettes.

7. C’est-à-dire ignominieusement. Être à la cadène (a la chaîne), c’étoit être à la peine, à la honte.

8. Pour goujat, valet d’armée.

9. De testa, tesson, pot cassé.

10. C’est-à-dire tomber droits et roides comme les pans d’un pignon entrapeté, suivant l’expression des architectes.