Reliquaire, poésies/Préface

Reliquaire, poésiesL. Genonceaux (p. Préface-xxviii).


SUR
ARTHUR RIMBAUD



Sous ce titre : « Enquêtes littéraires » j’aimerais à publier de temps à autres — au hasard de mes bonnes fortunes d’inlassable curieux, — telles ou telles trouvailles, rares plus ou moins, mais aptes en tout cas, d’illuminer d’un peu de clarté nouvelle quelques-unes des Personnalités qui, parmi les écrivains de ce siècle mourant, m’attirent et m’intéressent soit qu’elles me plaisent, soit qu’au contraire elles ne me paraissent dignes d’attention, qu’en temps qu’anomalées. Peut-être va-t-on lire que je « documente, » et c’est, tout juste, le cadet de mes soucis : Non ! simplement et pour satisfaire à mon seul besoin, orgueilleux sans doute, d’être renseigné mieux que tout autre sur trois, quatre ou plus de Ceux-là qu’on oublie si on ne les ignore, oui, très simplement, j’ai mis ma patience à découvrir et à suivre certaines pistes au dos de maints feuillets, aux coins de pages nombreuses, j’ai griffonné des lignes sans suite, recueillant de-ci de-là des lettres, quelques proses, un peu de vers, déterminant certaines dates et certains lieux, et gardant le tout au fond d’un tiroir tumultueux destiné à suppléer ma mémoire.

Dans ces moments-là je me semble volontiers un botaniste avide, pour son herbier, de flores rares.

Or, puisque ce fatras desséché n’est pas indifférent, ai-je appris à plusieurs esprits amoureux autant que le mien de choses littéraires, j’ai plaisir aujourd’hui à en laisser respirer la poussière odorante. Et je commencerai par donner quelques-unes de mes recherches sur ce poète bizarre qui, présenté tout jeune à Victor Hugo, fut accueilli par lui avec ces mots « Shakespeare enfant ! » La légende au moins le dit.

Grâce à l’ami fidèle que lui demeura Paul Verlaine, Arthur Rimbaud est loin d’être un ignoré ; on sait généralement qu’après s’être fait remarquer de ceux de la génération par ses précoces aptitudes poétiques, il a quitté l’Europe et n’a pas, depuis plusieurs années, donné personnellement signe de vie.

Il vint en effet à Paris ayant lu déjà bien des littératures seulement, lassé de toutes, curieux insatiablement de choses nouvelles, il quitta les routes frayées, et, cherchant des rhythmes inconnus, des images irréalisées, des sensations non éprouvées, il s'engagea au hasard dans la vaste Forêt poétique. Mais, de même qu'un aventureur et capricieux voyageur, il s'y est perdu, sans trouver la clairière spacieuse où ses rêves-fées auraient pu, sous la lune magique, cueillir l'ample moisson des fleurs merveilleuses et noter le chant inouï d'oiseaux fabuleux.

Ce jeune homme n'était cependant ni un bohème ni un dilletante, ces deux vocables au son purement littéraire, n'est-ce pas ? Car ce que fut sa vie intime importe peu et il n'en faut retenir juste que les détails qui peuvent éveiller sa physionomie au miroir de notre conception. Ce qui est certain, c'est qu'ayant conscience de sa force, il venait pour. avoir sa part dans la lutte littéraire, et s'y conduire en vaillant ne sut-il pas, à l'extrémité de cette armée sans cesse décimée, mais que sans cesse aussi renouvellent de nouveaux soldats, faire une trouée victorieuse en tenant son drapeau multicolore et bizarre, assez haut, pour que tous pussent le voir et admirer cette neuve audace que n'effrayait rien ? Rien, pas même le ridicule ! car c'en est un, aujourd'hui, d'être un téméraire.

Il n'y a presque rien à dire des tous premiers vers d'Arthur Rimbaud, ceux qu'il rima sans doute en classe de rhétorique au collège de Charleville, si ce n'est que ce ne sont plus déjà des vers classiques ; il y règne pourtant un souffle de poésie nouvelle et celui qui les a écrits il pouvait avoir quinze ans alors — a certainement déjà lu relu les Romantiques et s'est pénétré de leur harmonie et de leur mouvement. Le Forgeron, par exemple, poème d'environ deux cents vers, se ressent de la lecture d'Hugo, si par contre Ophélie se rattache plutôt au mode d'Alfred de Musset, mais l'une et l'autre poésies dans une facture tourmentée et qui, dès lors, s'originalise. Chose bizarre, l'influence de Baudelaire s'y fait moins sentir, et cependant Rimbaud connaît le poète des Fleurs du Mal, il en parle dans ses lettres avec enthousiasme « le roi des poètes, un vrai dieu ! » écrit-il,

Dès sa seconde manière, les poésies d'Arthur Rimbaud se subtilisent et se filigranent ce sont. de beaux vers sonores, où chante toute l'âme lyrique de ce précoce Aëde, mais où les idées, pourtant soudées par une logique rigoureuse l’une à l’autre, sont si ténues parfois que leur point de raccord nous échappe. Quant aux dernières productions de ce cerveau si étrangement organisé voici ce qu’en a dit l’ami et le poète qui fut le compagnon de presque toutes les heures d’Arthur Rimbaud

« Vers délicieusement faux exprés » et Arthur Rimbaud lui-même confirme dans une de ses lettres, le jugement de Paul Verlaine, afin sans doute de donner par avance un démenti à ses commentateurs futurs qui, charmés par cette poésie précieuse, ont cru y voir la rénovation définitive des rhythmes et des rimes et la tentative réussie de briser toutes les règles prosodiques établies. Nul doute que cette pensée ait hanté l’esprit d’Arthur Rimbaud il en témoigne souvent lui-même dans ses écrits mais il n’a jamais considéré avoir résolu le problème. C’est pourquoi ce même Paul Verlaine qui a souvent des moments de délicieuse ironie noire, plaisantant parfois certains novateurs à outrance que les lauriers d’Arthur Rimbaud n’empêchent pas de veiller « Ils s’imaginent, dit-il, avoir créé un vers nouveau mais il existe depuis des siècles, ce vers-là Seulement, dans le temps, nous appelions ça de… la prose ! »

Or me voilà loin de mes petits papiers et de mes autographes j’y reviens.

Voici :

Je retrouve d’abord en date de fin 1884 :

« Lu les Poètes Maudits : comment diable se fait-il que Paul Verlaine ait si peu, presque rien à dire sur Arthur Rimbaud et à citer de lui ? Voir Verlaine ; tâchez d’obtenir quelques indices qui serviraient de point de départ à des recherches sérieuses. »

À quelques jours de distance, une autre notule

« Allé, par un temps abominable et quelle boue neigeuse, chez P. V. ; c’est là-bas, là-bas à la Bastille, rue Moreau, cour Saint-Français, 6, hôtel du Midi : Verlaine est couché, malade, et sa mère le soigne, le gourmande ; la bonne vieille ! Comme j’ai un gros rhume, elle me force à avaler d’énormes morceaux de sucre candi. — J’en ai plein la bouche, je ne puis plus parler, j’étrangle, — je manque d’étouffer ; mais, en partant, j’ai les notes qu’il me faut. »

Qu’on m’excuse de citer ces notes un peu personnelles ; mais elles sont le point de départ de mes efforts, qui, on va le voir, n’ont pas été vains.

Puis toute l’année de 1885 sans rien, rien trouver ! Et alors en mai 1886, une découverte inespérée, ma foi, presque incroyable celle de l’unique plaquette publiée par Arthur Rimbaud de la Saison en Enfer, « espèce de prodigieuse autobiographie psychologique écrite dans cette prose de diamant qui est sa propriété exclusive », s’exclame Paul Verlaine. La Saison en Enfer imprimée à Bruxelles en 1873 par l’Alliance typographique de M.-J. Poot et Cie, 37, rue aux Choux, fut sans doute tirée à un nombre fort restreint d’exemplaires. Arthur Rimbaud d’ailleurs en détruisit, paraît-il, la majeure partie : il ne reste donc de ce rarissime petit volume que mon exemplaire absolument intact, un autre, qui je l’appris plus tard est entre les mains du poète Jean Richepin, et celui que Paul Verlaine conserva longtemps et sur lequel fut faite la réimpression commencée le 13 septembre 1886 dans la Vogue ; car je n’avais pu, quittant brusquement la France, faire copier le mien, ainsi que cela m’avait été demandé.[1]

De retour à Paris en 1887, j’y trouve parues

en un volume préfacé, par Paul Verlaine, les Illuminations précédemment publiées en cette même Vogue. Le manuscrit, en feuilles éparses avait été retrouvé parmi des papiers de famille par Charles de Sivry. Cela me remit en goût de recherches elles aboutirent heureusement et assez vite, grâce à M. Georges Izambard, à M. Paul Demeny et quelques autres personnes, que je nommerai tout à l’heure, en les remerciant, dès maintenant, au cours de cette notice.

C’est à cette époque qu’il me fut prêté, fort gratuitement d’ailleurs, l’intention de publier une Étude littéraire sur Arthur Rimbaud. Une étude ? Même littéraire, à quoi cela eût-il servi ? J’avais bien d’autres choses en tête. Ce qui n’empêcha pas qu’alors il y eut, même ! des protestations, ai-je entendu dire : car ce n’était pas à moi, paraissait-il, de juger l’auteur des Illuminations ; l’opinion publique en désignait, en désignait, en réclamait peut-être ? d’autres, plus dignes que moi, profane sans doute, profanateur sûrement Je n’étais pas l’Initié qu’il fallait pour cette thuriféraire besogne, mais dans tout cela fut oublié seulement ceci c’est qu’à mon avis la critique, (je ne cesserai de le répéter) à moins d’être partiale, voire inique, — et alors elle s’appelle pamphlet ou dithyrambe — est incommensurablement inutile et vaine : bien plus, la critique moderne, telle que la conçoivent nombre d’esprits intéressants d’ailleurs, me paraît une preuve d’intellectuelle stérilité et dans sa morose dissection des choses vivantes, la négation même de la joie créatrice. — Elle est de Gœthe, — l’auteur, tout au moins, d’un magique chef-d’œuvre, le second Faust cette expression terriblement concise où sont traduites toutes les volontés, et aussi toutes les inconsciences du véritable artiste.

Mais une chose plus inattendue que ces protestations, ce fut la lettre que je reçus alors de Paul Verlaine ; en citerais-je quelques lignes ? Oui, elles sont typiques

« Il n’y a de vers de Rimbaud ni de sa prose, m’écrivait-il, que ce que j’en ai imprimé et réimprimé et ce que j’ai en portefeuille. Ceci, j’en réponds. La seule personne qui en dehors de moi détient contre tout droit d’ailleurs des choses de Rimbaud, choses mentionnées toute prose et vers dans la biographie de Rimbaud par moi, publiée tout récemment aux Hommes d’aujourd’hui, est Mme X… qui ne saurait en disposer autrement que pour me les rendre (car elles sont une propriété indiscutable) sans se mettre dans un mauvais cas légal, de même que toute personne à laquelle elle aurait pu les vendre vis-à-vis de moi et de la famille de Rimbaud, en admettant que celui-ci soit mort, ce qui n'était pas vrai il n'y a qu'un an et ne l'est plus que probablement pas.»

N'est-elle pas remarquable, rare surtout, cette sollicitude d'ami pour le poète absent particu- lièrement à notre époque d'égoïsme inquiet et de jalousie envieuse, sinon haineuse, parmi la gent littéraire ?

Vite je m'en fus voir le poète alarmé, non pas cette fois dans sa miraculeuse cour Saint-François, mais plus loin encore, à Mont-Rouge en cet hôpital Broussais tout construit de bois, sur pilotis, pareil aux habitations lacustres. Je lui apportai mes manuscrits ; il les parcourut très joyeux et tout ému, admit volontiers, quoique fort étonné et un peu stupéfait, que ce n'étaient pas ceux qu'il croyait, mais bien d'autres, à lui totalement inconnus pour la plupart des vers et de la prose que cet écervelé d'Arthur Rimbaud ne lui avait jamais communiqués, les ayant écrits, les uns au hasard d'une de leurs brouilles, les autres antérieurement à leur liaison. Une lettre de Paul Verlaine, publiée le 13 octobre 1888, dans la Cravache, à propos de vers faussement attribués à Arthur Rimbaud constate tout ceci.[2]

De ces manuscrits, deux sonnets ont été extraits par moi pour paraître dans l’Anthologie d’A. Lemerre et j’ai donné quelques autres vers à la Revue Indépendante No … Les autres sont inédits.

Quant aux vers, à la prose et aux lettres, tous manuscrits autographes, ils n’ont pas besoin d’autres commentaires que de brèves lignes indiquant à peu près leur date. Arthur Rimbaud travaillait sans doute beaucoup ses poèmes : il existe de telle pièce jusqu'à trois exemplaires avec de nombreuses variantes par exemple « Les Effarés », à plus d'un titre célèbres.

Arthur Rimbaud naquit à Charleville le 20 octobre en 1854, ainsi qu'en fait foi l'acte de naissance ici noté[3] extrait des registres de l'état-civil de la petite cité ardennaise. Il avait un frère aîné (Jean-Nicolas-Frédéric) né le 2 novembre 1853. et deux sœurs (Jeanne-RosalieVitalie, née le 15 juin 1858), (Frédérique-Marie-Isabelle, née le Ier juin 1860), l’une et l’autre plus jeunes que lui. Ces divers renseignements me furent très obligeamment adressés sur ma demande par M. E. Joye, maire de Charleville. Il ajoutait ne pouvoir m’en fournir d’autres, la famille Rimbaud ayant depuis de nombreuses années quitté Charleville, sans laisser d’adresse. Mais en marge il m’écrivait que « M. Delahaye, employé au ministère de l’instruction publique (enseignement supérieur) pourrait peut-être me donner quelques indications sur le domicile actuel des membres de la famille Rimbaud ».[4]

Qu’était le père d’Arthur Rimbaud ? Il ne m’a été adressé aucune note à ce sujet. Je sais que sa mère fut veuve de très bonne heure et qu’il entra assez tôt, ainsi que son frère, au lycée de Charleville. M. E. Couvreur, proviseur actuel, m’indique en une très aimable lettre, que l’aîné, Frédéric, se trouve au palmarès dès 1866 : le nom d’Arthur n’y figure pour la première fois que l’année suivante, et il était alors en quatrième. En 1868 il est plusieurs fois nommé ; en 1869, en seconde, il remporte presque tous les premiers prix et un premier prix de vers latins ainsi que le 3e accessit de version grecque au Concours Académique. Enfin en 1870, en rhétorique où il a de même presque tous les premiers prix, et remporte à nouveau aussi le premier prix de vers latins au Concours Académique. Il ne devait pas faire sa philosophie et interrompit volontairement ses études sans passer son baccalauréat, et quitta alors Charleville pour se rendre à Paris. Singulière fatalité pour un chercheur ! Le collège de Charleville a été malheureusement détruit par un incendie en 1876 et tous les registres administratifs ont péri dans le désastre : il n’est rien resté en particulier des archives. Au moins pouvais-je espérer’ retrouver le texte des deux compositions qui avaient valu à Arthur Rimbaud ses deux premiers prix au Concours Académique : des vers latins de celui qui devait faire de si curieux vers français, quelle aubaine ! Là encore mon espoir fut déçu, en effet, lors du transfert des archives de l’Académie à Lille, les quelques séries de la collection des Concours Académiques qui restaient furent jetées aux vieux papiers c’est du moins ce qu’il ressort d’une lettre que M. P. Dauthuile secrétaire… adressa à ce sujet à M. Lenel, (aujourd’hui professeur à ce lycée d’Amiens) et qui en 1868 débutait dans le professorat à Charleville en classe de quatrième, alors qu’Arthur Rimbaud entrait en troisième. Mais M. Lenel qui m’adresse de longues et précieuses lettres à son sujet, entendit longuement parler du jeune élève, l’un des plus brillants du collège. C’est ainsi que je puis donner le titre au moins du sujet du concours de 1869 c’était ce seul mot : « Jugurtha » Arthur, Rimbaud y vit une allusion à Abd-el-Kader, alors dans toute sa gloire, et fit des vers, paraît-il, réellement étonnants.

Le sujet de l’autre concours fut « Sancho. Pança à son âne. »

Mais de cette époque j’ai eu grâce à l’exquise amitié de Georges Izambard dont, coïncidence bizarre, le frère était un ami de mon père en Rossi, alors que lui-même était professeur à Charleville en classe de rhétorique à l’époque même où Rimbaud y était. Le jeune poëte fut donc son élève. C’était un indiscipliné de premier ordre révolutionnaire, athée, les élèves religieux le détestaient en classe et il le leur rendait.

La classe se composait en effet d’une vingtaine d’élèves dont quatorze appartenaient au séminaire. Arthur Rimbaud qui les scandalisait par ses gros mots, était du reste plus fort en toutes branches sauf en sciences, et il s’amusait, pendant les compositions, à aider ses camarades afin de leur faire avoir des places meilleures. Un jour, un séminariste le dénonce. Izambard intervient, mais Arthur Rimbaud, silencieux et le regard méchant a jeté son dictionnaire à la tête du séminariste (un nommé Henri ?) N’est-ce pas déjà une répétition du coup qu’il devait porter plus tard à Carjat ? Le professeur était d’ailleurs presqu’un camarade pour l’élève il lui prêtait des livres, et Georges Izambard se souvient même qu’ayant prêté sa Notre-Dame-de-Paris illustrée de Victor Hugo, la lui fit rendre avec une lettre insolente et s’en fut se plaindre au principal, M. Desdouets.

Cependant, pendant les vacances qui suivirent Rimbaud vint passer quelques jours chez lui il se conduisait en vrai voyou inconscient et Izambard dut même le ramener à sa mère qui à ce moment sembla connaître déjà les vices que son fils avait. Mais Izambard quitta Charleville pour Douai et là il reçoit (le 5 ou le 6 septembre 1870) une lettre d'Arthur Rimbaud datée de Paris, Mazas ! Que s'était-il passé ? Arthur Rimbaud avait fait quelque temps auparavant à Charleville, la connaissance de Paul Verlaine qui y était de passage, par l'intermédiaire d'un employé aux contributions de Charleville qu'on nommait et surnommait le Père Bretagne : Le Père Bretagne se disait « artiste ». — Il dessinait à ses heures mais sa passion favorite était l'alto. L'alto ! il en jouait partout et sans cesse, principalement aux nuits de débauche — mensuelles, comme les appointements — lorsque toute l'administration allait en chœur au… bordel de la ville.

Alors, grave, comme remplissant un sacerdoce, le père Bretagne marchait en tête, l'alto au menton, l'archet fébrile en main, et menait la bande, semblable aux violoneux des jours de noce.

Mais Verlaine était parti pour Paris et le jeune Rimbaud s’étant mis en tête de l’y rejoindre avait pris un beau matin, le train pour la capitale n’ayant faute d’argent qu’un billet jusqu’à la première station après Charleville. Et il arrivait sans papiers, sans argent à Paris juste le matin du 4 septembre ! On l’envoya au Dépôt, de là à Mazas, où il évoqua le nom de son professeur Izambard.

On lui permit de lui écrire et Izambard adressa l’argent pour le retour. Rimbaud arriva à Lille. Dans l’intervalle, Izambard avait écrit à sa mère, mais elle avait répondu insolemment. Il s’adressa donc au commissaire de police, qui lui conseilla de ramener lui-même son peu docile élève. Ce qu’il fit, après le siège de Mézières et l’incendie de cette ville. Mais les Allemands étaient à Charleville Izambard avait caché ses livres dans sa cave et devait rentrer à Douai en passant par la Belgique. Mme Rimbaud, acariâtre et dure, une femme sèche et osseuse et dérobe envers son fils, d’ailleurs toujours hargneux, rageur, furieux, doux et aimant avec sa sœur seulement. Rimbaud savait l’itinéraire que devait prendre Izambard (Charleroi, Bruxelles, où il allait voir Paul Demay, le futur directeur de la Jeune France, puis Mons et Valenciennes) et voici qu’avant même son départ, Izambard reçoit une lettre de Mme Rimbaud, elle réclame son fils qui vient de disparaître une seconde fois. En arrivant à Charleroi chez un ami, rédacteur d’un journal de Charleroi, parent d’Emmanuel Dessenurs et portant le même nom, Izambard apprend que Rimbaud est passé venant à pied de Charleville (voir ses vers) et s’arrêtant à Fumay dans la vallée de la Meuse chez un ami, tenant devant sa fille des propos tellement irréligieux qu’il l’avait fait partir. Arrivé à Bruxelles, il apprend que Rimbaud y a passé aussi et qu’il a été très bien reçu Izambard se dépêche, regagne Douai, y trouve son élève installé à faire d’arrache-pied des vers enfermé dans une chambre, La Vénus Anadyomènè, le Forgeron sont de cette date.

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Au deuxième voyage qu’il fit, Arthur Rimbaud s’en fut trouver Gill, le caricaturiste : Il tomba chez lui un matin, trouva l’artiste couché, le réveilla, lui dit qu’il le connaissait, et, en manière de présentation affirma qu’il était un grand poëte. Il habita avec Charles Cros, avec J.-L. Forain (il se brouilla avec ce dernier un jour ou plutôt une nuit qu’il refusa au dessinateur de lui ouvrir) ; dans une chambre que Théodore de Banville et sa femme qu’il charme ainsi que Victor Hugo qui l’a accueilli par ces deux mots : Shakespeare enfant ! lui louent et meublent à son intention le cas qu’il en fait ?

Le premier soir qu’il y rentra, il se coucha tout habillé, les pieds crottés, dans les draps ! Le lendemain, il prit plaisir à briser la porcelaine, pot à eau, cuvette et vase de nuit et fort peu après, ayant besoin d’argent, vendit les meubles.

C’était un être véritablement insociable. Une anecdote entre mille, qui m’a été racontée de différents côtés et qui a failli coûter la vie à cet excellent Carjat.

C’était au dîner du bon Bock, au dessert. On récitait des vers. Pendant que Jean Ricard lisait une poésie, Arthur Rimbaud à mi-voix ne cessait de scander « Merde, merde, merde ! » Ernest d’Hervilly veut s’interposer : « Voyons, mon petit, taisez-vous. » Arthur Rimbaud traité de « mon petit » se met en fureur ; il crie « Ferme ton con, d’Hervilly. » Alors Carjat le prend par les épaules et le met à la porte. Rimbaud reste dans l’antichambre, et à la sortie, sans dire un mot, comme un filou se précipite sur lui, une canne à épée à la main et le blesse au ventre.

Henri Mercier, le fondateur de cette belle Revue qui n’eut, hélas que trois numéros (la Revue du Monde Nouveau), le rencontra chez Antoine Cros, alors qu’il demeurait avec le frère de celui-ci. On le lui présenta mais toute la soirée il resta sombre et sauvage en un coin. Quelques jours après il venait le voir, apportant quatre articles pour le Figaro, alors rue Rossini, entr’autres : les Nuits blanches, le Bureau des Cocardiers. Mais il est vêtu trop misérablement pour se présenter chez un rédacteur en chef d’un journal comme le Figaro. Mercier, en fonds, propose de le mener chez un tailleur et lui donner quelque argent. Arthur Rimbaud s’en fut tout droit au Carreau du Temple et choisit un complet bleu à collet de velours. C’était à ce moment un grand garçon maigre, aux grosses mains gourdes, aux doigts épais et rouges de paysan. Le même soir, c’était la première de la Boîte de Pandore, par Théodore Barrière, aux Folies-Dramatiques. Aux entr’actes, Arthur Rimbaud achète une pipe de terre blanche et Mercier le voit s’approcher de façon à n’être pas vu d’un cheval de fiacre, prenant plaisir à souffler dans les naseaux de la pauvre bête.

C’était donc véritablement un plaisir chez lui que la cruauté. Il ne l’était pas, parait-il, par pose seulement quoiqu’il affirmât souvent « Il est important de tuer Cabaner ! » mais une nature véritablement et profondément méchante.

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Ce fut avec Verlaine qu’il quitta Paris, pour aller d’abord en Angleterre, puis à Bruxelles, en 1871, et de là à Mons où eut lieu un petit drame.

Alors Rimbaud retourne seul à Roche où sa mère s’était fixée — puis il part pour l’Angleterre où il est deux ans professeur, voit et fréquente Vermesch. D’Angleterre il passe en Allemagne, à Stuttgard, pour y apprendre l’allemand — il y reste cinq ou six mois et Verlaine vint l’y retrouver — sa mère lui avait donné de l’argent pour y rester. Mais il émigre sur Milan, manque de périr en franchissant à pied le Saint-Gothard. À Milan, son séjour n’est que de un ou deux mois. — Il veut rejoindre un de ses amis (Mercier) dans une île de l’Archipel. — Il a le projet d’aller à pied jusqu’à Brindisi pour rejoiridre Warna. Il tomba d’insolation à Livourne où le consul français le fait rapatrier sur Marseille — 1875. C’est là qu’il s’engagea dans un comité carliste d’insurrection établi sur les côtes, reçut de l’argent, mais revint à Charleville c’est pour faire son service militaire. Mais il a un frère aîné sous les drapeaux et est exempté. En conséquence, un court voyage à Bruxelles et retour — en 76 il part pour la Hollande, à Helder, et s’engage volontaire dans l’armée hollandaise il est embarqué sur navire en partance pour Sumatra où il sert comme soldat. Revenu sur un bâtiment anglais, il faillit sombrer en face le cap de Bonne-Espérance. Il traversa l’Angleterre pour rentrer à Charleville (1877).

Il reprit vite le cours de ses voyages et partit pour l’Autriche, à Vienne sa mère lui donna l’argent de ce voyage — seulement il se fit dévaliser étant saoûl par un cocher viennois qui le laissa dépouillé (1877) dans la rue. — Le voilà de retour à Charleville d’où il repart en Hollande où il se fait racoleur, à son tour, pour le compte de l’armée. Ayant gagné quelqu’argent, il va à Hambourg, en Allemagne, et de là à Copenhague et à Stokholm, où il fut employé au contrôle, sachant beaucoup de langues, du cirque Loisset, qu’on a vu à Paris, dont l’une des filles s’est tuée aux exercices, dont une autre épousa un prince de Reuss.

Vers 1878, il est à Alexandrie, en Égypte, puis à Chypre où il exploite en chef une ' carrière (les Anglais viennent d’acquérir l’île), de 1878 à 1879. — À ce moment, retour à Roche où Delahaye le voit ; vers janvier 1880, Delahaye écrivit à sa mère qui répondit que son fils était reparti et devait être à Harar, cap de Guardafui, sud du détroit de Bab-el-Mandeb, entre l’Abyssinie et le pays des Somalis.

Rodolphe Darzens.
  1. Lettre de M. Gustave Kahn, directeur, alors de La Vogue :

    Mon cher Darzens,

    Pouvez-vous me prêter quelque temps la « Saison en Enfer ». — Je voudrais pouvoir la faire copier et reparaître. Si vous n’avez pas de projet dessus, voulez-vous servir mes intérêts ?

    Gustave KAHN.
  2. Paris, le 8 octobre 1888.

    Mon cher Cazals,.

    Je lis dans le dernier numéro de la Cravache votre bonne note au sujet de Rimbaud et je vous remercie. Les pièces que vous énumérez sont en effet, avec celles que possède Rodolphe Darzens et dont deux ont paru dans l’anthologie que publie mon ami Lemerre les seuls vers publiables de Rimbaud. Quant aux « sonnets » parus dans le Décadent, je déclare qu’ils ne sont pas de ce poète.

    À ce propos, il me revient qu’en une conférence toute récente de M. Godin (Eugène), un des sonnets dont je viens de parler fut débité au milieu des rires, légitimes, d’ailleurs, de l’auditoire. Or M. Anatole Baju, directeur du Décadent déjà nommé était présent à cette récitation contre laquelle il eût dû protester, du moment qu’on attribuait sérieusement à Rimbaud des vers qu’il n’avait point commis.

    Autre chose :

    M. Godin, paraît-il, m’a décerné le titre de chef de « l’École Décadente » dont, à son avis, M. Anatole Baju serait le sous-chef. Je décline ce double honneur.

    À vous cordialement,

    Paul Verlaine.
  3. 20 octobre 1854

    EXTRAIT

    des Registres de l'État Civil

    de la Ville de Charleville

    __________

    NAISSANCE

    de

    JEAN NICOLAS-ARTHUR

    RIMBAUD

    L'an mil huit cent cinquante-quatre, le vingt du mois d'Octobre, à cinq heures du soir, devant Nous François-Dominique-Eugène La Marle, Adjoint, remplissant par délégation les fonctions d'Officier de l'État civil de la ville de Charleville, deuxième arrondissement du département des Ardennes, à comparu Jean-Nicolas Cuif, âgé de cinquante-six ans, rentier, domicilié à Charleville, lequel nous a déclaré que Marie-Catherine-Vitalie CUIF, âgée de vingt neuf ans, sans profession, épouse de Frédéric RIMBAUD, âgé de quarante ans, capitaine d'Infanterie au quarante-septième de ligne, en garnison à Lyon, y domicilié, est accouchée, en cette ville, aujourd'hui vingt du présent mois, à six heures du matin, dans la maison de Jean-Nicolas Cuif, susnommé, rue Napoléon, quartier Notre-Dame, d'un enfant du sexe masculin, qu'il nous a présenté et auquel il a donné les prénoms de Jean-Nicolas-Arthur. Lesquelles déclaration et présentation faites en présence de Prosper Letellier, âgé de cinquante-six ans, libraire, et Jean-Baptiste Hémery, âgé de trente-neuf ans, employé de la Mairie, domiciliés à Charleville. Et après que nous leur avons donné lecture du présent acte, les comparant et témoins susdits l’ont signé avec nous.

    Suivent les signatures.

    Pour extrait conforme :

    Charleville, le 24 Juillet 1889.

    Le maire : E. JOYE.

    Vu par NOUS, Léon Royer, juge au Tribunal civil de Charleville, agissant pour le Président empêché pour légalisation de la signature de M. E. Joye, maire de Charleville.

  4. J’ai vu M. Delahaye, et je lui dois en effet de très précieux détails bibliographiques je ne saurais trop l’en remercier ici.