Relative à la mort de Malherbe/07
NOTE
DE M. GUSTAVE ALLAIS
SUR UN POINT DE LA VERSIFICATION DE MALHERBE
Nous ne pouvons mieux clore la série de ces nouveaux
renseignements sur Malherbe que par une note intéressante
de M. Gustave Allais :
Sur le Rapprochement chez Malherbe de deux rimes masculines différentes dans le dernier vers d’une strophe et dans le premier de la strophe suivante.
Nous avions demandé à l’auteur un éclaircissement sur la p. 395 de sa thèse, où il parle très brièvement de cette question. Il nous répond par cette note détaillée qui devait être mise primitivement au bas de ladite page, en nous priant de la produire à la première occasion. En voici une toute trouvée.
« Tout bien compté, il n’y a guère qu’une douzaine de pièces où existe cette licence prosodique des deux rimes de même genre qui se suivent (j’entends bien la rime terminale d’une stance et la rime initiale de la stance suivante ) ; ce sont, d’après l’édition des Grands Écrivains, les pièces 7, 9, 15, 37, 41, 47, 59, 77, 88, 98, 107, 108, 111. Je vous prie de remarquer que dans le nombre il n’y a pas une seule ode en stances de dix vers isométriques.
Le fragment d’Ode : « Soit que de tes lauriers la grandeur poursuivant », est une très curieuse ébauche où nous surprenons l’esprit de Malherbe en train de s’essayer au maniement de la strophe lyrique : 1° il combine les alexandrins et les vers heptasyllabes ; 2° il coupe le sixain après le second vers ; 3° il commence et termine les strophes par des rimes de même genre. Il semble bien, dirais-je, qu’il étudie alors en elle-même la grande strophe héroïque avant de l’étudier en groupe ; c’est sur les éléments fournis par Ronsard qu’il s’exerce d’abord. La réflexion l’amène ensuite à réformer bien des choses, et c’est ainsi que dans l’Ode à Marie de Médicis il arrive à établir à peu près définitivement le type de sa strophe lyrique ; désormais, d’une strophe à l’autre, les rimes initiales et terminales sont de genre différent.
Comme le fragment d’Ode, la Consolation à Caritée appartient à la même période de tâtonnements et d’essais. Ronsard et Desportes lui donnaient l’exemple d’une disposition prosodique où, à vrai dire, personne n’avait jusqu’alors vu une licence. Malherbe use encore de cette disposition dans la Paraphrase du Psaume viii ; puis il y renonce tout à fait dans le style soutenu. Il est à remarquer, en effet que les différentes pièces ci-dessus mentionnées sont toutes des pièces légères, stances d’amour, chansons, vers de ballet.
Une seule fois, il a repris cette disposition dans une pièce grave, c’est dans la Consolation an président de Verdun. Mais c’est là une bizarrerie que je mets volontiers à côté de celle qui lui faisait écrire à la reine régente des stances sur deux rimes masculines : « Objet divin des âmes et des yeux, etc. »
Je pense que Malherbe était très curieux de varier les dispositions métriques et rythmiques ; de là ses essais parfois plus singuliers qu’heureux. Ce qui me semble prouver que la similitude de genre de deux rimes qui se suivent lui paraissait une licence ou tout au moins une négligence peu compatible avec l’harmonie de la strophe lyrique, c’est qu’il l’a proscrite de toutes ses grandes odes. Cette similitude n’est admissible, en effet, que si l’on observe après chaque strophe un temps d’arrêt ; la dissimilitude de genre permet, au contraire, de passer tout naturellement d’une strophe à l’autre. Dans le premier cas, l’harmonie est rompue et haletante ; dans le second, il y a courant continu d’harmonie ; donc progrès. »
Tel est comme le post-scriptum d’un livre, dont nous avons cité, chemin faisant, des pages bien fines d’esthétique sur l’harmonie de Malherbe. M. Souriau y trouvera peut-être de son côté une contribution utile pour préciser encore sa p. 95 : il cite en effet dans la n. 1 le jugement de Marmontel, dont voilà le véritable exposé des motifs.