Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 293-298).

CHAPITRE XXXVIII.


De ce qui est arrivé à ceux qui firent le voyage des Indes.


Puisque j’ai écrit la relation de tout ce qui s’est passé dans le voyage à la Floride, dans les incursions faites dans le pays, et pendant mon retour jusqu’en Espagne, je vais aussi conter ce qu’il advint des vaisseaux et des personnes que je laissai aux Indes. Je ne l’ai pas fait plus tôt, parce que je n’en ai eu connaissance que lorsque nous sommes sortis de ce pays, et que nous avons retrouvé quelques-uns de nos compagnons dans la Nouvelle-Espagne. Nous en avons aussi revu en Castille qui nous ont appris le résultat de cette expédition, et tout ce qui est arrivé quand nous eûmes quitté les trois vaisseaux, car il y en avait déjà un de perdu sur la côte Brava (Périlleuse). Ces navires étaient déjà en grand danger : ils portaient jusqu’à cent personnes et fort peu de vivres. Dix femmes mariées y étaient embarquées : une d’elles prédit au gouverneur bien des choses qui lui sont arrivées dans son voyage. Elle lui avait déjà rappelé tout cela avant qu’il ne débarquât, afin de l’empécher de pénétrer dans le pays, car elle pensait que ni lui, ni aucun des nôtres n’échapperaient. Si cela arrivait à quelqu’un, Dieu, lui avait-elle dit, ferait pour cette personne de très-grands miracles. Le gouverneur répondit que lui et tous les siens allaient pour combattre, et pour conquérir des pays sauvages, très-nombreux et très-extraordinaires, qu’il était certain que beaucoup de gens mourraient dans cette expédition ; mais que ceux qui en reviendraient, seraient très-heureux et très-riches, car il connaissait les richesses du pays. Puis, lui ayant demandé où elle avait appris les événements passés et futurs qu’elle lui avait prédits, elle répondit qu’une femme maure le lui avait dit avant de quitter l’Espagne. Le gouverneur nous avait répété tout cela, et chaque événement avait eu lieu comme on l’avait annoncé. Avant notre départ, Pamphilo de Narvaez laissa pour son lieutenant et capitaine de tous les navires, Carvallo, natif de Cuença de Hurte. Il avait donné l’ordre positif à tous les bâtiments de marcher de conserve droit à Panuco, en se tenant toujours près de la côte, de chercher le meilleur port possible, afin d’y entrer et de nous attendre. Pendant le voyage des navires, les personnes qui les montaient rapportèrent qu’ils avaient vu les événements se passer comme cette femme les avait prédits à ses amies. Elle leur avait dit que puisque leurs maris pénétraient dans l’intérieur, et s’exposaient à de si grands dangers, il ne fallait plus penser à eux, et qu’elle allait chercher un autre mari, ce qu’elle fit. Ses amies imitèrent son exemple, épousèrent ceux qui restèrent dans le bâtiment ou vécurent en concubinage. Aussitôt que l’on eut levé l’ancre, on fit voile sans découvrir un port, et l’on retourna en arrière. A cinq lieues plus bas de l’endroit où nous avions débarqué, on aperçut un golfe qui entrait dans les terres jusqu’à une profondeur de sept ou huit lieues : c’était le même que nous avions découvert, et où nous avions trouvé des caisses comme celles d’Espagne, dans lesquelles étaient des cadavres de chrétiens. Les trois navires entrèrent dans ce port. Le vaisseau qui revint de la Havane avec un brigantin, nous chercha pendant un an, et ne nous ayant pas trouvés, il fit voile pour la Nouvelle-Espagne. Le port dont je viens de parler est le meilleur du monde : il a six brasses de profondeur à l’entrée, et cinq près de la terre. Le fond est de vase ; la mer y est toujours tranquille : il peut contenir un grand nombre de vaisseaux ; le poisson y est fort abondant ; il est à cent lieues de la Havane, ville de chrétiens, dans l’ile de Cuba, et précisément au nord de cette place. Des bises soufflent continuellement dans ces parages : on peut se rendre d’un port à l’autre dans quatre jours ; les bâtiments vont et viennent à quartel.

Après avoir donné le récit de ce qui est arrivé aux vaisseaux, il est bien de faire connaître le nom et la patrie de ceux que le Seigneur a daigné faire échapper à tous ces malheurs et ramener dans ces royaumes. Le premier est Alonso del Castillo Maldonado, natif de Salamanque, fils du docteur Castillo et de doña Aldonça Maldonado ; le second, Andrès Dorantès, fils de Pablo Dorantès natif de Bejar, bourgeois de Gibraleon ; le troisième, Alvar Nuñez Cabeça de Vaca, fils de Francisco de Véra, petit-fils de Pedro de Véra, le conquérant des Canaries ; sa mère se nommait doña Térésa Cabeça de Vaca, de Xérès de la Frontera ; le quatrième, Estevanico, c’était un nègre arabe, natif d’Azamor.



DEO GRACIAS !


fin.