Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 279-283).

CHAPITRE XXXVI.


Nous faisons faire des églises.


Dès que les Indiens furent partis, tous les naturels de cette province, qui étaient amis des chrétiens, ayant su que nous étions arrivés, vinrent nous apporter des plumes et des coquillages. Nous leur ordonnâmes de faire des églises et d’y mettre des croix, car ils n’en avaient pas encore construit. Nous fîmes amener les fils des principaux habitants et nous les baptisâmes. Ensuite le capitaine promit solennellement devant Dieu de ne pas faire de courses dans le pays, de ne pas permettre que l’on en fît, et de ne réduire en esclavage aucun des habitants des contrées que nous avions pacifiées. Il s’engagea à tenir sa promesse jusqu’à ce que votre majesté et le gouverneur Nuño de Guzman, ou le vice-roi, eussent pris la décision qui serait convenable au service de Dieu et de l’empereur. Quand les enfants furent baptisés, nous partîmes pour la ville de Sant-Miguel.

Aussitôt que nous y fûmes arrivés, des Indiens vinrent nous dire qu’un grand nombre de naturels sortaient des forêts, repeuplaient la plaine, faisaient des églises et des croix, et tout ce que nous avions ordonné. Chaque jour nous apprenions ce qui se passait, et que l’on nous obéissait complètement. Quinze jours après Alcaraz arriva avec les chrétiens qui l’avaient accompagné pour faire une pointe dans l’intérieur. Ils racontèrent au capitaine que les Indiens étaient sortis des forêts, qu’ils avaient repeuplé la plaine, et qu’ils avaient laissé une population très-nombreuse dans un endroit, qui auparavant était abandonné et désert. Ces naturels venaient les recevoir en portant des croix à la main, les conduisaient à leurs demeures, leur donnaient ce qu’ils possédaient. Les nôtres avaient passé la nuit chez eux, et avaient été fort étonnés de leur nouvelle manière d’agir. Les Indiens dirent qu’ils étaient tranquillisés : Alcaraz défendit de leur faire du mal, et il les quitta.

Dieu a daigné permettre dans sa miséricorde infinie que sous le règne de votre majesté, ces nations aient été volontairement, et de leur plein gré soumises à notre Créateur. Nous sommes persuadés que cette soumission sera durable, que votre majesté fera ce qui est nécessaire pour les conserver dans cet état, ce qui sera très-facile, car pendant deux mille lieues que nous avons faites par terre, ou par mer, sur nos barques, et pendant dix mois que nous avons voyagé après notre esclavage, nous n’avons trouvé dans ce pays aucune trace d’idolâtrie.

Nous avons traversé d’une mer à l’autre, et d’après des observations faites avec beaucoup de soin, nous avons remarqué qu’il pouvait y avoir douze cents lieues dans la plus grande largeur. Nous avons appris que sur la côte du Sud, on trouve des perles, beaucoup de richesses, et que c’est la partie la meilleure de tout le pays.

Nous restâmes jusqu’au 15 mai dans la ville de Sant-Miguel. Nous fîmes un séjour aussi long, parce que voulant se rendre à la ville de Campostelle, résidencedu gouverneur Nuño de Guzman, on est forcé de faire cent lieues dans une contrée tout à fait déserte et ennemie. Nous fûmes obligés de voyager avec nos gens et vingt cavaliers qui nous accompagnèrent pendant quarante lieues. Depuis l’endroit où ils nous quittèrent, nous continuâmes notre marche en compagnie de six chrétiens qui emmenaient cinq cents esclaves indiens. Étant arrivés à Campostelle, nous fûmes fort bien reçus par le gouverneur qui nous donna de quoi nous vêtir. Je fus longtemps à m’accoutumer à porter des habillements, et je ne pouvais dormir que par terre. Dix ou douze jours après nous partîmes pour Mexico. Pendant toute la route nous fûmes fort bien traités par les chrétiens ; un grand nombre venaient au-devant de nous, et remerciaient Dieu de nous avoir fait échapper à d’aussi grands dangers. Nous arrivâmes un dimanche, la veille de Saint-Jacques. Le vice-roi et le marquis del Valle (Fernand Cortez), nous reçurent avec le plus grand plaisir et nous traitèrent fort bien. Ils nous donnèrent des habillements, nous offrirent tout ce qu’ils possédaient, et le jour de Saint-Jacques, il y eut des carrousels et des combats de taureaux.