Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 181-184).

CHAPITRE XXIII.


Nous partons après avoir mangé les chiens.


Quand nous eûmes mangé les chiens, nous crûmes nous sentir assez en force pour nous mettre en marche, et nous quittâmes les Indiens après avoir supplié Dieu de nous servir de guide. Ces gens nous conduisirent chez des naturels de leur peuplade, qui habitaient aux environs. Il plut toute la journée pendant que nous étions en marche. Outre Ce désagrément, nous perdîmes notre route, ce qui nous força de nous réfugier dans une grande forêt. Nous recueillîmes une grande quantité de feuilles de tunas, nous les fîmes cuire dans un four que nous avions préparé : nous les chauffâmes tellement, que le matin elles étaient bonnes à manger.

Après avoir fait ce repas et nous être recommandés à Dieu, nous partîmes et nous retrouvâmes la route que nous avions perdue. Nous vîmes au delà de la forêt d’autres cabanes indiennes ; quand nous y fûmes arrivés, nous aperçûmes deux femmes et leurs enfants qui s’effrayèrent et s’enfuirent vers la forêt pour chercher d’autres naturels qui s’y trouvaient : ces gens vinrent et se cachèrent pour nous regarder. Nous les appelâmes ; ils s’approchèrent avec beaucoup de crainte, et ils nous dirent qu’ils mouraient de faim, que près de là il y avait un grand nombre d’ habitations, qu’ils nous y conduiraient. Le soir nous arrivâmes dans un endroit où étaient cinquante cabanes. Les naturels furent surpris et effrayés de nous voir : quand ils se furent bien rassurés, ils nous touchèrent le visage et le corps avec leurs mains, puis ils les rapprochèrent de leur visage et de leur corps. Nous passâmes la nuit avec eux, et le lendemain ils nous amenèrent leurs malades, en nous priant de faire sur eux le signe de la croix. Ils nous donnèrent des vivres qu’ils avaient ; c’étaient des feuilles de tunas et tunas vertes, rôties. Voyant les bons traitements que nous leur faisions, et que nous donnions de bonne grâce ce que nous avions, ils se privaient avec plaisir de leur nourriture pour nous en fournir. Pendant que nous étions chez eux, d’autres Indiens qui demeuraient plus en avant arrivèrent : quand ceux-ci voulurent partir, nous dîmes aux premiers que notre intention était de nous en aller avec eux. Ils en furent très-peinés, et nous prierent avec les plus vives instances de rester. Enfin nous prîmes congé d’eux, et nous les laissâmes pleurant notre départ dont ils étaient on ne peut plus affligés.