Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 161-165).

CHAPITRE XXI.


Comment nous guérissons des malades.


Le soir même de notre arrivée, des Indiens vinrent trouver Castillo, et lui dirent qu’ils avaient mal à la tête, et qu’ils le priaient de les guérir. Aussitôt il les bénit, il les recommanda à Dieu, et ces gens dirent à l’instant même que le mal avait disparu. Ils allèrent chez eux, et rapportèrent une grande quantité de tunas et un morceau de viande de cerf, ce qui nous étonna beaucoup. Le bruit de cette cure se répandit, et un grand nombre de malades vinrent le soir même pour se faire guérir, chacun apportait un morceau de cerf : nous ne savions où mettre toute cette viande. Nous rendîmes grâces à Dieu de ce que chaque jour sa miséricorde se démontrait de plus en plus en notre faveur. Quand les guérisons furent terminées, ils commencèrent à danser, à se livrer à leurs divertissements jusqu’au lendemain au point du jour. Les réjouissances qu’ils firent pour fêter notre arrivée durèrent trois jours. Au bout de ce terme, nous leur demandâmes des renseignements sur les pays plus avancés, sur les habitants et les vivres que l’on y trouvait. Ils nous répondirent que la contrée produisait beaucoup de tunas, mais qu’elles étaient déjà passées, et qu’il n’y avait plus d’habitants, parce que tous étaient retournés chez eux, ayant fini de récolter ces fruits. Il y faisait froid, disaient-ils, et l’on y

trouvait fort peu de peaux. Quand nous eûmes réfléchi à tout cela, comme l’hiver et le froid approchaient, nous résolûmes de passer cette saison avec eux. Cinq jours après notre arrivée, ils partirent pour aller chercher d’autres tunas dans un pays où se trouvaient des nations et des peuplades différentes. Après cinq jours de marche , en souffrant beaucoup de la faim, car il n’y avait sur la route ni tunas ni autres fruits, nous arrivâmes à une rivière où nous établîmes nos cabanes, après quoi nous allâmes chercher une espèce de fruit qui ressemble à des vesces, et comme il n’y a pas de route dans tout ce pays, je restai longtemps à en cueillir. Les Indiens partirent, et je me trouvai seul. En essayant de les rejoindre je me perdis pendant la nuit. Dieu daigna permettre que je trouvasse un arbre allumé ; je supportai le froid de la nuit en restant à côté. Le matin j’emportai du bois et deux tisons, et je marchai à la recherche de mes compagnons. Je voyageai pendant cinq jours, portant toujours avec moi du feu et du bois, dans la crainte de me trouver dans un endroit où il n’y en aurait pas, comme cela arrive souvent. Au moyen de cette provision, j’aurais pu du moins entretenir des tisons et ne pas me trouver sans feu ; je n’avais pas d’autres moyens à prendre pour me garantir du froid, car j’étais tout nu. La nuit j’allais chercher un abri sous les arbres des forêts qui étaient sur le bord des rivières. Avant le coucher du soleil je pratiquais un trou en terre, j’y plaçais beaucoup de bois, et comme les arbres étaient très nombreux, j’amassais une quantité de branches sèches qui étaient tombées, et j’allumais autour du trou quatre feux disposés en croix. J’avais le soin de temps en temps de les entretenir, et je me couvrais dans ce trou de tas de paille que l’on trouve en grande abondance. C’est ainsi que pendant les nuits je me garantissais du froid. Un soir, que j’étais endormi, le feu prit à la paille qui me couvrait , et, malgré la promptitude avec laquelle je me levai, j’aperçus dans mes cheveux les traces du danger que je venais de courir. Pendant cinq jours je ne mangeai pas la moindre chose, je ne trouvai rien pour vivre. Comme je n’avais pas de chaussure, mes pieds étaient ensanglantés. Dieu eut pitié de moi, et pendant tout ce temps-là le vent du nord ne souffla pas, autrement je serais mort. Enfin je rejoignis mes Indiens au bord d’une rivière ; déjà eux et les chrétiens me croyaient mort : ils pensaient que j’avais été mordu par une vipère. Tous témoignèrent la plus grande joie de mon arrivée, surtout les les chrétiens. Ils me dirent qu’ils avaient extrêmement souffert de la faim, ce qui les avait empêchés de me chercher. Le soir ils me donnèrent des tunas. Le lendemain nous nous rendîmes dans un endroit où il y avait une grande quantité de ces fruits qui nous servirent à apaiser notre faim. Nous remerciâmes vivement le Seigneur, qui ne cessait de nous protéger.