Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 3-7).

AVANT-PROPOS.

À sa majesté sacrée, impériale et catholique.



De tous les princes connus qui ont gouverné le monde, je crois que l’on n’en pourrait trouver aucun que les hommes se soient efforcés de servir avec une volonté aussi sincère, avec autant de soin et d’ardeur que nous voyons aujourd’hui servir votre majesté. Il est manifeste que ce n’est pas sans raison et sans un puissant motif, les hommes n’étant pas assez aveugles pour agir ainsi légèrement, d’autant plus que nous voyons que non-seulement les Espagnols, dont c’est le devoir à cause de la foi jurée et de leur qualité de sujets, travaillent à augmenter votre puissance, mais encore les étrangers.

Tout le monde, il est vrai, s’accorde à servir avec zèle votre majesté ; cependant outre les avantages particuliers que chacun peut en retirer, il existe dans les services rendus une très-grande différence qui ne provient pas de la faute des serviteurs, mais uniquement du hasard et de la seule volonté de la Providence ; d’où il résulte qu’il arrive aux uns de rendre des services plus signalés encore qu’ils ne l’auraient cru, tandis qu’il en est tout différemment pour d’autres, et qu’il ne reste à ceux-ci, pour témoignage de leurs intentions, que le soin qu’ils ont pris pour réussir, et même ce soin est tellement ignoré qu’ils sont obligés de le faire remarquer. Quant à moi je puis dire que dans le voyage que j’ai fait par ordre de votre majesté, je pensais sincèrement, après avoir quitté la terre ferme, que mes travaux et mes services seraient aussi évidents, et d’une aussi grande importance que ceux de mes prédécesseurs, et qu’il ne me serait pas nécessaire de parler pour prendre place à côté de ceux qui ont rempli avec la plus grande équité et le zèle le plus ardent, les charges dont votre majesté les avait honorés. Mais comme ni ma prudence ni mes soins n’ont pu faire que nous ayons conquis le pays où nous allions dans l’intérêt de votre majesté, et comme, pour nos péchés, Dieu a permis que de toutes les flottes qui sont allées dans ces mers, aucune n’ait souffert d’aussi grands dangers, et n’ait eu une fin aussi désastreuse et aussi misérable que la nôtre ; il ne me reste pour tirer parti de cette expédition, que d’offrir à votre majesté la relation de ce que j’ai pu voir et apprendre pendant dix années passées dans les contrées les plus extraordinaires, et que j’ai parcourues étant dénué de tout.

Je parlerai aussi de la situation de ces provinces, de leur éloignement, des vivres que l’on y trouve, des animaux qui y vivent, de la diversité des mœurs d’une multitude de nations les plus barbares chez lesquelles j’ai vécu. Je traiterai de toutes les autres particularités que j’ai pu observer et étudier, et qui, sous certains rapports, peuvent satisfaire votre majesté. Bien que l’espérance de sortir d’entre ces nations ait toujours été très faible chez moi, mon attention et mes soins n’ont cessé d’être extrêmes pour conserver le souvenir de tous les faits, afin de donner des preuves de mon bon vouloir pour le service de votre majesté, dans le cas où notre Seigneur voulût à la fin me ramener où je suis aujourd’hui. Le récit de mes observations me paraît devoir être très-utile aux personnes qui, d’après les ordres de votre majesté, iront conquérir ces provinces, les attirer à la connaissance de la religion du vrai Dieu et les soumettre à votre empire. J’ai écrit cette relation avec tant de sincérité que bien que l’on y trouve des faits tout nouveaux et très-difficiles à croire pour de certaines gens, on peut cependant y ajouter foi sans balancer, et être persuadé que loin d’exagérer, je dis plutôt moins que trop : il me suffira d’ailleurs pour être cru, d’avoir présenté comme vrai cet ouvrage à votre majesté. Je la prie donc de le recevoir à titre d’hommage, puisque c’est le seul qu’ait pu rapporter avec lui un homme qui est retourné dans le plus complet dénûment.