Relation d'un voyage à la côte du nord-ouest de l'Amérique septentrionale/Chapitre 1

RELATION
D’UN
VOYAGE
À LA CÔTE DU
Nord-Ouest de l’Amérique Septentrionale.




CHAPITRE I.


Départ de Montréal — Arrivée à New-York — Description de cette ville — Noms des gens de l’expédition.

Nous demeurâmes à Montréal le reste du printems et une partie de l’été. Enfin, tous les arrangemens pour le voyage étant faits, nous reçûmes l’ordre de nous préparer à partir, et le 26 Juillet je me rendis, accompagné de ma famille et de quelques amis, à l’embarcation, qui était un canot d’écorce conduit par neuf hommes. Les sentimens que j’éprouvai en ce moment me seraient aussi difficiles à décrire qu’ils me furent pénibles à supporter : pour la première fois de ma vie je m’éloignais du lieu de ma naissance, et me séparais de parens chéris et d’amis intimes, n’ayant pour toute consolation que le faible espoir de les revoir un jour. Nous embarquâmes vers les cinq heures du soir, et arrivâmes à Laprairie de la Madeleine sur les huit heures. Nous couchâmes dans ce village, et le lendemain de grand matin, ayant placé notre canot sur une charette, nous nous mîmes en route, et arrivâmes à St. Jean, sur la rivière de Richelieu, un peu avant midi. Nous remîmes là notre canot à l’eau, traversâmes le Lac Champlain, et arrivâmes à Whitehall le 30. Là nous fûmes joints par un Mr. Ovide Montigny, et un Mr. P. D. Jérémie, qui devaient être de notre expédition.

Ayant de rechef placé notre canot sur une charette ou wagon, nous continuâmes notre route, et arrivâmes le 1er Août, à Lansingburgh, petite ville située sur le bord de la rivière d’Hudson. Nous remîmes notre canot à l’eau, passâmes par Troy, et par Albany, où nous fûmes bien accueillis, les Américains nous prenant pour une canotée de Sauvages, et arrivâmes à New-York le trois, à 11 heures du soir.

Nous étions débarqués à l’extrémité septentrionale de New-York, et le lendemain, qui était un Dimanche, nous nous rembarquâmes, et fûmes obligés de faire le tour de la ville, pour nous rendre à notre logis sur Long-Island. Nous chantions en voguant, ce qui, joint à la vue d’un canot d’écorce, attira une foule de monde sur les quais. Nous trouvâmes sur Long-Island les jeunes messieurs, engagés au service de la Compagnie, qui étaient partis du Canada avant nous.

Le vaisseau sur lequel nous devions nous embarquer n’étant pas prêt, je me serais trouvé tout-à-fait isolé et étranger dans la grande ville de New-York, sans une lettre de recommandation pour Mr. G—, que madame sa sœur m’avait remise à mon départ. J’avais acquis la connaissance de ce Monsieur pendant le séjour qu’il avait fait à Montréal en 1801 ; mais comme j’étais alors fort jeune, il aurait probablement eu de la peine à me reconnaître sans la lettre de sa sœur. Ce monsieur m’introduisit chez plusieurs de ses amis, et je passai agréablement les cinq semaines qui s’écoulèrent entre mon arrivée à New-York et le départ du vaisseau.

Je n’entreprendrai pas de faire la description de New-York ; je dirai seulement, que l’élégance des édifices publics et particuliers, la propreté des rues, l’ombrage des peupliers qui les bordent, les promenades publiques, les marchés toujours abondamment pourvus de toutes sortes de denrées, l’activité du commerce, alors florissant, le grand nombre de vaisseaux de toutes nations qui bordaient les quais ; tout, en un mot, conspirait à me faire sentir la différence entre cette grande ville maritime et ma ville natale, d’où je n’étais pour ainsi dire jamais sorti, et qui n’était pas à beaucoup près à cette époque ce qu’elle est aujourd’hui.

New-York n’était pas alors, et n’est pas encore aujourd’hui, une ville de guerre ; on y voyait pourtant plusieurs batteries de canons, et différents ouvrages de fortification, dont les plus considérables étaient sur le Narrows, ou détroit qui forme l’embouchure de la rivière d’Hudson. Les îles appellées Governor’s Island et Gibbet Island, étaient aussi bien fortifiées. On avait construit sur la première, située à l’ouest de la ville, et à environ un mille de distance, des casernes capables de contenir plusieurs milliers de soldats, et un château à trois rangées de canons, le tout à l’épreuve de la bombe. Ces fortifications ont été augmentées durant la dernière guerre.

Les places de marché sont au nombre de huit : la plus considérable se nomme Flymarket.

Le Parc, la Batterie, et le Jardin de Vauxhall, sont les principales promenades publiques. Il y avait, en 1810, 32 églises, deux desquelles étaient destinées au culte catholique ; et la population était évaluée à 90 000 habitans, dont 10 000 étaient Français : on pense que cette population s’est accrue depuis de près de 30 000 âmes.

Pendant mon séjour à New-York, je logeai à Brooklyn, sur Long-Island : cette île n’est séparée de la ville que par un sound, ou bras de mer assez étroit ; on y voit un joli village, à peu de distance duquel se trouve un bassin enclos, où les chaloupes canonières étaient tirées presque à sec. On y avait construit des casernes, et on y entretenait une garde.

Avant de laisser New-York, il est bon de dire que durant notre séjour dans cette ville, Mr. M‘Kay crut qu’il était de la prudence de voir le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique, Mr. Jackson, afin de l’informer de l’objet pour lequel il allait s’embarquer, et de lui demander avis sur ce qu’il aurait à faire dans le cas d’une rupture entre les deux puissances ; lui intimant que nous étions tous sujets Britanniques, et que nous allions commercer sous le pavillon Américain. Après quelques momens de réflexion, Mr. Jackson lui dit, “que nous allions former un établissement mercantile au risque de notre vie ; que tout ce qu’il pouvait nous promettre, c’était que, dans le cas d’une guerre entre les deux puissances, nous sérions respectés comme sujets et commerçants Anglais.” Cette réponse parut satisfaisante, et Mr. M‘Kay crut n’avoir plus rien à appréhender de ce côté-là.

Le vaisseau dans lequel nous devions nous embarquer était le Tonquin, navire du port, de deux cent quatre-vingt-dix tonneaux, commandé par le Capitaine Thorn, qui avait vingt-un hommes d’équipage. Le nombre des passagers était de trente-trois. Voici les noms des uns et des autres :

PASSAGERS.
PROPRIÉTAIRES.
Alexander M‘Kay, Robert Stuart,
Duncan M‘Dougall, James Lewis,
David Stuart,
COMMIS.
James Lewis, Donald M′Lellan,
Russel Farnham, W. W. Matthews,
Alexander Ross, W. Wallace,
F. B. Pillet, Thomas M′Kay,
Donals M′Gillis, G. Franchère,
Ovide Montigny,
VOYAGEURS
Olivier Roy Lapensée, Joseph Lapierre,
Ignace Lapensée, Joseph Nadeau,
Basile Lapensée, J. Bte. Belleau,
Jacques Lafantaisie, Louis Brulé,
Benjamin Roussel, Antoine Belleau,
Michel Laframboise, P. D. Jérémie,
Giles Leclerc,
Johann Koaster, charpentier, Russe.
Georges Bell, tonnelier,
Ang. Roussil, forgeron,
Job Aikin, maître caboteur,
Guillaume Perrault, petit garçon,
Tous gens destinés à former l'établissement.
ÉQUIPAGE
J. Thorn, capitaine
E. D. Fox, 1er contre-maître,
J. D. Munford, 2nd. contre-maître,
John Anderson, bosseman,
Egbert Vanderhuff, tailleur,
John Weeks, charpentier,
Stephen Weeks, forgeron,
John Coles, voilier,
John White, matelot,
Adam Ficher, do.
Peter Vershel, do.
Edward Aymes, do.
Robert Hill, do.
Jos. Johnson, do.
Charles Robert, do.
John Martin, do.
Un mulâtre, cuisinier,

Et trois ou quatre autres hommes, dont j'ai oublié les noms.