Recueil intime/Lemerre, 1881/La Trêve
La Trêve
LAIRE est la nuit, limpide est l’onde.
Les astres faisant leur miroir
De la nappe large et profonde,
Y sont encor plus doux à voir.
Le paysage a, sur la rive,
Le charme et le rêve absolus.
Trop tôt quelque laideur arrive.
Rameurs, c’est bien ; ne ramez plus.
Le ciel verse la somnolence,
La terre l’aspire à longs traits ;
La brise même fait silence
Dans le feuillage des forêts.
C’est l’extase du calme étrange.
Tous les mots y sont superflus.
Le moindre murmure y dérange.
O rossignols, ne chantez plus.
L’étoile brille au bord du gouffre ;
L’onde sommeille sur l’écueil.
Je veux oublier que l’on souffre,
Reposer avant le cercueil.
Sans désir de l’heure future,
Sans regret des jours révolus,
Perds tes fièvres dans la nature,
O mon cœur, ne me bride plus !