Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles/Avertissement2

AVERTISSEMENT
du second volume


Un certain nombre des lecteurs de ces Fabliaux ont bien voulu exprimer le regret que les indications de manuscrits et d’éditions, le relevé des variantes et les renvois sommaires aux contes analogues, antérieurs ou postérieurs, dussent être renvoyés à la fin du Recueil. J’avais pris ce parti parce que des variantes sont un peu comme une table, plus faciles à consulter et à mettre en face du texte quand elles sont réunies en un seul endroit et qu’elles se trouvent dans un volume différent ; mais, comme le parti de les publier à mesure a l’avantage de les donner plus tôt et de mettre tout de suite le lecteur à même de juger, en pleine connaissance de cause, du soin avec lequel les manuscrits sont collationnés et des corrections qu’on a pu être forcé d’y faire, j’ai d’autant plus déféré à ce désir que des rapports de cette nature, entre l’éditeur et ceux qui s’intéressent à son travail, ne peuvent que profiter à l’œuvre, pour laquelle ils sont d’ailleurs un précieux encouragement. On désire avoir les variantes en même temps que les textes, et cela a ses avantages ; on trouvera, à la fin de ce second volume, celles qui s’y réfèrent et naturellement aussi celles qui se rapportent au premier volume. C’est même ce qui a augmenté le retard de la publication de celui-ci.

C’était mon ami M.  Pierre Jannet, pour lequel j’avais depuis longtemps commencé le travail de cette publication, qui se trouvait avoir entre les mains toutes les collations déjà faites par moi, et elles se rapportaient à la plus grande partie des fabliaux compris dans les quatre volumes de Méon. Apres sa mort, arrivée au milieu du siège, sa maison, à cause de la proximité des fortifications, — il demeurait à Montrouge, boulevard Jourdan, — fut employée comme poste et comme ambulance. On pense bien que les copies, non employées ou employées, et que les épreuves de la partie déjà imprimée, sur lesquelles se trouvaient précisément ces variantes qui n’étaient plus qu’à transcrire, ne se sont pas retrouvées. Ceux qui ont eu à recommencer de toutes pièces un travail déjà fait savent combien cela est dur : travailler pour faire est un plaisir, travailler pour refaire a toujours quelque chose d’irritant et de pénible, et je sais plus d’une œuvre, terminée ou très-avancée, qui, perdue dans des conditions semblables, a été abandonnée et ne sera jamais reprise.

Mon ami M.  Léopold Pannier se mit alors à ma disposition avec une bonne grâce que je ne saurais oublier. Pendant que je m’occupais de fabliaux auxquels je n’avais pas encore touché, il entreprit la collation de ceux dont j’avais perdu la copie, et je lui dois le premier travail d’un certain nombre des fabliaux de ce second volume, dont malheureusement il n’a pas vu la fin. Je comptais partager avec lui la charge de l’œuvre entière, mais sa collaboration, interrompue subitement par sa mort, n’a été que partielle et passagère. Je ne devais pas moins la signaler, pour ne pas être ingrat envers la mémoire d’un homme aussi intelligent, aussi dévoué à l’histoire de l’ancienne littérature de notre pays, et dont la perte est d’autant plus regrettable que sa jeunesse et son ardeur permettaient de compter sur lui et d’en beaucoup espérer.

C’est à la suite de cette mort qu’un jeune ami commun, M.  Gaston Raynaud, sorti, comme M.  Pannier et comme moi-même, de l’École des Chartes, — heureusement pour lui depuis moins longtemps, — a bien voulu s’offrir pour m’aider à mener à fin le recueil des Fabliaux.

Sa compétence, déjà bien connue dans le monde de l’érudition française, le sera bientôt dans le public par l’édition de la Chanson d’Aiol qu’il imprime pour la Société des anciens textes, par celle de la relation en vers de René Macé sur le Voyage de Charles-Quint en France, et par d’autres travaux qu’il prépare. Pour le commencement de sa collaboration, il s’est trouvé avoir la part la plus lourde, car c’est lui qui, en reprenant le travail comme s’il s’agissait d’une édition dont l’auteur aurait disparu, a dû, par suite de la perte des copies et des épreuves, collationner à nouveau les manuscrits et rétablir les variantes. Nous n’avons travaillé ensemble qu’à partir de la moitié du second volume ; il n’est que juste de mettre dès à présent son nom à côté du mien pour annoncer aux lecteurs de ce Recueil sa participation complète à la suite de l’œuvre, qui nous est maintenant commune.

Anatole de Montaiglon.