Recueil des lettres missives de Henri IV/1584/10 mai ― Au Roy, mon souverain seigneur (2)



1584. — 10 mai. — IIme.

Orig. — Biblioth. impér. de Saint-Pétersbourg, Ms. 913, lettre sans numéro. Copie transmise par M. Allier, correspondant du ministère de l’Instruction publique.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, J’eusse commencé, il y a quelques jours, à faire le voyage de Languedoc, sans l’extreme maladie de ma seur, qui m’a contrainct de venir en ce lieu en grande diligence, d’où je me delibere partir demain, d’autant quelle commence a se porter mieux, afin de retourner à Nerac, ou j’arresteray fort peu, suivant l’advis de monsr de Bellievre, qui m’a faict entendre le dict voyage de Languedoc estre fort pressé ; auquel jespere que Dieu me fera la grace de faire bon et fidelle service à Vostre Majesté, suivant le desir que j’en ay. Seullement, en passant par Foix, j’arresteray quelques jours pour y racommoder toutes choses, suivant l’edict et ce que la paix publique requiert, et au plus prés de l’intention de Vostre Majesté, et particulierement pour remectre dedans leurs maisons ceux qui, depuis la derniere sedition, en sont hors ; ensemble pour y attendre la response de Vostre Majesté à ceste depesche et celle que le dict sieur de Bellievre vous fait presentement, sur ce que, ne pouvant avoir une compagnie de gendarmes, laquelle j’ay demandée, non pour importuner Vostre Majesté de mes demandes (ce que je n’ay accoustumé, pour charger voz finances), mais pour pouvoir estre accompagné au dict voyage, qui est de consequence, avec dignité et seureté, et sans faire entrer Vostre Majesté en frais extraordinaires pour mondict voyage, et ne pouvant faire le dict voyage, avec mon train, seul et sans estre suivy et accompagné de gentilshommes de qualité de l’une et l’aultre religion, il fault maintenant que j’entre en grande et extraordinaire despence, pour laquelle soustenir estant besoin de m’ayder du mien, j’ay prié le dict sieur de Bellievre de s’employer à ce que je sois payé de ce qui me reste de la composition de Perigueux, laquelle m’est deue et promise avec beaucoup d’asseurance, il y a plus de deux ans pour le moings : qu’il me soit, sur la dicte composition ou en deduction, baillé jusques à six ou sept mil escus (attendu mesmes qu’elle a esté levée et imposée, et est entre les mains des tresoriers, ou employée ailleurs), et qu’il playse aussy à Vostre Majesté d’entretenir pour le temps de mon dict voyage et pour le reste de cette année, ma nouvelle garde, laquelle me servira au dict voyage, et commander le payement des deux gardes auxquelles il est deub presque une année ; en quoy je suis des plus mal traictez.

Le dict sr de Bellievre m’a aussi parlé de la chambre de justice de Guyenne, laquelle, aprés le temps expiré, reside encore en Guyenne. Sur quoy je luy ay faict entendre que je n’ay, comme je n’auray jamais, aultre volonté que celle de Vostre Majesté, et mesmes en ce qui despend de vostre commandement et de l’edict et conferences, qui contiennent que la dicte chambre de justice se departant de la province de Guyenne aprés deux ans, la chambre tripartie y doibt estre restablie. Mais si on la veult, ce faisant, regler suivant l’edict de l’an cinq cent septante (comme on dit aucuns l’avoir requis), c’est chose qui pour le mieulx doibt estre proposée en l’assemblée des Eglises qui y ont interest, estant une nouveauté que je ne puis accorder seul contre vostre edict, si elle n’est requise. Par mesme moyen, il y seroit parlé de la remise des villes de seureté, et de ce qui reste à executer de l’edict pour satisfaire à la volonté de Vostre Majesté, et y estre par elle pourveu ; en quoy j’apporteray tousjours de ma part ce que doibt un homme de ma qualité, ayant cet honneur de vous appartenir de si prés, et d’avoir esté nourry avec Vostre Majesté. Cependant je la supplie trez humblement, pour le bien de son service, de vouloir commander que les garnisons qui sont dedans les dictes villes de seureté, auxquelles il est deub huict mois, soyent payées, attendu que leur payement du dernier quartier de l’année passée a esté receu ; et pour cestuy-cy, le peuple, sans charger voz finances, les payera aisement, pour le moings qu’attendant que je sois de retour de Languedoc (auquel temps on pourra s’employer à vuider ce qui reste à executer de l’edict), il leur soit payé quatre moys, qui est la moitié de leur debte.

Et parce que j’ay entendu, Monseigneur, que aucuns ont poussé quelques habitans de la Sauvetat, village prochain de Puymirol, de depputer vers Vostre Majesté pour demander justice du meurdre qui a esté commiz, comme semblablement ceulx de Bazas, pour faire le semblable des violences du Casse, je n’ay voulu faillir d’en escrire à Vostre Majesté, non pour les excuser, mais pour l’en informer au vray : et premièrement, pour le regard de Puymirol, que ceulx de la dicte garnison, auxquels il estoit deub sept mois de leur soulde et entretenement, estans allez aux villages voisins pour recouvrer quelques vivres, offrans de les payer lorsqu’ils seroient payez, les paysans des dicts villages auxquels on avoit mandé d’empescher ceux de la dicte garnison de prendre aucuns vivres, avec asseurance qu’ils seroient soustenus, tindrent fort en leur maison et tuerent un soldat, nommé Lartigolles, qui avoit esté de mes lacquais ; ce qui les eschauffa tellement qu’ils voulurent forcer la maison où estoient les paysans, auxquels arriva le secours de touttes parts. Le feu y fut mis, qui fit mourir une grande partie de ceulx qui estoient dedans : qui est un accident advenu mal à propos, dont je suis trez marry, et qui merite punition.

Quant au Casse, je le fis, long temps a, sortir de Bazas, et demolir toutte la fortification qui estoit en la maison qu’il avoit dedans la dicte ville ; et depuis j’ay faict razer toute la fortification qu’il avoit faicte au dehors de la maison qu’il a aux champs, prés du dict Bazas, ainsy que le sr de Clermont, qui estoit present et s’y employa, peut tesmoigner. Depuis, l’estat de la dicte ville a esté changé, et y a esté mis garnison, citadelle bastie contre l’edict et ses accords, et conventions passées et jurées entre monsr le mareschal de Matignon et moy ; et tout le bois, planches, chevrons, portes, fenestres, qui estoient dedans la dicte maison du dict Casse, qui est dedans la dicte ville, emportez et bruslez par les soldats de la dicte garnison ; et Capdeville, habitant, de la Religion, fort paisible, et nagueres consul, assassiné et tué, sans qu’il en soit faict justice ; le consulat et jurade changés et forcés illegitimement, contre les privileges de la dicte ville. Cela a esmeu le dict Casse de fortifier de nouveau sa maison aux champs, et mander ceulx des villages pour y travailler, et, estant esté pris un des siens, d’user de représailles contre aulcuns des habitans de la dicte ville. Il est homme bestal, sans jugement et privé de sens, comme n’ayant voulu oyr les gentilshommes que j’ay depesché vers luy pour le faire contenir et obeir ; et n’y a homme de bien qui ne le baisse ou qui le veuille supporter. Mais aussi il n’a tué personne, ne faict les excés et cruautés que nagueres ceulx de Lavaur ont commis à Viterbe, ne les ravages, forcemens de filles et femmes et aultres crimes detestables, que ceulx qui ont actempté sur Figeac ont fait ; de la punition desquels on ne fait instance à Vostre Majesté, ce qui fait cognoistre qu’il y a beaucoup d’inegalité. Je confesse qu’il y a au faict du Casse beaucoup de mal contre vostre authorité, mais aussi il y a de la menée et passion estrange de ceulx de Bordeaux et Bazas, qui, à quelque prix que ce soit, ont resolu d’oster cette espine de leur pied, et font certainement le loup plus grand qu’il n’est. Et aucuns, non contens de cela, partisans de ceulx qui en ce Royaume ne sont gueres affectionnez à Vostre Majesté et Estat, et qui me sont ennemis, essayent d’user de ceste occasion pour me rendre odieux à Vostre Majesté et au peuple, et engendrer au cueur de Vostre Majesté quelque sinistre opinion ou alteration contre moy ; pour auxquels couper chemin et vous faire de plus en plus congnoistre que je n’ay rien plus a cueur que le bien de vostre service, de la paix et de l’Estat, et que je n’estime rien tant que l’honneur de vostre bonne grace à l’execution de voz commandemens, je supplie trez humblement Vostre Majesté trouver bon que je fasse moy-mesme l’execution contre le dict du Casse, à laquelle je procederay, touttes choses delaissées, si monsr le mareschal de Matignon m’envoie deux canons et deux couleuvrines ; et y auray bientost mis fin, et avec beaucoup d’espargne pour la despense, afin de le prendre et le mettre entre les mains de la justice, et razer sa maison ; et ne me vouloir priver de ceste charge qui m’appartient proprement, estant question d’une fortification et forcement de subjectz contre les lois du Royaume, et en quoy il va de mon honneur et reputation, et de la diminution de mon authorité, si aultre l’entreprend ; joinct que la dicte execution se peut mal aisement faire en ce temps par aultre que moy, sans donner de l’ombrage et defiance à beaucoup, et mettre alteration en ceste province, tant à cause de plusieurs actemptats fraischement commis contre ceulx de la Religion, que aussi parce que l’abolition, depuis si longtemps qu’elle a esté accordée, n’a pu encore estre veriffiée, au grand prejudice, trouble et mescontentement de ceulx qui y ont interest.

D’aultre part, nagueres le president Pichard, catholicque, a esté constitué prisonnier à Paris, par ordonnance de vostre privé conseil, estant à la poursuicte de l’expedition de l’abolition du faict du capitaine Bazas, assoupy et esteinct et expressement compris en la conference du Flex, duquel il y eut plusieurs desclarations de Vostre Majesté et de Monsieur, et adveuz suffisans, ce qui a mis touttes les Eglises de ceste province en allarme, et pourroit mettre en desespoir beaucoup de particuliers, de quoy je n’ay voulu faillir d’advertir Vostre Majesté, et la supplier ne permettre que la passion d’aucuns, en particularitez de peu de consequence et qu’ils font neanmoings tres grandes, soit cause d’empescher un bien general et important au repos et grandeur de tout cest Estat. Et par ce, Monseigneur, que je me promets de Vostre Majesté (m’ayant, dés mes premiers ans, demonstré beaucoup d’amitié et bonne volonté) que, en satisfaisant à sa volonté, Elle aura agreable que je luy fasse par mesme moyen congnoistre et à un chascun, en ce faire, que j’aime l’obeissance et la justice, et la veux maintenir et y apporter toutte l’authorité qu’il a pleu à Vostre Majesté et aux Roys voz predecesseurs me donner, et ce qui despend de moy, et en montrer l’exemple sur ceulx mesmes qu’on m’a imposés, que je supporte, et qui ont tenu le party de la Religion, je n’en ennuyeray davantage Vostre Majesté, de la bonne grace de laquelle j’attends plus grande faveur que de me conserver en ce qui m’appartient, et en quoy l’occasion se presente de maintenir mon honneur et authorité et repousser les calompnies ; si ce n’est pour vous supplier trez humblement, Monseigneur, de vouloir croire que je n’ay, en cela et aultre chose, aultre but que de vous rendre le trez humble service que je vous doy, et d’employer mes moyens et ma vie pour Vostre Majesté et le bien de son Estat. Et encores qu’il y en ayt assez qui se travaillent à entretenir Vostre Majesté en soubçon et desfiance et haine perpetuelle contre ceulx de la Religion et leurs desportemens, sy est-ce que je puis réspondre à Vostre Majesté qu’ils n’ont aulcune volonté de troubler vostre Estat ne faire entreprinse qui nous soit prejudiciable ; ains qu’ils sont résolus de se contenir, et ne desirent qu’en vivant soubs l’obeissance deue à vostre authorité souveraine, employer tous leurs moyens et leurs personnes pour Vostre Majesté et conservation de vostre Estat, quand il luy plaira les honorer de ses commandemens, et faire estat de mon trez humble et trez fidele service. En ceste immuable volonté je supplieray Nostre Seigneur vouloir conserver Vostre Majesté,

Monseigneur,

Longuement et trez heureusement, en trez parfaicte santé. De Pau, le xe de may 1584.

Vostre trez humble, trez obeissant et trez fidele

subject et serviteur,


HENRY.