Recueil des lettres missives de Henri IV/1581/31 janvier ― Au capitaine Fortisson, ou, en son absence, à Pergade, estant de présent en mon chasteau à Tartas



1581. — 31 janvier.

Orig. – Arch. de la famille de Fortisson. Copie transmise par M. Jubé, sous-chef de bureau au ministère de l’Instruction publique.


AU CAPITAINE FORTISSON, OU, EN SON ABSENCE, À PERGADE, ESTANT DE PRESENT EN MON CHASTEAU À TARTAS[1].

Capitaine Fortisson, J’ay pourveu le sr de la Mothe de la capitainerie de Tartas, par la resignation que luy en a faicte le capitaine ..... dont je luy ay faict expedier les [tiltre] et provisions ; suivant lesquelles il s’en ira au dict Tartas, pour en prendre possession. À ceste occasion je vous ay bien voulu escrire ceste-cy, pour vous mander que vous ayés à mettre le chasteau entre ses mains, ensemble les pieces d’artillerie, pouldres et munitions, armes et tout ce qui y est dedans, sans en estre transporté aulcune chose. Je me sens au reste si satisfaict du bon debvoir que vous avés faict en la garde et conservation du dict chasteau que, sy, estant l’occasion de le vous recognoistre, je le feray fort volontiers, et d’aussy bon cœur que je prie Dieu, capitaine Fortisson, vous tenir en sa garde. De Cadillac[2], ce dernier Jour de janvier 1581.

Vostre bon amy,


HENRY.


  1. Petite ville de Gascogne, aujourd’hui du département des Landes.
  2. Il y a deux petites villes de ce nom dans le département de la Gironde. Celle dont il s’agit ici appartenait à M. de Candale (François de Foix, évêque d’Aire). D’Aubigné raconte sur ce séjour du roi de Navarre une anecdote qui peint dans une noble attitude de liberté les hommes si distingués de sa petite cour. « Le roi de Navarre, passant à Cadillac, pria le grand François de Candale, assez connu par ce nom, de lui faire voir son excellent cabinet : ce qu’il voulut bien faire, à condition qu’il n’y entreroit point d’ignares. « Non, mon oncle, dit mon maistre, je n’y meneray personne qui ne soit plus capable de le voir et d’en connoitre le prix que moy. » Il ne prit donc avec luy que les sieurs de Clervant, du Plessis Mornay, de Sainte-Aldegonde, Constant, Pelisson et moy d’Aubigné. La compagnie s’amusa d’abord à faire lever le poids d’un canon par une petite machine qu’un enfant de six ans tenoit entre ses mains. Comme elle estoit fort attentive à cette operation, je me mis à considerer un marbre noir de sept pieds en carré, qui servoit de table au bon seigneur de Candale ; et ayant apperçu un crayon, j’escrivis dessus pendant qu’on raisonnoit sur la petite machine, ce distique latin :
    Non isthæc, princeps, regem tractare doceto,
    Sed docta regni pondera ferre manu.

    Cela fait, je recouvris le marbre et rejoignis la compagnie ; qui estant arrivée à ce marbre, M. de Candale dit à mon maistre, « Voici ma table ; » et ayant osté la couverture et veu ce distique, il s’écria : « Ah ! il y a ici un homme. — Comment, reprit le roi de Navarre, croyez-vous que les autres soient des bestes ? Je vous prie, mon oncle, de deviner à la mine qui vous jugez capable d’avoir faict ce coup. » Ce qui fournit matiere à d’assez plaisans propoz. » (Mémoires de la vie de Théodore-Agrippa d’Aubigné.)