Recueil des lettres missives de Henri IV/1577/Vers les premiers jours de l’année ― À monsieur de Batz (1)



ANNÉE 1577.


[1577. — vers les premiers jours de l’année.] – Ire.

Orig. autographe. – Collection de M. F. Feuillet de Conches.

Cop. authentique. – Arch. de famille de M. le baron de Batz. Envoi de M. le préfet des Landes[1]. Fac-simile gravé par les soins de l’abbé Brizard[2].

Imprimé. – De l’amour de Henri IV pour les lettres, Paris, 1786, in-18, p. 238 – Et Vie militaire et privée de Henri IV, etc. Paris, an XII, in-8o, p. 11.


À MONSR DE BATZ.

Monsr de Batz, J’ay entendu avecque plaisir les services que vous et monsr de Roquelaure[3] avés faict à ceulx de la Religion, et la sauveté que vous particulierement avez donnée en vostre chasteau de Suberbie à ceulx de mon pays de Bearn, et aussy l’offre que je accepte pour ce temps de vostre dict chasteau. De quoy je vous veulx bien remercyer, et pryer de croire que combien que soyés de ceulx-là du Pape je ne avois, comme le cuydiés, mesfiance de vous dessus ces choses. Ceulx qui suivent tout droict leur conscience sont de ma religion[4] ; et moy je suis de celle de tous ceulx-là qui sont braves et bons. Sur ce, je ne feray la presente plus longue, sinon pour vous recommander la place qu’avés en main, et d’estre sur vos gardes, pour ce que ne peut faillir que ne ayez bientost du bruict aux oreilles. Mais de cela je m’en repose sur vous comme le devez faire sur

Vostre plus asseuré et meilleur amy,
HENRY.


  1. M. le baron de Batz d’Aurice, héritier direct de Manaud de Batz, à qui cette lettre est adressée, nous l’a transmise d’après une copie authentique dont sa famille ne possédait plus l’original depuis le siècle dernier.
  2. L’abbé Brizard et Musset-Pathay, auteurs de deux ouvrages anonymes sur Henri IV, ont eu communication des lettres conservées par la famille de Batz. Le premier, qui avait, comme nous l’avons dit, le projet de publier un recueil des lettres de Henri IV, avait fait graver un fac-simile de celle-ci avec une telle perfection qu’il est extrêmement difficile de distinguer cette imitation de l’original. Il annonça, dans son livre intitulé De l’amour de Henri IV pour les lettres, qu’il distribuerait gratuitement cette gravure à tous ceux qui la lui feraient demander. De là est résulté qu’un grand nombre de personnes qui en possèdent des exemplaires ont cru jusqu’ici posséder l’original. Nous avons eu occasion de reconnaître plusieurs fois cette méprise. Aussi avons-nous mis d’autant plus de soin à constater la présence de l’original autographe dans la magnifique collection de M. F. Feuillet de Conches.
  3. Antoine de Roquelaure, seigneur de Roquelaure en Armagnac, de Gaudoux, etc. baron de Laverdenx et de Biran, fils de Géraud, seigneur de Roquelaure et de Catherine de Bezolles, était né en 1543, et jouissait déjà de beaucoup de crédit auprès de Jeanne d’Albret. Elle lui donna sa part dans la terre de Roquelaure, dont il était coseigneur avec elle, et l’engagea au service du roi son fils. Roquelaure fut lieutenant de la compagnie des gendarmes de ce prince, et maître de sa garde-robe. Il continua cette dernière fonction auprès de Henri IV, qui le nomma, en 1595, chevalier de ses ordres. Il joignit à ces titres, en 1610, quelque temps avant la mort de Henri IV, ceux de lieutenant de roi dans la haute Auvergne, capitaine du château de Fontainebleau, gouverneur du comté de Foix et lieutenant général du gouvernement de Guienne. En 1615 il devint maire perpétuel de Bordeaux et maréchal de France. Il mourut à Lectoure, le 9 juin 1625.
  4. Il fallait toute la tolérance et l’habileté du roi de Navarre pour tenir réunis à sa cour des hommes entre lesquels la diversité des opinions et des intérêts jetait tant de germes de discorde. D’Aubigné laisse voir son dépit, en racontant qu’alors, en 1576, ce prince « se montra le partisan des catholiques en beaucoup de façons. » Sully, plus impartial, bien que de la même religion que d’Aubigné, expose ainsi l’état de cette cour, où il semblait « qu’il y eust, dit-il, deux partis : l’un de catholiques, composé de MM. de Laverdin, Miossens, Grand-Mont, Duras, Roquelaure, Saincte-Coulombe, Begoles, Podins et autres ; l’autre de huguenots, composé de messieurs de Thurenne, Mont-Gommery, Guitry, Lesignan, Favas, Pardaillan et autres, lesquels par plusieurs fois faillirent d’en venir aux mains… Le Roy de Navarre se trouvant bien empesché à concilier tant d’esprits et de fantaisies diverses, luy eschappant quelque-fois de dire qu’il sembloit avoir plus d’obligation aux catholiques que non pas aux huguenots, d’autant que ceux-ci le servoient et assistoient à cause des interests de leurs personnes et de leur religion, au lieu que les autres n’y estoient menez que par la seule affection qu’ils portoient à sa grandeur et à sa fortune, au prejudice de leur propre creance et religion. » (Œconom. royales, Ire partie, chap. VIII.)