Recueil des lettres missives de Henri IV/1577/17 avril ― À mon cousin monsieur le mareschal de Dampville



1577. — 17 avril.

Imprimé. – Histoire générale de Languedoc, par dom Vaissète, t. V, preuves, col. 255.


[À MON COUSIN MONSR LE MARESCHAL DE DAMPVILLE.]

Mon Cousin, Depuis vous avoir adverty, par le sieur de Segur[1], de ce qui s’estoit passé entre le sieur de Biron et moy sur ce qu’il avoit apporté de la part du Roy mon seigneur pour arrester une trefve particuliere jusques au dix de ce mois, tendant à fin d’en avoir une plus longue et durable, pour avoir meilleur et plus seur moyen de faire un pourparlé de paix[2], le sr de la Chevalerye[3], qui avoit esté depesché vers le Roy mon dict seigneur, pour luy faire entendra ce qui avoit esté ainsi accordé et advisé, est de retour depuis deux ou trois jours, lequel ne rapporte aulcune prorogation de trefve, mais bien le consentement et permission du Roy mon dict seigneur, pour faire le dict abouchement pour la negociation de la paix, et a apporté le passeport necessaire pour ceulx qui se doivent trouver à la dicte conference avec mon oncle monsieur de Montpensier, au xxve de ce mois à Bagerac[4]. Entre lesquels monsr le premier president de Toulouse[5] estant nommé, j’ay envoyé le sr de Caseneuve[6] vers luy pour sa seureté, pour l’accompaigner jusques où sera mon dict oncle ; n’ayant aussi voulu faillir par mesme moyen de depescher vers vous Aubigny[7], present porteur, pour vous tenir adverty de tout ce que j’ay receu et entendu par le dict de la Chevalerye, tant affin que vous ayez cognoissance de tous noz affaires, et que puissyez voir clair en noz actions, que aussy pour avoir vostre advis et sage conseil au progres de ceste negociation, sans lequel je ne veulx traicter, accorder ne conclure, et sans le consentement general, comme il est trop raisonnable qu’un affaire universel soit traicté generalement. Et parce que de leur part ils ont faict election de personnages qui sont des plus advisez et suffisans de ce Royaume ; à sçavoir les sieurs de Biron, de Foix, de Pibrac[8], le dict president, la Motte Fenelon[9] et aultres de ce rang et qualité, il ne fault demeurer courts de nostre part ; ains est besoing de donner ordre à ce que soient deputez des provinces de de-là gens entendus et advisez, pour contrepeser la suffisance des aultres. Et pour cest effect, je vous prie, mon Cousin, faire depputer de vostre part, ou des Esglises, les srs Bossulas[10] et Claussonne[11] ; et où ils n’auroient esté eslus, les faire neantmoings depescher de de-çà en diligence, qui soit d’aultant plus grande, que le faict qui se manie n’est de petite importance, et touche tout le general. Et entre aultres choses, il est besoing que les dicts depputez soient fondez et garnis de pouvoir suffisant et valable pour la negociation et conclusion de la paix ; vous priant derechef, mon Cousin, nous envoyer les dicts Claussonne et Bossulas, et tenir la main à ce que les Esglises n’en depputent poinct de leur part qui ne soient suffisans. J’ay eu aujourd’huy nouvelles de mon cousin, monsieur le prince de Condé, qui me mande qu’il a bien pourvu ses places, et qu’il sçait qu’en nous amusant on veult avoir la Charité[12], pour apres faire fondre toutes les forces en ce pays de Guyenne ; à quoy il nous fault penser et prevoyr, et y pourveoir de bonne heure. Cependant je vous prie faire entier estat de moy, de mon amitié et de tout ce qui est en ma puissance, et croire ce porteur de ce qu’il vous dira de ma part comme moy-mesme, comme aussi j’ay commandé à Du P[in] de vous faire entendre plusieurs particularitez. Sur ce, je prye Dieu vous tenir, mon Cousin, en sa tres saincte garde et protection. A Agen, le xvije d’avril 1578.

Votre plus affectionné cousin et parfaict amy,
HENRY.



  1. Jacques de Ségur, appelé souvent Ségur-Pardaillan, seigneur de Sainte-Aulaye, Montazeau, etc. fils de Pierre de Ségur et de Catherine de Pellagrue, nommé, le 14 août 1576, gentilhomme de la chambre du roi de Navarre, devint surintendant de ses maison, affaires et finances, chef de son conseil ; fut gouverneur de Sainte-Foy en Agenois ; puis, en 1593, capitaine de cinquante lances des ordonnances. Il vivait encore en 1605. Le roi de Navarre l’employa dans plusieurs négociations importantes.
  2. Le maréchal de Damville qui, dans son gouvernement de Languedoc, s’était rendu indépendant, et que les divers partis cherchaient à se concilier, venait de faire avec les protestants un accord dont le texte a été imprimé par dom Vaissète. (Hist. du Languedoc, t. V ; preuves, p. 246.) Le même historien remarque (l. XL, t. V, p. 358) que cette lettre du roi de Navarre contribua à consolider ce traité, qui, malheureusement pour les religionnaires, ne fut pas de longue durée. Mais dom Vaissète n’accompagne d’aucune note explicative cette lettre, dont il donne simplement le texte dans ses preuves.
  3. Il était fils d’Adam des Escotais, seigneur de la Chevalerie au Maine, mort le 28 janvier 1574, et de Renée de Souvré, fille de Jean Ier, seigneur de Souvré.
  4. C’est la ville de Bergerac, appelée aussi quelquefois Bragerac. Ces nombreuses variations dans la manière d’écrire un même mot, surtout les noms de lieux ou de personnes, sont, comme nous l’avons dit, un des caractères du temps.
  5. Jean d’Afis, premier président au parlement de Toulouse, de 1562 à 1581. Il eut pour successeur l’infortuné président Duranti.
  6. Le Caseneuve dont il est ici mention pourrait être un sieur de Fabas, seigneur de Caseneuve.
  7. Théodore Agrippa d’Aubigné ou Aubigny, seigneur des Landes et de Chaillou, fils de Jean d’Aubigné, seigneur de Brie, et de Catherine de l’Estang, né le 8 février 1550, gentilhomme de la chambre du roi de Navarre, dont il suivit la fortune, sans l’aimer ni en être aimé. Il devint maréchal de camp ; gouverneur des îles et château de Maillezais, vice-amiral de Guienne et de Bretagne, mourut à Genève le 29 avril 1630, et fut le grand-père de madame de Maintenon. D’Aubigné ayant vécu au centre de la cour, en a peint les vices et les travers dans les deux satires si mordantes intitulées : Le baron de Fœneste et la Confession de Sancy. Les allusions dénigrantes en sont principalement dirigées contre Henri III et le duc d’Épernon. Dans un genre plus élevé, d’Aubigné s’est illustré comme historien par celui de ses ouvrages qui, sous le titre d’Histoire universelle, s’étend de l’année 1550 à l’année 1610. Les mémoires de sa vie semblent parfois participer des deux genres. Il a pris trop de part à tous les événements qu’il raconte pour s’être montré toujours impartial ; néanmoins rien ne pourrait suppléer à beaucoup des renseignements qui nous sont parvenus par ces deux derniers ouvrages. Il a consacré à la négociation dont il est question ici tout le chapitre vii du l. III, t. II, de son Histoire universelle. On y voit qu’outre la mission ostensible de remettre cette lettre au maréchal de Dampville, il avait à examiner secrètement ce qu’il pouvait y avoir d’accord entre le maréchal et la cour.
  8. Le célèbre auteur des Quatrains moraux, Guy du Faur, seigneur de Pibrac, quatrième fils de Pierre du Faur, seigneur de Pujols, président au parlement de Toulouse, et de Gaufide-Douce, dame de Pibrac, fut successivement conseiller au parlement de Toulouse, juge-mage, député aux états d’Orléans en 1559, ambassadeur de France au concile de Trente, avocat général au parlement de Paris. Quand le duc d’Anjou partit pour la Pologne, dont il venait d’être élu roi, Pibrac l’accompagna comme chancelier et y fut envoyé ensuite comme ambassadeur après l’avénement de Henri III au trône de France. Il devint, en 1577, président à mortier au parlement de Paris, et chancelier de la reine de Navarre. Cette lettre prouve qu’il se trouva, la même année, auprès du roi de Navarre, dont son frère, Louis du Faur, seigneur de Gratens, était chancelier.
  9. Bertrand de Salignac, Salagnac ou Salaignac, de la Mothe-Fénélon, vicomte de Saint-Julien, de Lanpont et baron de Lobert, le septième des enfants de Hélie de Salignac et de Catherine de Ségur-Théobon, était né en 1523. Il fut conseiller d’état, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances, chevalier de Saint-Michel en 1567, ambassadeur en Angleterre de 1568 à 1575, chevalier commandeur du Saint-Esprit à la première promotion en 1578, envoyé de nouveau en Angleterre en 1581, au sujet du projet de mariage du duc d’Anjou avec Élisabeth. De retour dans le Périgord, sa province, il combattit constamment les protestants jusqu’à la fin du règne de Henri III, et aussitôt après la mort de ce prince, fut un des premiers seigneurs catholiques qui se rallièrent à son successeur. Le 11 avril 1599 Henri IV le nomma ambassadeur en Espagne. M. de Fénélon, âgé de soixante et seize ans, se mit en route pour ce royaume, et arrivé à Bordeaux, il y mourut le 13 août 1599. Sa loyauté et la dignité de son caractère l’avaient distingué parmi les agents de Catherine de Médicis, qu’il servit toujours très-fidèlement, ainsi que le prouve sa correspondance diplomatique, publiée, en sept volumes in-8o, par M. A. Teulet. Cette édition importante, dans laquelle nous puisons ces renseignements biographiques, fait parfaitement connaître ce personnage considérable et sa maison. Il était, dit un mémoire authentique cité par M. Teulet, « de ceux de Salignac en Perigort, qui est une grande famille bien ancienne et bien noble de barons au pays de Guyenne. » Bertrand de Salignac eut pour neveu au sixième degré le célèbre archevêque de Cambrai.
  10. M. de Bossulas, appelé par d’autres de Boisseson, figure, avec M. de Claussonne, entre les députés envoyés à M. de Damville, en mars 1577, par les églises réformées du bas Languedoc, réunies à Lunel. Ces députés avaient charge de déclarer au maréchal que les églises se séparaient de lui.
  11. M. de Claussonne était président au parlement de Toulouse. « C’étoit, dit dom Vaissète, un homme vif et entreprenant, qui avoit beaucoup d’autorité parmi les religionnaires. » (Hist. génér. de Languedoc, t. V, p. 313.)
  12. A peu près au moment où le roi de Navarre écrivait cette lettre, la ville de la Charité était prise ; voici ce qu’en dit Mézeray : « Au commencement d’avril le duc d’Anjou assiégea la Charité avec douze mille hommes de pied et trois mille chevaux. Les ducs de Guise et d’Aumale estoient ses lieutenans, la Châtre son maréchal de camp, et à vray dire son directeur. La place fut investie si promptement, que Jacques de Morogues, qui en estoit gouverneur, n’y put faire entrer de gens de guerre ; de sorte que, n’ayant que cent cinquante hommes pour deffendre trois bresches, il capitula après avoir soustenu deux assauts. » (Abrégé chronologique, ann. 1577)