Recueil des lettres missives de Henri IV/1571/25 juillet ― À monsieur de la Force



1571. — 25 juillet.

Orig. — Arch. de famille de M. le marquis Édouard de la Grange.


À MONSR DE LA FORCE.

Monsr de la Force, Nous avons veu l’escript qui nous a esté presenté de vostre part, par Monsere, contenant vostre plaincte du pillage et saccagement que pretendez avoir esté faict, par le capitaine Pynaudiere, en vostre chasteau de Chasteau-Jollet ; nous en avons faict faire lecture en sa presence, qui a nyé le contenu en icelle et supplye estre receu en ses justifications. Pour ce que c’est chose juste et equitable, nous ne luy avons peu denier. Mais d’autant que nous desirons qu’il soit promptement congneu et enquis des depportemens dudict la Pynaudiere s’estant emparé de vostre chasteau, affin de vous en faire faire bonne raison et justice, si elle y eschet, il nous a semblé que nous ne pouvons mieux faire que de commettre quelques notables seigneurs et gentilzhommes estant proches et voysins du lieu où l’acte a esté faict, pardevant lesquelz seroient incontinent apportées toutes les informacions qui concerneront ce faict, ensemble les justifficacions dudict Pynaudiere, et sur le tout nous soit donné advis par lesdictz seigneurs et gentilzhommes, affin d’en faire le jugement tel que nous cognoistrons en dernier estre faict. Nous avons pour cest effect nommé messieurs de la Rochefoucault et de Sainct-Mesmes, que nous estimons, comme nous croyons que vous faictes, pour personnages qui procedderont tousjours en toutes leurs actions avec autant de sincerité et rondeur qu’ilz ont acquis d’honneur et reputation entre les gens de bien. Mais pour ce qu’il semble que le dict Pynaudiere, pour partie de sa justiffication, se veult prevalloir et ayder du commandement qu’il a receu d’eulx, et que nous craignons que pour ceste seulle occasion, vous les peussiez en ce faict tenir pour aucunement suspectz, nous remettons, pour cest ellect, à vous de faire choix et nomination de deux gentilzhommes, gens de bien et d’honneur, qui avec lesdictz srs de la Roche et de Sainct-Mesmes, verront et orront lesdictes informations et justiffications, et nous donneront leur advis de ce qu’il leur semblera devoir estre sur ce faict[1] : vous priant, Monsr de la Force, de croire que ce qui nous faict desirer telle forme de proceddure, ce n’est point pour envie que nous ayons de porter ou favoriser, en quelque façon, les sinistres et indignes depportemens de ceux qui ont suivy nostre party, mais seullement pour empescher la dangereuse et pernicieuse consequence qui arriveroit là où, entre ceux de la Relligion, les differens en seroient tirez devant juges qui ne sont de nostre Relligion, et aussi que nous considerons quel est en cela le devoir de ceux de nostre profession. Nous vous estimons pour tant homme de bien et ayant la pieté en telle recommandation que recepvant debonne [part] le sain advis que nous vous donnons en cest endroict, vous le suivrez ; faisant surceoir et differer ce pendant les poursuites que l’on nous a dict que vous faictes de ceste action pardevant le visénéchal d’Angoulmois[2]. Dont nous vous prions bien instamment. Et sur ce nous ferons fin pour prier Dieu qu’il vous ayt, Monsr de la Force, en sa tres saincte et digne garde. De la Jarry[3] pres la Rochelle, ce xxve jour de juillet 1571.

Vos bien bons amys,

HENRY,

HENRY DE BOURBON.


  1. Ceci était la suite d’une décision prise le même jour, signée des deux princes et contresignée Caboche, dont le procès-verbal est conservé avec cette lettre et la précédente dans les archives de M. le marquis de la Grange.
  2. Régulièrement, le différend aurait dû être vidé devant ce magistrat. Mais cette lettre offre un exemple frappant de l’intervention des princes chefs des protestants, comme arbitres des différends qui s’élevaient entre les seigneurs de leur parti.
  3. Aujourd’hui chef-lieu de canton dans la Charente-Inférieure, à trois lieues de la Rochelle.