Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/Funérailles


COUP D’OEIL HISTORIQUE


Sur les Funérailles, Sépultures, Tombeaux et autres Monumens funéraires des Peuples anciens et modernes.




Dans tous les temps et chez tous les peuples, l’amour, la reconnaissance, et même trop souvent la vanité, ont consacré les funérailles par des cérémonies augustes, touchantes et symboliques. Chez chaque peuple ces cérémonies diffèrent suivant le degré de sa civilisation, suivant ses mœurs et ses préjugés ; et chez tous elles paraissent fondées sur le sentiment intime de l’immortalité de l’ame et l’incertitude de sa destinée après sa séparation du corps.

De la, sans doute, est provenu le saint respect pour le lieu consacré aux inhumations, que les anciens nommaient le Champ du repos. L’on sera aisément convaincu de l’existence universelle de cette pieuse vénération pour la dépouille mortelle de l’humanité en jetant un coup d’œil sur les usages des peuples, tant anciens que modernes, les mieux connus à l’égard de leurs funérailles. Si parmi ces usages il s’en trouve de bizarres, d’extravagans, et même d’atroces, ce ne sont que des conséquences outrées dont on ne peut appliquer le blâme au principe d’où elles émanent.

Je vais donc faire connaitre rapidement ces usages au lecteur en commençant par les peuples que les monumens historiques des temps les plus reculés nous font connaitre.

Dès la plus haute antiquité, il y a eu des tombeaux, et l’on a rendu des honneurs particuliers à la cendre des morts. Nous lisons dans Homère que des jeux funèbres furent célébrés en l’honneur de Patrocle, d’Hector, et qu’un magnifique tombeau fut élevé à Achille sur le promontoire de Sigée. Daris de Phrygie, ou plutôt l’écrivain qui s’est caché sous ce nom, nous apprend que Priam et Hécube se rendaient, avec les princes et princesses de leur famille, une fois chaque année au tombeau d’Hector pour y offrir un sacrifice ; et nous lisons dans l’Enéide qu’Andromaque avait élevé en Grèce un tombeau ou cénotaphe auprès duquel elle se rendait souvent pour faire des libations à la mémoire d’Hector, son époux.

L’Égypte, qui passe pour avoir été le berceau de la philosophie, des sciences, des arts, et de la législation, est aussi le pays où la vénération pour les morts paraît avoir été portée au plus haut degré. Bien avant le siège de Troie, les Égyptiens se distinguaient des autres peuples par leur respect pour les morts. Ils prenaient des habits de deuil, et montraient surtout leur affliction en s’abstenant du bain et de la bonne chère pendant plus de quarante jours. Ils embaumaient les corps avec beaucoup de soin, prononçaient l’éloge funèbre de ceux auxquels ces dépouilles avaient appartenu, et qui, pendant leur vie, s’étaient distingués par la pratique de la vertu. Ces corps, ainsi préparés, étaient souvent gardés dans la maison de leur pieuse famille, qui, aux jours de fêtes, les plaçaient à sa table comme convives pour participer à la joie commune. Le respect pour ces précieux restes était tel, qu’un Égyptien trouvait de l’argent à emprunter en donnant pour gage le corps de l’auteur de ses jours, et même de son frère. Indépendamment de cet usage, pratiqué par les Égyptiens, il y avait un cimetière commun où aucun cadavre n’était admis qu’après un jugement public. Si le mort était convaincu d’avoir mené une vie scandaleuse, ou d’avoir commis quelque crime, on lui refusait une sépulture honorable, et on le jetait dans une espèce de voierie ou de fosse, qu’on nommait le Tartare.

Personne n’ignore que les pyramides, ces monumens indestructibles qui fatiguent le temps, ont été construites pour être le dernier asile de quelques monarques dont les règnes sont inconnus, ou sur lesquels on n’a que des conjectures vagues.

L’art des embaumemens n’a pas été pratiqué par les seuls Égyptiens ; on en trouve des vestiges chez plusieurs autres peuples, et tout le monde sait qu’il est encore en usage en Europe pour certaines personnes distinguées. Mais on sera bien aise d’apprendre que cet usage a eu lieu dans l’antiquité chez un peuple peu nombreux et assez obscur, qui le pratiquait avec beaucoup d’industrie. Les momies des Guanches, anciens habitans des Canaries, sont encore estimées des curieux, et peut-être autant recherchées que celles de l’Égypte.

Je passe donc à un autre peuple, voisin de l’Égypte, qui, pour avoir habité ce pays assez long-temps avant son établissement en Palestine, ne parait pas en avoir adopté un grand nombre d’usages.

Les Juifs enterraient les gens du peuple après avoir lavé leurs corps ; mais ils embaumaient les personnes de distinction et les enfermaient dans des sépulcres. On lit dans l’Écriture que le corps d’Aza, roi de Juda, fut mis sur un lit de parade rempli de parfums précieux auxquels on mit le feu ; et cette cérémonie était pratiquée aux funérailles de tous les rois de Juda.

Les Juifs, comme la plupart des autres peuples, se servaient de pleureuses gagées dont les lamentations étaient accompagnées du son triste et lugubre des flûtes. Ils conduisaient en grande pompe les morts au tombeau ; Moïse en fait une loi expresse. Parens, amis et serviteurs, tous étaient obligés d’assister au convoi.

Leurs sépultures étaient hors des villes et placées le long des grands chemins dans des champs ou des jardins. Les tombeaux étaient simples ; les plus riches étaient creusés dans la pierre, et surmontés d’un obélisque : il faut cependant en excepter celui de David, que Salomon lui fit ériger dans la ville de Jérusalem, avec la magnificence d’un puissant souverain.

Leur deuil était de soixante-dix jours pour les grands, et seulement de sept jours pour les particuliers. Pour le porter, ils se couvraient de cendre, se revêtaient de cilice, se privaient de tous les plaisirs, et jeûnaient rigoureusement.

Par une singularité remarquable, la religion ne paraissait entrer pour rien dans leurs cérémonies funéraires ; et bien loin que les prêtres y fussent appelés, il leur était défendu d’y assister, sous peine d’encourir une souillure légale. Tous les laïques qui s’y trouvaient étaient immondes jusqu’à ce qu’ils se fussent purifiés.

Les Juifs modernes suivent d’autres pratiques, dont je m’abstiendrai de parler, chacun étant à portée d’en prendre connaissance.

Les anciens Grecs, ce peuple si digne de notre admiration, tant pour l’excellence de son goût dans les arts, sa civilisation, son amour pour la liberté, que pour la majesté et la richesse de son langage, les Grecs regardaient les sépultures comme un devoir sacré recommandé par les dieux. Pictatis officium est mortuos sepetire, dit Pausanias. La croyance que leur avaient insinuée les poètes, premiers instituteurs de tous les peuples, que les âmes de ceux qui n’avaient pas reçu la sépulture restaient errantes sur le bord du Styx, sans pouvoir être admises à passer ce fleuve pour arriver à leur dernière destination, heureuses ou malheureuses, suivant leur mérite. Cette croyance sacrée ne leur faisait rien négliger pour rendre aux morts les derniers devoirs.

Ce ne fut que la première année de la guerre du Péloponnèse que les Athéniens donnèrent l’exemple des funérailles publiques dans les honneurs qu’ils rendirent à ceux de leurs guerriers qui avaient été tués ; honneurs qu’ils décernèrent à tous les autres qui périrent depuis dans cette longue guerre. On exposait d’abord les ossemens des morts pendant trois jours sous une tente. Lorsque chacun avait jeté sur ces glorieux restes des fleurs et des parfums, on les plaçait sur des chariots dans des cercueils de cyprès. Sur un autre chariot était un grand cercueil vide pour ceux dont on n’avait pu trouver les corps : on le nommait Cénotaphe. La marche en était lente, grave, religieuse ; on déposait ces ossemens dans le Céramique, vaste monument situé dans le plus beau faubourg de la ville. On élevait sur leurs tombeaux des colonnes sur lesquelles on gravait le nom de l’endroit où ces braves avaient été tués, et une courte inscription en leur honneur. Rien n’égala jamais en magnificence les funérailles d’Alexandre-le-Grand, ni celles de Philopémen, auxquelles assistèrent les habitans de toutes les villes des Achéens.

Enfin, chez ce peuple, un général eût plutôt renoncé au titre de vainqueur que de manquer à donner la sépulture aux soldats morts sur le champ de bataille. Tout officier infracteur de cette loi était puni d’une peine capitale, fût-il revenu victorieux.

Les Macédoniens avaient consacré le même principe, et Alexandre leur en donnait l’exemple. Achille fut à jamais flétri dans l’opinion publique pour avoir vendu le cadavre d’Hector, son ennemi. Une foule d’autres exemples, ainsi qu’un grand nombre de lois et de maximes des sages et des écrivains de cette nation éclairée, prouvent qu’elle n’a jamais négligé l’important et saint devoir du respect que l’on doit aux mânes de ceux qui ont parcouru leur carrière mortelle. L’usage était de brûler les corps ou de les enterrer. Je n’entrerai point dans les détails des cérémonies lugubres usitées en cette circonstance. Si ces cérémonies n’étaient pas les mêmes chez tous les peuples de la Grèce, elles supposaient toutes ou le sentiment de la douleur d’avoir perdu ce qu’on a de plus cher, ou la reconnaissance des services rendus à la patrie, ou le désir de perpétuer la mémoire et les exemples des gens de bien, ainsi que la croyance de leur passage à une vie meilleure. C’est probablement à la réunion de tous ces sentimens que certains personnages de la haute antiquité, célèbres et par leurs exploits et par d’éminens services rendus à l’humanité, ont dû les honneurs de l’apothéose, et peut-être les dieux supérieurs, eux-mêmes, n’étaient-ils que des hommes déifiés à une époque encore plus reculée.

Les Romains, ce peuple tellement religieux, que, suivant Cicéron, il ne devait qu’à sa piété sa conservation et ses succès, n’ont pas été inférieurs aux autres nations dans le respect dû aux morts et à leurs tombeaux.

Chez eux, il y avait deux espèces de funérailles : on brûlait les corps, ou on les enterrait ; cet usage avait lieu de même chez plusieurs autres peuples leurs contemporains.

Le premier honneur était réservé principalement aux grands et aux riches qui pouvaient faire les frais du bûcher ; et lorsqu’on voulait que leurs cendres ne fussent pas confondues avec celles des matières employées pour la combustion, on enveloppait le corps dans un linceuil d’amiante, que l’on sait être incombustible, ce qui augmentait considérablement la dépense. L’inhumation simple était réservée au reste du peuple. Les Romains portaient aux morts une telle vénération, que tout individu, quelle que fût sa qualité, qui se serait permis de leur faire insulte, était à l’instant condamné à perdre la vie.

L’on regardait comme un bonheur spécial de recevoir les derniers soupirs d’un agonisant ; et si quelqu’un mourrait en pays étranger, en l’absence d’un parent, la famille entière se croyait au comble du malheur, et faisait apposer sur le sarcophage cette triste épitaphe :

Parentes infelicissimi filio infelicissimo.

Lorsqu’un Romain était assez heureux pour mourir au sein de sa famille, ses plus proches parens lui fermaient les yeux, et tous ceux qui étaient dans la maison l’appelaient plusieurs fois par son nom à haute voix. Le mort ne répondant point, on lui ôtait l’anneau du doigt pour le lui remettre lorsqu’on le portait sur le bûcher. On le lavait avec de l’eau chaude, on le parfumait, et on lui mettait une robe blanche. Dans cet état, on le plaçait sur le seuil de la porte, les pieds tournés du côté de la rue ; et en signe de deuil on plantait un cyprès au-devant de la maison. Le mort restait ainsi exposé l’espace de sept jours, pendant lesquels les parens allaient dans le temple de la déesse Libitine acheter tous les objets nécessaires aux funérailles. Les sept jours étant écoulés, le corps était porté au bûcher si le défunt avait demandé d’être brûlé, ou bien au lieu de la sépulture s’il avait demandé à être inhumé.

Le convoi marchait avec un appareil lugubre, et le mort était porté, dans un cercueil découvert, par ses parens ou des gens qui remplissaient cette fonction. Si le défunt était un personnage grand, distingué ou remarquable par les emplois qu’il avait occupes où les services par lesquels il s’était distingué envers sa patrie, les sénateurs et les magistrats lui rendaient eux-mêmes ce devoir. Il était placé sur un lit orné de drap de pourpre, et on portait devant les marques de sa dignité, les dépouilles qu’il avait remportées sur l’ennemi, les images en cire de ses ancêtres, en un mot, tous les monumens de sa gloire. Ses affranchis, ses parens, ses amis et ses enfans, suivaient le lit funèbre. La marche commençait par un trompette et par les joueurs de flûtes, suivis d’un certain nombre de gens qui portaient des torches allumées : auprès du corps était un homme qui contrefaisait toutes les manières du défunt, et le cortège était fermé par des filles vêtues de blanc, qui avaient les cheveux épars, les pieds nus, et par des femmes gagées qui faisaient retentir l’air de leurs lamentations, et qui chantaient en pleurant les louanges du défunt.

Le convoi s’arrêtait dans la grande place de Rome, si le défunt était une personne de distinction, et là un de ses parens ou amis prononçait son éloge funèbre ; après quoi on se rendait au champ de Mars, où le corps devait être consumé sur un bûcher formé de pièces de bois aisé à s’enflammer, tel que l’if, le pin, le mélèze ; on le plaçait sur ce bûcher, vêtu de sa robe, ensuite on l’arrosait de liqueurs précieuses et odoriférantes, et on lui mettait dans la bouche une pièce de monnaie qu’il devait donner à Caron pour payer son passage au delà du Styx. Ensuite, les plus proches parens, tenant derrière eux un flambeau, et tournant le dos au bûcher, y mettaient le feu : lorsque la flamme commençait à s’élever, on y jetait les habits, les armes et autres effets du défunt, et tout ce qui lui avait été cher pendant sa vie. On immolait des bœufs, des taureaux, des moutons, qu’on livrait aussi aux flammes.

Lorsque le corps était brûlé, l’on renfermait soigneusement dans une urne, ses cendres et ses os, après les avoir lavés avec du lait et du vin. Le sacrificateur trempait des branches d’olivier dans l’eau lustrale, et en arrosait les assistans. Après cette cérémonie, une pleureuse disait à haute voix : I, licet. « Allez-vous-en, il vous est permis. » Alors, tous les assistans faisaient au défunt le dernier adieu, lui promettant de le rejoindre quand le destin aurait marqué leur dernière heure.

Les funérailles se terminaient ordinairement par un souper auquel étaient invités les parens et les amis du mort. Neuf jours après on faisait un autre festin, nommé le grand souper ; on y quittait les vêtemens noirs pour en prendre de blancs.

Les urnes dans lesquelles on renfermait les cendres et les os étaient de matière différente. Il y en avait de cuivre, d’or, d’argent, d’albâtre, de porphyre, de marbre et de terre cuite. On les chargeait plus ou moins d’ornemens de sculpture, d’inscriptions et d’épitaphes, selon l’opulence et la qualité des morts. On les plaçait dans des souterrains, et on les rangeait dans plusieurs niches disposées les unes sur les autres. Dans ces urnes cinéraires on mettait ordinairement de petites fioles de terre cuite ou de verre qui renfermaient les larmes que les pleureuses publiques et les parens versaient en abondance, tant aux funérailles qu’aux jours consacrés à pleurer les morts.

À l’égard de ceux dont on ne brûlait point les corps, on les mettait ordinairement dans un cercueil de terre cuite, que l’on plaçait dans les sépulcres sur des tablettes de pierres préparées à cet effet, ou, s’ils étaient des personnes de qualité, on les renfermait dans des tombeaux de pierre ou de marbre.

Les funérailles des simples particuliers se faisaient sans beaucoup de cérémonies, et l’on en faisait encore moins pour la classe inférieure du peuple, ainsi que pour les pauvres. On les portait au cimetière commun, nommé le Champ Esquilin, situé hors des murs, parce que par une loi expresse et très-sage il était défendu d’inhumer dans le sein des villes. Cet abus dangereux avait eu lieu dans les commencemens de la république, et il fut aboli, excepté à l’égard des empereurs, des vestales, et de quelques personnes illustres.

Je pourrais parler ici de la déification ou apothéose renouvelée de l’ancienne mythologie en l’honneur de certains personnages célèbres ou par leurs vertus, ou par leurs exploits militaires ; mais cet usage, fondé dans son origine sur la reconnaissance et l’admiration, dégénéra dans la suite en des abus grossiers et absurdes ; et bientôt la dépravation devint telle, que l’on ne rougit pas d’élever des temples ou d’établir des sacerdoces en mémoire ou de monstres qui avaient avili l’humanité par leurs désordres ou leurs cruautés, ou de femmes qui n’étaient célèbres que par leurs débauches, ou de favoris qui n’avaient sans doute mérité cette distinction que par des basses complaisances. Tirons donc le voile sur ces tristes écarts de la raison humaine qui ne prouvent que trop sa dégradation, lorsque, devenue esclave, elle est réduite à flatter et à adorer la main qui lui donne des fers.

Je garderai le même silence sur les fêtes, les spectacles et les jeux établis pour célébrer la mémoire des morts qu’on eût mieux honoré par des cérémonies simples, et surtout par l’imitation de leurs vertus. Ces détails d’ailleurs m’amèneraient à faire mention des combats horribles et sanguinaires des gladiateurs, que la corruption d’un peuple avili ajouta à la solennité des funérailles ; spectacle révoltant auquel, par un abandon incroyable de sa sensibilité naturelle, le sexe le plus délicat prenait un plaisir qui tenait de l’ivresse. Le respect dû à l’humanité doit détourner nos regards de scènes aussi dégoûtantes, et qui ne peuvent que déshonorer notre respect. À ce tableau raccourci des usages des peuples anciens les mieux connus, et dont l’histoire nous offre des notions plus certaines, je pourrais ajouter celui des usages des autres peuples leurs contemporains dont nous avons des connaissances ou des notices historiques : on y verrait qu’on n’en peut citer qu’un très-petit nombre pour lesquels les morts et les tombeaux n’aient pas été un objet de vénération. Les usages barbares et atroces de quelques-uns n’étaient peut-être, et ne sont encore chez quelques nations isolées, que l’excès de cette vénération mal entendue, et l’application superstitieuse d’un principe pur dans son origine, comme je l’ai déjà observé.

Si chez quelques nations l’on immolait sur le bûcher ou sur le tombeau des morts ses esclaves, et même des hommes libres compagnons d’armes d’un chef militaire, comme chez les Gaulois ; ou les épouses des défunts, comme chez les indiens anciens et modernes ; si l’on brûlait ou si l’on enterrait des habits, des meubles, de l’argent, c’est qu’on se figurait que ces objets étaient nécessaires aux décédés, soit pour les besoins, soit pour les plaisirs de l’autre vie.

« Les Germains ne mettaient aucun faste dans les funérailles ; seulement ils brûlaient sur un bûcher, composé d’un certain bois, les corps des hommes qui s’étaient illustrés parmi eux. Ils ne jetaient sur ce bûcher ni vêtemens ni parfums ; mais ils brûlaient les armes des morts, et quelque fois leur cheval. Les tombeaux étaient de gazon. Ces peuples méprisaient le luxe des monumens funéraires, comme un honneur pénible et coûteux, et même à charge aux morts. Ils étaient prompts à s’affliger et lents à se consoler. Il était honorable aux femmes de verser des larmes, aux hommes de conserver la mémoire de ceux que la mort avait enlevés. »

(Tac. Des mœurs des Germains.)

Les Francs, nos ancêtres, sortis de la Germanie, suivirent quelques-uns de ces usages avant d’avoir embrassé le christianisme ; ils enterraient le cheval avec le cavalier tout armé, témoin le tombeau de Childéric trouvé aux environs de Tournay en 1655, monument qui prouve ce que nous rapporte Tacite sur les sépultures des Germains. Ces peuples guerriers ne connaissaient d’autres délices que la guerre. Ils mettaient la suprême félicité de l’autre vie dans les exercices militaires ; leur grossière simplicité ne leur figurait pas d’autre jouissance que celle-là, et celle de boire dans le crâne de leurs ennemis, cette dernière opinion, enseignée par Odin, était reçue chez presque tous les peuples du nord.

César, dans ses Commentaires, nous instruit en peu de mots des cérémonies que les Gaulois observaient dans les funérailles. « Elles sont, dit-il, magnifiques et somptueuses. Ils brûlent, sur le même bûcher, les morts et tous les objets pour lesquels ils ont montré de l’attachement, même des animaux. Il n’y a pas long-temps qu’ils dévouaient aux mêmes flammes les esclaves et les cliens pour lesquels on savait que les morts avaient eu le plus d’affection. En cela, ils croyaient remplir un devoir de justice. »

(César. Comm. de bell.)

L’abrutissement avait porté les Massagètes, peuple Scythe, à massacrer, par un sentiment aveugle d’humanité, leurs parens accablés de vieillesse ; ils les faisaient cuire, puis les mangeaient, pensant que cette sépulture était la plus honorable puisqu’elle les incorporait avec leur postérité : ceux qui mouraient de langueur ou de maladie étaient estimés malheureux, et l’estomac des chiens était leur tombeau.

D’autres, par une compassion aussi mal entendue, les abandonnaient dans leur vieillesse, et les laissaient périr d’inanition dans leurs cabanes où ils devenaient la proie des bêtes féroces : ils croyaient par là les soustraire aux maux de la décrépitude.

Les Icthiophages jetaient leurs morts à la mer, ou dans les rivières, ou dans les étangs, par le motif sans doute que l’élément dont ils avaient tiré leur subsistance devait être pour eux le séjour le plus agréable.

Les Troglodites, sans donner aucune marque de douleur, les couvraient d’un tas de pierres jetées à l’aventure. Ils accompagnaient cette barbare cérémonie de signes de réjouissance fondée probablement sur le sentiment des misères de la vie, dont ils félicitaient les morts d’être délivrés.

Chez d’autres peuplades le jour du décès d’un des leurs était un jour d’allégresse, celui de la naissance un jour de deuil ; et cette pratique est peut-être plus philosophique que bien des gens ne seront portés à le croire.

Je ne puis résister à l’envie de mettre sous les yeux du lecteur un trait naïf et touchant d’une peuplade du nord de l’Amérique, qui prouve que, dans les coins les plus reculés du monde, ce respect pour les mânes est porté au point, qu’il est identifié avec l’amour de la patrie chez quelques nations les moins civilisées, et que dès lors on ne doit point le regarder comme un sentiment factice, mais comme une affection dictée par la nature.

Des députés d’une nation européenne se présentent devant les chefs de cette horde sauvage pour leur demander l’échange de leur territoire contre un autre sol qu’on leur désignait. « Si nous quittons notre terre natale, répondent ces chefs avec une sensibilité attendrissante, qu’en penseront les ombres de nos ancêtres ? dirons-nous à leurs cendres levez-vous, et suivez-nous ? vous sentez que cela est impossible. »

Français ! que cette leçon soit éternellement gravée dans vos cœurs ! et Vous, modernes Vandales qui avez ouvert et livré les tombeaux, foulé aux pieds et jeté au hasard les tristes dépouilles de vos aïeux, retirez-vous au fond de la Barbarie ! là, vous puiserez dans l’expérience, des principes que vous avez dédaigné de recevoir et d’adopter chez un peuple policé qui a eu le malheur de vous voir naître dans son sein, et de vous compter trop long-temps au nombre de ses membres.

Maintenant jetons un coup d’œil sur ce peuple jadis conquérant, l’effroi de l’ancien monde, et dont les opinions ayant prévalu sur une très-grande partie du globe, l’entretiennent encore dans l’ignorance et la stupidité. Personne n’ignore l’attachement des sectateurs de Mahomet à leurs principes religieux, regardant ce monde comme un caravenserai ou une hôtellerie où l’homme ne fait que séjourner, comme en passant : toutes leurs vues ne se tournent que vers cet autre monde, où les gens de bien boiront à longs traits dans la coupe inépuisable de la volupté, et où les méchans seront punis selon le degré de leur perversité. Rien d’étonnant dès lors dans les soins qu’ils se donnent pour ensevelir les morts, dans l’appareil de leurs convois, et leur respect pour les tombeaux.

Dès qu’un Mahométan est mort, on invoque sur lui le dieu de miséricorde, on lave son corps, on brûle des parfums pour chasser le diable et les mauvais esprits, on l’enveloppe dans un suaire de manière cependant qu’il puisse se mettre à genoux pour subir son jugement dans l’autre monde. Cette cérémonie est toujours accompagnée des lamentations, et des cris des femmes qui commencent le deuil, et annoncent une mort aux voisins.

L’opinion où sont les Mahométans que l’ame se rend la première au lieu de la sépulture, a introduit parmi eux l’abus des inhumations précipitées, dans l’idée que l’ame est dans un état de langueur étant séparée du corps. Ainsi, dès que le défunt est enseveli, et que le deuil que l’on fait autour de lui est fini, on le porte sur les épaules, ou à la mosquée pour y être inhumé s’il est riche, ou, s’il est pauvre ou dans un état de mendicité, on le transporte au cimetière. Le convoi est composé d’imans qui marchent les premiers : ils sont suivis des parens et des amis du mort. Le cortège arrivé dans l’enceinte destinée aux sépultures, on descend le cercueil dans la fosse, avec quelques sentences de l’alcoran, après que les imans lui ont fait les prières accoutumées. On n’y jette point la terre immédiatement, de crainte que son poids n’incommode le défunt. On pose une pierre sous la tête du mort pour la commodité de l’ange qui doit examiner sa vie, et pour lui donner un peu d’air on pose en travers de longues pierres qui forment une espèce de voûte sur le cadavre, en sorte qu’il est enfermé comme dans un coffre : on place ordinairement sur la tombe quelques attributs qui désignent la profession de celui qui y est inhumé. L’enterrement achevé, ses parens et ses amis viennent pendant plusieurs jours prier Dieu sur son tombeau. Le vendredi ils lui apportent à boire et à manger, et ces mets servent à la subsistance des pauvres, et même des animaux. Il est rare qu’un riche Mahométan meurt sans avoir fait quelque pieux legs pour lui servir de passe-port dans la vie future. L’un fonde une mosquée, l’autre un caravanserai pour loger gratuitement les voyageurs ; un autre ordonne des aumônes, etc.

En Turquie, il n’y a personne dont ce soit le métier de porter un corps mort au tombeau. Ce dernier devoir regarde ses voisins ou ses domestiques. La coutume est de porter le cercueil jusqu’à ce que quelqu’un présente l’épaule. La charité mahométane prescrit à celui qui rencontre un convoi, de porter la bière l’espace de dix pas au moins. Il n’est pas rare de voir des personnes de distinction descendre de cheval pour s’acquitter de cet office, et y remonter ensuite. On n’enterre jamais dans les mosquées, parce qu’on croit que les corps morts rendent impurs les endroits où on les dépose.

En pénétrant plus avant dans l’orient, on trouve un peuple célèbre par son antiquité. Les connaissances qu’on lui attribue, son industrie, et même la douceur de ses mœurs, font un contraste bien frappant avec ce que je vais en dire : on voit que je veux parler des Indiens : Les Indiens n’ont point de règles générales pour les funérailles ; quelques-uns jettent leurs morts dans le Gange, plusieurs les enterrent, d’autres les brûlent. Cette dernière coutume est en usage surtout parmi les bramines, la principale, la plus noble et la plus respectée de ses castes ; et personne n’ignore celui où sont les femmes de s’y faire brûler toutes vives avec le corps de leurs maris, en observant des cérémonies qui varient suivant les différentes contrées. À la vérité celles qui ont des enfans peuvent impunément se soustraire à ce sort inhumain ; mais celles qui n’en ont point, et qui s’y refusent, car elles n’y sont pas contraintes, sont déshonorées, et mènent une si misérable vie, que quelques-unes lui préfèrent le bûcher.

L’on assure cependant que ces actes de dévouement ou de désespoir, deviennent chaque jour plus rares dans l’Inde. Les Mahométans et les Européens qui y dominent font tout ce qui dépend d’eux pour faire disparaître un usage si révoltant pour l’humanité.

On attache sans doute un grand mérite à cette héroïsme de l’amour conjugal, puisque dans quelques endroits on s’empresse de charger la victime de lettres pour l’autre monde, qu’elle promet de remettre à leur adresse. Soit que les Indiens enterrent les corps ou qu’ils les brûlent, ils ont soin de les bien laver auparavant, et ensuite de les frotter d’huile : on voit à leurs enterremens des hommes qui précédent le mort en sonnant d’une longue trompette dont le bruit lugubre convient parfaitement à la cérémonie.

Les Chinois prennent le deuil pour trois ans : tant qu’il dure, ceux qui le portent ne peuvent exercer aucune charge publique. On change d’appartemens et de meubles ; on ne doit s’asseoir que sur un petit siège de bois ; on ne prend que des alimens grossiers, et l’on ne couche que dans de mauvais lits. Le blanc est la couleur du deuil. Les Chinois se croient heureux lorsqu’ils se sont procuré un bois très-dur et très-solide pour faire leurs cercueils. Ils s’occupent de cette dépense de fort bonne heure, pour avoir long-temps sous les yeux leur dernière demeure. Au prix du cercueil il faut ajouter les parfums, les fleurs, les cierges, les étoffes précieuses, les papiers peints, les musiciens, les pleureuses. Tous les amis et tous les parens sont invités à venir pleurer auprès du mort. Les enfans gardent souvent chez eux des années entières les corps de leurs pères. Ils ont soin d’enduire leurs cercueils d’un vernis, afin qu’il ne s’en exhale aucune mauvaise odeur. Pendant tout ce temps, ils leur présentent des mets, comme s’ils étaient en vie.

Le jour des funérailles, les parens et les amis s’assemblent, comme en Europe, dans la maison du mort, vêtus d’habits de deuil. Ils forment, avec les prêtres, le convoi funèbre, où l’on voit des images d’hommes, de femmes, d’éléphans, de tigres, etc. Les prêtres, et les personnes payées pour réciter des prières, marchent ensuite. À leur tête paraissent des hommes qui portent sur les épaules des encensoirs de cuivre. Les enfans du défunt suivent immédiatement son cercueil ; ils marchent à pied, appuyés sur un bâton. Après les enfans viennent les femmes dans une chaise couverte. Cette marche se fait au bruit des timbales, des tambours, des flûtes et de quelques autres instrumens. Lorsque le cercueil a avancé environ trente pas, on y jette une certaine quantité de terre rouge.

Chaque famille a son tombeau particulier sur une colline ou auprès. Les tombeaux sont ornés de figures et autres ornemens ; on y voit aussi des inscriptions et des épitaphes. Le terrain des sépultures est fort cher. Les pauvres qui ne peuvent se procurer ni cercueil, ni emplacement pour la sépulture de leurs parens, ou font brûler les corps, ou les font enterrer dans des cimetières qu’on leur accorde, sans aucune distinction.

Au Japon, on brûle les morts. Lorsqu’une personne de distinction est décédée, une heure avant qu’on emporte son corps de sa maison, ses parens et ses amis se rendent en habits de deuil dans l’endroit où il doit être brûlé. Les femmes s’y trouvent aussi, mais voilées. À la tête du convoi marche un bonze accompagné d’un certain nombre de ses confrères, tous en habit de cérémonie, et portant une torche allumée. Deux cents bonzes les suivent en invoquant à grands cris le dieu que le défunt avait adoré pendant sa vie. Ceux-ci sont accompagnés d’hommes à gages qui portent au bout de leurs piques des corbeilles de découpures de papier de diverses couleurs. En agitant leurs piques, ils font voltiger les papiers, pour signifier que le mort est arrivé au séjour des bienheureux. Viennent ensuite huit jeunes bonzes, divisés en deux bandes, qui portent de longues cannes à l’extrémité desquelles pendent des banderoles où on lit le nom de quelque divinité. Après cette première marche on voit avancer le cercueil porté par quatre hommes. Le mort est assis, la tête un peu penchée en avant et les mains jointes. Il est vêtu de blanc, et par-dessus ses habits il a une robe de papier faite des feuilles du livre où sont décrites les actions du dieu auquel il avait le plus de dévotion. Le cortège est fermé par ses enfans, dont le plus jeune porte à la main une torche allumée avec laquelle il doit mettre le feu au bûcher.

Pendant que le feu consume le corps, les enfans, ou les plus proches parens du mort, s’approchent d’une cassolette placée sur une table, y mettent des parfums, et prient. Cette cérémonie achevée, les parens et les amis du mort se retirent. Le peuple et les parens restent pour manger ou emporter les viandes. Le lendemain, les enfans, les parens et les amis retournent au même endroit pour recueillir les cendres et les os du mort ; ils les renferment dans une urne de vermeil qu’ils couvrent d’un voile précieux. Les bonzes s’y rendent aussi pour continuer leurs prières pendant sept jours. Le huitième on porte l’urne dans un lieu où on l’enterre sous une plaque de cuivre ou sous une pierre sur laquelle on grave le nom du mort, et celui du dieu qu’il a servi.

Les sauvages du Canada, et ceux qui habitent les vastes contrées arrosées par le Mississipi, procèdent à la sépulture des morts avec autant de magnificence qu’ils le peuvent. Ils les parent, leur peignent le visage et le reste du corps de différentes couleurs ; ensuite ils les déposent dans un cercueil fait avec des écorces d’arbre, dont ils polissent la surface avec des pierres ponces. Ils dressent une palissade autour du tombeau qui est toujours élevé à plusieurs pieds de terre. Lorsque le mort est enterré, ils font un festin où tout se passe avec tristesse. Les parens du défunt y gardent le silence ; la danse et le chant en sont exclus. Tous les convives font des présens aux parens, et les jettent à leurs pieds après leur avoir fait un compliment. Le deuil des femmes dure un an. Le père et la mère du mari mort ont soin de la veuve.

Nous ne devons pas oublier de dire que le mort est déposé dans sa dernière demeure, bien équipé et bien muni de provisions. On lui donne une chaussure neuve, un fusil, une hache, des colliers de porcelaine, un calumet, une chaudière, de la viande, du tabac, et un pot de terre rempli d’une bouillie de farine de froment. Si c’est un guerrier, on lui donne son arc et ses flèches.

Si je ne craignais de fatiguer le lecteur de détails plus ou moins bizarres, superstitieux et absurdes, il me serait aisé de passer ici en revue tous les peuples du globe ; mais on n’y verrait que l’application du principe dont je suis parti, modifié d’après les mœurs, les usages, les préjugés et les cultes des différentes nations. Au reste, il paraît que toutes celles qui n’ont embrassé ni le mahométisme, ni le christianisme, ont conservé ou peu changé leurs anciens usages ; ainsi elles doivent être mises au rang des peuples anciens, dont j’ai indiqué quelques-uns. Quiconque sera curieux de se convaincre plus amplement de ce respect universel pour les morts, en trouvera des preuves sans nombre dans l’histoire ancienne et moderne, dans les monumens, les ruines, et les relations des voyageurs.

On pourrait s’étendre à l’infini sur les funérailles des anciens ; mais nécessairement on ne ferait que répéter ce qui a été dit par une foule d’auteurs qui ont traité cette matière, et il est aisé de les consulter. Cette légère et faible esquisse des usages de quelques peuples ou civilisés ou barbares doit suffire pour le but que je me suis proposé, puisque je n’avais en vue que de prouver que le respect pour les morts date de la plus haute antiquité ; qu’il a eu lieu chez tous les peuples, quoique pratiqué sous des formes différentes, et que s’il s’est perpétué jusqu’à nous, c’est l’effet d’une pieuse et respectable tradition.

En effet nous voyons que les peuples modernes ne sont pas moins zélés que ceux qui les ont précédés dans cette vénération religieuse pour la dépouille mortelle de l’humanité. Les nations qui sont parvenues à un haut degré de civilisation, ont modifié cette vénération d’après leurs usages, leurs mœurs et le culte qu’ils observent, en y mêlant peut-être quelques abus aisés à réformer.

Le christianisme a fait disparaître les barbaries, les atrocités qui n’ont souillé que trop long-temps les funérailles des anciens. Quant aux peuples moins civilisés ou restés dans la barbarie, le tableau que la plupart nous présente de leurs obsèques fait toujours gémir la raison, et quelquefois affligent l’humanité ; cependant leurs cérémonies, je le répète, sont fondées sur un principe louable en lui-même, mais obscurci par l’ignorance et la brutalité.

Les anciens chrétiens, ayant d’autres maximes, ne regardaient la mort, que comme la porte de l’éternité. Ainsi, vivant bien la plupart, ils la souhaitaient plus qu’ils ne la craignaient, et ils s’affligeaient moins de la perte sensible de leurs parens et de leurs amis, qu’ils ne se réjouissaient de leur bonheur éternel et de l’espérance de les revoir dans le ciel. Ils ne comptaient leur mort que comme un sommeil, suivant le langage de l’écriture, et de là vient le mot cimetière, qui, en grec, ne signifie qu’un dortoir.

Pour mieux témoigner la foi de la résurrection, ils avaient grand soin des sépultures, ils ne brûlaient pas les corps comme les Grecs et les Romains, ils n’approuvaient pas non plus la curiosité superstitieuse des Égyptiens, qui les gardaient embaumés et exposés à la vue sur des lits dans leurs maisons.

Les anciens chrétiens enterraient les corps comme les Juifs ; après les avoir lavés ils les embaumaient, et y employaient plus de parfums, dit Tertulien, que les païens à leurs sacrifices. Ils les enveloppaient de linges très-fins ou d’étoffe de soie ; quelquefois ils les revêtaient d’habits précieux : ils les laissaient exposés trois jours, ayant grand soin de les garder, cependant, et de veiller auprès en prières.

Ensuite, ils les portaient au tombeau accompagnant le corps avec quantité de cierges et de flambeaux, et chantant des psaumes et des hymnes pour louer Dieu et marquer l’espérance de la résurrection. On priait aussi pour eux ; on offrait le sacrifice, et l’on donnait aux pauvres le festin que l’on nommait Agapes, et d’autres aumônes. On en renouvelait la mémoire au bout de l’an, et on continuait d’année en année, outre la commémoration que l’on en faisait tous les jours au saint sacrifice.

L’église avait des officiers destinés pour les enterremens, que l’on nommait fossoyeurs ou travailleurs, et qui se trouvent quelquefois comptés entre le clergé. On enterrait souvent avec les corps diverses choses pour honorer les défunts ou en conserver la mémoire, comme les marques de leurs dignités, les instrumens de leur martyre, des fioles ou des éponges pleines de leur sang, les actes de leur martyre, leur épitaphe, ou du moins leur nom, des médailles, des feuilles de laurier, ou de quelque autre arbre toujours vert, des croix, l’évangile. On observait de poser le corps sur le dos, le visage tourné vers l’Orient. Les païens, pour garder les cendres des morts, bâtissaient des sépulcres magnifiques le long des grands chemins, et partout ailleurs dans la campagne. Les chrétiens, au contraire, cachaient les corps, les enterraient simplement ou les rangeaient dans des caves, comme étaient auprès de Rome les tombes ou catacombes, dont nous parlerons ci-après.

Les cérémonies usitées parmi les chrétiens sont différentes selon leurs communions. Nous ne pouvons donner une description plus exacte de celles des catholiques romains, que celle que nous offre le Rituel.

Nos lecteurs voudront bien observer que nous ne parlons ici que des cérémonies généralement suivies avant le temps où la sépulture est devenue en France du ressort de l’autorité civile.

En général, lorsqu’il est temps d’aller chercher le corps du défunt pour le porter à l’église, on avertit au son de la cloche les prêtres et les autres ecclésiastiques qui doivent assister aux funérailles, afin qu’ils s’assemblent revêtus de leurs surplis et en bonnet carré, dans l’église paroissiale, ou dans quelque autre église, où ils feront leur prière ; ensuite le curé prend le surplis et l’étole noire. Ils partent pour aller chercher le corps. L’exorciste qui porte le bénitier marche le premier, puis le porte-croix, les autres membres du clergé ensuite, et le célébrant le dernier. Ils se rendent dans cet ordre à la maison du défunt, dont le corps doit être à la porte ou dans quelque appartement voisin, les pieds tournés vers la rue. Le cercueil est environné de quatre ou même de six cierges allumés, ordinairement de cire blanche. Lorsque le clergé est arrivé à l’endroit où le corps est déposé, le porte-croix se place derrière sa tête, et le célébrant aux pieds, ayant un peu derrière sa main droite, celui qui porte l’eau bénite. Les autres ecclésiastiques se rangent des deux côtés, pendant qu’on allume des cierges qu’on distribue au clergé. Le célébrant étant en face de la croix, le clerc qui porte l’eau bénite, lui présente l’aspersoir. Il le prend, et jette trois fois de l’eau bénite sur le corps en un même endroit, sans prier. Après avoir rendu l’aspersoir, il commence une antienne, et deux chantres entonnent aussitôt le De profundis, que les deux parties du chœur achèvent alternativement. À la fin on prononce ces paroles : Requiem œternamdona ci domine, et lux perpetua luceat ei. Ensuite on répète l’antienne Si iniquitates, etc., et tout de suite un chantre entonne le Libera me, etc., et l’on se met en marche vers l’église, le cercueil paraît immédiatement après le clergé. Les parens et les amis du mort suivent en habits de deuil, les premiers couverts de longs manteaux qu’on nomme pleureuses.

Lorsque le convoi est arrivé à l’église, on pose le cercueil dans la nef, si c’est un laïque, et dans le chœur, si c’est un prêtre. On met autour au moins quatre cierges allumés. Après avoir récité l’office des morts, en tout ou en partie, on dit la messe, si c’est le matin, pendant laquelle les assistans vont à l’offrande. Lorsqu’elle est achevée, le célébrant précédé du thuriféraire, du clerc qui porte le bénitier, du porte-croix, des céroféraires, et du chœur, se rend auprès du cercueil. D’abord, il lit la prière qui commence par les paroles, Non intres in judicium, etc. ; ensuite les chantres commencent le De profundis, et le chœur le continue. Après cela, le célébrant dit à haute voix Pater noster, et le clergé l’achève à voix basse. Alors le diacre présente l’aspersoir au célébrant qui asperge par trois fois le corps du défunt, aux pieds, au milieu, à la tête, en commençant par sa droite. Il rend l’aspersoir au diacre qui lui donne l’encensoir. Il encense trois fois le corps de chaque côté, ainsi qu’il l’a aspergé. L’encensement est suivi d’une courte prière, après laquelle on porte le corps à la sépulture, dans le même ordre qu’on a gardé en allant de sa maison à l’église. Les chantres commencent une antienne que le clergé continue lentement pendant le chemin ; on y ajoute quelques psaumes en cas d’éloignement. Quand on est arrivé vers la fosse, on se découvre, et l’on se range à peu près comme à l’église. Après que le cercueil a été posé sur le bord de la fosse, le célébrant la bénit par une prière dans laquelle il fait une commémoration générale des morts qui reposent dans cet endroit. Cette prière achevée, il asperge et encense encore trois fois le corps, et la fosse autant de fois. Ensuite, il commence l’antienne Ego sum resurrectio et vita, et on finit par le Requiem. Alors le célébrant fait pour la troisième fois la triple aspersion d’eau bénite sur le corps, sans y ajouter l’encensement : cette cérémonie est suivie d’une autre oraison, de l’antienne Si iniquitates, etc., et du De profundis. Ensuite on descend le cercueil dans la fosse. Quand il y est descendu, le célébrant y jette de la terre à trois reprises ; et les parens et autres personnes du cortège s’approchent pour jeter, chacun à leur tour, de l’eau bénite sur la fosse. Quand on fait les funérailles en un temps qui ne permet pas de célébrer la messe, la cérémonie est beaucoup plus simple ; elle ne consiste que dans l’aspersion et l’encensement du corps par un prêtre en surplis et revêtu d’une étole noire, et accompagné de deux clercs, dont l’un porte la croix, et l’autre le bénitier et l’encensoir.

Les cérémonies des Grecs modernes diffèrent peu, quant au fond, de celles des catholiques romains. Cependant, l’état de pauvreté où ils languissent, les empêchent d’y mettre beaucoup d’appareil. Avant de quitter le mort sur le bord de la fosse, où il a été porté dans un cercueil découvert, ses parens le baisent à la bouche ; c’est un devoir indispensable, fût-il mort de la peste.

Pour faire connaître à nos lecteurs le cérémonial observé par l’église grecque dans les funérailles, nous ne pouvons mieux faire que de leur mettre sous les yeux celui qui est en usage chez les Russes. Dès qu’un malade est décédé, on envoie chercher ses parens et ses amis. Ceux-ci se rangent autour du corps et pleurent. Des femmes qui se trouvent là lui demandent les raisons qu’il a eues de mourir. Comme il ne répond point, on commence par faire un présent de bière, d’eau-de-vie et d’hydromel au pope, ou prêtre, pour l’engager à prier pour le repos de l’âme du mort. On lave bien le corps ; et après l’avoir revêtu d’une chemise blanche, ou enveloppé d’un suaire, on lui met des souliers de cuir de Russie, et on l’étend dans le cercueil, les bras posés sur l’estomac en forme de croix. On couvre le cercueil d’un drap, ou bien du vêtement du mort ; mais on ne le porte à l’église qu’après l’avoir gardé huit ou dix jours. Le prêtre lui donne de l’encens et de l’eau bénite jusqu’au jour de l’enterrement.

Le convoi se fait dans l’ordre suivant : à la tête marche un pope qui porte l’image du saint que le mort a reçu pour patron dans son baptême. Il est suivi de quatre filles, proches parentes du défunt, ou de quelques femmes payées pour pleurer. Elles sont suivies de six hommes qui portent le corps sur leurs épaules. D’autres prêtres, qui marchent de chaque côté, l’encensent en chantant pour éloigner les mauvais esprits. Après eux viennent les parens et les amis, chacun un cierge à la main ; lorsqu’on est arrivé à la fosse, on découvre le cercueil, et on tient l’image du saint sur le mort, tandis que le prêtre fait les prières prescrites par la liturgie. Lorsqu’il a fini, les personnes qui composent le cortège disent adieu au défunt en baisant son cercueil. Le pope s’approche et lui met un passe-port dans la main. Ce passe-port est signé du métropolitain et du confesseur, qui le vendent plus ou moins cher, selon les facultés et la condition des personnes qui l’achètent. Il contient un témoignage de la bonne vie, ou du moins du repentir du mort. Quand un mourant a reçu la dernière bénédiction du prêtre, et qu’après sa mort il a son certificat dans sa main, on ne doute plus que saint Nicolas, à qui le pope l’a adressé, ne l’ait introduit dans le ciel. Enfin on ferme le cercueil, on le descend dans la fosse, et on prend en pleurant congé du mort pour toujours. On distribue souvent des vivres et de l’argent aux pauvres qui se trouvent près de la fosse ; mais un usage plus commun, c’est de noyer son affliction dans l’hydromel et dans l’eau-de-vie. On sait que les Russes et plusieurs nations, principalement du nord, ont conservé la coutume des repas après les funérailles ; mais il arrive trop souvent qu’on s’enivre dans cette triste circonstance en l’honneur des morts. Bien des Français même méritent le reproche de se livrer à une telle inconvenance : au moins, devraient-ils attendre quelques jours, et s’éloigner des endroits où sont inhumées les personnes dont la perte doit leur causer des regrets. Pendant le deuil, qui dure quarante jours, les Russes font trois festins funèbres, savoir : le troisième, le neuvième et le vingtième jour après la sépulture. Un prêtre, payé pour le soulagement de l’âme du mort, doit employer les quarante jours à prier pour lui soir et matin dans une tente dressée exprès sur son tombeau. On doit penser qu’on ne cherche pas tant de façons pour les funérailles des pauvres, qui, en tous pays, et dans tous les siècles, ont été enterrés sans nulle cérémonie.

Quant aux protestans, les cérémonies de leurs funérailles diffèrent suivant les sectes et les pays où cette religion est suivie, et sont beaucoup plus simples que celles des catholiques romains. Mais partout c’est un appareil lugubre, une marche imposante, et l’apparence d’une piété touchante, fondée sur la foi en une autre vie, et l’espérance de la résurrection. En plusieurs endroits, les ministres de la religion sont les ministres des obsèques ; et en d’autres, c’est le magistrat, surtout dans les pays où toutes les sectes sont tolérées. Dans ce cas chacune d’elles peut observer dans ses temples respectifs, ou au domicile du défunt, les rites de sa croyance, ainsi que cela se pratique aujourd’hui parmi nous. Il est vraisemblable que, dans quelques contrées protestantes du nord, on s’imagine que les morts prennent part aux plaisirs des vivans, puisque l’on y termine souvent les funérailles par des orgies qui finissent toujours par l’ivresse complète des parens et amis invités à la cérémonie, et que l’on diffère quelquefois de plusieurs mois pour pouvoir y rassembler de fort loin un grand nombre d’assistans. La rigueur du climat permet de conserver les cadavres sans courir les risques de la putréfaction.

Quoiqu’il existe beaucoup de sectes chrétiennes, autres que celles dont j’ai parlé, je m’abstiendrai de les citer, car elles se ressemblent presque toutes sur les principales circonstances de leurs obsèques.

Cependant je présume que l’on apprendra avec quelque intérêt que, dans certains cantons du Milanais, il régnait et règne peut-être encore un usage qui peut toucher les âmes sensibles. Quand un cadavre est consommé en terre, la famille à laquelle il appartient en fait laver les ossemens, les nettoie avec soin, et les dépose dans un lieu commun, empaquetés avec des rubans, et ornés de papier doré ou colorié. Chaque famille a sa layette pour y placer ce précieux dépôt qu’une inscription aide à reconnaître, et qu’elle visite tous les ans le jour de la fête des trépassés.

C’est ici le lieu de décrire les cérémonies funèbres pratiquées aujourd’hui parmi nous, et telles qu’elles sont prescrites, ou par les diverses lois, ou pour les usages des différentes communions établies en France.

Lorsqu’une personne est décédée, ses plus proches parens se rendent à la mairie de son arrondissement ou de sa commune, pour y faire la déclaration de son décès. L’officier public prend acte de cette déclaration, et envoie à la maison du défunt un chirurgien pour constater sa mort, et examiner le genre de maladie à laquelle il a succombé. On garde le corps près de vingt-quatre heures sur son lit de mort avant de l’ensevelir. Pendant cet intervalle, un des parens se transporte au chef-lieu de l’administration des convois pour prendre les arrangemens relatifs à la sépulture, et l’on envoie des billets d’invitation aux parens et aux amis du défunt. Si celui-ci est d’une condition aisée, on envoie un corbillard peint en noir, et surmonté d’un dais orné de franges et de plumets aux quatre coins, et attelé de deux, de quatre et même de six chevaux ; ce corbillard est suivi de plusieurs voitures peintes en noir, destinées aux parens et autres personnes du cortège. Les vingt-quatre heures écoulées, on vient prendre le cercueil placé sous la principale porte de la maison, ou à l’entrée des appartemens, et on le porte sur le corbillard. Le cortège se met en mouvement ; un commissaire des convois marche immédiatement après le corbillard, tenant à la main une baguette d’ébène, à une extrémité de laquelle est un pommeau d’ivoire. Les quatre porteurs marchent de chaque côté du corbillard. Le commissaire est suivi des proches parens qui ouvrent le deuil, et de tous ceux qu’on a invites à la cérémonie. Si le mort est de la religion catholique, on le transporte à l’église de sa paroisse, où l’on observe à son égard les cérémonies que nous avons décrites plus haut, après que le clergé est venu le recevoir à la porte. S’il est protestant, on le porte au temple de son arrondissement, où le ministre prononce son éloge funèbre, et adresse en même temps aux assistans des réflexions qui lui sont dictées par la circonstance. Les cérémonies religieuses achevées, tout le cortège prend le chemin du cimetière où le mort doit être enterré. Il est aujourd’hui assez ordinaire qu’une partie du clergé et le confesseur du mort l’accompagnent jusqu’à sa dernière demeure, si toutefois ses héritiers veulent faire cette dépense.

Lorsque le convoi est arrivé au cimetière, on dépose aussitôt le cercueil dans la fosse qui a été creusée pour lui, si les parens en ont fait l’acquisition de la préfecture du département. Le célébrant lui jette de l’eau bénite, et prononce quelques oraisons ; ensuite un parent ou un ami rappelle aux assistans, dans un discours, les bonnes actions et les vertus du mort. Les cérémonies terminées, les fossoyeurs couvrent le cercueil de terre, comblent la fosse, et chacun se retire chez soi. Le plus souvent les morts sont inhumés dans la fosse commune, sans prêtre et sans oraison funèbre ; et la tristesse des assistans est la seule chose qui indique qu’ils ont appartenu à l’humanité et au christianisme.

Avant l’année 1789, on enterrait les morts dans les églises, ou dans les cimetières situés dans l’enceinte des villes, malgré le danger reconnu qui en résultait pour la santé des vivans. Enfin, cet abus, contraire à l’usage qui se pratiquait anciennement, a été aboli, et des cimetières ont été établis dans la campagne. Déjà la capitale en compte deux du côté de la rive droite de la Seine : l’un au nord, celui de Montmartre ; et l’autre à l’est, celui de Mont-Louis. Il en est deux autres qui malheureusement se trouvent encore en dedans des barrières, et dont la situation doit être un sujet d’effroi pour tous ceux qui observent que presque aucun courant d’air ne vient dissiper les miasmes putrides qui s’en élèvent continuellement, surtout dans les chaleurs de l’été. Pourquoi ne ferme-t-on pas celui de Vaugirard, et n’a-t-on pas continué les travaux entrepris hors de la barrière du Mont-Parnasse pour l’établissement de celui dont on a déjà tracé l’enceinte ? ou plutôt, pourquoi n’a-t-on pas choisi un autre emplacement plus à l’occident dans la belle plaine de Mont-Rouge ?

Ne pourrait-on pas trouver sur la hauteur, où les guinguettes se sont accumulées, un terrain assez vaste pour en former un champ de sépulture, où les convois se rendraient par la barrière de Saint-Victor, afin de remplacer les cimetières de Clamart et de Sainte-Catherine ? Ce nouveau cimetière serait en regard de celui de Mont-Louis, et la disposition du terrain permettrait aux familles d’y élever un grand nombre de monumens, et d’y faire construire des caveaux.

Puisque nous en sommes aux monumens funéraires, nous pensons que nos lecteurs nous saurons gré de leur faire part des recherches que nous avons faites à ce sujet, avant de passer à ce que nous avons à dire sur ceux que l’on a élevés depuis quelques années dans les quatre cimetières de Paris, et dans d’autres endroits.

Par monumens funéraires, on entend les tombeaux, les sépultures, les mausolées, les sarcophages, les cénotaphes, les urnes, les colonnes tronquées, les pyramides, les obélisques, les cippes, les tables, élevés sur l’emplacement où un mort a été enterré. Dans les temps les plus reculés, un tombeau, en latin tumulus, n’était autre chose qu’une élévation de terre ou de gazon, un tertre formé au-dessus de la fosse où le mort avait été placé, et autour duquel on plantait des arbrisseaux et même des bosquets. Quelquefois c’était un amas de pierres au lieu de terre et de gazon. Dans la suite, on remplaça ce tumulus par un sépulcre où le corps était renfermé ; et ce sépulcre, qui d’abord eut la forme d’un coffre, devint ensuite un monument embelli par l’architecture et la sculpture. Les plus anciens monumens de ce genre sont les pyramides d’Égypte, le tombeau d’Achille, et celui que la reine Artémise éleva à Mausole, son époux. Ce magnifique sépulcre, qui passait pour une des sept merveilles du monde, fut l’ouvrage des quatre plus habiles architectes de la Grèce. Il avait quatre cent onze pieds de circuit, et cent quarante de hauteur, y compris une pyramide d’une égale élévation. On le nomma Mausolée, nom qui depuis a passé à tous les sépulcres d’une magnifique structure. Un autre monument de cette espèce est celui qu’Auguste fit ériger entre la voie Flaminia et le Tibre, pour sa sépulture et celle de sa famille. C’était un tertre élevé sur une base de marbre blanc, et couvert jusqu’au sommet d’arbres toujours verts. Sur la cime de ce tertre, il y avait une statue de bronze de cet empereur. En bas, on voyait son tombeau et ceux de ses parens ; derrière l’édifice, il y avait un vaste bosquet, avec de superbes promenades.

Les ornemens des tombeaux des Grecs ne consistaient ordinairement qu’en un fût de colonne, sur laquelle on gravait une inscription funèbre, nommée épitaphe. On sculptait ordinairement sur les tombeaux des filles une jeune vierge portant un vase rempli d’eau. On y gravait aussi des couronnes, si ceux qui y étaient renfermés en avaient remporté dans les jeux, ou en avaient obtenu des villes ou des peuples. Au lieu d’inscription, on gravait quelquefois les instrumens de l’art que le mort avait exercé ; souvent aussi des emblèmes qui désignaient leur caractère, ou enfin les symboles des choses qu’ils avaient le plus affectionnées.

Les Romains avaient trois sortes de tombeaux : le sépulcre, le monument, et le cénotaphe. Le sépulcre était le tombeau ordinaire où l’on avait placé le corps ou les cendres et ossemens du mort.

Le monument était un édifice plus ou moins élevé, construit pour perpétuer le souvenir d’une personne. On pouvait lui élever plusieurs monumens, mais elle n’avait qu’un sépulcre.

Le cénotaphe était un tombeau vide auprès duquel on faisait les funérailles de quelqu’un qui n’avait pu être enterré. Les citoyens qui avaient péri dans une bataille, dans un naufrage, ou dans une contrée éloignée, étaient l’objet ordinaire de ce simulacre des funérailles. On voit dans l’Histoire de l’expédition de Cyrus, par Xénophon, que les Grecs élevèrent un cénotaphe à ceux de leurs camarades qui avaient péri pendant la fameuse retraite des dix mille ; et Tacite nous apprend, dans ses Annales, que Germanicus rendit le même honneur aux légions de Varus, six ans après leur désastre en Germanie. On avait coutume d’appeler trois fois l’ame ou les mânes de celui à qui on consacrait un cénotaphe, pour l’engager à en venir prendre possession. On voit au cimetière de Mont-Louis un monument de cette espèce élevé par une tendre mère en l’honneur de son fils, jeune guerrier, tué dans les plaines de la Pologne, en 1807. C’est un cippe élevé d’un peu plus de cinq pieds (voy. la gravure), au sommet duquel on a placé dans une niche le buste de ce jeune héros.

Non-seulement la place occupée par le tombeau était consacrée par la religion, mais encore un certain espace à l’entour, ainsi que le chemin qui y conduisait. Si quelqu’un avait osé emporter des matériaux d’un tombeau, comme des colonnes ou des tables de marbre pour les employer à des édifices profanes, la loi le condamnait à une amende de dix livres d’or, applicables au trésor public, et l’édifice était confisqué.

Les Romains ornaient quelquefois leurs tombeaux de bandelettes de laine et de festons de fleurs ; mais surtout ils avaient soin d’y faire graver des ornemens qui servissent à les distinguer, tels que des figures d’animaux, des trophées militaires, des emblèmes, des instrumens, etc.

On plaçait les sépulcres dans les champs, dans les maisons, dans les jardins, au sommet ou au pied des collines, dans les temples, dans la ville, sur les chemins. C’était un crime que de vendre ou d’aliéner un tombeau, et c’était aussi un sacrilège d’usurper celui d’une autre famille, ou de s’en servir. Ces tombeaux étaient ordinairement de petits édifices bâtis en briques ou en pierres. Dans tout le pourtour intérieur étaient pratiquées des niches, dans chacune desquelles on pouvait placer deux ou trois urnes où l’on gravait des épitaphes. Lorsque le luxe se fut introduit à Rome, on construisit des bâtimens souterrains, composés de plusieurs appartemens dans lesquels il y avait aussi des niches pour placer les urnes sépulcrales. Ces chambres souterraines étaient ornées de peintures à fresque, de mosaïques, de reliefs en marbre, etc.

Pour les pauvres, les esclaves et les malfaiteurs, on les enterrait dans un endroit voisin de Rome, nommé les Esquilies.

Les premiers chrétiens, obligés de fuir les persécutions et de se cacher, et d’ailleurs menant une vie humble et détachée de ce monde, se gardaient bien d’élever des tombeaux ; c’était dans des grottes souterraines situées à neuf milles de Rome, et qu’on nomme Catacombes, qu’ils se faisaient enterrer. C’était là souvent leur asile pendant leur vie, et leur lieu de sépulture après la mort. Un grand nombre de martyrs y furent inhumés. Voici un extrait de ce qu’en dit le Père Mabillon dans son Itinerarium itaticum. « Ces catacombes ont deux à trois pieds de large, et ordinairement huit à dix pieds de haut. Ce sont comme des rues qui se communiquent, et dont plusieurs s’étendent jusqu’à une lieue de Rome, dans un espace de plus de six milles. Il n’y a ni maçonnerie, ni voûte, la terre étant assez compacte pour se soutenir d’elle-même. De temps en temps on rencontre de petites chambres pratiquées comme le reste des catacombes, sans jour et sans ouverture par le haut. Dans les deux côtés de ces rues, on plaçait les corps morts de haut en bas. Pour cela on faisait un trou de la longueur, de la largeur et à peu près de l’épaisseur des corps qu’on y plaçait. Comme les catacombes n’ont guère que huit à dix pieds de hauteur tout au plus, il n’y a presque partout que trois ou quatre rangs de ces tombeaux les uns au-dessus des autres. On les fermait avec des briques de terre cuite fort larges, fort épaisses, et quelquefois avec des morceaux de marbre cimentés d’une manière qu’on aurait peine à imiter de nos jours. Le nom du mort s’y trouve rarement. L’ouverture de ces catacombes se trouve dans le cimetière de Calliste, sur la voie Appienne. Tous ceux qui y sont enterrés ne sont pas, comme le croit le vulgaire, des saints et des martyrs. Il n’est pas même certain qu’on n’y ait pas enterré des payens. Les signes d’après lesquels on croit distinguer les premiers sont assez équivoques. La croix, la palme, le monograme de Jésus-Christ, les figures d’un bon pasteur et d’un agneau, que l’on trouve gravées sur les pierres des tombeaux, prouvent bien qu’elles ont servi à des chrétiens, mais non pas que ces chrétiens soient des saints ou des martyrs. » Ceux qui désireront à ce sujet des détails plus étendus, pourront consulter le Voyage dans les catacombes de Rome, par M. Artaud.

Outre ces catacombes, il en existe d’autres auprès de Naples. Il faut lire ce qu’en dit M. de Lalande dans son Voyage d’Italie.

Comme la coutume des Gaulois était de brûler les corps, tous les anciens tombeaux qu’on a trouvés en France, et qu’on y trouve encore de temps en temps, ne remontent pas à plus de treize ou quatorze siècles, époque de l’invasion des Gaules par les Francs. Ces tombeaux, qui sont de pierre, ont presque tous la forme d’un long coffre, comme on peut s’en assurer par celui de sainte Geneviève, et par d’autres qu’on voit en divers lieux. Ce ne fut que vers les douzième et treizième siècles que la coutume s’étant introduite assez généralement d’enterrer les morts dans les églises, on y éleva des sépulcres que la sculpture grossière de ce temps-là s’efforça d’embellir. Alors on vit paraître dans les chapelles et sur les murs, des emblèmes funèbres, les statues des morts ou couchées, ou agenouillées sur leurs tombeaux. Ceux qui ont vu les monumens de ce genre au Musée des Petits-Augustins, peuvent se faire une idée de tous ceux qui appartenaient à des familles distinguées. Comme ces monumens étaient fort coûteux, les morts dont la fortune ne permettait pas qu’on rendît ces honneurs à leur dépouille, mais qui pouvait suffire à leur procurer une sépulture particulière, étaient inhumés dans l’enceinte de l’église, dans une fosse que leur famille avait achetée, et que l’on couvrait d’une pierre sur laquelle on gravait leur épitaphe : ce qui s’est pratiqué jusque vers la fin du dix-huitième siècle, dans un grand nombre d’églises.

À mesure que l’architecture et la sculpture se perfectionnèrent, les monumens funèbres des princes et des grands devinrent, plus pompeux. Les voûtes sépulcrales de l’abbaye de Saint-Denis offrirent alors aux curieux de vrais chefs-d’œuvre, ainsi que plusieurs églises de la capitale et des autres villes du royaume. Ceux qui l’emportent par la beauté de leur exécution se voyaient au Musée dont nous venons de parler. Qui pouvait contempler sans admiration ceux de François Ier, de Diane de Poitiers, et du cardinal de Richelieu[1] !

L’emplacement qu’ils occupaient nous rappelle ce temps désastreux où une fureur sacrilège porta un certain nombre de Français à violer les asiles des morts, à disperser leurs ossemens, à briser leurs tombeaux, à détruire enfin tous les monumens élevés par la piété des familles à la mémoire des personnes qu’elles avaient chéries. Alors on vit une guerre d’une espèce toute nouvelle se déclarer contre ces objets vénérables, que leur destination aurait dû soustraire à la rapacité des méchans : alors on vit un spectacle qui n’avait jamais paru dans le monde, même chez les peuples les plus sauvages, une multitude acharnée contre de froides dépouilles, descendre le marteau à la main dans les retraites sépulcrales, ouvrir les tombes des rois et des grands hommes, insulter à leurs cadavres, et s’en faire un jouet, comme les bêtes féroces de leur proie lorsqu’elles en ont dévoré les chairs. Dès ce moment la religion des tombeaux disparut de la France, et peu s’en fallut que la doctrine aussi barbare qu’insensée de l’athéisme n’enlevât aux morts l’antique asile des cimetières, pour leur faire partager la sépulture des bêtes de somme. Au moins changea-t-on cette dénomination de cimetière, parce qu’elle signifie un endroit où l’on dort, pour adopter celle de champ du repos, dont la signification se rapproche de l’opinion contraire à la croyance d’une résurrection générale des corps. Dans l’embarras où se trouvaient les familles de se procurer des sépultures particulières où elles pussent consigner, par des monumens, leurs regrets pour les pertes qu’elles éprouvaient, elles introduisirent l’usage profane d’enterrer leurs morts dans des jardins, et autres endroits, ou exposés aux insultes publiques et particulières, ou dérobés à la surveillance du gouvernement.

Enfin arriva le moment où tous les souvenirs se portèrent avec horreur sur les profanations des tombeaux, où tous les vœux réclamèrent et des cérémonies funèbres, et des cimetières d’une étendue et d’une situation convenables, et la liberté d’élever des monumens. Dans la capitale, le chef du département, attentif à ce vœu, sollicita les lumières des hommes instruits et vertueux. Deux vastes emplacemens furent achetés, l’un à Montmartre, et l’autre à Mont-Louis ; une administration spéciale fut établie pour régler tout ce qui était relatif aux sépultures, et les familles purent se procurer des fosses particulières, et construire des sépulcres.

Depuis cette époque, la religion des tombeaux n’a pas cessé de faire des progrès, et les cimetières se sont embellis de monumens qui prouvent que les excès dont nous avons parlé plus haut ne doivent être attribués qu’à une multitude égarée par quelques hommes aussi étrangers à l’humanité qu’à la religion.

Si le spectacle des tombeaux, plus ou moins somptueux, que l’on élève chaque jour dans nos cimetières, donne une idée avantageuse de la piété des familles et de leur respectueux attachement pour la mémoire des morts, nous ne pouvons néanmoins nous empêcher de dire qu’il se glisse des abus jusque dans ces enceintes vénérables, où tout doit porter à la tristesse et commander la réflexion. Que les parens et les amis des morts y soient admis à visiter leurs tombeaux, rien n’est plus juste ; mais qu’aux cimetières de Montmartre et de Mont-Louis, on laisse errer, parmi les sépulcres, des personnes qui ne s’y rendent que par le motif d’une pure curiosité, qui y font, en se promenant, un objet de plaisanterie des inscriptions gravées sur les tombes, qui s’y permettent de rire aux éclats, en un mot qui s’y comportent comme dans une promenade toute profane ; rien sans doute n’est plus indécent. Pour empêcher cet abus, surtout au cimetière de Mont-Louis, il me semble qu’un inspecteur devrait être chargé, les dimanches, de surveiller les personnes qui en visitent les monumens.

Nous terminerons ce premier volume par la Fête des morts, dans une campagne, et nous continuerons, au second, le Coup d’œil historique sur les funérailles.


  1. Les monumens qui formaient le Musée des Petits-Augustins viennent d’être rendus, pour la plupart, aux différentes églises d’où ils avaient été tirés, et les autres placés dans le cimetière de Mont-Louis.