Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/Dubocage




CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 42.

TOMBEAU DE MADAME DUBOCAGE.

Ce monument est élevé à droite, en entrant ; mais il faut le chercher parmi les arbres qui l’environnent ; c’est ainsi que la modeste violette se cache sous le gazon. Il est formé d’une dalle en marbre blanc, perpendiculaire, et qui se termine en ceintre, avec oreillons.

Marie-Anne LEPAGE-DUBOCAGE, des académies de Rome, Bologne, Padoue, Lyon et Rouen, naquit à Rouen, le 22 octobre 1710, et fut élevée à Paris, au couvent de l’Assomption. Sevrée de bonne heure des jeux frivoles et dangereux, elle n’avait d’autre passion que celle de l’étude. Aux charmes de son sexe, elle unissait un esprit avide de connaissances, et plus solide que brillant.

Un goût vif pour la poésie se développa en elle dès les premières années de son adolescence. Dans le dessein d’imiter, en vers français, le Temple de la Renommée, de Pope, elle se livra avec ardeur à l’étude de la langue anglaise. En 1746, elle remporta le premier prix, fondé par l’académie de Rouen.

Madame Dubocage s’éteignit, pour ainsi dire, le 8 août 1802, à l’âge de 92 ans.
CIT-GIT MARIE-ANNE LEPAGE, VEUVE DUBOCAGE Née à Rouen le 10 Novembre 1710 Morte à Paris le 21 Thermidor an 10 (9 Août 1802) Agée de Quatre-Vingt douze ans. On l’admira pour ses talens, On l’aima pour ses vertus.
CIT-GIT MARIE-ANNE LEPAGE, VEUVE DUBOCAGE Née à Rouen le 10 Novembre 1710 Morte à Paris le 21 Thermidor an 10 (9 Août 1802) Agée de Quatre-Vingt douze ans. On l’admira pour ses talens, On l’aima pour ses vertus.
Lorsque madame Dubocage partit pour Rome, Voltaire lui adressa les vers suivans :

Allez au Capitole, allez, rapportez-nous
Les myrtes de Pétrarque et les lauriers du Tasse ;
Si tous deux revivaient, ils chanteraient pour vous.
En voyant vos beaux yeux et votre poésie,
Tous deux mourraient à vos genoux
Ou d’amour ou de jalousie.

Voici d’autres vers adressés à madame Dubocage par le poète de Ferney :

J’avais fait un vœu téméraire
De chanter un jour, à la fois,
Les grâces, l’esprit, l’art de plaire,
Le talent d’unir sous ses lois
Les dieux du Pinde et de Cythère.
Sur cet objet fixant mon choix,
Je cherchais ce rare assemblage.
Nul autre ne put me toucher ;
Mais je vis, hier, Dubocage,
Et je n’ai plus rien à chercher.

………Elle rappelait mademoiselle de Scudéry, qu’on avait vue, en 1671, remporter un pareil prix à l’académie française ; mais elle n’avait, avec cette vieille muse, que ce seul trait de ressemblance ; aussi lui adressa-t-on le madrigal suivant :

D’Apollon, de Vénus, réunissant les armes,
Vous subjuguez l’esprit, vous captivez le cœur,
Et Scudéry jalouse, en verserait des larmes ;
Mais, sous un autre aspect, son talent est vainqueur :
Elle eut celui de faire oublier sa laideur.
Tout votre esprit n’a pu faire oublier vos charmes.

Lorsqu’elle eut publié le Paradis terrestre, imitation du Paradis perdu, de Milton, Voltaire lui adressa ces jolies stances :

Milton, dont vous suivez les traces,
Vous prête ses transports divins.
Eve est la mère des humains
Et vous êtes celle des Grâces.

Comment n’eût-elle pas séduit
La raison la plus indomptable !
Vous lui donnez tout votre esprit :
Adam était bien pardonnable.

Elle le rendit criminel,
Et vous méritez nos louanges ;
Eve séduisit un mortel,
Et vous auriez séduit les anges.

Madame Dubocage mit le sceau à sa renommée littéraire par la Colombiade, poème en dix chants, et ce fut par cet ouvrage qu’elle termina sa carrière poétique.

On a aussi, de cette femme célèbre, la tragédie des Amazonnes, dont la chute rappela celle de Genséric, par madame Deshoulières. À ces productions poétiques, il faut ajouter des Mélanges, en vers et en prose, traduits de l’anglais ; quelques Traductions de l’italien ; des Voyages en Hollande, en Angleterre et en Italie.

Quelques années avant sa mort, l’auteur des Lettres à Emilie, sur la Mythologie, lui adressa les vers suivans :

On regrète le temps passé sans vous connaître :
Combien on eût joui d’un commerce si doux !
Il semble que plus tôt on aurait voulu naître
Pour avoir le bonheur de vieillir avec vous.

Lorsque, vers son déclin, le soleil nous éclaire,
L’éclat de ses rayons n’en est point affaibli.
On est vieux à vingt ans, si l’on cesse de plaire ;
Et qui plait à cent ans, meurt sans avoir vieilli.