Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/5


(5ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 17, 18, 19, 20.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 17.

CÉNOTAPHE DE GUILLAUME LAGRANGE.


Ce Cénotaphe est placé à l’entrée de la contre allée de celle des tilleuls, dite de Vincennes. Il a la forme d’une borne tumulaire antique. Il est construit en pierre de liais et est entouré d’une balustrade en fer. Pour y arriver, il faut, à la sortie du carrefour de l’étoile, traverser la route tournante et gravir le sentier qui serpente le penchant de la colline. On arrive alors à la route, au bout de laquelle il est érigé. M. GODDE, architecte dudit cimetière, est l’artiste qui a construit ce monument.

Ce Cénotaphe[1] est chargé d’inscriptions, qui, toutes, donnent la preuve de la douleur la plus exaltée.

Un jeune homme, fils unique de la plus tendre des mères, emporté par la fougue de l’âge, l’amour de la gloire et le désir de s’illustrer dans la carrière des armes, ou ses ayeux s’étaient rendus recommandable, ne réfléchissant point assez qu’il était la seule consolation d’une mère qui ne vivait que pour lui ; quitte cette mère inconsolable de cette séparation, et vole audacieusement au-devant des dangers.

Il se signale à Austerlitz, à Iena, à Erfurt, à Spandau ; partout, son audace, son courage sont couronnés par le succès ; mais il trouve la mort dans les affreux déserts de la Pologne, au combat du 4 février 1807.

Sa mère, dans son désespoir, en apprenant qu’elle a perdu dans ce fils chéri tout ce qui l’attachait au monde, privée même de la douloureuse consolation de pouvoir répandre des larmes sur ses tristes restes, pour trouver quelques soulagemens dans sa déplorable situation, a fait élever ce Cénotaphe à la mémoire de ce fils, l’objet de toutes ses pensées, de sa pieuse et si légitime mélancolie.

Ce monument qui est le seul de ce genre, dans le Cimetière de Mont-Louis, fait nombre parmi ceux qui, dans ce Cimetière fixent les regards de l’homme sensible, de l’homme honnête et bon, qui au milieu de ces tombeaux, cherche ces douces émotions qui consolent, qui lui rappelle quelques-unes de ces vertus précieuses qui ne sont point aussi généralement répandues au milieu de nous qu’elles devraient l’être, je veux dire, l’amour maternel, la piété filiale, la fidélité conjugale, la reconnaissance, etc. etc,

Sur la face opposée du monument, se lit cette Inscription.

N. B. La douleur est un peu prolixe. Mais il faut le pardonner à une mère inconsolable, qui ne croit jamais en dire assez lorsqu’elle fait l’éloge du fils qu’elle regrette. Cette faiblesse est dans la nature.


Monument élevé à la gloire du plus tendre des fils et des amis.


Antoine C. M. de Guillaume LAGRANGE, fils unique, âgé de 25 ans et demi, sous-officier au 16e régiment de dragons, mort en héros, sur le champ de bataille, victime de son courage, de sa bravoure, regretté de ses chefs, de ses amis, de ses camarades et généralement de tous ceux qui le connaissaient.

Il était le rejetton de la plus ancienne noblesse de Limoge. Ses ancêtres ont servi avec distinction et ont occupé des places honorables.


Après avoir signalé sa valeur à Austerlitz, à Iena, à Erfurt, à Spandau, etc. Il trouva la mort dans les affreux déserts de la Pologne, au combat du 4 février 1807.

Ce fut à l’entrée d’un village ; dans un passage dangereux ; on demanda : Qui veut passer le premier ? C’est moi, s’écrie-t-il. Aussitôt il s’élance… A l’instant une balle lui perce le cœur !!!

Ses dernières paroles sur le champ de bataille, furent[2] : Ma mère ! ma pauvre mère !!

O mon cher et bien aimé fils, mon meilleur ami ! Tout ce que j’avais de plus précieux au monde !

C’est ta bravoure, ton grand dévouement à la patrie, qui me prive de te revoir, seul bonheur que nous désirions.

O toi, si bon, si aimant, si sensible, jamais je ne te pleurerai assez, ni autant que tu le méritais.

Toi, qui possédais toutes les qualités de l’âme et du cœur.

Reçois l’hommage de ta malheureuse et inconsolable mère. La mort seule, peut mettre un terme à sa douleur.

Êtres bons et sensibles, plaignez son sort. Il méritait bien de vivre, d’être réuni à sa tendre mère. Il ne demandait à Dieu pour récompense de tant de peines et de fatigues, que de la revoir, de la serrer encore une fois contre son cœur, avant que de finir l’un et l’autre leur carrière.




CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 18.

TOMBEAU DE Mad. MATHON.


On le trouve à gauche en entrant, sur le sommet de la colline. Il est construit en pierre de liais, et il

représente un piédestal carré.

Sur la face de droite est un flambeau renversé, entouré d’une couronne de myrthe.

Sur la face de gauche est un lacrymatoire[3], au milieu d’une couronne d’olivier. Derrière est représenté un arbre mort.

Les différentes allégories dont il est orné parlent plus au cœur et donnent beaucoup plus à penser que tous les éloges qu’on aurait pu faire de la défunte, dans une longue épitaphe.




CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 19.

TOMBEAU DE Mlle. Amélie PAYRE.


Ce tombeau qui est à gauche en entrant, non loin de la porte du Petit Vaugirard, est exécuté en pierre de liais. Le timpan du couronnement est orné d’un petit bas reliefs en forme de calote, dont l’idée est assez ingénieuse. La jeune fille, dont le corps est déposé sous ce monument, décédée, âgée de trois ans, y est représentée sous l’emblême d’un bouton de rose, à la tige duquel ne sont encore poussées que trois feuilles. Un ver, ronge, flétrit et fait périr ce bouton de rose.




CIMETIÈRE DE SAINTE-CATHERINE.

Planche 20.

TOMBE HORIZONTALE DE M. BRUNET et de sa FILLE.


Ce monument se voit à gauche en entrant. Il est formé d’une pierre inclinée. On y a incrusté une table en marbre noir, sur laquelle est gravée une épitaphe en lettres d’or.


SUITE DU DISCOURS.


Prononcé par M…, sur la tombe de Jacques DELILLE. (Voyez la 1 2 3 4me. Livraison.)


« Ombre chère et sacrée, nous avions confié un moment tes dépouilles mortelles à la mère commune : nous venons aujourd’hui les déposer dans la tombe que leur a préparée
la piété d’une épouse. Cette tombe est modeste et conforme à tes vœux[4] ; mais notre encens et les hommages de la postérité en feront un autel. Malgré deux mille ans et les barbares, le laurier qui survit au mausolée de Virgile reçoit encore le culte d’une admiration passionnée. Virgile ! Combien les destinées de ce grand poëte ont de ressemblance avec les tiennes ! Tous deux vous avez été instruits à l’école du malheur, toi dès l’enfance et lui dans la jeunesse ; tous deux vous avez chanté au milieu des guerres civiles ; tous deux vous avez essayé d’amollir, par de douces et innocentes peintures, les passions les plus féroces ; tous deux vous avez rendu sœurs la noble poésie et l’austère phylosophie ; tous deux vous avez surpassé Lucrèce dans l’art de prêter le charme du langage des dieux à la raison et à la vérité, tous deux vous comptez des amis et des contemporains illustres ; tous deux vous avez joui vivans de votre renommée ; tous deux vous avez recueilli les témoignages unanimes de l’admiration publique ; tous deux vous avez parcouru les mers qui conduisent à Troie, reconnu la patrie d’Homère, et foulé le sol d’Athènes. Il est vrai que

tu n’as pu interroger que les ruines de cette ville superbe ; tandis que Virgile a vu debout encore ; et le temple de Minerve et le Jupiter de Phidias, et les statues des grands hommes dans le Céramique, et la tribune où tonnait Démosthènes. Mais ce spectacle, si beau pour les yeux et pour l’ame d’un poëte, est le seul avantage que la destinée ait accordé sur toi au chantre divin de la malheureuse Didon. Virgile mourut jeune encore : il mourut avec la douleur de laisser imparfait l’impérissable monument de sa gloire ; et pour comble d’infortune, privé des mains d’un ami qui lui fermât les yeux, il succomba à une maladie cruelle, et fut réduit à prononcer sur lui-même, en jetant ses derniers regards vers la terre natale, ce trait si touchant de son Énéide :

Et dulces moriens reminiscitur argos.

» Et ces honneurs suprêmes qu’il avait décrits tant de fois avec un charme inexprimable, on ignore s’ils ont été dignement rendus à son ombre. Ces pleurs de la patrie en deuil qu’il avait espéré sans doute, l’infortuné ne les a point obtenues sur son tombeau. Combien le Ciel fut plus indulgent pour toi, ô mon illustre maître ! Rien de plus brillant, de plus heureux que ta jeunesse et ton âge mûr. Les monumens de ta gloire ont excité sous tes propres yeux un enthousiasme général. Tu as eu le tems de donner à tes ouvrages, dans un examen sévère et réfléchi, le sceau de la maturité. Ta vieillesse troublée, il est vrai, par des orages, a enfanté des chefs-d’œuvres, que tu dois, peut-être à l’adversité. Tu as vu toutes les classes de la société, et sur-tout les générations naissantes, espoir de l’État, t’environner d’applaudissemens, de respect et d’amour. Jusques à la fin de ta carrière, tu as conservé la chaleur de ton ame, la force de ton talent, la fraicheur et la vivacité de ta brillante imagination. Deux jours avant ta mort, les beaux vers coulaient encore de ta veine, comme des inspirations de la jeunesse.


  1. Cénotaphe vient du mot grec Kenotaphion, qui signifie un tombeau vide.
  2. Combien de malheureux jeunes gens, ont fait entendre le même cri d’adieu à leur mère ; en expirant ! sur le champ de bataille.
  3. Un lacrymatoire chez les anciens, était un vase qu’on plaçait sur les tombeaux, pour recevoir les larmes qu’on pouvait répandre sur la perte de la personne que l’on avait à regretter.
  4. On lit les vers suivans dans une épitre de DELILLE, à son épouse.

    Écoute-donc, avant de me fermer les yeux,
    Ma dernière prière et mes derniers adieux.
    Je te l’ai dit ; au bout de cette courte vie,
    Ma plus chère espérance et ma plus douce envie.
    C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau,
    À l’ombre d’un vieux chêne ou d’un jeune arbrisseau :
    Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte,
    Que la religion y répande l’eau sainte,
    Et que de notre foi le signe glorieux,
    s’immola pour nous le rédempteur du monde,
    M’assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,
    De mon réveil victorieux

    Cette belle épitre est en tête du Poëme de l’Imagination. Et sera imprimé dans une des livraisons prochaines.