Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/4


(4ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 13, 14, 15, 16.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 13.

TOMBEAU DE M. RENOUARD.[1]


Ce tombeau est au-bout de la nouvelle allée de tilleuls, à gauche en montant près du château, et en descendant ensuite dans la vallée au pied de la colline. Il est en forme de Sépulchre, d’une belle proportion ; des Cyprès l’ombragent. Il est construit en pierres de liais. Voici l’épitaphe qu’on y lit sur l’autre face.

Il rendit l’Étranger tributaire

De son industrie, Et par sa bienfaisance,

Mérita le nom de père de ses ouvriers
.
Il fut enlevé trop tôt à ses Enfants désolés,
Et à son inconsolable Épouse.


Des hommes tel que M. Renouard ne meurent pas tout entier, lorsqu’ils ont cessé d’exister, leur réputation leur survit. L’honneur, la probité qui étaient le principe de toutes leurs actions, toutes les vertus qu’ils ont pratiquées et qu’ils ont léguées à leurs familles, tout le bien qu’ils ont fait, voilà ce qui les rend continuellement présens aux souvenirs des personnes qui ont eu le bonheur de les connaître ; on vit encore avec eux, on se rappelle leurs conseils, on les imite dans leur conduite, ou cherche et on trouve le bonheur, (cette chimère de la vie) dans les actions qui les ont rendus heureux, et, comme eux ont fait le bien, on s’oublie pour être utile aux autres, et c’est ainsi que la société jouit encore bien longtemps après avoir eu le malheur d’être privé, de l’inappréciable avantage d’avoir connu un homme de bien. La famille de M. Renouard donne la preuve de cette vérité. Le même esprit anime tous ceux de cette famille respectable qui vivent encore au milieu de nous. Le frère du défunt, M. Renouard, Maire de Charonne, sa nièce, madame Godard, etc. Ne s’occuppent continuellement qu’à faire le bien.




CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 14.

TOMBEAU DE de Gaétan Apollin Baltazar VESTRIS.


Dans le vallon à gauche en entrant, on voit le tombeau de Vestris. Il consiste en une pierre
horizontale de six pieds de long sur trois de large, formant tombe. Sur cette tombe, on a gravé une couronne d’olivier, et deux torches funèbres. À la tête, s’élève une autre pierre en forme de Cippe, sur laquelle est gravée l’épitaphe.

Sur le sommet de ce Cippe est placé une croix, dernière volonté de Vestris.

Il n’était pas nécessaire de placer sur la tombe de Vestris une Épitaphe qui apprit ce que tout le monde savait que cet homme si célèbre dans son genre était Artiste de l’Académie Impérial de musique. Le nom de Vestris seul suffisait pour rappeller au souvenir de ceux qui l’ont connu qu’il atteignit à la perfection de son art. Le nom de Vestris et cette perfection sont aujourd’hui synonimes. Vestris lui même, était si pénétré de cette vérité qu’il se plaisait souvent à dire qu’il était le Dieu de la danse. Ce mot était si connu, il était, quoiqu’un peu vain, si convenable à celui qui s’était permis de se l’appliquer, que, s’il n’y eut point eu une sorte d’indécence à le graver sur une tombe, c’eût été peut-être la seule épitaphe qui aurait pu conserver de son talent l’idée qu’on doit en avoir. Mais sa famille a préféré avec raison faire connaître à ceux qui auraient pu les ignorer, les vertus, les qualités estimables dont était doué cet artiste célèbre.

Vestris fut bon époux, bon ami, bon parent. Il aima de l’amour le plus vrai et le plus constant l’épouse qu’il s’était choisie. Il ne s’occupa que de son bonheur. Sa perte fut pour lui une source intarissable de regrets. Une autre perte, qui ne lui fut pas moins sensible fut celle d’une sœur sur laquelle reposèrent ses plus chers affections. Privé de ces objets de sa tendresse, il y pensait continuellement ; son attachement pour l’une et pour l’autre alla jusqu’au delà du tombeaux, car il voulut qu’après sa mort son corps fut déposé auprès d’elles. Son épitaphe nous apprend que l’on a rempli religieusement envers lui cette dernière disposition.

Il est présumable que sur la fin de sa vie, retiré du théâtre depuis plusieurs années, revenus de toutes les illusions de ce monde, il chercha des consolations dans la religion, et que cette même religion le rendit heureux dans ses derniers moment.

Ce qui le donne à croire, c’est qu’il exigea que l’on plaçât une croix sur sa tombe. Cette dernière volonté, qu’il manifesta hautement pendant sa maladie, ne fait qu’ajouter encore à cette réputation de probité qu’il s’était acquise, et ne peut que donner une idée avantageuse de la moralité de son fils qui l’a fait scrupuleusement exécuter. Il y a dans les quatre Cimetières de Paris beaucoup de tombes dépouillées de ce signe du Christianisme, quoique les personnes dont les corps y reposent fussent d’une profession qui aurait dû faire présumer en elles plus de sentimens de piété que dans celle qu’exerçait Vestris.




CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 15.

TOMBEAU DE M. ROTALIÉ.


Ce monument a été élevé à gauche, en entrant par la porte du petit Vaugirard ; il est construit en pierre ; la table saillante de six lignes, qui porte l’inscription, est de marbre noir antique, et les lettres sont dorées.

CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 16.

TOMBEAU DE Mlle. JULIE DU VALDOIR.


Ce monument se voit à gauche en entrant près du deuxième Cimetière ; il est construit en pierre, un peu incliné par le pied. Il est orné à ses encoignures, de triglyphes à cannelures circulaires, bronzées.

Cette jeune personne, morte à vingt-deux ans, emporta avec elle dans le tombeau toutes les espérances de bonheur et de consolation que sa famille avait cru devoir fonder sur elle. Malgré qu’elle eût toutes les vertus qui rendent si estimables les personnes de son sexe, toutes les grâces, tous les talens qui commandent l’admiration, rien de si modeste que son épitaphe. On lit sur sa tombe, ce peu de mots :

Ci-gît Julie Duvaldoire,
Morte à 22 ans.

Que de réflexions douloureuses cette épitaphe ne doit-elle pas faire naître dans le cœur de l’homme véritablement sensible ! Ce laconisme, dit beaucoup plus que le verbiage de mille autres, qui souvent n’est qu’une longue série de mensonges. Dans ces longues épitaphes, qui, sous un certain rapport, se ressemblent presque toutes, en donnant toutes les vertus à ceux que l’on regrette, il est naturel d’être en garde contre un pareil éloge et de douter d’une telle perfection. Dans celle-ci, on peut, on doit supposer tout ce que l’on ne dit pas. Les regrets que laisse après elle une jeune fille qui termine sa carrière à l’âge de vingt-deux ans sont assez puissans pour qu’il soit permis de lui supposer toutes les qualités aimables, toutes les vertus dont souvent on gratifie tant d’autres si gratuitement.


Suite de l’Élégie. (Voyez le 3e. morceau, page 24.)


Que vois-je ! c’est ici le séjour du trépas.
Quels gouffres ! quels tombeaux entr’ouverts sous mes pas !
Ah ! fuyons ; de la mort c’est ici la demeure…
Pourquoi fuir ? que plutôt sonne ma dernière heure !
Ce silence profond, ces lugubres oiseaux,
Ces cadavres épars, ces horribles tombeaux !
Tout est ici conforme à ma douleur mortelle,
Tout m’offre le tableau d’une nuit éternelle.
Qui s’avance vers moi ? ce n’est point une erreur :
Tous mes sens sont glacés d’épouvante et d’horreur !
Un jeune homme… écoutons ; d’une voix gémissante,
Il vient ici pleurer la mort de son amante.
« Florella, Florella… mais tu ne m’entends plus :
C’est moi, c’est ton amant, ô regrets superflus :
Dois-je en croire mes yeux ? eh quoi ! sous cette pierre
Mon amante n’est plus, qu’une froide poussière.
Ces traits qui tant de fois séduisirent mon cœur,
Ces yeux où tant de fois j’avais lu mon bonheur,
Que sont-ils devenus ? ô souvenir funeste !
De celle que j’aimais voilà ce qui me reste ;
Ses grâces, ses appas, ses vertus, ses talens,
Tous est enseveli dans le gouffre du temps.
Repose, Florella, repose, infortunée.
Lorsque tu me jurais que bientôt l’hyménée

Allait t’unir au sort de ton fidèle amant,
J’étais loin de prévoir cet affreux changement,
Près de toi je gémis, et tu ne peux m’entendre ;
Et ton corps, à mes yeux, n’offre qu’un peu de cendre,
Ce tombeau que je viens inonder de mes pleurs,
Rappelle à chaque instant mes horribles malheurs.
Florella, c’en est fait… je le sens… je succombe :
Reçois-moi dans tes bras, j’expire sur ta tombe. »
Qui que tu sois, ô toi ! mortel trop malheureux,
Ah ! tu n’es pas le seul qui gémisse en ces lieux.
Tu pleures le trépas d’une amante fidèle ;
Comme toi je succombe à ma douleur mortelle ;
Chaque jour je languis, je déplore mon sort ;
Il ne me reste plus d’autre espoir que la mort…
Viens trop cruelle Aminte, en voyant ma souffrance,
Jouis, elle est le fruit de ton indifférence,
Je t’aime, tu me hais, tu t’éloignes de moi ;
Penses-tu que je puisse exister loin de toi ?
Tu l’ordonnes, barbare ; il faut que je t’oublie ;
Ordonne mon trépas, tu seras obéie…
Oui, j’ai lu dans ton cœur cet arrêt foudroyant ;
C’est toi qui l’as dicté, viens me voir expirant.
C’est trop longtemps souffrir, ma mort est ton ouvrage.
Je vois devant mes yeux se former un nuage.
Dieux ! pour moi du néant les portes vont s’ouvrir :
Daigne d’un malheureux garder le souvenir,
Aminte… je le sens… la force m’abandonne :
J’expire sous tes coups, mais mon cœur te pardonne.

A. Dépierris.

Le cercueil de M. Delille, qui avait été provisoirement déposé en terre dans le cimetière de Mont-Louis (dit le Père la Chaise) a été transporté dans le tombeau que l’épouse de ce grand poëte lui a fait élever. Cette cérémonie avait attiré un certain nombre d’hommes de lettres, d’artistes et d’amis de l’illustre défunt.

Au même instant où le corps entrait dans l’asile sacré qu’il ne doit plus quitter, M. Tissot, successeur de M. Delille à la chaire de poésie du Collège de France, prononça quelques paroles simples et touchantes ; elles furent suivies de quelques vers remplies d’âme, lus et composés par madame Germard de Courchamps, amie de M. Delille depuis plus de quarante années.

La cérémonie a été terminée par a lecture d’un dithyrambe, dont l’auteur est M. Ledieu, jeune homme que M. Delille encourageait par ses conseils, et honorait d’une affection particulière. On a remarqué de très-belles pensées et de fort beaux vers dans ce dithyrambe.




DISCOURS


Prononcé par M. Tissot au moment où le corps de M. Delille a été déposé dans le tombeau qui lui avait été préparé.

Nous donnerons ce discours dans un numéro prochain.


  1. Nota. L’échelle, qui est sur le bord de la gravure n’est faite que pour l’élévation géométrale et non pas pour l’élévation latérale qui n’est qu’une fausse perspective pour faire voir la disposition du couronnement et les ornemens qui pourraient être faits sur les dites faces.