Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/20


(20ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 77, 78, 79, 80.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 77.

TOMBEAU DU JEUNE VERHUELL.


On voit ce tombeau, en entrant, à gauche dans le cimetière. Il est construit en pierre, et représente un piédestal carré, avec base et corniche, et surmonté d’un socle au-dessus duquel s’élève un obélisque posé sur des pieds de lion.

Le nom de Verhuell rappelle les exploits de ce célèbre attirai hollandais qui, naturalisé français, a mérité de siéger à la chambre des pairs de France.


CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

PLANCHE 78.

TOMBEAU DE MONSIEUR PICQUENOT.


On arrive à ce tombeau en traversant la grande allée des sycomores ; il est au bout de cette avenue, et près du tertre ou belvédère du nord. Il est en pierre. Sa forme est celle d’un piédestal carré, avec socle, corniche, fronton et oreillons. Il est surmonté d’une urne funéraire, que mademoiselle Picquenot a soin d’orner souvent d’immortelles.

Ce monument est ombragé d’un berceau de chèvre-feuilles, qui a la forme d’un baldaquin. Différentes espèces de fleurs et des cyprès font ornement d’un petit jardin entouré d’un treillage.

La dépouille que couvre ce monument est sans doute celle d’un père chéri parce qu’il fut aimant et bon. Honneur à la vertueuse et sensible fille qui fait consister son bonheur à venir pleurer devant la sépulture de l’auteur de ses jours ! Les enfans ingrats s’éloignent des lieux où reposent leurs parens dans le sommeil de la mort.

CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 79.

TOMBEAU DE MONSIEUR GASSOT.

de la vienne.


Ce tombeau est situé dans le fond du vallon, sur le bord du chemin ; à gauche, en entrant dans le cimetière. Il est en pierre de liais, et sa forme est celle d’un cippe.




CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 80.

TOMBEAU DE MADEMOISELLE ÉTEVÉ.


Ce tombeau se trouve à droite, en entrant dans le cimetière. Il se compose d’une dalle de pierre de liais, qui a la forme d’un miroir, suivant l’expression des ouvriers. Il est scellé au mur. Deux tuya, arbustes chinois, l’ombragent et le décorent.

Mademoiselle Étevé n’avait que seize ans ; Amour ! Hymen ! vous pleurez : que la Religion vous console !

FRAGMENT,

Extrait des Nuits d’Young.
(dixième nuit.)


Conduis tes troupeaux dans un gras pâturage, tu ne les entends point se plaindre : ils paissent satisfaits. La paix dont ils jouissent est refusée à leur maitre. Un mécontentement éternel poursuit et tourmente l’homme. Le monarque et le berger se plaignent également de leur sort ; et du trône à la chaumière les soupirs se répondent. Cependant quel intervalle immense sépare leurs destinées ! L’un enferme des mers entre les deux portions de son empire ; l’autre ne possède dans l’univers qu’une cabane d’argile et de chaume, bâtie à la hâte sur un terrain abandonné et qui le défend mal de l’hiver et des orages. Croirais-je que l’Eternel ait été plus libéral pour mes troupeaux que pour moi ? Non ; ce mécontentement qui murmure dans mon cœur, n’est que le sentiment de mon immoralité ; c’est le cri de l’instinct appelant l’objet qui manque à son bonheur. Il est arrêté que l’homme noblement tourmenté par sa grandeur soupirera sur le trône comme sous le chaume ; ses dégoûts lui révèlent sa noblesse, et sa misère lui crie qu’il est né pour être heureux.

Nous ne sommes point ici dans notre patrie, c’est une terre étrangère où nous recevons en passant de la nature un aliment qui ne peut nous rassasier. Nous avons beau multiplier nos jouissances, nous restons affamés au milieu de cette abondance stérile, et les plus grands plaisirs nous laissent toujours des désirs. Si nous ne pouvons plus monter, nous descendrons plutôt que de rester dans le repos. Le maître de l’empire humain quitte le trône de l’univers et va se souiller à Caprée, dans des voluptés honteuses. C’est le désespoir de l’ambition qui l’abaisse et le plonge dans la débauche.

Dieu lance le cœur de l’homme vers l’avenir par un ressort invincible et caché. L’espérance infatiguable, les ailes toujours étendues, vole vers tous les objets qui frappent sa vue insatiable et toujours mal satisfaite des succès passés ; elle nous force à immoler notre repos à des chimères et à sacrifier des biens certains à l’incertitude des hasards ; elle foule sous ses pieds tous les bienfaits du présent, tue nos plaisirs à mesure qu’ils naissent, nous harcèle jusqu’au tombeau, et nous fait souffrir presque autant de maux que le désespoir. Pourquoi la jouissance est-elle toujours moins vive que le désir ? Pourquoi un désert est-il plus cher à l’homme qu’une couronne ? Pourquoi, dès que ce désir est satisfait, ensevelit-il le bonheur ? Ah ! sans doute, Dieu qui ne nous laisse ici d’autre bien que l’espérance, nous réserve dans l’avenir des biens plus précieux que ceux de la terre ; nous sommes entrainés vers le but invisible où le Créateur nous attire.




STANCES

Imitées de l’anglais en l’honneur
DE
M. PECHMEJA, ami de M. DUBREUIL.


Salut, sainte amitié, douce union des âmes,
Noble penchant des cœurs sensibles, généreux,
De ceux que tu remplis de tes divines flammes,
L’un mourrait avec joie en rendant l’autre heureux.

Mais, efforts superflus, tous deux n’ont qu’un seul être ;
Le coup qui frappe l’un contraint l’autre à périr ;
Tels on voit deux palmiers qu’un même sol fit naitre,
L’un de l’autre privés, s’incliner et mourir.

Lisez Télèphe, ô vous ! qui cherchez un modèle
Des sentimens sacrés de Constance et d’honneur !
L’auteur, plus qu’à la gloire, à l’amitié fidèle,
Embellit son héros des vertus de son cœur.

Pechmeja, qui pourra t’imiter et te suivre.
Tu crains à ton ami de coûter quelques pleurs,
Tu crains de lui laisser l’horreur de te survivre ;
Tes vœux sont exaucés ; Dubreuil n’est plus… tu meurs.




SUR LA MORT DE MONSIEUR DE NONAL.


Le 23 mai 1812, M. de Nonal, tourmenté du désir de revoir le lieu de sa naissance, partit de Paris pour Rennes, malgré les observations et les instances de son médecin et de ses amis : le 25 à dix heures du soir, trois heures après son arrivée, il avoit cessé de vivre ; il n’a pu que serrer la main de ses parens sans leur dire un seul mot. Il n’avait touché la terre natale que pour expirer.

Il avait lui-même préparé son épitaphe, qui le peint en entier, la voici :

Ci-git
Alexandre DE NONAL DE LA HOUSSAYE.
Ses amis
Etaient de sa famille,
Il aima
Sa famille et ses amis.

Jean-ernest SUTTON de CLONARD, auteur de plusieurs jolies productions dramatiques, enlevé aux lettres ; à sa femme, à ses parens et à ses amis qui le chérissaient ; il n’était âgé que de trente-deux ans.

Gai chansonnier, voici l’épitaphe qu’il s’était faite de son vivant :

Moi qui comptais de la folie,
Agiter les grelots cent ans ;
Des Parques la jalouse envie
Ne m’en a pas laissé le temps ;
Mais des bons vivans je fis nombre
« Si vous portez ici vos pas,
« De crainte d’attrister mon ombre
« Mes amis ne me pleurez pas. »





Ris, chante, la parque traitresse
Tourne encore pour toi son fuseau.
Un jour les trésors qu’on envie,
Tes champs, tes jardins, tes châteaux,
D’un prodigue héritier nourriront la folie.





Sois fils d’un plébéïen, sois né du plus beau sang,
Chez Pluton tôt ou tard, tout est au même rang.

FRAGMENT
Extrait de l’oraison funèbre du prince Eugène de Savoie, par Le Cardinal Passioni.
Traduit de l’italien, par Madame Duboccage.


…Quoi ! direz-vous, ce peu d’espace de terre, après tant de conquêtes, reste à notre héros ! ses cendres froides inutilement baignées de nos larmes, reposent dans les ténèbres obscures du tombeau ; c’est là qu’avec lui tous les grands de la terre, retourneront en poussière ! Dans cette réflexion terrible, que dire à sa louange et à celle des vainqueurs qui à peine égaleront son mérite, sinon ce qu’enseigne David : Non descendit cum eo gloria ejus.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Un tombeau que la vanité des hommes orne de trophées, et que le temps détruit. Quoi ! l’honneur d’occuper avec pompe un petit espace des terres immenses que ces conquérans ravagèrent leur fit perdre de vue l’éternelle béatitude et la vraie immortalité. Le prophète Daniel, élevé dans la plus superbe cour de l’Orient, méprisait cette gloire terrestre ; occupé de l’immensité de Dieu et de l’éternité, il représente les vainqueurs qui désolent l’univers, sous la figure de tigres et de lions. Horrible ressemblance ! Image affreuse.




ERRATA.


Page 22, au lieu de Cimetière de Montmartre, lisez de Vaugirard.

DISCOURS
EN VERS,
SUR LA MORT.




Ce n’est donc pas assez que ma douleur amère :
À la Mort vainement redemande une mère,
Surprise loin de moi par son glaive assassin !
Ce n’est donc pas assez que, presque dans mon sein,
De mes prospérités l’Euménide jalouse
Ait frappé sans pitié ma jeune et tendre épouse,
Qui de l’Hymen à peine entrevit les flambeaux !
Des marches de l’autel descendue aux tombeaux !
Et voilà que la mort contre mes jours armée,
Vient priver de mes soins ma famille alarmée.
Eh ! pourquoi donc veux-tu, fille de la douleur,
Ô Mort ! de mes beaux ans trancher ainsi la fleur !

Le malheur, en naissant, fut mon seul apanage.
À mes parens, hélas ! ravi dès mon jeune âge,
Non moins que par le sort trahi par les mortels,
Je venais, ô Nature ! embrasser tes autels,
Et, caché sous l’abri de mes foyers rustiques,
Redemander encor à mes dieux domestiques

» Le repos, dont jadis les premières douceurs
» Avaient, dans mon désert, attiré les neufs Sœurs,
» Les beaux-arts, à l’envi, peuplaient ma solitude :
» Uniquement épris des charmes de l’étude,
» Pauvre, et content de l’être, heureux de vivre aux champs,
» Je me disais : Ici je suis loin des méchans :
» Ici je ne crains plus ce troupeau d’ames viles
» Qu’assemble l’intérêt dans la fange des villes :
» Ici, d’un luxe vain l’œil n’est pas ébloui ;
» Mais de l’émail des prés l’œil est plus réjoui.
» Mes palais sont des bois majestueux et sombres,
» Confondant leur feuillage, entrelaçant leurs ombres,
» Tel est, n’en doutons pas, sur le sacré vallon,
» Le charme inspirateur des enfans d’Apollon.
» Dans Athènes, jadis, loin des regards profanes,
» les Sages disputaient à l’abri des platanes :
» Et l’ami de Mécène, aux jardins de Tibur,
» Sous des pins élevés respirant un air pur,
» Loin de Rome adorait leur ombre hospitalière.
» Parmi nous, Despréaux, La Fontaine, Molière,
» Souvent, pour animer leur génie et leur voix,
» Cherchèrent le silence et la fraîcheur des bois.
» Trop faible imitateur des dieux de l’harmonie,
» J’ai leurs penchans du moins, si je n’ai leur génie.
» Dans les prés couronnés de jeunes arbrisseaux,
» Suivant tous les détours des paisibles ruisseaux,
» Le vers que je médite aux bords d’une onde pure,
» Semble couler comme elle, au gré de la nature,
» Et je crois en rêvant, sous un ombrage épais,
» Unir la liberté, les muses et la paix.

» Ainsi je m’abusais, espérance insensée !
» Du flatteur avenir qu’embrassait ma pensée,
» La douce illusion disparaît à mes yeux.
» La mort va les fermer à la clarté des cieux.

» Je n’ai plus qu’un moment. Un moment !… ô mon père !
» Quels seront les destins ! ma mort te désespère ;
» Elle hâte la tienne. Un noir pressentiment
» Vient se joindre à l’horreur de ce dernier moment.
» Tu pleures sur ton fils qui pleure sur toi-même.
» Dieu puissant ! prends pitié de ce père qui m’aime.
» Grand Dieu ! sauvez mon père ; avec moins de regret
» De ma destruction je subirai l’arrêt.

» De ma destruction !… quel mot épouvantable !
» Quelle est donc cette loi terrible, inévitable,
» Qui vouant au trépas les fragiles humains,
» Sans cesse de Ténare élargit les chemins ?
» Inexorable Mort ! quand viens-tu me surprendre,
» Ne pouvant t’échapper, ne puis-je te comprendre !
» De l’univers entier ton pouvoir est vainqueur ;
» Ne puis-je à cette idée accoutumer mon cœur ?
» Qu’es-tu ? que sommes-nous ? l’ame peut-elle encore
» Survivre à ces débris que la tombe dévore ?
» Sortons-nous du néant ? devons-nous y rentrer ?
» Dans la prison du corps las de s’y concentrer,
» L’esprit s’envole-t-il aux voûtes éternelles ?
» Croirai-je que d’un Dieu les bontés paternelles,
» Par pitié nous tirant d’un ténébreux séjour,
» À nos yeux dessillés font luire un plus beau jour ?
» Et de ce jour si pur l’heureuse mort suivie
» Est-elle le réveil du songe de la vie ?
» Je demande où je suis, d’où je viens, ou je vais :
» Mais à ces questions, qui répondra jamais ?
» Dois-je du préjugé ne voir que les fantômes ?
» Dans tout ce qu’on nous dit sur les sombres royaumes,
» Discoureur orgueilleux qui prétends m’éclairer,
» Dis-moi, que dois-je craindre ou que dois-je espérer ?
» Il ne me répond rien. Dans un morne silence,
» Il agite à mes yeux sa sceptique balance.

» Par ton art ambigu, mes doutes excités,
» Assiégent ma raison de leurs perplexités.
» Que dis-je ? ma raison ! sur les choses futures
» Ai-je le temps d’asseoir de vaines conjectures ?
» La mort, la mort me presse ; ô mort ! j’entends ta voix,
» Adieu, mon père ! adieu pour la dernière fois. »

C’était ainsi qu’un jour dans un âge encor tendre,
Au lit de mort, hélas ! ma voix se fit entendre.
Hors d’haleine, épuisé, je me tus. J’essayai
De lever ma paupière, et mon œil effrayé
Vil (ô ciel ! quel spectacle et quels objets funèbres !)
Une lampe mourante au milieu des ténèbres.
Un timide Esculape à mes côtés assis ;
Un prêtre agenouillé ; des spectateurs transis ;
L’amitié dans un coin, la douleur accablée ;
Mon frère au désespoir ; ma sœur échevelée,
Étendue à mes pieds, sans voix, sans mouvemens ;
Mon père déchirant ses tristes vêtemens,
Enfin, autour de moi, la peur, la défaillance,
La prière, les cris, les larmes, le silence.

Couvert d’un drap lugubre, un squelette hideux
Le soulève et l’étend pour nous cacher tous deux.
De ses os décharnés il nous presse, il m’embrasse,
Il m’entraîne. L’abime est ouvert sous sa trace.
De ce gouffre béant le spectacle est affreux.
J’oppose au spectre horrible un effort douloureux ;
J’ose lui résister. Mais (ô merveille étrange !)
Tout prend un autre aspect. Soudain le spectre change
Il tenait d’une main un tison renversé,
Et de l’autre une faulx dont j’étais menacé.
Des fleurs cachent la faulx, le tison se rallume ;
D’une tombe profonde il semble qu’on m’exhume.

Alors, un bon génie, au front pur, à l’œil doux,
Me regarde en pitié, me parle sans courroux.

« Tu vois la mort, dit-il. Ton ame intimidée
S’en est fait au hasard une bien fausse idée.
Tu repousses le dieu qui te tendait les bras ;
Eh bien ! pour te punir, j’y consens : tu vivras.
Tu sauras à quel prix de douleurs et de larmes,
D’une frêle jeunesse on t’a vendu les charmes.
Tu peins ton avenir de riantes couleurs ;
Tes projets devant toi ne sèment que des fleurs.
Insensé ! mais bientôt les hommes vont t’instruire.
Tu bâtis un bonheur qu’un souffle va détruire.
Tu n’as pas calculé le nombre des méchans.
À la ville, au Parnasse, au barreau, dans les champs,
Ils t’atteindront partout. Partout l’homme est en guerre.
Tu cherches le repos : il n’est pas sur la terre.
Sur la terre, d’avance, on trouve les enfers.
Tu connaîtras l’exil, le naufrage et les fers.
Tu porteras en vain jusqu’à l’idolâtrie
La première vertu, l’amour de la patrie.
De cette passion martyr infortuné,
Quel fruit espères-tu de ton zèle obstiné ?
Serviteurs du public ! un caprice rapide
Aujourd’hui vous couronne, et demain vous lapide.
Sa justice tardive à la mort vous attend :
C’est à moi de fixer son suffrage inconstant.
La mort seule ne craint aucune tyrannie :
La mort seule, à jamais, brave la calomnie,
Désarme la vengeance, apaise la douleur,
Enchaîne la justice et finit le malheur.
Le sommeil rend l’esclave égal à l’homme libre ;
La mort rend éternel cet heureux équilibre.
La chaîne qui vous lie, elle vient la briser,

Elle vient pour toujours vous faire reposer.
Pour toi, ne recueillant, parmi la race humaine,
Qu’une pitié stérile, ou l’envie ou la haine,
Puni de tes bienfaits, trahi par des ingrats,
Lassé de vivre enfin tu me rappelleras :
Je serai sourde alors. D’une main forcenée
Tu voudrais vainement trancher ta destinée.
Tu ne peux de tes jours user le noir flambeau,
Ni violer sans moi l’asile du tombeau.
Tes amis, plus heureux, sans peine y vont descendre ;
Tu demeureras seul pour pleurer sur leur cendre.
Tu te plains aujourd’hui que j’arrive à grands pas,
Tu te plaindras bien plus que je n’arrive pas,
Quand sur un lit fatal, cloué sans espérance,
Trouvant dans chaque instant des siècles de souffrance,
Ne pouvant à la fois ni vivre, ni mourir,
Tu ne verras que moi prête à te secourir.
Cependant, au-delà d’une vie inquiète,
Ta curiosité, que j’aurais satisfaite,
S’élancera sans fruit dans l’abîme des temps ;
Tu ne pourras sonder ces secrets tourmentans,
De l’immortalité problèmes redoutables,
Et de l’esprit humain écueils inévitables.
Par moi, ce grand mystère à l’homme est révélé ;
Des énigmes du ciel, c’est moi qui tient la clé.
Loin de fermer vos yeux c’est la mort qui les ouvre.
Garde donc sur les tiens le bandeau qui les couvre.
De chimère en chimère et d’erreur en erreur,
Va te désabuser de la fausse terreur :
Épuise les dégoûts attachés à ton être.
A tes dépens, mortel, apprends à me connaître.
Je l’amenais au port, tu n’y veux pas entrer.
Comme un dernier espoir tu pourras m’implorer ;
Mais je te laisserai boire jusqu’à la lie,
Le poison qui remplit la coupe de la vie. »


La Mort dit, et me quitte. À ces mots menaçans,
Un frisson invincible avait glacé mes sens.
Cet effroi douloureux n’était pas un mensonge.
Je m’éveillai tremblant, le reste n’est qu’un songe,
Mais qui, dans mon cerveau profondément gravé,
M’a déjà trop prédit ce qui m’est arrivé.
L’existence, en effet, n’est qu’un pénible rêve :
Un pouvoir inconnu le commence et l’achève,
On veut le prolonger ; mais on ne songe pas
Que la plus longue vie aboutit au trépas.
Bien loin de murmurer de cette prévoyance,
Apprenons à mourir, car c’est notre science.
L’avenir incertain nous impose une loi,
C’est d’user du présent, d’en bien régler l’emploi.
Croyons dans chaque jour voir notre jour suprême :
L’heure qu’on n’attend plus, fait un plaisir extrême.
De cette vérité le sage convaincu,
Est celui qui peut dire : « Aujourd’hui, j’ai vécu. »
Je tiens d’Anacréon la leçon que je trace ;
C’est le refrain constant d’Épicure et d’Horace.
D’Horace, on sait par cœur les passages divers ;
A Posthume surtout, qui ne connaît ces vers ?
« Mon ami ! mon ami ! nos rapides années
S’envolent, rien ne peut changer nos destinées ;
Rien ne fléchit la mort. Il faut abandonner
Ta terre et la maison que tu pris soin d’orner,
Et la jeune beauté dont tu fis ta compagne.
De ces plans cultivés qui parent ta campagne
Hors l’odieux cyprès, nul autre arbre ne suit
Son maître passager dans l’éternelle nuit.
Tout renaît au printemps, s’écrie Horace encore,
De verdure et de fleurs la terre se décore ;
Les saisons, sur leurs pas reviennent tour à tour :
Nous seuls aux sombres bords descendons sans retour,
On ne repasse point les rives de Cocyte. »


C’est ainsi qu’à jouir Horace nous excite ;
Et Salomon lui-même a dit au genre humain.
« Jouissez aujourd’hui car vous mourrez demain. »
Nous aimons ce conseil, mais au lieu de le suivre,
En craignant de mourir, nous oublions de vivre.
Du fardeau d’exister on nous entend gémir,
Et de n’exister plus la peur nous fait frémir.
Loin d’appeler la mort franchement à notre aide,
Nous ne pouvons souffrir nos maux ni leur remède.
Ainsi l’homme est toujours prompt à se démentir :
Il languit sur la terre et n’en veut pas sortir.
Heureux qui dépouillant une erreur fantastique,
De la mort, avec joie entonne le cantique !
C’est l’hymne de la paix et de la liberté,
Le chant consolateur de la nécessité :
Comme, sans son aveu, l’homme a vu la lumière.
L’homme, sans son aveu voit finir sa carrière.
La plainte est inutile : il faut se résigner.
Si personne, à coup sûr, ne peut nous enseigner
Ce qui doit de nos ans suivre le court passage,
Dans le doute prenons le parti le plus sage.
Quand le jour luit, veillons ; usons si bien du temps,
Que nous puissions le soir nous endormir contens.
Puisque l’instant fatal nous menace sans cesse,
Hâtons-nous d’embrasser l’amitié, la sagesse ;
Surtout de la vertu connaissons tout le prix :
Quiconque se tient prêt, ne peut être surpris.

Mais au lieu de leçons, s’il nous faut des modèles
Pour braver de la mort les terreurs infidèles,
Suivons de nos guerriers l’exemple généreux :
L’existence n’est rien, la gloire est tout pour eux.
O source d’héroïsme admirable et féconde !
Ceux qui bravent la mort sont les maîtres du monde.


Mais nous, nous dont la vie, aux dépens de la leur,
Coule en ces doux loisirs que nous fit leur valeur,
Pourrions-nous oublier à quels périls s’exposent
Ceux sur qui nos destins tranquillement reposent ?
Pour sauver leur pays, voyez leur zèle ardent
À forcer le Danube, à franchir l’Eridan.
Voyez-les tout-à-coup délivrant l’Ausonie,
Dans son centre étonné pressant la Germanie,
En surprenant l’Europe et l’Afrique à la fois,
Par la rapidité de leurs vastes exploits.
L’agile Renommée à peine peut les suivre.
C’est pour eux qu’il s’agit de vaincre, et non de vivre.
Thèbes n’eut autrefois qu’un Epaminondas :
La république en nombre autant que de soldats.
Chacun est un héros plein de la noble envie
D’étendre sa mémoire au-delà de sa vie,
Et son regard perçant dans la nuit du tombeau,
De l’immortalité voit luire le flambeau.

Parmi tous ces guerriers dans la fleur de leur âge,
Toi, de qui la prudence égalait le courage,
Magnanime Desaix ! que ce beau dévoûment
Jette un durable éclat sur ton fatal moment !
Tout couvert de lauriers, un seul regret te reste,
Un seul penser l’occupe : ô guerrier trop modeste !
De toi-même toi seul tu n’es point satisfait ;
Pour la postérité tu crains d’avoir peu fait.
Desaix que ta grande ombre aujourd’hui se console !
Chez nos derniers neveux ta dernière parole
Retentira sans cesse, et de ton souvenir
Sans cesse entretiendra les siècles à venir.
Le premier des héros doit se connaître en gloire ;
Et c’est lui qui l’inscrit au temple de Mémoire.
Bonaparte s’honore, en sachant t’honorer.
Ta mort le fit gémir de ne pouvoir pleurer.

La victoire, à ce prix, put lui sembler trop chère.
Ah ! lorsqu’au monde entier la paix est nécessaire,
Ceux qui n’étaient armés que pour la conquérir,
Dans ce noble dessein devait-il donc périr ?
Desaix ! la France en deuil te rend un juste hommage ;
Aux fêtes du triomphe on porte ton image ;
Ta perte rend, hélas ! ce triomphe moins doux.
D’une si belle mort qui ne serait jaloux !
J’ai, pour la célébrer, devancé le Parnasse.
Mânes de mon héros, pardonnez mon audace !
Je n’ai point d’un poète envié le succès,
J’ai payé seulement la dette d’un Français.

(Par M. François de Neufchateau).


Ce discours a été lu par l’auteur dans la séance publique de l’Institut National, du 15 messidor an 8.


FIN DU TOME SECOND ET DERNIER