Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/2

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(2ème Livraison.)

DESCRIPTION
DES TOMBEAUX.
Planches 5, 6, 7, 8.

CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 5.

TOMBEAU DE Mad. HOQUART.


Ce Tombeau se voit à droite en entrant, près du bord de la route qui conduit à l’Étoile. Il est construit d’une pierre horizontale de six pieds de long sur trois de large, porté sur quatre dés, lesquels sont de même en pierre. Il résulte de cette construction que le dessous se trouve à jour, et que le dessus est taillé en deux pentes ou revers dans sa longueur, sur lesquelles sont gravées deux torches funèbres. Une autre pierre posée sur un socle, et élevée perpendiculairement, formant Cippe, reçoit une table renfoncée en marbre noir, sur laquelle est placée une inscription en lettres d’or. Au-dessus de la traverse, est un bas-relief représentant un vase lacrymatoire enlacé d’une couronne de roseaux noués par deux rubans.
CIMETIÈRE DE MONTMARTRE.

Planche 6.

TOMBEAU DE M. NARDOT.


Ce Tombeau, situé à gauche en entrant, sur le bord du chemin, forme un Sarcophage construit en pierre de liais. L’inscription est gravée en lettres d’or, sur une table de marbre noir, renfoncée.


Particularités sur la mort et l’inhumation de madame Deschennes de Saint-Edmond, et de M. Nardot, son père.


Madame Thérèse-Henriette Nardot, épouse de M. Deschennes de Saint-Edmond, possédait au dernier degré toutes les qualités qui, parmi nous, rendent recommandables les personnes de son sexe. Elle fut tout-à-la-fois et la meilleure des filles et la plus estimable des épouses. Si sa piété filiale pouvait être citée comme un modèle, son père, M. Nardot, avait pour sa fille une tendresse à laquelle rien ne pouvait être comparé. La mort de ce vieillard respectable a prouvé quel était le degré d’attachement qu’il avait pour elle.

Madame Deschennes, par suite d’une couche, fut affligée pendant huit ans d’une maladie de langueur. Son père, pendant toute la durée de cette maladie, agité continuellement par des inquiétudes toujours renaissantes, et partageant par suite de l’extrême tendresse qu’il avait pour elle, toutes les souffrances de sa fille, répondait à chaque instant du jour à tous ceux qui lui demandaient des nouvelles de son état : « Hélas ! elle souffre continuellement ; si j’ai le malheur de
la perdre, je sens que je ne pourrai lui survivre. Si Dieux m’accordait cette faveur, mon plus grand désir serait d’être inhumé auprès d’elle ».

Un jour, en sortant de table, il demande à une personne qui venait de quitter la malade, dans quel état pour le moment elle se trouvait : on lui répondit très-inconsidérément qu’elle venait de mourir ; M. Nerdot, frappé comme d’un coup de foudre, tombe aussitôt sans connaissance ; en vain lui prodigue-t-on tous les secours pour le rappeler à la vie, il expire, après être demeuré dans cet état pendant quatre heures.

La famille, pleine de respect pour la volonté de ce vieillard si profondément sensible, a regardé comme un devoir sacré l’obligation d’accomplir le vœu qu’il avait si souvent exprimé. La même pompe funèbre servit au père et à la fille. Tous deux furent présentés au même instant à Saint-Roch, leur paroisse ; les mêmes cérémonies religieuses leur furent communes, ensuite, transportés au Cimetière de Montmartre, on les enterra provisoirement dans une même fosse, où ils demeurèrent jusqu’au moment où M. Deschennes de Saint-Edmond les fit exhumer pour les placer ensemble dans le Tombeau qu’il leur fit élever, et dont nous donnons ici la gravure. Ce tombeau est une espèce de caveau sans voussure, solidement muré des quatre faces, rempli d’un sable fin jusqu’à fleur de terre, et recouvert d’un Sarcophage d’une belle proportion.

Nota. Madame Deschennes et M. Nardot sont décédés le 28 février 1812. Madame Deschennes, âgée d’environ 30 ans ; et M. Nardot, âgé de 83 ans.


CIMETIÈRE DE VAUGIRARD.

Planche 7.

TOMBEAU DE Mad. D’HÉRICY.


Ce Tombeau forme un Sarcophage construit en pierre de liais, et adossé au mur de clôture, vis-à-vis la petite porte. Ses trois faces sont ornées de Sculptures ; à droite, sont gravées les deux lettres initiales L. H. enlacées, et au-dessous, deux tiges de roseau, en sautoir ; à gauche, sont aussi gravées et enlacées les deux lettres initiales A. F., ainsi que deux tiges de roseau en sautoir.



CIMETIÈRE SAINTE-CATHERINE.

Planche 8.

TOMBEAU DE Mad. ALLARD.


Ce Monument est situé dans l’angle du côté gauche, en entrant. La Tombe a été creusée au pied du mur de la maison même que cette dame habitait. M. Allard, son époux, a fait planter auprès un berceau de verdure, de six pieds carré, pour y méditer, lui et ses enfans. Au fond de ce berceau, l’Épitaphe de la défunte est gravée sur une table perpendiculaire de six pieds et demi de haut, sur deux de large ; elle donne en peu de mots l’idée des agrémens corporels dont elle était douée, de la bonté de son cœur et de l’amabilité de son esprit.
Suite du Discours prononcé aux Obsèques de M. Delille ; par M. Delambre, etc. (Voyez le 1er morceau, page 5.)


» Quelle reconnaissance n’était-il pas en droit d’attendre pour tant de productions précieuses ! Cette reconnaissance ne fut pas universelle ; l’esprit de parti fit entendre une voix étouffée bientôt par les applaudissemens publics : à en croire ses détracteurs, il ne revenait que pour fréquenter les palais des grands et reprendre les chaînes dorées qu’il regrettait. Il leur avait répondu d’avance en choisissant pour sa demeure le quartier le plus solitaire de Paris ; il revint depuis occuper l’asile modeste que lui pouvait offrir le Collège de France ; là, il ne vivait que pour l’amitié et la poésie. Quatre attaques successives de la maladie qui vient de l’enlever lui avaient ôté les moyens de se livrer aux fonctions de l’enseignement. Il retrouva quelques forces pour installer l’élégant et fidèle traducteur des Bucoliques, qu’il avait demandé pour suppléant.

» On n’oubliera jamais cette séance mémorable où, entouré de sa famille, aux acclamations de ses confrères, et d’une jeunesse attendrie, il exprimait, en vers si touchans et si beaux, les plus doux sentimens de son cœur et ses volontés suprêmes. Hélas ! c’était la dernière fois que sa voix devait se faire entendre sous ces voûtes. C’est par ce triomphe du talent uni à la plus douce sensibilité que s’est vu terminée la carrière la plus brillante que jamais professeur ait parcourue. J’avais reçu sa première leçon, j’ai joui de la dernière : il m’honora d’une amitié constante. Puisse cette réunion heureuse de circonstances donner quelqu’intérêt à ce faible hommage que j’appose sur la tombe de l’homme aimable et du grand poëte que nous regrettons » !

M. Arnault a succédé à M. Delambre, et s’est exprimé en ces termes :

« Messieurs,

» L’Université doit aussi un tribut d’éloges et de regrets à l’homme immortel dont nous accompagnons ici les restes. M. Delille rivalisait de droit avec nos plus anciens professeurs par la durée de ses services, et dans leur éclat n’était rivalisé par personne. Les moyens qui faisaient sa gloire dans l’Institut doublaient de valeur dans l’Université, où il fournissait à la fois des leçons et des exemples, et à laquelle il appartint presque en naissant ; dans l’Université qu’il étonna pendant plus de soixante-ans, soit comme élève, soit comme maître, et qui, par cela même qu’elle fait une perle plus grande que tout autre corps littéraire, doit trouver plus difficilement les termes propres à faire connaître toute l’étendue de sa douleur.

» Mais que me reste-t-il à dire, à moi qui me fais ici l’organe de ce corps illustre ? que me reste-t-il à dire pour peindre ce que nous éprouvons sur les bords de cette tombe qui n’engloutit pas tout ?

» Les orateurs que vous venez d’entendre n’ont-ils pas développé ce que nous pensons ? et ce que nous sentons n’est-il pas encore plus éloquemment exprimé par ces sanglots qui couvrent ma voix, par ces larmes qui se confondent aux miennes ?

M. Le Dieu, étudiant en droit, l’un des élèves de M. Delille, s’est alors présenté et a obtenu la permission de prononcer le discours suivant :

» Souffrez que la jeunesse s’approche aussi de la tombe d’un grand homme, et qu’elle y vienne épancher sa douleur. Permettez-lui d’y déposer, après vous, l’hommage de sa reconnaissance et de ses regrets. C’est sur-tout à l’âge du sentiment à louer et à pleurer le poëte du sentiment.

» Cette qualification, qui la mérita mieux que M. Delille ? Relisez ses chefs-d’œuvre et ses nombreux ouvrages ; dans chacune de leurs pages, vous retrouverez ses titres humides encore des larmes qu’ils ont arrachées à vos yeux. Là, toujours c’est son ame qui parle ; toujours c’est au cœur qu’elle s’adresse ; c’est de la vertu, c’est de la nature qu’elle l’entretient, et vers le bien qu’elle le dirige.

» Mais la sensibilité, caractère principal du poëte illustra que nous regrettons, n’était pas seulement l’artifice et le charme de ses écrits. Elle se manifestait sur-tout dans sa conduite ; dans ses affections, et il l’aimait dans les autres. Ce grand homme chérissait les jeunes gens, et il se glorifiait de leur amitié. Lui demandait-on pourquoi ? « C’est qu’à leur âge, disait-il, elle est un sentiment ». Aurait-il reconnu, et serait-il vrai, que plus tard elle n’est souvent qu’un calcul ?

» Pour nous, fiers d’une préférence si honorable, nous y avons répondu. Toujours nous avons payé du plus tendre retour l’attachement de l’interprète de Virgile et de Milton. Nous nous disposions à lui donner une nouvelle preuve d’amour ; déjà sa couronne tressée de nos mains était prête à ceindre son front ; déjà l’heure était arrivée, nous espérions… Hélas ! et il n’y avait plus d’espoir ! nous nous étions réunis pour sa fête ; et nous avons suivi sa pompe funèbre ! Homme immortel ! la fatalité qui vient d’éteindre ton génie n’a point éteint dans nos cœurs l’amour que tes talens et tes vertus y ont allumé. Du séjour de la gloire, daigne abaisser tes regards sur ces lieux : vois-nous, pressés autour de tes restes, leur présenter nos dernières offrandes, et souris au vœu que nous faisons de t’aimer toujours, d’aimer toujours la vertu et la nature.

» Ah ! si la voix de ton jeune ami peut encore émouvoir ton ame, ô Delille ! ô mon maître ! ô mon père ! (ta bienveillance me permettait, me demandait ces doux noms), entends-le déplorer une perte prématurée, ne trouver de consolation que dans l’expression de sa douleur, et, malheureux émule d’une épouse et des sœurs les plus tendres, jurer fidélité à ta mémoire, et assiduité à tes écrits et à ton monument ».




VERS

Écrits au crayon sur une des encoignures du mur
de terrasse de Mont-Louis.


Dans ces paisibles lieux, sous des berceaux de fleurs,
Le chagrin, les regrets viennent verser des pleurs ;
Ils peuvent y trouver une ombre officieuse :
Le trépas à leurs yeux cache sa faux hideuse ;
Il range ses sujets dans un vaste jardin,
Et le séjour des morts est un nouvel Éden.



Vous qui ne savez pas que le deuil a des charmes,
Qui visitez ces lieux, mais qui venez sans larmes…..
Par de bruyans éclats n’en troublez point la paix ;
Apprenez que les morts ont aussi leurs secrets.



Peut-être ici pour vous la place est préparée,
foulez avec respect cette terre sacrée.