Recherches sur les principes de la morale/Addition 1

ADDITION I.

Sur le Sentiment moral.

Si vous admettez le système que je viens d’exposer, il vous sera aisé de décider la question que j’ai proposée d’abord[1] au sujet des principes généraux de la morale, quoique nous ayions remis la décision de cette question, de peur qu’elle ne nous jetât dans des spéculations compliquées, peu convenables à des discours moraux, nous pouvons maintenant la reprendre & examiner jusqu’à quel point la raison & le sentiment entrent dans les déterminations morales.

En supposant que l’estime ou l’approbation morale est fondée principalement sur l’utilité d’une qualité ou d’une action, il est évident que la raison doit influer beaucoup sur toutes les déterminations de ce genre, puisqu’il n’y a que cette faculté qui puisse nous faire envisager le but où elles tendent, & prévoir les conséquences avantageuses qu’elles peuvent avoir, soit pour la société, soit pour les personnes à qui elles appartiennent. Dans plusieurs circonstances ce point est délicat & difficile à discuter ; il s’élève des doutes, des intérêts opposés se croisent, & l’on est obligé de recourir à des spéculations subtiles, pour savoir de quel côté l’utilité doit faire pancher la balance. Ceci est vrai, sur-tout dans les questions qui roulent sur la justice ; c’est l’effet que doit naturellement produire le genre d’utilité qui accompagne cette vertu[2]. Si tous les exemples de justice étoient, comme ceux de la bienveillance, avantageux & utiles à la société, l’état de la question seroit plus clair & ne souffriroit gueres de difficultés. Mais il arrive quelquefois que certaines actions, quoique justes, conduisent immédiatement à des conséquences dangereuses, & comme le bien public ne résulte que de l’observation de la regle générale & du concours, ou de la participation de plusieurs personnes à un même acte d’équité ; l’affaire devient ici plus embarrassante & plus compliquée. Les différentes positions de la société, les suites imprévues d’une telle conduite, la diversité des intérêts que l’on se proposera, tout cela peut varier selon les occasions, être douteux & devenir sujet à un nombre infini de recherches & de discussions. L’objet des loi municipales est de résoudre toutes les questions relatives à la justice ; les débats des jurisconsultes, les réflexions des politiques, les faits historiques & les actes publics ont le même objet pour but, & souvent il faut une grande sagacité, c’est-à-dire, beaucoup de raison & de jugement, pour saisir le point décisif au milieu des doutes compliqués que font naître des avantages moins clairement discutés ou tout-à-fait contraires.

Cependant, quoique la raison, quand elle est secondée & perfectionnée, nous suffise pour reconnoître si le but où tendent les actions & les qualités des hommes est utile ou pernicieux, ce n’est pas assez pour établir la moralité du blâme ou de l’approbation. L’utilité n’est que la tendance vers une certaine fin ; si cette fin nous étoit totalement indifférente, nous sentirions la même indifférence dans les moyens. Il faut donc ici un sentiment plus développé pour nous faire préférer l’utile à une fin pernicieuse : ce sentiment ne peut être autre chose qu’un penchant naturel pour le bien de l’humanité, & un ressentiment douloureux de ses malheurs, car ce sont-là les deux buts opposés où conduisent la vertu & le vice. Ainsi la raison montre la différence des suites que peuvent avoir les actions humaines, & l’humanité nous fait pancher en faveur de celles qui sont utiles & bienfaisantes.

Cette distinction entre les facultés de l’entendement & celles du sentiment, est aisée à expliquer d’après l’hypothese que nous avons établie ; mais supposons un moment que cette hypothese soit fausse ; dans ce cas, il en faudra chercher une autre qui satisfasse à cette difficulté, & j’ose assurer que jamais on n’en trouvera, tant que l’on regardera la raison seule comme la base de la morale : pour s’en convaincre, il fera à propos de bien approfondir les cinq considérations suivantes.

1. Il se peut qu’une fausse hypothese conserve quelque apparence de vérité, tant qu’elle se borne à des généralités, tant qu’elle se sert de termes indéfinis, & tant qu’elle donne des comparaisons au lieu de faits. C’est ce qu’on peut remarquer particuliérement dans cette espece de philosophie, qui attribue à la raison seule le droit de faire les distinctions morales, sans que le sentiment, mette rien du sien. Il est impossible de citer un exemple qui rende un tel systême intelligible, quelque étalage qu’on en puisse faire dans des discours vagues & des déclamations générales. Examinons, par exemple, le crime d’ingratitude. Il a lieu lorsque nous voyons d’un côté la meilleure intention du monde, annoncée par des offres obligeantes, confirmée par des services multipliés rendus, & de l’autre un retour de mauvaise volonté ou d’indifférence, suivie de mauvais offices, ou au moins de négligence, pesez toutes ces circonstances ; examinez, par la seule raison, en quoi consiste le démérite ou le blâme, jamais vous ne pourrez le determiner.

La raison juge du fait & de ses rapports ; cherchez donc d’abord quel est le fait que vous appeliez crime, montrez-nous le dans, toutes ses circonstances. Déterminez le tems de son existence, définissez son essence ou sa nature, sondez la faculté ou le sens auquel il se découvre. Il réside dans l’ame de l’ingrat, il faut donc qu’il le sente au-dedans de lui-même, mais il ne s’y trouve rien qu’une intention méchante ou une indifférence totale ; vous ne pouvez pas dire que ces dispositions soient toujours criminelles par elles-mêmes ; elles ne le sont que lorsqu’elles ont pour objet des personnes qui nous ont antérieurement marqué de la bienveillance ; avouons en conséquence que le crime d’ingratitude n’est point un fait individuel, mais qu’il naît d’une complication de circonstances, qui, présentées au spectateur, excitent le sentiment du blâme par la constitution ou la disposition particuliere de son ame. C’est mal représenter le crime, direz-vous. Il ne consiste point dans un fait particulier dont la raison nous assure la réalité, mais il consiste dans de certaines relations morales que la raison indique, de la même façon qu’elle nous fait découvrir des vérités en algèbre & en géométrie. Mais je demanderai qu’est-ce que les relations dont vous me parlez ? Dans l’exemple que nous avons à examiner, je vois d’abord de la bonne volonté & de bons offices dans une personne, je vois ensuite un méchant vouloir & de mauvais offices dans une autre. Entre ces deux personnes il n’y a qu’une relation de contrariété ; est-ce dans ce rapport que consiste le crime ? Mais supposons qu’une personne me voulût du mal & me desservît, tandis que moi je serois indifférent à son égard, ou que je la servirois en toute occasion, il y aura entre nous la même relation de contrariété, cependant souvent ma conduite pourra être très-louable. On a donc beau se mettre l’esprit à la torture, jamais on ne pourra établir la moralité sur des rapports ou relations ; il faut avoir recours aux décisions du sentiment. Lorsque vous me dites que deux & trois sont égaux à la moitié de dix. Je conçois parfaitement ce rapport d’égalité. Je comprends que si dix étoient partagés en deux nombres égaux, ou dont l’un auroit autant d’unités que l’autre, & si l’un de ces nombres étoit comparé deux joints à trois, il contiendroit autant d’unités que le nombre composé : mais si vous tirez de-là une comparaison que vous appliquiez aux relations morales, j’avoue que je ne pourrai plus vous entendre. Une action morale, un crime tel que l’ingratitude, est un objet compliqué ; la morale consiste-t-elle dans la relation mutuelle de ses parties ? Comment par quelle raison cela arrive-t-il ? Déterminez cette relation, développez d’avantage votre raisonnement, & vous en sentirez la fausseté.

Vous insistez & vous dites : le moral de nos actions est fondé sur leur rapport avec la regle du juste, & on les appelle bonnes ou mauvaises, suivant qu’elles sont conformes ou contraires à cette regle. Qu’est-ce que l’on entend par cette regle ? En quoi consiste-t-elle ? Comment est-elle déterminée ? C’est par la raison, direz-vous, qui découvre le rapport moral des actions. Ainsi les relations morales sont déterminées par la comparaison qu’on fait des actions avec une regle, & cette regle est déterminée par la considération des relations morales des objets. Cela ne fait-il pas un beau raisonnement ?

Fort bien, ajoutez-vous, voilà de la métaphysique ! Cela suffit sans doute, il n’en faut pas d’avantage pour donner une forte présomption de fausseté. Oui, dirai-je à mon tour, il est certain que voilà de la métaphysique, mais elle est toute de votre côté ; c’est vous qui soutenez un systême abstroit, que l’on ne peut jamais rendre intelligible, & qui ne peut être éclairci par aucun exemple. Au contraire ma théorie est simple, elle m’apprend que la moralité est déterminée par le sentiment. Je définis la vertu : toute action ou qualité de l’ame qui excite un sentiment de plaisir & et approbation dans ceux qui en sont témoins. Et le vice est le contraire. On examine ensuite un fait simple : savoir, quelles sont les actions qui produisent cet effet ; on considere toutes les circonstances dans lesquelles ces actions plaisent, & de-là on cherche recueillir quelques observations générales relatives à ces sentimens. Si c’est-là ce que vous appellez de la métaphysique, si vous y trouvez quelque chose d’abstrait, vous n’avez qu’à conclure que votre esprit n’est point propre à l’étude de la morale.

2. Lorsqu’un homme, dans quelque tems que ce soit, délibere sur sa propre conduite, & examine si, par exemple, dans une certaine occurrence il doit préférer d’assister son frere ou son bienfaiteur, il faut qu’il considere ces rapports différens, qu’il les compare avec les circonstances & la situation des personnes, pour décider quel est le devoir & l’obligation la plus forte. Pour déterminer la proportion des lignes dans un triangle quelconque, il est nécessaire d’examiner la nature de cette figure & le rapport qui se trouve entre ses différentes parties. S’il y a une ressemblance apparente dans ces deux cas, j’y trouve au fonds une différence très-grande. Un raisonneur spéculatif, qui médite sur des triangles ou sur des cercles, considere les rapports connus des parties proportionnelles de ces figures, & de là il en infere quelque rapport inconnu qui dépend des premiers ; mais dans les délibérations morales nous sommes obligés de connoître d’avance les objets & les relations qu’ils ont entre eux. Ce n’est que sur la comparaison de toutes ces choses que nous faisons un choix, & que nous fixons notre approbation. Il ne s’agit point d’assurer un nouveau fait, de découvrir un nouveau rapport ; on suppose que nous avons déjà tout sous les yeux, avant de nous mettre en état de porter aucun jugement ou de blâme ou d’approbation. Si nous ignorons encore quelque circonstance essentielle, ou si nous n’avons à ce sujet qu’une présomption légère, nous devons commencer par nous en assurer. C’est à cette recherche qu’il faut appliquer les forces de notre esprit, & suspendre pour un tems tout sentiment ou toute décision morale. Tant que nous ne savons pas si un homme a été l’agresseur, comment pouvons-nous décider si celui qui l’a tué est criminel ou non ? Mais lorsque chaque circonstance & chaque rapport sont connus, l’entendement n’a plus rien à faire, & il n’a plus d’objet qui l’occupe. L’approbation ou le blâme qui suivent n’appartiennent point à l’entendement, mais au cœur ; il ne s’agit plus d’une proportion ou d’une affirmation spéculative, il s’agit d’une sensation active ou d’un sentiment. Telle est la progression de notre esprit : nous connoissons plusieurs circonstances & quelques relations. Elles nous aident à en découvrir de nouvelles que nous ne connoissons pas. C’est ainsi que l’entendement opere ; au-lieu que dans les décisions morales, il faut que les circonstances & les rapports soient connus d’avance. L’ame, en contemplant l’objet total, éprouve une nouvelle impression d’affection ou de dégoût, d’estime ou de mépris, d’approbation ou de blâme.

De-là vient la grande différence qui se trouve entre une erreur de fait ou une erreur de droit ; & voilà pourquoi l’une est coupable & l’autre ne l’est point. Lorsque Œdipe tua Laïus, il ignoroit le rapport qui étoit entre eux deux, & d’après des circonstances innocentes & involontaires, il se forma des opinions erronées sur l’action qu’il avoit commise ; mais lorsque Néron fit mourir Agrippine, il connoissoit déjà & long-tems avant toutes les relations qui étoient entre elle & lui, avec toutes les circonstances de cette action féroce ; mais les motifs de vengeance, de crainte, d’intérêt, l’emporterent dans son cœur barbare sur les sentimens du devoir & de l’humanité ; si nous marquons pour ce monstre une horreur qu’il ne ressentit pas lui-même, parce qu’il sut bientôt l’étouffer ; ce n’est pas que nous appercevions aucun rapport qu’il ignorât, c’est que la bonté de notre cœur nous fait éprouver des sentimens contre lesquels il étoit endurci par la flatterie par l’habitude du crime. C’est donc dans ces sentimens, & non dans la découverte d’aucun rapport, que consistent toutes les déterminations morales. Avant que de rien décider en ce genre, il faut que nous ayions une notion sûre & distincte de l’objet, ou de l’action & de ses dépendances ; alors il ne reste plus rien à faire de notre côté, que d’éprouver un sentiment de blâme ou d’approbation, d’après lequel nous décidons si une action est criminelle ou vertueuse.

3. Cette doctrine deviendra encore plus évidente, si nous comparons la beauté morale avec la beauté naturelle, qui lui ressemble si bien à tant d’égards. C’est de la proportion, de rapport, & de l’arrangement des parties que dépend toute beauté physique ; mais il seroit absurde de vouloir pour cela que la perception de la beauté, telle que celle de sa vérité dans les problèmes de géométrie, consistât entiérement dans la perception des rapports, & sur l’ouvrage de l’entendement seul, ou des facultés intellectuelles. Dans toutes les sciences notre esprit, d’après les rapports connus, cherche ceux qu’il ignore, mais dans toutes les décisions du goût, ou à l’égard de la beauté extérieure, nous avons déjà tous les rapports sous nos yeux, & de-là nous passons à un sentiment de complaisance ou de dégoût, faisant la nature de l’objet & la disposition de nos organes. Euclide a parfaitement expliqué toutes les propriétés du cercle, mais dans aucune de ses propositions il n’a parlé de sa beauté ; la raison en est simple ; la beauté n’est point une qualité du cercle, elle ne réside point dans aucune portion d’une ligne dont tous les points sont également distans d’un centre commun ; c’est uniquement l’impression que fait une telle figure sur notre esprit, dont la conformation particuliere le rend susceptible de ces sentimens ; c’est en vain que vous l’iriez chercher à l’aide des sens ou des raisonnemens mathématiques dans le cercle ou dans ses propriétés.

Ecoutez Palladio & Perrault vous expliquer toutes les parties & les proportions de la colonne, ils vous parleront de la corniche, de la frise, de la base, de l’entablement, de l’architrave, &c. Ils vous dessineront chaque partie, ils vous indiqueront la place que chacune d’elles doit occuper ; mais si vous leur demandiez en quoi consiste leur beauté, ils vous répondroient, sur le champ, que la beauté n’est point dans aucune des parties de la colonne, mais qu’elle résulte du tout, lorsque l’ensemble est présenté à un homme intelligent & susceptible de sensations délicates. Jusqu’à ce qu’il vienne un spectateur de cette espece, il n’y aura qu’une figure qui aura certaines dimensions, ou des proportions qui lui sont propres ; l’élégante beauté de ces choses naîtra du sentiment de plaisir que l’homme de goût éprouvera en les voyant.

Ecoutez encore Cicéron, lorsqu’il peint les crimes de Verrès ou de Catilina ; vous serez obligé de convenir-que la turpitude morale résulte pareillement de la contemplation d’un tout, pourvu qu’il soit apperçu par des organes qui aient la finesse & la sensibilité requise. L’orateur vous peint d’un côté, la fureur, l’insolence & la barbarie, de l’autre, vous voyez la douceur & la souffrance, la douleur & l’innocence ; mais si vous ne sentez ni indignation ni pitié à la vue de ces tableaux frappans, où toutes Les circonstances sont si vivement exprimées ; ce seroit en vain que vous lui demanderiez en quoi consistent les crimes & les scélératesses contre qui son éloquence déclame avec tant de véhémence, en quel tems & à quel sujet le crime a commencé d’exister, ce qu’il est devenu peu de tems après, lorsque toutes les dispositions & les pensées des auteurs ont été ou changées ou anéanties ; il ne vous donnera point de réponse satisfaisante sur toutes ces questions abstraites de morale, & nous serons obligés à la fin d’avouer que le crime moral n’est point un fait ni un rapport qui puisse être l’objet de l’entendement mais qu’il vient d’un sentiment d’horreur, que la constitution interne de la nature humaine, nous force d’éprouver à la vue de la perfidie ou de la cruauté.

4. Les êtres inanimés peuvent avoir les uns avec les autres les mêmes relations que nous voyons dans les agens moraux, cependant les premiers ne peuvent être des objets d’amour ou de haine, ni par conséquent être capables de mérite ou de démérite. Un jeune rejeton qui fait périr l’arbre dont il est sorti est dans le même cas de Néron quand il fit mourir Agrippine, & si la morale consistoit dans des rapports abstraits, ce rejeton seroit tout aussi criminel que lui 5. Il paroît évident que la fin ultérieure des actions humaines ne peut jamais être expliquée par la raison. Elles se reglent entiérement sur les sentimens & les affections de l’humanité, sans dépendre en aucune façon des facultés intellectuelles. Demandez à un homme pourquoi il fait de l’exercice ; c’est, dira-t-il, pour sa santé, si vous lui demandez pourquoi il desire la santé ; il vous répondra sur le champ que c’est parce que la maladie est un état douloureux : si vous poussez plus loin vos questions, & que vous lui demandiez pourquoi il hait la douleur, il est impossible qu’il vous réponde c’est-là la raison définitive, & jamais on ne rapporte rien à un autre objet.

Peut-être que sur votre seconde question, pourquoi il desire la santé, il pourra vous répondre qu’elle est nécessaire pour sa profession ; si vous demandez pourquoi il est inquiet sur ce sujet, il vous dira que c’est parce qu’il veut gagner de l’argent ; demandez-lui pourquoi ; parce que l’argent est le grand mobile de tous les plaisirs, vous dirat-il. Ce seroit une absurdité que faire des questions au-delà ; il est impossible qu’il y ait une progression jusqu’à l’infini, qu’une chose soit toujours la raison qui en fait désirer une autre. Il faut qu’il y ait des choses desirables pour l’amour d’elles-mêmes, & par la conformité immédiate qu’elles ont avec les sentimens & les affections des hommes.

Comme la vertu est une derniere fin, & comme elle est desirable pour l’amour d’elle-même, sans vue même de récompense, & uniquement pour la satisfaction immédiate qu’elle donne, il faut qu’il y ait en nous quelque sentiment qu’elle excite, il faut qu’il y ait un sens, un tact ou un goût intérieur, quelque nom qu’on lui donne, qui distingue le bien & le mal moral, & qui embrasse l’un & rejette l’autre.

Ainsi l’on voit qu’il est aisé de marquer les bornes & les fonctions de la raison & du goût. La raison nous donne la connoissance du vrai & du faux ; le goût nous donne le sentiment de ce qui est beau & de ce qui est difforme, de la vertu & de vice. L’une nous montre les objets tels qu’ils sont, cela indépendamment de la volonté de l’être suprême ; l’autre, ayant pour base la conformation interne, & l’organisation des animaux, on ne peut lui assigner d’autre principe que cette volonté suprême, qui a donné à chaque être la nature qui lui est propre, & qui a fixé les différentes classes & les différens ordres des êtres.

  1. Sect. I.
  2. Voyez l’addition II.