Recherches sur les effets de la saignée/Chapitre III

CHAPITRE III.

Examen de la méthode suivie dans les chapitres précédens, pour arriver à la détermination des effets thérapeutiques de la saignée et du tartre stibié.


Ce qu’il nous importe surtout de connaître dans l’histoire des médicamens, ce n’est par leur action immédiate sur notre économie ; mais leur action thérapeutique, à proprement parler ; ou leur influence sur la marche et l’issue de nos différentes affections. Aussi, est-ce le but que je me suis surtout efforcé d’atteindre, dans les deux chapitres précédens, à l’égard des émissions sanguines et de l’émétique. J’ai suivi, pour y arriver, une méthode qui me semble à-la-fois naturelle et rigoureuse. Que fallait-il faire, en effet, pour savoir si la saignée a une influence favorable sur la marche de la pneumonie, et connaître le degré de cette influence ? Évidemment, rechercher, si, toutes choses égales d’ailleurs, les malades saignés le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième jour de l’affection, guérissent plus promptement et en plus grand nombre, que ceux qui ont été saignés plus tard. Il fallait encore procéder de la même manière pour apprécier l’influence de l’âge, ou, plus généralement, d’une circonstance quelconque, sur les effets appréciables de la saignée : c’est-à-dire rechercher si les sujets placés dans cette circonstance, guérissaient plus tôt, sous l’influence de la saignée, toutes choses égales d’ailleurs, que ceux qui se trouvent dans des circonstances différentes. Et quant au mécanisme de cette recherche, si je puis me servir de cette expression, il était pour ainsi dire obligé ; je devais grouper les sujets qui se trouvaient dans des circonstances semblables, puis ceux qui se trouvaient dans des circonstances un peu différentes ; prendre la moyenne de la durée de l’affection chez les uns et chez les autres ; comparer et conclure.

Cependant, cette méthode, dont la simple exposition devrait suffire pour en démontrer la nécessité ; cette méthode a été critiquée par plus d’un médecin. Voyons si les attaques dirigées contre elle ont quelque fondement, et s’il est possible d’arriver à des résultats rigoureux, à une démonstration quelconque en thérapeutique, sans son secours.

La première et, en apparence, la plus grave des objections faites à la méthode dont il s’agit, c’est qu’il est difficile de réunir un nombre suffisant de cas d’une même maladie, dont on puisse dire qu’ils sont identiques ; surtout si l’on prend garde qu’il n’existe peut-être pas deux cas d’une affection quelconque, absolument semblables.

Sans doute, si, pour que deux cas d’une même maladie aient la ressemblance qui est nécessaire pour les grouper, ils doivent être relatifs à des individus d’un âge parfaitement égal, de force, de stature et d’embonpoint mathématiquement semblables, etc., etc. ; si l’affection doit être très exactement à la même époque de sa durée, ou d’une étendue identique (à supposer qu’on puisse la mesurer) ; si le mouvement fébrile qui l’accompagne doit être le même, au point que les pulsations artérielles ne soient pas plus nombreuses, même de deux ou de trois, chez un sujet que chez l’autre ; si telles sont les conditions de la ressemblance dont il s’agit ; il sera à jamais impossible de les trouver réunies ; pas plus qu’on ne trouve, sur un même arbre, deux feuilles de forme, de couleur et d’épaisseur exactement semblables. Et, comme la nécessité de réunir des faits semblables, pour les grouper et en conclure rigoureusement, n’est pas douteuse, il s’ensuivrait qu’il n’y aurait, en médecine, que des individualités ; qu’il y serait à jamais impossible de s’élever à un fait général quelconque, même en pathologie ; qu’il n’y aurait pas moyen, non plus, de décrire une feuille d’arbre d’une manière générale. L’expérience, heureusement, nous permet d’apprécier la valeur de ces conséquences, et aussi celle de l’assertion d’où elles découlent. Une feuille d’arbre étant bien décrite, on peut toujours la reconnaître ; et les faits généraux de la pathologie une fois bien constatés, on les vérifie tous les jours, dans des circonstances, semblables à celles dans lesquelles se trouvaient les malades de l’histoire desquels on les a conclus. De manière qu’en réalité on peut réunir des faits assez semblables entre eux, pour en tirer des lois que l’expérience vérifie journellement.

Raisonnant à priori, comme l’ont fait les médecins qui se sont déclarés contre la méthode dont il s’agit, et qu’on désigne sous le nom de méthode numérique ; on pourrait, on devrait conclure de la diversité des tempéramens, de celle de la taille, de l’intelligence et de beaucoup d’autres circonstances, facilement appréciables chez l’homme ; on devrait conclure des différences non moins considérables relativement aux viscères profondément placés, et à leur action ; et soutenir, relativement à l’estomac, par exemple, qu’il faut autant d’espèces d’alimens qu’il y a d’individus. Et néanmoins, l’expérience montre que, malgré d’assez grandes différences qu’on ne saurait nier, entre les personnes qui se ressemblent le plus ; neuf cent quatre-vingt-dix-neuf sur mille de celles qui diffèrent par l’âge, le sexe, le tempérament, etc., etc., etc., se nourrissent des mêmes alimens, accommodés de la même manière.

L’expérience montre aussi, et c’est à l’expérience qu’il faut en appeler de tous les raisonnemens, qu’un même médicament administré dans une même maladie, à des individus qui offrent de grandes différences d’âge, de force, de tempérament, etc., etc., peut avoir un succès presque constant. Ainsi, les drastiques dans la colique des peintres ; le quinquina dans les fièvres intermittentes, etc., etc. D’où il suit, d’une part ; que les faits, pour être groupés, n’ont pas besoin d’une ressemblance parfaite ou imaginaire ; et de l’autre, que, quand l’action d’un agent thérapeutique est très efficace, elle s’exerce, malgré de nombreuses différences entre ceux qui y sont soumis ; différences qui semblent momentanément effacées par la maladie elle-même.

On dira peut-être, relativement au quinquina, que le raisonnement n’est pas péremptoire, ce médicament ayant été administré, d’après la supposition faite, dans des maladies intermittentes. Mais qu’importe, relativement au sujet qui nous occupe, les malades auxquels il a été donné offrant de nombreuses différences, sous le rapport de l’âge, du sexe, du tempérament, de la force, de l’ancienneté de la maladie, etc., etc. ?

S’il n’est pas indispensable de tenir compte de beaucoup de circonstances, pour apprécier, d’une manière générale, l’effet des agens thérapeutiques employés dans le traitement de la colique de plomb et dans celui des fièvres intermittentes ; on peut encore s’en abstenir dans le traitement de beaucoup d’autres maladies. Que, par exemple, dans une épidémie quelconque, cinq cents malades, pris indistinctement parmi ceux qui ont été atteints de la maladie régnante, aient été soumis à une espèce de traitement ; que cinq cents autres, pris de la même manière, aient suivi un traitement différent : ne devra-t-on pas conclure, s’il est mort un plus grand nombre de malades parmi les premiers que parmi les seconds, que le traitement des premiers était inférieur à celui des autres ? On le devra nécessairement ; parce que sur un groupe de sujets aussi considérable, des circonstances semblables se seront nécessairement rencontrées ; et tout étant égal de part et d’autre, à part le traitement, la conclusion sera rigoureuse. C’est de cette manière qu’on a procédé dans l’appréciation générale du traitement du choléra asiatique ; et personne, excepté peut-être le principal intéressé, n’a trouvé la méthode mauvaise. Je voudrais bien savoir, en effet, comment on s’y serait pris pour savoir à quoi s’en tenir sur ce point, sans compter.

Remarquons d’ailleurs que l’objection faite à la méthode numérique, c’est-à-dire la difficulté ou l’impossibilité de faire des groupes de faits semblables, est la même pour toutes les méthodes qu’on voudrait lui substituer : que c’est précisément à cause de l’impossibilité d’apprécier chaque cas avec une exactitude en quelque sorte mathématique, qu’il faut nécessairement compter ; puisque les erreurs, des erreurs inévitables, étant les mêmes pour deux groupes de malades traités par des procédés différens, ces erreurs se compensent, et peuvent être négligées, sans altérer sensiblement l’exactitude des résultats.

Une des causes qui s’opposent à ce que les faits rapprochés soient exactement semblables, c’est, dit-on, la difficulté de fixer le début des maladies, et l’impossibilité de conclure le degré ou la période de l’affection, par sa durée. Je pourrais, pour toute réponse à cette objection, renvoyer à la remarque qui précède ; mais il convient peut-être mieux d’y répondre directement, en peu de mots. Sans doute, il est difficile de fixer le début des maladies, et personne, peut-être, n’a autant insisté que moi sur ce point. Cependant, cette fixation n’est pas impossible, soit pour les maladies aiguës, soit pour les maladies chroniques ; à part quelques sujets peu intelligens, dont la mémoire est débile, et dont l’histoire doit être considérée comme nulle, sous beaucoup de rapports. Et quant à l’impossibilité de juger le degré d’une maladie par sa durée, cela est parfaitement vrai ; mais qui a dit que ces deux choses fussent les mêmes, et toujours proportionnées l’une à l’autre ? N’a-t-on pas, pour mesurer le degré d’une maladie, la violence du mouvement fébrile, la douleur, la dépression des forces ? certains symptômes propres à chaque affection ? dans la pneumonie, par exemple, la dyspnée, les résultats de l’auscultation et de la percussion, etc., etc. ?

J’ajouterai qu’il est encore plus difficile de fixer exactement la fin d’une maladie que son début ; qu’il faut cependant bien le faire, quelque méthode qu’on emploie pour arriver à l’appréciation des moyens thérapeutiques ; alors même qu’on rejetterait toute méthode, et qu’on se bornerait à l’interprétation vague et incertaine, car elle ne peut être rigoureuse, des faits isolés.

Au sujet des émissions sanguines en particulier, on a encore dit que l’usage de la saignée, non plus que celui des autres agens thérapeutiques, ne peut se prendre dans un sens absolu. Qu’il ait lieu au début, au milieu, ou à la fin d’une pneumonie, par exemple ; que la maladie soit légère ou intense, la perte de sang copieuse ou médiocre ; vous ne pouvez rien conclure, ajoute-t-on, de ses effets avantageux ou nuisibles ; à moins d’avoir bien précisé les motifs qui vous y ont fait recourir, et d’avoir nettement distingué les signes de son application.

Si, par motifs, on entend qu’un agent thérapeutique quelconque ne peut être mis en usage, avec quelque espoir de succès, que quand on a reconnu que le malade auquel on veut l’appliquer, est dans une situation analogue à celle où se trouvaient des individus qui ont employé cet agent avec avantage ; je comprends et je partage cette manière de voir, qui n’est autre chose que l’expérience appliquée à la thérapeutique. Mais si l’on entend par motifs, comme par indications, des considérations à priori ; cette manière de voir est tout-à-fait hypothétique, rentre dans la médecine rationnelle, médecine d’essai, à laquelle on ne peut recourir que faute de mieux, quand l’expérience n’a pas encore parlé : et je la repousse de toutes mes forces.

Les bases sur lesquelles je crois possible d’établir la valeur des agens thérapeutiques, ont paru si ruineuses, qu’on s’est étonné de l’excès de confiance qu’elles m’ont inspiré ; et on a pensé que j’aurais évité l’erreur, si j’avais cherché, avant tout, à démêler l’esprit de la science des nombres. Qu’est-ce que le calcul, s’est-on dit ? Un instrument qui efface toutes les différences entre les objets auxquels on l’applique, pour les transformer en quantités abstraites et absolues[1] ?

Je répondrai à cela que le calcul employé comme je le fais, n’efface pas les différences ; qu’il les suppose ; qu’il se borne à réunir des unités semblables, pour les comparer ensuite à des unités pareilles, soumises à des influences un peu différentes ; qu’après tout, si, comme il a été dit plus haut, il arrive nécessairement qu’on réunisse quelquefois des faits dont la ressemblance n’est pas exacte ; l’erreur se retrouvant dans tous les groupes de faits, tout est égal de part et d’autre ; et la comparaison peut avoir lieu, entre plusieurs groupes, sans que la vérité des résultats en soit altérée.

En définitive, c’est par les résultats qu’on peut apprécier la valeur des méthodes : on s’occupe depuis des siècles de la thérapeutique, et la thérapeutique est dans l’enfance. Il y a donc à faire autre chose que ce qu’on a fait jusqu’ici : et comme les hommes habiles n’ont jamais manqué à la science ; c’est à la méthode, ou plutôt au manque de toute méthode, qu’il faut s’en prendre de l’état actuel de la thérapeutique. Qu’on veuille bien mettre à l’observation le soin et le temps qu’elle réclame ; qu’ensuite on analyse les faits rigoureusement, pour s’en rendre compte ; et (il est impossible d’y parvenir sans les grouper, sans les compter) ; et la thérapeutique fera des pas non moins assurés que les autres parties de la science.

Mais il y a eu jusqu’ici tant de fluctuation en médecine ; l’observation a été généralement si imparfaite ; ce qu’on appelait ses résultats, si variable, si souvent démenti par les faits ; on est si peu accoutumé à voir l’expérience vérifier ce qui est dans les livres, qu’on dira peut-être que cette science que je fais si sûre avec mes chiffres, cette science abandonnera le praticien au lit du malade. Sans doute la science abandonnera le médecin, s’il en fait une mauvaise application ; ais comment pourrait-elle l’abandonner, s’il l’emploie avec discernement ; la science, j’entends la vraie science, n’étant que le résumé des faits particuliers. Et en preuve de la vérité de ces propositions, je rappellerai au lecteur que les résultats auxquels j’étais arrivé, au moyen de la méthode numérique, il y a six ans, relativement à l’effet des émissions sanguines dans les maladies aigués ; ces résultats ont été confirmés depuis, par l’analyse de faits nouveaux recueillis à l’hôpital de la Pitié. J’ajouterai qu’un jeune médecin laborieux, M. Bachelier, a publié en 1832, dans sa Dissertation inaugurale, des faits qui confirment tout ce que j’ai dit et observé au sujet des émissions sanguines : et ces coïncidences ne pouvant être attribuées au hasard, elles déposent, en définitive, en faveur de la méthode au moyen de laquelle on y a été conduit.

Les objections faites à la méthode numérique appliquée à la thérapeutique, sont donc sans fondement ; la thérapeutique ne peut marcher sans elle. Et dire que cette méthode n’est pas nécessaire pour avancer sûrement dans son étude ; c’est nier la nécessité de grouper les faits d’après leur ressemblance, puis de les nombrer, pour se rendre compte de l’action des agens thérapeutiques : car en définitive compter n’a pas d’autre but ; c’est aussi montrer une bien grande préoccupation, et oublier ce qu’on fait tous les jours. En effet, quand des médecins sont appelés près d’un malade pour lui donner des soins, et qu’après être tombés d’accord sur le caractère et l’espèce de l’affection, ils en viennent au traitement ; si l’un d’eux ne partage pas l’avis de ses confrères sur l’utilité des moyens proposés ; que fait-il pour faire prévaloir son sentiment ? Il ne s’appuie pas (je parle des praticiens expérimentés) sur des raisons théoriques, sur des considérations à priori, qui ne persuaderaient personne ; il motive sa préférence pour les moyens qu’il indique, sur ce qu’il les a vus plus souvent suivis de succès que l’emploi des moyens proposés. C’est-à-dire qu’il argumente comme s’il avait compté, sans l’avoir fait, j’en conviens : et cette argumentation est l’aveu tacite, ou la preuve, qu’on ne peut constater l’action d’un agent thérapeutique, qu’en recherchant si, dans des circonstances déterminées et en apparence semblables, il n’est pas plus souvent donné avec succès que tout autre.

On dira peut-être que si la méthode dont il s’agit peut montrer que telle ou telle thérapeutique est généralement meilleure qu’une autre, elle ne dit pas comment tel individu atteint de pneumonie, par exemple, et traité de la même manière que son voisin, qui paraît dans des circonstances analogues ; comment cet individu guérit beaucoup plus lentement que le dernier. Je réponds à cela que l’avantage reconnu à la méthode numérique est déjà fort grand, et ne saurait être obtenu par un autre moyen, que quand des malades qu’on croyait dans des circonstances semblables, guérissent après des espaces de temps très inégaux, quoique traités de la même manière ; cela provient nécessairement de ce que la ressemblance qu’on avait cru remarquer, n’était pas exacte ; que c’est une nouvelle raison d’étudier les malades avec un grand soin, afin de pouvoir constater nettement les ressemblances et les dissemblances qu’ils présentent. Mais pour savoir si ces dissemblances ont la valeur qu’on serait tenté de leur attribuer, si elles ont réellement une influence marquée sur l’action des médicamens, si elles expliquent la différence observée dans la durée de la maladie ; évidemment il faut mettre d’un côté tous les cas où les dissemblances, non aperçues d’abord, existent ; de l’autre, ceux où elles n’existent pas ; compter les uns et les autres : et si la durée de la maladie de chaque sujet d’un même groupe offre des différences moindres que celles dont il a été question, additionner ces durées, en prendre la moyenne, puis la comparer à celle des groupes opposés. C’est-à-dire qu’il faut encore compter. Jusque-là évidemment, ou avant que les faits semblables soient réunis, comptés, etc. ; il y a à peine quelques probabilités en faveur de telle ou telle opinion.

Oui, je ne crains pas de le dire, et le lecteur attentif partagera ma conviction : entre celui qui compte les faits, groupés d’après leur ressemblance, pour savoir à quoi s’en tenir sur la valeur des agens thérapeutiques, et celui qui ne compte pas ; tout en disant, plus ou moins, rare ou fréquent ; il y a la différence de la vérité à l’erreur ; d’une chose claire et vraiment scientifique, à une chose vague et sans valeur : car quelle place donner dans la science à ce qui est vague ?

Personne ne nie la nécessité d’un nombre de faits considérable, pour s’élever à la connaissance du meilleur traitement d’une maladie quelconque ; mais à quoi bon si l’on ne compte ?

On va plus loin : on s’élève contre la méthode numérique, parce que le nombre de faits sur lesquels elle opère est toujours borné, et que pour avoir toute la valeur qu’on lui suppose, il faudrait, dit-on, qu’elle agit sur une masse d’observations beaucoup plus considérable que celle qu’un même observateur peut recueillir. Mais cette objection est un des argumens les plus forts en faveur de la nécessité de la méthode numérique ; puisque chaque observateur venant à compter, des nombres bornés ajoutés à des nombres bornés, finiront par donner des nombres si considérables, que la loi ou même le chiffre de la loi qui sera l’expression de ces faits ainsi accumulés, sera nécessairement d’une exactitude rigoureuse.

On parle sans cesse de l’expérience des siècles en médecine ; mais comment cette expérience peut-elle être une réalité, si ceux qui écrivent, au lieu de lire, j’ai souvent vu, j’ai rarement vu ; n’ont pas dit, j’ai vu tant et tant de fois ? Alors, en effet, l’expérience d’un homme pourrait s’ajouter à celle d’un autre homme. Mais le moyen d’ajouter l’expérience de celui qui a dit plus, moins, rarement ou fréquemment ; à l’expérience de celui qui s’est aussi borné à dire, plus ou moins rarement ou fréquemment ? Imaginez des milliers d’auteurs ayant suivi cette dernière marche, c’est comme si vous n’en aviez qu’un ; et, sous beaucoup de rapports, comme si vous n’en aviez pas du tout. Si donc il y a moyen de recueillir l’expérience des siècles en thérapeutique, ce ne peut être qu’en employant la méthode numérique.

Bientôt sans doute cette proposition sera monnaie courante ; et alors il ne sera plus question du tact médical, de cette espèce de faculté divinatoire des médecins. Un ouvrage quelconque ne sera plus le développement unique d’une idée, ou un roman ; mais l’analyse d’une série de faits plus ou moins nombreux, exacts, détaillés ; afin qu’ils puissent répondre au plus grand nombre possible de questions : et la thérapeutique pourra être une science ; mais alors seulement.

Terminons ce qui concerne l’examen de la méthode, en jetant un coup-d’œil rapide sur les ouvrages de quelques-uns des auteurs qui se sont occupés de la saignée spécialement. Un petit nombre de citations suffira pour montrer la marche qu’ils ont suivie ; pour savoir si quelques-uns des points nombreux qu’ils ont traités, ont été mis par eux hors de doute ; et si la méthode que j’ai exposée n’était pas le seul moyen de résoudre les problèmes qu’ils ont agités. Les ouvrages sur lesquels je vais appeler un instant l’attention du lecteur, sont ceux de Quesnay, de Fauchier, de Fréteau, de Vieusseux, et de M. Polinière.

Quesnay[2] commence par faire remarquer que l’expérience a fait apercevoir, en gros, l’utilité de la saignée dans plusieurs maladies : mais que l’expérience est si équivoque sur les succès de ce remède, que les praticiens pensent différemment dans les différens cas ; que tous néanmoins réclament l’expérience, pour appuyer leurs différentes opinions et les différentes théories qu’ils se sont formées afin d’expliquer les effets de la saignée, etc., etc. (pag. 2).

Ces remarques qui étaient vraies du temps de Quesnay, le sont malheureusement encore aujourd’hui. Mais au lieu de chercher comment l’expérience est fautive, si l’on ne décorerait pas du mot expérience quelque chose qui n’y ressemblerait nullement, ou qui n’en serait que l’ombre ; l’auteur conclut tout simplement de ses remarques, que l’expérience qui nous conduit dans les routes ténébreuses de la pratique, est un guide infidèle (pag. 3 et 4) ; que si l’on n’a pu établir une doctrine sûre et précise, relativement à l’usage de la saignée, c’est qu’on n’a eu, sur ses effets généraux et primitifs, que des idées très vagues et très obscures (pag. 5).

Conséquemment à cette manière de voir, il cherche à démontrer par une multitude de raisonnemens, qui n’ont pour base que quelques faits observés dans l’ordre physique, que les effets primitifs de la saignée (d’où dépendent tous ceux que ce remède produit dans les maladies) se réduisent à trois : l’évacuation, la spoliation et la dimotion : d’où de nombreuses indications encore moins sûres que l’expérience aveugle des praticiens, dont Quesnay parle avec tant de mépris. Car de démonstrations directes, pas l’ombre ; on dirait même qu’il se croirait déshonoré de l’essayer. Et l’on ne s’étonne pas qu’après avoir nié la révulsion et la dérivation, en vertu des effets généraux de la saignée, sans daigner recourir aux faits ; on ne s’étonne pas de cette espèce de fatuité, avec laquelle il s’écrie : « La découverte de la circulation du sang a fait disparaître ces chimères qui en imposaient aux grands maîtres. Un examen plus rigoureux des lois de cette circulation, dissipera enfin le reste des préjugés que l’on a encore aujourd’hui, sur la saignée dérivative et révulsive » (pag. 323).

Il ne s’agit pas ici de savoir si les effets révulsifs ou dérivatifs, attribués à la saignée, sont réels ou imaginaires ; mais on conviendra, qu’invoquer les lois de la circulation pour décider ce point de fait, c’est, tout juste, faire l’inverse de ce qu’il convient de faire dans les sciences, où la théorie, les faits généraux si l’on veut, ne peuvent être que la conséquence des faits particuliers. Malheureusement Quesnay n’a pas d’autre manière de procéder, et l’expérience incomplète des praticiens n’est pas au-dessous de ses paroles, assurément.

D’ailleurs les doctrines de la révulsion et de la dérivation n’ont été omises par aucun des auteurs dont il a été fait mention : tous les ont abordées ; Polinière et Fauchier pour les nier ; Fréteau et Vieusseux pour les admettre.

Dans ce conflit d’opinions opposées, que faire pour savoir à quoi s’en tenir sur le point en litige ? N’imiter en rien la manière des auteurs que je viens de nommer ; ne pas nier la doctrine de la dérivation et de la révulsion à priori, comme l’ont fait Quesnay et Fauchier ; ne pas suivre l’exemple de leurs antagonistes, en citant quelques observations à l’appui de ces doctrines ; puisqu’on pourrait en citer de favorables à une manière de voir opposée. Mais rassembler le plus grand nombre de faits possible, non choisis, admis indistinctement, pourvu qu’ils soient exacts ; relatifs à des individus atteints de la même affection ; dont les uns auraient été saignés le plus près possible du siège du mal ; les autres, dans le point le plus éloigné : analyser tous ces faits ; tenir compte de l’âge, du sexe, de la force des individus ; puis voir si, sur un nombre déterminé de malades saignés près du siège du mal, l’affection a marché plus rapidement vers la guérison, ou a eu plus souvent une terminaison funeste, que chez un autre groupe de sujets saignés le plus loin possible du siège de la maladie. Et alors, évidemment, l’analyse une fois terminée, la question sera décidée, si les faits sont assez nombreux. Comment, en effet, résoudre le problème dont il s’agit, d’une manière nette, en suivant une autre marche ?

Fauchier[3], dont l’ouvrage sur les indications de la saignée fut couronné par la Société de médecine de Tubingen, en 1807 ; Fauchier, après avoir indiqué les principaux points qu’il se propose de traiter, remarque qu’ils appartiennent tous à la médecine clinique ; que tous doivent être, par cette raison, décidés par la seule expérience (pag. 12). Et quelques pages plus loin, oubliant cette profession de foi, il nie les doctrines de la dérivation et de la révulsion, parce qu’il les croit en désaccord avec les lois de la circulation (pag. 21). C’est-à-dire qu’il suit la marche de Quesnay qui, du moins, avait apprécié, à sa juste valeur, ce que les médecins de son temps appelaient l’expérience ; tandis que Fauchier, croyant cette expérience suffisante, s’est borné à en être l’écho ; en donnant, à-peu-près exclusivement, pour préceptes, les usages les plus universellement reçus de son temps : car son ouvrage n’est réellement pas autre chose. Toutefois, et qu’on ne l’oublie pas, car cela marque l’esprit du temps ; cet ouvrage fut couronné par une Société de médecine.

Du reste, comme pour prévenir toute espèce de doute sur la manière dont il entend l’expérience appliquée à la thérapeutique, Fauchier cherche, à l’exemple de Quesnay, à déterminer les effets généraux de la saignée ; et il conclut de son travail, que les cas dans lesquels on doit ordonner les émissions sanguines, sont ceux : 1o de pléthore ; 2o de trop grande fréquence et d’excès de force dans les contractions du cœur ; 3o de tension vicieuse des solides ; 4o d’excès de force ; 5o de température augmentée (pag. 70).

Ces principes posés, l’auteur en déduit sans peine, les cas dans lesquels la saignée doit être pratiquée ; prenant, comme je l’ai déjà fait remarquer, par rapport à Quesnay, les choses à rebours. Car, dans les sciences d’observation, les faits ou les principes généraux ne peuvent être que la conséquence des faits particuliers bien et dûment appréciés ; en sorte que, pour déterminer, en général, les cas dans lesquels la saignée est applicable, Fauchier aurait dû commencer par l’étudier dans chaque maladie en particulier ; non pas, à la vérité, d’une manière vague ; mais rigoureusement : travail immense, qui exigerait la vie de plusieurs hommes laborieux.

On sent de reste, qu’un homme qui met tant de confiance dans les considérations à priori, ne peut pas se montrer bien difficile pour les faits particuliers. Aussi, Fauchier, après avoir combattu généralement les opinions de quelques médecins qui rejettent la saignée, dans certains cas où il la croit nécessaire, Fauchier, pour appuyer sa manière de voir, cite les faits suivans, que je rapporte sans les abréger :

« Ainsi, parce que madame C. J., attaquée d’une pneumonie vraiment inflammatoire, avait soixante-dix ans, son médecin refuse de la saigner, et elle meurt au quatrième jour. G. J., atteint de la même maladie, n’est pas saigné, parce que le médecin n’est appelé que le cinquième jour ; et la maladie se termine par une vomique. Une dame, attaquée d’une angine inflammatoire, n’est pas saignée ou ne l’est que très peu, parce que les menstrues coulent ; et elle meurt suffoquée ! etc., etc. » (pag. 169). Quels faits ! quelle logique ! Car on voit tous les jours périr d’une inflammation, des individus largement saignés ; et pour que les citations de Fauchier eussent quelque valeur (à supposer son diagnostic exact), il faudrait que le traitement antiphlogistique, plus ou moins énergique, fût toujours couronné de succès dans l’inflammation.

Abordant un peu plus loin les indications que présente la fièvre jaune ; « si, dit l’auteur, tous ceux qui ont vu la fièvre jaune, étaient d’accord sur sa marche, ses symptômes, ses effets ; nous pourrions alors connaître sa nature, et nous décider pour la saignée ou la rejeter, etc. » (pag. 212). C’est-à-dire que, dans tout le cours de son ouvrage, Fauchier procède à priori, comme l’ont fait d’ailleurs, jusqu’ici, les hommes les plus habiles, qui ont considéré la thérapeutique comme un simple corollaire de la pathologie. Et qu’en est-il résulté ? Qu’aujourd’hui encore, les médecins restent divisés sur des questions importantes, comme la dérivation et la révulsion ; questions qu’ils cherchent principalement à résoudre par voie d’induction, ou à priori ; et qu’ils ne sont guère d’accord que sur les points qu’ils admettent sans examen, ou comme établis par un usage immémorial, qui n’a guère en sa faveur que le temps.

Fréteau[4] ne procède pas autrement que ses devanciers ; son point de départ est le même. Comme eux, il fait découler les indications de la saignée, pour chaque maladie, de ses effets généraux qu’il croit avoir constatés. Méthode excellente, s’il s’agissait de faire des essais ; mais qui nous ramène aux premiers temps de la thérapeutique ; puisqu’elle ne peut conduire qu’à des probabilités, et non à des résultats certains.

Quoi qu’il en soit, un des premiers préceptes de l’auteur, c’est qu’il faut prendre pour guide les mouvemens de la nature. Mais la justesse de ce précepte que les médecins se sont transmis d’âge en âge, n’en est pas mieux démontrée pour cela (pag. 9). Car s’il signifie quelque chose, c’est sans doute que si des hémorrhagies, par exemple, ont lieu dans une affection quelconque, par certaines voies, il faut chercher à les faire naître par les mêmes voies, ou les suppléer artificiellement. Mais pour que l’utilité de cette pratique fût, je ne dirai pas démontrée, mais seulement probable ; il faudrait avoir montré, non par quelques faits, mais par une série de faits assez considérable, que les sujets chez lesquels ces hémorrhagies ont lieu, guérissent plus vite, ou en plus grand nombre, toutes choses égales d’ailleurs, que ceux qui n’en ont pas eu. Et où se trouve cette démonstration ? En l’admettant d’ailleurs, on n’aurait, comme je viens de le dire, que des probabilités sur l’efficacité de la saignée. Car, qui peut assurer, indépendamment de l’expérience, que l’effet résultant d’une perte de sang par la lancette ou par les sangsues, sera exactement le même que celui qui serait la suite d’une hémorrhagie spontanée ? Les auteurs qui ont donné le précepte que j’examine, n’ont-ils pas dit eux-mêmes que quelques gouttes de sang rendues par le nez, étaient souvent suivies de plus de soulagement que des saignées copieuses ?

Après avoir combattu les objections faites à la doctrine de la dérivation et de la révulsion, nous développerons, dit Fréteau, une foule de préceptes fondés sur les autorités les plus respectables ; propres d’ailleurs à concilier toutes les opinions (pag. 19).

On s’étonnera, sans doute, qu’on ait pu, au dix-neuvième siècle, invoquer l’autorité, dans une science d’observation ; sans remarquer que ce qu’on appelle l’expérience, aujourd’hui même, c’est encore l’autorité. En effet, sur quoi se fondent les auteurs les plus renommés pour la sagesse de leurs préceptes ? si ce n’est sur la pratique de leurs devanciers, dont l’excellence n’est nullement prouvée, et dont les résultats ne peuvent pas être considérés, par cette raison, comme ceux de l’expérience à proprement parler. Car l’expérience véritable, comme je l’ai dit ailleurs, et comme on peut s’en convaincre par ce qui précède, l’expérience véritable en médecine, ne peut résulter que de l’analyse exacte de faits nombreux, bien constatés, classés d’après leur ressemblance, comparés avec soin, et comptés. Et de combien de maladies le traitement a-t-il été étudié ainsi ? Qu’on ne l’oublie donc pas à l’avenir : si l’expérience, si justement flétrie par Quesnay, est un guide incertain dans la pratique ; c’est qu’elle n’a de l’expérience véritable que le nom ; qu’elle n’est, en réalité, que l’expression des usages reçus, mais non justifiés par l’observation véritable ; l’autorité en un mot.

Comme le mot expérience, mal défini, a été un argument sans réplique, pour nombre de médecins ; il en a été de même du mot succès. Ainsi, en parlant de l’époque à laquelle il faut saigner, Fréteau, s’écrie : « Baillon, Rivière, Sydenham, etc., ont imité l’exemple d’Hippocrate et ont obtenu des succès ! (pag. 26) » Mais comment ces succès, c’est-à-dire la durée et la mortalité d’une maladie moindres à la suite d’un traitement qu’à la suite d’un autre, comment ces succès ont-ils été constatés ? Trop souvent, il faut le dire, de la même manière dont Fréteau lui-même croit avoir constaté l’inconvénient des saignés excessives, par ce fait : « Casimir Medicus rapporte qu’ayant fait pratiquer une saignée vers la fin d’une fièvre aiguë, il survint un œdème aux pieds, qui ne céda à aucun remède » (pag. 10). On dirait que, pour beaucoup d’auteurs, les faits ne sont réellement qu’une chose de luxe, dont ils ne font usage que le moins possible ; et quand cela leur arrive, ces faits, qui semblent indiquer leur amour pour la vérité, se réduisent à rien, ne sont bons à rien. Car, à supposer qu’un fait bien constaté, accompagné de toutes les circonstances, de tous les détails qui lui donnent de la valeur, pût prouver quelque chose, conduire sûrement à des faits généraux ; que faire de faits semblables à celui qui vient d’être cité ; où l’on n’indique ni l’âge de la personne malade, ni l’époque de l’affection où la saignée a été pratiquée, ni sa durée, ni les moyens employés concurremment avec les émissions sanguines, ni l’état des organes au moment ou la maladie s’est développée, etc. ?

Et qu’on ne dise pas que j’exagère ; car jusque dans ces derniers temps, les observations particulières n’ont eu de prix qu’autant qu’elles étaient brèves : et de là, en grande partie, l’admiration pour les faits qui nous ont été transmis par les anciens. J’ajouterai que la seule idée de prouver, en pathologie et en thérapeutique, comme on le fait encore aujourd’hui, par des observations choisies, même suffisamment détaillées ; que cette seule idée montre que la médecine n’est pas pour les médecins, comme ils le disent, tout entière dans l’observation ; sans quoi ils chercheraient la vérité dans tous les faits dont ils pourraient disposer, pourvu qu’ils fussent exacts ; dans la crainte, s’ils en écartaient quelques-uns, d’arriver à des résultats faux : comme dans les sciences physiques, on se garde bien de supprimer une donnée quelconque du problème qu’on veut résoudre, dans la conviction où l’on est que cette suppression rendrait la solution du problème impossible ou fausse.

À raison des communications immédiates que les veines hémorrhoïdales ont avec le système veineux de l’abdomen et du bassin, l’application des sangsues faite à l’anus et aux aines, a, suivant l’auteur, des avantages marqués dans les embarras et dans l’inflammation des viscères, etc. (pag. 73). C’est, en effet, la pratique ordinaire ; et, comme s’il suffisait d’en faire l’exposition pour la justifier, Fréteau ne s’en met plus en peine.

Assurément, les considérations purement anatomique sur lesquelles s’appuie ce médecin, pouvaient et devaient suffire pour essayer l’application des sangsues au siège, dans les circonstances indiquées. Mais jusqu’à ce que l’expérience eût parlé, l’utilité de cet essai était problématique. Il fallait donc, pour nous convaincre, pour nous rendre l’utilité de la pratique dont il s’agit évidente, nous donner le résultat de l’expérience à ce sujet ; mais de l’expérience véritable, de celle dont j’ai parlé : c’est-à-dire, nous montrer par des faits exacts, rigoureusement analysés et comptés, que les maladies dont il s’agit, guérissent plus souvent et plus rapidement après l’application des sangsues au siège, qu’ailleurs. Jusque-là, évidemment, le précepte de l’auteur est une pure assertion ; et c’est parce que les préceptes de la thérapeutique que nous possédons aujourd’hui, se réduisent presque tous à des assertions, qu’il est si vrai de dire que la théorie et la pratique diffèrent si essentiellement.

C’est encore de la même manière, toujours à priori, que l’auteur indique les cas dans lesquels les sangsues sont préférables à l’ouverture de la veine (pages 94 et 96) ; de manière que, pour lui, présomption, probabilité, indication et démonstration, sont synonymes.

Il serait bien inutile, pour apprécier la manière de Fréteau, de faire désormais un grand nombre de citations ; et je finis par ce qu’il dit touchant la pleurésie. Il se demande si, dans cette affection, on saignera du pied ou du bras ; du côté de la douleur ou du côté opposé. « Les opinions, dit-il, avaient été partagées jusqu’ici, sur ce point ; mais l’expérience paraît enfin avoir parlé pour confirmer les principes établis sur la dérivation et la révulsion. Ainsi, la pleurésie confirmée exige la saignée dérivative, c’est-à-dire, celle du bras du côté douloureux. La pratique de Triller peut servir de guide sur ce point. Dans la sixième observation qu’il rapporte, il est question d’une pleurésie du côté droit très violente, qui sévissait depuis trois jours. Il fut pratiqué une saignée du bras gauche, lieu où elle n’était pas indiquée. Triller fit saigner du bras droit, et tout alla mieux » (page 235) Suivent deux observations de la même espèce.

L’auteur est tellement préoccupé de la doctrine de Triller, qu’il ne s’aperçoit pas que deux saignées peuvent être plus efficaces qu’une seule ; et il conclut en faveur de la doctrine de Triller. Mais, à supposer cette doctrine exacte, établit-on une proposition, en médecine, avec deux faits ; surtout quand ces deux faits peuvent être interprétés de deux manières différentes ? Évidemment, la question de savoir où la saignée doit être faite dans la pleurésie, ne peut être résolue que de la manière indiquée plus haut.

La marche de Vieusseux[5] est encore celle des médecins dont il a été question jusqu’ici. À leur exemple, il pose les indications de la saignée dans les cas particuliers, d’après ses effets généraux, qu’il expose préalablement.

Il commence la revue des maladies dans lesquelles la saignée lui semble indiquée, par celles de la tête ; se bornant, à leur sujet, à de simples préceptes ; redisant ce que d’autres ont dit ; comme s’il s’agissait, non d’une science, mais d’usages sans importance.

En parlant de l’épilepsie : « j’ai, dit-il, presque toujours employé les sangsues par intervalles (sans doute à l’anus), et je l’ai fait avec succès » (page 63). Mais, peut-on répondre à l’auteur : si vous avez la certitude d’avoir eu plus de succès dans le traitement de l’épilepsie au moyen des sangsues, que sans elles ; c’est sans doute que, toutes choses égales d’ailleurs, vous avez guéri un plus grand nombre d’épileptiques avec les saignées locales que sans leur secours. Alors vous avez compté les cas ; et pourquoi ne pas nous en avoir dit le nombre ? Votre livre n’en eût pas été beaucoup plus volumineux ; et au lieu d’une simple assertion, nous aurions une démonstration.

« Dans le croup, dit Vieusseux, la marche de l’affection est des plus rapides, les évacuations sanguines doivent être promptes. Il faut prévenir la maladie, parce qu’il est bien rare de la guérir quand elle est une fois décidée » (page 78). Il faut prévenir la maladie ! Il serait fort bon, sans doute, de prévenir les maladies ; mais il faudrait, avant tout, pour savoir à quoi s’en tenir sur ce point, connaître leurs signes avant-coureurs, n’avoir aucun doute à cet égard ; et qui connaît, à ce degré, les symptômes précurseurs du croup ? Les moyens préservatifs de cette maladie ne pourraient être constatés que dans une épidémie, où les sujets, soumis à l’action de certains agens, seraient, toutes choses égales d’ailleurs, atteints en moins grand nombre de la maladie régnante, que ceux qui n’auraient pas fait usage des mêmes agens ; mais dans une épidémie seulement, et par la méthode déjà indiquée tant de fois.

Au sujet du discernement qu’il est nécessaire d’apporter dans l’emploi de la saignée, chez les malades atteints de fièvre maligne : « Il faut regarder, dit Vieusseux, comme une exception, ces cas où un habile praticien se décide tout d’un coup à faire une saignée, en saisissant le moment favorable ; quoique suivant la pratique ordinaire, la saignée ne paraisse pas indiquée. Alors le médecin agit comme par inspiration ; et le génie se met au dessus des règles. »

Ainsi, voilà le tact, l’inspiration, le hasard, transformés en génie ! Car, qu’est-ce que l’inspiration ou le tact, si ce n’est le hasard ? Et que faudrait-il de plus pour montrer que Vieusseux a dû donner beaucoup au hasard, se montrer peu rigoureux dans l’appréciation des faits ; et qu’il n’imaginait même pas qu’on pût arriver à des résultats rigoureux en pathologie et en thérapeutique ! Comment croire la médecine une science, et s’exprimer, à son sujet, comme l’a fait Vieusseux ?

Notre auteur, on le conçoit sans peine, n’a pas dû se montrer très difficile pour les observations particulières ; et je n’ai que l’embarras du choix pour le prouver. Ainsi, au sujet des maladies du ventre qu’il croit souvent accompagnées de gangrène : « J’ai vu, dit-il, un exemple de cet emploi alternatif de la saignée et des sangsues chez une fille de trente ans qui, sujette aux maux de ventre, en éprouva pendant deux ou trois Jours, sans fièvre et sans qu’ils augmentassent par la pression. Tout-à-coup ils deviennent très forts avec de la fièvre et des vomissemens. Elle fut saignée onze fois, eut deux fois des sangsues à l’anus, entre les saignées, dans l’intervalle de sept à huit jours, et fut promptement rétablie ; et elle échappa à la suppuration qu’il faut éviter à tout prix » (page 165).

Vieusseux ne trouve cette observation ni courte ni incomplète ; il la donne comme probante. Et moi, je demanderai au lecteur ce que peut prouver une observation relative à une affection de l’abdomen, dans laquelle on n’a noté, ni la forme et le volume du ventre, ni l’état des selles, ni la couleur des vomissemens, ni l’expression de la face, ni l’état du pouls, etc., etc. ; ni les changemens survenues d’une saignée à l’autre, etc., etc. Et c’est le même auteur qui dit, dans son avant-propos, que les faits restent ! Sans doute les faits restent : mais la plupart pour montrer combien l’observation a été imparfaite jusqu’ici, avec quel dédain on l’a traitée ; et bien peu, il faut en convenir, pour l’instruction de celui qui les lit.

L’ouvrage de M. Polinière, qui fut couronné en 1826 par la Société royale de Marseille, est incontestablement supérieur aux précédens. On y trouve des observations particulières bien moins incomplètes, plus nombreuses de beaucoup. Et cependant, il suffit de l’examen de quelques passages de cet ouvrage, pour se convaincre que la méthode de l’auteur n’est pas beaucoup plus rigoureuse que celles de ses devanciers ; à l’exemple desquels il pose des principes généraux, pour en tirer des indications particulières, des règles de pratique.

Après avoir esquissé, dans un premier chapitre, l’histoire de la saignée, M. Poliniere en consacre un second à la saignée capillaire, dans le but de fixer le lieu d’élection des sangsues. Il cite, à ce sujet, l’opinion de Vitet, qui veut que les sangsues soient placées loin du siège du mal (page 28) ; et il s’étonne qu’un médecin qui s’étaie de l’observation et de l’expérience, tienne un pareil langage ; lorsque, précisément, c’est à l’aide de l’observation et de l’expérience clinique, que l’on est arrivé à adopter une pratique contraire (page 29).

Je ne partage pas l’étonnement de M. Polinière : et ce qui me surprendrait au dernier point, ce serait de voir deux hommes, donnant, au nom de l’expérience, des préceptes de thérapeutique à priori, arriver aux mêmes résultats ; car ce qu’ils décorent du nom d’expérience, c’est une expérience illusoire. L’un, après avoir vu quelques cas dans lesquels les sangsues appliquées près du siège du mal, ont été suivies d’un soulagement plus ou moins prompt, en a conclu en faveur de cette pratique : l’autre, après avoir été témoin d’une pratique opposée et de succès semblables, s’est déclaré pour l’application des sangsues loin du siège de l’affection. Mais les faits indiqués ne prouvent rien ; sinon que les sangsues appliquées dans des points très différens, n’empêchent pas les malades de guérir : de manière que la prétendue expérience des auteurs est nulle, et, qu’après leurs assertions et leurs dénégations, nous sommes, tout juste, aussi avancés qu’auparavant. Que fallait-il donc faire pour résoudre le problème qu’ils ont agité ? Évidemment, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois dans des circonstances analogues, réunir un grand nombre de faits exacts, relatifs à des individus atteints de la même maladie ; dont les uns auraient été traités par les sangsues appliquées dans le voisinage de la partie malade ; les autres, par le même moyen appliqué à une distance plus ou moins considérable du point souffrant. Si les premiers, toutes choses égales d’ailleurs, eussent guéri plus vite et en plus grand nombre que les seconds, le problème eût été résolu en faveur des sangsues appliquées près du siège du mal, et réciproquement. Car comment se refuser à une conclusion qui a le caractère de l’évidence ?

Arrivant à l’effet qu’on doit attendre de l’irritation causée par les piqûres des sangsues ; « il est bien des cas, dit M. Polinière, où l’on ne doit employer les sangsues que pour produire une irritation plus ou moins prolongée et une fluxion locale. Ainsi, lorsqu’on veut rappeler le flux menstruel ou hémorrhoïdal supprimé, l’expérience apprend que ce n’est pas en faisant appliquer tout-à-coup un grand nombre de sangsues à la vulve ou à l’anus que l’on y parvient ; mais en irritant, en fluctionnant pendant trois, quatre ou cinq jours de suite, par la morsure de quelques sangsues, les tissus extérieurs voisins. Alors on détermine de proche en proche. etc., etc. » (page 39).

Ici encore l’auteur appelle l’expérience en preuve de ce qu’il avance. Mais évidemment l’expérience dont il s’agit, c’est l’usage, la tradition, la croyance commune ; ce quelque chose qui n’est presque rien, que Quesnay a si énergiquement flétri, qu’on puise dans des souvenirs vagues ; et non pas l’expression rigoureuse d’une masse de faits exacts, exactement analysés : de manière que ce précepte d’un homme habile doit encore être considéré comme non avenu.

Au sujet de la dérivation et de la révulsion, M. Polinière montre, sans peine, que les auteurs de ces doctrines ont mis autant de confusion dans leur langage, que dans leurs règles de thérapeutique. Mais comment prouve-t-il que la dérivation et la révulsion sont imaginaires ? Il cite des autorités et celles de Pinel entre autres. Autant valait-il se borner à une simple dénégation ; car, qu’est-ce que l’autorité en médecine ? Évidemment, pour nier en toute connaissance de causes et persuader, il aurait fallu faire le travail que j’ai indiqué plus haut, en parlant de Quesnay.

Cherchant à déterminer les cas dans lesquels la saignée de la jugulaire est préférable à celle des autres vaisseaux : « les Recueils cliniques peuvent nous offrir, sans doute, dit l’auteur, des exemples de phlegmasies cérébrales guéries sous l’influence salutaire de la saignée du cou. Mais ne peut-on pas leur opposer un bien plus grand nombre de maladies semblables, souvent portées au plus haut degré d’intensité, et que des saignées, plus faciles dans leur application, ont dissipées comme par enchantement ? Pour que la prééminence de la saignée de la jugulaire fût mise au grand jour, il faudrait prouver par les faits, que dans tel cas grave où toutes les saignées échoueraient, l’évacuation du sang, par la veine du cou, a procuré un salut inespéré. » (page 85).

Sans doute, et c’est réellement là l’état de la question ; mais comment arriver à la preuve dont il s’agit ? Ce n’est pas, comme l’indique l’auteur, en comparant deux faits relatifs à des malades atteints d’affection cérébrale ; dont l’un, saigné de la jugulaire, aura guéri ; tandis que l’autre, saigné du bras ou du pied, aura succombé ; et en soutenant qu’il n’en eût pas été ainsi, dans ce dernier cas, si l’on eût eu recours à la saignée de la jugulaire. Car une démonstration pareille est impossible ; vu qu’on peut toujours croire que la ressemblance, entre les cas supposés, n’est qu’apparente ; et les maladies ne se ressemblant pas exactement, l’argument serait de nulle valeur. Imaginez, au contraire, que quarante sujets ayant une affection cérébrale bien déterminée, arrivée à la même période, de même gravité, etc., etc., aient été saignés du bras ou du pied ; que quarante autres sujets atteints de la même affection, et d’ailleurs dans les mêmes circonstances que les précédens, aient été saignés de la jugulaire ; que parmi ceux-ci trente sujets aient guéri, tandis que neuf ou dix seulement des premiers auront été dans le même cas ; évidemment il faudra en conclure que, dans les circonstances indiquées, la saignée de la jugulaire est préférable aux autres. Et la conclusion sera rigoureuse ; parce que s’il est impossible, comme je l’ai dit plus haut, d’apprécier chaque cas avec une exactitude en quelque sorte mathématique, les erreurs étant les mêmes pour deux groupes de sujets traités par des procédés différens, ces erreurs se compensent, et peuvent dès-lors être négligées, sans altérer sensiblement l’exactitude des résultats. De manière que quelque soit le problème de thérapeutique à résoudre relativement à la saignée, on ne peut le faire sans le secours de la méthode numérique.

Au premier abord, rien de plus facile et de plus expéditif que cette méthode, qui dispense de tant de raisonnemens inutiles. Malheureusement il n’en est rien ; car elle suppose, comme on l’a déjà vu, qu’on a comparé entre eux un assez grand nombre de cas d’une même affection ; les uns, relatifs à des sujets dont la maladie aura été abandonnée à elle-même, autant qu’on le pourra du moins ; les autres, à des individus auxquels tels ou tels médicamens auront été administrés. Elle suppose que le même agent thérapeutique aura été étudié dans les circonstances les plus variées ; donné à des doses fortes ou faibles ; à une époque rapprochée ou éloignée du début ; seul ou concurremment avec d’autres moyens ; chez des sujets jeunes ou âgés, etc., etc. Et non-seulement cette méthode exige beaucoup de travail ; mais la réunion des faits qu’elle suppose est difficile, pour une même maladie : toutes choses assez mal comprises jusqu’ici, on en conviendra, par les sociétés savantes, qui, en proposant des sujets de prix sur la saignée, par exemple, ont voulu que les candidats parcourussent le cercle entier des maladies, et posassent des règles pour tous les cas ! De leur côté, les candidats qui étaient de leur temps, ont trouvé la chose toute simple ; et une année, quelquefois moins, leur a suffi pour donner la solution de problèmes, qui pour être rigoureuse, exigerait la vie de plusieurs personnes ! D’où il est résulté que les auteurs couronnés et tous ceux qui se sont occupés de la saignée, n’ont mis hors de doute aucun des préceptes qu’ils ont donnés. Au lieu d’étendre les questions, les sociétés savantes devraient les restreindre ; et, à mon avis, elles s’honoreraient beaucoup, si, au lieu de donner pour sujet de prix ; « déterminer par des observations cliniques quelles sont les maladies dans lesquelles l’application des sangsues est préférable à la saignée ; quelles sont celles où ce dernier moyen est plus utile que les saignées locales, et les cas qui réclament leur emploi simultané[6] ; » si, au lieu de ces problèmes insolubles pour un seul homme, à raison de leur étendue, elles se bornaient à demander, par exemple, qu’on fixât, d’une manière rigoureuse, les effets de la saignée, dans la pneumonie, ou dans une maladie quelconque ; mais une seule : puisque alors seulement elles ne demanderaient pas l’impossible.

Les réflexions faites au sujet de la saignée de la jugulaire, s’appliquent à ce que dit l’auteur de la saignée du bras comparée à celle du pied ; et je ne m’y arrêterai pas.

Son sixième chapitre traite des indications de la saignée, suivant l’âge, le sexe, le tempérament, etc., etc. Ses préceptes ont pour base quelques faits favorables à sa manière de voir (mauvaise logique, car avec elle on peut tout prouver) ; ou l’expérience des anciens : et nous avons vu en quoi consiste cette expérience, qui, presque toujours, n’est qu’une tradition, sans preuve. Si d’ailleurs on se rappelle que l’auteur a dû parler de l’influence de l’âge dans toutes les affections où la saignée peut être pratiquée, on concevra qu’il ne pouvait faire que ce qu’il a fait.

Dans la seconde partie de son ouvrage, qui en est aussi la plus considérable, M. Polinière fait l’application des principes qu’il a posés ; en commençant par les inflammations de la muqueuse gastro-intestinale. Et avant d’en venir aux faits particuliers, il se livre aux remarques suivantes : « Il m’eût été facile de présenter, dit-il, à l’appui des principes que j’émets relativement aux émissions sanguines, une masse de faits quadruple, quintuple, etc., etc. Dans un vaste hôpital comme celui de Lyon, ce ne sont pas les faits qui manquent ; mais une telle abondance aurait surchargé ce livre, sans le rendre plus utile. Bien persuadé que les faits extraordinaires et rares ne doivent pas occuper la plus grande place dans un ouvrage de médecine pratique, que l’on doit s’attacher à méditer ceux qui s’offrent journellement à l’observation ; j’ai cherché, parmi les histoires de maladies que je possède, celles qui peuvent être considérées comme l’expression fidèle, comme la représentation simple et claire d’une foule d’autres analogues. Ainsi, en citant, pour chaque genre de maladie, trois ou quatre observations, j’ai pensé que cela suffirait pour montrer la conduite que je crois devoir tenir dans tous les cas de même nature » (pag. 203).

Sans doute quelques exemples suffisent pour faire connaître au lecteur la pratique de M. Polinière, dans des cas analogues ; mais ces exemples ne suffisent pas pour prouver que cette pratique est bonne ; et, à supposer qu’elle le soit, pour montrer son degré d’utilité : et c’est précisément là toute la question. Auriez-vous désiré, dira-t-on, l’auteur ayant cent observations relatives a une affection quelconque, qu’il les exposât toutes les unes après les autres ? Non, assurément : mais j’aurais voulu que l’auteur donnât une analyse rigoureuse de ces observations : puisque, en les supposant exactes, il aurait, par cette analyse, prouvé quelque chose ; tandis que les faits qu’il cite ne prouvent absolument rien, dans leur isolement. Car, qu’on y songe bien, si l’on n’a rien fait dans les sciences, quand on n’a pas rigoureusement démontré la vérité de ce qu’on avance ; on n’a rien fait non plus en thérapeutique, quand on n’a pas démontré qu’un agent quelconque produit tel ou tel effet, a telle ou telle influence sur la marche et sur l’issue d’une maladie, dans des circonstances connues. Et les médecins les plus habiles n’ont guère oublié, il faut en convenir, que de donner cette démonstration.

Que ceux qui s’occuperont désormais de thérapeutique, suivent donc une marche opposée à celle de leurs prédécesseurs ; qu’ils ne croient pas avoir fait quelque chose pour avoir exposé leurs vues, ou pour avoir dit ce qu’ont fait les médecins les plus célèbres, dans telle ou telle affection. Qu’ils s’attachent à montrer, d’une manière rigoureuse, l’influence et le degré d’influence d’un médicament quelconque sur la durée, la marche et la terminaison de ces maladies. Qu’ils n’oublient pas que rien n’est plus difficile à constater qu’un fait de ce genre ; qu’on ne peut y parvenir qu’au moyen d’une grande masse d’observations, recueillies avec exactitude : qu’au lieu d’aborder un sujet sans limites, il faut le circonscrire pour pouvoir l’embrasser complètement, et l’étudier sous toutes les faces ; que s’il n’y a pas d’autre moyen d’être véritablement utile à la science et aux hommes, c’est aussi le seul qui puisse procurer une gloire réelle à ceux qui s’occuperont de thérapeutique.

Je ne pousserai pas plus loin l’examen de l’ouvrage de M. Polinière, ce qui précède me paraissant suffire pour donner au lecteur une idée de sa méthode. Et je m’abstiendrai de toute espèce de réflexions sur des recherches plus récentes ; pour que personne ne puisse imaginer qu’en me livrant à la critique des auteurs dont j’ai cité quelques passages, j’aie eu un autre but que celui de remplir un devoir.

Fin.
  1. Cette objection et celles qui précèdent, ont été reproduites par un médecin dont je ne cite pas le nom, dans la crainte de paraître exercer une vengeance qui est bien loin de ma pensée. Ce médecin a dit : « En invoquant l’inflexibilité de l’arithmétique pour se soustraire aux empiétemens de l’imagination, on commet contre le bon sens la plus grave erreur ; comme si l’on pouvait additionner ensemble des fleurs, des maisons, des oiseaux ; puis du total extravagant qu’on aurait, soustraire des poissons et des fruits ! » C’est-à-dire que rapprocher un cas de pneumonie, d’un autre cas de la même affection, qui paraît aussi grave, chez des sujets qui se trouvent d’ailleurs dans des circonstances semblables, en apparence mais qui peuvent différer un peu, en réalité ; c’est comme si l’on rapprochait une fleur d’une maison ! À quelle classe de lecteurs l’auteur a-t-il donc cru s’adresser ?

    Après cette objection, en viennent deux autres analogues et qui se réfutent d’elles-mêmes.

    D’ailleurs, que la méthode numérique ait des ennemis, c’est une chose toute simple et qu’il était facile de prévoir ; car quelle proposition a l’unanimité en sa faveur, à part les axiomes ? Heureusement pour l’avenir de la science, la méthode numérique est considérée, par les hommes les plus expérimentés, comme un moyen nécessaire, dans la détermination des faits généraux de médecine ; et les attaques qu’on essaie de lui porter n’y feront rien ; car elles ne peuvent avoir pour auxiliaires que la répugnance, si naturelle malheureusement, pour les longs travaux ; et il suffit que cette répugnance soit vaincue par quelques hommes laborieux, pour que la science fasse des progrès. J’ajouterai que la nécessité de la méthode numérique ne pouvait être complètement démontrée, que par les objections de ses adversaires ; que ceux-ci travaillent réellement à son établissement.

  2. Traité des effets et de l’usage de la saignée, un vol. in-12, 1770.
  3. Nouvelles indications de la saignée, 1 vol. in-8o.
  4. Traité élémentaire sur l’emploi raisonné et méthodique des émissions sanguines, avec application des principes à chaque maladie ; ouvrage couronné par la Société de médecine de Paris, le 5 juillet 1814.
  5. De la saignée et de son usage dans la plupart des maladies, par Vieusseux, in-8o, 1805.
  6. Questions proposées par la Société de médecine de Marseille, en 1825.