Recherches sur la maison où Blaise Pascal est né

Recherches sur la maison où Blaise Pascal est né
et sur la fortune d'Etienne Pascal, son père
Thibaud-Landriot Frères.

RECHERCHES

SUR

LA

MAISON OU BLAISE PASCAL EST NÉ

ET SUR

LA FORTUNE D’ÉTIENNE PASCAL,

SON PÈRE,

Par B. GONOD

Professeur au Collège royal de Clermont, et Bibliothécaire de la ville.




CLERMONT,

IMPRIMERIE DE THIBAUD-LANDRIOT FRÈRES

Libraires, rue St-Genès, no 10.

1847.


RECHERCHES
SUR LA
MAISON OÙ BLAISE PASCAL EST NÉ
ET SUR
LA FORTUNE D’ÉTIENNE PASCAL, SON PÈRE.

Séparateur


Arverna nec unquam
Ullo se tantum tellus jactabit alumno.

Virg.


I.

Parmi les noms dont s’honore la France, il en est peu, il n’en est pas, peut-être, qui brillent d’un plus grand, d’un plus pur éclat que celui de Pascal. Quelle ville n’envie à Clermont l’honneur d’avoir donné naissance au grand géomètre, au philosophe sublime, à l’illustre et incomparable écrivain ?

L’étranger lettré qui visite Clermont, demande à voir la maison, berceau d’un si grand homme, et s’estimerait heureux de fouler le seuil et le sol que foulèrent les pas de Pascal enfant. — Les grands hommes, ceux surtout qui se sont communiqués à nous par leurs ouvrages, qui nous ont ouvert des horizons nouveaux, à qui nous devons tant de précieuses jouissances du cœur et de l’esprit, inconnues du vulgaire, sont pour nous des parents, des bienfaiteurs, des amis. L’admiration qu’excite leur génie, nous intéresse, nous attache à eux ; tout ce qui se rapporte à leur personne éveille nos sympathies les plus vives, et, ainsi que d’une personne aimée, rien de ce qui les concerne, ne nous est indifférent.

Après vingt siècles, on montre encore, à Rome, la maison où naquit Marc-Aurèle ; à Frascati, l’habitation de Cicéron ; dans la vallée de Licenza, les restes de la villa d’Horace[1].

En Angleterre, la maison où Shakspeare est né, à Stratfort, vient d’atteindre, dans une vente aux enchères, trente fois sa valeur intrinsèque[2].

Dans presque toutes nos villes de France, des marbres apprennent à l’habitant et au voyageur qu’ici naquit Molière, là Bossuet, ailleurs Racine ou Vaucanson.

À Clermont, la maison où Pascal naquit, le 19 juin 1623, est restée inconnue jusqu’à ce jour. Le dix-septième siècle, ætas incuriosa suorum, n’a point conservé ce souvenir au dix-huitième ; et des vieillards interrogés par moi, il y a plus de trente ans, n’ont pu me transmettre que des opinions incertaines et sans fondement.

Les uns croyaient que Pascal était né à Bien-Assis, château situé à 500 mètres environ au nord-est, et hors des murs de Clermont. Or, ce château appartenait en propre à Florin Perier, qui ne devint le beau-frère de Pascal qu’en 1641, lorsque celui-ci avait déjà dix-huit ans[3]. Cette tradition n’est qu’un souvenir altéré d’un voyage que Blaise Pascal fit en Auvergne, en 1660, deux ans avant sa mort, pour y rétablir sa santé ruinée ; époque à laquelle il logea et demeura trois mois chez son beau-frère.

D’autres, par une confusion moins pardonnable, et parce que la famille Perier possédait une maison dans la rue du Terrail, dépendant alors de la paroisse du Port, y supposaient le berceau de Pascal.

La plupart aujourd’hui le mettent dans la maison actuellement appartenant à M. Thibaud-Landriot, rue Saint-Genès, 10, et que feu M. Landriot, mon beau-père, avait achetée en 1807 d’un M. Potière, qui se prétendait un des héritiers de Pascal[4].

Ce qui a pu, jusqu’à un certain point, autoriser cette croyance, c’est un acte de 1636, où l’on voit que la maison dont nous parlons appartenait à noble Martin Pascal, conseiller du roy et général en la cour des aydes[5]. — On a pris ce Martin Pascal le grand-père de Blaise, qui, en effet, portait prénom, mais qui était trésorier de France à Riom ; tandis que le conseiller du roi, général en la cour des aides, mentionné dans l’acte de 1636, était cousin-germain d’Étienne Pascal, et oncle à la mode de Bretagne de l’immortel Blaise[6].

Ces opinions diverses qui font naître Pascal ou hors de Clermont, ou sur les paroisses du Port ou de Saint-Genès, tombent devant son acte de baptême constatant qu’il fut baptisé en l’église de la paroisse Saint-Pierre. — Car, dirait-on que Pascal, né dans la maison paternelle le 19 juin, a pu être porté dans celle de quelque parent et être baptisé sur une paroisse étrangère ? Explication toute conjecturale que déconcerte complètement l’examen des registres de naissances de la paroisse Saint-Pierre, où l’on trouve tout les enfants d’Étienne :

Au 24 décembre 1617, baptême d’Anthonia ;

Au 3 janvier 1620, naissance de Gilberte ;

Au 23 juin 1623, baptême de Blaise ;

Au 5 octobre 1625, naissance de Jacquette[7].

On le voit, rien de mieux établi que le domicile réel et permanent d’Étienne Pascal, père de Blaise, sur la paroisse Saint-Pierre, avant et après la naissance de son fils. Il sera établi plus loin d’une manière encore plus péremptoire.

Jusqu’en 1846 il ne m’a pas paru possible d’aller plus loin dans cette recherche, et je pensais que nous étions condamnés à ignorer à toujours ce point intéressant de notre histoire locale. Mais, en cette année, une nouvelle lueur m’est apparue.

M. de Varennes, possesseur d’un vieux plan de Clermont, manuscrit, et levé en 1740, a bien voulu me le communiquer, et m’autoriser à en faire une copie pour la Bibliothèque de la ville.

Ce plan était accompagné d’une légende indicative de quelques maisons particulières, et j’y lus avec une bien vive satisfaction, maison de M. Pascal, à la lettre J du plan, à la tête de l’île formée par les rues de l’Ente et de la Coifferie, et dans la paroisse Saint-Pierre ; à côté était la maison Potière, I, et plus haut, à l’endroit qui sert aujourd’hui de passage de communication entre la rue des Gras et la place de la Bourse, passage ouvert seulement en 1794, H, maison Montorcier[8].

Vivement excité par cette espèce de révélation, je m’empressai d’aller visiter Mme Chopard, propriétaire de la maison désignée dans mon plan sous le nom de Pascal, et lui demandai communication de ses titres de possession, pour voir s’il serait possible de remonter, de possesseurs en possesseurs, jusqu’au temps d’Etienne Pascal. Les papiers de la maison étaient aux mains de M. Chopard, son fils, alors à Paris, dont j’ai dû attendre le retour à Clermont. Ces papiers dont j’ai eu enfin communication ne m’ont rien appris, sinon qu’en 1824, M. Jacques Bompart vend à M. Chopard la maison de la rue de la Coifferie, comme provenant de la succession de Mme Françoise Adrian, sa mère ; par conséquent, pour moi toujours espérance vague, toujours incertitude.

La maison Potière, contiguë à la maison de M. Pascal, dans le plan précité, fut aussi l’objet de mes investigations, et M. Laurent, actuellement propriétaire de cette maison, qui porte encore dans son ornementation extérieure et intérieure les caractères d’une maison construite au seizième siècle, mit obligeamment à ma disposition les titres constatant que cette maison, qui avait passé par les mains de M. Alligier, son prédécesseur immédiat, avait appartenu à M. Joseph Potière jusqu’en 1769. Ce qui confirmait les indications du plan de 1740, et me laissait encore espérer ; mais pas de confins qui pussent m’éclairer.

Alors, me rappelant un passage des Mémoires sur Pascal, renfermés dans le Recueil d’Utrecht, où Marguerite Perier, nièce de Pascal, nous dit que « Étienne Pascal, étant devenu veuf, vendit sa charge à son frère, et mit la plus grande partie de ses biens en rentes sur l’hôtel-de-ville de Paris, où il se retira pour vaquer uniquement à l’éducation de ses enfants…[9] », je résolus de consulter toutes les minutes des actes de notaires de la ville de Clermont, depuis l’année 1626, date de la mort d’Antoinette Begon, femme d’Étienne Pascal, jusques et y compris 1631, année de son départ pour Paris. J’espérais y trouver la vente ou cession de ses biens ; je n’y ai pas rencontré un seul acte où figurât Pascal ou quelqu’un des siens[10].

Ce désappointement ne m’a pas ôté tout courage : une voie nouvelle d’investigation s’est présentée à mon esprit, et m’a enfin conduit au but désiré.

Dans les archives de la ville, dont la direction est, depuis quelque temps, confiée aux soins éclairés de M. Desbouis, toujours empressé de communiquer les richesses dont il est dépositaire, on conserve les registres des deniers communs et de la capitation. Ces registres remontent jusqu’à 1619 (il y en a même un de 1580), et vont presque sans interruption jusqu’en 1785. Là les habitants sont recensés par paroisse, par quartiers et par rues.

En ouvrant le registre de 1619, je lis :

PAROISSE SAINT-PIERRE.

Sr Amable Montorcier, marchand,

Me Estienne Pascal, eslu,

Me Robert Peghoux, eslu,

Jean Pilon, bolanger au four du sr Pascal.

A la vue des trois premiers noms de mon plan de 1740, ma joie fut grande d’abord, mais de courte durée ; car j’avais à m’expliquer comment les propriétaires et locataires des sept ou huit maisons qui, dans le plan, séparent la maison Montorcier de la maison de M. Pascal, n’auraient pas été assujétis aux charges municipales.

En consultant les registres de 1623, 1624, 1625…, 1628, 1629, 1630… ; j’y trouvai les mêmes noms dans le même ordre ; mais en poursuivant la série des noms et observant les professions indiquées, je remarquai bientôt des marchands ou marchandes de pots de terre, des merciers, et surtout des marchands de sabots : d’où je conclus que c’était, non par la rue des Gras, quoique la principale de la paroisse Saint-Pierre, mais par la rue aujourd’hui encore dite des Chaussetiers, limite de la même paroisse, que commençait le dénombrement ; que c’était, par conséquent, dans la rue des Chaussetiers qu’il fallait chercher la maison d’Et. Pascal.

Je ne me trompais point, ainsi que me l’a démontré l’examen subséquent de toute la suite des registres jusques en l’année 1785.

Avant d’aller plus loin, avant de donner suite à mes nouvelles conjectures, j’avais à détruire les inductions qu’on pouvait tirer contre elles du plan de 1740, et à me démontrer à moi-même que la maison y indiquée sous le nom de M. Pascal, n’était point celle que je cherchais. Je me hâtai donc de consulter le registre de 1740.

Par une circonstance toute particulière et fort heureuse, ce registre, ainsi que deux ou trois autres seulement entre plus de trois cents, portait en marge l’indication des quartiers et de quelques rues. Ces mots, Quartier de l’Évêché, placés en regard des premiers noms de la paroisse Saint-Pierre, confirmèrent ma conjecture, et m’assurèrent que, dans ce registre, comme je l’ai depuis remarqué dans tous les autres, sans exception, le dénombrement des citoyens commençait par le haut de la rue des Chaussetiers, continuait par la Croix des Gras, etc. Arrivé au quartier des Trois-Raisins (nom d’une enseigne d’auberge qui a donné son nom à une rue), je trouvai la maison de M. Potière et celle de M. Guillaume Pascal, marchand, personnage étranger à l’objet de mes recherches.

De ce moment, je me vis dans la véritable, dans la seule voie de la découverte de la vérité. J’ai donc repris depuis 1619 et continué jusqu’en 1785, l’examen des registres de la capitation, et suivi avec curiosité et intérêt la succession des propriétaires et locataires depuis plus de deux siècles jusqu’à nos jours.

Là, j’ai bientôt reconnu, particulièrement par les registres de 1630 et 1730[11],

1o. Que la maison par laquelle commençait le recensement des habitants de la paroisse contenait ordinairement deux locataires principaux, et quatre ou cinq locataires de chambres ou de boutiques peu considérables ; par conséquent, que les six ou sept premiers noms de la liste des contribuables (parmi lesquels figure constamment au premier ou au second rang Etienne Pascal, et, depuis lui, Blaise Pascal, son frère et son successeur à la cour des aides), appartenaient à la première maison de la paroisse dans l’ordre du recensement ;

2o. Que cette maison, que je puis maintenant appeler la maison Pascal, est celle qui appartient aujourd’hui à M. Dauzat, entrepreneur de bâtiments , au haut de la rue des Chaussetiers, et dont l’entrée principale est aujourd’hui, comme elle était au temps de Pascal, dans le passage Vernines.

Elle était appuyée, au N, et à l’E., à l’Abbaye ou maison de l’Abbé de la Cathédrale, qui, depuis l’aliénation des biens nationaux en 1793, a appartenu à M. G. Fressanges, et a été en grande partie démolie, en 1846, pour le passage ouvert, à cette époque, à l’angle S.-O. de la Cathédrale.

Dans la façade du midi, sur la rue des Chaussetiers, s’ouvraient jadis, au rez-de-chaussée, quatre boutiques, dont deux appartenaient peut-être à l’Abbé de la Cathédrale, comme un cabinet, aux trois étages de la maison, pénétrait dans la maison de l’Abbé.

L’identité de la maison se trouve établie par la succession non interrompue des possesseurs et locataires depuis le temps d’Etienne Pascal jusqu’à ce jour, constatée par les registres dont j’ai parlé et par des actes authentiques. Dans les premiers (je citerai seulement les noms principaux), nous voyons à Etienne Pascal succéder son frère Blaise, oncle et parrain de l’auteur des Provinciales, qui lui succéda également comme second président à la cour des aides, à la date du 14 novembre 1634. On l’y voit jusqu’en 1637 ; puis Gilbert Trottier, bourgeois, et M. le président de Bosredon. En 1647, noble Pierre Redon, conseiller en la cour des aides;

En 1654, avec ce dernier, Me Etienne Legros, aussi conseiller en la même cour [12].

De 1658 à 1683, avec M. Legros, noble Jean Champflour ; puis damoiselle Marie Rollet, veuve de ce dernier, occupe le même logement jusqu’en 1699.

Dès 1692, on y voit Pierre Piquard, puis sa veuve, puis le neveu de cette dernière, Antoine Roy, marchand.

Ici des actes authentiques viennent se joindre aux registres de la capitation pour établir l'identité en question.

La maison d'Antoine Roy se partage entre trois cohéritiers : Etienne Roy, frère du défunt, Pierre et autre Antoine Roy, ses neveux, représentant chacun un frère du défunt.

Etienne Roy, lieutenant du lieu de la Roche-Donnezat, à la date du 20 septembre 1749, vend sa portion à Sieur Jean Jouvion, marchand; le 3 décembre de la même année, Pierre Roy, bourgeois

habitant de la Roche-Donnezat, vend la sienne au
sieur Jacques Chosserot, commis aux décimes, habitant

de la ville de Clermont [13]. Enfin la portion échue à Antoine Roy, est vendue au nommé Jean Gendre, tailleur d’habits, moyennant une rente de 90 liv., par contrat du 28 avril 1750.

Dans les actes de vente, la maison est dite située rue des Chaussetiers, près l'évéché ; elle est confinée par la rue des Chausseliers, de midi ; la rue ou passage Vernines, de nuit et bise ; la maison de l'abbaye de M. l'abbé de la Cathédrale, de jour ; situation et confins qui ne peuvent s'appliquer qu'à la maison Dauzat.

La portion Jouvion, aile occidentale de la maison, après avoir passé par héritage à Barthélemy Tordeix, époux de Marie Jouvion, est vendue à Sébastien Dardouillet [14]. Revendue à N ? Ury, elle passe enfin entre les mains de M. Dauzat, propriétaire actuel [15].

Les portions de Chosserot et Gendre avaient déjà été acquises par ce dernier, à la date du 23 février 1823 [16], du sieur Vigier-Latour, héritier de Chosserot, et acquéreur des droits d’un sieur Andra, créancier hypothécaire des héritiers d'Antoine Roy [17].

La maison d'Etienne Pascal n'a malheureusement pas conservé son caractère ni son aspect extérieur. L'intérieur a dû être complétement dénaturé par suite du partage entre les héritiers d'Antoine Roy, s'il ne l'avait déjà été antérieurement.

La démolition de l'arcade , ancienne porte de la cité, entre l'évêché et la maison Pascal, nécessita, en l'an VIII, la reconstruction d’une grande partie du mur méridional ; le propriétaire fut même obligé de reculer d’un mètre environ pour l'élargissement de la rue ordonné par l'administration municipale.

= En 1824, la façade ouest, et, en 1840, la façade nord, ainsi que la tourelle contenant l'escalier, ont été reconstruites par les soins de M. Dauzat.

La vue de la maison d’Et. Pascal, jointe au présent mémoire, est prise du milieu du passage Vernines, vis-à-vis la porte d’entrée, qui n’a pas changé de place. Elle a été dessinée d’après les souvenirs de plusieurs personnes qui l'ont vue à peu près dans son ancien état, et la maison qui la joint à l’ouest de l’arcade Vernines, d’après nature. — Le lecteur est redevable de ce dessin au crayon fidèle et exercé de

M. Em. Thibaud.
II.

La publication récente dés Pensées de Pascal, conformément aux manuscrits originaux, heureusement provoquée par M. Cousin[18], si heureusement exécutée par M. Faugère[19], a soulevé, au sujet de l’auteur, plusieurs questions, entre autres celle de sa fortune et de ce qu’on appellerait aujourd’hui sa position sociale[20].

Nous avons vu plus haut qu’Étienne Pascal, devenu veuf, vendit sa charge de second président à la Cour des Aides, et mit la plus grande partie de ses biens en rentes sur l’hôtel-de-ville de Paris, où il se retira en 1632,

Les registres d’inscription des rentes sur l’hôtel-de-ville de Paris ; renferment donc, dans le chiffre des revenus du père, l’élément le plus indispensable à la solution de la question soulevée au sujet du fils. J’ai fait chercher ces registres aux Archives de la Ville de Paris, du Ministère des finances, de la Cour des comptes, vainement jusqu’ici. Mais en l’absence de ce document, les registres que j’ai eu occasion de consulter, renferment une indication précieuse, que je vais mettre sous les yeux des lecteurs : je veux parler de la part contributive d’Etienne Pascal aux charges communes de la ville de Clermont. — Donnons d’abord une idée générale de ces charges, et de la manière dont elles étaient réparties entre les habitants. — Je prends les rôles de 1622.

La somme totale de l’imposition municipale était de 18981 liv. 8s 6d[21] , à répartir entre 2074 têtes ou chefs de famille, habitant la ville ou les faubourgs.

Les veuves, les femmes séparées de biens, étaient comprises dans ce nombre[22].

La moyenne eut été de 9 liv. 3s par tête ; mais la répartition étant faite par les asséeurs suivant la fortune apparente des individus, il en résultait une inégalité dans les cotes, qui nous donne une idée aussi exacte que possible de la distribution de la richesse dans la ville de Clermont vers 1622.

Il n’y avait que deux cotes au-dessus de 200 liv. :

1o La cote collective des chapitres de la Cathédrale, du Port, de Saint-Genès et de Saint-Pierre, qui était de 250 liv.

2o. Celle de Hugues Poisson, seigneur de Durtol, de 210 liv. 1

De 176 liv. à 200 liv. il y en avait 3
De 151 à 175 7
De 126 à 150 2
De 101 à 125 8
De 76 à 100 21
De 50 liv. 1s à 75 40
De 40 liv. 1s à 50 27
De 30 liv. 1s à 40 37
147
Report. 147
De 20 liv. 1s à 30 69
De 10 liv. 1s à 20 173
De 1 liv. à 10 1675
Au-dessous de 1 liv. 10 cotes seulement.
De 10s 3
De 15s 7
En tout. 2074 cotes.

Dans tout le registre je n’ai trouvé qu’un noble, ainsi qualifié ; noble Charles de Pierre-Fite, sr de Bosredon, président au bureau des finances, imposé à 120 liv. Cependant les nobles n’étaient point exempts de ce genre de contributions.

Parmi les membres de la cour des aides, au nombre de 14, le moins imposé payait 5 liv. 5s ; le plus imposé, 178 liv. ; la moyenne était 63 liv. 16s.

Il y avait alors 20 avocats. Parmi eux, Jean Rigaud, imposé comme un simple portefaix ou comme un des plus humbles savetiers, ne payait qu’une livre, tandis que M. Deségaux était cotisé à 68 liv. Moyenne des avocats, 29 liv. 8s.

De trente-deux procureurs, un payait 1 liv. 5s. ; un 105 liv. Leur moyenne était de 16 liv. 10s.

On comptait seulement trois docteurs-médecins ; c’étaient MM. Bompart, qui devint médecin de Louis XIII ; André et Ternier ; mais douze chirurgiens. Les premiers payaient, en moyenne, 13 liv. 2s, et les chirurgiens 9 liv. 3s.

Les 12 notaires payaient, en moyenne, 12 liv. 13s ; le notaire apostolique, 31 liv.

La moyenne pour les marchands était fort élevée, et les cotes de 20, 30, 40 liv. n’étaient pas rares ; celle de M. Eustache Pellissier montait à 95 liv.

Dans ce milieu, Estienne Pascal payait 74 liv. Il n’y avait, dans toute la ville de Clermont, que 42 contribuables plus imposés que lui.

Quelle était cette somme relativement au revenu ? Était-ce le 20e, le 15e, le 12e ? question peut-être insoluble aujourd’hui. Ce qui est plus important à connaître, c’est le rapport de cette somme aux prix des objets de consommation et des diverses marchandises destinées à satisfaire les besoins des hommes à une époque où l’argent, moins abondant qu’aujourd’hui, avait plus de valeur.

La base principale, sinon la seule, pour cette évaluation c’est le prix du blé, sur lequel se règle généralement celui des marchandises et des salaires.

Or, le prix moyen du blé, vers l’époque dont nous parlons, 1622, ayant été de 6 liv. 10s le setier, il s’ensuit qu’avec 74 liv. Estienne Pascal aurait pu acheter 11 setiers et demi de blé, lesquels coûteraient aujourd’hui, en prenant aussi la moyenne du prix du même setier à notre époque (26 fr.), environ 300 liv.

Les 74 liv. qu’Et. Pascal payait, seulement pour les charges communales, représenteraient donc environ 300 fr. d’aujourd’hui[23].

Cette cote si élevée annonce une grande fortune, et placerait Et. Pascal parmi les habitants les plus riches de la cité. Mais n’oublions pas que l’impôt n’accuse que la fortune apparente, et qu’alors, comme aujourd’hui, les asséeurs ou répartiteurs ne pouvaient prendre en considération les dettes et charges connues ou inconnues des contribuables.

Quatre ans plus tard, 1626, Et. Pascal achète une charge de second président à la cour des aides, pour laquelle il a à payer 31,600 liv. (auj. plus de 126,400 fr.) ; sa cote municipale, en 1629, s’élève à 84 liv., descend à 72 en 1631, en 1632 elle est de 124 liv, ; toujours indices d’une grande fortune ; mais, il faut le dire, indices trompeurs.

Et ce qui témoigne de la gêne d’Et. Pascal, malgré cette fortune apparente, ce sont d’abord deux obligations qu’il contracte les 24 et 25 mai 1633 ; l’une de 1500 liv. (minutes de Beauvais, notaire à Paris), l’autre de 1992 liv. 3s 9d (minutes de Caron, également notaire à Paris) ; c’est surtout une promesse de sept vingt-deux livres dix-sept sous (auj. environ 571 fr.), qu’il souscrivit à M. Gérard Champflour, à la date du 15 novembre 1632, et qui, malgré les réclamations de ce dernier, ne put être payée qu’après la mort d’Étienne Pascal arrivée en 1651 ; elle le fut, en 1652, 20 ans après l’emprunt, par les soins de Blaise Pascal, son fils[24].

Et cet homme avait été, durant neuf années, intendant de Normandie[25] ; de 1639 à la fin de 1648, il avait eu, en quelque sorte, un pouvoir absolu dans cette province, où régnaient les plus grands désordres ; Parata peccantibus provincia, comme aurait dit Tacite ; et où il eut, sous la protection des armes, à reformer tous les rôles des impôts. Mais, nouvel Agricola[26], « il s’acquitta de son devoir avec toute la droiture et l’équité possible, ne voulant point que ceux qui étoient à lui reçussent rien de personne. Il renvoya même un de ses parens, qui étoit son secrétaire, pour avoir reçu quelque chose[27]. » Il sortit de la province les mains pures, et reçut de la cour, dans des lettres de conseiller d’État, un haut témoignage de satisfaction[28].

Et s’il ne laissa pas à sa famille de ces grands biens qui, selon l’expérience de tous les temps, parviennent rarement à une troisième génération, il lui légua un impérissable héritage d’honneur, que préféra de beaucoup cette famille si vertueuse, si digne d’un tel père.



PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I.

Par-devant le notaire royal soussigné… furent présents nobles hommes Martin Pascal et Jehan Meyrand, conseillers du Roy et généraux en la Cour des Aydes de Clermont-Ferrand… lesquels ont donné et donnent pouvoir de vandre, créer et constituer en leurs noms, au proffit de damoiselle Clauda Pascal, veuve de Dominique Dreux, vivant conseiller secrétaire du Roy… résidente en la ville de Paris, la somme de quatre cents livres de rente… Icelle constituée et assignée spécialement et particulièrement sur les maisons cy-après déclarées appartenans auxdits sieurs constituans, scituées dans la ville de Clermont, celle dudit sieur Pascal étant dans la paroisse Saint-Genez, proche le marché au bled, joignant la rue publique de jour, la maison de M. Antoine Roux, procureur, aussy de jour et midy, la basse cour du couvent des cordeliers de nuict, et la maison de Catherine Jehan de bize… Passé à Clermont… le vingt-septiesme jour de juin 1636… Moron, notaire.

II.

Extrait du Tableau généalogique de la famille Pascal, conservé à la Bibliothèque de la ville.

☞ Dans le registre des deniers communs de la ville de Clermont, année 1581, je lis que Jehan Pascal était contrerolleur ; on sait que Martin Pascal était trésorier de France à Riom ; que le fils de celui-ci, Étienne Pascal, était habile mathématicien. Dans ces trois générations successives de calculateurs y aurait-il quelque chose qui aurait préparé le génie des mathématiques dans Blaise Pascal ? Livrons, en passant, ce fait à l’examen des physiologistes.

* Joseph Potière était, par Claire Tailhandier, sa mère, petit-fils de Jean-Joseph Tailhandier et d’Anne de Ferriolles, fille d’Anne Pascal, petite-fille elle-même de Martin Pascal, oncle à la mode de Bretagne de notre Blaise Pascal.

III.

Extraits des registres de baptême de la paroisse St-Pierre.

1617.

Le 24e jour de décembre 1617 a esté baptisée Anthonia Pascal, fille à noble Estienne Pascal, conseiller eslu pour le Roy en l’eslection du Bas-Auvergne à Clermont et à….. Begon ; etc.


1620.

Le 3e jour de janvier 1620 a esté baptisée Gilberte Pascal, fille à noble Estienne Pascal, conseiller eslu pour le Roy en l’eslection du Bas-Auvergne à Clermont. La mère damoiselle Anthoinette Begon…..

1623.

Le 27e jour de juin 1623 a esté baptisé Blaize Paschal, fils à noble Estienne Paschal, conseiller eslu pour le Boy en l’eslection d’Auvergne à Clairmont, et à noble damoiselle Anthoinette Begon. Le Parin noble Blaize Paschal, conseiller du Roy en la seneschaussée et siège présidial d’Auvergne audit Clermont, la marrine dame Antlioinette de Fontfreyde. Pascal, Fontfreyde.  

1625.

Le 5e jour d’octobre avant midy nacquit Jacquette Pascal, fille à noble Estienne Pascal, conseiller du Roy et président en la cour des aydes à Montferrand et à damoiselle Antlioinette Begon…

IV.

Extrait des registres des deniers communs de la ville de
Clermont-Ferrand.
— Année 1636.

paroisse saint-pierre.

Monsieur Me Blaize Pascal, président en la cour des aydes, 25l

Germaine Brunel, veufve de Guill. Jamect, 20s

Michel Tixier, dict Varrolie, à la boutique de Me Amable Montorcier, 40s

Boutin, talheur d’habits, à la boutique du sieur Pascal, 19l

Robert Peghoux, eslu, 30l

Jehan Gazier, paticier au four du sieur Pascal, 3l

Jehan Barbier, imprimeur en la maison dudit sieur Pascal, 3l

Jehan Bordau, talheur d’habits, en ladite maison, 40s

FIN.
  1. Découverte de la maison de campagne d’Horace, par l’abbé Capmartin de Chaupy. Rome, 1767. 3 vol. in-8o, pl.
  2. Cette maison, estimée 100 livres st. (2500 fr.), s’est vendue 3000 livres st. (75000 fr.) V. journaux de Londres, du 16 septembre 1847 ; Journal des Débats, du 19.
  3. Recueil d’Utrecht, p. 238.
  4. V. ci-après, Pièces justificatives, II, note.
  5. V. ci-après, Pièces justificatives, I.
  6. V. ci-après, Pièces justificatives, II.
  7. V. ci-après, Pièces justificatives, III.
  8. Voir le plan joint au présent Mémoire.
  9. V. Recueil dit d’Utrecht, p. 239. — Et. Pascal habitait, à Paris, la rue de la Tisseranderie, paroisse de Saint-Jean-en-Grève. C’est là qu’il faudrait chercher la maison et le cabinet où furent tracés les ronds et les barres qui ont révélé le grand géomètre. Acte du 25 mai 1633 ; Caron, not. à Paris.
  10. Il est vrai que les minutes de plusieurs notaires de cette époque, de MM. Chazelles, Bard, Crozat, Mazerat, etc., ne sont point venues jusqu’à nous, et que celles de MM. Moron et autres, ne sont point complètes.
  11. V. Pièces justificatives, IV.
  12. En 1632, je trouve, parmi les habitants de la maison, damoiselle Clauda Valette, veuve de Gérard de Lollier; et dans le rôle des bâtiments étrangers de 1677, M. Valette, de Riom, est indiqué comme propriétaire de la maison tenue, est-il dit, par M. Legros, conseiller en la Cour des Aides, et d'une boutique tenue par Puylever, rubantier.
  13. Actes reçus Charin, notaire : — Ces pièces m'ont été obligeamment communiquées par Mme Vigier.
  14. (2) Espinasse, notaire, 13 ventôse an XIII.
  15. Adjudication du 24 octobre 1839 ; actes des 25 et 30 juillet, et 25 novembre 1841 ; Mollie, notaire.
  16. M. Chandezon ; notaire à Clermont.
  17. Cession de droits, par Clande Andra, au profit d'Antoina Vigier, dit Latour, du 9 septembre 1763 ; Baptiste, notaire.
  18. Rapport de l’Académie française sur la nécessité d’une nouvelle édition des Pensées de Pascal. Paris, 1843, in-8o.
  19. Pensées, fragments et lettres de Blaise Pascal, publiés pour la première fois conformément aux manuscrits originaux, en grande partie inédits, par M. Faugère. Paris, Andrieux, 1844, 2 vol. in-8o.
  20. Faugère. Pensées de Pascal, Introduction, p: lxj.
  21. On sera peut-être bien aise de trouver ici l’emploi de cette somme ; voici ce détail :
    Pour affaires communes 9000
    Subvention 3120
    Crue. Affaires du Tiers-Etat du bas pays d’Auvergne. 102
    Un premier tiers de la dette de la ville 3175 6s 6d
    Intérêts de la dette (qui était de 9525l 19s) 595 5
    Frais d’obtention des lettres d’imposition 300
    Epices des trésoriers généraux 70
    Plat et gratification de Mgr le duc de Chevreuse gouverneur de la province. 210
    Portion de la ville de Clermont dans le plat et gratification de 6000l ordonné être payées à M. le comte de Pontgibaud, lieutenant pour le roi au Bas-Auvergne 102
    Portion de la ville de Clermont dans la somme de 23451 41s 6d, moitié de celle de 4687l 3s, due par le bas-pays d’Auvergne à la ville de Saint-Germain-Lembron 48
    Portion de la ville de Clermont dans les 42000l des don et gratification dus à Mgr le duc de Chevreuse 610
    Portion dans la crue de 220001 pour dettes du pays 530
    Portion de la ville dans la somme de 9000 et tant de livres, pour le débet des comptes de MM. les échevins, concernant les affaires du pays 190
    Levée desdites sommes à raison de 12 den. pour livres. 1128 9
  22. En multipliant par 4 1/2 le nombre des chefs de familles, on doit avoir à très peu près la population de la ville de Clermont à cette époque : = 9333 habitants.
  23. Pour apprécier toutes les sommes ici mentionnées, il faut les multiplier par 4 et une légère fraction.
  24. Renseignements puisés dans un registre de famille, écrit de la main de M. G. Champflour, qui m’a été communiqué par M. Martial Champflour.
  25. Les appointements annuels de l’intendant d’Auvergne étaient alors de 12000l, qui équivalaient à 50,000 fr. environ de notre monnaie actuelle ; les appointements de l’intendant de Normandie ne devaient pas être au-dessous.
  26. Primam domum suam coercuit. Tac. Agric., 19.
  27. Recueil d’Ulrecht, p. 243.
  28. Les appointements de conseiller d’État étaient de 2000 par an.