Recherches sur l’administration municipale de Rennes au temps de Henri IV/Conclusion
Après avoir exposé en détail ce que fut l’administration municipale de Rennes au lendemain des guerres religieuses essayons de porter un jugement d’ensemble sur cette administration et de déterminer ce qu’elle eut de bon comme ce qu’elle comporta de mauvais.
La Communauté, en qui résidait presque tout pouvoir municipal, fut servie par un corps d’officiers assez bien organisé : Un procureur syndic fixant l’ordre du jour des assemblées de la Maison Commune, défendant sans relâche les intérêts de la ville, correspondant en son nom avec les lieutenants généraux et avec le Roi lui-même, comparaissant pour elle en justice, tenant en somme dans le « corps de ville » la place que les procureurs du Roi occupaient dans les juridictions royales ; des « miseurs » qui encaissaient les revenus de la ville ou acquittaient ses dépenses, recrutaient des ouvriers pour les travaux que l’on ne mettait pas en adjudication, et subissaient le contrôle du procureur syndic, du contrôleur des deniers, de la Communauté, de la Chambre des Comptes ; un contrôleur dont la fonction consistait à « certifier » les dépenses des « miseurs » ; un greffier dont la signature faisait foi comme celle des notaires royaux et qui avait la garde des archives ; enfin nombre d’officiers d’ordre inférieur directement soumis à la Communauté, ou relevant à la fois de la Communauté et du gouverneur ; tout ce personnel témoignait d’une assez grande activité ; il paraît avoir eu le souci d’assurer la bonne administration des affaires municipales.
L’organisation financière de la ville de Rennes était d’ailleurs assez simple pour qu’il fût toujours facile à la Communauté de voir très clair dans les recettes et dans les dépenses. Les revenus de la ville ne restaient-ils pas à peu près invariables tant que les bourgeois ne se préoccupaient que de payer les officiers municipaux, de pourvoir à l’entretien des rues, places et édifices publics ? Si on les accroissait en établissant des taxes exceptionnelles aussitôt que des travaux importants, de grandes constructions ou même des fêtes exigeaient que la ville dépensât davantage, la Communauté savait toujours exactement de quelles ressources elle disposait, puisqu’il n’était point de revenu qui ne fût déterminé à l’avance par la mise en adjudication de la taxe qui devait le produire. En tout état de cause les adjudicataires ou leurs héritiers étaient absolument responsables des fermes.
Quant aux dépenses, ce fut une pratique constante de les consigner en détail sur des registres de comptes. On distinguait entre les dépenses ordinaires et les dépenses extraordinaires. Les dépenses ordinaires correspondaient aux gages ou indemnités que la ville accordait à ses officiers et à ceux du Roi ; elles englobaient tous les travaux publics. Les dépenses extraordinaires couvraient les frais des députations et des gratifications. Il sera permis d’affirmer qu’un grand esprit d’ordre et d’économie présida toujours aux dépenses ordinaires. On ne voit point que la Communauté ait attribué des gages trop élevés, ni qu’elle ait cédé à la pression qu’exercèrent sur elle les lieutenants généraux, en vue de se faire construire des hôtels ou de se faire attribuer une installation luxueuse. Sans doute au début du XVIIe siècle on la voit s’engager dans des entreprises coûteuses, percer des rues, construire un pont et un hôpital, agrandir son collège, distribuer des eaux potables dans Rennes, refaire le pavé de ses rues et décider d’édifier un palais pour le Parlement ; mais à coup sûr c’étaient là des entreprises utiles et l’on peut croire qu’elles étaient proportionnées aux ressources de la ville. Les documents qui les signalent permettent de constater d’ailleurs avec quelle précision furent toujours rédigés les contrats que la ville imposait aux entrepreneurs de travaux publics. Tout au plus pourrait-on prétendre que les bourgeois se départirent de leurs principes d’économie quand ils firent décorer l’Hôtel de Ville, mais ce serait leur refuser le droit d’encourager les arts dans une ville où l’on entreprenait bien rarement des travaux artistiques.
C’est encore justice que de rappeler quels sacrifices la Communauté de Rennes fit pour l’instruction publique, combien elle se préoccupa d’assurer la subsistance des pauvres, de pourvoir aux besoins des hôpitaux, de conjurer et de combattre les épidémies.
La responsabilité des abus qu’il faut maintenant signaler dans l’administration municipale de Rennes retombe tout ensemble sur le Roi, sur le gouverneur de la ville, sur le Parlement et sur la Communauté elle-même. Ni les privilèges qui furent octroyés à Rennes ni les droits qu’on lui reconnut ne furent scrupuleusement respectés. Tantôt le Roi souffre que ses receveurs généraux contraignent les bourgeois à payer l’aide des villes dont ils sont cependant exempts ; tantôt il permet que la Chambre des Comptes se refuse à enregistrer leurs privilèges. En 1592 le Roi reconnaît à la Communauté le droit de nommer son procureur syndic, mais bientôt après il l’astreint à lui présenter une liste de trois candidats sur laquelle il choisit lui-même cet officier, substituant ainsi sa propre autorité à celle du corps municipal. En temps de guerre l’exercice des privilèges de la Communauté est en quelque sorte suspendu par le gouverneur de la ville qui frappe des taxes sur les habitants, s’attribue un pouvoir discrétionnaire et subordonne tout aux intérêts de la défense. En temps de paix un autre pouvoir supplante à l’occasion la Communauté ; c’est le Parlement. Par lui la Communauté se voit enlever la police de la ville, le droit de surveiller les marchés ou de faire des règlements sur la vente des denrées. Dans une foule de circonstances où son autorité aurait pu être invoquée, elle voit les particuliers se tourner au contraire vers les juges souverains ; le voisinage d’un Parlement fut pour le « corps de ville » une cause d’effacement et d’impuissance.
Il faut d’ailleurs reconnaître que les privilèges de Rennes n’étaient pas déterminés avec précision ; que l’édit de 1592, qui tendait à axer le recrutement de la Communauté, ne fut jamais appliqué, et que les assemblées de la Maison de Ville furent plus d’une fois de véritables foyers d’intrigue. Il est nécessaire de constater que, si le gouverneur ou le Parlement empiétaient parfois sur les attributions de la Communauté, les différents pouvoirs étaient aussi fort insuffisamment délimités dans le sein de la Communauté elle-même. On voit des procureurs syndics passer des marchés, surveiller des travaux, s’enquérir des dégradations des bâtiments municipaux, tout comme les « miseurs » ; la Communauté prend elle-même assez souvent la place des « miseurs », et nomme des commissions qu’elle charge du travail de ces officiers. Il ne paraît pas toutefois s’être produit de conflits entre les officiers municipaux. Les conflits qui troublèrent l’administration de la ville éclatèrent en dehors de la Communauté : les juges du siége présidial entreprirent de disputer au gouverneur la présidence des assemblées du « corps de ville », et il fallut que le Conseil d’État maintînt le gouverneur dans ses prérogatives. Ces mêmes juges s’obstinèrent dans la suite à réclamer, pour eux et au détriment du gouverneur, l’honneur de présider à la mise en adjudication des revenus de la ville ; le Parlement intervint et décida que les fermes seraient adjugées devant ses propres conseillers.
Malgré le peu de fixité des ordonnances et des règlements qui déterminaient son fonctionnement, en dépit des abus de pouvoir dont souvent elle était victime, la Communauté de Rennes témoigna, au temps de Henri IV, d’une réelle entente de l’administration. Elle se montra en général fort économe des « deniers communs », et l’on ne peut guère lui reprocher, au point de vue financier, que d’avoir fait un usage immodéré des députations et des gratifications : quand elle accordait de grosses indemnités à ses députés, elle surexcitait les convoitises de bien des gens qui plaçaient leur intérêt personnel au-dessus de celui de la ville ; quand elle offrait de riches présents aux grands personnages qu’elle recevait dans ses murs et même aux gens de leur suite, elle s’engageait dans une mauvaise voie ; au XVIIe siècle on vit se multiplier indéfiniment les dépenses extraordinaires dont le poids fut bientôt écrasant pour le budget municipal.