Recherches sur J.-J. Rousseau et sa parenté

RECHERCHES
SUR
J.-J. ROUSSEAU
ET SA PARENTÉ
Accompagnées de lettres inédites de Mallet-du Pan,
J.-J. Rousseau et Jacob Vernes
PAR
Louis DUFOUR-VERNES


Séparateur



GENÈVE
H. GEORG, libraire-éditeur.

1878


RECHERCHES
sur
J.-J. ROUSSEAU
ET SA PARENTÉ


Les fêtes de Jean-Jacques Rousseau approchent. À en croire les grandes affiches qui depuis quelque temps décorent les murs de notre ville et le langage qu’elles tiennent, on pourrait supposer que ce centenaire excite chez tous nos concitoyens une joie sans mélange. Mais si l’on observe l’attitude d’un grand nombre de personnes, si l’on écoute ce qui se dit dans les conversations, on remarque que le sentiment proclamé hautement par les promoteurs de la fête n’est pas aussi général qu’ils cherchent à le faire croire. Tandis que les uns annoncent bruyamment le programme de ces journées consacrées à la mémoire du citoyen de Genève, d’autres ne craignent pas de dire tout ce qui leur déplaît dans le caractère et les idées de Rousseau : ils rappellent les actes honteux ou même monstrueux de sa vie, et déclarent qu’ils ne voient pas là matière à l’apothéose d’un homme. Quelques-uns aussi, tour à tour remplis d’admiration et saisis de dégoût à la lecture de ses œuvres, demeurent découragés et incertains sur le parti qu’ils ont à prendre. La situation se complique encore de la circonstance que les fêtes de Jean-Jaques ont de tout temps revêtu un caractère politique. Le gouvernement de la République de Genève ayant, soit par conviction, soit par condescendance pour un État voisin, condamné en 1762 l’Émile et le Contrat social, il a été de mode dès lors, pour tout parti progressiste et pour ceux aussi qui affectent de l’être, de faire de Jean-Jaques l’incarnation de leurs idées, de représenter dans cet ami de la paix et du silence le symbole de la lutte pour les droits de l’homme. Il en résulte que pour ceux qui se disent démocrates, à tort ou à raison, c’est faire acte de mauvais citoyen que de n’être pas admirateur sans réserve de l’auteur du Contrat social, et cette prétention exagérée, irritant ceux qui ne l’acceptent pas, les rejette dans un silence dédaigneux et injuste.

Le caractère de Rousseau offre quelque chose de si complexe, parfois même de si insaisissable, qu’il sera bien difficile de se mettre d’accord à son sujet, mais il est désirable qu’au moins dans sa patrie Jean-Jaques soit aussi étudié et aussi connu que possible. Dans ce but, il ne sera pas inutile de suivre une méthode favorite de l’auteur de l’Émile, en remontant aux origines pour connaître la raison des choses. C’est donc sur la jeunesse de cet enfant extraordinaire et sur les impressions qui lui vinrent de son entourage que nous allons diriger l’objet de cette étude. Heureux serions-nous si nous pouvions faire sentir à ses détracteurs qu’il faut le plaindre avant de le blâmer, et à ses encenseurs que les abîmes dans lesquels notre concitoyen nous plonge parfois sont bien propres à faire réfléchir sur les misères de l’homme, quelque heureusement doué qu’il soit.

Qu’il nous soit permis d’abord de rectifier une opinion émise par J.-A. Galiffe père[1] et qui a été reproduite encore il y a quelques années dans l’Almanach de J.-J. Rousseau[2]. Voici comment s’exprime l’auteur des Notices : « La famille Rousseau était sur un très-bon pied à Genève à son arrivée, et ses liaisons avec la famille noble de Budé, venue du même lieu et du même temps, donnent lieu de supposer qu’elle était noble aussi, ce qui ne serait probablement pas fort difficile à vérifier, si la chose en valait la peine. Peut-être y trouverait-on une des causes de cette irascibilité de caractère qui vient souvent du dépit de se trouver dans une position sociale inférieure à celle où l’on voit ses parents et ses relations habituelles. Rousseau était fort bien allié à Genève, et quelques-uns de ses proches parents étaient riches. Il a parlé lui-même de ceux qu’il avait du côté de sa mère. Son père était cousin germain d’une dame Passavant, dont une belle-sœur était femme de noble Jean Revilliod, et un beau-frère marié à une demoiselle Pictet, fille d’un premier syndic. Il était issu de germain des frères Guainier, mariés à des demoiselles Gautier, Marcet, et de Normandie, et d’une dame Butini, dont la fille épousa le professeur Vernet et fut mère de Mesdames Fabri et Lullin de Châteauvieux. Il avait eu pour parrain le syndic Jean de Budé, Sr de Vérace : une cousine germaine de son père avait épousé noble Jacob Trembley, dont la famille était une des plus puissantes de la République. Assurément, Jean-Jaques Rousseau n’avait pas besoin de parents pour s’illustrer, et ils ne lui servirent à rien que, peut-être, à exciter cet esprit de susceptibilité pointilleuse qui le rendit si malheureux ; mais il est bon de savoir que ce n’était pas un homme de rien, qu’il tenait à la bonne société par beaucoup d’endroits, et qu’elle influa probablement sur sa destinée et sur son esprit, sans qu’il s’en doutât lui-même. »

On connaît les services que Galiffe père a rendus à notre histoire nationale par ses recherches infatigables et l’indépendance de ses jugements. Toutefois, il lui est arrivé de tomber dans l’exagération contraire à celle qu’il reprochait à ses adversaires, lorsqu’il poursuivait la démonstration de quelque thèse favorite. Ainsi l’on doit remarquer dans l’article en question qu’il n’invoque à l’appui de son témoignage, comme parents rapprochés de Jean-Jaques, que deux cousines germaines de son père. Or, il est avéré qu’à Genève où les parentés sont nombreuses à cause de l’alliance si fréquente des habitants entre eux, les liens de famille se relâchent assez promptement, dès qu’on passe le degré du cousin germain. Pour peu que les inclinations et les carrières soient différentes, les rapports deviennent de plus en plus rares, et des parents se trouvent bientôt classés dans des cercles autres aussi. Les cousins germains eux-mêmes quelquefois se connaissent à peine. Que dire alors des parents de parents qui peuvent relever de diverses conditions sociales ? Ajoutons encore que tenir des enfants sur les fonts baptismaux n’impliquait nullement à cette époque des relations sur un pied égal.

En examinant les alliances de la famille Rousseau jusqu’à l’époque de Jean-Jaques, on ne tarde pas au contraire à constater qu’elles appartenaient toutes, à une ou deux exceptions près, à la bonne bourgeoisie de Genève. Nous ne trouvons pas un seul membre de cette famille dans les Conseils de la République ; et cependant les ancêtres de Jean-Jaques, tous voués au commerce de l’orfèvrerie, de la joaillerie et de l’horlogerie, étaient généralement riches, circonstance qui les aurait aidés à entrer dans la magistrature pour peu qu’ils eussent été aussi bien partagés du côté de la naissance. Ces vocations étaient au reste bien plus l’apanage de la haute bourgeoisie que des familles aristocratiques. L’absence des Rousseau se fait également sentir dans le Livre du Recteur[3]. Il n’est pas une seule famille patricienne qui n’ait eu quelque représentant dans les études académiques, mais on ne peut pas en dire autant de la bourgeoisie, qui ne poussait ses fils jusqu’en belles-lettres que lorsque ceux-ci avaient en vue une carrière libérale. D’ailleurs Jean-Jaques, dès l’âge de 16 ans, n’a plus vécu à Genève, et les remarques pénibles dont parle Galiffe ne se font guère à cet âge. Il est vrai que son caractère ne le portait pas à l’envie, mais il n’aurait point dit non plus que sa famille, quoique sortant du peuple, s’en distinguait par ses mœurs, et ses Confessions, dont le style et les idées respirent quelque emphase, laisseraient percer une allusion à l’égard de si belles alliances. Ce n’est donc que d’une manière incidente que les Rousseau ont été alliés au patriciat. Ces souvenirs eux-mêmes n’eurent, à notre avis, aucune influence sur l’esprit de Jean-Jaques, mais nous ferons observer que l’historien précité est bien excusable d’avoir dépassé son but, lorsqu’on se rappelle la manière dont les biographes étrangers ont dépeint, dépeignent encore le milieu de Rousseau[4].

Si ses premières impressions furent entachées de quelque irritation, ce fut bien plutôt la faute de ses proches, et nous allons en conséquence étudier de près la parenté rapprochée de cet homme illustre. Son grand-père, David Rousseau, avait épousé[5] Suzanne, fille de Jaques Cartier, citoyen, et de Pauline Argand, d’une famille de la bonne bourgeoisie. Il en eut douze enfants, et sur ces douze enfants, six seulement vivaient encore lorsque mourut leur mère en 1705[6], ainsi qu’il résulte d’un acte de confession en mariage de Gabriel Bernard, gendre de cette dame[7]. Enfin, lorsque David mourut en 1738, dans un âge fort avancé, ce nombre de six devait être réduit à cinq. Nous voilà loin des assertions de Jean-Jaques : « Un bien fort médiocre à partager entre quinze enfants avait réduit presque à rien la portion de mon père[8]. »

Ces six enfants étaient : 1° Théodora, baptisée le 6 décembre 1671 : elle épousa en 1699[9] Gabriel, fils de feu Jaques Bernard, citoyen, marchand horloger et joaillier, et de Anne-Marie Machard. Elle eut, outre une fille, morte en bas-âge, un fils Abraham, l’ami d’enfance de Jean-Jaques. 2° Isaac, baptisé le 28 décembre 1672, et mort en 1747[10], devint le mari, le 2 juin 1704[11], de Suzanne Bernard, sœur de Gabriel. Il fut le père de François et de l’illustre Jean-Jaques. 3o Clermonde, baptisée le 7 mars 1674, épousa le 11 juin 1719[12] à 45 ans, Antoine, fils de feu Daniel Fazy, habitant, auteur de la famille Fazy, et dont elle n’eut pas d’enfants. 4o David, né le 18 novembre 1680, eut de sa première femme Marie, fille de Philippe Malleau, de Genève, et de défunte Élisabeth Decoppet[13], outre plusieurs enfants qui ne vécurent pas, Gabriel Rousseau, maître orfèvre. Il se maria une seconde fois, avec Dorothée, fille de feu Jean-Pierre Galline, citoyen, et de défunte Anne Martin[14]. 5o Suzanne, née le 20 février 1682, épousa le 24 août 1730[15], à 48 ans, Isaac-Henri Gonceru, fils de feu Louis, de son vivant châtelain de Crassier, et bourgeois de Nyon. 6o André, baptisé le 23 novembre 1683, ne paraît pas s’être marié. Nous avons trouvé sur son compte cette mention peu favorable, dans un acte du notaire Louis Pasteur, f° 239, du 7 septembre 1712 : « Ont comparu la dlle veuve Vernet et fils, citoyens de cette ville, lesquels ont requis le sieur David Rousseau d’accepter pour payer à un mois de veüe, à compter dès à présent, la lettre de change sur luy tirée, de huit escus… Et c’est parlant en personne du dit sieur David Rousseau, lequel a répondu ne vouloir accepter ny payer la ditte lettre et que le tireur qui est son fils doit travailler pour la payer… » André avait alors 29 ans.

Ainsi la génération de Jean-Jaques se réduit à son frère François et à ses cousins, Gabriel Rousseau[16] et Abraham Bernard.

François, né en 1705, était de beaucoup l’aîné de Jean-Jaques. Ce dernier nous raconte[17] que l’extrême affection que l’on avait pour lui-même le fit négliger, qu’on le plaça successivement chez deux maîtres pour apprendre la profession paternelle, que lui, Jean-Jaques, eut l’occasion de le défendre contre son père rendu furieux par sa mauvaise conduite, qu’enfin il tourna fort mal et disparut sans donner plus aucune nouvelle. « Si ce pauvre enfant, ajoute l’auteur des Confessions, fut élevé négligemment, il n’en fut pas ainsi de son frère, et les enfants des rois ne sauraient être soignés avec plus de zèle que je le fus durant mes premiers ans, idolâtré de tout ce qui m’environnait, » etc. On ne sait rien en effet de ce François. On a seulement en 1722 son acte de réassujettissement comme apprenti horloger chez le Sr Samuel Roget, pour le terme de 21 mois[18], et en 1737, on ignorait son sort, car Jean-Jaques est nommé son héritier présomptif[19].

Gabriel, né en 1715, était de trois années plus jeune que son cousin germain Jean-Jaques. Cette circonstance exclut l’idée d’une camaraderie dans leurs premiers printemps, car, à cet âge, trois années constituent une assez grande disparité de goûts. Mais, dans l’adolescence, pour peu qu’il y eût eu quelque similitude entre leurs penchants, leurs carrières presque analogues auraient pu les rapprocher. Il n’en fut rien cependant, si nous en jugeons par une lettre de Jean-Jaques à Gabriel, dans laquelle il prend vis-à-vis de son parent le ton cérémonieux dont usent des personnes qui n’ont que des relations intermittentes, et l’on en peut conclure que les pères eux-mêmes n’avaient pas soutenu des rapports fréquents. Gabriel est au reste un homme sédentaire, voué aux affaires de son commerce : plusieurs actes de vente, d’obligations souscrites, etc., en font foi.

Ce fut sur Abraham Bernard[20] que Jean-Jaques reporta, comme il nous le dit[21], toutes ses affections de camarade et de frère. Du portrait qu’il nous en donne, il ressort qu’il était aussi délicat, et ce fut sans doute cette raison qui les fit envoyer tous deux à la campagne. Après ce charmant séjour à Bossey, l’intimité se poursuivit tant que le même toit les abrita. Mais bientôt chacun suivit une voie différente. Abraham était fils d’un ingénieur, d’un père qui s’occupait plus ou moins de lui en le préparant à la même vocation. Isaac Rousseau s’étant fixé à Nyon, et ne s’inquiétant guère de ses fils, Jean-Jaques, après avoir été quelque temps chez le greffier Masseron, qui le renvoya pour sa paresse, fut placé chez le graveur Ducommun[22] ; où il se conduisit encore plus mal. Abraham demeura dans le haut de la ville ; son cousin habita St-Gervais. C’était sans doute une raison, comme l’insinue l’auteur des Confessions, pour que les relations devinssent plus rares ; mais il y a plus. La différence des métiers, des camaraderies, et surtout les plaintes incessantes que devait faire M. Ducommun à M. Bernard, ont évidemment contribué encore plus à cette séparation. Il ne faut pas oublier non plus que Jean-Jaques a défini son cousin, un garçon sans volonté, sans initiative : il aura suffi que les parents ne fussent plus disposés à cette amitié pour que le jeune homme se soumit à leur désir. Enfin, et chacun prit d’autres habitudes.[23] » Au moment de sa fuite, Jean-Jaques souhaite de revoir Abraham, mais ce dernier se montre peu affecté de son départ, et l’entrevue est froide. L’apprenti graveur, dont l’amour-propre est déjà grand, ne peut se persuader que la faute est de lui : il la rejette tout entière sur les parents et surtout sur la mère qu’il n’aimait pas, parce qu’elle allait à l’église. Les relations cessèrent donc dès ce jour : « Nous ne nous sommes jamais écrit ni revus ; c’est dommage. Il était d’un caractère essentiellement bon : nous étions faits pour nous aimer[23]. » Tel est le De profundis par lequel l’écrivain termine le récit de ses adieux avec son cousin.

Quant à la génération qui précéda celle de Jean-Jaques, nous savons que son père Isaac avait formé, à l’âge de 22 ans[24], une association avec deux maîtres de danse étrangers[25]. Il stipule pour lui « qu’il luy sera permis de faire un voyage lorsque bon lui semblera, à ses frais, sans que pendant iceluy (voyage) il puisse rien prétendre en la dite société, et qu’estant de retour il y rentrera pour achever le restant des dites trois années, si mieux il n’ayme ne point exercer la dance, jusqu’à l’expiration d’icelles, ce qui sera à son choix. »

On est étonné qu’un citoyen de cette classe s’adonne à une vocation qui n’était guère vue de bon œil en haut lieu, et l’on ne peut voir dans cette résolution qu’une fantaisie de jeune homme indécis sur la voie dans laquelle il s’engagera. Les paroles qui viennent d’être citées nous confirment dans cette pensée, et prouvent aussi qu’il songeait aux voyages, qu’il voulait se réserver son indépendance. Nous ne savons ce qu’il fit ensuite, mais il est certain qu’il renonça bientôt à l’art de Terpsichore, et qu’il se décida à suivre la vocation de son père.

Jean-Jaques, qui ne dit mot de cette équipée, nous parle ensuite des premières amours de ses parents ; il nous en fait un tableau sentimental, genre dans lequel il se complaît. L’amant eut quelque peine à obtenir sa maîtresse, et les obstacles étaient même si insurmontables, qu’elle lui aurait conseillé de voyager. Il est difficile de croire que la raison du refus prolongé des parents Bernard fût uniquement leur position plus aisée, position qui, au point de vue social, devait être la même. Évidemment le caractère instable du jeune homme n’inspirait pas de confiance. Ce ne fut, selon Jean-Jaques, que parce qu’une sœur de son père était recherchée en mariage par Gabriel Bernard, frère de sa mère, que l’union tant désirée put avoir lieu : telle fut la condition qu’elle mit à son consentement[26]. La mémoire de notre écrivain ici encore est peu fidèle, à moins qu’il n’ait pris plaisir à compléter son tableau idyllique. En effet les noces de Gabriel Bernard se firent, ainsi qu’on l’a déjà remarqué[27], en 1699, c’est-à-dire près de cinq ans avant celles d’Isaac Rousseau et de Suzanne Bernard. Il fallut encore tout ce temps pour triompher des répugnances de la famille.

Isaac se maria donc le 2 juin 1704, à 32 ans, et moins d’une année après, lorsque sa jeune femme vient d’accoucher, le voilà de nouveau hors de Genève. « Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour Constantinople où il était appelé, et devint horloger du sérail[28]. » Il semble, à la manière dont la chose est présentée, que c’est la réputation d’habileté d’Isaac qui provoque cet appel. Mais ce que nous avons vu nous empêche de le croire. Il est plus probable qu’il s’agit ici de ces recrutements si fréquents que faisaient les maisons d’horlogerie de la colonie genevoise de Constantinople ; nous avons dans les minutes de notaires plusieurs actes de ce genre[29]. Quant à devenir horloger du sérail et à s’élever en peu d’années aussi promptement à une dignité qui ne devait pas s’accorder au premier étranger venu, cela paraît plus étonnant encore. On a publié les actes qui ont été conservés de la colonie de Constantinople[30]. Malheureusement les documents pour la période qui nous occupe sont rares, mais avant et après ils sont assez considérables. On voit que la colonie ne laissait point partir un des siens pour la mère-patrie sans le charger de quelque missive pour la Compagnie des Pasteurs ou le Conseil, comme cela eut lieu en 1667, en 1671, en 1709, et il est assez singulier que parmi ces messagers ne figure point un personnage de cette importance. Toutes ces familles étaient vouées au commerce de l’horlogerie et de la joaillerie ; une lettre du 22 juin 1725 rapporte que leurs membres étaient reçus avec plaisir chez les Représentants des Puissances européennes, que plusieurs même étaient admis à leur table, mais on ne parle point de leurs rapports avec le gouvernement du Sultan, ce qu’on n’aurait pas manqué de signaler, surtout s’il y avait une charge d’horloger du sérail possédée par un Genevois. Enfin, lors même que ce temps fut l’époque prospère de la colonie, Isaac, malgré son habileté et son emploi, ne revint pas plus riche qu’auparavant.

Quoi qu’il en soit, il est rappelé, d’après Jean-Jaques, au bout de six ans par sa femme, qui, jeune et belle, avait, paraît-il, fort à faire à se défendre contre les obsessions de ses adorateurs[31]. Au bout d’une année, un second enfant vint au monde et coûta la vie à sa mère : « Je n’ai pas su[32] comment mon père supporta cette perte, mais je sais qu’il ne s’en consola jamais. Il croyait la revoir en moi, sans pouvoir oublier que je la lui avais ôtée : jamais il ne m’embrassa sans que je sentisse à ses soupirs, à ses convulsives étreintes, qu’un regret amer se mêlait à ses caresses ; elles n’en étaient que plus tendres. Quand il me disait : Jean-Jaques, parlons de ta mère, je lui disais : Hé bien ! mon père, nous allons donc pleurer, et ce mot seul lui tirait déjà des larmes. Ah ! disait-il en gémissant, rends-la moi, console-moi d’elle, remplis le vide qu’elle a laissé dans mon âme. T’aimerais-je ainsi si tu n’étais que mon fils ! » Cette sensibilité, fort naturelle à propos de la perte d’un être chéri, devient faiblesse et presque maladie lorsqu’elle se prolonge indéfiniment. Isaac, s’il avait eu quelque énergie, et puisqu’il faisait profession d’aimer tant son fils, aurait mieux fait de donner à sa douleur un cours plus utile. Il devait se sentir désormais l’unique soutien de ses enfants, et il aurait puisé quelque consolation dans la pensée qu’il allait leur apprendre à marcher sur les traces d’une mère dont la perte paraissait irréparable. Il y là l’indice d’une âme mal trempée, d’un esprit peu équilibré et même égoïste. La suite le montra bien. Au lieu de développer l’intelligence et le cœur de son enfant par des conversations saines et substantielles, dans les longues heures qu’ils passaient ensemble, le père consacre ses nuits à lire avec son fils des romans, ce qui était bien le plus fâcheux aliment qu’on pût offrir à une imagination déjà vive. Et ce n’est qu’ensuite et comme à regret que, cette littérature si malsaine étant épuisée, on se décida à aborder des ouvrages plus solides, et qui donnèrent lieu aussi, grâce à l’esprit curieux et interrogateur de l’enfant, à des entretiens plus nourris.

Cette nature faible et inerte d’Isaac correspondait, comme il arrive quelquefois, à un tempérament très-vigoureux. Jean-Jaques a raconté à Bernardin de Saint-Pierre[33] que son père était grand chasseur, aimant la bonne chère, et à se réjouir. D’autre part, on nous a fait ici même[34] la relation complète de deux querelles qu’il eut à Genève. Ces querelles dénotent un caractère violent, et la violence est le propre des âmes faibles, qui s’imaginent par là convaincre les autres de la force qui leur fait défaut.

Ce fut à la suite de son altercation avec M. G. (octobre 1722), dans le récit de laquelle les registres du Conseil donnent encore à cet horloger si habile la qualification de maître de danse[35] qu’Isaac prit la résolution subite de quitter nève, et de n’y plus rentrer jamais. On a des raisons de croire que ce ne fut pas là l’unique motif de cette décision héroïque, car les renseignements des dizeniers prouvent que, dès 1720, Isaac avait quitté son beau-frère et sa sœur, avec lesquels il vivait à la Grand’Rue, pour passer à la rue de Coutance et Cornavin, et qu’ensuite il paraît en arrière pour ses payements[36]. Il voyagea quelque temps, puis se fixa à Nyon, où il se remaria trois ans après. Au lieu de prendre ses fils avec lui, il les laissa à son beau-frère Bernard[37], et se déchargea ainsi très-aisément de ses devoirs paternels, donnant à Jean-Jaques un exemple qui ne sera que trop suivi.

Plus tard, lorsque ce dernier se sauve chez un curé (1728) à Confignon, puis chez une dame catholique, à Annecy, le père demeure à Nyon, et c’est l’oncle qui le premier fait quelque semblant de poursuites[38]. À propos de cette fuite de Genève, il est un point qui, si l’on suit la chronologie de Jean-Jaques, semble obscur. Ce fut le dimanche des Rameaux, 21 mars, qu’il arriva auprès de Madame de Warens ; il avait erré quelques jours autour de la ville, et mis depuis Confignon trois jours pour arriver à Annecy : ce serait donc le dimanche précédent, 14 mars, qu’ayant trouvé les portes de notre ville fermées, il se décida à n’y plus rentrer ; le lendemain, il mettait son projet à exécution. Il repartit d’Annecy pour Turin le mercredi saint, 24 mars, et son père arriva chez Mme de Warens le jour suivant, le jeudi 25 mars. Mais on sait d’autre part, que le mardi 30 mars, le patron Abel Ducommun fit avec Isaac Rousseau une convention[39] par laquelle il devra payer 25 écus blancs, si Jean-Jaques ne revient pas dans le terme de quatre mois. Comment s’expliquer alors que le père ne tente plus aucune démarche pour réintégrer à son domicile le jeune vagabond, démarches qui étaient désormais assez aisées puisqu’il savait où il était ? Il ne lui écrit pas même, car, quelques années après, Jean-Jaques se plaint à l’auteur de ses jours de ce qu’il ne lui a jamais écrit[40]. La convention devenait donc inutile, et il était plus simple de payer immédiatement l’indemnité, car, encore une fois, Isaac avait causé avec Mme de Warens, qui avait dû lui apprendre qu’on avait expédié l’enfant à Turin pour lui faire faire une instruction religieuse d’une certaine durée. La seule supposition qu’on puisse faire, c’est que Jean-Jaques aurait trop avancé la date de l’arrivée de son père à Annecy (on ne peut pas soupçonner que celle du Dimanche des Rameaux soit fausse) ; dans ce cas, ce serait une nouvelle charge pour ce dernier, qui ne se serait décidé à quitter Nyon que mandé par Ducommun pour rédiger la convention et se mettre en route à la recherche du fugitif. On ne peut pas davantage penser qu’il ait craint de traverser Genève, à cause de sa discussion avec M. G., car, deux ans après, en 1730, il assiste dans cette ville au contrat de mariage de sa sœur, Mme Gonceru[41].

Ainsi, dans toute cette affaire, Isaac montra une indifférence bien coupable, soit par son peu d’empressement à partir, soit par sa hâte à regagner sa résidence. « Ces Messieurs[42] se contentèrent de pleurer mon sort avec Mme de Warens, au lieu de me suivre et de m’atteindre comme ils l’auraient pu facilement, étant à cheval, et moi à pied. » Jean-Jaques est bien forcé de chercher à expliquer les raisons qui ont provoqué cet abandon de poursuites. Quelques-unes sont vraies, à savoir que son père aimait le plaisir, et que, n’ayant pas de fortune, il trouvait assez commode de vivre du revenu de sa première femme. Mais quand il le représente comme « une de ces âmes fortes qui font les grandes vertus, » quand il dit ailleurs que « l’auteur de ses jours savait se captiver pour ses devoirs, » il est permis de ne voir dans ces déclarations que le désir très-honorable de disculper autant que possible un père dénaturé. Au reste, l’idée dominante de Jean-Jaques dans les Confessions est de ne dire que ce qu’il lui plaît. Son but, en se présentant au lecteur, est de montrer « qu’il n’est fait comme aucun de ceux qu’il a vus, qu’il ose croire qu’il n’est fait comme aucun de ceux qui existent.[43] » Aussi ne s’occupe-t-il des autres, même de ses parents, que par forme, pour ainsi dire, et qu’autant qu’ils rentrent dans le cadre de son ouvrage. Il est l’enfant de la nature, et toutes ses idées, tous ses principes, il les donne comme nés de circonstances bonnes ou mauvaises. De l’effet de ses premières lectures, il date « sans interruption, la conscience de lui-même » : elles lui donnèrent de la vie humaine « ces notions bizarres et romanesques dont l’expérience et la réflexion n’ont jamais bien pu le guérir. » De ces secondes lectures se formèrent « cet esprit libre et républicain, ce caractère indomptable et fier, impatient du joug et de la servitude qui l’a tourmenté tout le temps de sa vie dans les situations les moins propres à lui donner de l’essor. » Il n’a presque aucun méfait enfantin sur la conscience, « parce qu’on ne le laissa pas courir avec les autres enfants, et qu’il n’avait autour de lui que des exemples de douceur, » et il n’eut des fantaisies que du moment où on l’asservit à un maître. Un châtiment de Mlle Lambercier fait naître en lui les idées de sensualité. Dans son apprentissage, il impute aux duretés de son maître[44] et à son esclavage les vices qu’il contracte, le mensonge, la fainéantise, le vol. Enfin ses perpétuels changements dans ses goûts et ses situations sont « une des différences qui le caractérisent. » Les Confessions sont donc une mise en pratique de ses idées, un supplément à l’Émile, une apologie de l’Être-Nature. Quant à nous, nous croyons qu’il ne faut pas borner à soi-même les observations qu’on a à faire sur ses aptitudes et ses penchants, si l’on veut avoir la raison de toute chose, rerum cognitionem. Il est impossible de ne pas reconnaître dans ce père si indifférent et si égoïste, si changeant[45], si peu ami du travail, dans cet homme de 45 ans et plus, qui passe ses nuits à lire des romans avec son jeune fils âgé de 7 ans, qui l’abandonne ensuite aux ennemis de la foi de ses pères, et qui ne lui donne plus aucune marque d’intérêt, dans cet être malheureux à charge à lui et aux autres, qui a mal commencé la vie, et la finit mal, le premier auteur de cette longue suite de misères qui furent le partage de l’infortuné Jean-Jaques.

Nous avons déjà dit quelques mots de la mère de Rousseau. Cette dame, qui mourut si jeune, avait reçu, d’après son fils, une brillante éducation : elle dessinait, chantait, faisait des vers, jouait des instruments. Elle était fille de Jaques Bernard, qui paraît avoir fait de mauvaises affaires[46], et la nièce de spectable Samuel Bernard, pasteur[47], sous la direction duquel elle fut élevée. Elle avait hérité tant de cet oncle que de sa mère la somme de dix-sept mille florins. Par le testament de cette dernière, dont nous reparlerons plus loin, on remarque que la famille Bernard avait des goûts artistiques, en sorte que tous ces renseignements s’accordent suffisamment avec ceux de Jean-Jaques.

Le frère de Suzanne Rousseau, Gabriel Bernard, était, d’après son neveu[48] qui n’a pas pour lui les mêmes ménagements que pour son père, un homme de plaisir, prenant assez peu de soin des deux enfants confiés à sa garde. Être homme de plaisir, dit Fontenelle, est un mérite, pourvu qu’on soit en même temps quelque chose d’opposé. En ce qui concerne les deux amis, on doit en effet le blâmer de les avoir laissés s’amuser et perdre leur temps, lors même qu’on doive avouer que, relativement à son neveu, il devait être assez paralysé par l’inertie du père. Au fond, son caractère, quoique aboutissant dans ses manifestations au même résultat, différait de celui de son beau-frère. La négligence et l’insouciance provenaient chez lui de son âme d’artiste ; ce n’était pas les idées qui lui manquaient : il faisait des plans, il se passionnait facilement. C’est ainsi qu’un jour il vint lire à sa famille un beau sermon qui ravit d’aise tout le monde[49]. Mais, avec tout cela, ses affaires n’en allaient pas mieux. Sa mère, Mme Bernard-Machard, dans le testament qu’elle fait en 1710[50], étant avancée en âge, « donne et lègue par institution particulière au Sr Gabriel Bernard, son très-cher[51] fils, la somme de 6,000 florins, sur lesquels 6,000 florins, le dit Sr Bernard tiendra compte de cinq louys d’or que la dite testatrice a empruntés du Sr David Rousseau pour le Sr Gabriel Rousseau[52] auquel elle les a envoyés lorsqu’il était à Venize. Item au dit Sr Bernard son fils, la moitié des peintures qui appartiennent à la dite testatrice, et l’autre moitié sera pour son héritière. Et au moyen du susdit légat, la dite demoiselle Maschard prive et déjette le dit Sr Bernard son fils de tous ses autres biens… Héritière universelle : Dlle Suzanne Bernard, sa très-chère fille, femme du Sr Isaac Rousseau. » Déjà, le 27 mai 1701[53] était survenu un compromis entre Gabriel et sa sœur Suzanne, à l’occasion des biens que leur avait laissés leur oncle « au subject desquels ils estoyent en difficulté et sur le point d’entrer en procès. » Plus tard, un acte de 1735[54] désigne Théodora Rousseau comme « femme séparée de biens du Sr Gabriel Bernard » : elle promet de payer régulièrement une somme d’argent à la dame J… pour qu’en retour cette dernière s’engage à ne pas faire vendre « le jardin et le bastiment y existant, procédé de Sr Samuel Bernard, situé à Plainpalais, pendant le vivant de la dite demoiselle, femme du Sr Bernard[55]. » Tous ces documents constituent un bilan peu favorable. Les plaisirs de l’oncle Gabriel passèrent la mesure. Il finit par se rendre dans la Caroline du Sud, soit pour suivre quelque projet nouveau, soit que sa position à Genève devint trop difficile, et il y termina son existence[56]. Son fils unique, Abraham, le compagnon d’enfance de Jean-Jaques, partit lui-même pour l’étranger, quelque temps après la fuite de son cousin, et peu à peu il ne donna plus aucune nouvelle. Sa mère, dans le testament qu’elle fit en 1751[57], s’exprime ainsi : « Je fais et institue, pour mon héritier seul et universel, Sr Abraham Bernard, mon cher fils ou les siens. — Et d’autant que mon dit fils et héritier est absent de cette ville depuis environ vingt-quatre ans[58], qu’il y a déjà plusieurs années que je n’ai reçu aucune de ses nouvelles, et qu’ainsi j’ignore s’il est encore du monde des vivans, je nomme pour mon exécuteur testamentaire le Sr Gabriel Rousseau, mon cher neveu, voulant qu’il reste saisi de ma succession, sans être tenu de donner aucune caution, pour en rendre compte à mon dit fils héritier ou les siens. — Et là où mon dit fils serait mort, sans enfants avant moi, comme j’ai tout lieu de le présumer par son long silence, je dispose mes biens de la manière suivante, etc. (suivent plusieurs legs à divers). Et au surplus, je fais et institue pour mon héritier seul et universel, le dit sieur Gabriel Rousseau, mon très-cher neveu ou les siens. » Ainsi, lorsque Jean-Jaques raconte[59] que quelques années après sa fuite, son cousin Abraham était mort au service de Prusse, il fait une nouvelle erreur, sur quoi, du reste, on ne peut lui faire de grands reproches, puisque lui-même s’excuse de ses transpositions de date, en raison des incidents multiples de son existence. Mais on ne peut croire davantage que, ainsi qu’il le dit, la perte de son mari et de son fils ait réchauffé son amitié pour le plus proche parent qui lui restât[60], car, dans ce testament, il n’est fait de lui aucune mention.

Il est en effet un point qu’il importe de noter, c’est combien les membres de la famille d’Isaac et de son fils sont peu prodigues en souvenirs d’affection à leur égard dans les cas de donations testamentaires. Outre le testament de Théodora Bernard-Rousseau que je viens de citer, et par lequel elle substitue son neveu Gabriel à son fils comme héritier universel (et cependant Jean-Jaques était doublement son neveu), nous avons encore celui de la veuve Clermonde Fazy. Il est du 4 janvier 1743[61], quatre ans avant la mort de son frère Isaac, alors qu’il était aux abois. Elle n’oublie, dans ses dernières dispositions, aucun membre de la famille, sauf pourtant Jean-Jaques. Elle donne à Gabriel Rousseau, son neveu, 200 livres ; à Théodora, veuve Bernard, sa sœur, 400 livres, à prendre sur les 800 qu’elle doit à la testatrice ; à Isaac, son frère, 225 livres, et elle le prive et déjette du surplus de ses biens. Héritière universelle : Suzanne Rousseau, épouse Gonceru. Citons encore, du 14 mars de la même année[62], le testament (homologué le 4 mai 1751) de Françoise, fille de Noé Rousseau, cousine germaine des enfants de David Rousseau-Cartier. Elle devait être à son aise, car ses legs sont nombreux. Elle donne à l’hôpital de Genève 150 florins ; à la Bourse française 100 ; à son neveu Jean, fils de Jean-François, 1 000 ; à son autre neveu Théodore, fils du dit Jean-François, 1 000 ; à son filleul, Paul Quetin, 100 ; à son autre filleul, Jean-François Mussard, 100 ; à Jeanne-Françoise Moré, sa filleule, 100 ; à Théodora Rousseau, veuve de Gabriel Bernard, sa cousine, 100 ; à Clermonde Rousseau, veuve d’Antoine Fazy, sa cousine, 100 ; à Marguerite Rousseau, veuve d’Antoine Maudry, sa cousine, 100 ; à Andrienne Sermod, veuve Fol, sa cousine, 100 ; à Jeanne Fol, sa fille, 100. Il ne manque à cette longue liste qu’Isaac, Jean-Jaques et Mme Gonceru.

Cette dame Gonceru est la tante chérie de Jean-Jaques. Avant son mariage, elle partagea la bonne et mauvaise fortune d’Isaac, et elle émigra avec lui à Nyon. Ce fut sans doute l’occasion de son mariage avec un habitant de cette ville. Elle tenait le ménage de son frère, et elle prit soin de son neveu jusqu’à l’âge de dix ans. C’est ce que nous apprend l’auteur des Confessions[63], qui nous raconte assez longuement la vie agréable qu’elle lui faisait. Sa gaieté inaltérable et ses douces chansons lui sont restées en mémoire ; il en cite une qui ne prouve guère en faveur de son tact et de son jugement vis-à-vis d’un enfant tel que Jean-Jaques. Il est possible que le reste du répertoire fut meilleur, et l’on sait d’autre part qu’au dernier siècle on disait beaucoup de choses qui nous étonnent aujourd’hui. Mais il est évident que Mme Gonceru n’exerça guère d’influence sur son frère, ni plus tard sur son mari, dont Jean-Jaques ne nous fait pas l’éloge[64], et l’on se demande si elle eût mieux réussi avec son neveu dans le cas où il serait demeuré sous sa tutelle. On peut penser aussi que ses principes n’étaient pas très-sévères, car notre jeune homme, si impatient de tout joug, n’eût pas conservé d’elle un aussi bon souvenir[65].

Au demeurant, rien de plus navrant que le spectacle de cette famille de Jean-Jaques, celle du moins vers laquelle il gravite. Des hommes, hommes de plaisir avant tout, des femmes qui luttent avec les difficultés de la vie ou se livrent à l’insouciance, des enfants qui se perdent et ne se retrouvent pas. Aussi ne peut-on s’empêcher de croire, malgré Jean-Jaques lui-même[66], que sa fuite fut un bonheur pour lui, une inspiration du ciel. Qu’eût-il fait dans cette ville, sans surveillance aucune, oublié ou renié par ses plus proches, livré aux mauvaises compagnies, et finalement rebuté des uns et des autres ? La lèpre du vice n’eût pas tardé à l’envahir, étouffant les bons germes qui étaient innés en lui, et il serait descendu peu à peu au dernier degré de l’échelle morale. Remarquons toutefois que, malgré le délaissement général des siens, il ne cessa d’aimer passionnément sa patrie, et que plus il croyait avoir à se plaindre de ses concitoyens, plus il sentait grandir son amour pour Genève. Chez nul homme la puissance de l’esprit national ne fut plus forte.

Cette possession prématurée de la liberté avec un fonds aussi riche que le sien devait tôt ou tard porter ses fruits. Tant que sa raison ne fut pas assez développée pour lui servir de guide, il se jeta à droite et à gauche sans discernement mais toujours avec passion, n’abandonnant l’objet de ses observations qu’après l’avoir étudié jusqu’à en être las. Les produits de ces diverses études, logés dans un coin de son cerveau, finirent par amener la lumière, d’abord confuse, peu à peu plus nette et plus distincte. Lorsqu’il eut compris que « les sciences s’attirent, s’aident, s’éclairent mutuellement, et que l’une ne peut se passer de l’autre, » de ce jour-là commença chez lui un travail de classement qui devait porter des fruits d’autant plus abondants qu’il profitait d’une foule de connaissances antérieurement assimilées. Si ce classement fut tardif, il a été rémunérateur. Il n’élabora rien de sérieux avant l’âge mûr, mais sa première œuvre un peu sérieuse attira l’attention sur lui, parce qu’elle avait pour base un labeur plus ou moins continu de vingt-cinq années. C’est ainsi que, lorsque d’autres se sont fait connaître soudainement et d’un seul jet, ce bonheur n’échut à Jean-Jaques qu’au travers du tâtonnement, de la paresse, de l’effort, et par le moyen de l’absorption successive des richesses, de leur comparaison et de leur sélection.

La Providence permit donc qu’il fut jeté de bonne heure dans le combat de la vie, et quoiqu’il y fût peu et mal préparé, il y arrivait cependant avec un vif dégoût de ses erreurs passées, un besoin profond d’indépendance, et un penchant marqué pour la contemplation, l’observation, la réflexion. Ces ardentes aspirations se seraient fondues au souffle desséchant de la cohue urbaine, surtout dans une ville affairée comme la nôtre. En place de lutte, il y aurait eu écrasements. Sans doute, les vices existaient aussi en lui, et des vices prononcés. Si, en qualité de Genevois, il avait eu en partage la simplicité, la bonhomie sans malice, et un certain fonds d’honnêteté pieuse, avec laquelle il se fit une religion à lui, il eut aussi de la même source l’amour-propre qui est chez nous à haute dose, et l’égoïsme trop souvent, hélas ! voilé par des dehors de générosité. Il avait le sang chaud du républicain, cette soif de l’indépendance qui donne souvent l’horreur du devoir et qui lui a fait commettre des actes de lâcheté. Lorsqu’elle n’est pas contenue et réglée par l’éducation, cette passion nous fait osciller tantôt du bon, tantôt du mauvais côté. Elle engendre alors cet esprit de contradiction qui critique toujours, et n’est jamais satisfait de rien, ni de personne, ces bizarreries qui font parfois du Genevois, comme elles ont fait de Rousseau, une sorte de boîte à surprise. Mais ce qui a manqué par-dessus tout à Jean-Jaques, ce fut la notion du devoir, dont l’absence s’était déjà fait sentir parmi les siens, et forme le trait d’union de ses deux familles paternelle et maternelle, lors même que la seconde paraisse avoir eu un niveau moral plus élevé que la première. Rousseau prêche le travail facile et attrayant, et ne veut pas du travail obligatoire. Avec de tels vices et de telles qualités, il fut comme la plante qui croit en rase campagne, au bénéfice de la pluie et du soleil, et qui donne souvent des fleurs plus éclatantes que celles qu’on cultive avec tant de soin dans les jardins.

La fête de Jean-Jaques est, à notre avis, une fête intéressante, par l’enseignement qu’elle nous fournit. Nous pouvons penser avec reconnaissance à tous les secours que nous recevons de nos parents et de nos directeurs, et le plaindre de ce qu’ils lui manquèrent presque entièrement. Nous pouvons le louer sans réserve d’avoir su acquérir par ses habitudes de lecture, d’observation et de réflexion cette connaissance de l’art d’écrire, qui lui a fait composer des pages si émouvantes. Nous pouvons enfin être fiers de cet homme de génie, notre concitoyen, dont l’éloquence persuasive et entraînante corrigea des abus, réveilla le goût du beau, et le prendre pour modèle dans ses idées généreuses qui lancent des traits si pénétrants et consolent des ombres du tableau.


Le lecteur nous saura gré de faire suivre ces lignes d’une appréciation des doctrines de Rousseau en regard de celles de Voltaire et des philosophes de l’époque. Ce jugement est extrait d’une lettre inédite du publiciste Mallet-du Pan au pasteur Jacob Vernes.


Lausanne, le 3 décembre 1778.


… On sera, à ce que je crois, bien médiocrement content de ce 28me numéro[67]. Quant à moi, je vous avoue que son jugement[68] sur Jean-Jaques assimilé dans ses torts philosophiques avec Voltaire m’a fait palpiter d’indignation. Je rougis d’être le complice de pareils actes en aidant à les répandre ; j’ai pour la Religion un respect plus épuré que le sien, fondé même sur la résipiscence, sur l’épreuve des écueils où l’affaiblissement des idées morales et de leurs principes a failli me jeter vingt fois. En conséquence, je suis bien loin d’applaudir aux doutes de Rousseau, plus dangereux qu’utiles à publier, mais sa bonne foi manifestée même par ses fréquentes contradictions, le ton décent et plein de franchise qui caractérise ses hérésies, son attachement au théisme le plus pur, sa chaleur pénétrante à ramener les esprits aux dogmes fondamentaux et les cœurs aux vertus, méritent au moins des ménagements et surtout une distinction du bouffon sceptique et baladin qui depuis 25 ans inondait l’Europe de ses turlupinades. Ce n’est pas seulement le Christianisme dont Voltaire a fait une farce aussi dégoûtante que puérile, c’est encore les mœurs, la fidélité conjugale, le désintéressement, toutes les vertus domestiques ; il n’a jamais articulé net le dogme d’une vie à venir, et il l’a rendu mille fois ridicule. Est-il permis de confondre un pareil homme avec un écrivain qui, à chaque page, brûle de l’amour de l’honnêteté et des vertus ? Rousseau ne sera lu, ne sera goûté que des âmes encore pures. Le mal que peuvent faire à l’esprit de quelques personnes la Confession du Vicaire et ses apologies porte le remède avec lui par la sainteté de sa morale prêchée avec cette éloquence de sentiment qu’il a eu seul et qu’il emporte au tombeau. Quelqu’aient été ses faiblesses, ses caprices, ses torts réels, il sera toujours un homme et un écrivain respectable. Malgré les reproches que vous seriez fondé à lui faire[69], je me persuade que votre opinion ne diffère point de la mienne.

M. L. n’a lu J.-J. qu’en courant, surtout l’Émile, qu’il regarde comme une bêtise, à ce qu’il m’a dit, vu que l’Éducation en est une ; il promet de le relire, mais son jugement est fait, il ne lira que ce qu’il a jugé. Il laisse absolument échapper la plus admirable occurrence de frapper du coup mortel nos philosophes. Au lieu de faire de Rousseau leur porte-massue, il fallait le peindre les écrasant de la sienne, et n’étant devenu l’objet de leur haine que pour n’avoir pas voulu devenir le complice de leurs doctrines. Telle est l’exacte vérité, ils l’ont regardé comme un apostat ; j’en ai des preuves bien singulières. Il fallait donc leur opposer ce formidable déserteur au lieu de le ranger sous leurs enseignes pour le combattre par des capucinades. En faisant contraster leurs théories scandaleuses sur les remords, la pudeur, l’intérêt personnel, la matérialité de toutes nos actions, de tous nos sentiments, et par conséquent de nos devoirs, avec les hymnes de J.-J. sur tous ces objets profanés et avilis sans retour par nos sages, il eût rendu hommage à la vérité et service au genre humain ; mais pour aimer les principes de Rousseau et ses écrits, il faut s’en approcher, comme du sanctuaire, les mains nettes.

Voilà, mon cher Monsieur, les idées que j’avais jetées à M. L. ; il les a méprisées, comme de raison, je m’y attendais ; il est vrai que je ne faisais pas ma cour à l’Archevêque de Paris. Je souhaite que le public goûte son opinion, parce que je l’aime, mais je garde la mienne, je m’occupe même de la développer et de la produire. Ayant dans sept ans de liaison chez M. de Voltaire rassemblé beaucoup de matériaux sur cet illustre mort, je les mets à leur place, et ceux que l’étude de Rousseau m’a fournis trouveront la leur. Si vous voulez même le souffrir, je vous consulterai sur plusieurs points historiques ou autres ; mais je réserve à cet objet une lettre particulière ; le courrier me presse, je n’ai que le temps de finir et de vous offrir mes hommages, avec l’assurance du dévouement et de l’estime de votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Mallet.

Voici encore pour terminer deux lettres inédites de J.-J. Rousseau, également adressées à Jacob Vernes. La première fut écrite à la suite de son séjour de 1754 à Genève ; elle offre une nouvelle preuve de la passion malheureuse de Rousseau pour Voltaire. La seconde, qui est plutôt un billet, est sans date et n’est pas signée ; elle est écrite sur la lettre même que Vernes adressait à Jean-Jaques. On y retrouve la simplicité qui faisait le fond de ce philosophe malgré lui.

Paris, le 2 janvier 1755.

Il y a longtemps, Monsieur, que je veux vous écrire et que je n’en fais rien. Car, quand je me mets à causer avec vous, je vous ai plus dit de choses en une minute au fond de mon cœur que je ne pourrois vous en écrire en deux heures, et cela me dégoûte de prendre la plume. Sachés-moi donc un peu de gré de ma négligence, et quand vous aurez à me la reprocher, dites-vous bien à vous-même : il ne m’écrit point, mais il m’aime toujours.

Je savois déjà que Monsieur de Voltaire alloit à Genève et de là à Prangin. Quand vous négligés de voir ce premier Écrivain de son siècle, vous ne connoissez pas tout le sacrifice que vous faites à la vertu, car il n’est pas seulement le plus bel esprit, mais le plus aimable des hommes en société, et si l’on pouvoit commercer avec son esprit seulement, il faudroit passer la vie à ses genoux. Pour moi, quoiqu’on en puisse dire, je connois l’acharnement de la jalousie, et j’ai peine à céder aux funestes impressions qu’on cherche à nous donner de son caractère. On ne peint point comme il a fait les charmes de la vertu et les charmes de l’amitié sans avoir un cœur fait pour sentir l’une et l’autre. Jamais je ne désirai si fortement qu’il justifiât mes préjugés en sa faveur qu’aujourd’huy que le voilà dans ma patrie. Puisse-t-il aimer et instruire mes compatriotes, et laisser nos gens de Lettres aussi bien unis qu’il les a trouvés.

Il est vray que M. Rey s’est chargé de mon manuscrit, mais cet ouvrage est loin d’être près de paroître : peu de gens en seront aussi tôt instruits que vous et M. Abauzit. Je ne vous ai point encore parlé du mémoire sur les variations de l’humeur ;[70] je l’ai lu et j’en ai trouvé l’hypothèse ingénieuse ; je ne l’ai point encore montré à M. Diderot, parce qu’il a essuyé de la part de ses libraires des tracasseries qui l’ont mis à la veille d’abandonner l’Encyclopédie. D’ailleurs il y a encore un volume d’intervalle pour arriver à l’H. À présent que tout est pacifié, j’aurai soin de faire ce qu’il faut et je vous en donnerai des nouvelles dans ma première lettre.

Mille respects, je vous prie, à toute votre famille sans oublier votre aimable et respectable belle-sœur ;[71] je voudrois bien qu’en buvant à ma santé elle eût pu faire quelque chose pour la sienne. Pour moi, j’attends tout des secours de la médecine, de vos soins, du tems et de la patience, et je compte bien à mon retour vous féliciter en la trouvant sur pied ou du moins vous aider à la désennuyer auprès de son lit. Mille amitiés, s’il vous plaît, à M. de Rochemont et à M. Le Sage, à qui vous dirés, s’il vous plaît, que les nouveaux honneurs de M. d’Alembert ne le lui ont point fait oublier, et que Dimanche dernier nous bûmes à sa santé et même à la vôtre, car on y mit tous mes compatriotes, et vous auriez dû remercier encore quand on n’y aurait mis que ceux qui me sont les plus chers.

J.-J. Rousseau.

P. S. Je vous avertis que si vous me plantés encore des Monsieur, en sentinelle, vous en aurés dans ma première par bataillons.


La seconde lettre doit être précédée de celle de Vernes, pour une meilleure intelligence de ce qui va suivre :


À Monsieur,
Monsieur J.-J. Rousseau,
chez lui.


Voilà, mon cher Monsieur, vos chansons dont je vous remercie, voilà les Épîtres morales de Pope dont je suis sûr que vous serés bien content. Aiés la bonté de me marquer en deux mots si vous partés demain et le jour que vous comptés d’être à Morges où je me rendrai certainement. Je vous souhaite bien du plaisir : vous m’en procureriez beaucoup à moi, si vous vouliés me confier le discours sur la qualité principale d’un Héros. Je vous donne ma parole qu’il ne sortira pas de mes mains et qu’il vous sera rendu dès le moment de votre retour. Cependant si vous vous en faites la moindre peine, je ne vous demande rien et n’en serai pas moins

Votre tout affectionné
Vernes.


Réponse de Rousseau :


À Monsieur,
Monsieur Vernes,
Ministre du St-Évangile,
à Plein Palais.

Votre Ambassadeur, Monsieur, ne m’a remis du tout que le billet. Nous comptons partir dimanche matin, et coucher mercredi à Morges. Comme il n’est question que d’un jour, j’espère que vos affaires vous permettront d’y venir. Après avoir revu l’ouvrage en question[72] je ne puis me résoudre à vous le montrer ; c’est un barbouillage d’écolier qui n’est bon qu’à jeter au feu. Comptez, je vous prie, qu’il n’y a dans ce refus d’autre défiance que celle de moi-même. Si j’étais moins jaloux de votre estime, je prendrais moins de précautions contre votre mépris. Bon jour, Monsieur, à mercredi au soir. Portez-vous bien et m’aimez.

  1. Notices généalogiques sur les familles genevoises, 1829-1836.
  2. Publié par Marc Viridet, ancien chancelier. Genève, 1861.
  3. ou Catalogue des étudiants de l’Académie de Genève, 1559-1859. Genève, 1860.
  4. Dans son livre tout récent sur la littérature du 18e siècle, M. Paul Albert définit le père de Rousseau : moitié artiste, moitié ouvrier.
  5. Registre des mariages, à la Chancellerie, 26 août 1666.
  6. Registres mortuaires, à la Chancellerie, cités par M. Théophile Heyer, dans son excellent mémoire : Une inscription relative à J.-J. Rousseau, Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie, IX, 409.
  7. Jean Girard, notaire, 3 août 1712.
  8. Confessions, livre 1er.
  9. Jean Girard, not. contrat de mariage, 28 avril 1701.
  10. À 75 ans et non à près de cent ans, comme le dit Bernardin de Saint-Pierre, qui confond évidemment avec son père.
  11. Chancellerie et cont. de mar. Jn Girard, not. 13 mai.
  12. Chancellerie, et cont. de mar. 3 juin, Marc Fornet, notaire.
  13. Chancellerie, contrat de mariage, Louis (2e du nom) Pasteur, notaire, 25 Juillet.
  14. Chancellerie, 7 octobre 1731, et contrat de mariage, 27 septembre, J.-J. Choisy, notaire.
  15. Chancellerie, et contrat de mariage, Marc Fornet, notaire, 8 août.
  16. Il épousa Jeanne-Louise Le Clerc, de la ville de Rolle.
  17. Confessions, livre 1er.
  18. Jean Fornet, notaire, 21 octobre.
  19. Jean-Louis Delorme, 31 juillet.
  20. Baptisé, 5 janvier 1712.
  21. Confessions, livre 1er.
  22. Confessions, livre 1er.
  23. a et b Confessions, livre 1er.
  24. Acte du notaire J.-A. Comparet, 6 décembre 1694, déjà noté par Th. Heyer.
  25. L’un d’eux, David Noiret, avait été admis à la bourgeoisie.
  26. Confessions, livre 1er.
  27. Mémoire de Th. Heyer, et contrat de mariage, Jean Girard, notaire, 28 avril 1701.
  28. Confessions, livre 1er.
  29. Pierre Vignier, V, 63, 67, 68, 69 ; VI, 63, 80, 128, 136, etc.
  30. Bulletin du protestantisme français, X, XI.
  31. Jean-Jaques cite particulièrement dans le nombre M. de la Cloture, résident de France à Genève ; mais il a été démontré que ce dernier n’était pas à ce poste pendant l’absence d’Isaac. Jean-Jaques commet donc une bien étrange erreur.
  32. Confessions, livre 1er.
  33. Œuvres publiées par L.-Aimé-Martin.
  34. M. Eugène Ritter, qui met en ce moment sous presse, après les avoir lues à la Société d’histoire et d’archéologie, ses intéressantes recherches sur Rousseau, sous le titre : La famille de Jean-Jaques.
  35. Il avait renoncé à ce métier au moins depuis dix-huit ans, car il est appelé maître horloger à son contrat de mariage. Dans l’acte qui donne le récit de cette dispute, son prénom reste en blanc. Rappelons aussi que Jean-Jaques fut inscrit par erreur, à sa naissance, comme fils de David.
  36. Mémoire de Théophile Heyer.
  37. Confessions livre 1er.
  38. Confessions, livre 2me.
  39. J.-A. Rilliet, notaire, 30 mars 1728, acte publié dans M. D. G. tome XV, page 151, par M. Th. Dufour.
  40. Lettre à son père, édition Musset-Pathay.
  41. Marc Fomet, notaire, 8 août 1730.
  42. Confessions, livre II. Isaac était avec un ami, homme de plaisir aussi.
  43. Confessions, introduction.
  44. Il est curieux de constater que ce fut pendant cet apprentissage qu’eut lieu le mariage d’Abel Ducommun, « ce jeune homme rustre et violent. » Il épousa Jeanne Marthe, fille de Sr Mathieu Vieux, habitant, et de Madeleine Viridet (contrat de mariage, Louis Pasteur, 9 novembre 1726).
  45. Lettre à d’Alembert : « Mon père en m’embrassant, fut saisi d’un tressaillement que je crois sentir et partager encore : Jean-Jaques, me disait-il, aime ton pays. Vois-tu ces bons Genevois, ils sont tous amis, ils sont tous frères, la joie et la concorde règnent au milieu d’eux. Tu es Genevois, tu verras un jour d’autres peuples, mais quand tu voyagerais autant que ton père, tu ne trouveras jamais leurs pareils. »
  46. Dan. Grosjean, notaire, 27 mai 1701.
  47. Ce pasteur, quoique très-assidu aux séances de la Compagnie des Pasteurs, n’y joue aucun rôle. Toutefois, en 1695, il fut l’objet de plaintes très-vives de la part de ses paroissiens du Petit-Saconnex. Il résulta des informations prises qu’il était avant tout un homme de cabinet, frayant peu avec les paysans, ce qui lui faisait négliger les affaires de sa paroisse qu’il transmettait volontiers au maître d’école et aux anciens.
  48. Confessions, livre 1er.
  49. Confessions, livre 1er. Je passe sous silence un accident, rapporté par M. Eugène Ritter, et qui, survenu en 1699, précipita le mariage de Gabriel avec Théodora Rousseau. Comme Gabriel avait 22 ans, et Théodora 17 ans, on peut considérer ce malheur comme un péché de jeunesse. La malheureuse femme expia assez durement sa faute par les soucis que lui causa son mari.
  50. Fr. Joly, notaire, 12 avril.
  51. L’expression cher ou très-cher était de rigueur dans les testaments, mais ici, détail curieux, on avait omis cette mention, et elle a été ajoutée après coup.
  52. Qu’est-ce que ce Gabriel Rousseau ? ce ne peut être le cousin de Jean-Jaques, car il naquit en 1715. Peut-être est-ce un lapsus pennœ pour Gabriel Bernard.
  53. Daniel Grosjean, notaire.
  54. Jean-François Goy, notaire, 21 janvier.
  55. Théodora put tenir ses engagements, car, en 1744, elle possédait encore sa maison de Plainpalais (M. Duby, notaire, f° 73.)
  56. Confessions, livre 2me.
  57. M. E. Masseron, notaire, 21 mars.
  58. Mme Bernard avait 80 ans ; son grand âge est sans doute la cause d’un peu d’exagération dans ce chiffre de 24 années, car si son fils était parti en 1727, il n’aurait pu faire ses adieux à Jean-Jaques ; ce dernier, à son tour, ne peut avoir inventé ce détail important de l’histoire de sa fuite.
  59. Confessions, livre V.
  60. Confessions, liv. V.
  61. M. Duby, notaire.
  62. M. Duby, notaire.
  63. Confessions, livre 1er.
  64. Confessions livre 1er.
  65. Elle vécut âgée et dans la misère. Jean-Jaques lui fit une pension.
  66. Confessions, livre 1er. Il fait le tableau de la vie heureuse qui eût été son lot dans sa patrie, s’il y était resté.
  67. Il s’agit du 28e numéro des Annales politiques, civiles et littéraires du terrible Linguet, revue à laquelle Mallet collaborait.
  68. Le jugement de Linguet.
  69. Voltaire fit imprimer un libelle contre Jean-Jaques, en le faisant attribuer à Vernes. Jean-Jaques, très-irrité, ne ménagea pas à ce dernier les termes de son indignation, et ne fit jamais qu’une demi-rétractation, malgré les preuves qu’il avait eues de l’innocence de son ancien ami.
  70. Apparemment d’Abauzit.
  71. Mme Simonde-Sartoris, mère de Sismondi.
  72. Il s’agit sans doute de l’ouvrage intitulé : Discours sur cette question : Quelle est la vertu la plus nécessaire aux héros ? dont Musset-Pathay place la composition dans l’année 1751.