Recherches de chimie organique

Lu à l’Académie des Sciences, les 16 et 31 décembre 1833.




L’acide chloroxycarbonique, qui peut tout aussi bien être considéré comme un chlorure d’oxyde de carbone, offre une composition si simple et si remarquable que, s’il réalisait toutes les réactions que l’on a droit d’en espérer, on parviendrait à reproduire, à son aide, les combinaisons les plus curieuses de la chimie organique. Il est inutile d’exposer ici des prévisions qui sont peut-être fort éloignées de la vérité, bien qu’elles offrent assez de vraisemblance pour m’engager à poursuivre les recherches dont je donne ici les premiers résultats.

Nous avons admis, dans le temps, M. P. Boullay et moi, que le sucre anhydre pouvait être regardé comme un véritable éther, l’éther carbonique. À cette époque, l’isomérie et les conséquences qui en sont résultées n’existaient pas encore dans la science. Depuis que cette belle découverte a été bien constatée, on a pu se demander si le sucre, au lieu d’être l’éther carbonique lui-même, n’est pas plutôt un simple état isomérique de ce corps.

J’ai soumis le sucre à diverses épreuves, dans le but de résoudre cette question, et comme elles ont toutes donné des résultats négatifs ou incertains, ces essais m’ont laissé dans le doute à cet égard. J’ai cherché alors à mettre en usage des moyens qui fussent propres à produire l’éther carbonique lui-même. J’espérais ainsi parvenir à une solution positive quelconque, car l’éther formé devait avoir des caractères spéciaux, ou bien présenter ceux du sucre lui-même, et, dans les deux cas, la question se trouvait résolue.

Parmi divers moyens qui se présentaient à mon esprit, le plus direct et le plus sûr consistait à soumettre l’alcool à l’action du chlorure d’oxyde de carbone. En effet, si le chlorure, en décomposant la moitié de l’eau qu’on suppose dans l’alcool, se convertissait en acide hydrochlorique, les éléments restants se trouvaient en rapport exact pour constituer un éther carbonique contenant, à la vérité, moitié moins d’acide carbonique que n’en renfermerait le sucre, mais dont les caractères auraient donné lieu à de curieux rapprochements.

M. John Davy, à qui l’on doit la découverte du chlorure d’oxyde de carbone, dit que ce gaz se dissout dans l’alcool, sans mentionner aucune réaction de sa part. Sans me laisser préoccuper par ce résultat, j’ai voulu étudier par moi-même les rapports de ces deux corps.

Éther oxychlorocarbonigue. J’ai préparé quinze litres de gaz chloroxycarbonique, et j’ai fait passer trente grammes d’alcool absolu dans le ballon qui le renfermait. Presque à l’instant, l’alcool s’est échauffé fortement, en prenant une couleur ambrée. J’ai agité le ballon, et quand la réaction m’a paru terminée, j’ai laissé rentrer de l’air pour remplacer le gaz qui avait disparu. Au bout d’un quart d’heure, j’ai extrait la liqueur du ballon, et j’y ai ajouté à peu près son volume d’eau distillée. À l’instant, il s’est formé deux couches : l’une pesante, d’aspect huileux, offrant toute l’apparence de l’éther oxalique ; l’autre, plus légère, aqueuse et fortement chargée d’acide hydrochlorique libre.

Le liquide huileux, soutiré avec une pipette, et rectifié sur du chlorure de calcium et de la litharge au bain-marie, m’a offert tous les caractères d’un véritable éther, en sorte que ma prévision semblait réalisée. Mais cet éther renfermait évidemment du chlore ; il brûlait avec une flamme verte, et précipitait, après sa combustion, le nitrate d’argent avec une grande intensité. Ainsi le chlore, quoique converti en partie en acide hydrochlorique, avait passé en partie aussi dans le nouveau composé.

Une analyse exacte et complète de ce nouveau corps devenait nécessaire pour en fixer la nature, qui jusque-là se montrait tout à fait problématique. On l’a faite par les moyens ordinaires, en prenant soin d’opérer sur des produits préparés séparément.

Voici les résultats de ces diverses analyses, qui n’ont offert, du reste, aucune difficulté particulière :

I. 0,469 matière ont donné 0,584 acide carbonique et 0,216 eau.

II. 0,576 d’un autre éther ont donné 0,717 de chlorure d’argent fondu. L’éther avait été décomposé par la chaux incandescente. Dans cette expérience, la chaux reste presque blanche ; le dépôt de charbon suffit à peine pour en teindre quelques fragments en gris. D’ailleurs, il se dégage un gaz inflammable en abondance. On a dissous la chaux dans de l’eau acidulée par l’acide nitrique, et précipité par le nitrate d’argent. 0,386 matière ont fourni 0,478 acide carbonique et 0,176 eau.

III. 0,533 d’un troisième éther préparé avec soin et purifié par la rectification sur la chaux vive, au bain-marie, ont donné 0,231 eau, et 0,667 acide carbonique.

Ramenées en centièmes, ces expériences donnent :

I. II. III.
Carbone 
34,4 34,2 34,2
Hydrogène 
5,1 5,0 4,8
Chlore 
» 30,7 »
Oxygène 
» 30,1 »

Ces résultats s’accordent avec la formule suivante :

Ch2 
442,6 32,4
O4 
400,0 29,4
C12 
459,1 33,6
H10 
62,5 4,6
_____ _____
1364,2 100,0

On ne saurait hésiter à traduire cette formule sous la forme suivante : C4O3Ch2 + C8H8 + H2O ; ce qui en fait un véritable éther composé, d’un type nouveau et fort remarquable.

En effet dans cet éther, l’acide n’est ni de l’acide carbonique, ni de l’acide chloroxycarbonique, mais un acide intermédiaire entre eux. Dans l’acide chloroxycarbonique, la moitié de l’oxygène que renferme l’acide carbonique est remplacée par du chlore ; dans celui-ci, c’est le quart de l’oxygène seulement qui est remplacé par du chlore.

Ainsi, la prévision qui m’a conduit à tenter cette expérience ne s’est réalisée qu’à moitié. De nouveaux moyens me permettront peut-être de rendre complète une réaction qui marche déjà si bien dans le sens indiqué par la théorie.

Quoi qu’il en soit, ce nouvel éther renferme un nouvel acide qui mérite aussi le nom de chloroxycarbonique ; car il contient aussi le chlore, le carbone et l’oxygène, en de telles proportions que si le chlore était remplacé par de l’oxygène, on produirait de l’acide carbonique. On ne sait trop comment désigner un corps de cette forme, en lui donnant un nom significatif. En s’arrêtant aux rapports de composition les plus immédiats, on pourrait dire chlorure d’oxyde de carbone pour le gaz de Davy, et chlorure d’acide oxalique pour ce nouveau corps ; mais ces noms se prêtent mal à la formation de noms composés, et expriment une idée qui est probablement peu fondée. Je ne puis voir dans ces deux corps que de l’acide carbonique dans lequel l’oxygène se trouve remplacé tantôt à moitié, tantôt au quart seulement, par du chlore en quantité équivalente. Ainsi, les expressions acide chloroxycarbonique et acide oxychlorocarbonique peuvent donner une image fidèle de ces combinaisons, en exprimant la prédominance du chlore ou de l’oxygène, par l’ordre selon lequel on les nomme.

Quoi qu’il en soit, rien n’est plus simple que la réaction qui produit le nouvel éther. Quatre volumes d’acide chloroxycarbonique réagissent sur quatre volumes d’alcool, décomposent la moitié de l’eau qu’il renferme, produisent quatre volumes d’acide hydrochlorique, et en même temps le nouvel éther. On suit facilement cette réaction dans la formule suivante :


Ch4C4O2 + H12C8O2 = Ch2H2 + Ch2C4O2, H3C8, H2O.


Cet éther est très-fluide, incolore, sans action sur le tournesol ; il bout à 94° c. sous la pression de 0,773 ; sa densité est égale à 1,133 à la température de 15° c. ; il brûle avec une flamme verte ; son odeur est assez agréable, quand on respire de l’air qui en renferme peu ; mais si la vapeur est pure, elle est suffocante et provoque le larmoiement au plus haut degré.

La densité de sa vapeur a été prise par le moyen que j’ai fait connaître, et s’est trouvée égale à 3,82. Voici les données de l’expérience :

Excès de poids du ballon plein de vapeur sur le ballon plein d’air 
0gr.,267
Température de l’air 
14° c
Baromètre 
0m,773
Température de la vapeur 
133° c.
Cap. du ballon 
160cm. c.
Air restant avec la vapeur 
21cm. c.
Température de cet air mesuré sur l’eau 
10cc.
Poids du litre de vapeur 
4gr.,967
Densité de la vapeur 
3,823
En partant de l’analyse précédente, on devrait avoir pour cette densité :
C12 5,059
H10 0,688
O4 4,410
Ch2 4,880
————
15,037
———— = 3,759.
4

Ce qui s’accorde à la fois avec l’expérience et avec le mode de division de la molécule des autres éthers, quand elle se convertit en vapeur.

Mis en contact avec de l’eau chaude, il la rend fortement acide, en produisant sans doute une réaction analogue à celle des autres éthers composés, mais que je me propose d’étudier à fond.

L’acide sulfurique concentré le dissout. La liqueur dégage bientôt d’abondantes vapeurs d’acide hydrochlorique, surtout à l’aide d’une légère chaleur. Quand on continue à chauffer, l’acide noircit et fournit un gaz inflammable.

Comme le gaz chloroxycarbonique et l’éther qu’il forme me paraissent dignes d’attention, je donnerai ici quelques renseignements qui rendront leur préparation plus facile.

J’ai constaté d’abord un point essentiel c’est que la lumière solaire n’est point indispensable, et qu’en vingt-quatre heures les ballons remplis de mélange à volumes égaux de chlore et d’oxyde de carbone se décolorent parfaitement à la lumière diffuse, avec production d’acide chloroxycarbonique. On pouvait le présumer, en voyant que l’action directe des rayons solaires est si rapide qu’en dix minutes la combinaison s’effectue dans les ballons les plus volumineux.

J’ai cherché ensuite à rendre les ballons plus faciles à dessécher, tout en évitant les mastics résineux, qui cèdent à l’alcool des matières dont on se débarrasse plus ou moins difficilement dans des recherches de cette nature. J’ai réussi au delà de mes désirs par l’emploi du caoutchouc. Je prends un ballon quelconque bien sec et un robinet auquel est lié fortement le col d’une bouteille de caoutchouc dont la panse est ouverte de manière à recevoir le col du ballon, sur lequel on la serre avec force. Au moyen d’une rondelle en plomb qui s’applique sur le goulot du ballon, et qui laisse passer le bout du robinet, on maintient le caoutchouc, et on l’empêche de se déformer sous la pression atmosphérique, quand on fait le vide dans le ballon.

Rien de plus facile alors que de monter et de démonter la garniture pour nettoyer et dessécher les vases. On est d’ailleurs à l’abri de l’influence du mastic, soit comme matière résineuse, soit comme réceptacle d’humidité. On sait en effet que le mastic, rendu poreux par les agents qui l’attaquent, conserve son humidité, de manière à rendre longue et pénible la dessiccation des ballons.

On peut donc se procurer sans difficulté, en vingt-quatre heures et par un temps quelconque, telle quantité qu’on voudra de gaz chloroxycarbonique ; ce qui rend facile la préparation du nouvel éther, ainsi que celle de ses dérivés.

Uréthane. Le nouvel éther, mis en contact avec de l’ammoniaque liquide et concentrée, exerce sur cette substance une réaction tellement forte, que le mélange entre en ébullition, et produit quelquefois même une sorte d’explosion. Si l’ammoniaque est en excès tout l’éther disparraît. Il se forme de l’hydrochlorate d’ammoniaque et une substance nouvelle, douée de propriétés intéressantes.

Pour l’obtenir, on fait évaporer dans le vide le produit de la réaction jusqu’à parfaite dessiccation. On le met dans une cornue bien sèche, et on distille dans un bain d’huile chauffée. La nouvelle matière passe à la distillation sous la forme d’un liquide incolore qui se fige en une masse feuilletée et nacrée, comme le blanc de baleine. Si la dissolution de cette matière trouble les sels d’argent, on procède à une nouvelle distillation, en ménageant la température, et l’on obtient alors un produit pur.

Cette substance nouvelle est blanche, fusible au-dessous de 100°, volatile et capable de distiller sans altération vers 180°, quand elle est sèche ; mais si elle est humide, la distillation en décompose une partie, en produisant des torrents de gaz ammoniac. Elle est très-soluble dans l’eau, soit à froid, soit à chaud ; elle ne trouble nullement les sels d’argent ; sa dissolution est neutre. Elle se dissout très-bien dans l’alcool, même anhydre.

La disposition à cristalliser de cette matière est si grande, que quelques gouttes de dissolution abandonnées à l’évaporation spontanée forment toujours de grands cristaux minces et parfaitement transparents. Leur volume et leur netteté sont tels, que je ne connais aucune substance qui offre une pareille disposition à cristalliser. Ces cristaux m’ont paru anhydres. Ils se reproduisent également bien dans les dissolutions aqueuses et dans les dissolutions alcooliques, ainsi que dans la matière fondue et soumise à un refroidissement même assez prompt.

L’analyse de ce nouveau produit a fourni des résultats nets et curieux.

I. 0,491 matière purifiée par cristallisation ont donné 0,698 acide carbonique et 0,351 eau.

0,100 idem ont donné 13,5cm.c. de gaz azote humide à 12°, et 0,763.

II. 0,494 de la même matière ont donné 0,705 d’acide carbonique, et 0,352 d’eau.

0,200 idem ont donné 27cm.c. d’azote à 13°, et 0,754, le gaz étant humide.

Ces analyses donnaient :

I. II.
Carbone 
39,3 39,5
Hydrogène 
7,9 7,9
Azote 
16,0 15,9

Quand on les fit, on pensait que la matière pouvait contenir du chlore, en sorte qu’on l’avait soumise à l’analyse, quoiqu’elle troublât les sels d’argent. Mais cherchant à déterminer le chlore qu’elle était supposée contenir, on n’en trouva que des traces, indiquant seulement la présence de quelques centièmes de sel ammoniac dans le produit soumis à l’analyse.

On s’attacha donc à obtenir une substance sans action sur les sels d’argent, et on y parvint par des sublimations répétées, ainsi qu’on l’a exposé plus haut.

0,497 matière sublimée ont donné 0,727 d’acide carbonique, et 0,358 d’eau.

0,305 de la même substance ont fourni 39cm.c. d’azote humide à 11, et 0,772.

Ces résultats donnent :

Carbone 
40,5
Hydrogène 
7,9
Azote 
15,6
Oxygène 
36,0
———
100,0

Réunis aux précédents, ces résultats conduisent à la formule suivante :

C6 
229,56 40,8
Az 
88,50 15,7
H7 
43,75 7,7
O2 
200,00 35,8
———— ———
561,81 100,0

Cette formule peut se représenter par C4O4, H8C8, Az2H6, c’est-à-dire, un carbonate double et anhydre d’hydrogène carboné et d’ammoniaque.

Elle peut aussi se représenter par du lactate d’ammoniaque sec. Cette ressemblance exacte a dû m’engager à comparer ensemble les deux produits. Mais, par un contraste très-bizarre, tandis que la nouvelle matière cristallise avec tant de facilité et de promptitude, le lactate d’ammoniaque se refuse obstinément à toute cristallisation, quoiqu’on le place dans le vide pendant plusieurs jours à côté d’une capsule remplie d’acide sulfurique concentré. Ce sel reste constamment sirupeux dans cette circonstance. Du reste, la nouvelle matière qui nous occupe, n’offre aucune des réactions du lactate d’ammoniaque et des lactates en général.

Elle peut enfin se représenter encore par de l’éther carbonique et de l’urée, unis atome à atome.


C2O2, H8C8, H2O + C2O, Az2H4.


Cette dernière formule, à laquelle j’ai fait allusion en désignant ce produit sous le nom d’uréthane, se rapporte, comme on le va voir, à une autre substance qui résulte de l’action du gaz ammoniac sur l’éther oxalique.

La densité de la vapeur de l’uréthane, tout en confirmant son analyse, ne jette pourtant aucune lumière sur les deux points de vue qu’on vient d’énoncer, quant à sa composition rationnelle. Voici les nombres obtenus :

Température de la vapeur 
198°
Excès du poids du ballon plein de vapeur sur le ballon plein d’air 
0gr.,178
Capacité du ballon 
191cm. c.
Air restant à 13° 
17,cm. c.6
Baromètre 
0m,770
Température de l’air 
16°
Poids du litre 
4gr.,08
Densité de la vapeur 
3,14
La densité calculée donnerait, à son tour :
C12 
5,0592
Az2 
1,9534
H14 
0,9632
O4 
4,4104
————
12,3862
———— = 3,096
4

Cette formule et ce mode de division s’appliquent également au carbonate d’hydrogène carboné et d’ammoniaque, et au composé d’urée et d’éther carbonique.

Éther oxalique. Dans le mémoire sur les éthers composés que nous avons publié, il y a quelques années, M. P. Boullay et moi, il est question de quelques propriétés de l’éther oxalique qui exigeaient de nouvelles études. Sous l’influence de l’ammoniaque, cet éther fournit en effet une combinaison singulière, dont l’existence déciderait le point de vue sous lequel on convient de présenter la théorie des éthers. Tous les chimistes qui se sont essayés sur cette théorie ont dû faire abstraction de ce composé, car il ne se prêtait à aucune autre manière de voir que celle qui est professée dans notre mémoire.

En effet, par l’analyse des combinaisons éthérées ou sulfoviniques ordinaires, on demeure dans le doute sur le point essentiel de la théorie, et l’on ne peut en rien résoudre le problème qui divise les chimistes. Celui-ci se réduit à savoir si c’est l’éther sulfurique ou l’hydrogène carboné qui joue le rôle de base dans ces composés.

Dans mon opinion, les divers carbures d’hydrogène connus, ou au moins beaucoup d’entre eux, peuvent jouer tantôt le rôle de base, à la manière de l’ammoniaque, tantôt le rôle de radicaux oxydables, à la manière des métaux. C’est dans la première série que j’ai classé les éthers et les camphres artificiels, ainsi que les combinaisons naphtaliques. C’est dans la seconde que les huiles essentielles oxydées m’ont paru devoir être rangées. Je n’admets pas jusqu’à présent de radicaux oxydés ternaires. Il est possible qu’il en existe ; mais les expériences de MM. Vöhler et Liebig sur le corps qu’ils appellent radical benzoïque peuvent recevoir des interprétations tout autres que celle à laquelle ils se sont arrêtés. Je regarde ce radical comme un oxyde d’hydrogène carboné, analogue à l’oxyde de carbone.

Au point où en est la chimie organique, la dissidence qui existe entre les opinions des divers chimistes est un bien, en ce qu’elle suscite sans cesse de nouvelles recherches, et qu’elle hâte les progrès de la science. C’est aux objections que la théorie des éthers a éprouvées de la part d’un grand nombre de chimistes que sont dues les recherches que renferme cet écrit.

L’éther oxalique m’ayant paru le plus propre à fournir des faits capables de trancher la difficulté qui nous arrête, par la facilité et la netteté de ses réactions, j’ai pris le parti de l’examiner de nouveau, comme si rien n’eût été publié à son égard. J’en ai préparé en conséquence une assez grande quantité par le procédé déjà indiqué dans notre ancien mémoire.

L’analyse de ce produit, faite par les méthodes maintenant en usage, m’a donné des résultats exactement semblables à ceux que nous avons déjà fait connaître.

0,971 d’éther oxalique pur ont donné 1,735 d’acide carbonique, et 0,605 d’eau ; ce qui conduit à la composition suivante :

Carbone 
49,4
Hydrogène 
6,8
Oxygène 
43,8
———
100,0

Calculée d’après la formule qui résulte de nos anciennes expériences C4O3, H8C8, H2O, cette composition serait :

C12 
459,3 49,7
H10 
62,5 6,5
O2 
400,0 43,8
——— ———
921,8 100,0

Je voulus alors examiner la combinaison qui résulte de l’action de l’ammoniaque sur l’éther oxalique, et je crus, comme l’ont avancé quelques chimistes, qu’il était indifférent de traiter l’éther oxalique par l’ammoniaque gazeuse, comme nous l’avons fait, ou bien par l’ammoniaque liquide, ainsi qu’on l’avait pratiqué en Allemagne depuis longtemps.

Je traitai en conséquence l’éther oxalique par l’ammoniaque liquide. Il se forma un dépôt, en poudre fine et légère, qui fut soumis à l’analyse.

Celle-ci donna des résultats inattendus.

0,400 de matière séchée à l’air ont fourni 0,390 d’acide carbonique, et 0,164 d’eau.

0,516 idem ont donné 138cm.c. d’azote humide à 12°, et 0,755.

Ces résultats conduisent aux nombres suivants :

Carbone 
26,9
Hydrogène 
4,5
Azote 
31,9
Oxygène 
36,7
———
100,0

Le résultat de cette analyse était si extraordinaire, la matière décrite par nous, et que je croyais avoir reproduite, ne devant renfermer que 12 pour 100 d’azote, qu’il me parut nécessaire de reprendre la préparation de la substance avec de nouveaux soins, avant de rien décider.

Sur ces entrefaites, mon collègue à l’École polytechnique, M. Pelouze, reçut une lettre de M. Liebig, dans laquelle cet habile chimiste lui annonce qu’en traitant l’éther oxalique par l’ammoniaque, on obtient de l’oxamide. En revoyant l’analyse énoncée ci-dessus, il se trouve en effet que la substance que j’avais obtenue et examinée n’était autre chose que de l’oxamide, quant à la composition.

Il est facile de se rendre compte de la formation de l’oxamide en pareil cas, car l’éther oxalique et l’ammoniaque peuvent se convertir mutuellement en alcool et en oxamide.

En effet, l’on voit, en comparant les formules ci-dessous, comment peut agir l’ammoniaque, en admettant la production de l’oxamide :


C4O3, C8H8, H2O + Az2, H6 =
C4O2, Az2H4 + C8H8, H4O2.

C’est-à-dire qu’en agissant sur un atome d’éther oxalique, un atome d’ammoniaque produit un atome d’alcool et un atome d’oxamide.

Cette réaction si simple rendait indispensable un nouvel examen de l’action de l’ammoniaque sèche qui nous avait occupés jadis. En effet, tandis qu’en formant de l’oxamide, l’éther oxalique produit 62 pour 100 d’alcool, nos anciennes épreuves ne nous en ont fourni que 3L, c’est-à-dire, moitié moins. Comme une erreur de cet ordre n’est pas admissible, et que d’ailleurs la matière que nous avions obtenue ne possédait pas l’apparence ni les caractères de l’oxamide, il me parut évident que M. Berzelius avait à tord supposé que l’action de l’ammoniaque dissoute et celle de l’ammoniaque sèche sont de la même nature. L’expérience m’a prouvé que ces deux matières diffèrent, en effet, à tous égards.

Oxaméthane. Je fis passer de l’ammoniaque sèche dans de l’éther oxalique pur et pesé. La matière étant solidifiée, on l’échauffa et l’on continua quelque temps encore le courant d’ammoniaque sèche. En pesant le résidu de l’expérience, j’ai trouvé que 100 d’éther donnent 76 ou 77 de produit solide, tandis que 100 d’éther n’auraient dû donner que 60 d’oxamide.

Le produit solide fut soumis à l’analyse et fournit excatement les résultats que nous avions déduits de diverses expériences très-exactes, mais indirectes, dans notre ancien mémoire. En sorte qu’il a pour formule C4O3, C4H4, AzH3, c’est-à-dire, un double oxalate neutre et anhydre d’hydrogène carboné et d’ammoniaque.

Les détails de l’analyse ne peuvent laisser le moindre doute à cet égard. La matière avait été obtenue en dirigeant un courant d’ammoniaque sèche sur de l’éther oxalique renfermé dans une petite cornue tubulée, et retirant le produit dès que le tout fut solidifié. La substance solide, bien exprimée entre des doubles de papier joseph, se présentait en lamelles nacrées d’un aspect gras, comme nous l’observons dans notre ancien mémoire. Elle diffère totalement de l’oxamide sous ce rapport. Elle était, du reste, parfaitement sèche quand on l’a analysée.

0,500 ont fourni 0,722 acide et 0,267 eau.

0,300 idem ont donné 32cm.c. azote à 10°, et 0,76, le gaz étant saturé d’humidité.

Ces données conduisent aux nombres ci-dessous :

Carbone 
39,95
Hydrogène 
5,92
Azote 
12,88
Oxygène 
41,25
———
100,0

La formule C4O3, H4C4, AzH3, donnerait à son tour :

C8 
306,2 41,4
H7 
43,7 5,9
Az 
88,5 11,9
O3 
300,0 40,8
——— ———
738,4 100,0
Quoique légères, les différences qu’on observe entre l’analyse et le calcul indiquent la présence d’un peu d’oxamide dans le produit analysé. Cette erreur provient de ce qu’on avait traité seulement 7 ou 8 grammes d’éther par l’ammoniaque sèche, tandis que, dans nos anciennes expériences, nous avions opéré sur 25 grammes. On conçoit que si l’action prolongée de l’ammoniaque peut produire de l’oxamide, il est bien plus difficile de se garantir de cette cause d’erreur sur de petites quantités d’éther qu’avec des masses plus considérables.

J’ai donc refait l’expérience plus en grand, en opérant sur trente grammes, et en ayant soin de rejeter les portions de matière qui, placées à la surface du produit, avaient dû recevoir plus complètement l’action du gaz ammoniac.

Enfin, j’ai dissous la matière dans la plus petite quantité possible d’alcool bouillant, j’ai filtré et j’ai laissé cristalliser par refroidissement. Quelque peu d’oxamide se sépara encore par ce traitement, et j’obtins l’oxaméthane en belles lames, qui furent égouttées, séchées à l’air, et qui prirent un éclat nacré et comme soyeux.

0,600 d’oxaméthane purifiés par l’alcool ont donné 0,750 d’acide carbonique, et 0,273 eau ;

0,500 idem ont donné 49cm.c. d’azote humide à 13°, et 0,769 ; d’où l’on tire :

Carbone 
41,50
Hydrogène 
6,06
Azote 
11,81
Oxygène 
40,63
———
100,0
L’accord de cette analyse avec le calcul justifie complètement nos anciennes expériences, et montre que l’oxaméthane est un corps bien distinct, digne d’une étude approfondie.

L’oxaméthane est fusible au-dessous de 100°, mais elle ne volatilise qu’au-dessus de 220°. La matière sublimée cristallise en belles lames rayonnantes. L’alcool la dissout sans l’altérer. Il n’en est pas de même de l’eau bouillante. Celle-ci devient fortement acide, et je présume qu’il se forme de l’alcool et du bi-oxalate d’ammoniaque.

L’oxaméthane diffère donc à tout égard de l’oxamide, et se rapproche beaucoup, au contraire, de l’uréthane.

Oxamide. Ce fait bien établi, je traitai le même éther par l’ammoniaque liquide en excès, et j’obtins alors de l’oxamide parfaitement pure. En effet, de l’ammoniaque liquide, versée en grand excès sur l’éther oxalique, le trouble sur-le-champ. En divisant l’éther par l’agitation, on voit bientôt les gouttelettes qu’il forme se concréter en masses blanches, qui conservent leur forme sphérique. Au bout de quelques heures, le produit fut jeté sur un filtre et lavé à l’eau distillée chaude. Ce produit donna à l’analyse les résultats suivants :

0,377 matière donnent 0,384 acide carbonique et 0,168 eau.

0,200 idem donnent 52cm.c. à 9°, et 0,758. Ramenés en centièmes, ces résultats indiquent :

Carbone 
28,1
Hydrogène 
4,8
Azote 
31,3
Oxygène 
35,8
———
100,0
L’oxamide présente une composition identique, et renferme en effet :
C4 
153 27,6
H4 
25 4,5
Az2 
177 31,8
O2 
200 36,1
—— ———
555 100,0

On peut donc conclure de ces faits parfaitement certains, que l’ammoniaque forme d’abord un oxalate double d’hydrogène carboné et d’ammoniaque, en perdant la moitié de son hydrogène carboné et toute son eau à l’état d’alcool, ainsi que nous l’avions annoncé.

L’autre moitié de l’hydrogène carboné ne peut former d’alcool qu’en absorbant de l’eau, de sorte que si on emploie un excès d’ammoniaque, comme l’a fait M. Liebig, l’oxygène de l’acide oxalique et une partie de l’hydrogène de l’ammoniaque forment l’eau nécessaire pour l’alcooliser. Fait remarquable, car cette proportion d’eau si peu prévue a lieu en présence de l’eau toute formée et en grand excès.

L’oxaméthane observée dans le temps par M. Boullay et moi est un produit dont l’existence entraînait forcément la théorie des éthers que nous avons donnée. M. Berzelius a proposé récemment, en parlant de nos analyses, une théorie que nous avions indiquée ; mais il a écarté cette combinaison qui ne pouvait se concilier avec les vues qu’il développe. Comme ce composé présente à l’analyse les proportions exactes que nous lui avions assignées, il faut bien le faire entrer dans la série des corps que la théorie des éthers embrasse. Toutefois, notre ancienne théorie n’est plus la seule qui puisse convenir aux faits connus. En effet, on peut considérer ce singulier produit comme une combinaison d’éther oxalique et d’oxamide, atome à atome. Sa formule se représente exactement de cette manière. En effet,


C8O6, H8C3, Az2H6 = C4O3, H8C8, H2O + C4O2, Az2H4.


En attendant que l’opinion se fixe sur la nature de ce corps, je propose de désigner par les noms d’uréthane et d’oxaméthane les deux matières que je viens d’étudier, et que je regarde comme types d’une nouvelle famille parmi les matières azotées. Ces noms qui, à mes yeux, ne préjugent rien dans la question de l’alcool et des éthers, auront du moins l’avantage de satisfaire les chimistes qui refusent encore à admettre notre théorie.

Un mot fera comprendre le sens véritable de ces formules. Elles se représentent de la manière suivante :

Oxaméthane C403, H8C8, H2O éther oxalique.
C4O2, Az2H4 oxamide.
Uréthane C2O2, H8C8, H2O éther carbonique.
C20, Az2H4. urée.

Il est clair qu’en faisant passer H2O dans le second membre, on a des sels anhydres d’hydrogène carboné et d’ammoniaque.

M. Berzelius trouvera dans ces formules une confirmation du rôle qu’il attribue à l’éther comme base oxydée.

Pour moi, j’y vois une confirmation que j’aurais dû prévoir de la règle établie dans notre ancien mémoire sur la composition des éthers formés par des oxacides. Ces éthers devant toujours contenir de l’eau, l’oxalate anhydre et le carbonate anhydre d’hydrogène carboné n’étaient pas des combinaisons possibles.

On trouvera dans le mémoire suivant la suite des expériences que j’ai entreprises pour éclaircir la nature de l’alcool et des éthers.







RECHERCHES

de

CHIMIE ORGANIQUE,

relatives

À L’ACTION DU CHLORE SUR L’ALCOOL.

LOI DES SUBSTITUTIONS OU MÉTALEPSIE

Par M. J. DUMAS.

Lu à l’Académie des Sciences, le 13 janvier 1835.




Dans un mémoire que j’ai eu l’honneur de communiquer récemment à l’Académie, je suis revenu, ainsi que je l’avais annoncé, sur la question des éthers, et j’ai ajouté quelques arguments à ceux qui nous avaient déterminés autrefois à publier sur ces corps une théorie qui a soulevé tant de discussions, qu’on peut s’étonner qu’elle ait pu résister à des attaques si vives et si répétées.

Je craindrais d’abuser des moments de l’Académie, en lui retraçant l’histoire de ce point de la science, avec les détails circonstanciés qui seraient nécessaires pour rendre à chacun ce qui lui appartient. Je me bornerai donc à préciser ici les idées qui ont apparu successivement.

Par des analyses précises et des comparaisons prochaines et frappantes de vérité, nous avions établi M. Boullay et moi,

1° Que l’hydrogène carboné joue le rôle d’une base ;

2° Que l’alcool et l’éther sont des hydrates de ce corps ;

3° Que l’hydrogène carboné forme avec les hydracides des composés éthérés anhydres ;

4° Que ce même corps, avec les oxacides, forme des composés éthérés renfermant un atome d’eau.

Cette dernière règle a été plus tard étendue aux sulfovinates et aux phosphovinates.

Jusqu’à présent, les lois générales de combinaison que nous avons admises n’ont rencontré qu’une seule exception. C’est celle qu’offre l’éther cyanique ; ce qui résulte évidemment d’une erreur d’analyse qui sera rectifiée.

Les lois que nous venons de rappeler ne nous appartiennent point exclusivement, et déjà MM. Gay-Lussac, Chevreul et Faraday avaient émis des opinions de même nature. Mais toute l’autorité de tels noms, et toute la puissance des faits les plus précis, n’ont pas encore pu gagner l’assentiment général, et la doctrine que nous avons professée est en butte à des attaques journalières.

Les uns veulent encore que dans les combinaisons que nous venons de signaler, les éléments soient unis sans prédisposition quelconque.

M. Berzelius, après avoir repoussé pendant longtemps toute interprétation de ce genre, s’est enfin laissé vaincre par l’évidence des faits, et il désigne aujourd’hui, sous le nom de formules rationnelles, des formules analogues à celles que nous avons proposées. Mais parmi les deux opinions qui s’étaient offertes à notre esprit, et que nous avions comparées dans notre mémoire, il préfère celle que nous avons abandonnée, et rejette celle que nous avons admise.

Il faut croire que les faits exposés dans notre premier travail, quoique d’accord avec notre théorie, n’étaient pourtant pas assez décisifs pour lever toutes les objections. En pareil cas, il faut tirer de la théorie toutes les conséquences qu’elle peut produire, et les soumettre à l’épreuve de l’expérience. C’est ce que j’ai fait, avec la confiance que cette théorie sortirait victorieuse des plus rudes épreuves, et jusqu’à présent mes pressentiments se sont pleinement confirmés.

Dans notre opinion, l’alcool renferme de l’hydrogène à l’état d’eau et de l’hydrogène à l’état d’hydrogène carboné. La conséquence la plus claire des faits que je vais exposer, c’est que l’on peut distinguer ces deux états de l’hydrogène au point d’en rendre la différence palpable et manifeste, même aux yeux des chimistes les plus prévenus. En sorte que, si je ne me suis point abusé, l’on pourra désormais décider sans peine, si un corps organique renferme de l’eau toute formée ou de l’hydrogène différemment combiné.

On verra, du reste, que tous les faits prévus par la théorie se sont réalisés immédiatement, ou bien qu’ils étaient déjà connus comme résultats empiriques, sans liaison entre eux.

L’enchaînement des détails qui suivent est si logique, et l’ordre naturel des idées m’a si bien dirigé, que je crois nécessaire de rapporter mes expériences précisément dans l’ordre selon lequel elles ont été faites.


Chloroforme.

Dans ses dernières années, MM. Soubeiran et Liebgig ont découvert, à peu près en même temps, une combinaison éthérée fort remarquable, qui se produit facilement en distillant de l’alcool avec du chlorure de chaux dissous dans l’eau. Ce composé se retrouve, je pense, dans quelques autres réactions dont la nature m’a porté à soupçonner quelque erreur dans les analyses qui en ont été publiées.

D’après M. Soubeiran, ce serait un composé de chlore, de carbone et d’hydrogène ; ces deux derniers corps s’y trouvant dans les rapports qui constituent l’hydrogène bi-carboné. Mais il paraît que M. Soubeiran ne l’avait pas obtenu dans un état parfait de pureté.

Suivant M. Liebig, ce serait au contraire un simple chlorure de carbone, renfermant 4 atomes de carbone et 5 atomes de chlore. Les soins particuliers que M. Liebig avait mis à purifier la matière soumise à l’analyse m’avaient fait penser que la composition de ce corps était exactement connue. Il en est résulté pour moi de longues difficultés, pour expliquer des phénomènes qui ne pouvaient se concilier avec cette composition. Cependant, les épreuves auxquelles M. Liebig avait soumis cette substance me semblaient tellement précises et décisives, les diverses analyses qu’il en a publiées étaient si concordantes, que je pouvais difficilement supposer une erreur grave de sa part.

Toutefois, si nous avons opéré sur la même substance, il ne me paraît pas douteux que la formule de ce corps ne doive recevoir une modification très-essentielle, ainsi que les expériences suivantes me paraissent l’établir.

Parmi les circonstances qui m’ont paru difficiles à concilier avec la composition admise par M. Liebig, je citerai en particulier la densité de la vapeur de ce corps, qui m’a toujours paru de 4,2 environ. Ce nombre ne peut en rien se concilier avec l’analyse de M. Liebig, et je ne fais pas le moindre doute que si cet habile chimiste l’eût déterminé, il n’eût cherché à faire disparaître quelque cause d’erreur qui lui a échappé, si nous avons opéré sur la même matière ; restriction que je fais de nouveau, car en fait d’analyse organique, cette restriction est nécessaire.

La matière que j’ai étudiée d’abord provenait de l’action du chlorure de chaux liquide sur l’alcool. Je n’ai rien à ajouter aux détails déjà connus sur sa préparation. Séparée de l’eau, par décantation, on l’agitait fortement avec cinq ou six fois son volume d’acide sulfurique concentré. On l’enlevait au moyen d’une pipette, et on la distillait au bain-marie avec un peu d’acide sulfurique pur. On la rectifiait de nouveau sur le chlorure de calcium, et on répétait le traitement par l’acide sulfurique. La matière soumise à l’analyse, mise en contact avec l’acide sulfurique concentré, ne lui communique pas la moindre coloration ; pour se garantir de toute humidité, on a eu soin de mettre dans les flacons qui la contenaient un peu d’acide sulfurique pur, qui se rassemble au fond du flacon et se sépare très-nettement de la matière. À la longue, cependant, il la rendrait acide, en y développant de l’acide hydrochlorique.

Voici les détails d’une expérience qui avait pour objet de déterminer la densité de sa vapeur :

Excès de poids du ballon plein de vapeur sur le ballon plein d’air sec 
1gr.,182
Température de la vapeur 
100°.
Baromètre 
0,756
Température de l’air 
16° c.
Capacité du ballon 
432 cm.cb.
Air restant avec la vapeur 
2 cm.cb.
Poids du litre de vapeur à 0° et 0,76 
5gr.,456
Densité de la vapeur 
4,199

La matière employée, soumise à l’analyse par les procédés et avec les précautions ordinaires, a donné les résultats suivants :

0,991 ont fourni 0,361 d’acide carbonique, et 0,075 d’eau ; d’où l’on tire :

Carbone 
10,08
Hydrogène 
0,84
Chlore 
89,08
———
100,0

Cette analyse différait trop de celle que M. Liebig a publiée, pour qu’on pût s’en contenter. J’ai donc préparé une nouvelle dose de matière, au moyen de l’alcool et du chlorure de chaux, et je l’ai soumise aux mêmes procédés de purification.

0,819 ont fourni 0,308 acide carbonique, et 0,068 d’eau ; ce qui donne en centièmes :

Carbone 
10,40
Hydrogène 
0,92
Chlore 
88,68
———
100,0

Ces deux analyses s’accordaient suffisamment ; mais j’ai voulu néanmoins lever tous les doutes, et j’ai pris le parti de faire l’analyse du même corps, obtenu au moyen de l’esprit pyro-acétique. La préparation s’exécute comme avec l’alcool ; mais, ainsi que l’observe M. Liebig, on en obtient bien davantage.

Le produite purifié par l’acide sulfurique, comme dans le cas précédent, a été soumis ensuite à l’analyse.

0,699 matière ont fourni 0,260 d’acide carbonique, et 0,061 d’eau. Ces résultats donnent en centièmes :

Carbone 
10,29
Hydrogène 
0,97
Chlore 
88,74
———
100,00

Tous ces résultats s’accordent entre eux, et s’accordent fort bien aussi avec les résultats calculés d’après la formule C2HCh3 ; celle-ci donnerait en effet :

C2 
76,52 10,24
6,25 0,83
Ch3 
663,96 88,93
——— ———
746,73 100,0

Ces résultats s’accordent également bien avec ceux qui seraient tirés de la même formule, relativement à la densité de la vapeur. On a, en effet,

C2 
 =
0,8432
 =
0,0688
Ch3 
 =
7,3150
————
8,2270
———— = 4,113.
2
Il me paraît donc certain que la substance que j’ai analysée, substance qui possède tous les caractères que M. Liebig assigne à celle qu’il a soumise à l’analyse, mais que je ne saurais assurer être parfaitement identique avec elle, possède pour formule C4H2Ch6.

Cette analyse assigne à la substance que je viens d’examiner une formule tellement simple et pourtant si caractéristique, qu’une expérience facile pouvait en offrir la complète vérification.

En effet, la formule déjà posée plus haut, C4H2Ch6, correspond à un chlorure d’hydrogène carboné, qui est l’équivalent de l’acide formique anhydre. En conséquence, on a fait bouillir une portion de la substance avec une dissolution de potasse dans un tube fermé, et il s’est produit du chlorure de potassium et du formiate de potasse, bien que la substance n’eût pas été complétement décomposée.

La substance que je viens d’étudier ne possède pourtant pas les caractères d’un acide, et sa constitution rappelle les opinions si importantes émises par M. Dulong sur la nature des acides hydratés, et sur le rôle essentiel que l’eau y joue pour déterminer leur réaction acide. C’est ce qui m’engage à la désigner sous le nom de chloroforme.

Quoi qu’il en soit, le résultat de cette analyse m’a paru assez remarquable pour exiger encore de nouvelles vérifications.


Brômoforme.

On obtient aisément avec le brôme une combinaison analogue à celle que le chlore produit. Pour la préparer, on forme du brômure de chaux, et on le traite par l’alcool ou par l’esprit pyro-acétique, précisément comme si l’on agissait sur le chlorure de chaux. Les phénomènes sont les mêmes, et l’on obtient également une liqueur huileuse pesante.

Celle-ci, agitée avec de l’acide sulfurique, gagne par le repos le fond du vase, car elle est plus lourde que l’acide sulfurique concentré. On la soutire avec une pipette et on la rectifie par distillation. Mise en contact avec du chlorure de calcium fondu, elle abandonne l’eau ou l’alcool qu’elle aurait pu conserver. Le chlorure de calcium fondu surnage, la liqueur étant plus dense que lui ; il faut donc agiter de temps en temps, et prolonger le contact.

Comme cette matière est moins volatile que la précédente, elle est bien plus facile à convertir en brômure de potassium et formiate de potasse, par la simple ébullition avec une dissolution de cet alcali. Aussi, la réaction est-elle si tranchée qu’elle suffirait pour lever tous les doutes sur les résultats de l’analyse précédente.

Néanmoins j’ai voulu la soumettre à l’analyse élémentaire, et j’ai obtenu des résultats qui coïncident avec les précédents.

1,197 de matière ont fourni 0,232 acide carbonique et 0,050 eau.

1,348 de la même ont fourni 0,265 acide carbonique et 0,058 eau.

Ce qui représente en centièmes :

Carbone 
5,37 5,44
Hydrogène 
0,48 0,47
Brôme 
94,15 94,09
——— ———
100,00 100,00
La formule C2HB3, qui dérive de la composition du chloroforme, fournirait les résultats suivants :
C2 
76,52 4,93
6,25 0,40
B3 
1467,45 94,67
——— ———
1550,22 100,0


Iodoforme.

Il existe un corps analogue forme par l’iode, dans des circonstances semblables à celles qui ont été énoncées. On voit que je veux parler de la matière découverte par Sérullas, en traitant une dissolution alcoolique d’iode par une dissolution alcoolique de potasse ou de soude.

Cette substance, préparée par l’alcool, l’iode et la soude, fut lavée avec un grand soin, puis desséchée à l’air pendant quelques jours. Quoique la matière parût sèche, on a voulu en être parfaitement certain ; on l’a donc exposée pendant deux jours dans le vide desséché par l’acide sulfurique concentré. On l’a rapidement pesée, et on l’a soumise à l’analyse par les méthodes ordinaires, en ayant soin d’employer un tube bien sec et de l’oxyde de cuivre chaud, autant que la matière a pu le supporter, c’est-à-dire à 60 ou 70°, pour faire le mélange, et de l’oxyde à 100°, pour remplir le tube. Voici les résultats :

2gr.,000 de matière ont donné 0,232 d’acide carbonique et 0,060 d’eau. Ce qui donne :

Carbone 
3,20
Hydrogène 
0,33
Iode 
96,47
———
100,00
En adoptant la formule établie plus haut, on aurait :
C2 
76,52 3,12
6,25 0,26
I3 
2369,25 96,62
——— ———
2452,02 100,00

Ce composé est donc également en correspondance avec l’acide formique anhydre, ainsi que l’analogie permettait de le prévoir. Sa formule doit se représenter par C4H2I6.

Il n’est peut-être pas inutile de mentionner ici l’un des faits qui m’ont porté à soupçonner l’existence de l’hydrogène dans ce dernier produit. Il y a déjà quelques années, à une époque où l’on ignorait la nature de l’iodoforme, je voulus en essayer l’analyse. Je vis bientôt que ce corps renfermait fort peu d’hydrogène, et je voulus le soumettre à des épreuves décisives à cet égard. Je plaçai donc dans une cloche courbe, à moitié remplie d’azote sec et pur, un gramme d’iodoforme avec du potassium. Je pensais qu’en chauffant, il se formerait de l’iodure de potassium, un dépôt de charbon et de l’hydrogène gazeux que je pourrais mesurer. Je chauffais doucement la cloche, au moyen d’une lampe à alcool, et je voyais déjà le potassium entrer en fusion et la réaction commencer, quand tout à coup le mélange devint incandescent, et avant que je pusse songer à prendre quelque précaution, une explosion violente brisa la cloche en mille éclats qui vinrent s’implanter presque tous dans ma figure. L’un d’eux, long d’un pouce et très-acéré, pénétra dans mon œil droit et se fixa dans la caroncule lacrymale, qui en fut coupée.

Il est possible, à la rigueur, d’expliquer cet événement, en l’attribuant au développement subit de la vapeur d’iode ; mais je pense que l’existence de l’hydrogène dans l’iodoforme le rend bien plus facile à comprendre.

L’iodoforme chauffé avec une dissolution de potasse entre en fusion, et semble se volatiliser en partie pendant l’ébullition. La liqueur saturée par l’acide acétique renferme beaucoup d’iodure de potassium, et quand on la fait bouillir avec du nitrate d’argent, il y a production d’iodure d’argent et dépôt d’argent métallique. Il s’était donc formé de l’iodure de potassium et du formiate de potasse, par l’action de l’iodoforme sur la potasse, comme avec les substances, précédentes.




Les trois composés dont je viens de faire connaître la nature sont donc unis par les liens d’une parfaite ressemblance, et tout me porte à croire qu’on en produira d’analogues avec le soufre, le phosphore, l’arsenic et les autres corps électronégatifs. Je ferai connaître le résultat des essais que je tente dans cette direction.

Pour saisir la théorie qui peut expliquer leur production, il fallait isoler chacune des actions qui interviennent dans le procédé employé pour leur préparation. Car, on a fait usage à la fois de chlore, de brôme ou d’iode, et d’un alcali. J’ai donc été conduit à revoir les faits qui concernent l’action du chlore sur l’alcool, abstraction faite de l’alcali qui avait concouru à produire le chloroforme.

M. Liebig s’est occupé récemment de cette étude, et si je n’ai pas retrouvé exactement les résultats qu’il a publiés, cela tient sans doute à quelque légère différence dans les produits que nous avons examinés. Toutefois, comme les matières que j’ai analysées m’ont offert les caractères qu’il attribue à celles dont il a tracé l’histoire, je me servirai des noms qu’il leur a imposés.


Chloral.

C’est sous ce nom, qui rappelle seulement ceux du chlore et de l’alcool, que M. Liebig désigne le produit qu’on obtient de l’action du chlore sur l’alcool.

Ayant essayé de me procurer cette substance par les moyens indiqués par M. Liebig, j’ai bientôt vu qu’il fallait en revenir à des méthodes plus expéditives. Comme j’ai préparé plus d’une livre de chloral en diverses occasions, je crois que les détails dans lesquels je vais entrer ne seront pas inutiles.

La manière la plus sûre d’obtenir le chloral consiste à soumettre l’alcool absolu à l’action du chlore sec. On se fera facilement une idée des précautions à prendre, quand je dirai que, pour traiter demi-kilogr. d’alcool, il faut au moins douze cents litres de chlore, et qu’il se forme environ quinze cents litres d’acide hydrochlorique gazeux.

Je prépare le chlore au moyen du peroxide de manganèse, du sel marin et de l’acide sulfurique. Le ballon qui sert à le produire ayant quinze ou vingt litres de capacité, peut recevoir de suite les matières nécessaires à la production de la totalité du chlore, de sorte qu’on n’a plus qu’à y ajouter l’acide sulfurique à mesure du besoin.

Le chlore gazeux est reçu dans un premier flacon de Woulf vide, où il se refroidit et laisse déposer une partie de son humidité. Il passe ensuite dans un second flacon qui renferme du chlorure de calcium, puis dans un troisième flacon vide et sec, destiné à recevoir l’alcool, s’il survenait une absorption pendant la durée de l’expérience.

Le chlore arrive enfin dans un ballon qui contient l’alcool, et se dégage au fond de celui-ci. Le ballon porte un tube qui dirige les vapeurs d’acide hydrochlorique dans une bonne cheminée.

On excite vivement le courant de chlore qui d’abord est totalement converti en acide hydrochlorique. Dès que la conversion se ralentit, l’alcool se colore en jaune. Alors on met quelques charbons au-dessous du ballon et bientôt la couleur disparaît. À partir de ce moment, il faut tenir l’alcool tiède, et élever de plus en plus sa température, tout en continuant un courant de chlore rapide, jusqu’à ce que le liquide presque bouillant n’agisse plus sur le chlore qui le traverse.

En douze heures, on peut convertir en chloral deux cents grammes d’alcool. En opérant sur cinq ou six cents grammes, l’expérience n’a jamais exigé trois journées. Il est à croire que M. Liebig a été entravé par l’appareil particulier qu’il a imaginé pour cette préparation, car il lui a fallu douze ou quinze jours pour obtenir le même résultat.

La liqueur qui reste dans le ballon est mêlée avec deux ou trois fois son volume d’acide sulfurique concentré. Le mélange introduit dans une cornue est immédiatement soumis à une distillation ménagée. Dès la première impression du feu, le chloral se rassemble à la surface de l’acide sous la forme d’une huile limpide et très-fluide, qui se volatilise rapidement. Un peu avant que la couche huileuse ait entièrement disparu, on arrête l’opération.

Le produit volatil obtenu est mis dans un ballon avec un thermomètre. On le fait bouillir, jusqu’à ce que son point d’ébullition s’élève à 94 ou 95°. Il est d’abord plus bas mais bientôt il arrive vers ce terme et s’y fixe.

La liqueur restante doit être redistillée avec de l’acide sulfurique concentré, puis soumise de nouveau à l’ébullition.

Enfin, on introduit le produit dans une cornue où l’on a mis un peu de chaux éteinte, puis récemment calcinée au rouge. On distille au bain d’eau saturée de sel marin et l’on a le chloral, que je regarde comme pur ou à bien peu de chose près.

Ces moyens de purification ressemblent à ceux dont M. Liebig a fait usage. Je me bornerai donc à indiquer en quelques mots leur but et leur effet.

L’acide sulfurique est employé pour séparer l’alcool qui aurait échappé à l’action du chlore. Il retient cet alcool ou le transforme en éther sulfurique. Il s’empare d’ailleurs de l’eau qui accompagnait le chloral brut. En faisant bouillir le chloral traité par l’acide sulfurique, on en sépare de l’acide hydrochlorique, de l’éther sulfurique, ou même à la rigueur de l’alcool, s’il en restait. Enfin, en rectifiant le chloral sur la chaux vive, on s’empare de l’acide hydrochlorique restant, et, pourvu que la température soit ménagée, le chloral hydraté reste dans la cornue ; car son point d’ébullition est bien plus élevé que celui du chloral anhydre.

M. Liebig observe avec juste raison qu’il faut éviter l’emploi d’un excès de chaux. En effet, dès que la matière est presque entièrement volatilisée et que la chaux se trouve en présence de la vapeur du chloral, il s’établit une réaction des plus vives, la chaux devient incandescente, et tout le chloral se trouve détruit et remplacé par une huile jaunâtre qui se volatilise et que je n’ai pas étudiée. Il se fait du chlorure de calcium et une matière brune qui reste avec lui dans la cornue.

Quand on a du chloral anhydre, il suffit de le mêler avec son volume d’eau pour obtenir le chloral hydraté. Il se dissout avec chaleur, et la liqueur évaporée dans le vide, ou même à l’air, fournit une belle cristallisation de chloral hydraté.


Chloral anhydre. Tel que je l’ai obtenu le chloral anhydre est un liquide incolore, comme huileux, neutre, sans action sur les sels d’argent, d’une odeur pénétrante particulière. Il est très-caustique, surtout quand la peau se trouve exposée à sa vapeur bouillante.

L’acide nitrique m’a paru sans action sur lui, même à chaud. On peut le faire bouillir dans le chlore gazeux ou l’exposer au soleil dans un flacon rempli de chlore, sans qu’il éprouve d’altération. Il se colore seulement en jaune, dès qu’il a le contact du chlore, en dissolvant un peu de ce gaz.

Quand le chloral a été séparé par la simple action de l’acide sulfurique à froid, puis distillé sur la baryte, il peut contenir jusqu’à 20 ou 21 centièmes de charbon, mais alors la densité de sa vapeur ne s’élève guère au-dessus de 4 ou de 4,4. C’est un indice de la présence de l’alcool ou de l’éther acétique dans la matière. Je cite ici l’éther acétique sans en avoir la preuve directe, mais on verra plus loin pourquoi je suis disposé à y admettre un mélange de ce corps.

Quand le chloral a été purifié une seule fois, par l’acide sulfurique chaud, par l’ébullition et la distillation sur la chaux, la densité de sa vapeur s’élève jusqu’à 5,0 environ.

Voici les détails d’une expérience de ce genre :

Différence du poids du ballon plein de vapeur sur le ballon plein d’air 
0gr.,487
Température de la vapeur 
159° c
Barom. 
0,763
Cap. du ballon 
176 cm. cb.
Température de l’air 
11,5° c
Air restant 
2 cm. cb.
Poids du litre du chloral 
6,477
Densité de la vapeur 
4,986

Le chloral soumis à cette expérience a été analysé par les moyens ordinaires avec le plus grand soin.

0,696 ont donné 0,426 acide carbonique et 0,051 eau.

6,690 du même décomposé par la chaux vive ont produit 1,975 de chlorure d’argent. Pour éviter l’ignition trop vive que le chloral produit avec la chaux, on a eu soin d’étendre le chloral d’un volume égal d’alcool à peu près.

D’où l’on tire les résultats suivants :

Carbone 
16,9
Hydrogène 
0,8
Chlore 
70,7
Oxygène 
11,6
———
100,0
Relativement au carbone et à l’hydrogène, ces résultats s’accordent avec toutes les analyses de chloral purifié une fois que j’ai faites. Seulement, quand le chloral présente une densité de vapeur plus faible, le carbone s’élève jusqu’à 17,2 et l’hydrogène jusqu’à 1,0, mais alors le point d’ébullition d’un tel chloral n’est pas constant.

Éclairé par les recherches précédentes qui avaient été faites sur du chloral purifié par une seule distillation sur l’acide sulfurique, une ébullition soutenue jusqu’à ce que le point d’ébullition devînt fixe, et une rectification sur la baryte, j’ai repris entièrement la préparation de ce produit.

Sur une nouvelle dose de chloral brut, j’ai fait le traitement par l’acide sulfurique, l’ébullition et la baryte. Je l’ai repris ensuite dans le même ordre, mais j’ai eu soin de diviser la matière provenant de la dernière rectification sur la baryte, en trois époques. J’ai mis de côté le premier quart, j’ai recueilli ensuite la moitié du produit, puis le dernier quart. J’ai soumis à l’analyse le produit moyen qui pesait deux onces et plus, et qui devait être du chloral débarrassé de tout corps plus volatil ou moins volatil que lui.

Voici les résultats de son analyse :

I. 0,506 donnent 0,036 eau et 0,304 acide carbonique.

II. 0,631 donnent 0,045 eau et 0,379 acide carbonique.

0,437 ont fourni 1,266 chlorure d’argent fondu.

L’on a donc obtenu :

I. II.
Carbone 
16,62 16,61
Hydrogène 
0,78 0,79
Chlore 
71,60 71,60
Oxygène 
11,00 11,00
——— ———
100,00 100,00
On a pris ensuite la densité de sa vapeur par les moyens ordinaires, et on a obtenu les résultats exprimés ci-dessous :
Excès de poids du ballon plein de vapeur sur le ballon plein d’air 
0,684
Temp. de la vapeur 
135°
Barom. 
0,766
Temp. de l’air 
13°
Cap. du ballon 
212 cm. cb.
Air restant à 11° c 
0,3 cm. cb.
Poids du litre à 0° et 0,76 
6,675
Densité de la vapeur 
5,13

Fondé sur ces nouveaux résultats, je crois pouvoir indiquer, comme je l’ai fait plus haut, cette double série de rectifications comme éminemment propre à donner du chloral d’une pureté absolue. C’est sur ce dernier que j’ai étudié les caractères que j’assigne à cette substance.

Les divers résultats de mes analyses donnent pour la formule du chloral C8H2Ch6O2, qui fournit les rapports suivants :

C8 
306,08 16,6
H2 
12,50 0,7
Ch6 
1327,92 71,9
O2 
200,00 10,8
——— ———
1846,50 100,0

En calculant, d’après cette formule, la densité de la vapeur du chloral, on trouve les nombres suivants :

C8 
3,3744
H2 
0,1376
O2 
2,2052
Ch6 
14,5296
————
20,2468
———— = 5,061
4

Il est clair que les résultats calculés s’accordent dans les deux cas avec ceux que donne l’expérience, à cela près que le chloral soumis en premier lieu à l’analyse renfermait encore un centième environ de matière étrangère, soit de l’alcool, soit de l’éther acétique. Ce qui fait que la densité de sa vapeur est un peu faible, le chlore un peu faible aussi, et le charbon un peu fort. Mais ces diverses erreurs de nature insignifiante, quand il s’agit surtout d’une matière aussi difficile à purifier que le chloral, ont disparu par la seconde rectification.

Le chloral, en présence d’une base, comme la potasse, la soude, la baryte, etc., et même avec l’ammoniaque liquide, se convertit, sous l’influence de l’eau, en chloroforme et en acide formique. Sa formule explique parfaitement cette réaction. En effet, le chloral se représente par du chloroforme et de l’oxyde de carbone à volumes égaux, et l’on sait que l’oxyde de carbone, en s’unissant à l’eau, peut constituer de l’acide formique.

La réaction du chloral, en pareil cas, se représenterait donc de la manière suivante :


C8O2H2Ch6 + H2O = C4H2O3 + C4H2Ch6

Mais, comme le chloroforme, lui-même peut donner naissance à un chlorure métallique et à un formiate, en présence d’une solution alcaline bouillante, on conçoit qu’une portion de ce corps sera décomposée, précisément de cette manière, et d’autant plus, qu’elle se trouve exposée à l’état naissant, à l’action de la base ; de là, une nouvelle quantité de formiate et une certaine quantité de chlorure.

J’aurais certainement soumis ma formule à cette épreuve, si une expérience de M. Liebig ne m’avait donné le moyen de m’en dispenser. Il a vu que dans les produits de la décomposition du chloral par l’eau de baryte, pour un atome de chlorure de barium formé, il y avait production de 2,1 atomes de formiate de baryte. Je trouve par ma formule qu’il a dû s’en produire 2,2, ce qui s’accorde mieux avec l’expérience que le calcul établi par M. Liebig lui-même, car il admet qu’il a dû s’en faire 2,5.


Chloral hydraté.

J’ai dit plus haut que le chloral se dissout dans l’eau avec dégagement de chaleur, et que la dissolution exposée au vide sec s’y concrète en une masse blanche cristallisée. On obtient le même résultat par une évaporation spontanée à l’air ; le chloral cristallise alors plus régulièrement et affecte la forme rhomboïdale. Il ne faut pas laisser ce produit à l’air trop longtemps, car il s’y volatilise à la manière du camphre commun.

L’analyse du chloral hydraté m’a paru facile et digne d’attention, comme moyen de vérification pour les formules précédentes. Celui que j’ai analysé avait toujours été desséché dans le vide après avoir été réduit en poudre, car les masses cristallines qu’il produit d’abord, retiennent de l’eau interposée. Malgré tous mes soins, je n’ai pas su me mettre entièrement à l’abri de cette cause d’erreur, mais, au moins, je crois l’avoir réduite au point de la rendre presque insensible dans ses effets.

I. 0,762 de matière ont donné 0,387 acide carbonique et 0,117 eau.

II. 0,487 idem ont donné 0,254 acide carbonique et 0,080 eau.

III. 0,757 idem ont fourni 0,393 acide carbonique et 0,114 eau.

0,400 idem ont donné 1,020 chlorure d’argent fondu.

IV. Enfin, du nouveau chloral hydraté, desséché avec les plus grands soins, et brûlé de la manière la plus lente, a donné les résultats suivants :

0,500 produisent 0,267 acide carbonique et 0,085 eau.

0,700 idem donnent 1,795 chlorure d’argent fondu.

I. II. III. IV.
Carbone 
14,53 14,43 14,3 14,77
Hydrogène 
1,74 1,82 1,7 1,88
Chlore 
» » 62,9 63,34
Oxygène 
» » 21,1 20,01
——— ———
100,00 100,00

Ces analyses conduisent à la formule suivante, qui est fort simple : C8H2Ch6O2 + H4O2, où l’on suppose chaque volume de chloral combiné avec un volume de vapeur aqueuse. Si l’on calcule, en effet, les proportions centésimales du chloral hydraté d’après cette formule, on trouve des nombres fort rapprochés des précédents.

C8 
306,08 14,7
H6 
37,50 1,7
Ch6 
1327,92 64,1
O2 
400,00 19,5
——— ———
2071,50 100,0

J’ai trouvé, comme on peut voir, le chlore un peu faible ; mais la différence insignifiante, du reste, entre le calcul et l’analyse, tient sans aucun doute à la difficulté que l’on éprouve, soit à dessécher également la matière, soit à opérer sa décomposition entière par la chaux, car cette décomposition marche brusquement et avec une ignition qui la rend difficile à régler.

D’après la composition que je trouve au chloral hydraté, on voit qu’il peut se représenter par de l’acide hydrochlorique et de l’oxyde de carbone. Mais rien n’indique que les éléments y soient combinés sous cette forme, et tout prouve, au contraire, que c’est une simple combinaison de chloral et d’eau.

En effet la densité de sa vapeur s’est trouvée égale à 2,76. Or, si on prend la densité du chloral hydraté et celle de la vapeur aqueuse à volumes égaux, on trouve :

1 volume chloral 
= 5,061
1 volume vap. d’eau 
= 0,620
————
5,681
———— = 2,840
2
Ainsi, le chloral hydraté se compose d’un volume de chloral anhydre et d’un volume de vapeur d’eau, sans condensation.

Il existe des rapports incontestables entre le chloral hydraté et le produit cristallisé que j’ai obtenu en traitant l’acide acétique par le chlore, sous l’influence solaire. Toutefois, ces deux corps pourraient bien, malgré ces rapports, constituer des matières distinctes.

Je reprendrai mes expériences sur cet objet, et l’on verra, quand les vérifications qui me restent à faire, seront terminées, combien cette étude offrait de difficulté, par suite de la complication extraordinaire des produits.


Chloral insoluble.

Sous ce nom M. Liebig désigne une substance singulière qui se forme quand on abandonne le chloral à l’action de l’acide sulfurique concentré, à la température ordinaire. Pour l’obtenir, j’ai mis dans un flacon à l’émeri du chloral pur, avec cinq ou six fois son volume d’acide sulfurique du commerce. Le flacon était bouché. Le lendemain, le chloral se trouva converti en une substance blanche, opaque, assez ferme. On attendit quelques jours, puis on délaya le tout dans de l’eau, en ayant soin de broyer la matière, pour en rendre le lavage plus facile. On passa le tout sur un filtre qui fut lavé à l’eau bouillante, tant que la liqueur parut acide.

La poudre blanche restée sur le filtre fut séchée à l’air, puis dans le vide. Mais, comme on s’aperçut que la matière perdait toujours de son poids dans le vide, sans changer sensiblement de composition, on fit des analyses sur la matière simplement séchée à l’air, et elles donnèrent les mêmes résultats que celles qu’on avait faites après l’exposition de la matière au vide. Il paraît donc que cette matière peut se sublimer dans le vide sec.

Ce produit possède quelques propriétés singulières. Il est à peu près insoluble dans l’eau, même bouillante ; l’alcool, l’éther ne le dissolvent pas non plus ; l’acide sulfurique chaud, les alcalis dissous, se comportent avec lui à peu près comme avec le chloral. Quand on le chauffe, au bain d’huile, à 150° et même 200°, on le voit se distiller sans fondre. Le produit distillé est pourtant très-fluide et cristallise à la manière du chloral hydraté. Il est resté une trace inappréciable de charbon. Ainsi, il paraît que la matière se volatilise en entier, mais modifiée.

Toutes ces propriétés conviendraient si bien à une substance isomérique avec le chloral hydraté, que je présumais qu’en l’analysant, je retomberais à peu près sur la composition de ce dernier. Mais, bien au contraire, j’ai trouvé à ce chloral insoluble, une composition qui annonce qu’il s’est formé, par suite d’une réaction assez compliquée, entre les éléments du chloral. J’ai donc répété plusieurs fois les analyses, avec la précaution d’employer de nouveaux produits, et, comme la composition s’est montrée constante, et que d’ailleurs il est facile, à raison de l’insolubilité de la matière, de la préparer pure et homogène, je ne pense pas qu’il ait pu se glisser aucune erreur dans les analyses.

Voici les résultats que j’ai obtenus :

I. 0,500 ont fourni 0,322 acide carbonique et 0,050 d’eau.

II. 0,300 ont donné 0,192 acide carbonique et 0,034 d’eau.

III. 0,463 ont fourni 0,297 acide carbonique et 0,046 d’eau.
Dans cette analyse, craignant que le produit ne renfermât de l’acide sulfurique, on avait forcé les gaz à passer dans un tube qui renfermait du peroxyde de plomb et du borax calciné. Mais cette précaution n’a rien changé aux résultats.

0,186 du même produit ont fourni 0,514 de chlorure d’argent fondu.

Il était inutile de multiplier davantage ces analyses qui s’accordent fort bien avec celles de M. Liebig, à cela près d’une légère différence de 0,5 pour le chlore.

Ces résultats donnent en centièmes :

Carbone 
17,82 17,70 17,75
Hydrogène 
1,11 1,20 1,10
Chlore 
» » 67,74
Oxygène 
» » 13,41
———
100,00

Une formule assez simple, C3HOCh2, semblerait se rapporter à cette analyse, mais elle donnerait 17,2 de carbone et 66,7 de chlore, nombres qui sont décidément trop faibles. La dernière des analyses qui se trouvent énoncées plus haut a eu précisément pour objet de vérifier les résultats relativement à cette formule. On voit qu’ils ont donné des nombres identiques avec ceux qui provenaient des expériences précédentes. La formule brute qui se rapporte à la moyenne des analyses est assez compliquée ; elle est représentée par C24H3Ch16O7, qui donne, en effet :

C24 
918,24 17,62
H8 
50,00 0,96
Ch16 
3541,12 67,98
O7 
700,00 13,44
——— ———
5209,36 100,00
En comparant cette formule avec celle du chloral, on voit qu’elle se représente par trois atomes de chloral qui auraient perdu deux atomes de chlore et gagné un atome d’eau.




Si nous revenons maintenant sur l’ensemble des résultats qui précèdent, nous voyons qu’il est facile de représenter non seulement toutes les réactions qui s’y trouvent examinées, mais encore beaucoup d’autres qui, au premier abord, n’en paraissent pas rapprochées.

Quand on soumet l’alcool à l’action du chlore, en épuisant l’action de ce gaz, on voit que l’alcool conserve son carbone intact, son oxygène tout entier, et qu’il perd dix atomes d’hydrogène sur douze, en gagnant six atomes de chlore. La réaction exige :

4 volumes alcool = 4 vol. hydrog. carb. = C8H8
4 vol. vapeur d’eau = H4O2,
et elle fournit :
2 vol. d’acide hydrochlorique 
 =
C10H10
4 vol. de chloral 
 =
C8O2H2Ch6

Ainsi, en définitive, chaque volume d’alcool donne un volume de chloral.

En étudiant attentivement ces résultats, on voit en outre que les dix volumes d’hydrogène, enlevés à l’alcool, ont été remplacés par six volumes de chlore seulement. Or, je savais, par des expériences relatives à l’action du chlore sur l’essence de térébenthine, que chaque volume d’hydrogène enlevé était remplacé par un volume égal de chlore ; ce qui s’accorde du reste avec le résultat obtenu par M. Gay-Lussac, en traitant la cire par le chlore. Je devais donc m’attendre que les dix volumes d’hydrogène perdus par l’alcool y seraient remplacés par dix volumes de chlore, ce qui n’a pas eu lieu.

La cause de cette différence est facile à saisir. L’alcool peut être représenté par de l’eau et de l’hydrogène carboné, et dès que l’on admet que le chlore agit sur l’hydrogène de l’eau tout autrement que sur l’hydrogène de l’hydrogène carboné, on tient la clef de l’anomalie apparente que l’on vient de signaler.

On admettra donc que le chlore et l’alcool représentent ici de l’hydrogène carboné, de l’eau et du chlore. Ces corps mis en présence, le chlore déterminerait la décomposition de l’eau, s’emparerait de l’hydrogène pour former de l’acide hydrochlorique, et laisserait à l’hydrogène carboné la faculté de s’unir à l’oxygène de l’eau. On aurait ainsi :


C8H12O2 + Ch4 = C8H8O2 + Ch4H4.


Mais la formule C8H8O2, n’étant autre chose que celle de l’éther acétique, on fut conduit à vérifier si en effet la production de cet éther pouvait avoir lieu sous ces conditions.

Dans un flacon renfermant trois litres de chlore sec, on a versé six grammes d’alcool, ce qui correspond à peu près aux proportions indiquées par la formule. Le flacon s’est échauffé fortement, le chlore a disparu en peu de temps, et la liqueur versée dans une cornue avec un excès de craie, s’est séparée en deux couches dès la première de la chaleur. L’une d’elles, légères, très-fluide et éthérée, s’est distillée entièrement au bain-marie. Elle était parfaitement neutre et possédait, au plus haut degré, les caractères de l’éther acétique.

En mettant dans l’alcool de la chaux par portions, à mesure que le courant de chlore la fait disparaître, on peut graduer l’action à volonté. On obtient ainsi de l’éther acétique en quantités plus grandes que par le moyen précédent.

Enfin, quand on prépare l’éther chlorique, et qu’on a séparé celui-ci de la liqueur qui le surnage, il suffit de saturer cette liqueur par la craie, et de la distiller au bain-marie, pour y reconnaître la présence de l’éther acétique. Plusieurs chimistes en ont déjà signalé la présence dans ce dernier produit.

Mais il me paraît probable que l’éther acétique premier produit de l’action du chlore sur l’alcool, disparaît à mesure que l’éther chlorique prend naissance. En effet, si l’on prend de l’alcool traité par le chlore jusqu’à ce que l’éther commence à se manifester, on en retire beaucoup d’éther acétique ; si on prend au contraire de l’alcool traité par le chlore jusqu’à ce que l’éther chlorique cesse de se produire, on n’y trouve plus que des traces d’éther acétique, appréciables seulement à l’odeur, mais qu’on ne peut séparer ni par l’eau, ni par la dissolution de chlorure de calcium.

Ceci posé, on voit que sous l’influence de la première réaction du chlore, il peut se produire d’abord avec quatre volumes d’alcool, 2 volumes d’éther acétique ; l’alcool perdant quatre volumes d’hydrogène, et produisant huit volumes d’acide hydrochlorique, sans que le chlore s’unisse aux autres éléments de l’alcool. On ne veut pas dire que la portion d’alcool, qui se change en chloral, passe par l’état d’éther acétique ; il est peu présumable que cette transition ait lieu ; on veut montrer seulement que l’hydrogène de l’eau disparaît sans être remplacé par le chlore.

Quoi qu’il en soit, à partir de ce point, qui marque la limite à laquelle toute l’eau de l’alcool a disparu, l’action du chlore rentre dans la règle indiquée plus haut. Il nous reste, en effet, un premier résidu, C8H8O2, qui en perdant H6, gagne précisément Ch6, pour constituer les quatre volumes de chloral.

Ainsi, en divisant la réaction en ces deux époques, on aurait les rapports suivants  :


C8H8 + H4O2 + Ch4 = C8H8O2 + Ch4H4
C8H8O2 + Ch12 = C8H2Ch6O2 + Ch6H6,


rapports qui sont précisément tels que les eût indiqués la théorie, qui consiste à regarder l’alcool comme étant formé de volumes égaux de vapeur d’eau et d’hydrogène carboné.

Quand on examine de tels faits avec attention, il reste peu de doutes dans l’esprit sur la véritable nature de l’alcool.

Ainsi, le chlore possède le pouvoir singulier de s’emparer de l’hydrogène de certains corps, en le remplaçant atome pour atome. Cette loi de la nature, cette loi ou théorie des substitutions, m’a paru digne d’un nom particulier. Je propose de l’appeler métalepsie, de μεταληψις, qui exprime assez bien que le corps sur lequel on agit, a pris un élément à la place d’un autre, du chlore à la place de l’hydrogène, par exemple.

Ainsi, le chloral se forme par substitution ou par métalepsie ; c’est un des produits métaleptiques de l’alcool.

Ainsi, encore, comme on va le voir, l’éther acétique, l’acide acétique, l’acide formique, sont des produits métaleptiques de l’alcool.

Si l’on part de l’alcool, on peut donc, en déplaçant et remplaçant par la pensée certains de ses éléments, donner naissance à un grand nombre de composés plus ou moins faciles à produire, et l’on obtiendra ainsi le groupe métaleptique de l’alcool, où l’on verra figurer des corps très-variés, et entre lesquels se décèlent des relations souvent inattendues.




La règle relative à l’action du chlore, qui découle des expériences précédentes, s’appliquera certainement à tous les corps capables de réagir, comme déshydrogénants, et loin de se borner à l’alcool, elle pourra s’étendre à tous les corps de la chimie organique. Je l’ai essayée dans le but de me rendre compte de quelques-unes des réactions les plus nettes de la chimie organique, et on va voir, dans les exemples suivants, qu’elle s’est constamment appliquée sans difficulté.

1° Il est constant aujourd’hui que l’alcool se convertit en acide acétique par une simple absorption d’oxygène avec formation d’eau. À défaut d’expériences directes décisives, les analyses de l’alcool et de l’acide acétique étant mises en regard, il ne peut rester le moindre doute à ce sujet ; mais en vertu de quelle loi cette réaction s’effectue-t-elle ? voilà ce que personne n’a su encore expliquer, et ce que je vais essayer d’éclaircir.

Il est clair qu’en agissant sur l’alcool, l’oxygène ne peut produire aucun effet sur l’eau qu’il renferme, et que, s’il agit sur l’hydrogène carboné, il doit à chaque atome d’hydrogène qu’il fait disparaître, le remplacer par un demi-atome d’oxygène. C’est, en effet, ce qui se passe dans l’acétification. En faisant agir l’oxygène sur l’hydrogène carboné, de manière à lui enlever 4 volumes d’hydrogène, ils doivent être remplacés par 2 volumes d’oxygène, et, ceci admis, l’alcool se trouve converti en acide acétique.

On a, en effet,

C8H8 + O4 = H4O2 + C8H4O2
H4O2 H4O2
———— ————
C8H12O2 alcool. C8H8O4 acide acét. hydr.

Cette explication me paraît vraie ; c’est d’ailleurs la première fois que l’on tente d’exprimer d’une manière rationnelle le changement si facile de l’alcool en acide acétique ; mais on ne manquera pas maintenant de trouver quelque variante à cette théorie.

2° En partant du point de vue que je viens d’exposer, on voit que si l’on enlève à l’hydrogène carboné la totalité de son hydrogène, il ne faudra pas moins de 4 atomes d’oxygène pour le remplacer. L’alcool, ainsi modifié, se trouverait converti en acide formique. On aurait donc puc cette théorie étant bien comprise, prévoir avec certitude que sous une influence oxydante plus énergique que celle de l’air, l’alcool se convertirait en acide formique. C’est précisément ce que M. Dœbereiner a réalisé depuis longtemps, en soumettant à la distillation un mélange de peroxide de manganèse, d’acide sulfurique et d’alcool affaibli.

On exprime aisément les résultats obtenus de la manière suivante :

C8H8 + O8 = H8O4 + C8O4
H4O2 H4O2
———— ————
C8H12O2 alcool C8H4O6 acide formique.

L’on voit ici plus nettement que dans la production de l’acide acétique, comment l’eau de l’alcool demeure intacte, et rentre dans le nouveau composé pour compléter les éléments de l’acide.

3° La liqueur des Hollandais sur laquelle nous avons récemment publié des observations, M. Liebig et moi, serait composée, d’après mon analyse, de volumes égaux de chlore et d’hydrogène carboné, tandis que M. Liebig y admet 16 volumes de carbone, 15 volumes d’hydrogène et 8 volumes de chlore. Comme cette liqueur m’offrait une occasion de vérifier la règle que je viens d’établir, et que je désirais depuis longtemps d’ailleurs reprendre son analyse, je l’ai refaite avec soin.

J’ai préparé quelques onces de liqueur, en faisant arriver dans un ballon l’hydrogène carboné produit par un kilogramme et demi d’alcool, en même temps qu’on y dirigeait du chlore humide. On a toujours eu soin que le chlore ne fût pas en excès.

Le produit lavé à l’eau, puis lavé à l’eau de potasse, a été décanté et distillé au bain-marie sur du chlorure de calcium. Il est resté dans la cornue de l’éther chlorique, ainsi qu’on pouvait le prévoir.

Comme il avait pu passer un peu d’éther chlorique à la distillation, on a distillé de nouveau la matière au bain-marie, sur de la potasse en morceaux. Le résidu, légèrement bruni, indiquait bien, en effet, que quelque peu d’éther chlorique avait été décomposé par la potasse.

On a repris la matière, et, après l’avoir agitée avec de l’acide sulfurique concentré, on l’a distillée au bain-marie avec cet acide.

Enfin, on l’a distillée sur de la baryte anhydre finement pulvérisée. Un thermomètre plongeant dans la cornue a constamment indiqué 85°c. pendant toute la durée de la distillation ; le baromètre étant à 0,770.

La liqueur que j’ai analysée autrefois bouillait à 86°. Cette différence peut bien tenir au thermomètre. La liqueur analysée par M. Liebig bouillait à 82°,4 ; je n’ai jamais eu de liqueur bouillant aussi bas.

Celle que j’avais obtenue, par ce dernier traitement sur la baryte, m’a donné les résultats suivants à l’analyse :

0,589 matière ont produit 0,219 eau et 0,528 acide carbonique ; ce qui fait :

Carbone 
24,80
Hydrogène 
4,13
Chlore 
71,07
———
100,00

D’après la formule généralement admise, et que mes anciennes expériences confirmaient, on aurait :

C2 
76,52 24,65
H2 
12,50 4,03
Ch 
221,32 71,32
——— ———
310,34 100,0
On voit que ma nouvelle analyse s’accorde aussi bien avec le calcul, qu’une analyse quelconque puisse le faire.

Je ne puis m’expliquer les différences qui existent entre ce résultat et celui de M. Liebig. Peut-être la liqueur des Hollandais est-elle quelquefois accompagnée d’une autre substance ; mais la constance du point d’ébullition de la mienne pendant toute la durée de sa distillation me porte à croire qu’elle ne renfermait rien d’étranger.

En attendant, je puis admettre que la liqueur que j’ai analysée renferme le chlore et l’hydrogène bicarboné à volumes égaux, et je puis partir de là pour étudier une réaction fort nette qui rentre dans la règle que je viens d’établir. On sait que le chlore, en agissant sur elle à la lumière solaire, produit un chlorure de carbone, absolument exempt d’hydrogène. Il doit donc se former quatre volumes d’acide hydrochlorique, tandis que deux volumes de chlore rentreront dans le composé produit. Ainsi, d’après la règle, il se formera un chlorure de carbone, renfermant deux volumes de carbone et trois volumes de chlore. Or, c’est là précisément le chlorure que M. Faraday a obtenu.

4° Les chimistes savent que l’acide hydrocyanique, en passant à l’état d’acide chlorocyanique, perd un volume d’hydrogène et gagne précisément un volume de chlore.

Il n’est pas facile de multiplier ces exemples, même en se mettant en dehors de l’alcool, en sorte que, pour montrer que cette loi mérite quelque confiance, je crois devoir l’appuyer des faits suivants, qui sont bien constatés.

5° L’huile d’amandes amères, débarrassée d’acide hydrocyanique, se change à l’air en acide benzoïque. Elle perd dans ce cas deux volumes d’hydrogène et en gagne précisément un d’oxygène, comme l’indique la règle précédente.

Le même corps, traité par le chlore, perd deux volumes d’hydrogène et gagne précisément deux volumes de chlore, comme on aurait pu le prévoir.

Il n’est donc pas trop hasardé d’établir en principe que lorsqu’une substance organique hydrogénée est soumise à l’action d’un corps déshydrogénant, elle s’approprie par métalepsie une portion de ce corps équivalente à celle de l’hydrogène qu’elle perd ; bien entendu que si le produit métaleptique formé ainsi peut s’unir ensuite à la matière réagissante, la combinaison pourra s’effectuer et masquera les véritables caractères de la réaction ; mais, une fois prévenu, il sera facile de démêler les produits primitifs des produits consécutifs.

Les chimistes auront de si fréquentes occasions de soumettre cette règle à l’épreuve de l’expérience, que l’on peut espérer qu’en peu de temps on saura jusqu’à quel point elle mérite d’être généralisée.

6° Je signalerai encore un fait remarquable, en ce que l’explication que j’en donne peut servir, jusqu’à un certain point du moins, à corroborer les résultats observés par un grand nombre de chimistes, et que M. Berzélius se refuse à admettre.

Il s’agit de la composition du sucre. L’illustre chimiste suédois y admet plus d’hydrogène qu’il n’en faut pour constituer de l’eau avec son oxygène. MM. Gay-Lussac et Thénard, Prout, moi-même, et tous les chimistes qui ont essayé son analyse, n’y trouvent pas d’hydrogène en excès, ce qui est d’accord avec la formule rationnelle du sucre que nous avons donnée, d’après l’action connue du ferment. Nous considérons le sucre comme un corps isomérique avec l’éther carbonique.

Eh bien, l’on sait depuis longtemps que le sucre oxydé par l’acide nitrique se convertit en acide oxalique ; et si ma règle est juste, il doit en être ainsi d’après notre formule ; car le sucre contient 12 atomes de charbon, 5 d’oxygène et 10 d’hydrogène. Si sur ces 10 atomes d’hydrogène 2 sont à l’état d’eau, ils doivent disparaître sans remplacement ; les 8 autres sont remplacés par 4 atomes d’oxygène, qui, réunis aux 5 atomes d’oxygène que le sucre renferme et à tout son carbone, donnent C12O9 ; c’est-à-dire, 3 atomes d’acide oxalique.

Si le sucre ne contenait pas un atome d’eau combinée, la règle que je pose aujourd’hui ne lui serait pas applicable.

7° Quand on met l’acide formique en contact, à chaud, avec les oxydes ou les sels d’argent et de mercure, il se convertit en acide carbonique. Or, dans C4H2O3, on ne peut éliminer H2, sans le remplacer par O, ce qui donne C4O4.

8° L’acide oxalique, traité par l’acide nitrique bouillant, se convertit en acide carbonique, et l’on voit, en effet, que C4O3, H2O renfermant l’hydrogène à l’état d’eau, celui-ci doit disparaître sans remplacement, ce qui laisse C4O4.

Tous ces faits nouveaux ou déjà connus se rattachent si étroitement à la théorie professée dans notre mémoire sur les éthers, que j’ai lieu de penser qu’elle sera désormais considérée comme un guide qui mérite quelque confiance. Du reste, j’ai encore à éclaircir divers points que je regarde comme douteux, je le ferai aussi promptement que mes occupations pourront le permettre, et j’aurai l’honneur de communiquer à l’Académie mes résultats quels qu’ils soient. On sent bien que, puisque notre théorie est encore debout, malgré tant de recherches nouvelles, elle pourrait succomber devant des faits qui ne nous étaient pas connus, sans qu’il y eût aucun reproche à nous faire. Cette théorie aurait fait son temps, comme bien d’autres, et elle aurait néanmoins rendu à la science un grand service en imprimant à la chimie organique un mouvement qui ne peut être contesté.