Rapports du physique et du moral de l’homme/Onzième Mémoire



ONZIÈME MÉMOIRE.

De l’influence du Moral sur le Physique.


INTRODUCTION.


§. I.


Dans le système de l’univers, toutes les parties se rapportent les unes aux autres ; tous les mouvemens sont coordonnés ; tous les phénomènes s’enchaînent, se balancent, ou se nécessitent mutuellement. Ce mécanisme si régulier, cet ordre, cet enchaînement, ces rapports, ont dû frapper de bonne heure les esprits assez éclairés pour les saisir et les reconnoître. Rien n’étoit plus capable de fixer l’attention des observateurs, de frapper d’étonnement les imaginations vives et fortes, d’exciter l’enthousiasme des ames sensibles : et rien n’est, en effet, plus digne d’admiration. Qui n’a pas mille fois payé ce juste tribut à la nature ? Qui pourroit demeurer immobile et froid à l’aspect de tant de beautés qu’elle déploie sans cesse à nos yeux, qu’elle verse autour de nous avec une si sage profusion !

Mais, quelque charme qu’on éprouve dans cette admiration contemplative, et dans les vagues rêveries qui l’accompagnent, on doit toujours craindre de s’y livrer sans réserve. Quand elles ne sont point soumises au jugement, ces impressions que fait sur nous, l’aspect des merveilles de la nature, ne sont pas seulement stériles ; elles peuvent encore faire prendre à l’esprit des habitudes vicieuses, et nous donner de très-fausses idées de nous-mêmes et de l’univers.

Si donc, l’on écarte ces premières émotions, et si l’on pénètre plus avant, il est aisé de voir que l’ordre actuel n’est pas, à la vérité, le seul possible ; mais qu’un ordre quelconque est nécessaire dans toute hypothèse d’une masse de matière en mouvement. En effet, quand on n’y supposeroit que des parties incohérentes, ou sans rapports, et des mouvemens désordonnés, ou même contraires les uns aux autres, le mouvement prédominant, ou celui qui devient tel par le concours de plusieurs, doit bientôt les asservir, les coordonner tous ; et les parties de matière qui résisteroient à la marche qu’il leur imprime, seront ou dénaturées entièrement, pour subir une transformation complète, ou du moins modifiées dans leurs points de résistance, jusqu’à ce qu’elles se trouvent en harmonie avec l’ensemble, et propres à remplir le rôle qui leur est assigné. Que si toute cette matière étoit parfaitement et constamment homogène ; je veux dire si toutes ses parties n’avoient qu’une seule propriété, et ne pouvoient en acquérir aucune autre, par le mouvement : on peut juger qu’il ne s’établiroit entre ces diverses parties, que des rapports purement mécaniques, ou de situation. Mais si, au contraire, la matière est douée de plusieurs propriétés différentes ; si, de plus, elle est susceptible d’en acquérir un grand nombre d’autres, entièrement nouvelles, par l’effet des combinaisons postérieures que le mouvement doit toujours amener : de-là, naîtront nécessairement des phénomènes aussi réguliers qu’innombrables ; et la nature du mouvement ou des mouvemens, ainsi que les propriétés de la matière elle-même, étant une fois déterminées, on voit clairement que tous les phénomènes doivent être produits et s’ enchaîner dans un certain ordre, par une nécessité non moins puissante que celle qui force un corps grave à suivre les lois de la pesanteur.

L’ordre est donc essentiel à la matière en mouvement ; et l’ordre suppose toujours unité d’impulsion générale, ou coordonnance entre tous les mouvemens imprimés.

Il est d’ailleurs évident, que si la conservation du tout, dans son état présent, tient à l’accord exact des forces qui le meuvent ; cet accord est bien plus indispensable à la conservation de ses parties, considérées isolément, et sur-tout à celles des êtres organisés, ou de ces formes fugitives que d’autres forces particulières paroissent soustraire momentanément, à l’action mécanique du mouvement général.

Ainsi, quand plusieurs principes différens, ou même contraires, auroient agi primitivement dans l’homme, ils auroient été bientôt ramenés à l’unité d’impulsion ; c’est-à-dire, encore une fois, à cet état des mouvemens qui les confond tous dans un seul, ou qui soumet et rallie les plus foibles, au plus puissant, et par-là, transforme ce dernier en mouvement général et commun. On ne doit donc pas s’étonner que les opérations dont l’ensemble porte le nom de moral, se rapportent à ces autres opérations qu’on désigne plus particulièrement, par celui de physique, et qu’elles agissent et réagissent les unes sur les autres, voulût-on d’ailleurs regarder les diverses fonctions organiques, comme déterminées par deux, ou plusieurs principes distincts.

Mais il s’en faut beaucoup que la différence des opérations prouve celle des causes qui les déterminent. Deux machines sont mises en mouvement par le même principe d’action ; et leurs produits n’offriront peut-être aucun trait de ressemblance : il suffit pour cela, que l’organisation de ces machines diffère. Et réciproquement, deux principes d’action très-divers peuvent être appliqués tour-à-tour à la même machine, sans altérer aucunement ses produits. Les fonctions assignées au poumon, à l’estomac, aux organes de la génération, à ceux du mouvement progressif et volontaire, sont très-différentes sans doute : est-ce un motif de chercher dans le corps vivant, autant de causes actives que d’actes, ou d’opérations ? D’y multiplier les principes avec les phénomènes ? Et si la pensée diffère essentiellement de la chaleur animale, comme la chaleur animale diffère du chyle et de la semence, faudra-t-il avoir recours à des forces inconnues et particulières, pour mettre en jeu les organes pensans, et pour expliquer leur influence sur les autres parties du système animal ? Enfin, pourquoi dédaigneroit-on de rapporter cette influence aux autres phénomènes analogues, et même semblables ? à moins qu’on ne veuille répandre, comme à plaisir, d’épais nuages sur le tableau des impressions, des déterminations, des fonctions et des mouvemens vitaux, ou sur l’histoire de la vie, telle que la fournit l’observation directe des faits.

Les organes ne sont susceptibles d’entrer en action, et d’exécuter certains mouvemens, qu’en tant qu’ils sont doués de vie, ou sensibles : c’est la sensibilité qui les anime ; c’est en vertu de ses lois qu’ils reçoivent des impressions et qu’ils sont déterminés à se mouvoir. Les impressions reçues par leurs extrémités sentantes, sont transmises au centre de réaction : et ce centre, partiel ou général, renvoie à l’organe qui lui correspond,, les déterminations dont l’ensemble constitue les fonctions propres de cet organe. Si les impressions ont été reçues, comme il arrive quelquefois, par un autre organe que celui qui doit exécuter le mouvement, c’est le système nerveux qui sert d’intermédiaire, ou de moyen de communication entr’eux. Enfin, la cause des impressions peut agir dans le sein même du système cérébral : l’impression part alors du point central qui se rapporte plus particulièrement à l’organe dont elle doit solliciter les fonctions.

Les choses ne se passent point différemment à l’égard des organes particuliers dont les fonctions directes sont de produire la pensée et la volonté. Les impressions dont se tire le jugement, sont transmises par les extrémités sentantes, ou reçues dans le sein du système : le jugement se forme de leur comparaison ; la volonté naît du jugement[1]. Quoique différens organes puissent influer plus ou moins sur la production de la pensée et de la volonté ; quoique même, dans certains cas, on semble penser et vouloir par certains viscères particuliers, éminemment sensibles, le centre de réaction est toujours ici le centre cérébral lui-même : et de-là partent toutes les déterminations postérieures, qui doivent être regardées comme parfaitement analogues aux divers mouvemens qu’exécute tout organe mis en action.

D’un autre côté, nous voyons les organes partager les affections les uns des autres, entrer en mouvement de concert, s’exciter mutuellement, ou se balancer et se contrarier dans leurs fonctions respectives. Un lien commun les unit ; ils font partie du même système. Le degré de leur sensibilité, la nature et l’importance de leurs fonctions, certains rapports de situation, de structure, de but ou d’usage, déterminent le caractère et fixent les limites de cette influence réciproque. Mais, en outre, des liens accidentels et particuliers peuvent s’établir entr’eux ; des sympathies, qui ne sont pas communes à tous les individus, peuvent résulter fortuitement d’une différence proportionnelle ou de force, ou de sensibilité respective des organes ; soit que cette différence dépende de l’organisation primitive, soit que certaines maladies, ou d’autres circonstances éventuelles l’y aient introduite postérieurement. Or, les lois qui régissent, par exemple, tous les viscères abdominaux, leur sont évidemment communes avec les organes de la pensée ; ces derniers y sont également soumis, et cela sans aucune restriction. Si le système de la veine-porte influe sur le foie et la rate, la rate et le foie sur l’estomac, l’estomac sur les organes de la génération, les organes de la génération sur les uns et sur les autres, et réciproquement ; l’organe cérébral, considéré comme celui de la pensée, et par l’état habituel, ou passager, qui résulte pour lui de cette fonction, n’est pas lié par des rapports moins étroits d’influence réciproque, avec le foie, la rate, l’estomac, ou les parties de la génération. Et si quelquefois les sympathies des viscères présentent divers phénomènes entièrement nouveaux ; si ces organes agissent les uns sur les autres, à des degrés très-différens  ; et même s’il s’établit entr’eux, des rapports rares et singuliers : quelquefois aussi leur influence sur l’organe pensant, et la sienne sur eux est totalement intervertie ; de sorte que tantôt le même viscère semble faire tous les frais de la pensée, et tantôt il n’y prend aucune part.

Voilà, dis-je, des faits constans, qui s’offrent sans cesse à l’observation.

§. ii.

Mais pour bien entendre la question qui fait le sujet de ce Mémoire, il est nécessaire d’entrer dans quelques détails.

La grande influence de ce qu’on appelle le moral, sur ce qu’on appelle le physique, est un fait général incontestable : des exemples sans nombre la confirment chaque jour ; et tout homme capable d’observer, en a retrouvé mille fois les preuves en soi-même. Plusieurs auteurs de physiologie et plusieurs moralistes ont recueilli les traits les plus capables de mettre dans tout son jour, cette puissance des opérations intellectuelles et des passions, sur les divers organes, et sur les diverses fonctions du corps vivant. Il n’est aucun de nous, qui ne puisse ajouter de nouveaux traits à ces recueils. Les hommes les plus grossiers et les plus crédules parlent euxmêmes des effets de l’imagination : s’ils en sont, plus souvent que d’autres, les jouets et les victimes, ils savent du moins quelquefois, les observer et les reconnoître dans autrui.

Il est de fait que, suivant l’état de l’esprit, suivant la différente nature des idées et des affections morales, l’action des organes peut tour-à-tour être excitée, suspendue, ou totalement intervertie.

Un homme vigoureux et sain vient de faire un bon repas : au milieu de ce sentiment de bien-être que répand alors dans toute la machine, la présence des alimens au sein de l’estomac, leur digestion s’exécute avec énergie ; et les sucs digestifs les dissolvent avec aisance et rapidité. Cet homme reçoit-il une mauvaise nouvelle ? ou des passions tristes et funestes viennent-elles à s’élever tout à coup dans son ame ? aussi-tôt son estomac et ses intestins cessent d’agir sur les alimens qu’ils renferment. Les sucs eux-mêmes, par lesquels ces derniers étoient déjà presqu’entièrement dissous, demeurent comme frappés d’une mortelle stupeur : et tandis que l’influence nerveuse qui détermine la digestion, cesse entièrement, celle qui sollicite l’expulsion de ses résidus acquérant une plus grande intensité, toutes les matières contenues dans le tube intestinal, sont chassées au-dehors en peu de momens.

On sait qu’il n’est point d’organes plus soumis au pouvoir de l’imagination que les organes de la génération. L’idée d’un objet aimable les excite agréablement ; une image dégoûtante les glace. La passion peut presque toujours accroître beaucoup la puissance physique de l’amour, même dans les individus les plus foibles : cependant son excès peut aussi quelquefois, comme l’avoit observé Montagne, la détruire, ou la paralyser momentanément, chez les hommes même les plus forts.

Ces deux effets contraires ne sont pas les seuls. J’ai connu un jeune étudiant en médecine qui, dans un violent accès de jalousie, éprouva, pendant plusieurs heures, le priapisme le plus invincible et le plus douloureux, accompagné, tour-à-tour, de pertes de semence, et d’émissions d’un sang presque pur.

La crainte abat et peut anéantir les forces musculaires et motrices : la joie, l’espérance, les sentimens courageux en décuplent les effets : la colère peut les accroître en quelque sorte indéfiniment.

Mais l’action même de la sensibilité n’est pas moins soumise à l’empire des idées et des affections de l’ame. Sur un homme attristé d’idées chagrines, agité de sentimens cruels, les objets extérieurs produisent d’autres impressions que si le même homme étoit doucement occupé d’images agréables, et son ame dans un état de satisfaction et de repos.

Les impressions sont dans nous-mêmes, et non dans les objets : ceux-ci n’en peuvent être que l’occasion. La manière de sentir leur présence et leur action tient sur-tout à celle dont on est disposé : la volonté peut même quelquefois dénaturer entièrement les effets qu’ils produisent sur l’organe sentant. Enfin, mettant à part ces illusions des sens, si communes chez les hommes à imagination, et que les ennemis de la philosophie de Locke ont si souvent présentées, comme une objection puissante ; mettant sur-tout à part cette autre influence, bien plus singulière encore, de l’imagination de la mère sur le fœtus renfermé dans la matrice (influence attestée par une foule d’observateurs dignes de foi, et dont il est peut-être aussi peu philosophique de nier absolument la réalité, que d’admettre aveuglément tous les exemples rapportés dans leurs écrits) : la connoissance la plus superficielle de l’économie animale, suffit pour montrer l’empire très-étendu qu’exerce l’état moral sur tous les organes et sur toutes leurs fonctions.

§. iii.

Nous avons reconnu dans les Mémoires précédens, qu’une suite d’impressions reçues, et de réactions opérées par les différens centres sensitifs, sollicitent les organes, et déterminent les opérations propres à chacun de ces derniers. Nous savons que la nature des impressions et des mouvemens, relative à celle de chaque espèce vivante et de chaque individu, l’est encore à celle de chaque organe et de ses fonctions propres. Nous nous sommes assurés également, par des analyses réitérées, que les idées, les penchans instinctifs, les volontés raisonnées, et toutes les affections quelconques se forment par un mécanisme, parfaitement analogue à celui qui détermine les opérations et les mouvemens organiques les plus simples ; et que si le système cérébral, instrument direct de ces opérations plus relevées, exerce une grande action sur les systèmes vivans d’un ordre inférieur, cette action se rapporte entièrement, et par ses causes, et par la manière dont elle est produite, à celle qu’ils exercent les uns sur les autres, et dont lui-même il n’est point affranchi.

Cependant, comme malgré cette parfaite analogie, les organes de la pensée et de la volonté présentent quelques traits particuliers qui semblent les distinguer des autres parties de l’économie animale, je crois nécessaire de reporter un coup-d’œil rapide sur ce tableau : et pour nous faire une idée plus complète de l’objet actuel de nos recherches, nous examinerons les circonstances qui rendent plus puissante, ou qui diminuent l’action réciproque des organes particuliers, pour comparer ces circonstances à celles qui produisent les mêmes effets sur les relations du système cérébral avec eux.

Les organes de la pensée et de la volonté diffèrent de tous les autres, en ce que ces derniers reçoivent d’eux l’action et la vie[2] ; qu’ils ne sont susceptibles de sentir et de se mettre en mouvement d’une manière régulière, qu’autant qu’ils reçoivent l’influence nerveuse, dont la source est dans le système cérébral ; que même ils peuvent en être regardés, en tant que sensibles, comme des productions, ou comme des parties, qui, malgré leurs transformations, lui restent toujours subordonnées à cet égard. En effet, le système cérébral va, par ses extrémités, animer tous les points du corps. Il est présent par-tout ; il gouverne tout ; il sent, fait agir et modifie les parties vivantes ; il les régénère même quelquefois. Ainsi, quoique ses fonctions, en qualité d’organe pensant et voulant, s’exécutent d’après les mêmes lois qui régissent les autres parties de l’économie animale, on ne peut se dispenser de le considérer sous deux points de vue différens. Il est d’abord le tronc et le lien commun de toutes les parties, le réservoir et le distributeur de la sensibilité générale : mais ensuite, il est encore chargé de certaines fonctions, d’autant plus importantes qu’elles deviennent la sauve-garde et le guide de l’individu. Aussi, quelques rapports étroits et multipliés, que puissent avoir entr’eux les organes partiels, ceux de la pensée et de la volonté ont avec tous les autres, des rapports plus étroits et plus multipliés encore : et l’on voit facilement que cela doit être ainsi, puisqu’ils sont le point de réunion de toutes les parties du système ; que leurs déterminations sont le résultat de toutes les impressions quelconques, distinctement senties ou inapperçues ; et que non-seulement ils transmettent à tous les autres organes l’action vitale ; mais qu’en outre, ils reçoivent d’eux, à chaque instant, les matériaux épars de toutes leurs opérations. En un mot, d’un côté, le système cérébral anime toutes les parties ; de l’autre, il recueille toutes les impressions qu’il les a mises en état d’éprouver : il juge, il veut, et détermine tous leurs mouvemens consécutifs.

Mais cette source de la vie n’est point une cause indépendante et absolue. Pour agir, et pour faire sentir son action aux autres systèmes, il faut qu’à son tour, elle éprouve leur influence. Toutes les fonctions sont enchaînées, et forment un cercle qui ne souffre point d’interruption. Celles de l’organe cérébral ne font point exception à la commune loi : et quoiqu’elles offrent des caractères particuliers, sans doute très-dignes de remarque, la manière dont elles s’exécutent, est absolument la même, dont sont mis en mouvement les autres organes, et déterminées les autres fonctions.

§. iv.

Encore une fois, toute fonction d’organe, tout mouvement, toute détermination suppose des impressions antérieures. Soit que ces impressions aient été reçues par les extrémités sentantes externes, ou internes ; soit que leur cause ait agi dans le sein même de la pulpe cérébrale : elles vont toujours aboutir à un centre de réaction, qui les réfléchit en déterminations, en mouvemens, en fonctions, vers les parties auxquelles chacune de ces opérations est attribuée. Cette action et cette réaction peuvent souvent avoir lieu, sans que l’individu en ait aucune conscience. En effet, il en est ainsi, toutes les fois que les impressions s’arrêtent dans un centre partiel ; à moins que les mouvemens qu’elles déterminent, ne deviennent la source d’autres impressions subséquentes, destinées à parvenir jusqu’au centre général et commun : il arrive même que plusieurs de celles qui doivent concourir avec les impressions plus distinctes, transmises par les organes propres des sens, ne sont point apperçues en elles-mêmes, ou comme inpressions ; mais seulement dans leurs produits, c’est-à-dire, dans les jugemens et les volontés raisonnés, qui résultent de leur réunion dans le centre cérébral.

La considération de ces différentes propriétés des impressions reçues, ou plutôt de leur différente manière de se comporter dans l’économie animale, est absolument indispensable, pour bien concevoir tous les mouvemens vitaux, et pour ne pas se faire des idées très-inexactes, de la nature et des lois de la sensibilité.

Mais la différence n’est point ici, dans le mécanisme par lequel les impressions se reçoivent et se transmettent, et les déterminations se forment, ou les fonctions s’exécutent ; elle est uniquement dans le genre, ou dans le caractère des centres de réaction, et dans celui des mouvemens qu’ils sont spécialement destinés à produire : et que l’on considère l’organe cérébral, ou comme le réservoir général de la sensibilité, l’intermédiaire vivifiant et le lien de toutes les parties, ou comme l’organe spécial du jugement et de la volonté perçue ; on le voit toujours entrer en mouvement, réagir, exécuter ses fonctions, de la même manière que le dernier centre partiel où se déterminent les mouvemens les plus obscurs et les plus bornés[3].

Dans cette chaîne non interrompue d’impressions, de déterminations, de fonctions, de mouvemens quelconques, tant internes qu’externes, tous les organes agissent et réagissent les uns sur les autres : ils se communiquent leurs affections ; ils s’excitent, ou se répriment ; ils se secondent, ou se balancent, et se contiennent mutuellement. Liés par des rapports de structure, ou de situation et de continuité, en tant que parties du même tout, ils le sont bien plus encore par le but commun qu’ils doivent remplir, par l’influence que chacun d’eux doit exercer sur tous les actes qui concourent à la conservation générale de l’individu. Ainsi, la nutrition peut être regardée comme la fonction la plus indispensable relativement à cet objet. Mais, pour que la nutrition s’opère, il faut que l’estomac et les intestins reçoivent l’influence nerveuse nécessaire à leur action ; que le foie, le pancréas, et les follécules glanduleux y versent les sucs dissolvans : il faut donc, d’une part, que l’organe nerveux soit convenablement excité par les impressions sympathiques qui déterminent cette influence ; de l’autre, que la circulation des liqueurs générales, et la sécrétion des sucs particuliers, s’exécutent avec régularité dans leurs organes respectifs. Or, pour que l’organe nerveux soit convenablement excité, il a besoin d’être soutenu par la circulation ; il faut, en outre, que la chaleur animale épanouisse les extrémités sentantes les plus essentielles : et la marche de la circulation est à son tour, soumise à la respiration, qui contribue elle-même très-puissamment à la production de cette chaleur.

Si l’on considère successivement, de cette manière, toutes les fonctions importantes, on verra que chacune est liée à toutes les autres, par des relations plus ou moins directes ; qu’elles doivent s’exciter et s’appuyer mutuellement ; que, par conséquent, elles forment un cercle, dans lequel roule la vie, entretenue par cette réciprocité d’influence.

Il est, d’ailleurs, certaines fonctions dont l’énergie dépend plus particulièrement de celle d’autres fonctions préalables, dont elles semblent n’être que la suite. Ainsi, l’action musculaire, pour être puissante, demande que la nutrition se fasse convenablement ; et quand on digère mal, les désirs de l’amour sont rarement très-impérieux. Ainsi, pour que l’ossification soit parfaite, il faut que le système lymphatique et glandulaire soit libre : cette opération peut même être dérangée par la lésion de certains organes, qui ne paraissent avoir aucun rapport immédiat avec le système osseux. Elle devient, par exemple, plus languissante et plus débile, par la castration : de sorte que le simple retranchement de deux corps glanduleux isolés, introduit dans l’économie animale une espèce, ou un commencement de rachitis. Enfin, la sensibilité plus analogue de certaines parties, établit entr’elles, des rapports particuliers, telles que ceux qui unissent les organes de la génération à ceux de la voix, ou de l’odorat. Assez ordinairement, ces rapports semblent exclusivement affectés à certains tempéramens, ou même à certains individus : ils constituent alors, les sympathies idiosyncratiques ou particulières, dont plusieurs écrivains ont recueilli tant d’exemples remarquables ; et quelquefois aussi ces mêmes sympathies ne sont qu’accidentelles, et dépendent des maladies, du régime, ou de la nature des travaux.

§. v.

En examinant avec attention toutes les circonstances qui déterminent originairement ces rapports, ou qui président postérieurement à leur formation, on trouve qu’ils peuvent être ramenés à certaines causes peu nombreuses, et qu’ils restent toujours soumis à certaines lois fixes, même dans leurs plus bizarres irrégularités.

Les analogies de structure, les relations de voisinage ou de continuité, les relations plus véritablement organiques encore, produites par beaucoup de nerfs ou de vaisseaux communs, ne rendent pas raison de toutes les sympathies, à beaucoup près : mais elles sont évidemment la cause de quelques-unes, et elles aident à mieux en concevoir plusieurs. Dans son traité du corps muqueux, Bordeu rappelant la doctrine des anciens, touchant les deux grandes divisions du corps de l’homme, en gauche et droite d’une part, et en supérieure et inférieure de l’autre ; doctrine que la pratique de la médecine confirme chaque jour, mais que les mécaniciens modernes rejetoient, parce qu’elle ne paraissoit pas appuyée sur l’anatomie : Bordeu, dis-je, a fait voir que les grandes distributions du tissu cellulaire se rapportent, en plusieurs points, à cette division qu’avoit fournie aux anciens, la simple observation des phénomènes vitaux ; il a même établi que la théorie de certaines crises, notamment de celles qui se font par la suppuration des parotides, et par des évacuations de crachats, demandoit, pour être bien saisie, la connoissance anatomique de l’expansion cellulaire supérieure, et de ses communications avec les organes de la poitrine, ou avec l’appareil lymphatique du cou.

Quant aux rapports qui résultent de la ressemblance ou de l’analogie de structure, ils se manifestent sensiblement dans certaines maladies des glandes, où l’affection de quelques-unes d’entr’elles est communiquée rapidement à d’autres glandes éloignées, sans intéresser le système lymphatique général.

On trouve un exemple frappant des rapports qui tiennent au voisinage des parties, dans la grande influence de l’estomac, du foie et de la rate, sur le diaphragme. Il ne paroît pas, en effet, qu’une autre cause puisse associer si étroitement cet organe à toutes leurs affections : et l’on voit bien plus évidemment encore, qu’il faut attribuer au plan général d’organisation, qui leur rend communs plusieurs grands nerfs et vaisseaux, les sympathies réciproques et multipliées de tous les viscères du bas-ventre, et le rôle que jouent les engorgemens hémorroïdaux dans plusieurs maladies de ces mêmes viscères, notamment dans leurs obstructions.

Mais le genre d’influence qu’exerce sur toutes les parties, un organe majeur et prédominant, dépend sur-tout de deux circonstances particulières : je veux dire du degré de sa sensibilité propre, et de l’importance de ses fonctions.

La vive sensibilité d’un organe peut être due au grand nombre de nerfs qui l’animent. Les parois de l’estomac, et la superficie de la peau, sur-tout à la paume des mains et à la plante des pieds, également douées d’un tact particulier, si délicat et si fin, sont tapissées par-tout d’épanouissement nerveux ; et le tissu cellulaire, qui paroît n’en recevoir aucun, paroît aussi tout-à-fait incapable de sentir, du moins dans son état naturel.

Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi. Les muscles qui reçoivent proportionnellement beaucoup de nerfs, sont très-obscurément sensibles ; et les testicules qui n’en reçoivent que peu le sont excessivement.

Ce n’est donc point toujours par l’anatomie, qu’on peut reconnoître et déterminer le degré de sensibilité relative des organes ; c’est uniquement par l’observation.

Or, l’observation nous prouve que l’organe extérieur dont nous venons de parler, et dont certaines parties sont chargées de recueillir les sensations du tact, non-seulement agit, par cette destination même, avec une grande puissance sur le système cérébral ; mais qu’il fait, en outre, ressentir, à chaque instant, ses affections aux organes pulmonaires, au diaphragme, à l’estomac, aux intestins, et généralement à tous les viscères abdominaux ; que l’estomac agit avec plus de puissance encore, peut-être, sur l’organe extérieur, sur le système entier de ceux de la génération, sur les forces motrices, et particulièrement sur le centre cérébral : car il est très-vrai, comme l’a dit un poëte philosophe, que l’estomac gouverne la cervelle.

L’observation prouve, enfin, que les organes de la génération exercent également l’influence la plus étendue, et sur l’état, et sur les affections, et sur les fonctions particulières du cerveau, des muscles, de l’estomac, et même de tout le système cutané.

Je sens que je multiplie les répétitions, je vous en demande pardon, citoyens : mais vous devez reconnoître qu’elles tiennent au caractère même de cet ouvrage, dont les idées, j’ose le dire, étroitement enchaînées les unes aux autres, se développent et s’expliquent mutuellement ; de sorte que celles qui suivent, sont le plus souvent de simples corollaires de celles qui précèdent, et que le seul rappel de celles-ci sembleroit presque toujours suffire pour la confirmation de celles-là. Mais, d’un autre côté, comme ces idées s’éloignent ordinairement beaucoup de la manière commune de voir, et que leurs principaux résultats sont absolument nouveaux, je dois continuellement craindre d’y laisser des nuages. Ainsi, je marche sans cesse entre deux inconvéniens ; ou de me répéter, ou de ne pas mettre ma pensée dans tout son jour. Or, le dernier me paroît, je l’avoue, de beaucoup le plus grave : et j’aime infiniment mieux laisser quelques redites fatigantes, que risquer de n’être pas entendu.

Nous nous bornerons cependant à quelques exemples pour chacun des genres d’influence organique, dont il est question dans ce moment.

§. vi.

L’action de l’estomac sur le système musculaire ne tient pas uniquement aux effets que produit, dans ses divers états, la simple réparation nutritive, dont ce viscère est un des agens principaux ; elle tient encore, en grande partie, à sa sensibilité particulière, et suit par conséquent, toutes ses dispositions variables et capricieuses. L’affection nerveuse la plus légère et la plus fugitive de l’estomac, suffit souvent pour résoudre, à l’instant même, toutes les forces motrices ; pour faire tomber l’individu sans connoissance. L’énergie, ou la débilité du même organe, produit presque toujours un état analogue dans ceux de la génération. J’ai soigné un jeune homme chez qui la paralysie accidentelle de ces derniers avoit été produite par certains vices de la digestion stomachique, et qui reprit la vigueur de son âge, aussi-tôt qu’il eut recouvré la puissance de digérer. C’est sur-tout à raison des dispositions particulières de l’estomac, que la circulation s’anime ou se ralentit, est régulière ou désordonnée ; que la peau s’épanouit, ou se fronce et se resserre. Cette double circonstance règle la marche des mouvemens qui, du centre, vont se répandre à la circonférence, et de ceux qui, de la circonférence, viennent se réunir dans le centre : elle augmente ou diminue la perspiration et l’absorption extérieures ; elle établit entre elles de nouveaux rapports, ressentis par toute l’économie animale. C’est elle encore qui détermine l’état organique des épanouissemens nerveux cutanés, et qui, par-là, modifie, en quelque sorte, à son gré, leur action sensitive, et leur aptitude même à sentir. Enfin, de tous les organes essentiels, le cerveau, soit comme réservoir commun de la sensibilité, soit comme instrument direct des opérations intellectuelles, paroît être celui qui partage le plus vivement et le plus promptement, toutes les dispositions de l’estomac, et toutes les impressions que ce viscère est susceptible de recevoir. On sait, d’après une expérience curieuse, qu’un seul grain de jaune d’œuf pourri, est capable de produire, au moment même où il a été avalé, des éblouissemens, des vertiges, la plus grande confusion d’idées, des angoisses inexprimables ; enfin, tous les symptômes de la fièvre maligne nerveuse[4] ; et que ces désordres peuvent cesser, aussi-tôt que leur foible cause est rejetée par le vomissement naturel, ou artificiel. Un grain d’opium, donné à propos, peut déterminer le sommeil le plus paisible et le plus doux : et quelquefois il produit ces effets salutaires, sans avoir même été dissous par les sucs gastriques, comme on le voit évidemment, lorsqu’au réveil, une légère nausée le fait rendre encore tout entier.

Plénitude ou vacuité, activité ou inertie, bien-être ou mal-aise de l’estomac ; tout, en un mot, jusqu’aux singularités les plus fugitives de son goût et de ses appétits, va retentir à l’instant, dans le centre cérébral : et souvent on retrouve les traces de ses moindres caprices dans le caractère ou la tournure des idées, et dans les déterminations volontaires les plus distinctes, aussi bien que dans les penchans instinctifs les moins raisonnés.

Si, d’une part, les organes épigastriques, et particulièrement l’estomac, sont le centre de réunion, ou le point d’appui intérieur des mouvemens toniques oscillatoires, qui vont du centre à la circonférence, et reviennent de la circonférence au centre ; l’organe cutané, d’autre part, est leur point d’appui extérieur, et le terme où ils aboutissent. C’est vers lui que tend l’impulsion du flux ; c’est de lui que part celle du reflux. Il soutient les efforts de l’action centrale ; il la balance et la règle même, à quelques égards, en modifiant celle qui la refoule, au gré des impressions dont lui-même est affecté. Suivant les différens états de l’air, le tissu de la peau peut éprouver tous les degrés de resserrement, ou de dilatation : il est tantôt plein de ton et de vie, tantôt lâche et languissant ; ses extrémités, ou s’épanouissent pour aller au-devant de toutes les sensations, ou se resserrent et se dérobent à l’action des agens externes. Mais quelquefois, c’est en vain qu’elles veulent éviter de sentir, puisque son tissu même peut recéler la cause des sensations pénibles. La répercussion de la transpiration cutanée, que le plus souvent accompagne une augmentation, en quelque sorte, proportionnelle d’absorption aqueuse, se fait rapidement sentir à l’épigastre, à tout le canal alimentaire, au poumon, au système cérébral. Le doux resserrement qu’éprouve la peau, par l’action d’un froid modéré, produit dans tous les organes internes, un sentiment vif de bien-être. Son épanouissement constant, qui suit l’application d’une douce chaleur, transmet aux organes de la génération, des séries non interrompues d’impressions agréables, qui les tiennent eux-mêmes dans un état d’excitation habituelle. Quelques-unes de ses maladies peuvent également provoquer d’une manière directe, l’action de ces mêmes organes : seulement, ce n’est plus alors l’agréable provocation du plaisir : c’est le plus ordinairement, une irritation douloureuse ; ce sont des désirs furieux et sans volupté. Quelquefois même le cuisant prurit qu’éprouve la peau, se communique à tout le système nerveux, intervertit toutes les fonctions cérébrales, et produit les plus singulières erreurs de l’imagination et des penchans.

Dans les deux Mémoires sur les âges et sur les sexes nous avons déjà vu combien l’action des organes de la génération sur ceux de la pensée, est étendue et puissante ; nous avons vu, non-seulement qu’une classe entière d’idées et d’affections est exclusivement due au développement des premiers ; nous avons en outre, reconnu que leur énergie, réglée par la modération des habitudes, est le principe fécond des plus grandes pensées, des sentimens les plus élevés et les plus généreux.

Mais ces organes, sans lesquels le système musculaire ne peut acquérir, ni conserver sa vigueur, réagissent sur toutes les parties de l’épigastre ; comme nous avons dit que toutes ces parties, et notamment l’estomac, agissent sur eux. Les impressions vivifiantes des désirs de l’amour, sont vivement ressenties par le cardia, ou l’orifice supérieur de ce dernier, et par le diaphragme : l’un et l’autre ne partagent pas moins fidèlement, l’état de langueur où l’abus des plaisirs fait tomber les organes de la génération. Qui pourroit, enfin, mettre en doute que ceux-ci se trouvent liés par d’étroites sympathies avec l’organe extérieur, lorsqu’on voit les divers changemens dont ils sont susceptibles, déterminer, arrêter, ou modifier directement la croissance des poils qui naissent et végètent dans son tissu ; et, d’un autre côté, les désirs de l’amour augmenter si puissamment l’insensible transpiration, qu’un très-grave et très-savant médecin croyoit pouvoir les regarder comme le meilleur diaphorétique connu ?

§. vii.

Mais cette grande influence de certains organes sur d’autres, n’est pas, sans doute, uniquement due au degré de leur sensibilité : l’importance de leurs fonctions est une autre circonstance que l’on doit considérer comme y concourant pour une grande part. L’observation ne laisse aucun doute sur ce point. Le foie, la rate, le poumon, quoique naturellement peu sensibles, ne laissent pas d’exercer une influence très-étendue sur plusieurs autres organes, ou même sur le système tout entier. C’est donc à la nature du rôle qui leur est attribué dans l’économie animale, qu’il faut imputer cette puissance d’action sympathique, dont sembloit devoir les priver leur faible aptitude à sentir. Nous ne connoissons point au juste, les vraies fonctions de la rate : mais on doit penser qu’elles ont une assez grande importance, en observant que ses maladies peuvent souvent troubler l’action de différens viscères abdominaux, et porter les plus grands désordres dans tout le système nerveux. On sait que le foie filtre un dissolvant nécessaire au complément de la digestion intestinale, et dont l’action stimulante sur tout l’appareil circulatoire et sur les fibres musculaires, leur imprime un degré remarquable d’énergie. Quant au poumon, soit par son action directe sur la circulation sanguine, soit en sa qualité d’organe spécial de la respiration et de la sanguification, lesquelles entrent pour beaucoup, à leur tour, dans la production de la chaleur animale, cet organe est sans doute l’un des plus essentiels du corps vivant : et l’on ne doit pas s’étonner de voir ses affections si vivement ressenties, par les autres organes principaux, et la nutrition de ces derniers, ainsi que l’état général des forces, dépendre, en grande partie, de la manière dont s’exécutent ses fonctions.

Ne négligeons pas d’observer en outre, qu’il peut survenir de grands changemens dans la sensibilité des organes : la sensibilité peut, en effet, diminuer dans les uns, augmenter dans les autres ; et, par cette nouvelle distribution, établir entr’eux, de nouveaux rapports sympathiques, ou du moins altérer ceux qui dérivent de l’ordre primitif.

Les causes de ces changemens se réduisent à l’augmentation vicieuse d’action dans les organes, à leur débilitation directe, à certaines maladies particulières dont ils peuvent être affectés.

Il doit paroître naturel que le surcroît d’action d’un organe important, amène un surcroît proportionnel d’influence de sa part, sur les autres organes qui sympathisent avec lui : car le premier devient souvent, dans ce cas, le terme d’une concentration de sensibilité ; et toujours les mouvemens d’où résulte son influence, sont alors plus énergiques, et sur-tout plus nombreux, puisqu’ils forment eux-mêmes la somme de son action.

Mais on doit, en même temps, trouver assez extraordinaire, au premier coup-d’œil, que l’augmentation de sensibilité d’un organe, soit fréquemment la suite de sa débilitation : rien cependant n’est plus certain ; c’est même, comme le célèbre Cullen l’a fait remarquer, une loi générale du système nerveux, que l’état ou le sentiment de foiblesse devienne pour lui principe d’excitation.

Certaines maladies particulières peuvent produire également une augmentation notable d’influence relative, de tel ou tel organe. Ainsi, par exemple, dans différens états de maladie, l’estomac et les organes de la génération agissent d’une manière plus directe et plus efficace, sur les forces motrices et sur le cerveau. Mais ici, l’on peut presque toujours attribuer un pareil effet, au surcroît d’action, ou à la concentration de la sensibilité ; ce qui fait rentrer ce dernier cas dans l’un des deux précédens.

§. viii.
CONCLUSION.

Si donc, on rassemble maintenant sous un seul point de vue, les diverses circonstances qui déterminent et rendent plus puissante l’influence d’un organe sur certains autres organes particuliers, ou sur l’ensemble du système, on verra qu’elles se réunissent toutes en faveur de l’organe cérébral ; c’est-à-dire, qu’il n’en est aucun qui doive exercer, d’après les lois de l’économie vivante, une somme d’action plus constante, plus énergique et plus générale.

1°. Ses prolongemens se distribuant à toutes les parties, et s’épanouissant en quelque sorte, sur tous leurs points, elles ne lui sont pas seulement unies par les rapports d’une organisation commune et par ceux de continuité : sa substance entre encore dans leur intime composition ; il y est présent par-tout.

2°. Comme c’est par ses extrémités que les impressions sont reçues, tous les organes ne lui sont pas simplement analogues ; ils lui sont entièrement homogènes, du moins par leur partie sentante.

3°. Il est doué de la sensibilité la plus vive ; ou plutôt il est, sinon la source de celle de tous les autres, du moins le réservoir commun qui la renouvelle et l’entretient.

4°. Ses fonctions sont également importantes, soit comme imprimant la vie à toute l’économie animale, soit comme appartenant à l’organe propre de la pensée et de la volonté.

Ainsi, l’on voit que le système cérébral doit exercer constamment une puissance très-étendue sur toutes les parties de la machine vivante ; et cette puissance doit devenir d’autant plus remarquable, qu’il exerce ses fonctions avec plus d’énergie et d’activité.

Nous ne pouvons donc plus être embarrassés à déterminer le véritable sens de cette expression, Influence du moral sur le physique : nous voyons clairement qu’elle désigne cette même influence du système cérébral, comme organe de la pensée et de la volonté, sur les autres organes dont son action sympathique est capable d’exciter, de suspendre et même de dénaturer toutes les fonctions. C’est cela ; ce ne peut être rien de plus.

S’il en étoit besoin, cette conclusion pourroit être confirmée encore, par la considération des circonstances qui donnent quelquefois accidentellement, à l’influence du système cérébral, un surcroît d’étendue et d’intensité. On peut, en effet, réduire toutes ces circonstances : 1°. à son accroissement d’action ou de sensibilité ; 2°. à sa débilitation ; 3°. à ses maladies. Et par conséquent, il est, dans tous ces cas-là même, soumis à des lois qui lui sont communes avec toutes les autres parties du corps vivant.

Ainsi donc, tous les phénomènes de la vie, sans nulle exception, se trouvent ramenés à une seule et même cause : tous les mouvemens, soit généraux, soit particuliers, dérivent de cet unique et même principe d’action.

Telle est par-tout la simplicité de la nature. Elle prodigue les merveilles : elle économise les moyens. Mais l’esprit hypothétique de l’homme, par-tout où les effets lui paroissent compliqués ou différens, croit toujours, au contraire, devoir multiplier les ressorts. C’est ainsi que le cours des astres, les météores aériens, le mouvement des eaux de l’Océan, la germination, la fructification des végétaux ; en un mot, tous les phénomènes de l’univers furent d’abord soumis à autant de causes différentes. Apollon conduisit le char du soleil ; Diane celui de la lune ; Jupiter gouverna l’Empirée, déchaîna les orages, alluma la foudre ; Neptune souleva les mers ; et Pan, Cérès, Flore, Pomone, se partagèrent l’empire des troupeaux, des moissons, des fleurs et des fruits. Il fallut un temps fort long pour arriver à n’admettre dans la nature qu’une seule force : peut-être faudra-t-il un temps plus long encore pour bien reconnoître que, ne pouvant la comparer à rien, nous ne pouvons nous former aucune idée véritable de ses propriétés ; et que les vagues notions que nous avons de son existence, étant uniquement formées sur la contemplation des lois qui gouvernent toutes choses autour de nous, la foiblesse de nos moyens d’observation doit resserrer éternellement ces notions, dans le cercle le plus étroit et le plus borné.


  1. Il y a toujours un jugement, soit actuel, soit d’habitude, même dans les volontés affectives que la raison réprouve. Si l’on n’a pas perdu de vue ce que nous avons déjà dit sur la formation des déterminations premières et sur l’instinct, ceci ne peut offrir aucune difficulté.
  2. Toutes ces assertions ne sont rigoureusement vraies que pour les animaux les plus parfaits : encore plusieurs raisons portent-elles à croire, que chez ceux-là même, toutes les parties sont sensibles, quoiqu’à différens degrés. Mais leur sensibilité s’entretient, se renouvelle, s’accroît directement par leurs communications avec le système nerveux : elle s’éteint entièrement, ou devient non-percevable pour l’individu, au moment même que les nerfs de ces parties sont séparés du tronc commun.
  3. Dans le plus grand nombre des opérations du centre cérébral, organe de la pensée et de la volonté, les impressions et les jugemens antérieurs entrent en qualité d’élémens, dans les jugemens actuels et dans les déterminations : ils jouent alors un rôle parfaitement analogue à celui des impressions présentes ; et comme elles, ils déterminent, on contribuent à déterminer les réactions du centre cérébral.
  4. Cette expérience a été faite par Bellini, et citée par Boerhaave, quoiqu’elle dérangeât beaucoup les théories de ce dernier.